- Julien Boujot
Bienvenue dans DeepMedia, le podcast qui décrypte les médias à l'heure du numérique. Je suis Julien Bougeot, consultant social-média et IA générative, mais avant tout passionné et curieux de l'univers média depuis plus de 15 ans. Dans un écosystème en perpétuelle transformation, comment les médias s'adaptent-ils ? Comment se réinventer face aux nouvelles technologies et aux géants du numérique ? Quel avenir pour l'information et ceux qui la produisent ? Si ces questions vous intriguent, alors vous êtes au bon endroit. DeepMedia, c'est un temps de réflexion et d'échange avec celles et ceux qui façonnent l'avenir du secteur. Maxime Saint-Pierre, bonjour et merci de participer à ce podcast et d'être le troisième invité au micro de Deep Media. Tu es directeur général des médias numériques à Radio-Canada depuis un certain nombre d'années, je crois que c'est depuis 2016 si mes informations sont bonnes. N'hésite pas à me contredire. Je te propose de commencer avec une petite présentation, ton parcours rapidement et ton périmètre et tes principales fonctions au sein de Radio-Canada.
- Maxime St-PIerre
Donc, Antoine, directeur général du numérique à Radio-Canada. C'est moi qui gère l'ensemble des plateformes numériques de Radio-Canada, qui est vraiment le penchant francophone de CBC Radio-Canada. Donc, on pense aux plateformes numériques, on pense entre autres à Radio-Canada.ca, qui est notre plateforme qui va vraiment regrouper l'ensemble de nos contenus d'information et de divertissement. On a aussi une offre en information, une offre... audio et une offre vidéo aussi, donc qui se trouve être un mélange aussi d'infos et de divertissement. Et puis, j'ai aussi sous ma gouverne, sous ma responsabilité, des équipes aussi en business intelligence, des équipes aussi qui travaillent aussi dans le développement de solutions aussi en utilisant l'intelligence artificielle. Donc, ça donne quand même un portfolio et un terrain de jeu intéressant à naviguer. Ça fait un petit peu plus de neuf ans que je suis à Radio-Canada. Puis l'objectif, encore une fois, c'est vraiment d'être au service des utilisateurs. Donc, comment on arrive aussi à bâtir de belles expériences, sachant très bien que le Canada, c'est grand. Et puis, il y a plusieurs types d'utilisateurs aussi. Donc, c'est le défi de tous les jours. Je dis souvent, mon plus grand défi, c'est d'être Netflix, Spotify et New York Times, mais avec une petite fraction des budgets.
- Julien Boujot
Oui, c'est ça. En tout cas, ça fait un bel enjeu sur tout ça. En tout cas, si on résume à grands traits, ça va être quoi la ligne directrice de la stratégie numérique de Radio-Canada ? Et surtout, il y a eu une évolution, un monde qui s'est produit entre 2016 et début 2025.
- Maxime St-PIerre
Oui, on a vraiment vu que les médias ont pris beaucoup de maturité, c'est sûr au niveau de la compréhension du numérique, l'intéressé du numérique, mais quand on parle de la transformation, c'est de la posture dans laquelle il faut se mettre, encore une fois, je fais allusion à la posture utilisateur. Je pense que ça, c'est quelque chose aussi qui est beaucoup progressé. Mais ceci étant dit, l'industrie numérique, elle est déjà très rapidement. Donc, souvent, moi, je disais, ce qui est possible aujourd'hui pourrait l'être dans trois mois, dans six mois. C'est sûr, avec l'avènement de l'intelligence artificielle, l'accélération est encore plus rapide. Donc, les questions reviennent plus rapidement. Les réponses et les solutions doivent venir plus rapidement. L'idée derrière ça, c'est de toujours se développer un esprit critique et de se dire, dans cette situation-là, comme média, comme média public, comment je peux être aussi au service des citoyens ? Parce que l'objectif, encore une fois, c'est de redonner aux citoyens. Donc, que ce soit toujours dans une posture de lecture, d'écoute, de visionnement, on essaie toujours d'aller chercher le maximum de ce côté-là. Évidemment, on a des nouveaux leviers aujourd'hui. Dans la transformation depuis neuf ans, l'IA, ça n'existait pas. On parlait beaucoup d'automatisation, je voudrais dire de recommandation de contenu, mais il y avait beaucoup de choses qui se faisaient vraiment à bras. Puis maintenant, ce qu'on voit, c'est qu'on est en moyen aussi de se doter d'outils qui nous aident aussi à être plus efficaces. Mais ça reste un défi de tous les jours parce que, comme service public, On aime, on aime faire le maximum, puis le champ des possibles est limité. Donc, c'est ce qui fait que c'est passionnant. D'un autre côté, c'est ce qui fait aussi que ça peut sembler aussi essoufflant.
- Julien Boujot
Oui, c'est ça. C'est qu'effectivement, en tout cas, avec le média de service public, il y a une forme parfois d'inertie, où en tout cas, il faut plus de temps que… Et tout à l'heure, quand tu prenais ta comparaison, que tu es Netflix, Spotify et New York Times en même temps, effectivement, il faut savoir assurer derrière. Effectivement, là je rebondis sur le côté de, en 2016 tu parlais d'automatisation, là tu es passé plutôt en IA générative, donc finalement, est-ce que ce n'est pas les mêmes objectifs que tu poursuis, et est-ce que l'IA générative, en quoi est-ce que ça peut t'aider finalement à accélérer ces chantiers d'automatisation que tu avais lancés, c'est-à-dire qu'auparavant automatisation plutôt classique on va dire, et là comment ça fait évoluer ?
- Maxime St-PIerre
Dans ce qu'on met en place, on a mis en place une cellule qui vraiment explore en forme de projet pilote certaines approches. Un des buzzwords en ce moment, c'est le mot « rag » , qui est un peu une façon de rendre, on ose espérer, rendre possible ce qui était impossible à faire il y a plus de neuf ans. On parlait d'automatisation, c'était très manuel malgré tout, il y avait un gros travail à faire. Ce qu'on voit avec l'intelligence artificielle, c'est qu'elle est capable de nous appuyer pour des tâches qui sont amplifiées, de pouvoir simplifier aussi le travail. Mais il y a quand même quelque chose d'extrêmement important à mentionner, c'est que même s'il y a des liens génératifs, pour nous, ce qui est vraiment primordial, c'est qu'un humain soit impliqué du début à la fin, donc au départ, pendant et à la fin. Donc la rigueur, la prudence restent vraiment nos deux critères. dans l'utilisation de l'IA. Cependant, on ne peut pas passer non plus à côté du fait que l'intelligence artificielle est omniprésente. Dans ce contexte-là, par exemple, labelliser nos contenus pour s'assurer de les rendre plus facilement découvrables sur nos plateformes, l'intelligence artificielle, c'est un outil. Donc, étant un outil, c'est à nous de décider comment on veut l'utiliser cet outil-là et comment on peut rendre service aussi au final. Puis, probablement, permettre à des gens de faire des… d'éviter de faire des tâches un peu plus triviales, puis vraiment travailler sur les éléments à valeur ajustée.
- Julien Boujot
Et c'est vrai que quand on parle d'IA générative, on a tendance un peu dans le grand public, même à penser à des outils extérieurs. On va parler de ChatGPT, d'OpenAI, etc. En France, on a Le Chat, on a Gemini un peu de partout, avec Google d'ailleurs qui a sorti plein de fonctionnalités. Alors, on a enregistré ce podcast à la fin mai, et c'est vrai qu'il y a eu beaucoup, beaucoup d'annonces. Mais là, en tout cas, si je comprends bien, c'est de l'IA générative aussi qui est, on va dire, monitorée, qui est en tout cas établie au sein de Radio-Canada. Parce qu'au niveau des opt-out, je ne sais pas si les contenus de Radio-Canada, il me semble que les contenus de Radio-Canada ne sont pas forcément crôlés par les outils externes d'IA. Et là, on parle plutôt d'outils d'IA qui sont développés en interne. Il y a un vrai chantier, des vrais projets qui sont menés en interne avec des outils développés chez vous.
- Maxime St-PIerre
Il y a des modèles qui existent, qui sont disponibles. Donc, c'est sûr que nous, on peut travailler en partenariat. Par exemple, on a mentionné Google. Donc, nous, on est une entreprise qui a la suite Google. Donc, c'est sûr qu'on est habitué aux outils comme Google Gemini, comme Notebook LM. Mais c'est de voir par la suite. Pour moi, il y a deux postures à avoir. Il y a vraiment une posture de comment on utilise les outils qui sont déjà existants. Donc, comme on est prêt à utiliser ces outils-là en intelligence artificielle, Google Gemini est un exemple. Google a lancé plein de nouveaux features et plein de gadgets et gizmos que je n'ai pas eu le temps de regarder, mais je suis persuadé que c'est passionnant parce que l'évolution est extrêmement rapide. Mais il y a aussi toute la partie du développement qu'on regarde vers l'avant. Comment nous, comme service public, on peut vraiment tirer notre épingle du jeu parce qu'on voit les choses dans une lentille qui est différente. d'une compagnie, par exemple, que son seul objectif, c'est de générer des profits. Et ce n'est pas l'objectif d'un service public comme Radio-Canada. L'objectif, c'est vraiment d'aller tirer le maximum pour redonner. Donc, redonner une bonne expérience, assurer de valoriser nos contenus. Puis, on est vraiment là-dedans. Donc, oui, on va pouvoir utiliser des modèles d'intelligence artificielle existants, mais qu'on va devoir aussi ajuster pour mettre à notre main, pour s'assurer que ça soit pertinent. dans notre mission de service public.
- Julien Boujot
Ok, ça va, c'est très clair en tout cas sur la manière d'utiliser ces outils. Est-ce que tu peux un peu nous quantifier, peut-être nous donner quelques exemples sur les outils d'IA, en tout cas sur les projets d'IA qui sont menés au sein de Radio-Canada ? Est-ce que ça va plutôt être une dominante de projets éditoriaux ou plutôt par exemple sur de l'accessibilité, sur de la proposition de contenu, sur de la mise à disposition de contenu ? Comment est-ce que ça se jauge un peu chez vous ?
- Maxime St-PIerre
On a plusieurs initiatives en IA parce qu'on veut éviter de tomber dans le panneau d'avoir un seul projet et s'il n'est pas concluant, à ce moment-là, tout le fruit des efforts n'est pas bénéfique. Donc, on veut vraiment fonctionner en projet pilote. Dans ce cas-ci, par exemple, je parlais du RAG un peu plus tôt, on a comme objectif de commencer petit. Voici une approche de labellisation, par exemple, de l'ensemble de notre catalogue multimodal. Donc, on parle ici d'alpha numérique, on parle de vidéo, on parle d'audio pour être regroupé dans un RAG, puis par la suite, nous assurer d'utiliser ces outils-là pour... nos outils internes, mais aussi pour les outils externes, mais aussi en même temps pour les auditoires. Donc, ça c'est un exemple parmi tant d'autres. C'est un exemple quand même assez important, mais pour le faire, il a fallu commencer petit. Puis, je peux donner un exemple très concret. Il y avait des élections fédérales récemment, donc, et par exemple, chaque parti fait des promesses électorales. Donc, nous, on a une équipe qui fait vraiment la catégorie... fait un catalogue, un registre de l'ensemble des promesses électorales. Donc, ce qu'on a fait, c'est qu'on a bâti un petit rag pour commencer, donc qui nous permet seulement de catégoriser l'ensemble des promesses qu'on a rendues disponibles en ligne pour que les gens puissent interroger notre outil, notre assistant pour dire, bon, bien, par rapport à un sujet donné, quelles sont les promesses qui ont été dites par les différents partis. Puis, on s'entend, ça aurait pu être fait, c'était un prétexte pour utiliser des outils qui sont plus modernes pour vraiment comprendre les codes, comprendre, voir c'est quoi l'anatomie du travail qu'on a à faire, pour par la suite voir comment on pourrait le faire à plus grande échelle. Donc ça, ça a été concluant. Donc là, maintenant, on passe dans une approche qui va être un petit peu plus moderne. Donc on va élargir encore une fois les balises et les contraintes d'un tel projet pour éventuellement cataloguer l'ensemble de nos contenus.
- Julien Boujot
D'accord. Et donc ça c'est hyper intéressant, ce projet là, donc là effectivement c'est avec un système de RAG, avec de l'IA multimodal, donc c'est à dire que j'imagine que vous avez intégré un peu toutes les sources et tous les types de contenus qui sont disponibles du côté de Radio-Canada, j'imagine que ça va fonctionner comme ça, en termes de réception par le public, en termes d'usage et même de retour d'expérience, à la fois on va dire côté utilisateur et lecteur, et puis côté interne, c'est un petit peu quoi le retour d'expérience sur ce projet là ?
- Maxime St-PIerre
Juste de pouvoir mettre un projet comme ça en production, c'est un succès en soi, dans la mesure où on veut éviter aussi de tomber dans le piège de ne pas donner les bonnes réponses, d'avoir un biais par rapport à une réponse alors qu'on est en pleine campagne électorale. Donc, c'est sûr qu'il y a un groupe de gens à l'éditorial, il y a des gens de mon équipe en numérique qui travaillent main dans la main pour s'assurer qu'on est à l'aise avec. le niveau d'erreur potentiel qu'un outil comme ça pourrait avoir. On s'entend, il y a des questions, par exemple, on a filtré, par exemple, quelqu'un qui nous demanderait pour quel parti je dois voter. À ce moment-là, c'est le genre de questions qu'on ne répond pas. Donc, l'outil n'a pas été créé pour ça. L'outil a été créé pour informer, éclairer, mais n'a pas été créé pour donner une réponse et introduire un billet dans un processus de vote. Donc... Dans des contextes comme ça, ça prend énormément de réflexion, de discussion pour s'assurer que, encore une fois, c'est à très petite échelle, parce qu'on veut justement, je dis souvent, on a juste une première fois de faire une bonne première impression, une seule chance de faire une bonne première impression. Dans ce contexte-là, on a mieux d'y aller encore de façon prudente et rigoureuse. Mais par la suite des choses, ça va nous permettre d'élargir à plus que juste… un contexte en particulier, c'est le but. Au final, c'est vraiment de l'élargir à l'ensemble des contenus.
- Julien Boujot
Et là, il n'y a pas eu de quoi, on va dire, de réponses qui ont pu être mal interprétées ou en tout cas qui sortaient du cadre que vous étiez fixé. L'usage de l'outil a été cohérent.
- Maxime St-PIerre
Il y a eu des questions étranges et nébuleuses. Nous, on a quand même appris de l'ensemble des questions parce que... C'est du NLP, c'est du langage naturel. Donc, les gens, ce qu'on s'est rendu compte, c'est que notre outil était très limité, on le savait, mais les gens avaient l'impression qu'ils parlaient à un assistant en intelligence artificielle comme Jiménaï ou Claude et tout ça, alors que nous, c'est une version très limitée qu'on a rendue disponible de par la nature, la sensibilité de l'outil. Ceci étant dit, on est très conscient qu'il y a des nouveaux comportements utilisateurs qui sont en train de se mettre en place. Il y a en ce moment des gens qui bloquent les assistants en IA. Il y en a d'autres qui permettent d'aller moissonner les contenus. C'est sûr qu'à Radio-Canada, dans le respect des droits d'auteur, nous, c'est extrêmement important qu'on puisse aussi être très conscient de ça. Pour le moment, on a une tendance à vouloir bloquer parce qu'on ne veut pas répéter non plus les erreurs du passé avec les réseaux sociaux, entre autres. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le contexte au Canada est assez spécifique avec le projet de loi C-18, entre autres, où les Facebook, par exemple, ont arrêté du jour au lendemain de nous permettre de publier sur leur plateforme. Donc, ça nous a donné un peu plus de perspective aussi sur… comment on crée des expériences et on garde les gens sur nos plateformes propriétaires.
- Julien Boujot
C'est la fin de la première partie de cette interview de DeepMedia avec Maxime Saint-Pierre, directeur général des médias numériques à Radio-Canada. Je vous donne rendez-vous prochainement pour la suite de cet échange où l'on va continuer d'explorer le futur des médias à l'heure du numérique. En attendant, pour ne pas manquer les prochains épisodes, abonnez-vous à ce podcast et mettez les commentaires et étoiles adéquates. DeepMedia est un podcast... autoproduits par Follow me Conseil, agence de formation et conseil stratégique spécialisé en IA générative et social media. A très bientôt !