- Speaker #0
EgoCast, découverte sonore de chercheurs en gestion. C'est arrivé jusque chez vous. Le compteur Linky, déployé dans tous les ménages français à partir de 2015, a été présenté comme la nouvelle génération de capteurs relevant la consommation d'électricité dans un ménage. Qui aurait imaginé qu'un tel boîtier puisse susciter tant de commentaires et de critiques ? Le compteur Linky a effectivement été vu comme le symbole d'une nouvelle génération d'objets connectés qui s'introduiraient au domicile des personnes, surveilleraient leur consommation, récupéraient leurs données sans que leur exploitation ne soit clairement identifiée. Un objet connecté imposé, sans que les foyers n'aient la sensation d'avoir leur mot à dire. Dans cet épisode, Virginie Schweitzer, qui a travaillé sur le déploiement des compteurs intelligents en Europe, Merci. revient sur la perception de ces boîtiers et leurs conditions d'acceptation. Une plongée sur les liens entre producteurs d'objets connectés et clients. Entre bras de fer, soumission forcée, contractualisation équitable ? Bonjour à tous, bienvenue pour un nouvel épisode des Crigocast. Aujourd'hui, je suis en compagnie de mon fidèle acolyte Johan et nous avons le plaisir d'accueillir Virginie Schweitzer. Alors Virginie, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?
- Speaker #1
Oui, je m'appelle Virginie Schweitzer, je suis actuellement maître de conférence à l'UHA et je mène mes recherches au sein du laboratoire Crigo.
- Speaker #0
Et donc, ça fait combien de temps que tu es rentrée dans le milieu de l'enseignement et de la recherche ?
- Speaker #1
Alors, j'ai auparavant une carrière précédente en tant que responsable marketing et chef de produit dans des sociétés agroalimentaires. J'ai eu un parcours en entreprise et j'ai démarré une thèse en 2018 que j'ai terminée en 2022. Depuis 2022, je suis enseignant-chercheur au laboratoire CREGO.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui t'a donné envie de rejoindre ce milieu finalement quand on est responsable marketing, de passer de l'autre côté et du côté de la recherche ?
- Speaker #1
Alors, je pense que j'avais deux options à ce moment-là. Ça faisait neuf ans que je travaillais dans le marketing alimentaire. Et pour moi, la question s'est posée de changer de secteur d'activité pour pouvoir continuer à apprendre, voilà, et de stimuler dans mon parcours professionnel. Parce que j'avais l'impression d'avoir fait le tour dans ce secteur-là. Ou alors de voir ailleurs, donc complètement autre chose. Et c'est à ce moment-là que j'ai rencontré le professeur François Simon, qui était professeur des universités à l'Université d'Haute-Alsace. Elle m'a proposé de rejoindre un DU, Marketing et Recherche, parce que j'avais un master classique en management, pour voir si la recherche pouvait m'intéresser. Donc j'ai continué à travailler en même temps que j'ai effectué ce DU. Et ensuite, j'ai choisi de poursuivre dans la recherche et j'ai arrêté de travailler pour l'entreprise à ce moment-là.
- Speaker #2
Comment on passe de l'agroalimentaire aux objets intelligents ?
- Speaker #1
Alors, je pense que ça aussi fait partie de ma volonté de quitter ce milieu de l'alimentaire que je connaissais un peu trop bien. Et je pense que si j'avais poursuivi la recherche dans ce secteur-là, j'aurais eu beaucoup de biais liés à mon activité professionnelle précédente. Et après, je me suis quand même raccrochée à un secteur d'activité, à des objets qui m'intéressaient. Donc, c'était tout ce qui tournait autour du self-service. Parce que du coup, moi-même, dans ma carrière professionnelle, j'avais pu essayer de mettre en place le self-service dans des points de vente, dans des points de vente de boulangerie. Et ça avait été, disons-le clairement, un échec total. Et j'avais aussi du coup envie de comprendre un peu pourquoi ça avait été un échec. Qu'est-ce qu'on n'avait pas peut-être fait correctement ? Qu'est-ce qu'on n'avait pas pensé ? Parce que quand on l'a mis en place, on avait vraiment la conviction qu'on rendait un service au client. Et ce n'est pas comme ça que ça s'est déroulé.
- Speaker #0
Juste par curiosité, comment tu t'analyses l'échec dans le milieu de la boulangerie de ces dispositifs, de ces services ?
- Speaker #1
Alors aujourd'hui, en dehors de tous ces mécanismes dont on va peut-être parler tout à l'heure que je n'avais absolument pas envisagé, je pense qu'il y a quand même ce secteur-là qui est très particulier, qui est très traditionnel encore, où le service client et la relation client est encore très importante, peut-être beaucoup plus que dans d'autres secteurs comme la distribution, la grande distribution. Je pense que ça a été... Un des facteurs de cet échec, ce n'est pas un secteur qui est mature et qui est prêt à enlever, à supprimer le service client.
- Speaker #0
Ce que vous pensiez dans ton entreprise apporter aux clients, c'était quoi du coup dans les boulangeries ?
- Speaker #1
Du gain de temps, surtout parce qu'on avait vraiment des difficultés à gérer le service du midi, à gérer les gens qui voulaient manger sur place, les gens qui voulaient manger rapidement et à fluidifier le service. Pour nous, c'était vraiment fluidifier le service. Mais en fin de compte, les clients de ce réseau de boulangerie pour lequel je travaillais, ils étaient vraiment très attachés au personnel de service aussi. Et ça, on ne s'en était pas forcément rendu compte. et à la relation qu'il pouvait avoir avec le personnel de service. On ne l'avait pas anticipé. Donc en fait, finalement, la mise en place du self-service, ça a été coûteux, ça nous a pris de l'espace dans le point de vente et au final, ça n'a pas rapporté ses fruits.
- Speaker #2
Il y a quelque chose d'amusant à t'entendre, c'est les résultats inattendus, un peu contre-intuitifs. que tu décris par rapport à ton expérience professionnelle. J'ai l'impression que tu y as été peut-être plus ou moins confronté aussi dans les résultats de ton travail de recherche que tu as réalisé autour des objets intelligents et en particulier du compteur intelligent de consommation électrique. Est-ce que tu peux nous rappeler un petit peu le contexte de ce sujet sur lequel tu as travaillé plusieurs années et qu'est-ce qui a été finalement surprenant et contre-intuitif ?
- Speaker #1
Alors oui, j'ai travaillé dans le cadre de la recherche sur l'adoption des compteurs électriques intelligents.
- Speaker #0
Surnommé les fameux compteurs Linky ?
- Speaker #1
Tout à fait. En France, le compteur Linky. Dans d'autres pays, le compteur électrique intelligent. Il n'avait pas de nom, il n'était pas aussi symbolique que chez nous. J'ai travaillé sur les mécanismes qui ont conduit à leur adoption ou plutôt à leur rejet par un certain nombre de consommateurs. Comme ça, cet objet a été présenté aux clients comme un objet qui allait leur permettre de mieux contrôler leur consommation énergétique, donc d'avoir des gains à la fois pour la planète, mais aussi des gains financiers sur leur facture d'électricité. Ce qu'on n'avait pas forcément anticipé, ce qui a été un peu une surprise, c'est que le fait que l'on demande aux clients de partager leurs données de consommation électrique, ça pouvait les mettre dans une situation de vulnérabilité. par rapport au partage de leurs données privatives et que ces mécanismes-là, donc cette vulnérabilité qu'on crée autour du partage des données, elle pouvait avoir un impact négatif sur l'adhésion à des valeurs de sobriété énergétique, etc., qui sont actuellement véhiculées par nos gouvernements.
- Speaker #2
Ça renverse en fait l'effet attendu.
- Speaker #1
Exactement. Après coup, je me dis qu'on aurait peut-être pu d'abord parler de cette sobriété, de l'importance de cette sobriété, avant d'installer de façon assez anarchique les compteurs chez les clients, puisqu'il a été fixé des objectifs. En France, en 2024, tous les foyers devaient être équipés d'un compteur électrique intelligent et donc partager leurs données avec le Distributeur National d'Électricité. je ne suis pas sûre qu'en 2021 quand ça a commencé à se déployer le discours autour de la sobriété il était aussi développé et aussi poussé qu'il ne l'est aujourd'hui. Ce qui veut dire qu'on a, en quelque sorte, avec ce déploiement-là, on a créé de la vulnérabilité et une plus forte vulnérabilité parce que les personnes, en fait les ménages, ils n'ont vu que ce problème des données privatives avant même d'avoir internalisé la question de la sobriété.
- Speaker #0
Il y a la question de la sobriété, certes, mais vous leur présentiez quand même des avantages ? Quand on a déployé le Linky, il y avait probablement ces avantages financiers dont tu parlais. Donc, il y avait quand même un intérêt à divulguer ces données.
- Speaker #1
Alors, dans la première étape du déploiement, ça a été très peu véhiculé. Ce qu'ils expliquaient principalement, parce que c'était leur principal souci, Enedis, à l'époque, c'était qu'en partageant ces données, on permettait aux distributeurs nationaux d'électricité de mieux gérer l'électricité. Et c'était ça qu'on expliquait d'abord aux clients. En faisant ça... le distributeur national va être mieux capable de gérer les pics, de savoir quand est-ce qu'il y a le plus besoin d'électricité, donc quand est-ce qu'il faut prévenir les clients qu'à ce moment-là, l'électricité va être plus rare, etc. Et ça a été la première vague. Et seulement après, ils ont amené les arguments autour de l'implication des ménages dans la réduction de leurs factures.
- Speaker #0
Oui, en fait, dans la première vague, les gens avaient l'impression qu'ils travaillaient pour Enedis, mais qu'il n'y avait aucun avantage pour eux à faire ça.
- Speaker #1
Tout à fait. Et dans les résultats de la recherche, on trouve effectivement cette problématique. Pour les clients, le compteur Linky, c'est un échange inéquitable avec Enedis. C'est dans la relation qu'il a avec cette marque, il ne gagne pas grand-chose par rapport à ce qu'il donne.
- Speaker #0
Après, vous avez fait une deuxième vague, où là, vous leur avez dit qu'il y a quand même des gains financiers pour vous.
- Speaker #1
Alors, ce n'est pas nous, c'est du coup Enedis qui a eu une seconde vague de communication plus tard, où il y a eu beaucoup plus de communication autour de ces mécanismes-là et de ce que le consommateur et le ménage pouvaient aussi gagner en partageant ces données et en suivant ces dépenses énergétiques.
- Speaker #0
Et même avec cette deuxième vague de communication, il y avait toujours eu la même méfiance.
- Speaker #1
Alors, le problème, c'est que la polémique en France sur Linky, elle a été très, très importante. Et qu'il y a un certain nombre de représentations sociales autour de l'objet qui se sont créées aussi. D'ailleurs, il y a une autre étude dans le cadre de ce projet intérêt que j'ai mené sur les représentations sociales autour du compteur. Et il y a de fortes représentations ambivalentes autour d'un objet qui est polémique. Jusqu'à même des... Alors, je ne vais pas insister dessus, mais il y a même des personnes qui pensent que le compteur électrique pouvait amener des problèmes de santé dans le foyer. Pendant le Covid, il y a eu des choses aussi comme ça qui se sont dit. Le Covid arrive par des petites choses.
- Speaker #2
Est-ce qu'il y avait aussi cette idée de pression ou de choix, plus ou moins laissé ou pas laissé, non seulement d'installer le compteur ? Là, il n'y avait pas vraiment le choix, si je me souviens bien. Mais par contre, de communiquer les données ou pas, cette sensation que finalement, on n'a pas vraiment le choix, c'est un élément important dans les réactions, les résistances, les rejets ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Donc effectivement, dans les représentations sociales, il y a aussi cette autonomie forcée qu'on a réussi à faire ressortir, dans le sens où oui, on nous donne une autonomie sur notre électricité, mais en même temps, on ne nous a pas laissé le choix. Ce n'est pas mon propre choix. On m'oblige à aller vers quelque chose que je n'ai pas forcément compris ou des valeurs auxquelles je n'adhère pas forcément. Donc il y a cette autonomie forcée qui est aussi ressortie. Après, il y a aussi d'autres mécanismes qu'on a retrouvés et qui ont influencé. encore plus fortement cette vulnérabilité par rapport au partage des données, c'est qu'un certain nombre de clients ont estimé qu'en partageant leurs données de consommation, ils auraient des tarifs d'électricité différentiels. Alors ça, ce n'est pas quelque chose auquel j'avais pensé. Autant le fait que des consommateurs soient conscients des techniques marketing utilisées aujourd'hui, mais je ne m'étais pas forcément imaginée qu'ils pouvaient penser qu'une marque utiliserait les données pour appliquer des tarifs différentiels et ce qui renforçait du coup leur sentiment d'être vulnérable par rapport à la marque.
- Speaker #0
Juste pour faire une petite distinction, il y avait dans cette obligation, on parlait Yohann, de diffuser ces données, tu faisais une distinction entre les producteurs d'électricité et le distributeur d'électricité. Il y a une frontière là entre à qui je dois donner, à qui je transmets mes données, à qui je peux le faire, à qui je dois le faire.
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Alors en fait, le compteur électrique, il est déployé par le distributeur. national d'électricité Enedis. Et alors, dans la toute première vague du déploiement, à partir du moment où le compteur, il était déposé chez le client, si le client ne voulait pas partager ses données avec le distributeur, il devait faire de l'opt-out, c'est-à-dire aller se connecter sur son compte et dire je ne veux pas partager mes données avec Enedis. Sinon, de façon automatique, il partageait avec Enedis. Ça, ça a été modifié en 2021 puisqu'ils ont été condamnés par la CNIL, je crois. pour que ça devienne de l'opt-in et plus de l'opt-out. Donc ça, c'est par rapport au distributeur.
- Speaker #0
L'opt-in, c'est je dois sciemment, volontairement activer une option qui va transmettre mes données. Tout à fait. Et à défaut, je ne transmets rien.
- Speaker #1
À défaut, le compteur est là. Il n'y a rien qui change par rapport à avant. Ensuite, il y a des fournisseurs d'électricité en France. Aujourd'hui, il y en a un certain nombre. Vous pouvez choisir votre fournisseur d'électricité en fonction des tarifs qu'il vous propose. Et le compteur intelligent, il va communiquer, donc Enedis va communiquer ces données à votre fournisseur si vous voulez avoir un détail de votre consommation électrique. Quel appareil consomme, à quel moment, quel jour, par rapport à mes voisins j'en suis où. Tout ça, c'est possible grâce à votre fournisseur d'électricité, soit sur une application, soit sur un portail internet. À partir du moment où vous choisissez de vous connecter dessus. Mais il faut que vous ayez d'abord autorisé Enedis à communiquer ces données à votre fournisseur.
- Speaker #0
Donc il y a une double... Un double consentement, à la fois à Enedis et à la fois qu'Enedis transmette au...
- Speaker #1
Mais en même temps, si vous n'avez opté que pour le consentement par rapport au distributeur national, vous ne pouvez pas avoir un contrôle sur votre consommation, dans le sens où vous savez juste que vous consommez sur 24 heures, mais vous ne savez pas quel appareil a consommé quoi, à quel moment vous avez consommé plus. Ça, c'est uniquement accessible via votre fournisseur d'électricité qui a ces données précises.
- Speaker #2
J'allais poser une question. Est-ce qu'il y a des types de réaction ou d'appropriation de l'objet en fonction des individus ? Est-ce qu'il y a des profils qui sont plus aptes à consentir et à utiliser et d'autres à rejeter ? Ou ce n'est pas quelque chose que vous avez considéré dans vos travaux ?
- Speaker #1
Alors, on l'a considéré quelques variables démographiques et la seule qui a été pertinente, c'est l'âge par rapport à cet objet. Et donc, les études et les résultats ont montré que la vulnérabilité est plus importante. Et tous ces mécanismes, du coup, d'absence d'internalisation, de la sobriété et du sentiment d'incompétence, ils sont plus forts chez les personnes âgées qu'ils ne le sont chez les jeunes. Après, on n'a pas fait d'analyse de clusters plus fines sur des segments, etc. Mais en tout cas, l'âge est une variable.
- Speaker #2
Niveau de consommation, par exemple, je ne vois pas. Est-ce que si on est gros consommateur, on n'est pas plus intéressé en se disant tiens, il y a peut-être des gisements d'économie ?
- Speaker #1
Alors, il est évident qu'il y a une autre variable qu'on a étudiée, c'est l'impact. Effectivement, un individu qui sent qu'il peut agir sur sa consommation électrique parce qu'il a encore de la marge de manœuvre, Parce qu'il sait que c'est un gros consommateur, qu'il le voit sur ses factures qu'il consomme. Parce qu'en général, on a une comparaison par rapport à la moyenne des ménages similaires. Il voit qu'il consomme beaucoup plus que les ménages similaires. C'est sûr qu'il va voir qu'il peut avoir un impact sur sa consommation et il va être plus incité à utiliser l'objet. Et ça, les résultats nous le montrent. En revanche, de manière générale, l'électricité fait partie de la consommation sur laquelle les ménages ont l'impression qu'ils ne peuvent pas bien agir. Contrairement à d'autres... d'autres objets. Sur l'électricité, c'est quelque chose sur lequel on a souvent peu de marge de manœuvre. On ne peut pas arrêter de manger, on ne peut pas arrêter... Il y a un moment où on est un peu perdu.
- Speaker #0
Et en plus, ceux qui étaient entre guillemets les bons élèves, une fois qu'on a réussi ou qu'on considère qu'on se rend compte que finalement, on ne consomme pas tant que ça, on n'a aucune cagnotte, aucun gain, on n'est pas valorisé, les données qu'on transmet ne nous apportent rien en fait.
- Speaker #1
Non, et c'est effectivement aussi quelque chose qu'on montre dans la recherche et qu'on suggère aux entreprises. C'est que dans la mesure où il y a une perception d'un échange inéquitable, de base déjà avec la marque, il serait nécessaire de penser, peut-être de réfléchir à des mécanismes de compensation. Alors, je sais que vous l'avez étudié avec une autre collègue. À Nen, sur le fait de peut-être rémunérer le partage des données privées, c'est une question qui serait à étudier. Enfin, je veux dire, à un moment donné, s'il y a cette perception d'un échanger équitable, il faut y arriver à restaurer un équilibre. Et ça peut être une solution. Ou alors, ça peut être peut-être des propositions du fournisseur, peut-être de soutenir de la rénovation ou d'autres mécanismes, mais qui permettraient d'agir en tant que compensation.
- Speaker #0
Oui, sachant qu'en plus, si on donne un bonus aux gens qui ont des économies d'électricité, ça induit l'idée qu'il y aura un malus de l'autre côté. Donc, ça renforcerait ce sentiment de méfiance à l'égard des personnes qui pensent qu'on va exploiter leurs données à des fins qui leur sont défavorables, comme pour les assurances, comme tu as dit tout à l'heure, ce qui incite à la méfiance quand on transmet ces données. Oui,
- Speaker #1
oui.
- Speaker #0
Tous ces protocoles méthodologiques, ils ont été de quelle nature pour étudier tout ça ? C'est quoi ? C'est des panels, des questionnaires ?
- Speaker #1
Pour les représentations autour du compteur Linky, c'est une analyse des représentations sociales qui a été menée en trois phases. C'est une méthodologie classique qui existe pour étudier les représentations sociales par rapport à un objet, et en général souvent des objets controversés. Donc c'est une méthodologie qui s'y prêtait bien. Et l'autre méthodologie, c'est une étude quantitative sur des questionnaires en ligne sur plus de 1000 ménages français qui étaient équipés d'un compteur Linky et propriétaires de leur logement, puisqu'on avait observé auparavant qu'il y avait beaucoup plus d'incitation, beaucoup plus d'implication chez les ménages propriétaires que chez des locataires pour investir dans la sobriété énergétique.
- Speaker #2
Et est-ce que les résultats de ces différentes études... permettre un peu d'éclairer ou de donner des pistes, des conseils à des distributeurs ou des producteurs d'énergie, peut-être dans le domaine du gaz, où il y a aussi des compteurs intelligents qui se développent, sur les erreurs à ne pas commettre, les leviers à actionner ?
- Speaker #1
Alors, la principale erreur à commettre, ce serait du coup de ne pas être transparent sur des éventuelles politiques de prix différenciés. Donc je pense que ça, il faut vraiment éclairer le consommateur là-dessus. si c'est... politiques vont exister derrière, il faut les expliquer, les annoncer. Donc avoir une certaine forme de transparence, puisqu'il y a des inférences dans l'esprit des consommateurs aujourd'hui. La deuxième, ce serait ce qu'on a évoqué tout à l'heure, c'est dans la mesure où il y a une perception d'échange inéquitable avec le fournisseur, de proposer des mécanismes de compensation, d'envisager ces mécanismes-là. Et le dernier, ce serait d'être aussi très transparent sur le partage des données. Ces données, elles sont partagées avec qui ? A quoi elles servent ? Et pas avec des longs papiers à télécharger, indigestes, que personne ne lit. Ce n'est pas ça, être transparent sur le partage des données. Il faut essayer de vulgariser, de simplifier, d'être très concret et pas de proposer une page au téléchargement parce que là... La loi nous oblige à fonctionner comme ça. Voilà, je pense que ce seraient les trois principaux conseils.
- Speaker #2
Et sur la communication, puisque souvent, dans les produits ou services durables, il y a un petit peu des hésitations entre les bénéfices qu'on peut mettre en avant, qui sont plutôt financiers, entre guillemets égoïstes pour le consommateur, et puis des bénéfices plus altruistes ou sociaux. Là, il y a les deux. Est-ce que mon expérience permet de dire que oui, il faut mettre les deux en avant ? Est-ce qu'il faut séquentiellement en mettre d'abord un, puis l'autre ?
- Speaker #1
Alors dans ce cadre-là, je pense que ça vaudrait le coup de faire des profils de consommateurs, des profils de clients. Il y a des clients qui vont être très intéressés par ce gain en autonomie qu'on leur donne, cette facilité. de pouvoir prendre en main certains éléments de leur vie, etc. À ces clients-là, il va falloir vraiment bien mettre en avant tout ce qui tourne autour de l'autonomie permise avec l'objet. S'il y a des clients pour qui il y a une motivation inhérente parce que ça fait partie de leur valeur sociétale, parce qu'ils sont très impliqués dans le reste de leur vie, à ces clients-là, il ne faut pas hésiter à mettre en avant ces avantages-là. Je pense qu'il y a aujourd'hui des profils différents de consommateurs. L'électricité, tout le monde en consomme. On n'est pas tous pareils, on n'adhère pas tous aux mêmes valeurs, on n'a pas tous les mêmes modes de vie. Je pense qu'il serait, avant d'envisager une campagne de communication, nécessaire de correctement segmenter ses profils de consommateurs.
- Speaker #0
Moi, j'avais une dernière question aussi. Je pense que le projet de recherche que vous avez mené, c'est un projet inter-pays entre Suisse, France, Allemagne. Et peut-être dans l'implémentation de ces compteurs intelligents, il y a des différences qui ont été faites ou il y a des choses intéressantes que tu as pu noter ?
- Speaker #1
Oui, alors il y a des pays où les compteurs intelligents étaient déployés intégralement chez tous les ménages avant même la France, comme l'Espagne, l'Italie, les pays nordiques. Il y a d'autres pays qui ont été plus prudents sur le déploiement, notamment l'Allemagne qui était au départ engagée comme nous sur un déploiement assez imposé à l'ensemble des ménages parce qu'ils respectaient le règlement de l'Europe sur la transition énergétique. Et ils se sont rendus compte que, justement, cette question du partage des données et de l'obligation, elle posait problème dans certains pays qui avaient déjà mis en place ce type de déploiement. Donc, ils ont freiné. Et aujourd'hui, le compteur, il n'est pas obligatoire, par exemple, dans tous les ménages en Allemagne. Le compteur intelligent,
- Speaker #0
il n'est pas obligatoire ?
- Speaker #1
Non. Alors qu'en France, en début de cette année, ils se posaient la question de facturer les personnes qui n'ont pas... pas accepté l'installation du compteur électrique intelligent parce qu'ils engendrent des coûts supplémentaires puisqu'on est encore obligé de faire des relevés manuels chez ses clients. Et ils voulaient faire supporter l'ensemble du coût du relevé manuel sur ces quelques ménages. Voilà. Donc on est dans deux approches différentes.
- Speaker #0
Très bien. Peut-être que tu as quelque chose à ajouter ou dont on n'a pas parlé que tu souhaiterais dire ?
- Speaker #2
Des projets pour la suite peut-être ?
- Speaker #1
Alors actuellement, autour de la vulnérabilité, ce que j'aimerais travailler, c'est peut-être trouver des mécanismes compensatoires qui redonnent du pouvoir au consommateur. Comme par exemple, donner plus d'autonomie dans l'utilisation de l'objet, c'est-à-dire développer l'autonomie dans l'usage, ce que j'appelle l'autonomie dans l'usage. Par exemple, en permettant au consommateur d'être plus créatif dans la recherche de solutions grâce à cet outil, qui pourrait venir compenser peut-être une vulnérabilité liée au partage des données privées. Donc actuellement, ça fait partie des travaux qui m'intéressent, mais de manière plus globale autour de l'ensemble des objets connectés qui sont proposés. La question de l'autonomie qu'on donne avec ces objets, parce que forcément un individu qui recherche de l'autonomie en utilisant cet objet, si on lui propose un objet très paramétré, très normé, est-ce qu'il y trouve son compte ou est-ce qu'il va être déçu ? Et c'est pour ça que beaucoup arrêtent de les utiliser sur le long terme ou le moyen ou le long terme. C'est une question qui reste ouverte aujourd'hui.
- Speaker #2
Des sujets passionnants dont on n'a pas fini de parler certainement.
- Speaker #0
Merci beaucoup Virginie. Merci.
- Speaker #1
Merci à vous.