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Bonjour à tous, ici Aurélie Gallet. Je suis ravie de vous accueillir sur Disruption Inside, le podcast qui décrypte de l'intérieur la transformation des entreprises et des acteurs publics. Ensemble, nous allons à la rencontre de leaders business institutionnels qui font bouger les lignes. Nous allons décrypter leurs stratégies, revenir sur leurs réussites et leurs échecs, et faire le plein de conseils pratiques. Mon objectif, vous aider à passer à l'action en vous inspirant des meilleurs. Cette semaine, je vous invite à découvrir le témoignage de Philippe Zaouati, fondateur et CEO de Mirova, société de gestion d'actifs spécialisée dans l'investissement durable. Mirova est une filiale de Natixis, pionnière de la finance verte et durable. Avant de fonder Mirova, Philippe a fait carrière au sein de différentes institutions financières, dont la Caisse des dépôts et le Crédit Agricole. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages sur la finance durable et a contribué aux évolutions des marchés et de la réglementation en France et en Europe. Philippe se définit comme un Sustainable Finance Activist. Dans cet épisode, je vous propose de découvrir le monde passionnant de la finance durable et ses nombreux défis à travers le regard d'experts de Philippe. Bonjour Philippe.
- Philippe
Bonjour Aurélie.
- Aurélie
Alors Philippe, je suis ravie d'être avec toi aujourd'hui. Pour commencer cet épisode, Philippe, j'ai l'habitude de demander à mes invités de se présenter. Donc tradition oblige, est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur toi Philippe ?
- Philippe
Je m'appelle Philippe, j'ai 58 ans, j'ai travaillé toute ma carrière dans la finance et je dirige la société que j'ai fondée au sein du groupe BPCE et de Natixis il y a un peu plus d'une dizaine d'années, qui s'appelle Mirova, qui est dédiée, qui s'est donnée comme mission de faire de la finance un outil pour trouver des solutions aux enjeux qu'elle en fait face, des enjeux environnementaux et sociaux.
- Aurélie
Alors justement, tu as commencé ta carrière, je le disais, en introduction dans différentes institutions financières. Pourquoi est-ce que tu t'es tourné dans le secteur de la finance quand tu étais jeune étudiant ?
- Philippe
Totalement par hasard, en fait, par évolution un peu naturelle de ce que le système éducatif français produit. Alors, il a des points extrêmement... formidable et favorable. Le système éducatif, en tout cas, il permettait, je ne sais pas si c'est encore possible aujourd'hui, mais de s'extraire, de gravir des échelons et de prendre ce qu'on appelle l'ascenseur social. Ça a été clairement mon cas. J'ai fait ma scolarité dans les quartiers nord de Marseille, dans une zone qui est aujourd'hui très défavorisée, qu'il était déjà un petit peu à l'époque où... où j'étais au collège et au lycée. Et il se trouve qu'effectivement, j'étais plutôt bon en mathématiques. Et donc, j'ai fait des études de mathématiques, et puis ensuite de statistiques et d'économie. Et puis, la finance était, il faut bien le dire, à la fin des années 80, début des années 90, un peu l'endroit où tout le monde rêvait d'aller. C'était, j'allais dire, un peu ce qui serait aujourd'hui à la fois... ou la tech, ou le monde des influenceurs, on va dire, un peu des deux. En tout cas, un endroit où il était légitime pour les meilleurs étudiants, ceux qui faisaient des bonnes études, de se projeter, et avec une connotation très positive, moins sulfureuse et négative que celle qu'on connaît aujourd'hui, après ce qu'on a connu dans les crises financières de ces dernières décennies.
- Aurélie
Quels ont été les moments un peu charnières de ta carrière ?
- Philippe
Charnières, je ne sais pas. J'ai parcouru différents rôles dans le monde de la gestion d'actifs. Je n'ai pas vraiment sorti de ces rails-là. J'ai essayé d'explorer différents types de métiers, à la fois des métiers très techniques, de gestion, de modélisation mathématique. vraiment de sujets de création de produits, donc vraiment des sujets extrêmement techniques, avec des sujets beaucoup plus commerciaux, relationnels, de développement aussi, d'entrepreneuriat ou d'intrapreneuriat qui m'a beaucoup animé. Et puis j'ai suivi aussi quelques personnes, comme on suit toujours dans une carrière, avec des mentors qui nous guident. Et puis il y a eu évidemment ensuite un moment charnière qui est le moment... au moment d'après la crise financière en 2007-2008, où là, je commence à m'intéresser à un sujet que je connaissais un petit peu, mais pas finalement de façon extrêmement approfondie, qui est celui de la question de la finance durable. Donc, comment est-ce qu'on peut utiliser la finance différemment, en faire un outil ? encore une fois, plus positif, revenir aussi à ses sources de la finance, c'est-à-dire un métier dont la base, en réalité, est la notion de confiance. Et donc, remettre cette notion de confiance au cœur de cette industrie de la finance.
- Aurélie
Comment est-ce que tu as vécu, justement, cette crise financière de 2008, puisque tu as vécu cette crise de l'intérieur ?
- Philippe
C'était assez extraordinaire. Je l'ai vécu de l'intérieur et de plein fouet, j'allais dire, parce qu'il se trouve que... Par un hasard extraordinaire, j'ai rejoint Natixis le 1er juin 2007. Et donc j'ai rejoint Natixis en tant que dirigeant, qu'un des dirigeants, que numéro 2 de la structure de gestion d'actifs de Natixis. Et donc à un moment totalement baroque, j'allais dire, puisque le 1er juin 2007, il ne se passe rien sur les marchés, tout va très très bien. Et donc je m'apprête à rentrer dans une entreprise où je vais continuer à faire ce que j'ai... Ce que j'ai fait précédemment, en tout cas apporter mon expertise. Et puis quelques jours plus tard, quelques semaines plus tard, mais vraiment au tout début du mois de juillet, le système financier commence à s'écrouler de l'intérieur. Les fissures apparaissent de partout. Et il se trouve que je devais passer des... C'est une histoire que j'ai racontée mille fois, mais il se trouve que je devais passer des vacances aux États-Unis. au mois d'août avec ma famille. Donc, j'avais prévu de commencer en juin, mais de passer un mois aux États-Unis en août. Et j'ai passé un mois aux États-Unis en août, mais en me levant à 5h, 4-5h du matin tous les jours pour essayer de régler les problèmes qui se passaient, qui se posaient au sein de la structure à Paris, parce qu'on était vraiment en pleine implosion. Et donc, en fait, pendant les 2-3 années qui ont suivi, ça a été une expérience assez intéressante parce que c'était une des premières fois où j'avais réellement un poste de direction très important. et où on était confronté à une situation absolument cataclysmique, où l'entreprise était au bord de la chute, à la fois celle dans laquelle j'étais, mais au-dessus. Le groupe Natixis lui-même a été quand même extrêmement en difficulté. Des acteurs comparables comme Dexia à l'époque ont fait faillite et n'existent plus aujourd'hui. Donc la question de la viabilité réellement de l'entreprise s'est posée. intéressant dans ces moments-là, c'est de voir comment les gens réagissent. Il y a des moments de peur, il y a des moments où on se replie sur soi, où on essaye de sauvegarder ce qu'on a déjà fait, voire de justifier ce qui a déjà été fait. Et puis, à l'inverse, il y a d'autres types de réactions qui consistent à se dire, mais comment on pourrait faire autrement, différemment ? On a eu le même type, je trouve, de réactions et de réflexions au moment du Covid. Un certain nombre de personnes qui se sont projetées en disant c'est quoi le monde d'après, comment est-ce qu'on peut faire mieux ? Il y a eu un petit peu ça au sein du monde de la finance au moment de la crise de 2007-2008.
- Aurélie
Est-ce que toi ça a été un déclencheur pour justement de positionner davantage sur la finance durable, cette crise financière de 2008 ?
- Philippe
Oui, clairement. C'était le déclencheur. Ça a été le déclencheur, non pas... que je me sois réveillé comme ça un matin après la faillite de Lehman Brothers en disant Tiens, on va changer le monde, on va faire de la finance durable. Mais je dirais que les questionnements sur quand on fabrique de nouveaux produits, se dire Ok, qu'est-ce qui n'a pas marché ces dernières années ? On a fait des choses beaucoup trop complexes, beaucoup trop difficiles à comprendre, opaques. La finance, c'est... s'est renfermée sur elle-même et n'a pas réussi à ouvrir ses portes, à regarder ce qui se passait dans le reste de l'économie. Donc, comment est-ce qu'on arrive à concilier, à modifier en quelque sorte la façon dont on fait son métier par rapport à ça ? Et tout ça, ça emmène progressivement à quoi ? À se poser des questions sur qu'est-ce qu'on fait avec de l'argent ? À quoi ça sert ? Ça sert à financer des projets. Ces projets, ils servent à quoi ? Ils servent à répondre à des besoins. C'est quoi les besoins qui sont financés ? Quels sont les enjeux auxquels on fait face aujourd'hui ? Et donc, de fil en aiguille, on s'intéresse évidemment aux questions de fond et notamment aux questions environnementales et sociales qui sont clés et qui commençaient à devenir de plus en plus clés, notamment la question du climat qui était en train de monter à ce moment-là de façon assez significative.
- Aurélie
Alors, on va parler des enjeux. de la finance durable. Mais avant de parler de ces enjeux, j'aimerais qu'on partage juste quelques éléments de définition et une bonne compréhension aussi du terrain de jeu. Parce qu'en fait, derrière finance durable, chacun y va de sa définition. Donc moi, je suis partie de la définition de la Banque de France. Donc ça m'intéresse si tu peux réagir sur cette définition. Donc la Banque de France définit la finance durable comme suit. Donc la finance durable désigne l'ensemble des pratiques financières visant à favoriser l'intérêt de la collectivité sur le long terme. Elle recouvre traditionnellement trois concepts, la finance solidaire, la finance socialement responsable et la finance verte. Alors est-ce que toi tu partages cette définition ? Et si oui, qu'est-ce que tu mets derrière finance solidaire, finance responsable et finance verte ?
- Philippe
En fait, globalement non, je ne partage pas. Ce n'est pas que je ne partage pas, c'est que je trouve très très difficile d'encapsuler ce qu'est la finance durable aujourd'hui dans une définition. Et plus on avance et plus ça devient difficile. Là, par exemple, on est en train de parler de la Banque de France, qui parle en quelque sorte d'intérêt général, d'une finance de l'intérêt général. C'est intéressant, mais ça veut dire que globalement, il y a des gens qui font des choses contre l'intérêt général. Ça me fait penser à... Le président de la République disait il y a quelques semaines, je veux un gouvernement d'intérêt général, comme si les gouvernements précédents ne s'intéressaient pas à l'intérêt général. C'est quand même un constat très, très fort. Donc, ça veut dire qu'on part d'un point de départ qui se dit qu'on est dans une société où les acteurs de l'économie ne s'intéressent pas, ne s'intéressent plus à l'intérêt général. Et donc, comment est-ce qu'on arrive à faire réintégrer l'intérêt général là-dedans ? Donc, c'est quand même une question qui va bien au-delà de qu'est-ce que c'est que la finance durable ? Est-ce que c'est de la finance solidaire ? Est-ce que c'est du vert dedans ? Là, on a voulu beaucoup trop, je crois, essayer de mettre des cases, définir les choses de façon extrêmement précise, alors qu'en fait, c'est une démarche, la finance durable. C'est une démarche, c'est une éthique professionnelle. Il y a beaucoup de métiers qui ont des chartes d'éthique et on ne dit pas qu'on fait des avocats durables et des avocats pas durables. Je crois que sur la finance, on est un peu sur cette même problématique aujourd'hui. Il faut qu'on arrive à dépasser ces questions de définition. Parce qu'à chaque fois qu'on a ces questions de définition, on a des questions des limites aux définitions. Chaque fois qu'on a des questions des limites, on a des questions effectivement de controverses. d'attaques sur qu'est-ce qui est vert, qu'est-ce qui n'est pas vert, et le greenwashing, à partir de quel moment il commence et où est-ce qu'il se termine. Et aujourd'hui, en plus, dans le monde dans lequel on est, on le voit bien avec les attaques un peu partout sur tout ce qui est progressiste, tout ce qui est progressif. Une certaine forme de progrès est attaquée aujourd'hui par un populisme quand même de plus en plus fort et qui s'attaque aussi à ces définitions de la finance durable. Quand il a en face de lui des définitions un peu avec des cases, c'est extrêmement facile à attaquer. Je crois que si on veut vraiment reposer les choses différemment, c'est de dire que la finance durable, c'est une façon de faire son métier de financier de façon éthique et en prenant en compte l'intérêt général. Parce que tout le monde devrait prendre en compte l'intérêt général.
- Aurélie
Et alors, quelle est la taille de ce marché ? Parce que du coup, la définition est difficile.
- Philippe
Et comme la définition est difficile, la mesure de la taille est impossible. C'est-à-dire que je ne sais pas dire quel est le marché de la finance durable. L'objectif serait que toute la finance devienne durable. Aujourd'hui, si on regarde un petit peu les différentes cases, vous allez avoir certaines personnes qui vont dire que le marché de la finance durable aujourd'hui, c'est 3-4% du marché. D'autres vont dire que c'est 50% du marché. Donc, c'est extrêmement complexe. Des grandes entreprises comme BlackRock, qui est le plus grand mondial, se présentent comme un acteur financier durable. Et donc, je crois qu'il faut aussi qu'on arrive à sortir un petit peu de ces calculs et plutôt d'essayer de comprendre quelles sont les dynamiques à l'œuvre. Et donc, est-ce que les idées de la finance durable se développent ou pas ? C'est-à-dire, est-ce que cette question de responsabilité, cette question d'intérêt général ? reprendre à notre compte les grands objectifs internationaux sur le climat, est-ce que c'est quelque chose qui progresse ou pas ? Et là, on a des vagues positives, négatives. Aujourd'hui, on est plutôt dans une vague quand même extrêmement négative.
- Aurélie
Pour autant, dont tu parlais de BlackRock, c'est quand même des sociétés qui ont une partie de leur activité où en fait, on investit de manière, entre guillemets, plus responsable. C'est aussi le sens de Natixis, avec la création de Mirova, on y reviendra juste après. quel est le poids aujourd'hui finalement dans ces acteurs de la finance durable versus de la finance plus traditionnelle ? Parce que même s'il y a des engagements qui sont pris, pour autant, il y a certains acteurs qui continuent à financer des activités qui ne sont pour le coup absolument pas durables, où on a déjà démontré le fait qu'il y a un impact sociétal ou environnemental qui est extrêmement fort.
- Philippe
De façon générale, la finance traditionnelle est dominante très largement. Je vais vous donner un chiffre, mais c'est plus de 90%, peut-être 95%, je ne sais pas. C'est-à-dire qu'il faut comprendre qu'une grosse partie de la finance aujourd'hui fait des investissements sans faire de choix. Une énorme partie de la finance fait ça. Parce qu'on a dans la finance des très gros acteurs, des gros acteurs comme BlackRock, mais aussi des gros investisseurs comme les grands fonds de pension, les grands fonds souverains, notamment des pays du Golfe, d'Asie, etc. Et donc, ces acteurs-là sont des acteurs qui investissent des... trillions, des milliers de milliards aujourd'hui sur les marchés. Et donc, la façon dont ils investissent, c'est qu'en gros, ils investissent partout. Ils investissent dans l'économie telle qu'elle est aujourd'hui. Ils financent l'économie comme elle va. Et donc, une partie d'entre eux, d'ailleurs, le fait de façon très systématique avec ce qu'on appelle la gestion passive, la gestion indicielle, c'est-à-dire qu'ils font des indices de marché, ils copient les indices de marché. Et donc, cette grande... partie de l'industrie financière ne fait pas de choix réels. Alors, dire qu'elle n'est pas responsable, j'allais dire, c'est peut-être un faux procès, d'une certaine façon. C'est dire qu'elle est passive, qu'elle ne fait pas de choix. Oui, clairement. Elle ne se pose pas cette question. Si l'économie est telle qu'elle est aujourd'hui, si le pétrole représente 80 ou 90% de l'énergie qui est produite, alors mon investissement doit aller naturellement à 80%. dans le pétrole. Donc, vouloir faire de la finance dite durable, c'est déjà vouloir faire un pas de côté par rapport à ça, ce qui est extrêmement difficile. Parce que, en fait, c'est faire un pas de côté par rapport à une économie qui est là, qui existe. C'est donc faire différemment de ce qui est de la matière première dont on dispose. Et ça, ça ne peut pas être fait par tout le monde. C'est forcément minoritaire. Parce que si ce n'était pas minoritaire, ça voudrait dire que le monde tel qu'il est aurait changé.
- Aurélie
Mais en même temps, de par le financement, c'est aussi un levier de transformation.
- Philippe
Exactement. Et donc, l'idée, c'est effectivement ça. C'est effectivement de faire en sorte que ce monde change et que donc, du coup, la masse d'investissement disponible se modifie, qu'il y ait de plus en plus de verts et de responsables dans l'économie elle-même. Et à ce moment-là, la finance deviendra verte de cette façon-là. C'est possible, c'est favorisé par des acteurs. qui foncent pas de côté ou qui foncent pas en avant, on va dire. Et donc, c'est pour ça que c'est important d'avoir des pionniers, des gens qui pensent différemment et qui mettent ces questions environnementales et sociales au cœur de leur démarche. Parce qu'elles donnent un signal au marché. Elles montrent qu'il y a un appétit et donc que l'économie peut aller dans cette direction-là. Et donc, il y a toujours cet espoir de faire basculer, en quelque sorte, les choses. et de faire basculer certains pans de l'économie. Ce qui arrive d'ailleurs sur certains sujets, c'est ce qui est en train de se passer sur l'énergie, notamment avec les énergies renouvelables, ce qui est en train de se passer sur les véhicules électriques. On voit bien qu'il y a des moments, peu à peu, les petits investissements un peu pionniers qui ont été réalisés il y a 10 ans, 15 ans, aujourd'hui sont en train de provoquer des bascules complètes de ces pans de l'industrie.
- Aurélie
Est-ce qu'aujourd'hui, faire de la finance durable, c'est rentable ?
- Philippe
justement ? Je ne sais pas si c'est la bonne question à se poser.
- Aurélie
Si ces investissements sont moins intéressants financièrement, les fonds sont moins... Les acteurs du marché sont moins incités à investir.
- Philippe
Oui, mais je trouve qu'un investissement, on sait qu'il est intéressant à la fin. On ne sait pas s'il est intéressant au début. C'est toujours... Quand on pose cette question-là, souvent...... y compris des gens qui ne connaissent pas bien le monde de la finance et qui viennent me demander quelquefois dans quoi il faut investir. Je n'en sais rien. J'ai quelques idées, quelques intuitions, comme beaucoup d'autres.
- Aurélie
Ça reste des paris, oui.
- Philippe
Mais je ne sais pas dire quelle est la performance du fonds Propos. Je le saurais à la fin. Comment ? Il y a 15 ans, je ne savais pas quelle serait la performance des fonds d'énergie renouvelable. J'avais une idée, j'avais un espoir, j'avais une estimation. Mais je ne sais pas ce qui va fonctionner demain. Je ne sais pas comment les marchés vont être disruptés par des nouveaux acteurs, etc. Donc l'investissement, ce n'est pas viser une performance. L'investissement, c'est faire des paris sur l'évolution du monde. C'est avoir une intuition sur comment l'économie va évoluer. Nous, notre intuition, c'est que la responsabilité environnementale, les réglementations, la pression sociale, la pression physique aussi, qu'on a avec la...... le fait qu'il y ait de moins en moins de matière, de moins en moins d'énergie, que tous ces éléments-là vont faire que l'économie va être de plus en plus verte. Et donc, on pense qu'investir dans cette économie-là, ça va être rentable. On ne peut pas me poser la question au démarrage de faire l'arbitrage entre la rentabilité et la performance. Ça dépend de la véracité de mon pari, en fait, dans l'avenir.
- Aurélie
Et alors du coup, comme la finance durable, ça a été lancé quand même il y a quelques années, si on fait le bilan des dix dernières années, est-ce que ces investissements qui ont été faits il y a dix ans dans la finance durable ont montré un retour sur investissement qui est positif, qui inciterait à accélérer justement l'investissement durable dans les prochaines années ?
- Philippe
En fait, il y a plusieurs façons de répondre. Il y a une première façon de répondre assez simple en ce qui concerne nous, ce qu'on a fait chez Mirova. On a démarré avec 3 milliards d'actifs il y a... Il y a 10 ans, aujourd'hui on en a 32, et donc on n'aurait pas fait cette croissance-là, on n'aurait pas eu cette confiance des investisseurs si on n'avait pas fait bien notre métier. Notre métier c'est d'investir, de faire des paris, d'avoir une vision, de comprendre les signaux faibles et comment l'économie évolue, et de placer intelligemment l'argent de nos clients. Et donc je pense qu'on a bien fait, sinon on n'aurait pas eu ce succès-là.
- Aurélie
Justement sur la création de Mirova, ça a été créé en janvier 2014 et c'est un spin-off de l'équipe Finance Durable de Natixis. Quel a été un peu l'argumentaire pour convaincre le groupe Natixis de créer Mirova il y a dix ans ?
- Philippe
Principalement mes beaux yeux en fait.
- Aurélie
Et la confiance que tu inspirais.
- Philippe
Non mais principalement c'est ça en fait. Je pense qu'il n'y avait pas de... un business case, on va dire. C'est vraiment très, j'allais dire, très orienté business comme décision au démarrage, mais pas orienté business dans le sens où Natixis s'est dit la finance durable va exploser, ça va être extraordinaire dans les années qui viennent, mais plutôt un business case sur, on a une équipe, on a un collaborateur, un de nos dirigeants en qui on fait confiance, qui nous propose une voie, qui nous propose une... Voilà, une initiative qui paraît intéressante, forte, on va la soutenir. C'était ça. Et ensuite, ça s'est construit dans le temps. J'allais dire, la principale difficulté, ça n'a pas été forcément le point de démarrage. La principale difficulté, c'est plutôt de démontrer au bout de 5 ans, 6 ans, que ça commence à vraiment apporter ses fruits. Ce qui a été long quand même, parce qu'on dépendait du marché. Nous, on avait une idée qui était qu'effectivement, il y allait avoir à un moment donné un point d'inflexion sur cette question de la finance durable. Sauf que ce point d'inflexion est arrivé en 2017-2018. Donc entre 2014 et 2018, il y a l'accord de Paris, tout ça, entre-temps en 2015. Mais enfin, il y a quand même du temps qui passe. Et donc, c'est cette période-là qui est la plus difficile finalement. Où il faut continuer à expliquer, convaincre et dire que le moment va venir.
- Aurélie
Et quels ont été les partis pris au lancement de Mirova ?
- Philippe
Faire les choses avec conviction forte. Parce que la finance durable, on n'a pas inventé la finance durable ou l'investissement responsable, puisqu'on appelait comme ça les choses investissement responsable à l'époque. On n'a pas inventé l'ISR et l'investissement responsable, mais la façon dont c'était fait jusqu'alors était avec beaucoup d'hésitation, j'allais dire, et de crainte et de peur, en fait, de faire mal. Et donc, en réalité, il y avait très peu de conviction dans ces gestions-là. On essayait toujours d'être pas très loin des autres et pas très loin du marché. pour éviter justement la crainte d'être sous-performant. Il y avait cette psychose en quelque sorte de la sous-performance. Donc nous, on a essayé de dépasser ça en disant, en fait, le sujet n'est pas là. Le sujet, c'est de créer une expertise, démontrer qu'on a des convictions et créer des équipes qui sont des experts qui vont nous permettre d'apporter vraiment de la valeur. Donc ça, c'est le premier point. C'était la conviction. Le deuxième point, le deuxième parti pris, c'était d'être... être très ouvert sur les différentes classes d'actifs, les différentes innovations financières disponibles. C'est de ne pas se restreindre sur les outils qu'on allait utiliser. Et ça aussi, c'était assez nouveau parce que l'innovation faisait peur. L'innovation était associée à complexité, subprime, etc. Et nous, on a voulu effectivement essayer de changer cette vision des choses en disant mais non, mais l'innovation n'est pas forcément mauvaise en soi. Il faut juste essayer d'utiliser l'innovation financière pour faire quelque chose de positif. Donc voilà, ce sont les deux partis pris principaux, je pense, qu'on avait au démarrage.
- Aurélie
J'ai lu aussi qu'il y a eu beaucoup de recherches qui ont été faites aussi. Pourquoi ce parti pris ?
- Philippe
Parce que là, encore une fois, c'est l'expertise qui compte. Ce n'est pas juste l'intention. L'intention éthique est importante. Mais si on n'y met pas de l'expertise et du savoir-faire derrière, elle ne produit pas de valeur. Et nous, on est là, encore une fois, pour faire bien notre métier. Et donc, ça veut dire qu'à partir du moment où on s'est dit qu'on va s'attaquer à ces questions comme le climat, puis ensuite la biodiversité. La diversité, l'égalité hommes-femmes, l'emploi. Et on s'est rendu compte très vite que pour bien aborder ces questions-là, on avait besoin d'une matière première qui était évidente, qui est la donnée. Et d'essayer de comprendre cette donnée, de la mesurer, et ensuite de faire aussi du reporting auprès des investisseurs pour leur expliquer ce qu'on avait fait. Et donc, une grosse partie de la recherche qu'on a faite a été autour de ça, autour de la fabrication de ces datas, et on continue aujourd'hui. à aller dans ce sens-là. Et donc là, ça passe effectivement par des recherches de types différents, de la recherche purement académique parce qu'il faut réfléchir aux questions vraiment de fond, de qu'est-ce que c'est qu'une empreinte carbone, comment on la mesure. Il y a des vraies questions, je dirais, académiques derrière tout ça. Puis ensuite, il y a les questions très pratiques, c'est comment on fabrique les bases de données, comment on les utilise. Et donc là, on a... On a aidé aussi à l'émergence d'acteurs dans ce domaine-là.
- Aurélie
Dans les autres éléments forts de Mirova, Mirova c'est aussi une entreprise à mission qui est labellisée Bicorp. Pourquoi est-ce que c'est important pour Mirova ?
- Philippe
C'est important d'être une société à mission. Plus exactement, on est une société à mission, quel que soit le label qu'on utilise, on se vit, on a été créé et on se... On se développe comme une société à mission.
- Aurélie
C'est l'ADN finalement de nouveau.
- Philippe
C'est un ADN très fort. C'est-à-dire qu'on fait ça avec un objectif qui est très clair et qui est extraordinairement partagé par les collaborateurs. On le teste régulièrement, on l'a retesté récemment. C'est vraiment étonnant, enfin presque. C'est des missionnaires ? Ce sont un peu des missionnaires, oui. C'est-à-dire que les collaborateurs sont très attachés à la mission. Ils se sentent en ligne avec la mission et ils pensent très majoritairement que ce qu'on fait correspond vraiment bien à notre mission. C'est très fort en fait. Et par ailleurs, une très très grande majorité des collaborateurs, plus de 80% des collaborateurs qu'on a embauchés ces dernières années, disent que le fait qu'on soit société à mission a été un élément important dans leur décision de rejoindre Mirova. Donc c'est vraiment très fort comme... Je dirais comme ciment. Après, l'utilisation des labels de la société à mission, droit français ou de Bicorp, ce sont des outils qui sont là pour communiquer, pour expliquer ce qu'on fait à l'extérieur, eux aussi en interne, qui sont des outils internes. La semaine prochaine, courant janvier, on lance ce qu'on appelle la Purpose Week, la semaine de la mission. Et donc, pendant une semaine, tous nos collaborateurs vont être confrontés. à des réflexions, à des débats, à des discussions autour de cette notion de mission. Donc oui, c'est clé.
- Aurélie
Quelles sont les natures de projets qui sont financés par Mirova et quelle est un peu la typologie des investisseurs aujourd'hui ?
- Philippe
Les investisseurs, c'est très large. Ça va de l'épargnant... français qui investit quelques centaines d'euros dans un fonds d'investissement, dans son assurance vie à travers son agence de la Caisse d'épargne, jusqu'au fonds souverain de Singapour. En gros, c'est extrêmement large, c'est vraiment très très large. Et donc, on doit aussi s'adapter en termes de discours et d'explications à ces différents types de clientèles. En termes de type de financement, là aussi, comme je l'ai dit au démarrage, comme on a vraiment ouvert notre perspective en disant qu'on voulait avoir des investissements sur différentes classes d'actifs, on est là aussi très diversifié en termes d'investissement. On va investir à la fois dans des grandes entreprises à travers les marchés boursiers.
- Aurélie
Donc les entreprises, ça peut être de l'environnement, mais aussi de la tech, de la santé. Et puis on va investir dans des entreprises non cotées à travers ce qu'on appelle private equity. Donc là où on investit dans des entreprises en croissance, tout à fait en démarrage, mais dans leur phase de développement. On investit beaucoup dans les infrastructures de l'énergie et de la transition énergétique, les renouvelables, la mobilité, l'hydrogène. tout ce qui tourne autour de la transition énergétique. On investit beaucoup dans la transformation du modèle agricole mondial, c'est-à-dire l'utilisation des terres, l'agroécologie. On investit dans les forêts. On travaille avec les entreprises sur ce qu'on appelle les crédits carbone pour leur permettre de réduire ou compenser leur impact carbone. Donc voilà. Donc c'est vraiment très large comme spectre.
- Philippe
Et du coup, qu'est-ce qui sert de boussole aux équipes ? Parce que comme c'est très large, on peut aussi se perdre et finalement investir dans des catégories d'actifs qui sont peut-être un peu border par rapport à l'ADN de Mirova. Qu'est-ce qui sert un peu de boussole à tes équipes ?
- Aurélie
Il y a forcément une border quelque part.
- Philippe
Oui, c'est évident, on en parlait juste avant.
- Aurélie
Il y a forcément des endroits où on est dans ce que j'appelle des dilemmes. C'est-à-dire que... C'est là où définir des cases, c'est difficile. Mettons qu'on ait une vision qui est de dire qu'il faut développer plus d'énergie renouvelable aujourd'hui. On va investir dans des parcs éoliens et des parcs solaires, mais on est bien évidemment obligé de se poser la question de la provenance des panneaux solaires, d'où ils viennent. Est-ce qu'il y a des problématiques éventuellement de droit de l'homme ou d'énergie dans les endroits où ces actifs sont ? produits. Puis on est obligé de se poser la question aussi des matériaux, des matières premières qui sont utilisées. Et donc, qu'est-ce qu'on fait avec l'industrie minière ? Est-ce qu'on investit aussi dans l'industrie minière ? Mais l'industrie minière est extrêmement controversée, avec des énormes problèmes environnementaux et sociaux. Donc, est-ce qu'on est cohérent si on est investisseur dans un parc éolien et qu'on refuse d'investir dans les sociétés minières ? Sur la tech, c'est la même chose. Est-ce que la tech est aujourd'hui une solution pour le climat ? Oui, bien sûr, il y a des dizaines, des centaines de use cases, comme on dit, c'est-à-dire de solutions possibles où l'IA, les satellites, les nouvelles technologies vont aider à une meilleure compréhension des problématiques climatiques, voire à trouver des solutions. Mais en même temps, on sait très bien que l'IA est une catastrophe en termes d'augmentation de la consommation énergétique, de la consommation d'eau. Donc comment est-ce qu'on fait pour gérer ça ? Est-ce qu'on investit ou est-ce qu'on n'investit pas ? et on n'investit pas et très souvent à l'intérieur d'une même entreprise il y a des parties qui sont très bien et puis des parties qui sont moins bien donc voilà, je crois qu'il faut comprendre la complexité dans laquelle on est, donc notre boussole c'est quoi ? C'est encore une fois de l'expertise, de l'analyse, de la réflexion et une histoire qu'on est capable de raconter, donc on a des gens on a une vingtaine de personnes qui font que ça, qui font que de l'analyse environnementale et sociale et puis le reste des équipes aussi, les gérants sont maintenant euh... complètement acculturé à ça. Et donc, on ne prétend pas que ce qu'on fait est pur et bien. Ce qu'on dit, c'est que notre métier d'investissement, on le fait avec cette vision qui est qu'on veut orienter l'économie dans la bonne direction.
- Philippe
Et alors, dans quelle mesure, aujourd'hui, les activités de Mirova ? catalyseur ou un accélérateur de la transformation du groupe Natixis ?
- Aurélie
Ce qui est sûr, c'est que la présence de Mirova dans le groupe est très appréciée, que c'est une grande fierté pour les dirigeants du groupe, mais les collaborateurs du groupe. Moi, c'était très souvent dans les caisses d'épargne et les banques populaires et les collaborateurs du groupe connaissent Mirova et sont fiers d'avoir une entreprise comme Mirova au sein du groupe. Et donc, Déjà, ça, je crois que c'est un élément important. Et puis, par ailleurs, le groupe, évidemment, a pris des initiatives ces dernières années. Mais ce serait très prétentieux de dire que ces initiatives sont dues à la présence de Mirova ou pas. Je n'en sais rien. Je pense qu'on est un des éléments qui poussent le groupe à accélérer dans cette direction.
- Philippe
Alors donc, Mirova comme accélérateur potentiellement de transformation du groupe Natixis, ce qui est certain, c'est que Mirova s'est aussi présenté comme étant un moteur du développement de l'industrie, de la finance durable en France et en Europe ces dix dernières années. Quels sont les challenges actuels de la finance durable ? Parce qu'ils sont nombreux, on est en janvier 2025, donc on démarre l'année. Donc quels sont un peu les grands challenges ?
- Aurélie
On en a déjà évoqué pas mal. Je crois qu'on est dans une phase maintenant depuis deux à trois ans de retournement complet de l'économie, mais de la société en fait. Or, la finance durable n'a jamais, a toujours bien fonctionné quand elle était en phase avec les mouvements de la société politique et sociaux. Donc, à tout moment, quand on fait l'historique de la finance durable, ces 150 dernières années, il y a des moments où la finance durable est vraiment en phase avec le mouvement sociétal. Je ne sais pas, moi, fin des années 90, il y a des problématiques, des années 80-90, problématiques de chômage de masse, de difficultés sociales, et donc les questions de l'emploi, du social sont clés. La finance durable commence à s'intéresser à ces sujets-là. Elle est en phase avec les besoins et les mouvements sociétaux, de la même façon que ça a été le cas autour de 2015 avec le climat. Là, depuis deux, trois ans, on voit un revirement quand même massif de la société, des politiques et donc des régulations. Et donc, c'est un moment difficile. C'est un véritable enjeu pour la finance durable de survie, j'allais dire. Regardez ce qui se passe effectivement aujourd'hui aux États-Unis, mais pas que, en Europe, aussi au Parlement européen. Donc il y a des reculs très très forts sur toutes les questions écologiques. Les questions climatiques, écologiques, voire sociales sont en train de baisser très très fortement dans la hiérarchie des enjeux qui sont ressentis par les politiques, mais aussi par le monde économique. Les grandes entreprises, beaucoup de grandes entreprises sont en train de revenir sur leurs engagements. sur les engagements net zéro, donc neutralité carbone. Ils sont en train de revenir dessus. Les engagements sur la baisse des plastiques sont en train de revenir là-dessus.
- Philippe
Tu le vois même en Europe, ce repli ?
- Aurélie
Bien sûr. Quand les entreprises se rebellent contre la réglementation européenne en disant que CSRD est un délire bureaucratique, par exemple, on voit bien qu'il y a quand même une tentation de revenir en arrière. de détricoter une partie de ce qui a été fait. Et donc, je crois que pour la finance durable, c'est vraiment une question de... C'est un enjeu de survie. En fonction de la façon dont on va réagir, je crois qu'il y a un risque, effectivement, de disparition. Ou de... Si ce n'est de disparition, en tout cas, de marginalisation extrême. Je plaide, moi, pour éviter cette marginalisation. C'est-à-dire... se confronter vraiment à ces questions, ne pas se barricader en quelque sorte. Si on se barricade et qu'on s'indigne en disant c'est une catastrophe, ce qui est en train de se passer, etc. Je crois que ça ne suffira pas. Il faut aller se battre sur le terrain de ceux qui nous critiquent aujourd'hui. Ce terrain-là, c'est le terrain économique, c'est le terrain de la performance financière, c'est le terrain de l'innovation. Et donc, si on arrive à démontrer, par exemple, qu'on arrive à financer et développer des nouveaux modèles d'IA qui sont moins énergivores et plus capables de répondre à des problèmes spécifiques et plus éthiques, là, on est sur le vrai terrain de bataille. Si on se barricade en disant c'est horrible tout ce qui est réseaux sociaux et les grands de la tech sont des grands méchants je pense qu'on va être marginalisés.
- Philippe
Dans ton livre sur la finance face aux limites planétaires, tu parles notamment du fait que finalement, prendre en compte les enjeux environnementaux, sociétaux, ça peut aussi être un avantage compétitif. D'ailleurs, tu prends quelques exemples dans le livre. Pourquoi aujourd'hui, on a des entreprises qui ne se disent pas que finalement, ma condition de survie, c'est quand même de me saisir de ces sujets. Et même si la réglementation, elle avance pas forcément très rapidement, je peux aussi. à long terme, en tirer un avantage compétitif sur le marché ?
- Aurélie
Elles le font. Certaines le font. Je crois que, encore une fois, dans le domaine de l'énergie aujourd'hui, par exemple, il y a beaucoup d'entreprises qui se sont délibérément positionnées de façon très claire sur les énergies renouvelables. Regarde ce qui se passe sur l'automobile. Celles qui ne l'ont pas fait se retrouvent en situation difficile. Celles qui n'ont pas fait le virage du véhicule électrique, notamment. Donc, je crois que... Je ne pense pas qu'il faille faire de procès d'intention aux entreprises sur cette question-là. Je crois que les entreprises n'ont qu'une envie, c'est de se développer. Et donc, elles regardent sur le long terme. Elles ont envie d'innover. Simplement, il faut bien voir aussi qu'elles sont confrontées à des dynamiques de court terme qui sont aussi très très fortes. Donc la dynamique politique, géopolitique aujourd'hui, est extrêmement puissante, extrêmement forte. Et la dynamique des problématiques énergétiques liées au conflit géopolitique, on l'a vu ces dernières années, a été extrêmement forte. Les dynamiques politiques aussi internes dans les pays développés, avec les montées des populismes, ont un impact aussi sur le monde économique et sur les entreprises. Donc les entreprises sont confrontées à ça, elles sont dans ce monde-là, elles ont des injonctions contradictoires, elles doivent suivre de la réglementation, une réglementation qui est de plus en plus différente selon les géographies, et donc quelquefois elles vont être amenées à faire des choix de géographie. Qu'à voir la déclaration, l'interview du Kerberg, qui est quand même assez édifiante. Il dit que les États-Unis, c'est l'endroit où la liberté va se développer. Les Européens font fausse route avec leurs réglementations. Ils vont disparaître. Et les autres, l'Amérique latine, etc., sont des escrocs. En gros, c'est ce qu'il dit, le patron d'une plus grande boîte de tech. il va y avoir aussi ces confrontations géopolitiques, géographiques. Et comme les entreprises sont de plus en plus mondiales, elles sont confrontées à ça, elles sont au milieu de cette bataille-là. Et donc, c'est difficile souvent pour elles d'avoir cette vision très long terme et en même temps ces problématiques court terme qui viennent se catapulter là-dessus.
- Philippe
Et du coup, dans ce contexte-là, comment la finance durable peut-elle se réinventer ?
- Aurélie
Oui, je crois qu'il faut qu'elle se confronte au réel. qu'elle continue à garder cette vision claire et forte de se dire on a un métier, on est des financiers, et donc on ne peut pas vivre dans un monde fantasmé. Un financier ne vit pas dans un monde fantasmé. Un romancier, il peut, c'est peut-être pour ça que j'écris des romans à côté. Un artiste, il peut peut-être. Un financier, il ne peut pas. Un financier, sa matière première, c'est le monde réel tel qu'il est. Donc, si ce monde a reculé, de certaine façon, on est obligé de faire un pas en arrière pour se remettre dans le monde et recommencer à agir. On n'a pas d'autre choix que ça. Sinon, on est dans l'idéal, dans le rêve, mais en fait, on n'a pas d'impact. Pour avoir un impact, il faut être collé à l'endroit où le monde se situe. Sinon, ça ne marche pas.
- Philippe
Est-ce que cette... Réinvention ou nouveau logiciel de la finance durable, c'est aussi un peu le sens de la création du centre de recherche de Mirova qui a été annoncé en fin d'année.
- Aurélie
Le sentiment qu'on a aujourd'hui, nous, c'est qu'effectivement, on est à nouveau dans un moment d'accélération très fort sur cette question de la data et des données. On l'avait eu déjà au début de Mirova, quand on s'est questionné sur les questions d'empreintes carbone, etc. On a été parmi les premiers à faire ça. C'était une première phase. Là, aujourd'hui, notamment avec l'avènement de l'IA, on est en train de rentrer dans une phase complètement différente. Et donc, se reconnecter au monde académique, re-réfléchir là-dessus, se dire qu'est-ce que ces nouvelles technologies peuvent nous apporter pour encore mieux comprendre les questions environnementales, sociales, comment les entreprises s'y adaptent, etc. C'est important. Donc, il faut remettre une pièce dans la machine, en quelque sorte. C'est réinvestir à nouveau dans la recherche. C'est fondamental.
- Philippe
Et toi, à titre plus personnel, de quoi est-ce que tu es le plus fier ces dix dernières années depuis la création de Mirova ?
- Aurélie
Plusieurs choses. D'abord, je me considère, même si effectivement, j'ai fait surtout de l'entrepreneuriat, mais je me considère comme un entrepreneur. J'aime bien créer, j'aime bien développer, construire. Et donc, ce qu'on a construit chez Mirova, je crois, est une source de fierté pour tout le monde. Les équipes, cette reconnaissance du marché, de notre écosystème, de nos clients, le fait d'avoir réussi à se projeter à l'international, de partir d'une petite équipe parisienne et d'avoir maintenant des équipes à Boston, à New York, à Nairobi, à Singapour, c'est quand même une grande fierté. Donc il y a cette réussite entrepreneuriale que beaucoup ont et qui, je crois, est un beau sentiment de fierté. Mais au-delà de ça, c'est ce que je disais tout à l'heure sur la mission, je crois que c'est aussi une grande source de fierté, et notamment l'adhésion des nouveaux collaborateurs et des jeunes à ces questions-là. Et je crois que ça, c'est aussi le fait qu'il y a des gens qui frappent à la porte de Mirova, qui viennent et qui disent c'est parce que vous avez cette vision-là, cette volonté de changer les choses que j'ai envie de travailler ici C'est aussi une grande source de fierté.
- Philippe
Et du coup, comme on est en janvier 2025, qu'est-ce qu'on peut te souhaiter ?
- Aurélie
Ce qu'on peut me souhaiter, c'est agir au bon niveau. J'essaie de développer cette idée de trouver l'échelle raisonnable. Ne pas rêver qu'on va imaginer qu'on va faire le grand soir et changer le monde, parce que ça peut devenir extrêmement frustrant et très douloureux. Et on le voit d'ailleurs beaucoup, parce qu'il y a des gens qui souffrent réellement. Et en même temps, ne pas capituler et agir de façon insuffisante. Donc, comment est-ce qu'on arrive à trouver le bon niveau qui fait aussi qu'on se sent serein ?
- Philippe
Si on souhaite suivre ton actualité, où est-ce qu'on te retrouve ?
- Aurélie
Sur les réseaux sociaux, exclusivement sur LinkedIn.
- Philippe
Où tu es très actif.
- Aurélie
Où je suis assez actif. Et puis, par ailleurs, je suis un contributeur régulier d'un certain nombre de... de magazines, je pense notamment aux magazines Bastille, les magazines Chute, que je recommande.
- Philippe
Merci beaucoup Philippe pour ton temps et pour avoir partagé aussi une vision réaliste de ce qu'on est en capacité de faire, des limites aussi potentiellement de l'action. Merci beaucoup pour ton accueil.
- Aurélie
Merci Aurélie.
- Philippe
C'est la fin de cet épisode, j'espère qu'il vous a plu. Pour m'aider à faire connaître le podcast, c'est très simple. Parlez-en autour de vous. Mettez une note 5 étoiles accompagnée d'un gentil commentaire et abonnez-vous. à mon compte pour être notifié des prochains épisodes. Si vous souhaitez en savoir plus sur le podcast, je vous donne rendez-vous sur mon site aurelie-gallet.com ou sur mon LinkedIn. Un grand merci à tous et rendez-vous la semaine prochaine pour un prochain épisode.