Speaker #0Brugle. Épisode 3. La tension monte chaque jour un peu plus. J'observe beaucoup Lucas. Maintenant qu'il est dans, entre guillemets, mon collimateur et que je dois bien observer, je fais attention aux moindres détails, je observe ses dessins, il fait souvent des formes géométriques, des chiffres, parfois des lettres ou des avions, alors que les autres sont passionnés par les Pokémon. Mais bon, ça je peux comprendre s'il n'aime pas les Pokémon. Moi, pour ma part, ça va pas très bien. Je commence à m'isoler de plus en plus. Je ne déjeune plus dans la salle des maîtres. Avant, c'était vraiment un rituel. On discutait, on rigolait ensemble. On faisait même parfois des jeux de société. Mais maintenant, j'ai envie de fuir chaque conversation. La présence des autres me pèse, comme si je devais leur mentir. Pareil pour les sorties avec les potes en Paris, le soir. Je sortais plus beaucoup, alors... Je me suis un peu forcée à sortir, tout le monde était content de me voir, moi aussi, mais en fait pas trop parce que je ne voulais pas qu'on me pose des questions sur ma vie. Et pour éviter ça, j'ai dansé, j'ai bu, j'ai dansé, j'ai bu, j'ai bu, j'ai bu. J'ai beaucoup trop bu et j'avais oublié ces lendemains de soirée qui étaient un peu difficiles. Je pensais que ça allait me libérer et je pensais que j'allais oublier toutes ces pensées. En fait, pas du tout, c'était encore plus présent. Je suis là, j'ai le visage flétri, les yeux gonflés dans une vie que... que je ne reconnais plus. Mes parents et mon frère commencent à me poser des questions. Et je vois bien dans leurs yeux qu'ils me trouvent changée. Mais je ne peux même pas leur expliquer. Et puis, il y a la sortie, comme chaque année, au salon nautique de Paris. C'est vraiment la sortie que j'attends, puisque là, je fais découvrir à mes élèves des vrais bateaux, il y a des voiles, il y a des nouvelles technologies. Et ben là, je n'avais même pas d'enthousiasme. Peut-être parce que j'avais un petit peu, je ne peux pas dire la pression, mais j'étais angoissée. Car pour cette sortie, il y avait une maman qui nous accompagnait, une mère d'élève qui m'accompagne tout le temps. D'ailleurs, je la remercie parce qu'elle a toujours été là pour moi quand j'en avais besoin. Et puis, il y a eu le père de Lucas, monsieur Parejki, qui s'est présenté comme William. Donc le père de Lucas s'appelle William Parejki. Autant vous dire que je l'appellerai monsieur Parejki, pas Parejki, Parejki. Bref. Tout ça pour vous dire que ma sortie, j'en ai pas profité en fait. Parce que j'ai passé tout le temps à observer discrètement le père de Lucas et son fils. Le père de Lucas, il a l'air très bienveillant, il est attentionné. Lucas, lui, il a le sourire aux lèvres, il paraît heureux, il est toujours près de son papa. L'ambiance, elle est bien, les enfants, ils sont calmes, non ? Peut-être pas, mais en tout cas, ils explorent les bateaux, mais... Mais moi, je n'arrive pas à détacher mes yeux de ce père. Il est là, partout. Et je n'arrive pas à m'empêcher de le scruter. Enfin, j'ai l'impression qu'il va penser que je suis amoureuse de lui, quoi. Pour pouvoir vous le décrire un peu, le père de Lucas, c'est un homme assez soigné. Il porte un pull bleu marine, simple, mais très élégant. Ses yeux sont constamment sur son fils, veillant à ce que... qu'il ne s'éloigne pas trop du groupe, tout en restant discret, mais il est présent. À chaque stand, il reste proche de nous, il pose des questions sur les bateaux, sur ce qui les intéresse, mais moi, je remarque d'autres choses. Par moments, il se tourne un peu trop vers les bords de la salle. Alors, soit c'est parce qu'il cherche les toilettes, soit c'est que je suis parano et que je l'imagine suivi. J'en sais rien, mais du coup, ça ne me rassure pas trop trop. Et quand on a pris le pique-nique dans le salon nautique, donc c'était la pause, il a échangé quelques mots avec un monsieur, mais vraiment c'était à peine perceptible. Et pour moi, c'était pas un échange amical, c'était plus furtif. Donc je sais pas, je sens qu'il est toujours attentif à ce qui se passe autour de nous, comme s'il s'attendait à quelque chose ou plutôt quelqu'un. Et pendant encore cette sortie, je crois même avoir vu une silhouette qui m'était familière. Un homme grand, visage que je reconnais derrière un stand, juste à la limite de ma vue. Évidemment, je n'avais pas mes lunettes, mais pour moi j'étais certaine d'avoir vu M. Riegel. Mais il est si loin et si discret, j'en suis pas sûre. C'est qu'une impression, pourtant je ressens un frisson, comme si quelque chose n'allait pas. Pourquoi est-il là, à cet endroit précis, et pourquoi n'a-t-il pas été vu de tous ? Je détourne rapidement le regard, essayant de ne pas trop y penser, en me disant que j'étais parano. Je continue d'observer le père de Lucas. Il parle peu, mais il regarde tout. Comme si chaque geste comptait. Il semble chercher quelque chose, parfois quelqu'un. Il s'éloigne un peu, il se perd dans la foule, mais toujours en gardant une attention discrète sur son fils. Rien de suspect, mais tout dans son comportement m'indique qu'il a des préoccupations bien plus grandes que ce que nous faisons ici. C'est un père, oui, mais aussi quelqu'un qui vit avec une constante vigilance. Le lendemain... Je ne peux plus ignorer les dessins. Ceux de Lucas sont devenus de plus en plus étranges, détaillés, des formules chimiques, des structures moléculaires. Ce n'est plus du tout de l'art enfantin. C'est comme si, à travers ses mains innocentes, il déchiffrait un secret qu'il ne comprenait même pas. Je pense qu'il est temps d'agir. Je convoque le père de Lucas. William. J'écris donc un mot dans le carnet de correspondance de Lucas en expliquant au père que je faisais un bilan sur les évaluations de rentrée. Et que j'aimerais bien le rencontrer, je ne sais pas, un mardi matin à 8h. Donc le père arrive le jour et à l'heure convenu. Mais ce rendez-vous, je ne le fais pas dans ma classe. Je fais dans la classe de ma collègue d'à côté, qui n'est jamais là avant 8h puisqu'elle doit déposer ses enfants. Donc c'est impossible qu'elle soit là avant. Et je ferme bien la classe parce que j'avais peur que dans la mienne, il y ait des micros ou des trucs, je ne sais pas. Je me suis imaginé un scénario. J'en ai vu des films, mais du coup je me suis dit que ce serait bête d'avoir des micros et d'avoir un mouchard sur ton portable. Bref, parano, bonsoir. Le père de William est là. Lorsqu'il entre, je le vois se figer un instant en se questionnant. Pourquoi n'est-ce pas la classe de mon fils ? Mais bon, il me reconnaît, donc il vient s'asseoir. Je prends une grande respiration, je le regarde, je pose les dessins de son fils sur la table. Et j'attends une réaction de sa part. Ses yeux se posent sur ses feuilles, mais ça n'a pas l'air de l'inquiéter. J'ai besoin de vous parler de votre fils. Il dessine des choses qui me préoccupent. Ce ne sont pas des dessins d'enfants. Il y a des codes, des formules. Je dois comprendre. Le père de Lucas reste impassible. Il me regarde, il regarde les dessins, rien d'autre. Votre fils, ces dessins ne sont pas des simples gribouillages, vous le voyez, ce sont des codes, des formules chimiques, des symboles. Qu'est-ce que cela signifie ? Le père de Lucas se redresse, visiblement en train de contrôler tout ce qu'il pensait. Euh. lucas ne comprend pas ce qu'il fait et il ne sait même pas ce que cela veut dire c'est moi qui lui ai demandé de dessiner ça mais il ne sait pas lucas ne sait rien et vous vous savez pourquoi ces dessins pourquoi ce codage il ferme les yeux comme s'il hésitait à me répondre puis enfin il parle sa voix tremblante mais déterminée ce que vous voyez là ce ne sont pas des dessins d'enfants ce sont des codes et ce que le lucas porte en lui ce sont des informations des Et là, moi, je ne comprends pas pourquoi le père me dit tout ça, même si je l'ai bien cherché. Et je me sens envahie par un flot de questions. Mais quelles sont ces informations ? Et pourquoi m'impliquer dans tout ça ? Et pourquoi moi ? Pourquoi ? Le père de Lucas prend une grande respiration et il se lève brusquement, visiblement agité. Parce que je suis désespéré. Si quelqu'un d'autre apprend ce qu'il porte, il se retrouve entre de mauvaises mains, tout sera détruit. Je dois le protéger, je dois le garder en sécurité. Moi, je reste sans voix, l'incompréhension totale m'envahissant. Tout ce que je vois, tout ce que je ressens me semble d'une absurdité sans fin. Mais pourquoi fuir les autorités ? Pourquoi ne pas faire confiance aux forces compétentes ? Le père ferme les yeux comme s'il hésitait à me répondre. Parce qu'ils veulent le gars. Ils veulent ce qu'il porte. Et si je les laisse faire, je ne reverrai jamais mon fils. Ils sont partout. Si je vous demande de l'aider, c'est parce que vous êtes la seule à pouvoir nous protéger. Je le fixe. Mes pensées se bousculent. Mon cœur se serre. L'angoisse et la peur m'envahissent. Il y a trop de dangers et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que je dois aider ce père et surtout, protéger cet enfant. Je vais faire ce que je peux, mais je ne sais pas dans quoi je m'embarque. L'atmosphère à l'école devient de plus en plus pesante, même dans ma vie personnelle. Chaque jour qui passe me rapproche un peu plus de la vérité. Mais en même temps, je me sens de plus en plus tiraillée par mes mensonges et mes doutes. Monsieur Riegel m'a demandé une nouvelle fois de lui faire un point sur Lucas. Je n'ai pas envie de mentir. Je ne sais pas mentir. Comment vais-je faire ? Je suis dans ma classe et j'entends les pas de Monsieur Riguel arriver. Bonjour, mademoiselle. Alors, comment se porte le petit Lucas ? Déjà, il y a deux choses qui m'énervent. La première, c'est qu'il m'appelle mademoiselle. Soit tu m'appelles Marine, soit tu m'appelles Madame, mais pas mademoiselle. Enfin bon, ça c'est un autre débat. La deuxième chose qui va m'énerver, c'est que je vais devoir lui mentir. Qu'est-ce que je vais pouvoir lui raconter ? Oh, Lucas, oui, il va bien. Il est très inspiré par les baleines en ce moment. Il passe des heures à dessiner des océans, des bateaux. Et bien sûr, vous l'aurez adouviné, des baleines. Oui. Vous savez, c'est peut-être grâce ou à cause du Vendée Globe. On ne sait jamais. Il est fasciné par la mer. Je laisse mes paroles se poser dans l'air, attendant sa réaction. M. Riquel ne dit rien tout de suite. Il prend simplement un petit carnet de notes et commence à y inscrire quelque chose. Son silence me stresse encore plus. Des balèdes, tiens donc, c'est intéressant ! dit-il lentement comme s'il réfléchissait à chaque mot. Cela pourrait être simplement une fascination enfantine pour la nature. Mais est-ce que vous remarquez d'autres choses ? Des signes qui sortent de l'ordinaire ? Je me sens prise au piège. Il veut en savoir plus. Il cherche une faille. Je dois rester calme. Eh bien... Il a aussi des automatismes assez impressionnants en mathématiques. Il résout des problèmes complexes sans difficultés. C'est... C'est comme s'il avait une sorte de logique innée pour ça. Monsieur Régal lève le sourcil, ses yeux se durcissent légèrement. Automatisme, vous dites ? Vous êtes certaine ? Il semble vraiment avoir un talent particulier pour ça ? Je hoche la tête, me sentant de plus en plus nerveuse. Oui, tout à fait. Par exemple, il résout des opérations avec une rapidité surprenante, presque sans réfléchir. C'est un peu comme s'il avait une mémoire numérique incroyable. Il a même montré ses calculs qu'il a fait tout seul. Je pense qu'il pourrait devenir un excellent mathématicien s'il continue sur cette voie. Je suis fière de la façon dont j'ai répondu. Mais une petite voix dans ma tête me dit que je me lance trop loin dans le mensonge. Il y a un moment, Marine, un mensonge c'est bien, un gros, vas-y mollo quand même. Monsieur Riegel ne semble pas convaincu. Mais il ne me laisse pas le temps de souffler. Intéressant, il y a encore quelque chose dans son carnet. Mais... Des dessins ? Il a fait des dessins ? D'autres que des baleines ? Est-ce que par hasard, il y a des symboles ou quelque chose ? Je voudrais savoir. Je me crispe. Je fais de mon mieux pour ne pas le montrer. Des codes ? Des symboles ? Non, je ne pense pas. C'est juste de l'imagination, de la créativité. Après, vous savez, avec les Pokémon, il y a des énergies. Ils font peut-être des formes d'énergie. Ce sont des dessins d'enfants, quoi. Rien de plus. Il aime dessiner. Ce qu'il voit autour de lui, le Vendée Globe, ça l'a inspiré, c'est tout. Je sens que M. Reguel me teste, mais il reste calme. Il me fixe encore un moment, puis il reprend. Vous dites qu'il est passionné par les bateaux. Peut-être avez-vous remarqué quelque chose d'autre dans ses dessins ? Des détails qui pourraient ne pas être immédiatement évidents pour un adulte ? Non. Bah non, pas du tout, ce sont juste des dessins d'enfants, comme je vous le dis. Euh, voilà, je suis convaincue de ce que je dis, mais j'ai l'impression que ma voix trahit mes pensées. Monsieur Riegel me scrute un instant comme s'il cherchait une faille dans mon récit, puis finalement, il hoche la tête, presque comme s'il avait reçu la réponse qu'il attendait. Très bien, mademoiselle, merci pour ces précisions. Je suis sûre que vous avez raison. Vous pouvez être tranquille. Nous allons prendre soin de Lucas. Mais alors qu'il tourne, le talon pour partir, je vois un léger sourire furtif sur ses lèvres. Est-ce de la satisfaction ? Est-ce une menace ? Est-ce qu'il sait quelque chose ? La suite, au prochain épisode.