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Échange Climatique

L'Histoire du nucléaire français. Avec Franck Carré

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53min |11/04/2024
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L'Histoire du nucléaire français. Avec Franck Carré

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Description

En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité est produite en grande majorité par des centrales nucléaires. En regardant autour de nous, on se rend vite compte que c’est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son approvisionnement en énergie. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd’hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas-carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme lieu de tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui était à l’époque le réacteur le plus puissant d’Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, un ingénieur ayant travaillé pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L’histoire du nucléaire français, c’est le thème de ce nouvel épisode d’Échange Climatique



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Contact: echangesclimatiques@gmail.com

Production: https://onetwo-onetwo.com/


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Transcription

  • En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité provient en grande partie de centrales nucléaires. Mais en regardant autour de nous, on se rend compte que c'est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son mix énergétique. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd'hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme le tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui fut alors le réacteur le plus puissant d'Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, ingénieur pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L'histoire du nucléaire français, c'est le thème de ce nouvel épisode d'Échange Climatique. Bonjour Franck Carré. Bonjour Florian. Même si notre interview va se concentrer sur le côté français de l'histoire, on va commencer par un petit détour par les Etats-Unis. puisque c'est là-bas qu'a été construit le premier réacteur nucléaire pendant la guerre en 1942. Oui, effectivement. La divergence de la pile de Chicago, le 2 décembre 1942, a vraiment été l'événement fondateur de l'énergie nucléaire civile et militaire. Ça a vraiment été une preuve de principe et ça a été rendu possible en fait par une progression phénoménale des connaissances sur la structure de la matière qui a été acquise au cours de la première moitié du XXe siècle. Et jusqu'à la fin du XIXe siècle, c'est très surprenant, la vision de la matière était encore celle de Démocrite, quatre siècles avant Jésus-Christ, qui était celle d'une matière faite d'atomes, qui était la plus petite partie sécable d'un corps simple. Et en fait il a fallu la découverte de rayonnements émis par la matière pour que les scientifiques s'intéressent en fait à la matière et s'intéressent aussi à la structure des atomes qui constituaient cette matière. Alors ça a commencé par la découverte des rayons X avec Röntgen, puis la découverte des électrons avec Thomson et la découverte de la radioactivité avec Becquerel. Donc les deux premiers travaillaient sur des tubes de Crookes et s'intéressaient aux rayons cathodiques, tandis que Becquerel s'intéressait aux études sur la fluorescence avec des sels d'uranium. Et il avait constaté que ces sels d'uranium pouvaient impressionner des plaques photographiques dans l'obscurité. Et une connexion a été faite entre ces différentes recherches. A la fois, Thomson a permis d'interpréter les rayons du professeur Becquerel comme des rayons cathodiques. Et je crois que c'est Henri Poincaré qui a finalement identifié aussi ces rayons uraniques comme des rayons X. Röntgen a été le premier prix Nobel de physique en 1901. Ensuite, Becquerel a partagé avec Pierre-Himarie Curie, qui l'avait aidé dans ses recherches, le prix Nobel de physique en 1903. Et Thomson a eu le prix Nobel de physique en 1906 pour sa découverte des électrons. Mais encore à cette époque, la vision de la matière était extrêmement primitive, puisqu'en fait, Thomson lui-même voyait la matière comme un pudding aux prunes, plum pudding, avec des atomes qui étaient les prunes, qui étaient donc des sphères chargées positivement, qui contenaient des nuages d'électrons que l'on pouvait extraire. Donc électrons négatifs pour avoir une matière électriquement neutre. C'est vraiment Rutherford qui a montré qu'en fait l'atome avait été constitué d'un noyau de charge positive de dimension extrêmement petite. Et il a en fait fait ce constat en faisant une expérience qui consistait à projeter des particules alpha sur une feuille d'or extrêmement mince. Et il a constaté que la majorité des particules alpha n'étaient pas déviées, donc traversaient la feuille d'or. Et il a étudié la trajectoire des particules. qui a été déviée, ce qui lui a permis d'identifier les particules alpha au noyau d'hélium. pour cette découverte du noyau atomique chargé positivement. Et donc cette identification des particules alpha, il a eu le prix Nobel de chimie en 1908. Ensuite, Marie Curie a eu le prix Nobel de chimie en 1911 pour sa découverte et la séparation du polonium et du radium. Et c'est ensuite Niels Bohr qui, en 1913, a élaboré le premier modèle théorique d'atomes qui est encore aujourd'hui la base de l'effet. physique quantique, et qui s'est trouvé en pleine cohérence avec la table de Mendeleïev qui avait été élaborée vers 1870. Et donc Niels Bohr a eu le prix Nobel de physique en 1922. Ensuite, c'est l'anglais James Shedwick qui a découvert le neutron. En fait, il avait fait une expérience avec, sans le savoir, une source de neutrons qui était faite de polonium et de beryllium, et qu'il avait placé devant un bloc de paraffine, et il avait détecté des protons de l'autre côté. du bloc de paraffine, et il se demandait quelles particules, finalement, entraient dans le bloc de paraffine, et voyant qu'elles n'étaient pas sensibles aux champs magnétiques, il en a déduit qu'elles étaient neutres, du point de vue électrique, et il les a appelées neutrons. Il a eu le prix Nobel de physique en 1935 pour cette découverte. À partir de ce moment, les recherches ont aussi inclus, on va dire, des études de réaction nucléaire qui pouvaient être faites avec ces particules qui avaient été découvertes, particules alpha et neutrons. Et en particulier, Frédéric Joliot et Irène Curie ont eu le prix Nobel de chimie en 1935 pour leurs expériences de création d'éléments artificiels, radioactifs artificiels, en faisant réagir des particules alpha. du bord du magnésium et de l'aluminium. Dans la même veine, Enrico Fermi a eu le prix Nobel de physique en 1938 pour ses recherches sur les réactions nucléaires induites par les neutrons. La découverte de la fission a été faite à la fois par Otto Hahn et Lise Meitner. Otto Hahn, qui est le père de la chimie nucléaire en Allemagne, expérimentait des échantillons d'uranium sous flux de neutrons et il a détecté... du barium dans son échantillon. Et il a consulté sa collègue Lise Meitner, qui vraiment a été celle qui a compris le phénomène et a vraiment développé la théorie de la fission, avec une prédiction assez précise, en fait, de l'énergie dégagée par fission. Et donc, très malheureusement, j'allais dire, Sol Otohan, avec son assistant Fritz Strassmann, ont été distingués par le prix Nobel. Alors, à partir de De la découverte de la fission, dont on présumait qu'en plus de la génération de deux noyaux, elle pouvait également libérer des neutrons, vraiment la présomption de la possibilité d'une réaction en chaîne est apparue très concrète. Au point que certains physiciens, comme Frédéric Joliot, se sont appréciés de déposer des brevets secrets à proximité de la guerre pour expliquer, voire présenter, breveter les applications possibles de... de cette réaction en chaîne, et donc en mai 1939, Frédéric Joliot a déposé trois brevets. Deux concernant l'application de réactions en chaîne pour des systèmes de production d'énergie, et un concernant les applications de réactions en chaîne pour le renforcement des dispositifs explosifs. Donc on peut dire que dès 1940, l'ensemble du corpus scientifique existait pour pouvoir concevoir la pile de Fermi, mais je crois qu'il a vraiment fallu à la fois... Le talent de théoricien, le talent d'expérimentateur et d'ingénieur de Fermi et de ses collègues pour pouvoir concevoir, réaliser et faire fonctionner la pile de Chicago et la faire démarrer le 2 décembre 1942. Pourquoi on appelle ça une pile de ce qu'aujourd'hui on appelle des réacteurs nucléaires ? Parce que le premier réacteur qui a divergé dans le gymnase de l'université de Chicago, était en fait un empilement de graphite, d'uranium naturel métal et d'uranium oxyde. Donc en disant ça comme ça, ça laisse penser qu'il suffisait d'empiler des matériaux pour pouvoir créer les conditions pour déclencher une réaction en chaîne. Et en fait Fermi a vraiment expérimenté beaucoup de géométrie, beaucoup d'empilement et a vraiment développé une compréhension de la physique des réacteurs, donc en particulier en évaluant la façon dont les réacteurs se déclenchent. dont les neutrons pouvaient être réfléchis par le graphite et les configurations géométriques également de l'uranium pour pouvoir, avec les matériaux disponibles de l'époque, et en matière d'uranium c'était de l'uranium naturel, pouvoir vraiment créer un réacteur qui puisse entretenir une réaction en chaîne. Alors bon, qui a fonctionné à une puissance, je veux dire, ridicule. Je crois que c'était 0,5 W au début et au maximum ça a fonctionné à 200 W. Bon, évidemment il n'y avait pas de dispositif de refroidissement pour ce premier réacteur.

  • Florian

    Et il s'inscrit dans le programme Manhattan, ce réacteur, ce programme lancé par les États-Unis, alerté par notamment Einstein sur la possibilité que les Allemands en guerre préparent une bombe nucléaire. Quel était l'objectif du coup de ce réacteur ?

  • Franck Carré

    L'objectif de la pile de Chicago, c'était vraiment déjà de démontrer le principe d'une réaction en chaîne. A partir de ce moment-là, le programme Manhattan a investi dans des recherches sur la bombe sous d'autres directions, donc le rhénium enrichi, mais également la production de plutonium. Et donc le programme a suivi deux voies, mais le programme de la pile de Chicago a vraiment été à l'origine de la voie qui a conduit au réacteur modéré au graphite pour la production de plutonium. Donc la première réalisation à vocation plutonigène a été le réacteur X-10 près du laboratoire d'Oakridge. Et ensuite les descendants ont été les réacteurs sur le site de Hanford, donc les réacteurs... B, D et F qui ont été pour le premier, je crois, refroidis à l'air et ensuite refroidis à l'eau pour la production de plutonium. Et c'était des réacteurs qui déjà avaient une puissance de 250 mégawatts.

  • Florian

    En 1945, quelques années après la pile de Fermi et à la fin de la guerre, le président de l'époque, le général de Gaulle, crée le commissariat de l'énergie atomique, donc le CEA. Pour quoi faire ?

  • Franck Carré

    Effectivement, le général de Gaulle a créé le commissariat à l'énergie atomique sur la proposition de Raoul Dautry, qui avait été ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, et qui pensait que la création d'un tel établissement pourrait bénéficier à la reconstruction ainsi qu'au développement de l'armement. Et donc le général de Gaulle, par décret du 18 octobre 1945, a créé cet établissement en lui donnant une vocation d'études scientifiques et techniques pour l'utilisation de l'énergie nucléaire dans les domaines de l'industrie, de la science et de l'armement.

  • Florian

    Vous avez parlé de la pile Zoé, c'est une pile qui diverge, c'est-à-dire qu'elle démarre, pour parler dans le langage un peu plus courant, en 1948. C'est un peu notre Chicago Pile 1 à nous.

  • Franck Carré

    Oui, tout à fait. C'est la première démonstration de la possibilité d'entretien d'une réaction en chaîne sur le sol français, avec toutes les applications qu'elle permet.

  • Florian

    Donc, c'était un réacteur de quelle filière ? Et c'était un réacteur d'expérience qui avait les mêmes buts que la Chicago Pile dont vous avez parlé tout à l'heure ?

  • Franck Carré

    Donc, Zoé, comme le nom l'indique, c'était une pile à puissance zéro qui utilisait du combustible oxyde, donc uranium oxyde, et qui utilisait de l'eau lourde. Et donc on peut la voir comme, j'allais dire, vraiment le premier modèle très précurseur d'une filière à eau lourde refroidie à gaz, qui a pu conduire ensuite au réacteur EL2, puis au réacteur EL3, qui lui utilisait l'eau lourde à la fois comme refroidisseur et comme modérateur.

  • Florian

    Vous en avez brièvement parlé, EL3 diverge en 1957, nous nous trouvons actuellement sur le cœur de EL3, est-ce que vous avez quelques informations complémentaires à raconter sur ce réacteur en particulier ?

  • Franck Carré

    Sur ce réacteur, bon d'abord c'est un réacteur à haut-load, je crois qu'il utilisait l'eau lourde aussi comme caloporteur. Il a fonctionné jusqu'à une puissance de 18 MW, donc c'était une très forte puissance. Il a été beaucoup utilisé pour étudier, en plus de la physique du cœur. le comportement des matériaux, le comportement de combustible, ainsi que pour la production de radio-éléments et peut-être un peu pour la production de plutonium.

  • Florian

    Malgré ça, la filière à Oulourde va être abandonnée en France. Et en 1956, c'est le lancement d'une nouvelle filière, Uranium Naturel Gas Graphite, notamment avec la pile G1 qui diverge à Marcoule. Est-ce que vous pouvez nous raconter... En quoi consiste cette nouvelle filière et à quoi servait cette pile G1 ?

  • Franck Carré

    Donc en fait la pile G1 et les deux piles qui ont suivi sur le centre de Marcoux, le G2 et le G3, avaient pour vocation de produire du plutonium. Donc à partir d'uranium naturel et donc d'utilisation du graphite comme modérateur. Et donc c'était vraiment des réacteurs militaires destinés à la production de plutonium. Production de plutonium dont l'extraction a aussi été permise, c'est-à-dire la création d'un atelier pilote de Marcoux, puis la première usine de traitement des combustibles usés. Et ce qui est intéressant, c'est que la puissance de ces réacteurs, d'une certaine façon, appelait à la production d'énergie. Et que c'est EDF qui a proposé au CEA d'équiper ces réacteurs de turbines, de façon à pouvoir profiter de la puissance pour produire de l'électricité. Et en particulier, G2 et G3 ont produit jusqu'à une quarantaine de mégawatts. Donc c'était vraiment les premiers pas précurseurs de la filière uranium naturel graphite gaz. Donc, utilisant des uraniums naturels, utilisant le graphite comme modérateur et utilisant le gaz carbonique comme caloporteur.

  • Florian

    Et peu après, en 1963, EDF va construire ses premiers réacteurs nucléaires en France, qui seront donc de cette filière UNGG.

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, l'expérience acquise sur les réacteurs chinois des G3 a permis de développer d'abord les trois réacteurs de Chinon, qui ont eu une puissance qui s'est étagée d'une quarantaine de mégawatts jusqu'à presque 500 mégawatts, suivi par la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux avec deux réacteurs. de l'ordre de 500 MW, et puis un réacteur sur le site de budget, également de 500 MW. Donc ça fait six réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz.

  • Florian

    Donc le constat à l'époque, c'était qu'il n'y avait pas beaucoup de sources d'énergie en France, et que pour des questions de souveraineté énergétique, la France a voulu pousser cette technologie. Mais on va dire que c'était le cas quand même de beaucoup de pays. Autour, en Europe, il y a peu de pays qui ont des champs pétroliers. Pourquoi la France en particulier a lancé cette initiative, alors que je crois qu'en tout, il n'y a que six pays qui se sont lancés indépendamment des autres sur des filières de réacteurs nucléaires ? Qu'est-ce qui a fait qu'en France, on a pris cette voie ? Est-ce que c'était une volonté politique ? Est-ce que ça s'est un peu entremêlé avec le fait qu'on voulait la dissuasion après la guerre et donc de bout en bout, on est arrivé à produire l'électricité ? Comment ça s'est passé ?

  • Franck Carré

    Donc je crois qu'à la fin des années 60, il y avait une véritable préoccupation de sécurité énergétique déjà à l'époque. A l'époque, on produisait 80% de l'électricité par du pétrole et par du gaz qui étaient importés. Et donc que l'idée d'utiliser l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité est vraiment... est vraiment issue du souci de faire progresser la sécurité énergétique. Alors ensuite, le nucléaire en France, je crois, il y a peut-être cinq raisons qui ont conduit à ce qu'il se développe peut-être de façon plus importante que dans d'autres pays. Je pense que la participation de physiciens et de chimistes français, donc au développement des prémices qui ont pu conduire à l'énergie nucléaire, est un aspect. Je pense que les développements du haut, à la fois pour les applications militaires et pour le civil, ont pu constituer également un aspect favorable pour un investissement plus avancé dans cette filière. Ensuite, je pense que la gouvernance assez centralisée de la France permettait... le déploiement de certaines séries de réacteurs. Et bon, ça a été clairement le cas ultérieurement pour le déploiement du parc électronucléaire français, donc de réacteurs à eau, avec le plan Miesmer.

  • Florian

    Est-ce que vous pouvez en parler un peu plus sur ce point ? Pourquoi il faut que ce soit centralisé pour avoir des réacteurs nucléaires ?

  • Franck Carré

    Je crois que le caractère centralisé s'est révélé assez important déjà pour ce qui était de la décision de lancer ce plan. Et donc parce que d'une certaine façon il fallait pouvoir réunir à la fois les connaissances techniques acquises sur la filière, intégrer aussi la dimension militaire et pouvoir, ce que permettait à l'époque, décider des développements. industriel très important qui était bon pour la nation. Par ailleurs, ensuite le développement d'un programme électronucléaire nécessite une coordination extrêmement importante, à la fois pour déjà la réalisation des réacteurs eux-mêmes, et j'allais dire l'organisation de tout ce qui est le cycle du combustible. Et je crois que le mode d'organisation qui existait à l'époque, donc dans les années 70 pour le déploiement du parc électronucléaire, a vraiment été quelque chose de très important pour la réussite. du déploiement de ce parc. Si je peux ajouter deux autres aspects, je crois que le succès des industriels français aussi est à noter, en particulier pour ce qui concerne le parc électronucléaire. La filière avait été acquise par une licence américaine, donc de Wessinghaus. Et donc l'industriel français, concepteur et constructeur de chaudières, a dû travailler avec les connaissances apportées par Westinghouse dans un premier temps, et a dû d'une certaine façon, progressivement, se libérer de ses compétences. De même, EDF, je crois, a eu un rôle qui était très précieux, à la fois en tant qu'architecte ensemblier dans la conception des centrales, ainsi que dans l'exploitation des centrales. Donc je crois que... Le succès de l'industrie française a contribué bien sûr au succès du... Et si je peux terminer, mais en restant modeste, je pense que l'accompagnement en recherche avec des organismes comme le CEA, mais pas seulement. qui a soutenu en fait l'industrie nucléaire, y compris j'allais dire quand l'industrie nucléaire s'est affranchie de la licence américaine et où il a fallu développer des méthodes de calcul françaises pour pouvoir exploiter les réacteurs, en concevoir de nouveau, où il a fallu comprendre le comportement des matériaux, des combustibles, donc il a fallu développer en fait toutes ces disciplines au CEA.

  • Florian

    Oui,

  • Franck Carré

    notamment... que du combustible.

  • Florian

    Et puis il y a aussi une école du nucléaire qui a été créée assez rapidement, l'INSTN, qui d'ailleurs est juste à côté d'ici, qui a dû favoriser cet essor. Donc finalement, ces trois centrales UNGG dont on vient de parler seront les premières et les dernières, puisqu'à la fin des années 60, vous l'avez brièvement évoqué, mais la France fait le choix d'importer une licence de réacteur américain, c'est la technologie donc Wensinghaus. Et c'est encore une autre filière. Cette fois, c'est la filière des réacteurs à eau pressurisée. C'est un choix qui peut paraître de l'extérieur un peu à rebours des vérités de l'époque de gagner en souveraineté. Pourquoi ? Quels critères ont motivé la France à finalement quitter une filière qui était un peu maison pour une filière américaine ?

  • Franck Carré

    La filière des réacteurs à eau avait été expérimentée aux Etats-Unis. D'ailleurs, elle avait été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Donc en profitant de sa relative simplicité, du fait qu'à la fois le caloporteur, le refroidisseur est aussi le modérateur, et que ce modérateur est très efficace et donc permettait de réduire la taille du cœur et la taille du réacteur.

  • Florian

    Parce que les piles G1, G2, G3, on n'en a pas parlé, mais le graphite prend énormément de place et ils sont énormes.

  • Franck Carré

    Oui, parce que l'effet ralentisseur d'un neutron du graphite nécessite beaucoup plus de chocs et que le neutron parcourt des distances beaucoup plus importantes. Alors que pour l'eau, l'eau légère... Mais pour pouvoir utiliser de l'eau légère plutôt que de l'eau lourde, il fallait maîtriser l'enrichissement de l'uranium. Et donc, en fait, la filière des réacteurs à eau sous pression a été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Et donc, les... La perspective d'utilisation pour la production d'énergie civile avait déjà donné lieu à des expérimentations dans le réacteur de Shippingport, réacteur expérimental aux Etats-Unis, et à la réalisation d'une première centrale, Yankee Row, qui a démarré en 1960, et qui finalement a été la jumelle d'une première centrale construite en Europe, la centrale de Shaw A, dans les Ardennes. Donc Yankee Row avait fonctionné de façon satisfaisante depuis 1960. Depuis les années 1960, on avait d'une certaine façon montré de bonnes performances, à la fois techniques, voire peut-être déjà économiques. Et donc c'était déjà un atout pour pouvoir décider finalement de choisir la filière des réacteurs à eau pressurisée pour construire le parc français. Un autre argument a certainement été aussi la dualité qu'il pouvait y avoir entre cette technologie des réacteurs à eau et la technologie des réacteurs qui pouvaient. équiper les sous-marins nucléaires qui étaient une composante de la dissuasion nucléaire.

  • Florian

    Et donc avec le recul aujourd'hui, à force de constater que c'était quand même une... Bonne décision.

  • Franck Carré

    Avec le recul, oui, puisqu'en fait, sur les 400 et quelques réacteurs dans le monde qui fonctionnent, il y en a 70% qui sont des réacteurs à eau sous pression, plus une vingtaine de pourcents qui sont des réacteurs à eau bouillante. Donc c'est vraiment la filière qui, à quelques exceptions près, comme la filière des réacteurs à eau lourde canadien ou la filière RBMK dans le monde soviétique, ou quelques filières à eau lourde développées par les Indiens, Vraiment c'est répandu et constitue vraiment la très grande majorité des réacteurs de puissance qui fonctionnent aujourd'hui dans le monde. Et ça fonctionne tellement bien d'ailleurs que la nouvelle génération de réacteurs, ceux qui sont sur le marché actuellement, conservent cette technologie en optimisant l'ingénierie, en tirant parti des leçons qui ont pu être tirées, des difficultés d'exploitation de ces réacteurs et des accidents qui ont pu survenir.

  • Florian

    Donc début des années 70, EDF lance la construction. On est en train de faire la construction des premiers réacteurs à eau pressurisée. Et je crois que c'est Framatome qui a été créé à l'occasion, qui en construit tout ou partie. Est-ce que vous pouvez nous parler de la naissance de Framatome et de l'histoire sur ces premiers réacteurs qui, je crois, étaient à Fessenheim, les réacteurs qui ont fermé il y a deux, trois ans ?

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, Framatome était la société franco-américaine de construction atomique, qui a été créée en 1958. C'est une multinationale française dont la vocation était la conception et la construction de chaudières nucléaires. Et donc pour la construction des centrales françaises, qui constituent le parc électronucléaire, donc Framatome a travaillé avec EDF. qui était l'architecte ensemblier et Framatome, le fournisseur de la chaudière nucléaire. Framatome, à l'origine, était concepteur et réalisateur de chaudières nucléaires et a développé aussi des activités de fourniture de composants, voire de fourniture de combustibles, uranium, voire de services de maintenance et d'intervention sur les réacteurs à eau.

  • Florian

    Et en 1973, c'est le choc pétrolier. Et le gouvernement se dit qu'ils ont eu les creux en choisissant le nucléaire et lance le plan Mesmer. Est-ce que vous pouvez revenir sur les grandes dates de ce plan qui est devenu maintenant assez connu ?

  • Franck Carré

    Donc effectivement le plan Messmer décidé en 1973 a été lancé en 1974. Donc il a décidé d'ajouter d'autres réacteurs de 900 MW, donc de technologie Westinghouse, ce qui a apporté à 32 le nombre des réacteurs de 900 MW. Et à partir de 1982, le don Framato m'a souhaité s'affranchir de la licence de Westinghouse pour pouvoir... adapter la conception des réacteurs à eau sous pression donc au standard français ce qui lui a permis également d'extrapoler on va dire le produit d'origine de 900 mégawatts donc à des réacteurs de 1300 mégawatts dont une vingtaine ont été construits dans le parc français puis de porter la puissance à 1450 mégawatts avec le palier n 4 voire a conduit dans le cas d'une coopération franco-allemagne On a donc à concevoir le réacteur EPR qui est aujourd'hui sur le marché.

  • Florian

    Oui, et à exporter aussi des réacteurs à eau pressurisée avant même l'EPR dans d'autres pays, en Afrique du Sud, en Corée du Sud, en Chine. Très tôt, la France est passée d'importatrice en fait à exportatrice.

  • Franck Carré

    Oui, vous avez tout à fait raison. Le fait de s'affranchir de la licence Westinghouse a permis à Framatome de construire deux réacteurs en Belgique, deux réacteurs... de 900 mégawatts et d'accompagner, on va dire, une adaptation chinoise de ces réacteurs-là. Deux réacteurs en République de Corée et deux réacteurs en Afrique du Sud.

  • Florian

    Et donc au final, c'est 58 réacteurs qui ont été mis en service en à peine plus de 20 ans. Avec le recul, ça paraît... Très court, aujourd'hui il faut 20 ans pour construire un EPR. Comment on explique le fait que tout soit plus long, ou tout paraisse plus compliqué aujourd'hui ? Et peut-être que par la même occasion, vous pouvez expliquer ce que c'est qu'un EPR, puisque ce n'est pas vraiment la même chose qu'un réacteur à eau pressurisée. Donc un OPR, on va dire que c'est une version optimisée des réacteurs du parc actuel, et donc optimisée en fonction des leçons qui ont été tirées de l'exploitation du parc actuel, ainsi que des accidents. Et en particulier, c'est intéressant de voir que ces réacteurs de troisième génération, donc l'OPR et son principal concurrent, le réacteur AP1000 de Westinghouse, ont tiré les leçons de deux accidents nucléaires de nature différente, et ont tiré les leçons de façon différente. à Pémile, en fait, et le résultat, en fait, d'une expérience qui a été tirée de l'accident de Stream Isle Island en 1979, qui était un accident de refroidissement, et donc qui a... incité à faire évoluer les réacteurs à eau dans un sens qui utilisait davantage les systèmes passifs, donc des modes de fonctionnement ou en tout cas de mise en sûreté reposant sur des phénomènes passifs du type convection naturelle. Alors qu'en Europe...

  • Franck Carré

    Juste pour expliquer, c'est-à-dire qu'en cas de problème, il y a un système de sûreté qui se déclenche seul.

  • Florian

    D'une part, mais aussi l'accident de Stream Island avait été causé par un opérateur qui avait été sollicité en urgence et qui n'avait pas compris l'accident qui se déroulait dans son installation. Et donc, en fait, le club des électriciens américains avait vraiment réfléchi à des conceptions de réacteurs qui donneraient davantage de temps à un opérateur, au moins une demi-heure, pour lui permettre de mieux comprendre la situation. Et c'est ce qui avait conduit à, finalement, introduire certaines inerties thermiques avec des quantités d'eau ou à faire appel à des procédés de type évacuation de puissance par convection naturelle à alléger la sollicitation de l'opérateur. L'OPR est plutôt né d'une certaine façon des leçons de l'accident de Tchernobyl, qui était un réacteur soviétique et dont l'accident était un accident de réactivité, et c'était un réacteur qui n'avait pas d'enceinte de confinement. Et donc l'OPR a été conçu d'emblée avec un confinement renforcé, en particulier renforcé aussi pour récupérer des... Une partie de cœur qui pouvait être endommagée, mais en garantissant un confinement de la matière nucléaire, de façon à éviter tout effet à l'extérieur de l'enceinte de confinement. Et en fait, ces deux approches de réacteurs de troisième génération se trouvent aujourd'hui sur le marché, en concurrence, mais ayant, d'une certaine façon, traduit de façon différente les progrès attirés des leçons du passé.

  • Franck Carré

    Donc la paix, 1000 ? L'AP-1000, qui est un réacteur américain, s'est inspiré, ou plutôt a tiré les conclusions, de Freeman Allen qui s'est déroulé aux Etats-Unis. Et l'EPR, qui est un produit franco-allemand, s'est inspiré d'un événement qui s'est passé sur le sol européen.

  • Florian

    Oui, c'est ça. Mais j'ai oublié votre question précédente.

  • Franck Carré

    Ma question, c'était comment on explique qu'aujourd'hui, il faut 20 ans pour construire un EPR, alors qu'il en fallait 20 pour en construire 58.

  • Florian

    Je crois que ça illustre l'importance d'assurer une continuité dans des activités de haute technicité. Et que l'absence de demande de construction de réacteurs pendant une vingtaine d'années, en particulier en Europe de l'Ouest, a conduit, et donc une vingtaine d'années c'est une génération, a conduit finalement à un déficit de transmission, de connaissances, de compétences, de savoir-faire. A pu conduire aussi à des abandons, même si ce n'est que de certains maillons, de chaînes logistiques. Et je crois que l'expérience... La construction du réacteur d'Olkilu-Otto, de même que celui de Flamanville, a montré tous les efforts qu'il fallait pour reconstituer ce qu'il fallait. Sans compter, j'allais dire aussi, la capacité à pouvoir organiser des chantiers qui impliquent jusqu'à 3000 intervenants. Donc je crois que cette rupture de demande pendant une génération est une bonne partie de l'explication des 17-18 ans. qu'il a fallu pour pouvoir réaliser le réacteur Olkiluoto 3 et puis Flamanville 3. Donc quand on compare la dizaine d'années qu'il a fallu pour construire les deux EPR chinois, ça peut illustrer cet aspect-là. C'est aussi intéressant de voir que, y compris aux Etats-Unis, j'allais dire nos collègues américains ont eu... aussi des difficultés pour construire les premiers AP-1000 sur leur sol. Et en particulier les deux réacteurs de la centrale de Vogel en Géorgie ont mis une dizaine d'années à se construire. Ils sont en train de démarrer l'année dernière et cette année. Et même un chantier équivalent dans la centrale de Sommer, qui est en Caroline du Sud, a été abandonné en 2017 à cause de retards dans la construction des réacteurs. Donc d'une certaine façon, cette perte de savoir-faire, cet effort à fournir pour pouvoir se remettre en capacité de pouvoir construire de façon très efficace les réacteurs nucléaires a été partagé par d'autres pays qui n'avaient pas eu de construction pendant une vingtaine d'années.

  • Franck Carré

    Je reviens un petit peu à l'histoire, toujours dans l'optique de ne pas dépendre d'autres pays. La France commence aussi à gérer son propre cycle du combustible. De l'extraction au recyclage en passant par l'enrichissement, tout est fait en France ?

  • Florian

    Donc effectivement, l'énergie nucléaire était devenue tellement importante en France, puisqu'on est allé jusqu'à produire 75% d'électricité d'origine nucléaire, que la France a souhaité maîtriser un peu l'ensemble du cycle du combustible. Donc depuis l'extraction... De l'uranium des mines, sa transformation, son enrichissement, la fabrication du combustible, la récupération et le traitement des combustibles usés, pour pouvoir séparer les matières réutilisables et les déchets ultimes vitrifiés en attente de descente dans le stockage géologique. Et aujourd'hui le seul maillon qui manque à ce cycle du combustible, c'est plutôt un maillon pour l'aval du cycle du combustible, c'est la création du stockage géologique de déchets de haute activité à vie longue. pour lequel une demande d'autorisation de création a été déposée en janvier 2023. Et si d'une certaine façon les autorisations sont données, ce stockage géologique devrait entrer en exploitation industrielle au tournant de l'année 2030.

  • Franck Carré

    Donc là vous faites référence au laboratoire de CIGEO. Dès le début de l'histoire du nucléaire civil, il est clair que les réacteurs à neutrons rapides sont la voie à suivre. C'est dit par Enrico Fermi. qui est à l'origine de la pile Chicago-Pile 1, dont on a parlé au début, dès 1945. C'est aussi dit par Francis Perrin, alors haut-commissaire du CE en 1950. On a donc très tôt cherché à en faire. J'ai déjà fait un épisode sur les réacteurs à neutrons rapides avec Tristan Camin, donc on ne va pas revenir dessus dans toutes les longueurs. Mais si vous pouvez peut-être déjà nous rappeler quels sont les avantages et les inconvénients par rapport à des réacteurs à eau pressurisée.

  • Florian

    L'utilisation de tout le potentiel énergétique de l'uranium par la conversion de l'uranium 238, qui représente 99% de l'uranium naturel, donc en plutonium, qui est un combustible fissile, qui peut être utilisé par les réacteurs à neutrons rapides. a, depuis l'origine du nucléaire, vraiment été un objectif très fort, et il le reste aujourd'hui. Sachant que les réacteurs à eau d'aujourd'hui utilisent essentiellement l'uranium 235, qui représente moins de 1% de la ressource uranium naturelle. Donc, très rapidement, après vraiment des travaux précurseurs aux Etats-Unis et en Union soviétique, la France, dans le courant de la décennie 1950, s'est attelée au développement de réacteurs à neutrons rapides. qui est passé par le réacteur expérimental Rhapsody sur le centre de Cadarache, puis le réacteur Phoenix de 250 MW électrique sur le centre de Marcoule, puis le réacteur Super Phoenix qui devait être une tête de série industrielle qui a démarré en 1986 sur le site de Cresmalville. Et cet effort, d'une certaine façon, a été intégré dans un effort européen. La France a coopéré avec le Royaume-Uni, avec... L'Allemagne avec l'Italie et il n'y a eu pas moins de sept installations expérimentales ou démonstrateurs réalisées en Europe de l'Ouest. L'essentiel des connaissances françaises sur les réacteurs à neutrons rapides provient de l'exploitation du réacteur Phoenix, qui a fonctionné pendant une trentaine d'années. Donc l'expérience acquise sur l'exploitation de ce type de réacteur, sur la physique et la modélisation de la physique du cœur de ce réacteur. Il y a également une expérience acquise sur les matériaux, sur le combustible, jusqu'à une expérience acquise sur le retraitement de combustible de ce réacteur et réutilisation. en tant que combustible de Phoenix. Le réacteur Superphénix a démarré dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis de l'énergie nucléaire. En particulier, 1986, c'était l'année de l'accident de Tchernobyl. Et donc, suite à des difficultés techniques, qui n'avaient rien de nucléaire, et à des difficultés réglementaires, il a été arrêté définitivement en 1997. Alors il est intéressant de voir que... Dans les dernières années, la mission qui était vue pour Superphénix n'était plus d'être une tête de série industrielle, mais d'être un réacteur de recherche et de développement visant à démontrer la façon dont les réacteurs à neutrons rapides pouvaient d'une certaine façon utiliser les matières nucléaires qui sont l'héritage du fonctionnement du parc actuel et pouvaient contribuer d'une certaine façon à minimiser les quantités. d'actinides, c'est-à-dire les quantités de matériaux du type uranium, plutonium, qui, s'ils ne sont pas réutilisés, sont susceptibles d'être destinés au stockage géologique profond.

  • Franck Carré

    Les déchets du parc Rep étaient... potentiellement destiné à être le combustible des réacteurs à neutrons rapides.

  • Florian

    C'est vraiment une particularité française d'avoir imaginé un type de réacteur à neutrons rapides qui, dans un premier temps de son fonctionnement, pouvait utiliser les matières qui pouvaient résulter du retraitement des combustibles usés du parc actuel et qui, le moment venu, en fonction du durcissement du marché de l'uranium, pouvait passer en mode régénérateur, voire surgénérateur. Et je crois que cette vision d'un réacteur à neutrons rapides pouvant utiliser la matière produite par l'exploitation du parc actuel a conduit la loi de 2006 consacrée à la gestion des matières et des déchets radioactifs à prévoir un paragraphe qui relançait les recherches sur les réacteurs à neutrons rapides. Et a conduit à soutenir un effort d'innovation. de portée internationale sur la filière qui s'est déroulée de 2009 à 2019.

  • Franck Carré

    Ça aurait allégé en quelque sorte la capacité de stockage en grande profondeur.

  • Florian

    Oui, mais la France était d'une certaine façon le seul pays à pouvoir imaginer ce scénario et ça a été rendu possible par la maîtrise industrielle du cycle du combustible. Et déjà la maîtrise industrielle du retraitement des combustibles des réacteurs à eau. et du recyclage du plutonium sous la forme de combustibles mixtes uranium-plutonium.

  • Franck Carré

    Aujourd'hui, on parle de plus en plus de réacteurs de quatrième génération. Est-ce que les réacteurs à neutrons rapides font partie potentiellement des designs de quatrième génération ?

  • Florian

    Oui, bien sûr. Les réacteurs de quatrième génération sont des réacteurs qui visent des performances qui dépassent celles qui sont accessibles aux réacteurs aujourd'hui. Et donc, en particulier, l'utilisation de la ressource uranium et donc la possibilité... D'utiliser complètement le potentiel énergétique de l'uranium fait partie des objectifs de la quatrième génération. Un autre objectif de la quatrième génération, c'est de pouvoir diversifier les productions d'énergie décarbonée, au-delà de l'électricité. Et donc, ces deux... volets d'apport du nucléaire du futur conduisent à ce que l'ensemble des filières de réacteurs à neutrons rapides font bien sûr partie des réacteurs de quatrième génération, que ce soit les réacteurs rapides refroidis au sodium, donc la filière historique, mais aussi d'une certaine façon les premières réalisations ou démonstrateurs qui sont actuellement envisagées ou faites avec un caloporteur plomb ou avec un refroidisseur gaz. voire également la transposition des réacteurs à sel fondu dans une version à neutrons rapides.

  • Franck Carré

    Quand vous dites pas qu'à l'électricité, c'est la chaleur pour l'industrie, par exemple ?

  • Florian

    Donc effectivement, le deuxième volet, c'est de pouvoir diversifier la production nucléaire au-delà de l'électricité. Ce n'est pas quelque chose de totalement nouveau parce qu'un certain nombre de réacteurs, en particulier en Union soviétique ou en Scandinavie, ont été utilisés pour la fourniture de chaleur, donc de chauffage urbain. Et quelques applications industrielles ont pu être faites déjà dès les années 1980. Un réacteur allemand, par exemple, a fourni de la chaleur pour exploiter les mines de sel, et donc en concentrant des saumures, utilisant la chaleur pour concentrer des saumures sur le site de Stade. Et le réacteur allemand a fait un travail de chaleur. L'acteur de boost au Canada a utilisé la chaleur pour distiller l'eau et pouvoir reproduire de l'eau lourde. Et donc aujourd'hui, la vision de la part du nucléaire dans l'effort de décarbonation de l'économie vise à s'attaquer également à d'autres fournitures énergétiques que l'électricité. L'électricité ne représente que 20% de la consommation finale d'énergie. Et donc il est important de voir ce que le... Le nucléaire peut faire en matière de production de chaleur, que ce soit de la chaleur domestique ou de chaleur industrielle. Donc pour des procédés, soit dans la capacité des réacteurs à eau, donc utilisant une chaleur inférieure à 300 degrés, soit, et c'est là qu'intervient la quatrième génération, finalement, des réacteurs à haute température, dont il a pu exister cinq prototypes. Sur le continent américain et continent européen, qui dans une vision modernisée aujourd'hui, pourrait s'ajouter à ce que peuvent faire les réacteurs à eau pour de la fourniture de chaleur industrielle à très haute température, donc 700°C, 800°C, pour des applications industrielles, y compris la production d'hydrogène, y compris la production de certains carburants de synthèse qui sont neutres du point de vue du CO2. Parce que élaborer à partir de CO2 récupéré auprès d'usines ou capté dans l'atmosphère ou élaborer à partir de biomasse.

  • Franck Carré

    Donc on a parlé des réacteurs à notre rapide, des HTR à très haute température. Est-ce qu'il y a d'autres filières qui vous semblent prometteuses pour l'avenir ?

  • Florian

    Je crois qu'il n'y a pas une filière miraculeuse. Et je crois qu'un exercice très intéressant s'est déroulé au début des années 2000. En fait, les Américains ont lancé un cadre de coopération multinationale qui s'appelle le Forum International Génération 4. Et donc, ils ont approché une dizaine de pays nucléaires qui s'intéressaient au nucléaire pour le long terme. Ce n'était pas uniquement une opération, j'allais dire, dénuée d'un certain intérêt pour savoir la façon dont les recherches avaient progressé dans ces différents pays. Mais d'une certaine façon, la France, je dirais qu'il sortait en fait d'une période assez... assez réservé sur le nucléaire, a beaucoup contribué à mettre ce cadre de coopération sur place. Et la France a beaucoup fait pour que dans le panorama des six réacteurs type qui ont été retenus comme réacteurs pouvant être importants pour le XXIe siècle, il y en ait au moins trois, voire quatre, qui soient des réacteurs à neutrons rapides. Et donc cette question, on va dire, d'utilisation complète du potentiel énergétique de l'uranium par les neutrons rapides, approchés, soit par les caloporteurs sodium, plomb, gaz, voire par la voie réacteur à sel fondu, font partie de ce panorama. Donc le réacteur à haute température également, qui avait déjà existé dans les années 60 à 80, dans une version modernisée, fait partie de la série des six réacteurs. Et je crois que ça illustre le fait qu'il n'y a pas une filière de réacteurs unique, on va dire, qui va répondre notamment aux fournitures d'énergie, et à la décarbonation de l'économie, que différents réacteurs peuvent avoir des vocations différentes. Et d'ailleurs, certains types de réacteurs peuvent avoir des technologies différentes, selon les pays, en fonction, on va dire, de l'historique et de la tradition industrielle de certains pays. Donc, je crois que les réacteurs à neutrons rapides, clairement, et ça a été vu dès le début, vous l'avez vu, et ça reste d'actualité, c'est-à-dire, ça reste une priorité extrêmement importante pour pouvoir bien utiliser le... Le potentiel de tout l'uranium, il y a des stocks extrêmement importants de matières nucléaires sur le sol national qui résultent de l'exploitation des parcs actuels.

  • Franck Carré

    Alors que le stock d'uranium naturel diminue d'année en année.

  • Florian

    Je pense qu'effectivement, on a plusieurs décennies, peut-être jusqu'au siècle, pour alimenter les réacteurs actuels. Mais d'une certaine façon, c'est vrai que la tension sur le marché est prévue et qu'il faut se préparer. à pouvoir passer de ces réacteurs thermiques qui utilisent l'uranium 235 à ces réacteurs neutrons rapides, et donc de travailler à la fois en améliorant la filière historique des réacteurs rapides sodium, mais aussi en participant en coopération internationale. Donc à l'évaluation et à des démonstrations sur d'autres approches des réacteurs neutrons rapides utilisant le plomb, le gaz ou les sels fondus. Pour compléter la réponse à votre question, les réacteurs à haute température ne sont pas à neutrons rapides et eux ont une autre vocation. Donc une vocation de décarboner la chaleur et décarboner certains processus industriels. Donc au-delà des gains en efficacité énergétique que l'on peut faire, voir ce qui se passe. Ce que le nucléaire, à côté peut-être des énergies renouvelables, peut faire pour décarboner la chaleur, qui reste nécessaire pour certains processus industriels, y compris la production de carburants de synthèse, sachant que les transports sont un secteur également très difficile à décarboner. Les énergies renouvelables solaires, éoliens, sont des énergies électriques, et même si la décarbonation passe par une électrification, il peut... tirer le meilleur parti de ces énergies. Les sources de production d'énergie décarbonée, autre que l'électricité, je pense sont un sujet de recherche très important, et en particulier de voir ce que le nucléaire peut apporter à ce domaine, et me semble encore très d'actualité.

  • Franck Carré

    Une question pour conclure. Au début de l'énergie nucléaire, dans les années 50 et 60, il jouissait quand même d'une image positive. Alors qu'il y avait eu Nagasaki, Hiroshima qui s'étaient passés à peine quelques années auparavant, et les prévisionnistes de l'époque prévoyaient que le nucléaire allait prendre une grande partie du mix énergétique mondial. Aujourd'hui, il représente 10% à peine du mix électrique mondial et il était à 15% en 2000. On verra dans le futur si jamais ce chiffre continue de baisser ou de grandir. Néanmoins, il y a quand même une période où il y a eu un rejet du nucléaire, notamment en Europe. Il y a eu des référendums qui ont été faits dans certains pays pour sortir du nucléaire. On l'a vu plus récemment encore avec l'Allemagne. Est-ce que vous pouvez nous donner votre ressenti sur ce fait-là ? Pourquoi le nucléaire l'a-t-il ? pas percé comme il aurait pu, ou n'a-t-il pas réellement décollé, si ce n'est dans quelques pays, dont la France.

  • Florian

    Moi je pense que le nucléaire a décollé et c'est intéressant de s'interroger sur les 10%. Je crois que les dernières années ont montré que le nucléaire était un atout pour la production d'énergie décarbonée et pas seulement pour la production d'électricité, en particulier parce qu'il produit une énergie décarbonée pilotable et qu'il permet de s'ajuster à la variabilité des productions renouvelables. Et donc de ce point de vue-là, je pense, et c'est certain, le nucléaire bénéficie d'un regain d'intérêt au cours de ces dernières années. Ensuite, je ne pense pas que le nucléaire ait une vocation universelle. Je pense que pour développer le nucléaire, il faut vraiment des infrastructures industrielles qui sont sophistiquées, il faut un cadre institutionnel et un cadre réglementaire qui est exigeant. Et d'une certaine façon, pour les pays qui viennent au nucléaire pour la première fois, l'Agence internationale de l'énergie atomique apporte une assistance à ces pays pour pouvoir créer le cadre dans lequel ils pourront exploiter les premières installations nucléaires en toute sûreté et sécurité. Donc je pense que pour ces raisons, d'une certaine façon, le nucléaire s'est développé dans des pays en particulier qui ont pu être intéressés par les applications duales avec le militaire. Et dans les pays qui ont su d'une certaine façon développer une industrie et une recherche dans le domaine qui a permis de faire prospecter ce type de réacteurs. Ensuite, 10%, c'est à la fois relativement peu, peut-être par rapport aux visions extrêmement ambitieuses qu'on avait dans les années 50 et 60, mais c'est quand même 400 gigawatts installés. Et conserver les 10% dans les projections de production d'électricité, en particulier de l'Agence internationale de l'énergie, avec un objectif de décarbonation à l'horizon 2050, donc conserver à peu près le nucléaire au niveau de 10%, c'est quand même 10%. mais avec une demande en électricité qui est multipliée par un facteur 2, voire 3. Donc c'est doubler, voire plus, la puissance nucléaire installée pour la production électronucléaire, voire peut-être la tripler selon le plaidoyer d'une vingtaine de pays nucléaires, donc en dehors de la confiance climatique de la COP 2028.

  • Franck Carré

    2023, mais la COP 28.

  • Florian

    Oui, la COP 28 de 2023. Donc, personnellement, je pense que la proportion d'électricité nucléaire pourrait progresser, mais bon, je veux dire, vraiment au cours de décennie, peut-être jusqu'à un niveau d'une vingtaine de pourcents. Et je pense qu'après 70 ans, l'énergie nucléaire a encore une belle page d'histoire à écrire devant elle. Je pense que le potentiel de progrès en termes d'innovation technologique, que ce soit en termes de matériaux, de procédés, de fabrication... En termes de diversité d'applications terrestres ou même spatiales, aujourd'hui on s'aperçoit que l'énergie nucléaire peut être essentielle pour des bases spatiales habitées ou la propulsion pour les applications spatiales. Je pense que l'énergie nucléaire a donc adopté le page d'histoire devant elle et je me réjouis personnellement de voir un certain nombre de startups s'intéresser à ces progrès. parce qu'elle stimule l'innovation dans un secteur que peut-être le coût des recherches et peut-être les exigences de sûreté ont pu rendre très conservateurs.

  • Franck Carré

    Sur cette note optimiste qu'on va conclure cette interview, merci Franck Carré.

  • Florian

    Merci. Merci.

Description

En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité est produite en grande majorité par des centrales nucléaires. En regardant autour de nous, on se rend vite compte que c’est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son approvisionnement en énergie. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd’hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas-carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme lieu de tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui était à l’époque le réacteur le plus puissant d’Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, un ingénieur ayant travaillé pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L’histoire du nucléaire français, c’est le thème de ce nouvel épisode d’Échange Climatique



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Transcription

  • En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité provient en grande partie de centrales nucléaires. Mais en regardant autour de nous, on se rend compte que c'est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son mix énergétique. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd'hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme le tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui fut alors le réacteur le plus puissant d'Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, ingénieur pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L'histoire du nucléaire français, c'est le thème de ce nouvel épisode d'Échange Climatique. Bonjour Franck Carré. Bonjour Florian. Même si notre interview va se concentrer sur le côté français de l'histoire, on va commencer par un petit détour par les Etats-Unis. puisque c'est là-bas qu'a été construit le premier réacteur nucléaire pendant la guerre en 1942. Oui, effectivement. La divergence de la pile de Chicago, le 2 décembre 1942, a vraiment été l'événement fondateur de l'énergie nucléaire civile et militaire. Ça a vraiment été une preuve de principe et ça a été rendu possible en fait par une progression phénoménale des connaissances sur la structure de la matière qui a été acquise au cours de la première moitié du XXe siècle. Et jusqu'à la fin du XIXe siècle, c'est très surprenant, la vision de la matière était encore celle de Démocrite, quatre siècles avant Jésus-Christ, qui était celle d'une matière faite d'atomes, qui était la plus petite partie sécable d'un corps simple. Et en fait il a fallu la découverte de rayonnements émis par la matière pour que les scientifiques s'intéressent en fait à la matière et s'intéressent aussi à la structure des atomes qui constituaient cette matière. Alors ça a commencé par la découverte des rayons X avec Röntgen, puis la découverte des électrons avec Thomson et la découverte de la radioactivité avec Becquerel. Donc les deux premiers travaillaient sur des tubes de Crookes et s'intéressaient aux rayons cathodiques, tandis que Becquerel s'intéressait aux études sur la fluorescence avec des sels d'uranium. Et il avait constaté que ces sels d'uranium pouvaient impressionner des plaques photographiques dans l'obscurité. Et une connexion a été faite entre ces différentes recherches. A la fois, Thomson a permis d'interpréter les rayons du professeur Becquerel comme des rayons cathodiques. Et je crois que c'est Henri Poincaré qui a finalement identifié aussi ces rayons uraniques comme des rayons X. Röntgen a été le premier prix Nobel de physique en 1901. Ensuite, Becquerel a partagé avec Pierre-Himarie Curie, qui l'avait aidé dans ses recherches, le prix Nobel de physique en 1903. Et Thomson a eu le prix Nobel de physique en 1906 pour sa découverte des électrons. Mais encore à cette époque, la vision de la matière était extrêmement primitive, puisqu'en fait, Thomson lui-même voyait la matière comme un pudding aux prunes, plum pudding, avec des atomes qui étaient les prunes, qui étaient donc des sphères chargées positivement, qui contenaient des nuages d'électrons que l'on pouvait extraire. Donc électrons négatifs pour avoir une matière électriquement neutre. C'est vraiment Rutherford qui a montré qu'en fait l'atome avait été constitué d'un noyau de charge positive de dimension extrêmement petite. Et il a en fait fait ce constat en faisant une expérience qui consistait à projeter des particules alpha sur une feuille d'or extrêmement mince. Et il a constaté que la majorité des particules alpha n'étaient pas déviées, donc traversaient la feuille d'or. Et il a étudié la trajectoire des particules. qui a été déviée, ce qui lui a permis d'identifier les particules alpha au noyau d'hélium. pour cette découverte du noyau atomique chargé positivement. Et donc cette identification des particules alpha, il a eu le prix Nobel de chimie en 1908. Ensuite, Marie Curie a eu le prix Nobel de chimie en 1911 pour sa découverte et la séparation du polonium et du radium. Et c'est ensuite Niels Bohr qui, en 1913, a élaboré le premier modèle théorique d'atomes qui est encore aujourd'hui la base de l'effet. physique quantique, et qui s'est trouvé en pleine cohérence avec la table de Mendeleïev qui avait été élaborée vers 1870. Et donc Niels Bohr a eu le prix Nobel de physique en 1922. Ensuite, c'est l'anglais James Shedwick qui a découvert le neutron. En fait, il avait fait une expérience avec, sans le savoir, une source de neutrons qui était faite de polonium et de beryllium, et qu'il avait placé devant un bloc de paraffine, et il avait détecté des protons de l'autre côté. du bloc de paraffine, et il se demandait quelles particules, finalement, entraient dans le bloc de paraffine, et voyant qu'elles n'étaient pas sensibles aux champs magnétiques, il en a déduit qu'elles étaient neutres, du point de vue électrique, et il les a appelées neutrons. Il a eu le prix Nobel de physique en 1935 pour cette découverte. À partir de ce moment, les recherches ont aussi inclus, on va dire, des études de réaction nucléaire qui pouvaient être faites avec ces particules qui avaient été découvertes, particules alpha et neutrons. Et en particulier, Frédéric Joliot et Irène Curie ont eu le prix Nobel de chimie en 1935 pour leurs expériences de création d'éléments artificiels, radioactifs artificiels, en faisant réagir des particules alpha. du bord du magnésium et de l'aluminium. Dans la même veine, Enrico Fermi a eu le prix Nobel de physique en 1938 pour ses recherches sur les réactions nucléaires induites par les neutrons. La découverte de la fission a été faite à la fois par Otto Hahn et Lise Meitner. Otto Hahn, qui est le père de la chimie nucléaire en Allemagne, expérimentait des échantillons d'uranium sous flux de neutrons et il a détecté... du barium dans son échantillon. Et il a consulté sa collègue Lise Meitner, qui vraiment a été celle qui a compris le phénomène et a vraiment développé la théorie de la fission, avec une prédiction assez précise, en fait, de l'énergie dégagée par fission. Et donc, très malheureusement, j'allais dire, Sol Otohan, avec son assistant Fritz Strassmann, ont été distingués par le prix Nobel. Alors, à partir de De la découverte de la fission, dont on présumait qu'en plus de la génération de deux noyaux, elle pouvait également libérer des neutrons, vraiment la présomption de la possibilité d'une réaction en chaîne est apparue très concrète. Au point que certains physiciens, comme Frédéric Joliot, se sont appréciés de déposer des brevets secrets à proximité de la guerre pour expliquer, voire présenter, breveter les applications possibles de... de cette réaction en chaîne, et donc en mai 1939, Frédéric Joliot a déposé trois brevets. Deux concernant l'application de réactions en chaîne pour des systèmes de production d'énergie, et un concernant les applications de réactions en chaîne pour le renforcement des dispositifs explosifs. Donc on peut dire que dès 1940, l'ensemble du corpus scientifique existait pour pouvoir concevoir la pile de Fermi, mais je crois qu'il a vraiment fallu à la fois... Le talent de théoricien, le talent d'expérimentateur et d'ingénieur de Fermi et de ses collègues pour pouvoir concevoir, réaliser et faire fonctionner la pile de Chicago et la faire démarrer le 2 décembre 1942. Pourquoi on appelle ça une pile de ce qu'aujourd'hui on appelle des réacteurs nucléaires ? Parce que le premier réacteur qui a divergé dans le gymnase de l'université de Chicago, était en fait un empilement de graphite, d'uranium naturel métal et d'uranium oxyde. Donc en disant ça comme ça, ça laisse penser qu'il suffisait d'empiler des matériaux pour pouvoir créer les conditions pour déclencher une réaction en chaîne. Et en fait Fermi a vraiment expérimenté beaucoup de géométrie, beaucoup d'empilement et a vraiment développé une compréhension de la physique des réacteurs, donc en particulier en évaluant la façon dont les réacteurs se déclenchent. dont les neutrons pouvaient être réfléchis par le graphite et les configurations géométriques également de l'uranium pour pouvoir, avec les matériaux disponibles de l'époque, et en matière d'uranium c'était de l'uranium naturel, pouvoir vraiment créer un réacteur qui puisse entretenir une réaction en chaîne. Alors bon, qui a fonctionné à une puissance, je veux dire, ridicule. Je crois que c'était 0,5 W au début et au maximum ça a fonctionné à 200 W. Bon, évidemment il n'y avait pas de dispositif de refroidissement pour ce premier réacteur.

  • Florian

    Et il s'inscrit dans le programme Manhattan, ce réacteur, ce programme lancé par les États-Unis, alerté par notamment Einstein sur la possibilité que les Allemands en guerre préparent une bombe nucléaire. Quel était l'objectif du coup de ce réacteur ?

  • Franck Carré

    L'objectif de la pile de Chicago, c'était vraiment déjà de démontrer le principe d'une réaction en chaîne. A partir de ce moment-là, le programme Manhattan a investi dans des recherches sur la bombe sous d'autres directions, donc le rhénium enrichi, mais également la production de plutonium. Et donc le programme a suivi deux voies, mais le programme de la pile de Chicago a vraiment été à l'origine de la voie qui a conduit au réacteur modéré au graphite pour la production de plutonium. Donc la première réalisation à vocation plutonigène a été le réacteur X-10 près du laboratoire d'Oakridge. Et ensuite les descendants ont été les réacteurs sur le site de Hanford, donc les réacteurs... B, D et F qui ont été pour le premier, je crois, refroidis à l'air et ensuite refroidis à l'eau pour la production de plutonium. Et c'était des réacteurs qui déjà avaient une puissance de 250 mégawatts.

  • Florian

    En 1945, quelques années après la pile de Fermi et à la fin de la guerre, le président de l'époque, le général de Gaulle, crée le commissariat de l'énergie atomique, donc le CEA. Pour quoi faire ?

  • Franck Carré

    Effectivement, le général de Gaulle a créé le commissariat à l'énergie atomique sur la proposition de Raoul Dautry, qui avait été ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, et qui pensait que la création d'un tel établissement pourrait bénéficier à la reconstruction ainsi qu'au développement de l'armement. Et donc le général de Gaulle, par décret du 18 octobre 1945, a créé cet établissement en lui donnant une vocation d'études scientifiques et techniques pour l'utilisation de l'énergie nucléaire dans les domaines de l'industrie, de la science et de l'armement.

  • Florian

    Vous avez parlé de la pile Zoé, c'est une pile qui diverge, c'est-à-dire qu'elle démarre, pour parler dans le langage un peu plus courant, en 1948. C'est un peu notre Chicago Pile 1 à nous.

  • Franck Carré

    Oui, tout à fait. C'est la première démonstration de la possibilité d'entretien d'une réaction en chaîne sur le sol français, avec toutes les applications qu'elle permet.

  • Florian

    Donc, c'était un réacteur de quelle filière ? Et c'était un réacteur d'expérience qui avait les mêmes buts que la Chicago Pile dont vous avez parlé tout à l'heure ?

  • Franck Carré

    Donc, Zoé, comme le nom l'indique, c'était une pile à puissance zéro qui utilisait du combustible oxyde, donc uranium oxyde, et qui utilisait de l'eau lourde. Et donc on peut la voir comme, j'allais dire, vraiment le premier modèle très précurseur d'une filière à eau lourde refroidie à gaz, qui a pu conduire ensuite au réacteur EL2, puis au réacteur EL3, qui lui utilisait l'eau lourde à la fois comme refroidisseur et comme modérateur.

  • Florian

    Vous en avez brièvement parlé, EL3 diverge en 1957, nous nous trouvons actuellement sur le cœur de EL3, est-ce que vous avez quelques informations complémentaires à raconter sur ce réacteur en particulier ?

  • Franck Carré

    Sur ce réacteur, bon d'abord c'est un réacteur à haut-load, je crois qu'il utilisait l'eau lourde aussi comme caloporteur. Il a fonctionné jusqu'à une puissance de 18 MW, donc c'était une très forte puissance. Il a été beaucoup utilisé pour étudier, en plus de la physique du cœur. le comportement des matériaux, le comportement de combustible, ainsi que pour la production de radio-éléments et peut-être un peu pour la production de plutonium.

  • Florian

    Malgré ça, la filière à Oulourde va être abandonnée en France. Et en 1956, c'est le lancement d'une nouvelle filière, Uranium Naturel Gas Graphite, notamment avec la pile G1 qui diverge à Marcoule. Est-ce que vous pouvez nous raconter... En quoi consiste cette nouvelle filière et à quoi servait cette pile G1 ?

  • Franck Carré

    Donc en fait la pile G1 et les deux piles qui ont suivi sur le centre de Marcoux, le G2 et le G3, avaient pour vocation de produire du plutonium. Donc à partir d'uranium naturel et donc d'utilisation du graphite comme modérateur. Et donc c'était vraiment des réacteurs militaires destinés à la production de plutonium. Production de plutonium dont l'extraction a aussi été permise, c'est-à-dire la création d'un atelier pilote de Marcoux, puis la première usine de traitement des combustibles usés. Et ce qui est intéressant, c'est que la puissance de ces réacteurs, d'une certaine façon, appelait à la production d'énergie. Et que c'est EDF qui a proposé au CEA d'équiper ces réacteurs de turbines, de façon à pouvoir profiter de la puissance pour produire de l'électricité. Et en particulier, G2 et G3 ont produit jusqu'à une quarantaine de mégawatts. Donc c'était vraiment les premiers pas précurseurs de la filière uranium naturel graphite gaz. Donc, utilisant des uraniums naturels, utilisant le graphite comme modérateur et utilisant le gaz carbonique comme caloporteur.

  • Florian

    Et peu après, en 1963, EDF va construire ses premiers réacteurs nucléaires en France, qui seront donc de cette filière UNGG.

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, l'expérience acquise sur les réacteurs chinois des G3 a permis de développer d'abord les trois réacteurs de Chinon, qui ont eu une puissance qui s'est étagée d'une quarantaine de mégawatts jusqu'à presque 500 mégawatts, suivi par la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux avec deux réacteurs. de l'ordre de 500 MW, et puis un réacteur sur le site de budget, également de 500 MW. Donc ça fait six réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz.

  • Florian

    Donc le constat à l'époque, c'était qu'il n'y avait pas beaucoup de sources d'énergie en France, et que pour des questions de souveraineté énergétique, la France a voulu pousser cette technologie. Mais on va dire que c'était le cas quand même de beaucoup de pays. Autour, en Europe, il y a peu de pays qui ont des champs pétroliers. Pourquoi la France en particulier a lancé cette initiative, alors que je crois qu'en tout, il n'y a que six pays qui se sont lancés indépendamment des autres sur des filières de réacteurs nucléaires ? Qu'est-ce qui a fait qu'en France, on a pris cette voie ? Est-ce que c'était une volonté politique ? Est-ce que ça s'est un peu entremêlé avec le fait qu'on voulait la dissuasion après la guerre et donc de bout en bout, on est arrivé à produire l'électricité ? Comment ça s'est passé ?

  • Franck Carré

    Donc je crois qu'à la fin des années 60, il y avait une véritable préoccupation de sécurité énergétique déjà à l'époque. A l'époque, on produisait 80% de l'électricité par du pétrole et par du gaz qui étaient importés. Et donc que l'idée d'utiliser l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité est vraiment... est vraiment issue du souci de faire progresser la sécurité énergétique. Alors ensuite, le nucléaire en France, je crois, il y a peut-être cinq raisons qui ont conduit à ce qu'il se développe peut-être de façon plus importante que dans d'autres pays. Je pense que la participation de physiciens et de chimistes français, donc au développement des prémices qui ont pu conduire à l'énergie nucléaire, est un aspect. Je pense que les développements du haut, à la fois pour les applications militaires et pour le civil, ont pu constituer également un aspect favorable pour un investissement plus avancé dans cette filière. Ensuite, je pense que la gouvernance assez centralisée de la France permettait... le déploiement de certaines séries de réacteurs. Et bon, ça a été clairement le cas ultérieurement pour le déploiement du parc électronucléaire français, donc de réacteurs à eau, avec le plan Miesmer.

  • Florian

    Est-ce que vous pouvez en parler un peu plus sur ce point ? Pourquoi il faut que ce soit centralisé pour avoir des réacteurs nucléaires ?

  • Franck Carré

    Je crois que le caractère centralisé s'est révélé assez important déjà pour ce qui était de la décision de lancer ce plan. Et donc parce que d'une certaine façon il fallait pouvoir réunir à la fois les connaissances techniques acquises sur la filière, intégrer aussi la dimension militaire et pouvoir, ce que permettait à l'époque, décider des développements. industriel très important qui était bon pour la nation. Par ailleurs, ensuite le développement d'un programme électronucléaire nécessite une coordination extrêmement importante, à la fois pour déjà la réalisation des réacteurs eux-mêmes, et j'allais dire l'organisation de tout ce qui est le cycle du combustible. Et je crois que le mode d'organisation qui existait à l'époque, donc dans les années 70 pour le déploiement du parc électronucléaire, a vraiment été quelque chose de très important pour la réussite. du déploiement de ce parc. Si je peux ajouter deux autres aspects, je crois que le succès des industriels français aussi est à noter, en particulier pour ce qui concerne le parc électronucléaire. La filière avait été acquise par une licence américaine, donc de Wessinghaus. Et donc l'industriel français, concepteur et constructeur de chaudières, a dû travailler avec les connaissances apportées par Westinghouse dans un premier temps, et a dû d'une certaine façon, progressivement, se libérer de ses compétences. De même, EDF, je crois, a eu un rôle qui était très précieux, à la fois en tant qu'architecte ensemblier dans la conception des centrales, ainsi que dans l'exploitation des centrales. Donc je crois que... Le succès de l'industrie française a contribué bien sûr au succès du... Et si je peux terminer, mais en restant modeste, je pense que l'accompagnement en recherche avec des organismes comme le CEA, mais pas seulement. qui a soutenu en fait l'industrie nucléaire, y compris j'allais dire quand l'industrie nucléaire s'est affranchie de la licence américaine et où il a fallu développer des méthodes de calcul françaises pour pouvoir exploiter les réacteurs, en concevoir de nouveau, où il a fallu comprendre le comportement des matériaux, des combustibles, donc il a fallu développer en fait toutes ces disciplines au CEA.

  • Florian

    Oui,

  • Franck Carré

    notamment... que du combustible.

  • Florian

    Et puis il y a aussi une école du nucléaire qui a été créée assez rapidement, l'INSTN, qui d'ailleurs est juste à côté d'ici, qui a dû favoriser cet essor. Donc finalement, ces trois centrales UNGG dont on vient de parler seront les premières et les dernières, puisqu'à la fin des années 60, vous l'avez brièvement évoqué, mais la France fait le choix d'importer une licence de réacteur américain, c'est la technologie donc Wensinghaus. Et c'est encore une autre filière. Cette fois, c'est la filière des réacteurs à eau pressurisée. C'est un choix qui peut paraître de l'extérieur un peu à rebours des vérités de l'époque de gagner en souveraineté. Pourquoi ? Quels critères ont motivé la France à finalement quitter une filière qui était un peu maison pour une filière américaine ?

  • Franck Carré

    La filière des réacteurs à eau avait été expérimentée aux Etats-Unis. D'ailleurs, elle avait été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Donc en profitant de sa relative simplicité, du fait qu'à la fois le caloporteur, le refroidisseur est aussi le modérateur, et que ce modérateur est très efficace et donc permettait de réduire la taille du cœur et la taille du réacteur.

  • Florian

    Parce que les piles G1, G2, G3, on n'en a pas parlé, mais le graphite prend énormément de place et ils sont énormes.

  • Franck Carré

    Oui, parce que l'effet ralentisseur d'un neutron du graphite nécessite beaucoup plus de chocs et que le neutron parcourt des distances beaucoup plus importantes. Alors que pour l'eau, l'eau légère... Mais pour pouvoir utiliser de l'eau légère plutôt que de l'eau lourde, il fallait maîtriser l'enrichissement de l'uranium. Et donc, en fait, la filière des réacteurs à eau sous pression a été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Et donc, les... La perspective d'utilisation pour la production d'énergie civile avait déjà donné lieu à des expérimentations dans le réacteur de Shippingport, réacteur expérimental aux Etats-Unis, et à la réalisation d'une première centrale, Yankee Row, qui a démarré en 1960, et qui finalement a été la jumelle d'une première centrale construite en Europe, la centrale de Shaw A, dans les Ardennes. Donc Yankee Row avait fonctionné de façon satisfaisante depuis 1960. Depuis les années 1960, on avait d'une certaine façon montré de bonnes performances, à la fois techniques, voire peut-être déjà économiques. Et donc c'était déjà un atout pour pouvoir décider finalement de choisir la filière des réacteurs à eau pressurisée pour construire le parc français. Un autre argument a certainement été aussi la dualité qu'il pouvait y avoir entre cette technologie des réacteurs à eau et la technologie des réacteurs qui pouvaient. équiper les sous-marins nucléaires qui étaient une composante de la dissuasion nucléaire.

  • Florian

    Et donc avec le recul aujourd'hui, à force de constater que c'était quand même une... Bonne décision.

  • Franck Carré

    Avec le recul, oui, puisqu'en fait, sur les 400 et quelques réacteurs dans le monde qui fonctionnent, il y en a 70% qui sont des réacteurs à eau sous pression, plus une vingtaine de pourcents qui sont des réacteurs à eau bouillante. Donc c'est vraiment la filière qui, à quelques exceptions près, comme la filière des réacteurs à eau lourde canadien ou la filière RBMK dans le monde soviétique, ou quelques filières à eau lourde développées par les Indiens, Vraiment c'est répandu et constitue vraiment la très grande majorité des réacteurs de puissance qui fonctionnent aujourd'hui dans le monde. Et ça fonctionne tellement bien d'ailleurs que la nouvelle génération de réacteurs, ceux qui sont sur le marché actuellement, conservent cette technologie en optimisant l'ingénierie, en tirant parti des leçons qui ont pu être tirées, des difficultés d'exploitation de ces réacteurs et des accidents qui ont pu survenir.

  • Florian

    Donc début des années 70, EDF lance la construction. On est en train de faire la construction des premiers réacteurs à eau pressurisée. Et je crois que c'est Framatome qui a été créé à l'occasion, qui en construit tout ou partie. Est-ce que vous pouvez nous parler de la naissance de Framatome et de l'histoire sur ces premiers réacteurs qui, je crois, étaient à Fessenheim, les réacteurs qui ont fermé il y a deux, trois ans ?

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, Framatome était la société franco-américaine de construction atomique, qui a été créée en 1958. C'est une multinationale française dont la vocation était la conception et la construction de chaudières nucléaires. Et donc pour la construction des centrales françaises, qui constituent le parc électronucléaire, donc Framatome a travaillé avec EDF. qui était l'architecte ensemblier et Framatome, le fournisseur de la chaudière nucléaire. Framatome, à l'origine, était concepteur et réalisateur de chaudières nucléaires et a développé aussi des activités de fourniture de composants, voire de fourniture de combustibles, uranium, voire de services de maintenance et d'intervention sur les réacteurs à eau.

  • Florian

    Et en 1973, c'est le choc pétrolier. Et le gouvernement se dit qu'ils ont eu les creux en choisissant le nucléaire et lance le plan Mesmer. Est-ce que vous pouvez revenir sur les grandes dates de ce plan qui est devenu maintenant assez connu ?

  • Franck Carré

    Donc effectivement le plan Messmer décidé en 1973 a été lancé en 1974. Donc il a décidé d'ajouter d'autres réacteurs de 900 MW, donc de technologie Westinghouse, ce qui a apporté à 32 le nombre des réacteurs de 900 MW. Et à partir de 1982, le don Framato m'a souhaité s'affranchir de la licence de Westinghouse pour pouvoir... adapter la conception des réacteurs à eau sous pression donc au standard français ce qui lui a permis également d'extrapoler on va dire le produit d'origine de 900 mégawatts donc à des réacteurs de 1300 mégawatts dont une vingtaine ont été construits dans le parc français puis de porter la puissance à 1450 mégawatts avec le palier n 4 voire a conduit dans le cas d'une coopération franco-allemagne On a donc à concevoir le réacteur EPR qui est aujourd'hui sur le marché.

  • Florian

    Oui, et à exporter aussi des réacteurs à eau pressurisée avant même l'EPR dans d'autres pays, en Afrique du Sud, en Corée du Sud, en Chine. Très tôt, la France est passée d'importatrice en fait à exportatrice.

  • Franck Carré

    Oui, vous avez tout à fait raison. Le fait de s'affranchir de la licence Westinghouse a permis à Framatome de construire deux réacteurs en Belgique, deux réacteurs... de 900 mégawatts et d'accompagner, on va dire, une adaptation chinoise de ces réacteurs-là. Deux réacteurs en République de Corée et deux réacteurs en Afrique du Sud.

  • Florian

    Et donc au final, c'est 58 réacteurs qui ont été mis en service en à peine plus de 20 ans. Avec le recul, ça paraît... Très court, aujourd'hui il faut 20 ans pour construire un EPR. Comment on explique le fait que tout soit plus long, ou tout paraisse plus compliqué aujourd'hui ? Et peut-être que par la même occasion, vous pouvez expliquer ce que c'est qu'un EPR, puisque ce n'est pas vraiment la même chose qu'un réacteur à eau pressurisée. Donc un OPR, on va dire que c'est une version optimisée des réacteurs du parc actuel, et donc optimisée en fonction des leçons qui ont été tirées de l'exploitation du parc actuel, ainsi que des accidents. Et en particulier, c'est intéressant de voir que ces réacteurs de troisième génération, donc l'OPR et son principal concurrent, le réacteur AP1000 de Westinghouse, ont tiré les leçons de deux accidents nucléaires de nature différente, et ont tiré les leçons de façon différente. à Pémile, en fait, et le résultat, en fait, d'une expérience qui a été tirée de l'accident de Stream Isle Island en 1979, qui était un accident de refroidissement, et donc qui a... incité à faire évoluer les réacteurs à eau dans un sens qui utilisait davantage les systèmes passifs, donc des modes de fonctionnement ou en tout cas de mise en sûreté reposant sur des phénomènes passifs du type convection naturelle. Alors qu'en Europe...

  • Franck Carré

    Juste pour expliquer, c'est-à-dire qu'en cas de problème, il y a un système de sûreté qui se déclenche seul.

  • Florian

    D'une part, mais aussi l'accident de Stream Island avait été causé par un opérateur qui avait été sollicité en urgence et qui n'avait pas compris l'accident qui se déroulait dans son installation. Et donc, en fait, le club des électriciens américains avait vraiment réfléchi à des conceptions de réacteurs qui donneraient davantage de temps à un opérateur, au moins une demi-heure, pour lui permettre de mieux comprendre la situation. Et c'est ce qui avait conduit à, finalement, introduire certaines inerties thermiques avec des quantités d'eau ou à faire appel à des procédés de type évacuation de puissance par convection naturelle à alléger la sollicitation de l'opérateur. L'OPR est plutôt né d'une certaine façon des leçons de l'accident de Tchernobyl, qui était un réacteur soviétique et dont l'accident était un accident de réactivité, et c'était un réacteur qui n'avait pas d'enceinte de confinement. Et donc l'OPR a été conçu d'emblée avec un confinement renforcé, en particulier renforcé aussi pour récupérer des... Une partie de cœur qui pouvait être endommagée, mais en garantissant un confinement de la matière nucléaire, de façon à éviter tout effet à l'extérieur de l'enceinte de confinement. Et en fait, ces deux approches de réacteurs de troisième génération se trouvent aujourd'hui sur le marché, en concurrence, mais ayant, d'une certaine façon, traduit de façon différente les progrès attirés des leçons du passé.

  • Franck Carré

    Donc la paix, 1000 ? L'AP-1000, qui est un réacteur américain, s'est inspiré, ou plutôt a tiré les conclusions, de Freeman Allen qui s'est déroulé aux Etats-Unis. Et l'EPR, qui est un produit franco-allemand, s'est inspiré d'un événement qui s'est passé sur le sol européen.

  • Florian

    Oui, c'est ça. Mais j'ai oublié votre question précédente.

  • Franck Carré

    Ma question, c'était comment on explique qu'aujourd'hui, il faut 20 ans pour construire un EPR, alors qu'il en fallait 20 pour en construire 58.

  • Florian

    Je crois que ça illustre l'importance d'assurer une continuité dans des activités de haute technicité. Et que l'absence de demande de construction de réacteurs pendant une vingtaine d'années, en particulier en Europe de l'Ouest, a conduit, et donc une vingtaine d'années c'est une génération, a conduit finalement à un déficit de transmission, de connaissances, de compétences, de savoir-faire. A pu conduire aussi à des abandons, même si ce n'est que de certains maillons, de chaînes logistiques. Et je crois que l'expérience... La construction du réacteur d'Olkilu-Otto, de même que celui de Flamanville, a montré tous les efforts qu'il fallait pour reconstituer ce qu'il fallait. Sans compter, j'allais dire aussi, la capacité à pouvoir organiser des chantiers qui impliquent jusqu'à 3000 intervenants. Donc je crois que cette rupture de demande pendant une génération est une bonne partie de l'explication des 17-18 ans. qu'il a fallu pour pouvoir réaliser le réacteur Olkiluoto 3 et puis Flamanville 3. Donc quand on compare la dizaine d'années qu'il a fallu pour construire les deux EPR chinois, ça peut illustrer cet aspect-là. C'est aussi intéressant de voir que, y compris aux Etats-Unis, j'allais dire nos collègues américains ont eu... aussi des difficultés pour construire les premiers AP-1000 sur leur sol. Et en particulier les deux réacteurs de la centrale de Vogel en Géorgie ont mis une dizaine d'années à se construire. Ils sont en train de démarrer l'année dernière et cette année. Et même un chantier équivalent dans la centrale de Sommer, qui est en Caroline du Sud, a été abandonné en 2017 à cause de retards dans la construction des réacteurs. Donc d'une certaine façon, cette perte de savoir-faire, cet effort à fournir pour pouvoir se remettre en capacité de pouvoir construire de façon très efficace les réacteurs nucléaires a été partagé par d'autres pays qui n'avaient pas eu de construction pendant une vingtaine d'années.

  • Franck Carré

    Je reviens un petit peu à l'histoire, toujours dans l'optique de ne pas dépendre d'autres pays. La France commence aussi à gérer son propre cycle du combustible. De l'extraction au recyclage en passant par l'enrichissement, tout est fait en France ?

  • Florian

    Donc effectivement, l'énergie nucléaire était devenue tellement importante en France, puisqu'on est allé jusqu'à produire 75% d'électricité d'origine nucléaire, que la France a souhaité maîtriser un peu l'ensemble du cycle du combustible. Donc depuis l'extraction... De l'uranium des mines, sa transformation, son enrichissement, la fabrication du combustible, la récupération et le traitement des combustibles usés, pour pouvoir séparer les matières réutilisables et les déchets ultimes vitrifiés en attente de descente dans le stockage géologique. Et aujourd'hui le seul maillon qui manque à ce cycle du combustible, c'est plutôt un maillon pour l'aval du cycle du combustible, c'est la création du stockage géologique de déchets de haute activité à vie longue. pour lequel une demande d'autorisation de création a été déposée en janvier 2023. Et si d'une certaine façon les autorisations sont données, ce stockage géologique devrait entrer en exploitation industrielle au tournant de l'année 2030.

  • Franck Carré

    Donc là vous faites référence au laboratoire de CIGEO. Dès le début de l'histoire du nucléaire civil, il est clair que les réacteurs à neutrons rapides sont la voie à suivre. C'est dit par Enrico Fermi. qui est à l'origine de la pile Chicago-Pile 1, dont on a parlé au début, dès 1945. C'est aussi dit par Francis Perrin, alors haut-commissaire du CE en 1950. On a donc très tôt cherché à en faire. J'ai déjà fait un épisode sur les réacteurs à neutrons rapides avec Tristan Camin, donc on ne va pas revenir dessus dans toutes les longueurs. Mais si vous pouvez peut-être déjà nous rappeler quels sont les avantages et les inconvénients par rapport à des réacteurs à eau pressurisée.

  • Florian

    L'utilisation de tout le potentiel énergétique de l'uranium par la conversion de l'uranium 238, qui représente 99% de l'uranium naturel, donc en plutonium, qui est un combustible fissile, qui peut être utilisé par les réacteurs à neutrons rapides. a, depuis l'origine du nucléaire, vraiment été un objectif très fort, et il le reste aujourd'hui. Sachant que les réacteurs à eau d'aujourd'hui utilisent essentiellement l'uranium 235, qui représente moins de 1% de la ressource uranium naturelle. Donc, très rapidement, après vraiment des travaux précurseurs aux Etats-Unis et en Union soviétique, la France, dans le courant de la décennie 1950, s'est attelée au développement de réacteurs à neutrons rapides. qui est passé par le réacteur expérimental Rhapsody sur le centre de Cadarache, puis le réacteur Phoenix de 250 MW électrique sur le centre de Marcoule, puis le réacteur Super Phoenix qui devait être une tête de série industrielle qui a démarré en 1986 sur le site de Cresmalville. Et cet effort, d'une certaine façon, a été intégré dans un effort européen. La France a coopéré avec le Royaume-Uni, avec... L'Allemagne avec l'Italie et il n'y a eu pas moins de sept installations expérimentales ou démonstrateurs réalisées en Europe de l'Ouest. L'essentiel des connaissances françaises sur les réacteurs à neutrons rapides provient de l'exploitation du réacteur Phoenix, qui a fonctionné pendant une trentaine d'années. Donc l'expérience acquise sur l'exploitation de ce type de réacteur, sur la physique et la modélisation de la physique du cœur de ce réacteur. Il y a également une expérience acquise sur les matériaux, sur le combustible, jusqu'à une expérience acquise sur le retraitement de combustible de ce réacteur et réutilisation. en tant que combustible de Phoenix. Le réacteur Superphénix a démarré dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis de l'énergie nucléaire. En particulier, 1986, c'était l'année de l'accident de Tchernobyl. Et donc, suite à des difficultés techniques, qui n'avaient rien de nucléaire, et à des difficultés réglementaires, il a été arrêté définitivement en 1997. Alors il est intéressant de voir que... Dans les dernières années, la mission qui était vue pour Superphénix n'était plus d'être une tête de série industrielle, mais d'être un réacteur de recherche et de développement visant à démontrer la façon dont les réacteurs à neutrons rapides pouvaient d'une certaine façon utiliser les matières nucléaires qui sont l'héritage du fonctionnement du parc actuel et pouvaient contribuer d'une certaine façon à minimiser les quantités. d'actinides, c'est-à-dire les quantités de matériaux du type uranium, plutonium, qui, s'ils ne sont pas réutilisés, sont susceptibles d'être destinés au stockage géologique profond.

  • Franck Carré

    Les déchets du parc Rep étaient... potentiellement destiné à être le combustible des réacteurs à neutrons rapides.

  • Florian

    C'est vraiment une particularité française d'avoir imaginé un type de réacteur à neutrons rapides qui, dans un premier temps de son fonctionnement, pouvait utiliser les matières qui pouvaient résulter du retraitement des combustibles usés du parc actuel et qui, le moment venu, en fonction du durcissement du marché de l'uranium, pouvait passer en mode régénérateur, voire surgénérateur. Et je crois que cette vision d'un réacteur à neutrons rapides pouvant utiliser la matière produite par l'exploitation du parc actuel a conduit la loi de 2006 consacrée à la gestion des matières et des déchets radioactifs à prévoir un paragraphe qui relançait les recherches sur les réacteurs à neutrons rapides. Et a conduit à soutenir un effort d'innovation. de portée internationale sur la filière qui s'est déroulée de 2009 à 2019.

  • Franck Carré

    Ça aurait allégé en quelque sorte la capacité de stockage en grande profondeur.

  • Florian

    Oui, mais la France était d'une certaine façon le seul pays à pouvoir imaginer ce scénario et ça a été rendu possible par la maîtrise industrielle du cycle du combustible. Et déjà la maîtrise industrielle du retraitement des combustibles des réacteurs à eau. et du recyclage du plutonium sous la forme de combustibles mixtes uranium-plutonium.

  • Franck Carré

    Aujourd'hui, on parle de plus en plus de réacteurs de quatrième génération. Est-ce que les réacteurs à neutrons rapides font partie potentiellement des designs de quatrième génération ?

  • Florian

    Oui, bien sûr. Les réacteurs de quatrième génération sont des réacteurs qui visent des performances qui dépassent celles qui sont accessibles aux réacteurs aujourd'hui. Et donc, en particulier, l'utilisation de la ressource uranium et donc la possibilité... D'utiliser complètement le potentiel énergétique de l'uranium fait partie des objectifs de la quatrième génération. Un autre objectif de la quatrième génération, c'est de pouvoir diversifier les productions d'énergie décarbonée, au-delà de l'électricité. Et donc, ces deux... volets d'apport du nucléaire du futur conduisent à ce que l'ensemble des filières de réacteurs à neutrons rapides font bien sûr partie des réacteurs de quatrième génération, que ce soit les réacteurs rapides refroidis au sodium, donc la filière historique, mais aussi d'une certaine façon les premières réalisations ou démonstrateurs qui sont actuellement envisagées ou faites avec un caloporteur plomb ou avec un refroidisseur gaz. voire également la transposition des réacteurs à sel fondu dans une version à neutrons rapides.

  • Franck Carré

    Quand vous dites pas qu'à l'électricité, c'est la chaleur pour l'industrie, par exemple ?

  • Florian

    Donc effectivement, le deuxième volet, c'est de pouvoir diversifier la production nucléaire au-delà de l'électricité. Ce n'est pas quelque chose de totalement nouveau parce qu'un certain nombre de réacteurs, en particulier en Union soviétique ou en Scandinavie, ont été utilisés pour la fourniture de chaleur, donc de chauffage urbain. Et quelques applications industrielles ont pu être faites déjà dès les années 1980. Un réacteur allemand, par exemple, a fourni de la chaleur pour exploiter les mines de sel, et donc en concentrant des saumures, utilisant la chaleur pour concentrer des saumures sur le site de Stade. Et le réacteur allemand a fait un travail de chaleur. L'acteur de boost au Canada a utilisé la chaleur pour distiller l'eau et pouvoir reproduire de l'eau lourde. Et donc aujourd'hui, la vision de la part du nucléaire dans l'effort de décarbonation de l'économie vise à s'attaquer également à d'autres fournitures énergétiques que l'électricité. L'électricité ne représente que 20% de la consommation finale d'énergie. Et donc il est important de voir ce que le... Le nucléaire peut faire en matière de production de chaleur, que ce soit de la chaleur domestique ou de chaleur industrielle. Donc pour des procédés, soit dans la capacité des réacteurs à eau, donc utilisant une chaleur inférieure à 300 degrés, soit, et c'est là qu'intervient la quatrième génération, finalement, des réacteurs à haute température, dont il a pu exister cinq prototypes. Sur le continent américain et continent européen, qui dans une vision modernisée aujourd'hui, pourrait s'ajouter à ce que peuvent faire les réacteurs à eau pour de la fourniture de chaleur industrielle à très haute température, donc 700°C, 800°C, pour des applications industrielles, y compris la production d'hydrogène, y compris la production de certains carburants de synthèse qui sont neutres du point de vue du CO2. Parce que élaborer à partir de CO2 récupéré auprès d'usines ou capté dans l'atmosphère ou élaborer à partir de biomasse.

  • Franck Carré

    Donc on a parlé des réacteurs à notre rapide, des HTR à très haute température. Est-ce qu'il y a d'autres filières qui vous semblent prometteuses pour l'avenir ?

  • Florian

    Je crois qu'il n'y a pas une filière miraculeuse. Et je crois qu'un exercice très intéressant s'est déroulé au début des années 2000. En fait, les Américains ont lancé un cadre de coopération multinationale qui s'appelle le Forum International Génération 4. Et donc, ils ont approché une dizaine de pays nucléaires qui s'intéressaient au nucléaire pour le long terme. Ce n'était pas uniquement une opération, j'allais dire, dénuée d'un certain intérêt pour savoir la façon dont les recherches avaient progressé dans ces différents pays. Mais d'une certaine façon, la France, je dirais qu'il sortait en fait d'une période assez... assez réservé sur le nucléaire, a beaucoup contribué à mettre ce cadre de coopération sur place. Et la France a beaucoup fait pour que dans le panorama des six réacteurs type qui ont été retenus comme réacteurs pouvant être importants pour le XXIe siècle, il y en ait au moins trois, voire quatre, qui soient des réacteurs à neutrons rapides. Et donc cette question, on va dire, d'utilisation complète du potentiel énergétique de l'uranium par les neutrons rapides, approchés, soit par les caloporteurs sodium, plomb, gaz, voire par la voie réacteur à sel fondu, font partie de ce panorama. Donc le réacteur à haute température également, qui avait déjà existé dans les années 60 à 80, dans une version modernisée, fait partie de la série des six réacteurs. Et je crois que ça illustre le fait qu'il n'y a pas une filière de réacteurs unique, on va dire, qui va répondre notamment aux fournitures d'énergie, et à la décarbonation de l'économie, que différents réacteurs peuvent avoir des vocations différentes. Et d'ailleurs, certains types de réacteurs peuvent avoir des technologies différentes, selon les pays, en fonction, on va dire, de l'historique et de la tradition industrielle de certains pays. Donc, je crois que les réacteurs à neutrons rapides, clairement, et ça a été vu dès le début, vous l'avez vu, et ça reste d'actualité, c'est-à-dire, ça reste une priorité extrêmement importante pour pouvoir bien utiliser le... Le potentiel de tout l'uranium, il y a des stocks extrêmement importants de matières nucléaires sur le sol national qui résultent de l'exploitation des parcs actuels.

  • Franck Carré

    Alors que le stock d'uranium naturel diminue d'année en année.

  • Florian

    Je pense qu'effectivement, on a plusieurs décennies, peut-être jusqu'au siècle, pour alimenter les réacteurs actuels. Mais d'une certaine façon, c'est vrai que la tension sur le marché est prévue et qu'il faut se préparer. à pouvoir passer de ces réacteurs thermiques qui utilisent l'uranium 235 à ces réacteurs neutrons rapides, et donc de travailler à la fois en améliorant la filière historique des réacteurs rapides sodium, mais aussi en participant en coopération internationale. Donc à l'évaluation et à des démonstrations sur d'autres approches des réacteurs neutrons rapides utilisant le plomb, le gaz ou les sels fondus. Pour compléter la réponse à votre question, les réacteurs à haute température ne sont pas à neutrons rapides et eux ont une autre vocation. Donc une vocation de décarboner la chaleur et décarboner certains processus industriels. Donc au-delà des gains en efficacité énergétique que l'on peut faire, voir ce qui se passe. Ce que le nucléaire, à côté peut-être des énergies renouvelables, peut faire pour décarboner la chaleur, qui reste nécessaire pour certains processus industriels, y compris la production de carburants de synthèse, sachant que les transports sont un secteur également très difficile à décarboner. Les énergies renouvelables solaires, éoliens, sont des énergies électriques, et même si la décarbonation passe par une électrification, il peut... tirer le meilleur parti de ces énergies. Les sources de production d'énergie décarbonée, autre que l'électricité, je pense sont un sujet de recherche très important, et en particulier de voir ce que le nucléaire peut apporter à ce domaine, et me semble encore très d'actualité.

  • Franck Carré

    Une question pour conclure. Au début de l'énergie nucléaire, dans les années 50 et 60, il jouissait quand même d'une image positive. Alors qu'il y avait eu Nagasaki, Hiroshima qui s'étaient passés à peine quelques années auparavant, et les prévisionnistes de l'époque prévoyaient que le nucléaire allait prendre une grande partie du mix énergétique mondial. Aujourd'hui, il représente 10% à peine du mix électrique mondial et il était à 15% en 2000. On verra dans le futur si jamais ce chiffre continue de baisser ou de grandir. Néanmoins, il y a quand même une période où il y a eu un rejet du nucléaire, notamment en Europe. Il y a eu des référendums qui ont été faits dans certains pays pour sortir du nucléaire. On l'a vu plus récemment encore avec l'Allemagne. Est-ce que vous pouvez nous donner votre ressenti sur ce fait-là ? Pourquoi le nucléaire l'a-t-il ? pas percé comme il aurait pu, ou n'a-t-il pas réellement décollé, si ce n'est dans quelques pays, dont la France.

  • Florian

    Moi je pense que le nucléaire a décollé et c'est intéressant de s'interroger sur les 10%. Je crois que les dernières années ont montré que le nucléaire était un atout pour la production d'énergie décarbonée et pas seulement pour la production d'électricité, en particulier parce qu'il produit une énergie décarbonée pilotable et qu'il permet de s'ajuster à la variabilité des productions renouvelables. Et donc de ce point de vue-là, je pense, et c'est certain, le nucléaire bénéficie d'un regain d'intérêt au cours de ces dernières années. Ensuite, je ne pense pas que le nucléaire ait une vocation universelle. Je pense que pour développer le nucléaire, il faut vraiment des infrastructures industrielles qui sont sophistiquées, il faut un cadre institutionnel et un cadre réglementaire qui est exigeant. Et d'une certaine façon, pour les pays qui viennent au nucléaire pour la première fois, l'Agence internationale de l'énergie atomique apporte une assistance à ces pays pour pouvoir créer le cadre dans lequel ils pourront exploiter les premières installations nucléaires en toute sûreté et sécurité. Donc je pense que pour ces raisons, d'une certaine façon, le nucléaire s'est développé dans des pays en particulier qui ont pu être intéressés par les applications duales avec le militaire. Et dans les pays qui ont su d'une certaine façon développer une industrie et une recherche dans le domaine qui a permis de faire prospecter ce type de réacteurs. Ensuite, 10%, c'est à la fois relativement peu, peut-être par rapport aux visions extrêmement ambitieuses qu'on avait dans les années 50 et 60, mais c'est quand même 400 gigawatts installés. Et conserver les 10% dans les projections de production d'électricité, en particulier de l'Agence internationale de l'énergie, avec un objectif de décarbonation à l'horizon 2050, donc conserver à peu près le nucléaire au niveau de 10%, c'est quand même 10%. mais avec une demande en électricité qui est multipliée par un facteur 2, voire 3. Donc c'est doubler, voire plus, la puissance nucléaire installée pour la production électronucléaire, voire peut-être la tripler selon le plaidoyer d'une vingtaine de pays nucléaires, donc en dehors de la confiance climatique de la COP 2028.

  • Franck Carré

    2023, mais la COP 28.

  • Florian

    Oui, la COP 28 de 2023. Donc, personnellement, je pense que la proportion d'électricité nucléaire pourrait progresser, mais bon, je veux dire, vraiment au cours de décennie, peut-être jusqu'à un niveau d'une vingtaine de pourcents. Et je pense qu'après 70 ans, l'énergie nucléaire a encore une belle page d'histoire à écrire devant elle. Je pense que le potentiel de progrès en termes d'innovation technologique, que ce soit en termes de matériaux, de procédés, de fabrication... En termes de diversité d'applications terrestres ou même spatiales, aujourd'hui on s'aperçoit que l'énergie nucléaire peut être essentielle pour des bases spatiales habitées ou la propulsion pour les applications spatiales. Je pense que l'énergie nucléaire a donc adopté le page d'histoire devant elle et je me réjouis personnellement de voir un certain nombre de startups s'intéresser à ces progrès. parce qu'elle stimule l'innovation dans un secteur que peut-être le coût des recherches et peut-être les exigences de sûreté ont pu rendre très conservateurs.

  • Franck Carré

    Sur cette note optimiste qu'on va conclure cette interview, merci Franck Carré.

  • Florian

    Merci. Merci.

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Description

En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité est produite en grande majorité par des centrales nucléaires. En regardant autour de nous, on se rend vite compte que c’est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son approvisionnement en énergie. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd’hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas-carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme lieu de tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui était à l’époque le réacteur le plus puissant d’Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, un ingénieur ayant travaillé pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L’histoire du nucléaire français, c’est le thème de ce nouvel épisode d’Échange Climatique



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Transcription

  • En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité provient en grande partie de centrales nucléaires. Mais en regardant autour de nous, on se rend compte que c'est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son mix énergétique. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd'hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme le tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui fut alors le réacteur le plus puissant d'Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, ingénieur pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L'histoire du nucléaire français, c'est le thème de ce nouvel épisode d'Échange Climatique. Bonjour Franck Carré. Bonjour Florian. Même si notre interview va se concentrer sur le côté français de l'histoire, on va commencer par un petit détour par les Etats-Unis. puisque c'est là-bas qu'a été construit le premier réacteur nucléaire pendant la guerre en 1942. Oui, effectivement. La divergence de la pile de Chicago, le 2 décembre 1942, a vraiment été l'événement fondateur de l'énergie nucléaire civile et militaire. Ça a vraiment été une preuve de principe et ça a été rendu possible en fait par une progression phénoménale des connaissances sur la structure de la matière qui a été acquise au cours de la première moitié du XXe siècle. Et jusqu'à la fin du XIXe siècle, c'est très surprenant, la vision de la matière était encore celle de Démocrite, quatre siècles avant Jésus-Christ, qui était celle d'une matière faite d'atomes, qui était la plus petite partie sécable d'un corps simple. Et en fait il a fallu la découverte de rayonnements émis par la matière pour que les scientifiques s'intéressent en fait à la matière et s'intéressent aussi à la structure des atomes qui constituaient cette matière. Alors ça a commencé par la découverte des rayons X avec Röntgen, puis la découverte des électrons avec Thomson et la découverte de la radioactivité avec Becquerel. Donc les deux premiers travaillaient sur des tubes de Crookes et s'intéressaient aux rayons cathodiques, tandis que Becquerel s'intéressait aux études sur la fluorescence avec des sels d'uranium. Et il avait constaté que ces sels d'uranium pouvaient impressionner des plaques photographiques dans l'obscurité. Et une connexion a été faite entre ces différentes recherches. A la fois, Thomson a permis d'interpréter les rayons du professeur Becquerel comme des rayons cathodiques. Et je crois que c'est Henri Poincaré qui a finalement identifié aussi ces rayons uraniques comme des rayons X. Röntgen a été le premier prix Nobel de physique en 1901. Ensuite, Becquerel a partagé avec Pierre-Himarie Curie, qui l'avait aidé dans ses recherches, le prix Nobel de physique en 1903. Et Thomson a eu le prix Nobel de physique en 1906 pour sa découverte des électrons. Mais encore à cette époque, la vision de la matière était extrêmement primitive, puisqu'en fait, Thomson lui-même voyait la matière comme un pudding aux prunes, plum pudding, avec des atomes qui étaient les prunes, qui étaient donc des sphères chargées positivement, qui contenaient des nuages d'électrons que l'on pouvait extraire. Donc électrons négatifs pour avoir une matière électriquement neutre. C'est vraiment Rutherford qui a montré qu'en fait l'atome avait été constitué d'un noyau de charge positive de dimension extrêmement petite. Et il a en fait fait ce constat en faisant une expérience qui consistait à projeter des particules alpha sur une feuille d'or extrêmement mince. Et il a constaté que la majorité des particules alpha n'étaient pas déviées, donc traversaient la feuille d'or. Et il a étudié la trajectoire des particules. qui a été déviée, ce qui lui a permis d'identifier les particules alpha au noyau d'hélium. pour cette découverte du noyau atomique chargé positivement. Et donc cette identification des particules alpha, il a eu le prix Nobel de chimie en 1908. Ensuite, Marie Curie a eu le prix Nobel de chimie en 1911 pour sa découverte et la séparation du polonium et du radium. Et c'est ensuite Niels Bohr qui, en 1913, a élaboré le premier modèle théorique d'atomes qui est encore aujourd'hui la base de l'effet. physique quantique, et qui s'est trouvé en pleine cohérence avec la table de Mendeleïev qui avait été élaborée vers 1870. Et donc Niels Bohr a eu le prix Nobel de physique en 1922. Ensuite, c'est l'anglais James Shedwick qui a découvert le neutron. En fait, il avait fait une expérience avec, sans le savoir, une source de neutrons qui était faite de polonium et de beryllium, et qu'il avait placé devant un bloc de paraffine, et il avait détecté des protons de l'autre côté. du bloc de paraffine, et il se demandait quelles particules, finalement, entraient dans le bloc de paraffine, et voyant qu'elles n'étaient pas sensibles aux champs magnétiques, il en a déduit qu'elles étaient neutres, du point de vue électrique, et il les a appelées neutrons. Il a eu le prix Nobel de physique en 1935 pour cette découverte. À partir de ce moment, les recherches ont aussi inclus, on va dire, des études de réaction nucléaire qui pouvaient être faites avec ces particules qui avaient été découvertes, particules alpha et neutrons. Et en particulier, Frédéric Joliot et Irène Curie ont eu le prix Nobel de chimie en 1935 pour leurs expériences de création d'éléments artificiels, radioactifs artificiels, en faisant réagir des particules alpha. du bord du magnésium et de l'aluminium. Dans la même veine, Enrico Fermi a eu le prix Nobel de physique en 1938 pour ses recherches sur les réactions nucléaires induites par les neutrons. La découverte de la fission a été faite à la fois par Otto Hahn et Lise Meitner. Otto Hahn, qui est le père de la chimie nucléaire en Allemagne, expérimentait des échantillons d'uranium sous flux de neutrons et il a détecté... du barium dans son échantillon. Et il a consulté sa collègue Lise Meitner, qui vraiment a été celle qui a compris le phénomène et a vraiment développé la théorie de la fission, avec une prédiction assez précise, en fait, de l'énergie dégagée par fission. Et donc, très malheureusement, j'allais dire, Sol Otohan, avec son assistant Fritz Strassmann, ont été distingués par le prix Nobel. Alors, à partir de De la découverte de la fission, dont on présumait qu'en plus de la génération de deux noyaux, elle pouvait également libérer des neutrons, vraiment la présomption de la possibilité d'une réaction en chaîne est apparue très concrète. Au point que certains physiciens, comme Frédéric Joliot, se sont appréciés de déposer des brevets secrets à proximité de la guerre pour expliquer, voire présenter, breveter les applications possibles de... de cette réaction en chaîne, et donc en mai 1939, Frédéric Joliot a déposé trois brevets. Deux concernant l'application de réactions en chaîne pour des systèmes de production d'énergie, et un concernant les applications de réactions en chaîne pour le renforcement des dispositifs explosifs. Donc on peut dire que dès 1940, l'ensemble du corpus scientifique existait pour pouvoir concevoir la pile de Fermi, mais je crois qu'il a vraiment fallu à la fois... Le talent de théoricien, le talent d'expérimentateur et d'ingénieur de Fermi et de ses collègues pour pouvoir concevoir, réaliser et faire fonctionner la pile de Chicago et la faire démarrer le 2 décembre 1942. Pourquoi on appelle ça une pile de ce qu'aujourd'hui on appelle des réacteurs nucléaires ? Parce que le premier réacteur qui a divergé dans le gymnase de l'université de Chicago, était en fait un empilement de graphite, d'uranium naturel métal et d'uranium oxyde. Donc en disant ça comme ça, ça laisse penser qu'il suffisait d'empiler des matériaux pour pouvoir créer les conditions pour déclencher une réaction en chaîne. Et en fait Fermi a vraiment expérimenté beaucoup de géométrie, beaucoup d'empilement et a vraiment développé une compréhension de la physique des réacteurs, donc en particulier en évaluant la façon dont les réacteurs se déclenchent. dont les neutrons pouvaient être réfléchis par le graphite et les configurations géométriques également de l'uranium pour pouvoir, avec les matériaux disponibles de l'époque, et en matière d'uranium c'était de l'uranium naturel, pouvoir vraiment créer un réacteur qui puisse entretenir une réaction en chaîne. Alors bon, qui a fonctionné à une puissance, je veux dire, ridicule. Je crois que c'était 0,5 W au début et au maximum ça a fonctionné à 200 W. Bon, évidemment il n'y avait pas de dispositif de refroidissement pour ce premier réacteur.

  • Florian

    Et il s'inscrit dans le programme Manhattan, ce réacteur, ce programme lancé par les États-Unis, alerté par notamment Einstein sur la possibilité que les Allemands en guerre préparent une bombe nucléaire. Quel était l'objectif du coup de ce réacteur ?

  • Franck Carré

    L'objectif de la pile de Chicago, c'était vraiment déjà de démontrer le principe d'une réaction en chaîne. A partir de ce moment-là, le programme Manhattan a investi dans des recherches sur la bombe sous d'autres directions, donc le rhénium enrichi, mais également la production de plutonium. Et donc le programme a suivi deux voies, mais le programme de la pile de Chicago a vraiment été à l'origine de la voie qui a conduit au réacteur modéré au graphite pour la production de plutonium. Donc la première réalisation à vocation plutonigène a été le réacteur X-10 près du laboratoire d'Oakridge. Et ensuite les descendants ont été les réacteurs sur le site de Hanford, donc les réacteurs... B, D et F qui ont été pour le premier, je crois, refroidis à l'air et ensuite refroidis à l'eau pour la production de plutonium. Et c'était des réacteurs qui déjà avaient une puissance de 250 mégawatts.

  • Florian

    En 1945, quelques années après la pile de Fermi et à la fin de la guerre, le président de l'époque, le général de Gaulle, crée le commissariat de l'énergie atomique, donc le CEA. Pour quoi faire ?

  • Franck Carré

    Effectivement, le général de Gaulle a créé le commissariat à l'énergie atomique sur la proposition de Raoul Dautry, qui avait été ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, et qui pensait que la création d'un tel établissement pourrait bénéficier à la reconstruction ainsi qu'au développement de l'armement. Et donc le général de Gaulle, par décret du 18 octobre 1945, a créé cet établissement en lui donnant une vocation d'études scientifiques et techniques pour l'utilisation de l'énergie nucléaire dans les domaines de l'industrie, de la science et de l'armement.

  • Florian

    Vous avez parlé de la pile Zoé, c'est une pile qui diverge, c'est-à-dire qu'elle démarre, pour parler dans le langage un peu plus courant, en 1948. C'est un peu notre Chicago Pile 1 à nous.

  • Franck Carré

    Oui, tout à fait. C'est la première démonstration de la possibilité d'entretien d'une réaction en chaîne sur le sol français, avec toutes les applications qu'elle permet.

  • Florian

    Donc, c'était un réacteur de quelle filière ? Et c'était un réacteur d'expérience qui avait les mêmes buts que la Chicago Pile dont vous avez parlé tout à l'heure ?

  • Franck Carré

    Donc, Zoé, comme le nom l'indique, c'était une pile à puissance zéro qui utilisait du combustible oxyde, donc uranium oxyde, et qui utilisait de l'eau lourde. Et donc on peut la voir comme, j'allais dire, vraiment le premier modèle très précurseur d'une filière à eau lourde refroidie à gaz, qui a pu conduire ensuite au réacteur EL2, puis au réacteur EL3, qui lui utilisait l'eau lourde à la fois comme refroidisseur et comme modérateur.

  • Florian

    Vous en avez brièvement parlé, EL3 diverge en 1957, nous nous trouvons actuellement sur le cœur de EL3, est-ce que vous avez quelques informations complémentaires à raconter sur ce réacteur en particulier ?

  • Franck Carré

    Sur ce réacteur, bon d'abord c'est un réacteur à haut-load, je crois qu'il utilisait l'eau lourde aussi comme caloporteur. Il a fonctionné jusqu'à une puissance de 18 MW, donc c'était une très forte puissance. Il a été beaucoup utilisé pour étudier, en plus de la physique du cœur. le comportement des matériaux, le comportement de combustible, ainsi que pour la production de radio-éléments et peut-être un peu pour la production de plutonium.

  • Florian

    Malgré ça, la filière à Oulourde va être abandonnée en France. Et en 1956, c'est le lancement d'une nouvelle filière, Uranium Naturel Gas Graphite, notamment avec la pile G1 qui diverge à Marcoule. Est-ce que vous pouvez nous raconter... En quoi consiste cette nouvelle filière et à quoi servait cette pile G1 ?

  • Franck Carré

    Donc en fait la pile G1 et les deux piles qui ont suivi sur le centre de Marcoux, le G2 et le G3, avaient pour vocation de produire du plutonium. Donc à partir d'uranium naturel et donc d'utilisation du graphite comme modérateur. Et donc c'était vraiment des réacteurs militaires destinés à la production de plutonium. Production de plutonium dont l'extraction a aussi été permise, c'est-à-dire la création d'un atelier pilote de Marcoux, puis la première usine de traitement des combustibles usés. Et ce qui est intéressant, c'est que la puissance de ces réacteurs, d'une certaine façon, appelait à la production d'énergie. Et que c'est EDF qui a proposé au CEA d'équiper ces réacteurs de turbines, de façon à pouvoir profiter de la puissance pour produire de l'électricité. Et en particulier, G2 et G3 ont produit jusqu'à une quarantaine de mégawatts. Donc c'était vraiment les premiers pas précurseurs de la filière uranium naturel graphite gaz. Donc, utilisant des uraniums naturels, utilisant le graphite comme modérateur et utilisant le gaz carbonique comme caloporteur.

  • Florian

    Et peu après, en 1963, EDF va construire ses premiers réacteurs nucléaires en France, qui seront donc de cette filière UNGG.

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, l'expérience acquise sur les réacteurs chinois des G3 a permis de développer d'abord les trois réacteurs de Chinon, qui ont eu une puissance qui s'est étagée d'une quarantaine de mégawatts jusqu'à presque 500 mégawatts, suivi par la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux avec deux réacteurs. de l'ordre de 500 MW, et puis un réacteur sur le site de budget, également de 500 MW. Donc ça fait six réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz.

  • Florian

    Donc le constat à l'époque, c'était qu'il n'y avait pas beaucoup de sources d'énergie en France, et que pour des questions de souveraineté énergétique, la France a voulu pousser cette technologie. Mais on va dire que c'était le cas quand même de beaucoup de pays. Autour, en Europe, il y a peu de pays qui ont des champs pétroliers. Pourquoi la France en particulier a lancé cette initiative, alors que je crois qu'en tout, il n'y a que six pays qui se sont lancés indépendamment des autres sur des filières de réacteurs nucléaires ? Qu'est-ce qui a fait qu'en France, on a pris cette voie ? Est-ce que c'était une volonté politique ? Est-ce que ça s'est un peu entremêlé avec le fait qu'on voulait la dissuasion après la guerre et donc de bout en bout, on est arrivé à produire l'électricité ? Comment ça s'est passé ?

  • Franck Carré

    Donc je crois qu'à la fin des années 60, il y avait une véritable préoccupation de sécurité énergétique déjà à l'époque. A l'époque, on produisait 80% de l'électricité par du pétrole et par du gaz qui étaient importés. Et donc que l'idée d'utiliser l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité est vraiment... est vraiment issue du souci de faire progresser la sécurité énergétique. Alors ensuite, le nucléaire en France, je crois, il y a peut-être cinq raisons qui ont conduit à ce qu'il se développe peut-être de façon plus importante que dans d'autres pays. Je pense que la participation de physiciens et de chimistes français, donc au développement des prémices qui ont pu conduire à l'énergie nucléaire, est un aspect. Je pense que les développements du haut, à la fois pour les applications militaires et pour le civil, ont pu constituer également un aspect favorable pour un investissement plus avancé dans cette filière. Ensuite, je pense que la gouvernance assez centralisée de la France permettait... le déploiement de certaines séries de réacteurs. Et bon, ça a été clairement le cas ultérieurement pour le déploiement du parc électronucléaire français, donc de réacteurs à eau, avec le plan Miesmer.

  • Florian

    Est-ce que vous pouvez en parler un peu plus sur ce point ? Pourquoi il faut que ce soit centralisé pour avoir des réacteurs nucléaires ?

  • Franck Carré

    Je crois que le caractère centralisé s'est révélé assez important déjà pour ce qui était de la décision de lancer ce plan. Et donc parce que d'une certaine façon il fallait pouvoir réunir à la fois les connaissances techniques acquises sur la filière, intégrer aussi la dimension militaire et pouvoir, ce que permettait à l'époque, décider des développements. industriel très important qui était bon pour la nation. Par ailleurs, ensuite le développement d'un programme électronucléaire nécessite une coordination extrêmement importante, à la fois pour déjà la réalisation des réacteurs eux-mêmes, et j'allais dire l'organisation de tout ce qui est le cycle du combustible. Et je crois que le mode d'organisation qui existait à l'époque, donc dans les années 70 pour le déploiement du parc électronucléaire, a vraiment été quelque chose de très important pour la réussite. du déploiement de ce parc. Si je peux ajouter deux autres aspects, je crois que le succès des industriels français aussi est à noter, en particulier pour ce qui concerne le parc électronucléaire. La filière avait été acquise par une licence américaine, donc de Wessinghaus. Et donc l'industriel français, concepteur et constructeur de chaudières, a dû travailler avec les connaissances apportées par Westinghouse dans un premier temps, et a dû d'une certaine façon, progressivement, se libérer de ses compétences. De même, EDF, je crois, a eu un rôle qui était très précieux, à la fois en tant qu'architecte ensemblier dans la conception des centrales, ainsi que dans l'exploitation des centrales. Donc je crois que... Le succès de l'industrie française a contribué bien sûr au succès du... Et si je peux terminer, mais en restant modeste, je pense que l'accompagnement en recherche avec des organismes comme le CEA, mais pas seulement. qui a soutenu en fait l'industrie nucléaire, y compris j'allais dire quand l'industrie nucléaire s'est affranchie de la licence américaine et où il a fallu développer des méthodes de calcul françaises pour pouvoir exploiter les réacteurs, en concevoir de nouveau, où il a fallu comprendre le comportement des matériaux, des combustibles, donc il a fallu développer en fait toutes ces disciplines au CEA.

  • Florian

    Oui,

  • Franck Carré

    notamment... que du combustible.

  • Florian

    Et puis il y a aussi une école du nucléaire qui a été créée assez rapidement, l'INSTN, qui d'ailleurs est juste à côté d'ici, qui a dû favoriser cet essor. Donc finalement, ces trois centrales UNGG dont on vient de parler seront les premières et les dernières, puisqu'à la fin des années 60, vous l'avez brièvement évoqué, mais la France fait le choix d'importer une licence de réacteur américain, c'est la technologie donc Wensinghaus. Et c'est encore une autre filière. Cette fois, c'est la filière des réacteurs à eau pressurisée. C'est un choix qui peut paraître de l'extérieur un peu à rebours des vérités de l'époque de gagner en souveraineté. Pourquoi ? Quels critères ont motivé la France à finalement quitter une filière qui était un peu maison pour une filière américaine ?

  • Franck Carré

    La filière des réacteurs à eau avait été expérimentée aux Etats-Unis. D'ailleurs, elle avait été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Donc en profitant de sa relative simplicité, du fait qu'à la fois le caloporteur, le refroidisseur est aussi le modérateur, et que ce modérateur est très efficace et donc permettait de réduire la taille du cœur et la taille du réacteur.

  • Florian

    Parce que les piles G1, G2, G3, on n'en a pas parlé, mais le graphite prend énormément de place et ils sont énormes.

  • Franck Carré

    Oui, parce que l'effet ralentisseur d'un neutron du graphite nécessite beaucoup plus de chocs et que le neutron parcourt des distances beaucoup plus importantes. Alors que pour l'eau, l'eau légère... Mais pour pouvoir utiliser de l'eau légère plutôt que de l'eau lourde, il fallait maîtriser l'enrichissement de l'uranium. Et donc, en fait, la filière des réacteurs à eau sous pression a été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Et donc, les... La perspective d'utilisation pour la production d'énergie civile avait déjà donné lieu à des expérimentations dans le réacteur de Shippingport, réacteur expérimental aux Etats-Unis, et à la réalisation d'une première centrale, Yankee Row, qui a démarré en 1960, et qui finalement a été la jumelle d'une première centrale construite en Europe, la centrale de Shaw A, dans les Ardennes. Donc Yankee Row avait fonctionné de façon satisfaisante depuis 1960. Depuis les années 1960, on avait d'une certaine façon montré de bonnes performances, à la fois techniques, voire peut-être déjà économiques. Et donc c'était déjà un atout pour pouvoir décider finalement de choisir la filière des réacteurs à eau pressurisée pour construire le parc français. Un autre argument a certainement été aussi la dualité qu'il pouvait y avoir entre cette technologie des réacteurs à eau et la technologie des réacteurs qui pouvaient. équiper les sous-marins nucléaires qui étaient une composante de la dissuasion nucléaire.

  • Florian

    Et donc avec le recul aujourd'hui, à force de constater que c'était quand même une... Bonne décision.

  • Franck Carré

    Avec le recul, oui, puisqu'en fait, sur les 400 et quelques réacteurs dans le monde qui fonctionnent, il y en a 70% qui sont des réacteurs à eau sous pression, plus une vingtaine de pourcents qui sont des réacteurs à eau bouillante. Donc c'est vraiment la filière qui, à quelques exceptions près, comme la filière des réacteurs à eau lourde canadien ou la filière RBMK dans le monde soviétique, ou quelques filières à eau lourde développées par les Indiens, Vraiment c'est répandu et constitue vraiment la très grande majorité des réacteurs de puissance qui fonctionnent aujourd'hui dans le monde. Et ça fonctionne tellement bien d'ailleurs que la nouvelle génération de réacteurs, ceux qui sont sur le marché actuellement, conservent cette technologie en optimisant l'ingénierie, en tirant parti des leçons qui ont pu être tirées, des difficultés d'exploitation de ces réacteurs et des accidents qui ont pu survenir.

  • Florian

    Donc début des années 70, EDF lance la construction. On est en train de faire la construction des premiers réacteurs à eau pressurisée. Et je crois que c'est Framatome qui a été créé à l'occasion, qui en construit tout ou partie. Est-ce que vous pouvez nous parler de la naissance de Framatome et de l'histoire sur ces premiers réacteurs qui, je crois, étaient à Fessenheim, les réacteurs qui ont fermé il y a deux, trois ans ?

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, Framatome était la société franco-américaine de construction atomique, qui a été créée en 1958. C'est une multinationale française dont la vocation était la conception et la construction de chaudières nucléaires. Et donc pour la construction des centrales françaises, qui constituent le parc électronucléaire, donc Framatome a travaillé avec EDF. qui était l'architecte ensemblier et Framatome, le fournisseur de la chaudière nucléaire. Framatome, à l'origine, était concepteur et réalisateur de chaudières nucléaires et a développé aussi des activités de fourniture de composants, voire de fourniture de combustibles, uranium, voire de services de maintenance et d'intervention sur les réacteurs à eau.

  • Florian

    Et en 1973, c'est le choc pétrolier. Et le gouvernement se dit qu'ils ont eu les creux en choisissant le nucléaire et lance le plan Mesmer. Est-ce que vous pouvez revenir sur les grandes dates de ce plan qui est devenu maintenant assez connu ?

  • Franck Carré

    Donc effectivement le plan Messmer décidé en 1973 a été lancé en 1974. Donc il a décidé d'ajouter d'autres réacteurs de 900 MW, donc de technologie Westinghouse, ce qui a apporté à 32 le nombre des réacteurs de 900 MW. Et à partir de 1982, le don Framato m'a souhaité s'affranchir de la licence de Westinghouse pour pouvoir... adapter la conception des réacteurs à eau sous pression donc au standard français ce qui lui a permis également d'extrapoler on va dire le produit d'origine de 900 mégawatts donc à des réacteurs de 1300 mégawatts dont une vingtaine ont été construits dans le parc français puis de porter la puissance à 1450 mégawatts avec le palier n 4 voire a conduit dans le cas d'une coopération franco-allemagne On a donc à concevoir le réacteur EPR qui est aujourd'hui sur le marché.

  • Florian

    Oui, et à exporter aussi des réacteurs à eau pressurisée avant même l'EPR dans d'autres pays, en Afrique du Sud, en Corée du Sud, en Chine. Très tôt, la France est passée d'importatrice en fait à exportatrice.

  • Franck Carré

    Oui, vous avez tout à fait raison. Le fait de s'affranchir de la licence Westinghouse a permis à Framatome de construire deux réacteurs en Belgique, deux réacteurs... de 900 mégawatts et d'accompagner, on va dire, une adaptation chinoise de ces réacteurs-là. Deux réacteurs en République de Corée et deux réacteurs en Afrique du Sud.

  • Florian

    Et donc au final, c'est 58 réacteurs qui ont été mis en service en à peine plus de 20 ans. Avec le recul, ça paraît... Très court, aujourd'hui il faut 20 ans pour construire un EPR. Comment on explique le fait que tout soit plus long, ou tout paraisse plus compliqué aujourd'hui ? Et peut-être que par la même occasion, vous pouvez expliquer ce que c'est qu'un EPR, puisque ce n'est pas vraiment la même chose qu'un réacteur à eau pressurisée. Donc un OPR, on va dire que c'est une version optimisée des réacteurs du parc actuel, et donc optimisée en fonction des leçons qui ont été tirées de l'exploitation du parc actuel, ainsi que des accidents. Et en particulier, c'est intéressant de voir que ces réacteurs de troisième génération, donc l'OPR et son principal concurrent, le réacteur AP1000 de Westinghouse, ont tiré les leçons de deux accidents nucléaires de nature différente, et ont tiré les leçons de façon différente. à Pémile, en fait, et le résultat, en fait, d'une expérience qui a été tirée de l'accident de Stream Isle Island en 1979, qui était un accident de refroidissement, et donc qui a... incité à faire évoluer les réacteurs à eau dans un sens qui utilisait davantage les systèmes passifs, donc des modes de fonctionnement ou en tout cas de mise en sûreté reposant sur des phénomènes passifs du type convection naturelle. Alors qu'en Europe...

  • Franck Carré

    Juste pour expliquer, c'est-à-dire qu'en cas de problème, il y a un système de sûreté qui se déclenche seul.

  • Florian

    D'une part, mais aussi l'accident de Stream Island avait été causé par un opérateur qui avait été sollicité en urgence et qui n'avait pas compris l'accident qui se déroulait dans son installation. Et donc, en fait, le club des électriciens américains avait vraiment réfléchi à des conceptions de réacteurs qui donneraient davantage de temps à un opérateur, au moins une demi-heure, pour lui permettre de mieux comprendre la situation. Et c'est ce qui avait conduit à, finalement, introduire certaines inerties thermiques avec des quantités d'eau ou à faire appel à des procédés de type évacuation de puissance par convection naturelle à alléger la sollicitation de l'opérateur. L'OPR est plutôt né d'une certaine façon des leçons de l'accident de Tchernobyl, qui était un réacteur soviétique et dont l'accident était un accident de réactivité, et c'était un réacteur qui n'avait pas d'enceinte de confinement. Et donc l'OPR a été conçu d'emblée avec un confinement renforcé, en particulier renforcé aussi pour récupérer des... Une partie de cœur qui pouvait être endommagée, mais en garantissant un confinement de la matière nucléaire, de façon à éviter tout effet à l'extérieur de l'enceinte de confinement. Et en fait, ces deux approches de réacteurs de troisième génération se trouvent aujourd'hui sur le marché, en concurrence, mais ayant, d'une certaine façon, traduit de façon différente les progrès attirés des leçons du passé.

  • Franck Carré

    Donc la paix, 1000 ? L'AP-1000, qui est un réacteur américain, s'est inspiré, ou plutôt a tiré les conclusions, de Freeman Allen qui s'est déroulé aux Etats-Unis. Et l'EPR, qui est un produit franco-allemand, s'est inspiré d'un événement qui s'est passé sur le sol européen.

  • Florian

    Oui, c'est ça. Mais j'ai oublié votre question précédente.

  • Franck Carré

    Ma question, c'était comment on explique qu'aujourd'hui, il faut 20 ans pour construire un EPR, alors qu'il en fallait 20 pour en construire 58.

  • Florian

    Je crois que ça illustre l'importance d'assurer une continuité dans des activités de haute technicité. Et que l'absence de demande de construction de réacteurs pendant une vingtaine d'années, en particulier en Europe de l'Ouest, a conduit, et donc une vingtaine d'années c'est une génération, a conduit finalement à un déficit de transmission, de connaissances, de compétences, de savoir-faire. A pu conduire aussi à des abandons, même si ce n'est que de certains maillons, de chaînes logistiques. Et je crois que l'expérience... La construction du réacteur d'Olkilu-Otto, de même que celui de Flamanville, a montré tous les efforts qu'il fallait pour reconstituer ce qu'il fallait. Sans compter, j'allais dire aussi, la capacité à pouvoir organiser des chantiers qui impliquent jusqu'à 3000 intervenants. Donc je crois que cette rupture de demande pendant une génération est une bonne partie de l'explication des 17-18 ans. qu'il a fallu pour pouvoir réaliser le réacteur Olkiluoto 3 et puis Flamanville 3. Donc quand on compare la dizaine d'années qu'il a fallu pour construire les deux EPR chinois, ça peut illustrer cet aspect-là. C'est aussi intéressant de voir que, y compris aux Etats-Unis, j'allais dire nos collègues américains ont eu... aussi des difficultés pour construire les premiers AP-1000 sur leur sol. Et en particulier les deux réacteurs de la centrale de Vogel en Géorgie ont mis une dizaine d'années à se construire. Ils sont en train de démarrer l'année dernière et cette année. Et même un chantier équivalent dans la centrale de Sommer, qui est en Caroline du Sud, a été abandonné en 2017 à cause de retards dans la construction des réacteurs. Donc d'une certaine façon, cette perte de savoir-faire, cet effort à fournir pour pouvoir se remettre en capacité de pouvoir construire de façon très efficace les réacteurs nucléaires a été partagé par d'autres pays qui n'avaient pas eu de construction pendant une vingtaine d'années.

  • Franck Carré

    Je reviens un petit peu à l'histoire, toujours dans l'optique de ne pas dépendre d'autres pays. La France commence aussi à gérer son propre cycle du combustible. De l'extraction au recyclage en passant par l'enrichissement, tout est fait en France ?

  • Florian

    Donc effectivement, l'énergie nucléaire était devenue tellement importante en France, puisqu'on est allé jusqu'à produire 75% d'électricité d'origine nucléaire, que la France a souhaité maîtriser un peu l'ensemble du cycle du combustible. Donc depuis l'extraction... De l'uranium des mines, sa transformation, son enrichissement, la fabrication du combustible, la récupération et le traitement des combustibles usés, pour pouvoir séparer les matières réutilisables et les déchets ultimes vitrifiés en attente de descente dans le stockage géologique. Et aujourd'hui le seul maillon qui manque à ce cycle du combustible, c'est plutôt un maillon pour l'aval du cycle du combustible, c'est la création du stockage géologique de déchets de haute activité à vie longue. pour lequel une demande d'autorisation de création a été déposée en janvier 2023. Et si d'une certaine façon les autorisations sont données, ce stockage géologique devrait entrer en exploitation industrielle au tournant de l'année 2030.

  • Franck Carré

    Donc là vous faites référence au laboratoire de CIGEO. Dès le début de l'histoire du nucléaire civil, il est clair que les réacteurs à neutrons rapides sont la voie à suivre. C'est dit par Enrico Fermi. qui est à l'origine de la pile Chicago-Pile 1, dont on a parlé au début, dès 1945. C'est aussi dit par Francis Perrin, alors haut-commissaire du CE en 1950. On a donc très tôt cherché à en faire. J'ai déjà fait un épisode sur les réacteurs à neutrons rapides avec Tristan Camin, donc on ne va pas revenir dessus dans toutes les longueurs. Mais si vous pouvez peut-être déjà nous rappeler quels sont les avantages et les inconvénients par rapport à des réacteurs à eau pressurisée.

  • Florian

    L'utilisation de tout le potentiel énergétique de l'uranium par la conversion de l'uranium 238, qui représente 99% de l'uranium naturel, donc en plutonium, qui est un combustible fissile, qui peut être utilisé par les réacteurs à neutrons rapides. a, depuis l'origine du nucléaire, vraiment été un objectif très fort, et il le reste aujourd'hui. Sachant que les réacteurs à eau d'aujourd'hui utilisent essentiellement l'uranium 235, qui représente moins de 1% de la ressource uranium naturelle. Donc, très rapidement, après vraiment des travaux précurseurs aux Etats-Unis et en Union soviétique, la France, dans le courant de la décennie 1950, s'est attelée au développement de réacteurs à neutrons rapides. qui est passé par le réacteur expérimental Rhapsody sur le centre de Cadarache, puis le réacteur Phoenix de 250 MW électrique sur le centre de Marcoule, puis le réacteur Super Phoenix qui devait être une tête de série industrielle qui a démarré en 1986 sur le site de Cresmalville. Et cet effort, d'une certaine façon, a été intégré dans un effort européen. La France a coopéré avec le Royaume-Uni, avec... L'Allemagne avec l'Italie et il n'y a eu pas moins de sept installations expérimentales ou démonstrateurs réalisées en Europe de l'Ouest. L'essentiel des connaissances françaises sur les réacteurs à neutrons rapides provient de l'exploitation du réacteur Phoenix, qui a fonctionné pendant une trentaine d'années. Donc l'expérience acquise sur l'exploitation de ce type de réacteur, sur la physique et la modélisation de la physique du cœur de ce réacteur. Il y a également une expérience acquise sur les matériaux, sur le combustible, jusqu'à une expérience acquise sur le retraitement de combustible de ce réacteur et réutilisation. en tant que combustible de Phoenix. Le réacteur Superphénix a démarré dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis de l'énergie nucléaire. En particulier, 1986, c'était l'année de l'accident de Tchernobyl. Et donc, suite à des difficultés techniques, qui n'avaient rien de nucléaire, et à des difficultés réglementaires, il a été arrêté définitivement en 1997. Alors il est intéressant de voir que... Dans les dernières années, la mission qui était vue pour Superphénix n'était plus d'être une tête de série industrielle, mais d'être un réacteur de recherche et de développement visant à démontrer la façon dont les réacteurs à neutrons rapides pouvaient d'une certaine façon utiliser les matières nucléaires qui sont l'héritage du fonctionnement du parc actuel et pouvaient contribuer d'une certaine façon à minimiser les quantités. d'actinides, c'est-à-dire les quantités de matériaux du type uranium, plutonium, qui, s'ils ne sont pas réutilisés, sont susceptibles d'être destinés au stockage géologique profond.

  • Franck Carré

    Les déchets du parc Rep étaient... potentiellement destiné à être le combustible des réacteurs à neutrons rapides.

  • Florian

    C'est vraiment une particularité française d'avoir imaginé un type de réacteur à neutrons rapides qui, dans un premier temps de son fonctionnement, pouvait utiliser les matières qui pouvaient résulter du retraitement des combustibles usés du parc actuel et qui, le moment venu, en fonction du durcissement du marché de l'uranium, pouvait passer en mode régénérateur, voire surgénérateur. Et je crois que cette vision d'un réacteur à neutrons rapides pouvant utiliser la matière produite par l'exploitation du parc actuel a conduit la loi de 2006 consacrée à la gestion des matières et des déchets radioactifs à prévoir un paragraphe qui relançait les recherches sur les réacteurs à neutrons rapides. Et a conduit à soutenir un effort d'innovation. de portée internationale sur la filière qui s'est déroulée de 2009 à 2019.

  • Franck Carré

    Ça aurait allégé en quelque sorte la capacité de stockage en grande profondeur.

  • Florian

    Oui, mais la France était d'une certaine façon le seul pays à pouvoir imaginer ce scénario et ça a été rendu possible par la maîtrise industrielle du cycle du combustible. Et déjà la maîtrise industrielle du retraitement des combustibles des réacteurs à eau. et du recyclage du plutonium sous la forme de combustibles mixtes uranium-plutonium.

  • Franck Carré

    Aujourd'hui, on parle de plus en plus de réacteurs de quatrième génération. Est-ce que les réacteurs à neutrons rapides font partie potentiellement des designs de quatrième génération ?

  • Florian

    Oui, bien sûr. Les réacteurs de quatrième génération sont des réacteurs qui visent des performances qui dépassent celles qui sont accessibles aux réacteurs aujourd'hui. Et donc, en particulier, l'utilisation de la ressource uranium et donc la possibilité... D'utiliser complètement le potentiel énergétique de l'uranium fait partie des objectifs de la quatrième génération. Un autre objectif de la quatrième génération, c'est de pouvoir diversifier les productions d'énergie décarbonée, au-delà de l'électricité. Et donc, ces deux... volets d'apport du nucléaire du futur conduisent à ce que l'ensemble des filières de réacteurs à neutrons rapides font bien sûr partie des réacteurs de quatrième génération, que ce soit les réacteurs rapides refroidis au sodium, donc la filière historique, mais aussi d'une certaine façon les premières réalisations ou démonstrateurs qui sont actuellement envisagées ou faites avec un caloporteur plomb ou avec un refroidisseur gaz. voire également la transposition des réacteurs à sel fondu dans une version à neutrons rapides.

  • Franck Carré

    Quand vous dites pas qu'à l'électricité, c'est la chaleur pour l'industrie, par exemple ?

  • Florian

    Donc effectivement, le deuxième volet, c'est de pouvoir diversifier la production nucléaire au-delà de l'électricité. Ce n'est pas quelque chose de totalement nouveau parce qu'un certain nombre de réacteurs, en particulier en Union soviétique ou en Scandinavie, ont été utilisés pour la fourniture de chaleur, donc de chauffage urbain. Et quelques applications industrielles ont pu être faites déjà dès les années 1980. Un réacteur allemand, par exemple, a fourni de la chaleur pour exploiter les mines de sel, et donc en concentrant des saumures, utilisant la chaleur pour concentrer des saumures sur le site de Stade. Et le réacteur allemand a fait un travail de chaleur. L'acteur de boost au Canada a utilisé la chaleur pour distiller l'eau et pouvoir reproduire de l'eau lourde. Et donc aujourd'hui, la vision de la part du nucléaire dans l'effort de décarbonation de l'économie vise à s'attaquer également à d'autres fournitures énergétiques que l'électricité. L'électricité ne représente que 20% de la consommation finale d'énergie. Et donc il est important de voir ce que le... Le nucléaire peut faire en matière de production de chaleur, que ce soit de la chaleur domestique ou de chaleur industrielle. Donc pour des procédés, soit dans la capacité des réacteurs à eau, donc utilisant une chaleur inférieure à 300 degrés, soit, et c'est là qu'intervient la quatrième génération, finalement, des réacteurs à haute température, dont il a pu exister cinq prototypes. Sur le continent américain et continent européen, qui dans une vision modernisée aujourd'hui, pourrait s'ajouter à ce que peuvent faire les réacteurs à eau pour de la fourniture de chaleur industrielle à très haute température, donc 700°C, 800°C, pour des applications industrielles, y compris la production d'hydrogène, y compris la production de certains carburants de synthèse qui sont neutres du point de vue du CO2. Parce que élaborer à partir de CO2 récupéré auprès d'usines ou capté dans l'atmosphère ou élaborer à partir de biomasse.

  • Franck Carré

    Donc on a parlé des réacteurs à notre rapide, des HTR à très haute température. Est-ce qu'il y a d'autres filières qui vous semblent prometteuses pour l'avenir ?

  • Florian

    Je crois qu'il n'y a pas une filière miraculeuse. Et je crois qu'un exercice très intéressant s'est déroulé au début des années 2000. En fait, les Américains ont lancé un cadre de coopération multinationale qui s'appelle le Forum International Génération 4. Et donc, ils ont approché une dizaine de pays nucléaires qui s'intéressaient au nucléaire pour le long terme. Ce n'était pas uniquement une opération, j'allais dire, dénuée d'un certain intérêt pour savoir la façon dont les recherches avaient progressé dans ces différents pays. Mais d'une certaine façon, la France, je dirais qu'il sortait en fait d'une période assez... assez réservé sur le nucléaire, a beaucoup contribué à mettre ce cadre de coopération sur place. Et la France a beaucoup fait pour que dans le panorama des six réacteurs type qui ont été retenus comme réacteurs pouvant être importants pour le XXIe siècle, il y en ait au moins trois, voire quatre, qui soient des réacteurs à neutrons rapides. Et donc cette question, on va dire, d'utilisation complète du potentiel énergétique de l'uranium par les neutrons rapides, approchés, soit par les caloporteurs sodium, plomb, gaz, voire par la voie réacteur à sel fondu, font partie de ce panorama. Donc le réacteur à haute température également, qui avait déjà existé dans les années 60 à 80, dans une version modernisée, fait partie de la série des six réacteurs. Et je crois que ça illustre le fait qu'il n'y a pas une filière de réacteurs unique, on va dire, qui va répondre notamment aux fournitures d'énergie, et à la décarbonation de l'économie, que différents réacteurs peuvent avoir des vocations différentes. Et d'ailleurs, certains types de réacteurs peuvent avoir des technologies différentes, selon les pays, en fonction, on va dire, de l'historique et de la tradition industrielle de certains pays. Donc, je crois que les réacteurs à neutrons rapides, clairement, et ça a été vu dès le début, vous l'avez vu, et ça reste d'actualité, c'est-à-dire, ça reste une priorité extrêmement importante pour pouvoir bien utiliser le... Le potentiel de tout l'uranium, il y a des stocks extrêmement importants de matières nucléaires sur le sol national qui résultent de l'exploitation des parcs actuels.

  • Franck Carré

    Alors que le stock d'uranium naturel diminue d'année en année.

  • Florian

    Je pense qu'effectivement, on a plusieurs décennies, peut-être jusqu'au siècle, pour alimenter les réacteurs actuels. Mais d'une certaine façon, c'est vrai que la tension sur le marché est prévue et qu'il faut se préparer. à pouvoir passer de ces réacteurs thermiques qui utilisent l'uranium 235 à ces réacteurs neutrons rapides, et donc de travailler à la fois en améliorant la filière historique des réacteurs rapides sodium, mais aussi en participant en coopération internationale. Donc à l'évaluation et à des démonstrations sur d'autres approches des réacteurs neutrons rapides utilisant le plomb, le gaz ou les sels fondus. Pour compléter la réponse à votre question, les réacteurs à haute température ne sont pas à neutrons rapides et eux ont une autre vocation. Donc une vocation de décarboner la chaleur et décarboner certains processus industriels. Donc au-delà des gains en efficacité énergétique que l'on peut faire, voir ce qui se passe. Ce que le nucléaire, à côté peut-être des énergies renouvelables, peut faire pour décarboner la chaleur, qui reste nécessaire pour certains processus industriels, y compris la production de carburants de synthèse, sachant que les transports sont un secteur également très difficile à décarboner. Les énergies renouvelables solaires, éoliens, sont des énergies électriques, et même si la décarbonation passe par une électrification, il peut... tirer le meilleur parti de ces énergies. Les sources de production d'énergie décarbonée, autre que l'électricité, je pense sont un sujet de recherche très important, et en particulier de voir ce que le nucléaire peut apporter à ce domaine, et me semble encore très d'actualité.

  • Franck Carré

    Une question pour conclure. Au début de l'énergie nucléaire, dans les années 50 et 60, il jouissait quand même d'une image positive. Alors qu'il y avait eu Nagasaki, Hiroshima qui s'étaient passés à peine quelques années auparavant, et les prévisionnistes de l'époque prévoyaient que le nucléaire allait prendre une grande partie du mix énergétique mondial. Aujourd'hui, il représente 10% à peine du mix électrique mondial et il était à 15% en 2000. On verra dans le futur si jamais ce chiffre continue de baisser ou de grandir. Néanmoins, il y a quand même une période où il y a eu un rejet du nucléaire, notamment en Europe. Il y a eu des référendums qui ont été faits dans certains pays pour sortir du nucléaire. On l'a vu plus récemment encore avec l'Allemagne. Est-ce que vous pouvez nous donner votre ressenti sur ce fait-là ? Pourquoi le nucléaire l'a-t-il ? pas percé comme il aurait pu, ou n'a-t-il pas réellement décollé, si ce n'est dans quelques pays, dont la France.

  • Florian

    Moi je pense que le nucléaire a décollé et c'est intéressant de s'interroger sur les 10%. Je crois que les dernières années ont montré que le nucléaire était un atout pour la production d'énergie décarbonée et pas seulement pour la production d'électricité, en particulier parce qu'il produit une énergie décarbonée pilotable et qu'il permet de s'ajuster à la variabilité des productions renouvelables. Et donc de ce point de vue-là, je pense, et c'est certain, le nucléaire bénéficie d'un regain d'intérêt au cours de ces dernières années. Ensuite, je ne pense pas que le nucléaire ait une vocation universelle. Je pense que pour développer le nucléaire, il faut vraiment des infrastructures industrielles qui sont sophistiquées, il faut un cadre institutionnel et un cadre réglementaire qui est exigeant. Et d'une certaine façon, pour les pays qui viennent au nucléaire pour la première fois, l'Agence internationale de l'énergie atomique apporte une assistance à ces pays pour pouvoir créer le cadre dans lequel ils pourront exploiter les premières installations nucléaires en toute sûreté et sécurité. Donc je pense que pour ces raisons, d'une certaine façon, le nucléaire s'est développé dans des pays en particulier qui ont pu être intéressés par les applications duales avec le militaire. Et dans les pays qui ont su d'une certaine façon développer une industrie et une recherche dans le domaine qui a permis de faire prospecter ce type de réacteurs. Ensuite, 10%, c'est à la fois relativement peu, peut-être par rapport aux visions extrêmement ambitieuses qu'on avait dans les années 50 et 60, mais c'est quand même 400 gigawatts installés. Et conserver les 10% dans les projections de production d'électricité, en particulier de l'Agence internationale de l'énergie, avec un objectif de décarbonation à l'horizon 2050, donc conserver à peu près le nucléaire au niveau de 10%, c'est quand même 10%. mais avec une demande en électricité qui est multipliée par un facteur 2, voire 3. Donc c'est doubler, voire plus, la puissance nucléaire installée pour la production électronucléaire, voire peut-être la tripler selon le plaidoyer d'une vingtaine de pays nucléaires, donc en dehors de la confiance climatique de la COP 2028.

  • Franck Carré

    2023, mais la COP 28.

  • Florian

    Oui, la COP 28 de 2023. Donc, personnellement, je pense que la proportion d'électricité nucléaire pourrait progresser, mais bon, je veux dire, vraiment au cours de décennie, peut-être jusqu'à un niveau d'une vingtaine de pourcents. Et je pense qu'après 70 ans, l'énergie nucléaire a encore une belle page d'histoire à écrire devant elle. Je pense que le potentiel de progrès en termes d'innovation technologique, que ce soit en termes de matériaux, de procédés, de fabrication... En termes de diversité d'applications terrestres ou même spatiales, aujourd'hui on s'aperçoit que l'énergie nucléaire peut être essentielle pour des bases spatiales habitées ou la propulsion pour les applications spatiales. Je pense que l'énergie nucléaire a donc adopté le page d'histoire devant elle et je me réjouis personnellement de voir un certain nombre de startups s'intéresser à ces progrès. parce qu'elle stimule l'innovation dans un secteur que peut-être le coût des recherches et peut-être les exigences de sûreté ont pu rendre très conservateurs.

  • Franck Carré

    Sur cette note optimiste qu'on va conclure cette interview, merci Franck Carré.

  • Florian

    Merci. Merci.

Description

En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité est produite en grande majorité par des centrales nucléaires. En regardant autour de nous, on se rend vite compte que c’est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son approvisionnement en énergie. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd’hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas-carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme lieu de tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui était à l’époque le réacteur le plus puissant d’Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, un ingénieur ayant travaillé pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L’histoire du nucléaire français, c’est le thème de ce nouvel épisode d’Échange Climatique



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Transcription

  • En France, nous sommes habitués au fait que notre électricité provient en grande partie de centrales nucléaires. Mais en regardant autour de nous, on se rend compte que c'est plutôt une exception. La France est tout simplement le pays au monde dont le nucléaire compose la plus grande partie de son mix énergétique. Dans cet épisode, on va essayer de comprendre par quel cheminement sommes-nous arrivés à cette singularité. Si aujourd'hui les défenseurs de cette énergie mettent en avant son caractère bas carbone, les raisons qui ont poussé à construire les premiers réacteurs sont bien différentes. Pour parler de cette histoire, on n'aurait pas pu mieux trouver comme le tournage que le bâtiment de la pile EL3 à Saclay. Pile qui a divergé en 1957 et qui fut alors le réacteur le plus puissant d'Europe. Et qui de mieux pour nous raconter tout cela que Franck Carré, ingénieur pendant plus de 40 ans au CEA dans la division nucléaire. L'histoire du nucléaire français, c'est le thème de ce nouvel épisode d'Échange Climatique. Bonjour Franck Carré. Bonjour Florian. Même si notre interview va se concentrer sur le côté français de l'histoire, on va commencer par un petit détour par les Etats-Unis. puisque c'est là-bas qu'a été construit le premier réacteur nucléaire pendant la guerre en 1942. Oui, effectivement. La divergence de la pile de Chicago, le 2 décembre 1942, a vraiment été l'événement fondateur de l'énergie nucléaire civile et militaire. Ça a vraiment été une preuve de principe et ça a été rendu possible en fait par une progression phénoménale des connaissances sur la structure de la matière qui a été acquise au cours de la première moitié du XXe siècle. Et jusqu'à la fin du XIXe siècle, c'est très surprenant, la vision de la matière était encore celle de Démocrite, quatre siècles avant Jésus-Christ, qui était celle d'une matière faite d'atomes, qui était la plus petite partie sécable d'un corps simple. Et en fait il a fallu la découverte de rayonnements émis par la matière pour que les scientifiques s'intéressent en fait à la matière et s'intéressent aussi à la structure des atomes qui constituaient cette matière. Alors ça a commencé par la découverte des rayons X avec Röntgen, puis la découverte des électrons avec Thomson et la découverte de la radioactivité avec Becquerel. Donc les deux premiers travaillaient sur des tubes de Crookes et s'intéressaient aux rayons cathodiques, tandis que Becquerel s'intéressait aux études sur la fluorescence avec des sels d'uranium. Et il avait constaté que ces sels d'uranium pouvaient impressionner des plaques photographiques dans l'obscurité. Et une connexion a été faite entre ces différentes recherches. A la fois, Thomson a permis d'interpréter les rayons du professeur Becquerel comme des rayons cathodiques. Et je crois que c'est Henri Poincaré qui a finalement identifié aussi ces rayons uraniques comme des rayons X. Röntgen a été le premier prix Nobel de physique en 1901. Ensuite, Becquerel a partagé avec Pierre-Himarie Curie, qui l'avait aidé dans ses recherches, le prix Nobel de physique en 1903. Et Thomson a eu le prix Nobel de physique en 1906 pour sa découverte des électrons. Mais encore à cette époque, la vision de la matière était extrêmement primitive, puisqu'en fait, Thomson lui-même voyait la matière comme un pudding aux prunes, plum pudding, avec des atomes qui étaient les prunes, qui étaient donc des sphères chargées positivement, qui contenaient des nuages d'électrons que l'on pouvait extraire. Donc électrons négatifs pour avoir une matière électriquement neutre. C'est vraiment Rutherford qui a montré qu'en fait l'atome avait été constitué d'un noyau de charge positive de dimension extrêmement petite. Et il a en fait fait ce constat en faisant une expérience qui consistait à projeter des particules alpha sur une feuille d'or extrêmement mince. Et il a constaté que la majorité des particules alpha n'étaient pas déviées, donc traversaient la feuille d'or. Et il a étudié la trajectoire des particules. qui a été déviée, ce qui lui a permis d'identifier les particules alpha au noyau d'hélium. pour cette découverte du noyau atomique chargé positivement. Et donc cette identification des particules alpha, il a eu le prix Nobel de chimie en 1908. Ensuite, Marie Curie a eu le prix Nobel de chimie en 1911 pour sa découverte et la séparation du polonium et du radium. Et c'est ensuite Niels Bohr qui, en 1913, a élaboré le premier modèle théorique d'atomes qui est encore aujourd'hui la base de l'effet. physique quantique, et qui s'est trouvé en pleine cohérence avec la table de Mendeleïev qui avait été élaborée vers 1870. Et donc Niels Bohr a eu le prix Nobel de physique en 1922. Ensuite, c'est l'anglais James Shedwick qui a découvert le neutron. En fait, il avait fait une expérience avec, sans le savoir, une source de neutrons qui était faite de polonium et de beryllium, et qu'il avait placé devant un bloc de paraffine, et il avait détecté des protons de l'autre côté. du bloc de paraffine, et il se demandait quelles particules, finalement, entraient dans le bloc de paraffine, et voyant qu'elles n'étaient pas sensibles aux champs magnétiques, il en a déduit qu'elles étaient neutres, du point de vue électrique, et il les a appelées neutrons. Il a eu le prix Nobel de physique en 1935 pour cette découverte. À partir de ce moment, les recherches ont aussi inclus, on va dire, des études de réaction nucléaire qui pouvaient être faites avec ces particules qui avaient été découvertes, particules alpha et neutrons. Et en particulier, Frédéric Joliot et Irène Curie ont eu le prix Nobel de chimie en 1935 pour leurs expériences de création d'éléments artificiels, radioactifs artificiels, en faisant réagir des particules alpha. du bord du magnésium et de l'aluminium. Dans la même veine, Enrico Fermi a eu le prix Nobel de physique en 1938 pour ses recherches sur les réactions nucléaires induites par les neutrons. La découverte de la fission a été faite à la fois par Otto Hahn et Lise Meitner. Otto Hahn, qui est le père de la chimie nucléaire en Allemagne, expérimentait des échantillons d'uranium sous flux de neutrons et il a détecté... du barium dans son échantillon. Et il a consulté sa collègue Lise Meitner, qui vraiment a été celle qui a compris le phénomène et a vraiment développé la théorie de la fission, avec une prédiction assez précise, en fait, de l'énergie dégagée par fission. Et donc, très malheureusement, j'allais dire, Sol Otohan, avec son assistant Fritz Strassmann, ont été distingués par le prix Nobel. Alors, à partir de De la découverte de la fission, dont on présumait qu'en plus de la génération de deux noyaux, elle pouvait également libérer des neutrons, vraiment la présomption de la possibilité d'une réaction en chaîne est apparue très concrète. Au point que certains physiciens, comme Frédéric Joliot, se sont appréciés de déposer des brevets secrets à proximité de la guerre pour expliquer, voire présenter, breveter les applications possibles de... de cette réaction en chaîne, et donc en mai 1939, Frédéric Joliot a déposé trois brevets. Deux concernant l'application de réactions en chaîne pour des systèmes de production d'énergie, et un concernant les applications de réactions en chaîne pour le renforcement des dispositifs explosifs. Donc on peut dire que dès 1940, l'ensemble du corpus scientifique existait pour pouvoir concevoir la pile de Fermi, mais je crois qu'il a vraiment fallu à la fois... Le talent de théoricien, le talent d'expérimentateur et d'ingénieur de Fermi et de ses collègues pour pouvoir concevoir, réaliser et faire fonctionner la pile de Chicago et la faire démarrer le 2 décembre 1942. Pourquoi on appelle ça une pile de ce qu'aujourd'hui on appelle des réacteurs nucléaires ? Parce que le premier réacteur qui a divergé dans le gymnase de l'université de Chicago, était en fait un empilement de graphite, d'uranium naturel métal et d'uranium oxyde. Donc en disant ça comme ça, ça laisse penser qu'il suffisait d'empiler des matériaux pour pouvoir créer les conditions pour déclencher une réaction en chaîne. Et en fait Fermi a vraiment expérimenté beaucoup de géométrie, beaucoup d'empilement et a vraiment développé une compréhension de la physique des réacteurs, donc en particulier en évaluant la façon dont les réacteurs se déclenchent. dont les neutrons pouvaient être réfléchis par le graphite et les configurations géométriques également de l'uranium pour pouvoir, avec les matériaux disponibles de l'époque, et en matière d'uranium c'était de l'uranium naturel, pouvoir vraiment créer un réacteur qui puisse entretenir une réaction en chaîne. Alors bon, qui a fonctionné à une puissance, je veux dire, ridicule. Je crois que c'était 0,5 W au début et au maximum ça a fonctionné à 200 W. Bon, évidemment il n'y avait pas de dispositif de refroidissement pour ce premier réacteur.

  • Florian

    Et il s'inscrit dans le programme Manhattan, ce réacteur, ce programme lancé par les États-Unis, alerté par notamment Einstein sur la possibilité que les Allemands en guerre préparent une bombe nucléaire. Quel était l'objectif du coup de ce réacteur ?

  • Franck Carré

    L'objectif de la pile de Chicago, c'était vraiment déjà de démontrer le principe d'une réaction en chaîne. A partir de ce moment-là, le programme Manhattan a investi dans des recherches sur la bombe sous d'autres directions, donc le rhénium enrichi, mais également la production de plutonium. Et donc le programme a suivi deux voies, mais le programme de la pile de Chicago a vraiment été à l'origine de la voie qui a conduit au réacteur modéré au graphite pour la production de plutonium. Donc la première réalisation à vocation plutonigène a été le réacteur X-10 près du laboratoire d'Oakridge. Et ensuite les descendants ont été les réacteurs sur le site de Hanford, donc les réacteurs... B, D et F qui ont été pour le premier, je crois, refroidis à l'air et ensuite refroidis à l'eau pour la production de plutonium. Et c'était des réacteurs qui déjà avaient une puissance de 250 mégawatts.

  • Florian

    En 1945, quelques années après la pile de Fermi et à la fin de la guerre, le président de l'époque, le général de Gaulle, crée le commissariat de l'énergie atomique, donc le CEA. Pour quoi faire ?

  • Franck Carré

    Effectivement, le général de Gaulle a créé le commissariat à l'énergie atomique sur la proposition de Raoul Dautry, qui avait été ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, et qui pensait que la création d'un tel établissement pourrait bénéficier à la reconstruction ainsi qu'au développement de l'armement. Et donc le général de Gaulle, par décret du 18 octobre 1945, a créé cet établissement en lui donnant une vocation d'études scientifiques et techniques pour l'utilisation de l'énergie nucléaire dans les domaines de l'industrie, de la science et de l'armement.

  • Florian

    Vous avez parlé de la pile Zoé, c'est une pile qui diverge, c'est-à-dire qu'elle démarre, pour parler dans le langage un peu plus courant, en 1948. C'est un peu notre Chicago Pile 1 à nous.

  • Franck Carré

    Oui, tout à fait. C'est la première démonstration de la possibilité d'entretien d'une réaction en chaîne sur le sol français, avec toutes les applications qu'elle permet.

  • Florian

    Donc, c'était un réacteur de quelle filière ? Et c'était un réacteur d'expérience qui avait les mêmes buts que la Chicago Pile dont vous avez parlé tout à l'heure ?

  • Franck Carré

    Donc, Zoé, comme le nom l'indique, c'était une pile à puissance zéro qui utilisait du combustible oxyde, donc uranium oxyde, et qui utilisait de l'eau lourde. Et donc on peut la voir comme, j'allais dire, vraiment le premier modèle très précurseur d'une filière à eau lourde refroidie à gaz, qui a pu conduire ensuite au réacteur EL2, puis au réacteur EL3, qui lui utilisait l'eau lourde à la fois comme refroidisseur et comme modérateur.

  • Florian

    Vous en avez brièvement parlé, EL3 diverge en 1957, nous nous trouvons actuellement sur le cœur de EL3, est-ce que vous avez quelques informations complémentaires à raconter sur ce réacteur en particulier ?

  • Franck Carré

    Sur ce réacteur, bon d'abord c'est un réacteur à haut-load, je crois qu'il utilisait l'eau lourde aussi comme caloporteur. Il a fonctionné jusqu'à une puissance de 18 MW, donc c'était une très forte puissance. Il a été beaucoup utilisé pour étudier, en plus de la physique du cœur. le comportement des matériaux, le comportement de combustible, ainsi que pour la production de radio-éléments et peut-être un peu pour la production de plutonium.

  • Florian

    Malgré ça, la filière à Oulourde va être abandonnée en France. Et en 1956, c'est le lancement d'une nouvelle filière, Uranium Naturel Gas Graphite, notamment avec la pile G1 qui diverge à Marcoule. Est-ce que vous pouvez nous raconter... En quoi consiste cette nouvelle filière et à quoi servait cette pile G1 ?

  • Franck Carré

    Donc en fait la pile G1 et les deux piles qui ont suivi sur le centre de Marcoux, le G2 et le G3, avaient pour vocation de produire du plutonium. Donc à partir d'uranium naturel et donc d'utilisation du graphite comme modérateur. Et donc c'était vraiment des réacteurs militaires destinés à la production de plutonium. Production de plutonium dont l'extraction a aussi été permise, c'est-à-dire la création d'un atelier pilote de Marcoux, puis la première usine de traitement des combustibles usés. Et ce qui est intéressant, c'est que la puissance de ces réacteurs, d'une certaine façon, appelait à la production d'énergie. Et que c'est EDF qui a proposé au CEA d'équiper ces réacteurs de turbines, de façon à pouvoir profiter de la puissance pour produire de l'électricité. Et en particulier, G2 et G3 ont produit jusqu'à une quarantaine de mégawatts. Donc c'était vraiment les premiers pas précurseurs de la filière uranium naturel graphite gaz. Donc, utilisant des uraniums naturels, utilisant le graphite comme modérateur et utilisant le gaz carbonique comme caloporteur.

  • Florian

    Et peu après, en 1963, EDF va construire ses premiers réacteurs nucléaires en France, qui seront donc de cette filière UNGG.

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, l'expérience acquise sur les réacteurs chinois des G3 a permis de développer d'abord les trois réacteurs de Chinon, qui ont eu une puissance qui s'est étagée d'une quarantaine de mégawatts jusqu'à presque 500 mégawatts, suivi par la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux avec deux réacteurs. de l'ordre de 500 MW, et puis un réacteur sur le site de budget, également de 500 MW. Donc ça fait six réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz.

  • Florian

    Donc le constat à l'époque, c'était qu'il n'y avait pas beaucoup de sources d'énergie en France, et que pour des questions de souveraineté énergétique, la France a voulu pousser cette technologie. Mais on va dire que c'était le cas quand même de beaucoup de pays. Autour, en Europe, il y a peu de pays qui ont des champs pétroliers. Pourquoi la France en particulier a lancé cette initiative, alors que je crois qu'en tout, il n'y a que six pays qui se sont lancés indépendamment des autres sur des filières de réacteurs nucléaires ? Qu'est-ce qui a fait qu'en France, on a pris cette voie ? Est-ce que c'était une volonté politique ? Est-ce que ça s'est un peu entremêlé avec le fait qu'on voulait la dissuasion après la guerre et donc de bout en bout, on est arrivé à produire l'électricité ? Comment ça s'est passé ?

  • Franck Carré

    Donc je crois qu'à la fin des années 60, il y avait une véritable préoccupation de sécurité énergétique déjà à l'époque. A l'époque, on produisait 80% de l'électricité par du pétrole et par du gaz qui étaient importés. Et donc que l'idée d'utiliser l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité est vraiment... est vraiment issue du souci de faire progresser la sécurité énergétique. Alors ensuite, le nucléaire en France, je crois, il y a peut-être cinq raisons qui ont conduit à ce qu'il se développe peut-être de façon plus importante que dans d'autres pays. Je pense que la participation de physiciens et de chimistes français, donc au développement des prémices qui ont pu conduire à l'énergie nucléaire, est un aspect. Je pense que les développements du haut, à la fois pour les applications militaires et pour le civil, ont pu constituer également un aspect favorable pour un investissement plus avancé dans cette filière. Ensuite, je pense que la gouvernance assez centralisée de la France permettait... le déploiement de certaines séries de réacteurs. Et bon, ça a été clairement le cas ultérieurement pour le déploiement du parc électronucléaire français, donc de réacteurs à eau, avec le plan Miesmer.

  • Florian

    Est-ce que vous pouvez en parler un peu plus sur ce point ? Pourquoi il faut que ce soit centralisé pour avoir des réacteurs nucléaires ?

  • Franck Carré

    Je crois que le caractère centralisé s'est révélé assez important déjà pour ce qui était de la décision de lancer ce plan. Et donc parce que d'une certaine façon il fallait pouvoir réunir à la fois les connaissances techniques acquises sur la filière, intégrer aussi la dimension militaire et pouvoir, ce que permettait à l'époque, décider des développements. industriel très important qui était bon pour la nation. Par ailleurs, ensuite le développement d'un programme électronucléaire nécessite une coordination extrêmement importante, à la fois pour déjà la réalisation des réacteurs eux-mêmes, et j'allais dire l'organisation de tout ce qui est le cycle du combustible. Et je crois que le mode d'organisation qui existait à l'époque, donc dans les années 70 pour le déploiement du parc électronucléaire, a vraiment été quelque chose de très important pour la réussite. du déploiement de ce parc. Si je peux ajouter deux autres aspects, je crois que le succès des industriels français aussi est à noter, en particulier pour ce qui concerne le parc électronucléaire. La filière avait été acquise par une licence américaine, donc de Wessinghaus. Et donc l'industriel français, concepteur et constructeur de chaudières, a dû travailler avec les connaissances apportées par Westinghouse dans un premier temps, et a dû d'une certaine façon, progressivement, se libérer de ses compétences. De même, EDF, je crois, a eu un rôle qui était très précieux, à la fois en tant qu'architecte ensemblier dans la conception des centrales, ainsi que dans l'exploitation des centrales. Donc je crois que... Le succès de l'industrie française a contribué bien sûr au succès du... Et si je peux terminer, mais en restant modeste, je pense que l'accompagnement en recherche avec des organismes comme le CEA, mais pas seulement. qui a soutenu en fait l'industrie nucléaire, y compris j'allais dire quand l'industrie nucléaire s'est affranchie de la licence américaine et où il a fallu développer des méthodes de calcul françaises pour pouvoir exploiter les réacteurs, en concevoir de nouveau, où il a fallu comprendre le comportement des matériaux, des combustibles, donc il a fallu développer en fait toutes ces disciplines au CEA.

  • Florian

    Oui,

  • Franck Carré

    notamment... que du combustible.

  • Florian

    Et puis il y a aussi une école du nucléaire qui a été créée assez rapidement, l'INSTN, qui d'ailleurs est juste à côté d'ici, qui a dû favoriser cet essor. Donc finalement, ces trois centrales UNGG dont on vient de parler seront les premières et les dernières, puisqu'à la fin des années 60, vous l'avez brièvement évoqué, mais la France fait le choix d'importer une licence de réacteur américain, c'est la technologie donc Wensinghaus. Et c'est encore une autre filière. Cette fois, c'est la filière des réacteurs à eau pressurisée. C'est un choix qui peut paraître de l'extérieur un peu à rebours des vérités de l'époque de gagner en souveraineté. Pourquoi ? Quels critères ont motivé la France à finalement quitter une filière qui était un peu maison pour une filière américaine ?

  • Franck Carré

    La filière des réacteurs à eau avait été expérimentée aux Etats-Unis. D'ailleurs, elle avait été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Donc en profitant de sa relative simplicité, du fait qu'à la fois le caloporteur, le refroidisseur est aussi le modérateur, et que ce modérateur est très efficace et donc permettait de réduire la taille du cœur et la taille du réacteur.

  • Florian

    Parce que les piles G1, G2, G3, on n'en a pas parlé, mais le graphite prend énormément de place et ils sont énormes.

  • Franck Carré

    Oui, parce que l'effet ralentisseur d'un neutron du graphite nécessite beaucoup plus de chocs et que le neutron parcourt des distances beaucoup plus importantes. Alors que pour l'eau, l'eau légère... Mais pour pouvoir utiliser de l'eau légère plutôt que de l'eau lourde, il fallait maîtriser l'enrichissement de l'uranium. Et donc, en fait, la filière des réacteurs à eau sous pression a été développée pour équiper les sous-marins nucléaires. Et donc, les... La perspective d'utilisation pour la production d'énergie civile avait déjà donné lieu à des expérimentations dans le réacteur de Shippingport, réacteur expérimental aux Etats-Unis, et à la réalisation d'une première centrale, Yankee Row, qui a démarré en 1960, et qui finalement a été la jumelle d'une première centrale construite en Europe, la centrale de Shaw A, dans les Ardennes. Donc Yankee Row avait fonctionné de façon satisfaisante depuis 1960. Depuis les années 1960, on avait d'une certaine façon montré de bonnes performances, à la fois techniques, voire peut-être déjà économiques. Et donc c'était déjà un atout pour pouvoir décider finalement de choisir la filière des réacteurs à eau pressurisée pour construire le parc français. Un autre argument a certainement été aussi la dualité qu'il pouvait y avoir entre cette technologie des réacteurs à eau et la technologie des réacteurs qui pouvaient. équiper les sous-marins nucléaires qui étaient une composante de la dissuasion nucléaire.

  • Florian

    Et donc avec le recul aujourd'hui, à force de constater que c'était quand même une... Bonne décision.

  • Franck Carré

    Avec le recul, oui, puisqu'en fait, sur les 400 et quelques réacteurs dans le monde qui fonctionnent, il y en a 70% qui sont des réacteurs à eau sous pression, plus une vingtaine de pourcents qui sont des réacteurs à eau bouillante. Donc c'est vraiment la filière qui, à quelques exceptions près, comme la filière des réacteurs à eau lourde canadien ou la filière RBMK dans le monde soviétique, ou quelques filières à eau lourde développées par les Indiens, Vraiment c'est répandu et constitue vraiment la très grande majorité des réacteurs de puissance qui fonctionnent aujourd'hui dans le monde. Et ça fonctionne tellement bien d'ailleurs que la nouvelle génération de réacteurs, ceux qui sont sur le marché actuellement, conservent cette technologie en optimisant l'ingénierie, en tirant parti des leçons qui ont pu être tirées, des difficultés d'exploitation de ces réacteurs et des accidents qui ont pu survenir.

  • Florian

    Donc début des années 70, EDF lance la construction. On est en train de faire la construction des premiers réacteurs à eau pressurisée. Et je crois que c'est Framatome qui a été créé à l'occasion, qui en construit tout ou partie. Est-ce que vous pouvez nous parler de la naissance de Framatome et de l'histoire sur ces premiers réacteurs qui, je crois, étaient à Fessenheim, les réacteurs qui ont fermé il y a deux, trois ans ?

  • Franck Carré

    Oui, donc effectivement, Framatome était la société franco-américaine de construction atomique, qui a été créée en 1958. C'est une multinationale française dont la vocation était la conception et la construction de chaudières nucléaires. Et donc pour la construction des centrales françaises, qui constituent le parc électronucléaire, donc Framatome a travaillé avec EDF. qui était l'architecte ensemblier et Framatome, le fournisseur de la chaudière nucléaire. Framatome, à l'origine, était concepteur et réalisateur de chaudières nucléaires et a développé aussi des activités de fourniture de composants, voire de fourniture de combustibles, uranium, voire de services de maintenance et d'intervention sur les réacteurs à eau.

  • Florian

    Et en 1973, c'est le choc pétrolier. Et le gouvernement se dit qu'ils ont eu les creux en choisissant le nucléaire et lance le plan Mesmer. Est-ce que vous pouvez revenir sur les grandes dates de ce plan qui est devenu maintenant assez connu ?

  • Franck Carré

    Donc effectivement le plan Messmer décidé en 1973 a été lancé en 1974. Donc il a décidé d'ajouter d'autres réacteurs de 900 MW, donc de technologie Westinghouse, ce qui a apporté à 32 le nombre des réacteurs de 900 MW. Et à partir de 1982, le don Framato m'a souhaité s'affranchir de la licence de Westinghouse pour pouvoir... adapter la conception des réacteurs à eau sous pression donc au standard français ce qui lui a permis également d'extrapoler on va dire le produit d'origine de 900 mégawatts donc à des réacteurs de 1300 mégawatts dont une vingtaine ont été construits dans le parc français puis de porter la puissance à 1450 mégawatts avec le palier n 4 voire a conduit dans le cas d'une coopération franco-allemagne On a donc à concevoir le réacteur EPR qui est aujourd'hui sur le marché.

  • Florian

    Oui, et à exporter aussi des réacteurs à eau pressurisée avant même l'EPR dans d'autres pays, en Afrique du Sud, en Corée du Sud, en Chine. Très tôt, la France est passée d'importatrice en fait à exportatrice.

  • Franck Carré

    Oui, vous avez tout à fait raison. Le fait de s'affranchir de la licence Westinghouse a permis à Framatome de construire deux réacteurs en Belgique, deux réacteurs... de 900 mégawatts et d'accompagner, on va dire, une adaptation chinoise de ces réacteurs-là. Deux réacteurs en République de Corée et deux réacteurs en Afrique du Sud.

  • Florian

    Et donc au final, c'est 58 réacteurs qui ont été mis en service en à peine plus de 20 ans. Avec le recul, ça paraît... Très court, aujourd'hui il faut 20 ans pour construire un EPR. Comment on explique le fait que tout soit plus long, ou tout paraisse plus compliqué aujourd'hui ? Et peut-être que par la même occasion, vous pouvez expliquer ce que c'est qu'un EPR, puisque ce n'est pas vraiment la même chose qu'un réacteur à eau pressurisée. Donc un OPR, on va dire que c'est une version optimisée des réacteurs du parc actuel, et donc optimisée en fonction des leçons qui ont été tirées de l'exploitation du parc actuel, ainsi que des accidents. Et en particulier, c'est intéressant de voir que ces réacteurs de troisième génération, donc l'OPR et son principal concurrent, le réacteur AP1000 de Westinghouse, ont tiré les leçons de deux accidents nucléaires de nature différente, et ont tiré les leçons de façon différente. à Pémile, en fait, et le résultat, en fait, d'une expérience qui a été tirée de l'accident de Stream Isle Island en 1979, qui était un accident de refroidissement, et donc qui a... incité à faire évoluer les réacteurs à eau dans un sens qui utilisait davantage les systèmes passifs, donc des modes de fonctionnement ou en tout cas de mise en sûreté reposant sur des phénomènes passifs du type convection naturelle. Alors qu'en Europe...

  • Franck Carré

    Juste pour expliquer, c'est-à-dire qu'en cas de problème, il y a un système de sûreté qui se déclenche seul.

  • Florian

    D'une part, mais aussi l'accident de Stream Island avait été causé par un opérateur qui avait été sollicité en urgence et qui n'avait pas compris l'accident qui se déroulait dans son installation. Et donc, en fait, le club des électriciens américains avait vraiment réfléchi à des conceptions de réacteurs qui donneraient davantage de temps à un opérateur, au moins une demi-heure, pour lui permettre de mieux comprendre la situation. Et c'est ce qui avait conduit à, finalement, introduire certaines inerties thermiques avec des quantités d'eau ou à faire appel à des procédés de type évacuation de puissance par convection naturelle à alléger la sollicitation de l'opérateur. L'OPR est plutôt né d'une certaine façon des leçons de l'accident de Tchernobyl, qui était un réacteur soviétique et dont l'accident était un accident de réactivité, et c'était un réacteur qui n'avait pas d'enceinte de confinement. Et donc l'OPR a été conçu d'emblée avec un confinement renforcé, en particulier renforcé aussi pour récupérer des... Une partie de cœur qui pouvait être endommagée, mais en garantissant un confinement de la matière nucléaire, de façon à éviter tout effet à l'extérieur de l'enceinte de confinement. Et en fait, ces deux approches de réacteurs de troisième génération se trouvent aujourd'hui sur le marché, en concurrence, mais ayant, d'une certaine façon, traduit de façon différente les progrès attirés des leçons du passé.

  • Franck Carré

    Donc la paix, 1000 ? L'AP-1000, qui est un réacteur américain, s'est inspiré, ou plutôt a tiré les conclusions, de Freeman Allen qui s'est déroulé aux Etats-Unis. Et l'EPR, qui est un produit franco-allemand, s'est inspiré d'un événement qui s'est passé sur le sol européen.

  • Florian

    Oui, c'est ça. Mais j'ai oublié votre question précédente.

  • Franck Carré

    Ma question, c'était comment on explique qu'aujourd'hui, il faut 20 ans pour construire un EPR, alors qu'il en fallait 20 pour en construire 58.

  • Florian

    Je crois que ça illustre l'importance d'assurer une continuité dans des activités de haute technicité. Et que l'absence de demande de construction de réacteurs pendant une vingtaine d'années, en particulier en Europe de l'Ouest, a conduit, et donc une vingtaine d'années c'est une génération, a conduit finalement à un déficit de transmission, de connaissances, de compétences, de savoir-faire. A pu conduire aussi à des abandons, même si ce n'est que de certains maillons, de chaînes logistiques. Et je crois que l'expérience... La construction du réacteur d'Olkilu-Otto, de même que celui de Flamanville, a montré tous les efforts qu'il fallait pour reconstituer ce qu'il fallait. Sans compter, j'allais dire aussi, la capacité à pouvoir organiser des chantiers qui impliquent jusqu'à 3000 intervenants. Donc je crois que cette rupture de demande pendant une génération est une bonne partie de l'explication des 17-18 ans. qu'il a fallu pour pouvoir réaliser le réacteur Olkiluoto 3 et puis Flamanville 3. Donc quand on compare la dizaine d'années qu'il a fallu pour construire les deux EPR chinois, ça peut illustrer cet aspect-là. C'est aussi intéressant de voir que, y compris aux Etats-Unis, j'allais dire nos collègues américains ont eu... aussi des difficultés pour construire les premiers AP-1000 sur leur sol. Et en particulier les deux réacteurs de la centrale de Vogel en Géorgie ont mis une dizaine d'années à se construire. Ils sont en train de démarrer l'année dernière et cette année. Et même un chantier équivalent dans la centrale de Sommer, qui est en Caroline du Sud, a été abandonné en 2017 à cause de retards dans la construction des réacteurs. Donc d'une certaine façon, cette perte de savoir-faire, cet effort à fournir pour pouvoir se remettre en capacité de pouvoir construire de façon très efficace les réacteurs nucléaires a été partagé par d'autres pays qui n'avaient pas eu de construction pendant une vingtaine d'années.

  • Franck Carré

    Je reviens un petit peu à l'histoire, toujours dans l'optique de ne pas dépendre d'autres pays. La France commence aussi à gérer son propre cycle du combustible. De l'extraction au recyclage en passant par l'enrichissement, tout est fait en France ?

  • Florian

    Donc effectivement, l'énergie nucléaire était devenue tellement importante en France, puisqu'on est allé jusqu'à produire 75% d'électricité d'origine nucléaire, que la France a souhaité maîtriser un peu l'ensemble du cycle du combustible. Donc depuis l'extraction... De l'uranium des mines, sa transformation, son enrichissement, la fabrication du combustible, la récupération et le traitement des combustibles usés, pour pouvoir séparer les matières réutilisables et les déchets ultimes vitrifiés en attente de descente dans le stockage géologique. Et aujourd'hui le seul maillon qui manque à ce cycle du combustible, c'est plutôt un maillon pour l'aval du cycle du combustible, c'est la création du stockage géologique de déchets de haute activité à vie longue. pour lequel une demande d'autorisation de création a été déposée en janvier 2023. Et si d'une certaine façon les autorisations sont données, ce stockage géologique devrait entrer en exploitation industrielle au tournant de l'année 2030.

  • Franck Carré

    Donc là vous faites référence au laboratoire de CIGEO. Dès le début de l'histoire du nucléaire civil, il est clair que les réacteurs à neutrons rapides sont la voie à suivre. C'est dit par Enrico Fermi. qui est à l'origine de la pile Chicago-Pile 1, dont on a parlé au début, dès 1945. C'est aussi dit par Francis Perrin, alors haut-commissaire du CE en 1950. On a donc très tôt cherché à en faire. J'ai déjà fait un épisode sur les réacteurs à neutrons rapides avec Tristan Camin, donc on ne va pas revenir dessus dans toutes les longueurs. Mais si vous pouvez peut-être déjà nous rappeler quels sont les avantages et les inconvénients par rapport à des réacteurs à eau pressurisée.

  • Florian

    L'utilisation de tout le potentiel énergétique de l'uranium par la conversion de l'uranium 238, qui représente 99% de l'uranium naturel, donc en plutonium, qui est un combustible fissile, qui peut être utilisé par les réacteurs à neutrons rapides. a, depuis l'origine du nucléaire, vraiment été un objectif très fort, et il le reste aujourd'hui. Sachant que les réacteurs à eau d'aujourd'hui utilisent essentiellement l'uranium 235, qui représente moins de 1% de la ressource uranium naturelle. Donc, très rapidement, après vraiment des travaux précurseurs aux Etats-Unis et en Union soviétique, la France, dans le courant de la décennie 1950, s'est attelée au développement de réacteurs à neutrons rapides. qui est passé par le réacteur expérimental Rhapsody sur le centre de Cadarache, puis le réacteur Phoenix de 250 MW électrique sur le centre de Marcoule, puis le réacteur Super Phoenix qui devait être une tête de série industrielle qui a démarré en 1986 sur le site de Cresmalville. Et cet effort, d'une certaine façon, a été intégré dans un effort européen. La France a coopéré avec le Royaume-Uni, avec... L'Allemagne avec l'Italie et il n'y a eu pas moins de sept installations expérimentales ou démonstrateurs réalisées en Europe de l'Ouest. L'essentiel des connaissances françaises sur les réacteurs à neutrons rapides provient de l'exploitation du réacteur Phoenix, qui a fonctionné pendant une trentaine d'années. Donc l'expérience acquise sur l'exploitation de ce type de réacteur, sur la physique et la modélisation de la physique du cœur de ce réacteur. Il y a également une expérience acquise sur les matériaux, sur le combustible, jusqu'à une expérience acquise sur le retraitement de combustible de ce réacteur et réutilisation. en tant que combustible de Phoenix. Le réacteur Superphénix a démarré dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis de l'énergie nucléaire. En particulier, 1986, c'était l'année de l'accident de Tchernobyl. Et donc, suite à des difficultés techniques, qui n'avaient rien de nucléaire, et à des difficultés réglementaires, il a été arrêté définitivement en 1997. Alors il est intéressant de voir que... Dans les dernières années, la mission qui était vue pour Superphénix n'était plus d'être une tête de série industrielle, mais d'être un réacteur de recherche et de développement visant à démontrer la façon dont les réacteurs à neutrons rapides pouvaient d'une certaine façon utiliser les matières nucléaires qui sont l'héritage du fonctionnement du parc actuel et pouvaient contribuer d'une certaine façon à minimiser les quantités. d'actinides, c'est-à-dire les quantités de matériaux du type uranium, plutonium, qui, s'ils ne sont pas réutilisés, sont susceptibles d'être destinés au stockage géologique profond.

  • Franck Carré

    Les déchets du parc Rep étaient... potentiellement destiné à être le combustible des réacteurs à neutrons rapides.

  • Florian

    C'est vraiment une particularité française d'avoir imaginé un type de réacteur à neutrons rapides qui, dans un premier temps de son fonctionnement, pouvait utiliser les matières qui pouvaient résulter du retraitement des combustibles usés du parc actuel et qui, le moment venu, en fonction du durcissement du marché de l'uranium, pouvait passer en mode régénérateur, voire surgénérateur. Et je crois que cette vision d'un réacteur à neutrons rapides pouvant utiliser la matière produite par l'exploitation du parc actuel a conduit la loi de 2006 consacrée à la gestion des matières et des déchets radioactifs à prévoir un paragraphe qui relançait les recherches sur les réacteurs à neutrons rapides. Et a conduit à soutenir un effort d'innovation. de portée internationale sur la filière qui s'est déroulée de 2009 à 2019.

  • Franck Carré

    Ça aurait allégé en quelque sorte la capacité de stockage en grande profondeur.

  • Florian

    Oui, mais la France était d'une certaine façon le seul pays à pouvoir imaginer ce scénario et ça a été rendu possible par la maîtrise industrielle du cycle du combustible. Et déjà la maîtrise industrielle du retraitement des combustibles des réacteurs à eau. et du recyclage du plutonium sous la forme de combustibles mixtes uranium-plutonium.

  • Franck Carré

    Aujourd'hui, on parle de plus en plus de réacteurs de quatrième génération. Est-ce que les réacteurs à neutrons rapides font partie potentiellement des designs de quatrième génération ?

  • Florian

    Oui, bien sûr. Les réacteurs de quatrième génération sont des réacteurs qui visent des performances qui dépassent celles qui sont accessibles aux réacteurs aujourd'hui. Et donc, en particulier, l'utilisation de la ressource uranium et donc la possibilité... D'utiliser complètement le potentiel énergétique de l'uranium fait partie des objectifs de la quatrième génération. Un autre objectif de la quatrième génération, c'est de pouvoir diversifier les productions d'énergie décarbonée, au-delà de l'électricité. Et donc, ces deux... volets d'apport du nucléaire du futur conduisent à ce que l'ensemble des filières de réacteurs à neutrons rapides font bien sûr partie des réacteurs de quatrième génération, que ce soit les réacteurs rapides refroidis au sodium, donc la filière historique, mais aussi d'une certaine façon les premières réalisations ou démonstrateurs qui sont actuellement envisagées ou faites avec un caloporteur plomb ou avec un refroidisseur gaz. voire également la transposition des réacteurs à sel fondu dans une version à neutrons rapides.

  • Franck Carré

    Quand vous dites pas qu'à l'électricité, c'est la chaleur pour l'industrie, par exemple ?

  • Florian

    Donc effectivement, le deuxième volet, c'est de pouvoir diversifier la production nucléaire au-delà de l'électricité. Ce n'est pas quelque chose de totalement nouveau parce qu'un certain nombre de réacteurs, en particulier en Union soviétique ou en Scandinavie, ont été utilisés pour la fourniture de chaleur, donc de chauffage urbain. Et quelques applications industrielles ont pu être faites déjà dès les années 1980. Un réacteur allemand, par exemple, a fourni de la chaleur pour exploiter les mines de sel, et donc en concentrant des saumures, utilisant la chaleur pour concentrer des saumures sur le site de Stade. Et le réacteur allemand a fait un travail de chaleur. L'acteur de boost au Canada a utilisé la chaleur pour distiller l'eau et pouvoir reproduire de l'eau lourde. Et donc aujourd'hui, la vision de la part du nucléaire dans l'effort de décarbonation de l'économie vise à s'attaquer également à d'autres fournitures énergétiques que l'électricité. L'électricité ne représente que 20% de la consommation finale d'énergie. Et donc il est important de voir ce que le... Le nucléaire peut faire en matière de production de chaleur, que ce soit de la chaleur domestique ou de chaleur industrielle. Donc pour des procédés, soit dans la capacité des réacteurs à eau, donc utilisant une chaleur inférieure à 300 degrés, soit, et c'est là qu'intervient la quatrième génération, finalement, des réacteurs à haute température, dont il a pu exister cinq prototypes. Sur le continent américain et continent européen, qui dans une vision modernisée aujourd'hui, pourrait s'ajouter à ce que peuvent faire les réacteurs à eau pour de la fourniture de chaleur industrielle à très haute température, donc 700°C, 800°C, pour des applications industrielles, y compris la production d'hydrogène, y compris la production de certains carburants de synthèse qui sont neutres du point de vue du CO2. Parce que élaborer à partir de CO2 récupéré auprès d'usines ou capté dans l'atmosphère ou élaborer à partir de biomasse.

  • Franck Carré

    Donc on a parlé des réacteurs à notre rapide, des HTR à très haute température. Est-ce qu'il y a d'autres filières qui vous semblent prometteuses pour l'avenir ?

  • Florian

    Je crois qu'il n'y a pas une filière miraculeuse. Et je crois qu'un exercice très intéressant s'est déroulé au début des années 2000. En fait, les Américains ont lancé un cadre de coopération multinationale qui s'appelle le Forum International Génération 4. Et donc, ils ont approché une dizaine de pays nucléaires qui s'intéressaient au nucléaire pour le long terme. Ce n'était pas uniquement une opération, j'allais dire, dénuée d'un certain intérêt pour savoir la façon dont les recherches avaient progressé dans ces différents pays. Mais d'une certaine façon, la France, je dirais qu'il sortait en fait d'une période assez... assez réservé sur le nucléaire, a beaucoup contribué à mettre ce cadre de coopération sur place. Et la France a beaucoup fait pour que dans le panorama des six réacteurs type qui ont été retenus comme réacteurs pouvant être importants pour le XXIe siècle, il y en ait au moins trois, voire quatre, qui soient des réacteurs à neutrons rapides. Et donc cette question, on va dire, d'utilisation complète du potentiel énergétique de l'uranium par les neutrons rapides, approchés, soit par les caloporteurs sodium, plomb, gaz, voire par la voie réacteur à sel fondu, font partie de ce panorama. Donc le réacteur à haute température également, qui avait déjà existé dans les années 60 à 80, dans une version modernisée, fait partie de la série des six réacteurs. Et je crois que ça illustre le fait qu'il n'y a pas une filière de réacteurs unique, on va dire, qui va répondre notamment aux fournitures d'énergie, et à la décarbonation de l'économie, que différents réacteurs peuvent avoir des vocations différentes. Et d'ailleurs, certains types de réacteurs peuvent avoir des technologies différentes, selon les pays, en fonction, on va dire, de l'historique et de la tradition industrielle de certains pays. Donc, je crois que les réacteurs à neutrons rapides, clairement, et ça a été vu dès le début, vous l'avez vu, et ça reste d'actualité, c'est-à-dire, ça reste une priorité extrêmement importante pour pouvoir bien utiliser le... Le potentiel de tout l'uranium, il y a des stocks extrêmement importants de matières nucléaires sur le sol national qui résultent de l'exploitation des parcs actuels.

  • Franck Carré

    Alors que le stock d'uranium naturel diminue d'année en année.

  • Florian

    Je pense qu'effectivement, on a plusieurs décennies, peut-être jusqu'au siècle, pour alimenter les réacteurs actuels. Mais d'une certaine façon, c'est vrai que la tension sur le marché est prévue et qu'il faut se préparer. à pouvoir passer de ces réacteurs thermiques qui utilisent l'uranium 235 à ces réacteurs neutrons rapides, et donc de travailler à la fois en améliorant la filière historique des réacteurs rapides sodium, mais aussi en participant en coopération internationale. Donc à l'évaluation et à des démonstrations sur d'autres approches des réacteurs neutrons rapides utilisant le plomb, le gaz ou les sels fondus. Pour compléter la réponse à votre question, les réacteurs à haute température ne sont pas à neutrons rapides et eux ont une autre vocation. Donc une vocation de décarboner la chaleur et décarboner certains processus industriels. Donc au-delà des gains en efficacité énergétique que l'on peut faire, voir ce qui se passe. Ce que le nucléaire, à côté peut-être des énergies renouvelables, peut faire pour décarboner la chaleur, qui reste nécessaire pour certains processus industriels, y compris la production de carburants de synthèse, sachant que les transports sont un secteur également très difficile à décarboner. Les énergies renouvelables solaires, éoliens, sont des énergies électriques, et même si la décarbonation passe par une électrification, il peut... tirer le meilleur parti de ces énergies. Les sources de production d'énergie décarbonée, autre que l'électricité, je pense sont un sujet de recherche très important, et en particulier de voir ce que le nucléaire peut apporter à ce domaine, et me semble encore très d'actualité.

  • Franck Carré

    Une question pour conclure. Au début de l'énergie nucléaire, dans les années 50 et 60, il jouissait quand même d'une image positive. Alors qu'il y avait eu Nagasaki, Hiroshima qui s'étaient passés à peine quelques années auparavant, et les prévisionnistes de l'époque prévoyaient que le nucléaire allait prendre une grande partie du mix énergétique mondial. Aujourd'hui, il représente 10% à peine du mix électrique mondial et il était à 15% en 2000. On verra dans le futur si jamais ce chiffre continue de baisser ou de grandir. Néanmoins, il y a quand même une période où il y a eu un rejet du nucléaire, notamment en Europe. Il y a eu des référendums qui ont été faits dans certains pays pour sortir du nucléaire. On l'a vu plus récemment encore avec l'Allemagne. Est-ce que vous pouvez nous donner votre ressenti sur ce fait-là ? Pourquoi le nucléaire l'a-t-il ? pas percé comme il aurait pu, ou n'a-t-il pas réellement décollé, si ce n'est dans quelques pays, dont la France.

  • Florian

    Moi je pense que le nucléaire a décollé et c'est intéressant de s'interroger sur les 10%. Je crois que les dernières années ont montré que le nucléaire était un atout pour la production d'énergie décarbonée et pas seulement pour la production d'électricité, en particulier parce qu'il produit une énergie décarbonée pilotable et qu'il permet de s'ajuster à la variabilité des productions renouvelables. Et donc de ce point de vue-là, je pense, et c'est certain, le nucléaire bénéficie d'un regain d'intérêt au cours de ces dernières années. Ensuite, je ne pense pas que le nucléaire ait une vocation universelle. Je pense que pour développer le nucléaire, il faut vraiment des infrastructures industrielles qui sont sophistiquées, il faut un cadre institutionnel et un cadre réglementaire qui est exigeant. Et d'une certaine façon, pour les pays qui viennent au nucléaire pour la première fois, l'Agence internationale de l'énergie atomique apporte une assistance à ces pays pour pouvoir créer le cadre dans lequel ils pourront exploiter les premières installations nucléaires en toute sûreté et sécurité. Donc je pense que pour ces raisons, d'une certaine façon, le nucléaire s'est développé dans des pays en particulier qui ont pu être intéressés par les applications duales avec le militaire. Et dans les pays qui ont su d'une certaine façon développer une industrie et une recherche dans le domaine qui a permis de faire prospecter ce type de réacteurs. Ensuite, 10%, c'est à la fois relativement peu, peut-être par rapport aux visions extrêmement ambitieuses qu'on avait dans les années 50 et 60, mais c'est quand même 400 gigawatts installés. Et conserver les 10% dans les projections de production d'électricité, en particulier de l'Agence internationale de l'énergie, avec un objectif de décarbonation à l'horizon 2050, donc conserver à peu près le nucléaire au niveau de 10%, c'est quand même 10%. mais avec une demande en électricité qui est multipliée par un facteur 2, voire 3. Donc c'est doubler, voire plus, la puissance nucléaire installée pour la production électronucléaire, voire peut-être la tripler selon le plaidoyer d'une vingtaine de pays nucléaires, donc en dehors de la confiance climatique de la COP 2028.

  • Franck Carré

    2023, mais la COP 28.

  • Florian

    Oui, la COP 28 de 2023. Donc, personnellement, je pense que la proportion d'électricité nucléaire pourrait progresser, mais bon, je veux dire, vraiment au cours de décennie, peut-être jusqu'à un niveau d'une vingtaine de pourcents. Et je pense qu'après 70 ans, l'énergie nucléaire a encore une belle page d'histoire à écrire devant elle. Je pense que le potentiel de progrès en termes d'innovation technologique, que ce soit en termes de matériaux, de procédés, de fabrication... En termes de diversité d'applications terrestres ou même spatiales, aujourd'hui on s'aperçoit que l'énergie nucléaire peut être essentielle pour des bases spatiales habitées ou la propulsion pour les applications spatiales. Je pense que l'énergie nucléaire a donc adopté le page d'histoire devant elle et je me réjouis personnellement de voir un certain nombre de startups s'intéresser à ces progrès. parce qu'elle stimule l'innovation dans un secteur que peut-être le coût des recherches et peut-être les exigences de sûreté ont pu rendre très conservateurs.

  • Franck Carré

    Sur cette note optimiste qu'on va conclure cette interview, merci Franck Carré.

  • Florian

    Merci. Merci.

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