- Speaker #0
en mode impact.
- Speaker #1
Le podcast où l'on explore les grands défis de notre temps et surtout les solutions qui y répondent. Changer d'assiette, peut-il vraiment guérir l'homme et la planète ?
- Speaker #0
La question de qu'est-ce qu'on va manger demain est devenue une vraie question. On ne s'était plus trop posé cette question depuis l'après-guerre, maintenant ça devient une vraie question.
- Speaker #2
Dans le petit village que j'habitais près de Sergi Pantoise, il y avait trois fermes avec... de la production polyculture élevage. Aujourd'hui, ces fermes, il n'y en a plus qu'une, et il n'y a plus d'élevage.
- Speaker #0
Aujourd'hui, le gaspillage, c'est 120 grammes en moyenne par assiette. La restauration collective, c'est 3 herbus à 380 tous les jours.
- Speaker #2
Le mot consommateur responsable renvoie aux autres l'idée que c'est des consommateurs irresponsables.
- Speaker #1
Dans cet épisode, on commence par ce qui façonne notre quotidien trois fois par jour, notre assiette. Alimentation, santé, climat, et si tout était lié. Allez, on passe en mode impact. Existe-t-il une assiette idéale, bonne pour nous et pour la planète ? Et au fond, qui décide vraiment de ce que l'on mange ? Est-ce nous, les consommateurs, nos élus, les distributeurs ou les agriculteurs ?
- Speaker #2
J'ai commencé par travailler au ministère de l'Environnement et j'ai toujours fait des allers-retours entre la recherche et les politiques publiques.
- Speaker #1
Pour y voir plus clair sur les failles et les conséquences de notre système agricole et alimentaire, on accueille l'expert de cet épisode, Sébastien Treyer, directeur de l'IDRI, l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales.
- Speaker #2
Moi, je dois dire que ce qui m'intéresse, c'est à la fois une vraie conviction que les limites de la planète sont vraiment, qu'elles existent, que notre planète est vraiment limitée, notre écosystème est limité et que... Depuis la révolution industrielle, on est en train de dépasser ces limites de la planète. Donc il y a vraiment une espèce d'inquiétude fondamentale sur l'impossibilité de l'humanité de coexister avec notre écosystème planétaire si on détruit tout. Mais j'avoue que ce qui me motive encore plus, c'est que derrière cette question des limites planétaires, il y a des questions d'inégalité sociale fondamentale. Le pire scénario, c'est que la dégradation environnementale, ça va accroître les inégalités d'une manière terrible. Et puis, les ressources devenant rares, il y a une appropriation des ressources par ceux qui en ont le plus de moyens, qui est assez catastrophique. Et si on pense à certains courants américains, j'allais dire transhumanistes, eux, leur principe, c'est de faire du survivalisme et de rester les derniers qui peuvent survivre sur une planète dégradée. Et c'est ce scénario-là que j'aimerais contrer. Et donc, c'est vraiment ça qui me motive. Dans le système alimentaire actuel, j'allais dire qu'une des questions principales est une question de santé, santé publique sur la question de la nutrition. On a un système alimentaire qui a été hyper efficace pour augmenter les quantités produites depuis la moitié du XXe siècle. C'est un système alimentaire qui produit énormément de calories et qui a augmenté la production agricole mondiale plus vite que la croissance démographique. Donc très efficace pour produire beaucoup de calories, beaucoup de calories sans intérêt nutritionnel. C'est-à-dire pas mal de gens qui ont des déficiences nutritionnelles sur des nutriments essentiels, au-delà des calories, et puis des situations d'obésité majeure. Mais il ne faut surtout pas oublier que par ailleurs, il y a des questions de santé des agriculteurs qui sont énormes. Comment ça se fait que dans le débat public, on ne parle pas suffisamment des problèmes de santé des agriculteurs par leur exposition aux pesticides ? Et puis, il y a d'autres enjeux de santé qui sont liés au fait qu'à la qualité de l'eau se dégrade. Une métropole comme Paris, pour essayer d'apporter de l'eau de qualité à ses habitants, est toujours obligée d'aller chercher plus loin des captages d'eau potable, parce qu'en fait, les nappes phréatiques où on puisait l'eau sont... polluée par des nitrates, des pesticides, et donc on ferme des captages et on va toujours plus loin. Par ailleurs, je voudrais souligner deux choses dont on parle beaucoup. D'un côté, des questions de biodiversité. Elle se dégrade très fortement, la diversité des espèces et des écosystèmes, parce que le système alimentaire qu'on a construit par la révolution agricole, ce qu'on appelle la révolution verte du milieu du XXe siècle, Ça a beaucoup simplifié les paysages, on peut penser au remembrement qui a évacué plein de haies pour faire passer des machines et des moissonneuses batteuses. Ça a beaucoup permis l'industrialisation de l'agriculture, mais ça a complètement changé nos écosystèmes agricoles. Mais c'est aussi la spécialisation des grandes régions. Quand j'étais petit, dans les années 70-80, autour de Paris, dans le petit village que j'habitais près de Sergi Pantoise, il y avait trois fermes avec de la production polyculture élevage, avec des vaches. Aujourd'hui, ces fermes, il n'y en a plus qu'une. et il n'y a plus d'élevage. Dans tout le bassin parisien, on s'est spécialisé sur la production végétale, en Bretagne sur la production animale. En fait, ces spécialisations créent aussi des effets qui sont extrêmement dommageables. Tout ça, c'est des facteurs de pression sur la biodiversité qui sont absolument majeurs. On a dans les élevages des ruminants qui émettent du méthane. Les engrais chimiques qu'on met en agriculture sont produits avec du gaz, d'ailleurs du gaz russe assez souvent. Et donc il y a une dépendance à des marchés hyper volatiles et puis des émissions de gaz à effet de serre qui sont liées à la production des fertilisants azotés. Et puis quand on applique ces engrais, que ce soit du fumier organique, de l'élevage ou des engrais chimiques, Il y a une partie qui se volatilise et là on a un autre gaz, des oxydes d'azote qui sont aussi des gaz à effet de serre. Et donc l'agriculture, elle fait de la pression environnementale sur l'eau, sur la biodiversité, sur le changement climatique. Mais ce que je trouve très important d'avoir en tête, c'est que l'agriculture, elle est aussi très dépendante de ces éléments-là. Le changement climatique qui est en cours, il a un impact très fort sur l'agriculture, les sécheresses, la rareté de l'eau. des températures trop élevées ou trop froides, des événements extrêmes, de la grêle, des tempêtes. Et donc, un des grands enjeux de l'agriculture, c'est de trouver des formes win-win, j'allais dire. Les sols agricoles, ce n'est pas juste un substrat sur lequel on vient poser du blé. Il y a une vie incroyable dans les sols. Et en fait, on est en train de la tuer. Il faut en fait trouver un autre modèle que celui qu'on avait inventé avec la révolution agricole du XXe siècle.
- Speaker #1
Des ressources qui s'épuisent, une biodiversité en chute libre, et pendant ce temps, une population mondiale qui file tout droit vers les 10 milliards d'habitants d'ici 2100, si les projections des Nations Unies disent vrai. Ça nous laisse avec la question qui fâche. Comment nourrir tout le monde sans détruire la planète ?
- Speaker #2
En fait, ça fait quand même depuis les années 2000 qu'on se pose des questions prospectives sur... Moi, j'avais travaillé sur des exercices qui étaient est-ce qu'en 2050, on va pouvoir nourrir 9 milliards d'habitants ? Aujourd'hui on se pose la question est-ce qu'en 2100 on va pouvoir nourrir 10 milliards d'habitants ? Alors je ne sais même pas si les projections démographiques sont exactes à 10 milliards ou 9 milliards. Ce qui est sûr c'est qu'il y a encore plusieurs milliards qui vont devoir être ajoutés à la population mondiale vu les projections démographiques, ça c'est une donnée. Et on se pose la question de si les ressources sont rares, la biodiversité doit être protégée, est-ce qu'on peut vraiment nourrir l'ensemble de la planète ? Il faut surtout aider les pays à se nourrir eux-mêmes. Il faut aider les agriculteurs des pays du Sud à produire suffisamment pour nourrir leur propre population. Après, il y a quelques pays qui sont effectivement importateurs structurels de l'Europe. On peut penser à l'Égypte, qui a une énorme population avec très peu de terres agricoles. Et là, effectivement, il faut qu'ils puissent importer du blé d'Europe, d'Ukraine, de Russie. Mais nourrir la planète, c'est d'abord aider les gens à se nourrir eux-mêmes. Je pense que ça, c'est un premier point important. Ensuite, ce qui est sûr, c'est que si on veut lutter contre les effets négatifs environnementaux et sanitaires d'ailleurs, Il faut réussir à changer de modèle agricole et probablement à rediversifier les paysages agricoles, recomplexifier les paysages agricoles. Si on veut mieux pouvoir faire face aux sécheresses, à la rareté de l'eau, il faut en fait que l'écosystème agricole et notamment les sols soient plus capables de retenir l'eau. Et donc ça, ça veut dire de faire un peu d'agroécologie, c'est-à-dire de reintroduire des éléments écologiques dans le paysage agricole, des haies, moins de labours, etc. Et il est probable qu'il faille réduire un petit peu la productivité agricole si on veut être... si on veut protéger l'environnement. Et donc, est-ce que c'est compatible avec produire beaucoup pour nourrir l'ensemble de la planète ? Je pense que souvent dans ce débat, il y a un élément clé qu'on oublie, c'est que dans les pays de l'OCDE et en Europe, c'est le cas, 70 à 80% de la production végétale est en fait pas utilisée pour nourrir les êtres humains, mais pour nourrir les animaux, qui vont être ensuite l'objet de notre consommation. Il suffirait qu'on change un peu les apports protéiques qu'on a dans notre alimentation de protéines animales, œufs, lait et viande. pour gagner beaucoup de marge de manœuvre sur ce qu'on est obligé de produire en production végétale pour nourrir les êtres humains. Et je pense que les nutritionnistes, moi je ne suis pas nutritionniste, mais que les nutritionnistes sont assez d'accord qu'en fait, dans nos régimes alimentaires des pays du Nord et en Europe et en France, on a trop d'apports caloriques en général, trop d'apports protéiques, on n'est pas du tout carencé en protéines. Et parmi les protéines, on pourrait vraiment déjà réduire la quantité de protéines et avoir plus de protéines végétales et moins de protéines animales. Les recommandations des nutritionnistes vont dans le même sens que les recommandations des environnementalistes, c'est-à-dire moins d'apport calorique total, moins de protéines, parce qu'on en a largement assez, et rééquilibrer protéines végétales et protéines animales. Le point de bascule qui pour moi est important d'avoir en tête, c'est que plein d'agriculteurs font des efforts pour réduire leur impact sur l'environnement et c'est très important de le reconnaître, sinon ils ont l'impression qu'on leur dit qu'ils n'ont rien fait, et ce n'est pas vrai. Depuis 50 ans qu'on sait qu'il y a des problèmes environnementaux. En revanche, si on est vraiment sérieux sur la réduction des pesticides par exemple, Il faut absolument lutter contre des tendances beaucoup plus de fond et qui sont des tendances liées aux stratégies économiques de l'ensemble de la filière. Ces tendances, c'est la spécialisation des régions, la standardisation des productions, la simplification des paysages agricoles et la simplification des rotations agricoles. Les rotations, c'est la série de cultures qu'on fait année après année pour enrichir les sols agricoles. Aujourd'hui, autour, dans le bassin parisien, pour prendre cet exemple-là, on a des rotations qui se simplifient pour devenir blé-blé-colza, blé-blé-colza, par exemple. et des paysages agricoles extrêmement simplifiés. Les agronomes expliquent que ça, c'est pas compatible avec une réduction des pesticides parce que ce type de système est extrêmement vulnérable aux parasites, aux maladies, aux champignons, etc. Et donc, si on veut réduire vraiment les pesticides, il faut recomplexifier le système, avoir plus de cultures. Ce qui empêche les agriculteurs de le faire, c'est qu'ils vont pas faire des cultures s'ils ont pas de marché. Pour qu'ils aient des marchés, il faut aussi que les coopératives en aval aient les silos pour stocker ça. Donc il y a la logistique, il y a les marchés, etc. C'est des filières nouvelles qu'il faut construire. Déspécialiser, ça ne paraît pas inatteignable, c'est un changement de stratégie économique radical. On a bien des exemples, des tas de gens qui font des choses absolument géniales, mais pour que ça change d'échelle, il va falloir traiter cette question de la déspécialisation. L'agroécologie dont je parlais tout à l'heure, de remettre de l'écologie dans le fonctionnement agronomique, c'est hyper intensif en connaissance. Donc il faut des chercheurs, il faut de la donnée, il faut faire de l'agriculteur quelqu'un qui soit en fait quasiment un agronome, un chercheur en agronomie pour comprendre son territoire. Il y a besoin de start-up de ce côté-là, tout à l'amont. Il y a besoin de start-up dans les relations business to business, entre les coopératives et la transformation agricole, entre la transformation et la distribution, entre la distribution et le consommateur. Souvent on entendait du côté des spécialistes des comportements alimentaires l'idée que La seule information qui a vraiment un impact sur le comportement du consommateur, c'est le prix. Et que le reste des informations nutritionnelles, environnementales, en fait, dans l'acte d'achat au supermarché, les sociologues avaient fait des études, en fait, on n'a pas le temps de regarder. Et bien ça, ça a été mis en défaut. Ça a été mis en défaut notamment par des applis comme Youka, qui montrent qu'en fait le consommateur est intéressé, il a envie d'en savoir plus, mais il a besoin d'avoir une information qui ne soit pas juste des labels. Et il y a d'autres innovations qui existent aussi. Pour faire changer les comportements des consommateurs, ce n'est pas juste choisir entre un produit plus ou moins bon, c'est aussi regarder sa consommation d'ensemble. Il y a des choses qu'on peut faire sur les cartes de fidélité dans la grande distribution, qui est de dire, en fait, si je reçois tous les mois mon information sur qu'est-ce que j'ai consommé et combien j'ai de points, on peut leur mettre aussi combien d'impact CO2 de ce que j'ai fait, combien d'impact biodiversité, comme un total. Les gens se disent, disons que ça fait beaucoup, j'aimerais bien réussir à suivre si j'arrive à réduire ma consommation de CO2. Pour moi, compter sur le consommateur responsable, et là je fais vraiment référence à des travaux de mes collègues Charlie Brocard, Mathieu Sojo, c'est en fait une erreur où c'est largement pas suffisant. Il y a un ensemble de choses qui structurent l'offre qui est proposée au consommateur et qui contraignent ses choix, qui orientent ses choix de manière absolument claire. On pourrait parler du marketing, évidemment, c'est-à-dire la manière dont on propose dans un certain nombre de supermarchés essentiellement des calories vides, c'est-à-dire des calories sans intérêt nutritionnel en grande quantité et pas cher. ou de la viande pas chère et de pas très bonne qualité comme produit d'appel, ça c'est un volet où le marketing contraint ou oriente l'acte d'achat. Il faudrait probablement travailler là-dessus. Et puis, il y a des consommateurs qui aimeraient bien manger plus de fruits et légumes, qui aimeraient bien manger plus bio, mais aux États-Unis, il y a la notion de désert alimentaire. Les populations afro-américaines dans un certain nombre de villes sont dans des ghettos qui, par ailleurs, ne sont absolument pas fournis en offre alimentaire de qualité et en plus pas à des prix raisonnables. Et donc la capacité à accéder à ce qu'on aimerait consommer est vraiment absolument difficile. Et donc c'est l'ensemble de ça qu'il faut avoir en tête. C'est hyper facile de dire que la grande distribution est le problème, que c'est les grands méchants, etc. Et on a un peu du mal à croire quand les grands patrons de ces entreprises disent « Non, non, en fait, on est très gentils parce que, évidemment, c'est aussi une recherche de profit. » Et souvent, ils disent « Nous, on n'a pas de marge. Nous, c'est le volume qui fait notre profit. On n'a pas beaucoup de marge à redistribuer à l'amont agricole. » Donc moi, je pense que c'est important de ne pas caricaturer. Les enjeux et les stratégies économiques très complexes qui sont déployés dans la grande distribution. Et en particulier, on sait bien que les rayons n'ont pas la même rentabilité et qu'il y a des rayons qui sont là pour attirer le chaland et des rayons qui sont là pour faire du profit. Et nous, ce qui nous a intéressés, c'est de se dire pourquoi est-ce qu'on ne peut pas arrêter de faire de la promo sur de la viande pas chère qui donne une prime à des agriculteurs qui font de la viande de moins de qualité alors qu'en fait on voudrait donner une prime à ceux qui font de la viande de qualité et par ailleurs on aimerait bien réussir à inciter le consommateur à... choisir une viande peut-être un peu plus chère, mais de meilleure qualité. Et ce qu'on a compris, c'est qu'en fait, ce n'est pas là où le supermarché fait sa marge. En revanche, c'est un point d'entrée pour le consommateur, pour l'attirer dans les rayons. Il arrive par là et ensuite, on sait qu'il va passer du temps dans le supermarché. Et donc, si on ne décortique pas la stratégie de la grande distribution qui explique pourquoi ce truc-là est inamovible, parce qu'en fait, c'est une stratégie d'accroche sans laquelle aujourd'hui, ils ne savent pas comment faire pour... faire entrer les clients dans leur supermarché ou pour les amener dans les bons rayons. En fait, on n'a pas les moyens de négociation avec eux. Maintenant, je ne suis pas sûr que j'ai une solution alternative. Mais au moins, j'ai diagnostiqué le problème et je peux entrer dans une discussion avec eux en disant « si vous ne faites pas ça, ou alors est-ce que vous ne pouvez pas mettre de la protéine végétale pas chère aussi ? » Ou enfin, essayer de négocier sur le cœur du problème, plutôt que de leur dire « vous faites plein de marge, c'est vous les grands méchants, là on n'aurait pas de solution » . Ce qui est vrai, c'est que le secteur agricole européen, il ne va pas bien économiquement. Il y a un problème de compétitivité qui est structurel. Et nous on y travaille avec eux, on essaie de dire ok, vous avez des problèmes de compétitivité, mais c'est tellement vrai vos problèmes de viabilité économique, c'est que même sans contrainte environnementale, vous n'allez pas aller bien. Et donc comment est-ce qu'on se donne des marges de manœuvre économiques pour créer une transition qui marche et qui redonne une vitalité au secteur économique européen ? Donc moi je suis très en faveur qu'on rouvre cette discussion en disant comment est-ce qu'on fait une politique alimentaire européenne ? On n'en prend pas vraiment le chemin, politiquement ce n'est pas le chemin qu'on prend. Il y a aussi une difficulté de trouver le courage politique de mettre ça sur la table quand on voit à quel point c'est un jeu d'échec particulièrement compliqué entre la politique politicienne et la négociation avec un secteur économique qui est en difficulté. Mais je ne vois pas comment on va s'en sortir. Et pour moi, le point d'entrée sur cette question, c'est la question de la résilience, de la sécurisation des approvisionnements. Et comme je le disais, j'ai l'impression que l'industrie agroalimentaire européenne, elle reste convaincue qu'il faut bouger. Et donc, il va falloir trouver l'accord politique qui permet que l'amont agricole comprenne qu'en fait, ils sont face à un mur économique et pas juste face à un mur environnemental. Et que c'est face à ce mur économique qu'il faut trouver une solution. Je suis persuadé que les évolutions des comportements de consommation alimentaire sont la clé qui va pouvoir débloquer l'ensemble du système. Les comportements alimentaires changent beaucoup et vite, pas forcément dans le sens qu'on veut. Nous, on a identifié une tendance à la negatification, c'est-à-dire que les gens mangent de moins en moins. de la viande rouge et de plus en plus de viande de poulet, mais de moins en moins de la viande qu'on cuisine soi-même et de plus en plus des produits ultra transformés. Ce n'est pas vraiment ce qu'on aimerait avoir. Et en même temps, ça veut dire que ça change vite et qu'on peut faire changer les comportements des consommateurs. Il y a des consommateurs qui ont envie de choses différentes. Les normes sociales, ça évolue. Et puis par ailleurs, ça dépend aussi de l'offre qu'on leur met sur la table. Et donc, si on arrive à débloquer ça, et il y a plein de raisons de croire qu'on peut le faire, ça va vraiment changer pas mal de choses. On a l'impression de faire face à un mur de non-changement. Et donc, après, j'ai l'impression que le rôle d'un think tank comme nous, c'est de toute façon d'avoir une forme de cynisme au sens philosophique du terme, c'est-à-dire de jamais désespérer, et plus la situation est difficile, plus d'avoir envie de mettre de l'énergie pour faire bouger les choses. Et si on n'a pas un petit peu ce cynisme-là, on n'y arrive pas. Et ce n'est pas un cynisme du désespoir, c'est vraiment au contraire l'idée de jamais désespérer alors que la situation est très difficile. L'industrie agroalimentaire doit voir qu'elle a une responsabilité et elle est en train de s'en rendre compte. Et je pense qu'il y a une prise de conscience suffisamment forte de l'aval de la chaîne pour explorer des nouvelles stratégies économiques.
- Speaker #1
Dans cette transition, les start-up ont plus que jamais leur place. Elles accompagnent les agriculteurs vers des pratiques plus durables. aide les consommateurs à faire de meilleurs choix et réinvente même les cantines. Je vous présente Louis Sibyl, un ancien étudiant de Sciences Po qui a fondé Nona, une solution pour aider les chefs à faire des choix plus durables dans leur cuisine.
- Speaker #0
Dans mon parcours, ma première année, je devais faire trois mois de stage et j'avais envie d'aller en Allemagne pour approfondir mon allemand, mais également d'aller plutôt à Berlin pour y passer l'été. Mais c'était ma première année d'études, je ne connaissais pas trop l'écosystème, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. En 2015, j'avais 19 ans, je ne connaissais rien de rien. Vu que personne ne m'acceptait à Berlin avec mes lettres de candidature, j'ai pris mon pouce et je suis allé à Berlin en plein mois de février, en stop, en passant par plein de neige et toute l'Allemagne où il fait un peu froid. C'était très intéressant. Et du coup, je suis arrivé... avec du couchsurfing, à dormir un peu partout à Berlin, et à me promener avec mon CV, et avec les quelques phrases d'allemand que je savais, et au fur et à mesure, mon entretien devenait de plus en plus costaud, parce que je répétais toujours les mêmes phrases, mais du coup, je me baladais dans toute la ville pour essayer de trouver un stage pour cet été, et j'ai découvert plein de types d'entreprises, dans l'événementiel, dans l'industrie, et au fur et à mesure, les gens m'orientaient de plus en plus vers des incubateurs, vers des tiers-lieux, vers des co-working. Et j'allais de plus en plus dans ces endroits pour apposer mon CV. Et je sentais une énergie qui était géniale. Je ne savais pas ce que faisaient les gens. Je ne savais pas ce que c'était une start-up. Je ne sais pas ce que c'était un fonds d'investissement. Mais j'adorais leur énergie, leur façon de se projeter, leur façon d'avoir des étoiles dans les yeux. J'ai envie d'être avec eux. Je ne sais pas exactement comment, pourquoi, mais j'ai envie d'être avec eux. Et au fur et à mesure, j'ai eu cinq ou six stages, dont un stage en fonds d'investissement, en seed, c'est vraiment l'early stage, qui m'a permis vraiment de comprendre ces déconstances, de rencontrer des entrepreneurs vraiment à leur tout début. lorsqu'il n'y a encore rien, lorsqu'il n'y a vraiment que des idées et beaucoup d'énergie et une vision. Et ça m'a donné envie de plonger dans cet écosystème. J'avais envie d'avoir cette même énergie, de savoir aussi pourquoi je me lève. En fait, au fur et à mesure de mes différentes expériences pro, on se rend compte que le travail, ça prend du temps quand même. C'est au minimum 40-45 heures par semaine. Ça prend beaucoup d'énergie et je trouve ça intéressant d'être aligné. avec son travail, alors c'est une chance unique. Et c'est ça qui est super intéressant aussi. La restauration collective, c'est déjà un secteur énorme. 14 millions de repas par jour, c'est 3,7 milliards de repas annuels. Donc c'est énorme, on l'oublie un petit peu. Et qui est un peu sous le feu des projecteurs, parce qu'il y a de plus en plus d'attentes sociétales très fortes sur le mieux manger, qui se sont traduites par des ambitions réglementaires fortes. La loi Game 1, 2, climat et résilience. qui vont définir des objectifs, notamment par exemple d'intégrer 50% de produits labellisés, dont 20% de produits bio. Surprise, on est à 6,6% en moyenne, on est à moins de 2% dans le médico-social. Donc on n'y est pas du tout. On arrive fait sur le sujet de la restauration collective par hasard. On a vraiment eu cette approche un peu lente noire, de se dire ok, il y a le sujet de la transition écologique. Là-dedans, 30% de l'émission de carbone, c'est l'alimentation. Il y a un enjeu. Au-delà de l'émission de carbone, c'est la première étape de l'échelle de Maslow. Et aujourd'hui, bien manger, ce n'est pas un acquis. Ce n'est pas un acquis en France, pays de la gastronomie inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Donc, il y a un vrai sujet sociétal. Et là-dessus, on s'est dit, OK, comment est-ce qu'on peut avoir le plus d'impact ? Et c'est finalement en réorientant potentiellement la demande. On croit définitivement et profondément que c'est en changeant notre consommation qu'on arrivera à structurer des filières plus durables. En fait, les milliards, il ne faut pas les trouver ailleurs, ils sont déjà dépensés. On dépense déjà des milliards d'achats tous les jours. Mais c'est comment juste on les réoriente vers des produits plus durables, et ça, ça permet de vraiment financer, avec des milliards pour le coup, nos filières plus durables. En fait, la restauration collective, c'est des milliards d'achats tous les jours. Donc comment on aide ce secteur à se transformer ? Si on leur dit juste d'atteigner ses objectifs sans les aider, ce sera compliqué. Ce qui est assez rigolo, c'est que ce constat-là, on l'a exploré du Coassiance Po. où on devait essayer de créer un projet à impact. Et c'est grâce à ce projet-là, en posant la question comment est-ce qu'on accompagne la transition alimentaire pour tous, qu'on s'est intéressé à la restauration collective. Il faut creuser, creuser, creuser, creuser. Et puis avec Arthur, on a finalement tout le master, beaucoup d'étudiants ont travaillé avec nous pour faire des entrées sur le métier, comprendre autant les grands chiffres que les problématiques du quotidien, les frictions du quotidien. en lisant tous les rapports de l'ADEME, etc., et se rendre compte que oui, c'est possible une cantine durable, mais ça demande plein de petits gestes du quotidien à changer. Comment est-ce qu'on permet à n'importe quel cuisinier de changer son quotidien de la façon la plus légère possible, parce que personne n'est contre la transition écologique. Par contre, c'est toujours plus compliqué le changement. Et donc, comment est-ce qu'on facilite au maximum ce changement pour tout le monde ? Ce qu'on s'est aperçu, c'est que finalement, les cantines, ce n'est pas uniforme, ce n'est pas que les grosses structures. 60% c'est en autogestion. Ça veut dire qu'on a une multitude de petites structures, de moins de 500 couverts, où on a un cuisinier gestionnaire qui doit gérer son métier de cuisinier, produire 200-300 menus tous les jours, après le choix de midi, mais qui doit également gérer l'aspect nutritionnel, réglementaire, tout le suivi de ses lois, sanitaire, budgétaire, relation avec les fournisseurs, avec les producteurs. En fait c'est beaucoup d'autres métiers qui sont développés, et en fait les cuisiniers sont dépassés par cette évolution de ce métier, par cette inflation réglementaire. qui vivent comme une couche en plus qu'on leur a demandé. Et c'est pour ça qu'ils n'y arrivent pas trop. Et tout ce qu'on a vu qui allait plus loin, et c'est possible, il y a des centaines de cuisines qui y arrivent, c'est des cuisines qui ont pu professionnaliser leur pratique. C'est-à-dire qu'elles ont pu travailler avec des fiches recettes, calculer au plus juste, adapter au mieux les recettes avec la disponibilité des produits, à l'image d'un trader, presque, pour finalement se dire mon besoin c'est de mettre des crudités. qu'est-ce qui est disponible sur le territoire, et en fonction des saisons ajustées. Et ça, ça permet vraiment de réduire le gaspillage. Aujourd'hui, le gaspillage, c'est 120 grammes en moyenne par assiette. qui vendent la restauration collective, c'est 3 Airbus A380 tous les jours. de pois gaspillés, jetés à la poubelle. Trois herbius qui se crachent tous les jours. Donc il y a un vrai sujet de professionnaliser, d'optimiser ses pratiques, de gagner du temps sur le temps administratif pour que les cuisiniers puissent recuisiner tout simplement. La restauration collective, c'est énorme, autant par la quantité de personnes qui y mangent, 14 millions par jour, c'est 12% des repas pris en France chaque année. C'est un levier de transformation extrêmement important, d'autant plus... On est sur un public captif, notamment dans le médicotien, dans les EHPAD, dans le scolaire. On peut vraiment changer leur alimentation sur le long terme. Ce n'est pas juste du one-shot. Ça, c'est extrêmement intéressant. Ce sont des milliards d'achats, donc sur le point économique, c'est extrêmement important. Sur le point de l'éducation, c'est 7 enfants sur 10 qui mangent à la cantine. Donc on a un levier d'éduquer, de sensibiliser les générations futures à une alimentation plus saine, bien plus puissante, d'après moi, que les pubs qu'on met le matin entre les dessins animés. Parce qu'on peut leur faire vraiment goûter le goût d'une vraie carotte. Et après c'est difficile de remanger une carotte qui n'a pas de goût. En termes d'empreintes environnementales, c'est 30% des émissions de carbone. Donc c'est un levier extrêmement important. Facile, enfin facile. Un des plus faciles sur lesquels agir. Parce qu'il suffit de changer notre consommation. Et puis en termes de santé, c'est extrêmement important. C'est 20 milliards de coûts qui pourraient être évités, en termes de santé, si on mangeait mieux. Je parle beaucoup de milliards et de sous parce qu'on se pense à un peu les budgets, enfin les budgets et puis on dit qu'on n'a jamais de sous. Mais en fait, si on prévient plutôt que guérir, en fait on peut les trouver. Aujourd'hui on a une augmentation des diabètes, diabète 2, cancer, même jusqu'à l'infertilité, qui lient directement à notre alimentation. Et des fois je me dis, mais au lieu de dépenser encore une fois des milliards dans de l'IA qui permettra de mieux identifier notre cancer, est-ce que ce ne serait pas intéressant de dépenser des millions ? Pour que les gens mangent mieux et qu'ils n'aient pas de cancer. C'est une question. En tout cas, que ce soit sur l'aspect santé, éducation, économique, environnemental, par sa taille, par sa capacité à nourrir tout le monde. Parce que c'est ça aussi, c'est un service public. Les premiers repas à la ville de Paris, c'est 13 centimes. Déporté le Mans de Seine-Saint-Denis, c'est gratuit la cantine. Donc en fait, tout le monde peut manger à la cantine. Et ça qui est intéressant, c'est un pouvoir de transformation gigantesque. qui n'est pas malheureusement encore utilisé autant qu'on pourrait. Du constat que le cuisine était un peu perdu par rapport à toutes ces tâches et qu'il y avait une nécessité d'optimiser au maximum ces cantines, on a créé du coup un logiciel de gestion qu'on a voulu simple, accessible, intuitif pour vraiment être capable d'équiper n'importe quelle cuisine. Même des toutes petites cuisines de 100, 200, 300 couverts, des personnes de 50, 55 ans qui étaient éloignées du numérique, leur permettre. d'accéder à un tel outil. Qu'est-ce qu'on fait concrètement ? On permet au cuisinier de concevoir son menu. Donc ça veut dire qu'il va avoir un peu plus de 800 fiches recettes qu'on a déjà intégrées dans l'outil, notamment avec des produits bruts, avec pas mal de recettes végétariennes, diversification de protéines, etc. Et on va lui permettre de concevoir son menu de la façon la plus simple possible, avec des indicateurs de saisonnalité, de budget, de critères nutritionnels, pour composer le meilleur menu possible. Et de là, arriver à qu'il y ait besoin. faire le match avec les produits de ses fonceurs, gérer les commandes, les entrées, les sorties stock, le suivi de la communication, les statistiques et de l'hygiène. L'objectif, c'est vraiment être capable de cadrer chaque pratique. Par exemple, le gaspillage, c'est pas mal d'enjeux d'arriver à le peser, à le mesurer, adapter sur sa fiche recette, les grammages, calculer au plus juste. Tout ça, on le fait tout simplement dans l'outil pour que ça soit plus efficace et pour qu'il ait plus de temps à cuisiner. On a aussi intégré des nudge dans l'outil. Qu'est-ce que c'est des Nudge ? C'est des dispositifs de design qui vont venir accompagner le changement de comportement. C'est ce qu'on retrouve souvent sur les applications comme Facebook, avec le feed illimité, qui fait que du coup on regarde des vidéos de façon automatique. Là, il y a des toutes petites choses qu'on a intégrées dans l'outil, mais qui sont des choix de conception. C'est par exemple, quand je choisis une recette dans mon menu, je vais du coup avoir un indicateur de sa sonalité sur les recettes. Et de base, je trie par la recette qui a le plus de saisons. Donc quand je vais choisir mon entrée, en janvier, en juin ou en octobre, je n'aurai pas la même recette qui s'affichera en premier. Et du coup, mon cuisinier va de moins en moins aller scroller les recettes qui ne sont pas de saison. Avec des toutes petites choses comme ça, on arrive à avoir des menus de saison, mais entre 30 et 40 % de plus de saison qu'avant. C'est juste un choix de ne pas avoir trié par prix ou par droit alphabétique. C'est des petites choses comme ça qui ont un impact assez important. Et aujourd'hui, on représente un peu plus de 100 000 repas journaliers, 25 millions par jour. C'est quand même assez intéressant, c'est 40% des menus qui sont plus de saison. On s'est rendu compte aussi qu'ils étaient plus végétalisés, avec plus de recettes végétariennes. On a pu réduire le gaspillage par 2, 3, 4 pour certaines cantines. Donc il y a un impact qui est extrêmement intéressant. Une cantine durable, je parle de 70, 80, 80% de produits labellisés, locaux. avec des produits bruts de saison, une végétalisation des menus, des enfants qui mangent, tout le monde est content. Ce tableau un peu souhaitable, il ne coûte pas plus cher que des produits transformés, pas de pourcentage de produits bio, on est à 2%, des choses pas très coûteuses, et puis qui laissent notre environnement et notre écosystème de producteurs un peu de côté. En fait, c'est le même prix. Pourquoi ? Parce que les produits bruts de saison, ça coûte moins cher. et que les cuisiniers, ça coûte moins cher que de réchauffer des produits transformés. Ce qui coûte plus cher, c'est la phase de transition. Ça veut dire qu'il va falloir qu'on forme nos équipes à recuisiner. Il va falloir peut-être qu'on embauche un cuisinier en plus. Il va peut-être falloir que les personnes qui servaient en salle arrivent deux heures plus tôt le matin et puis coupent des légumes en crudité. Mais peut-être que ça leur permettra d'avoir aussi des contrats plutôt de 30 heures que de 15 heures. C'est peut-être aussi un enjeu. Il va falloir qu'on achète un petit peu de matériel pour le produire. C'est une petite phase de transition, mais qui finalement à l'échelle de la France est vraiment très peu coûteuse. Mais par contre on a quelque chose après qui est beaucoup plus intéressant. Il faut juste qu'en tant que décideur public, on se dise maintenant on va prendre nos responsabilités et on va proposer à toute cette tranche d'habitants, à un moment, un plat durable. Et finalement pour la collectivité, ça ne coûte pas plus cher. Ce qu'on leur dit ce n'est pas dépenser plus, c'est réorienter vos budgets vers des filières plus durables. C'est faire du ruissellement. Dans le médico-social, pour 1€ en alimentation, il y a 7€ qui sont dépensés en complément alimentaire. Un budget journalier dans un EHPAD, on prend petit déjeuner, collation du matin, déjeuner, goûter, dîner, c'est 5€. 35€ de complément alimentaire. Est-ce qu'on ne devrait pas dépenser 6€ en alimentation, 7€, et puis descendre le coût de complément alimentaire ? Avec les repas qu'on leur donne, ça ne suffit pas, et du coup c'est plus facile de mettre un médicament que de repenser ce qu'on leur donne à manger. C'est un choix parce que ce ne sont pas les mêmes budgets. Les médicaments, c'est remboursé par la Sécu. Le budget hospitalier, c'est par l'EHPAD et le département. Donc, ce n'est pas un choix délibéré. Il n'y a personne qui veut empoisonner nos anciens dans les EHPAD. Mais c'est une fatalité qu'aujourd'hui, on ne s'est pas du tout concentré sur l'alimentation. On s'est dit qu'il faut juste les nourrir, les alimenter, sans repenser ce que nous a dit il y a longtemps Hippocrate, que ta nourriture soit ton médicament. Et c'est de l'argent public, c'est du secteur public. Donc en fait, c'est ça qui est super intéressant avec la restauration collective, c'est que venir changer ton alimentation chez toi, c'est plus compliqué. Je dois venir chez toi, te faire manger, faire les courses. 68 millions de Français, c'est vraiment très compliqué. Par contre, la restauration collective, in fine, il y a 55 000 décideurs, pour 14 millions de personnes par jour. 55 000, ça rentre dans un stade de France. En fait, c'est possible de faire changer ces personnes. On a montré... que ça coûtait le même prix, qu'il y avait juste ce coût de transition. La problématique, c'est qu'aujourd'hui, oui, tous les budgets sont sérieux. Donc comment est-ce qu'on fait un plan Marshall de la restauration collective, mais qui, je vous promets, coûtera bien moins cher que le vrai plan Marshall ? On est capable de faire des gros plans IA à plus de 100 milliards. On est capable de faire des gros plans de réarmement à 600 milliards. Est-ce qu'on est capable, on l'avait chiffré, on a estimé le coût à 80 millions par an, est-ce qu'on pourrait se dire que... on serait prêt à investir 80 millions par an pour que 14 millions de convives journaliers mangent mieux. C'est ça la question. C'est un secteur qui est un peu caché. Personne ne sait vraiment comment fonctionne la cantine. On y a tous mangé, tous un moment. Mais on n'a jamais parlé vraiment avec les gens qui travaillaient derrière. Des fois, il y a des cantines qui sont à la cave, cachées, c'est un peu le truc sombre. On ne sait pas trop vraiment comment ça fonctionne. On ne sait même pas la taille de ce secteur. On ne connaît personne qui travaille dans ce secteur. On n'aura jamais fait un podcast. au Cuisine et Restauration Collective. C'est un secteur un peu oublié. Et tout d'un coup, on est venu, on leur a posé plein de questions, on a essayé de comprendre leurs problématiques, leur métier. On s'est rendu compte à quel point ils géraient des centrales nucléaires. On a essayé de leur apporter des solutions. Je ne vous dis pas, au début, nos solutions n'étaient pas du tout parfaites. Par contre, ils ont adoré de voir qu'il y a toute une génération, parce que comme dit, on n'est pas le seul, il y a d'autres acteurs qui travaillent sur ces sujets-là, qui essayent de vraiment comprendre leurs problématiques. Et aujourd'hui c'est très compliqué le métier de cuisinier. Je vous dis, il y a des cuisiniers qui raccrochent le tablier parce qu'en fait ils n'en peuvent plus, toutes ces tâches administratives, réglementaires, parce que pour eux c'est une couche en plus Certes, ça va dans le bon sens, la loi EGAMI. Il faut qu'on aille là-dessus. Et c'est très, très bien d'avoir eu cette loi. Mais on ne peut pas juste fixer des objectifs, des réglementations, et puis pas aider là-dessus. Donc, tout est revenu sur les épaules des cuisiniers. Et de venir avec des solutions concrètes, pertinentes, on a été extrêmement bien accueillis. Il faut vraiment rentrer dans le détail des métiers pour apporter une solution concrète. Il ne faut pas rester à la surface. Et ça, on n'aurait jamais pu le faire si on ne nous avait pas ouvert les portes. Les cuisines de restauration collective, on leur a dit, faites un menu végétarien par semaine. Il ne faut pas oublier que ce sont des personnes qui ont en moyenne entre 40 et 55 ans, qui ont fait l'école hôtelière il y a 30 ans. Le vegan ne savait pas ce que c'était il y a 30 ans. Ce qu'on leur a pris, c'est un cœur d'assiette, la viande du poisson, et puis autour, on met quelque chose, la garniture. Là, tout d'un coup, on leur dit, vous voyez le cœur d'assiette que vous présentez devant le client, on l'enlève. Qu'est-ce que je dois faire ? Est-ce que je dois réapprendre mon métier ? Comment ? Rien que de leur proposer des recettes végétariennes, ça paraît tout bête, mais des recettes. végétarienne ou diversification de protéines ou des fois on met un peu moins de viande mais un peu plus de protéines végétales juste de leur donner des exemples facilement accessible c'est permettre de revégétaliser des menus de diversifier. On a une cantine dans le sud de l'île de France qui fait 9000 repas jour. Si un jour on remplace un boeuf bourguignon par un menu végétarien c'est comme si pendant 22 ans j'étais végétarien. En fait c'est ça qui est intéressant avec la restauration collective c'est que dès qu'on touche un nouveau client En fait, on touche des centaines et des milliers de personnes, des milliers de repas. Mais ce qui est intéressant, c'est quand tout un territoire change. Et la restauration collective, par sa quantité, par sa masse, est capable de restructurer des filières à l'échelle locale. Et c'est vraiment à cette échelle-là qu'on fera la différence. Je crois beaucoup plus à l'échelle d'un territoire, des élus, des agriculteurs, des chambres d'agriculture, qui serrent la main et qui disent « on va travailler ensemble » . Et on l'a vu sur plein de territoires, à Autun par exemple, du coup en Bourgogne-Franche-Comté. Un comité de communes qui avait un peu tout perdu dans les années 80-90. Désindustrialisation, perte du travail. Et tout d'un coup, ils devaient également fermer l'abattoir. Donc, fermer l'abattoir, ça veut dire qu'il faut faire encore des dizaines de kilomètres pour aller abattre, voire des centaines pour abattre les animaux. Donc, c'est encore plus compliqué. Et là, le maire a dit, stop, on ne va pas faire ça. Du coup, ils se sont engagés avec la cuisine centrale qui fait 1200 couverts jour, avec les autres cantines autour, à s'engager à prendre des bêtes à l'abattoir. Ils ont réinvesti sur l'abattoir. Aujourd'hui, ils ont une filière bovine extrêmement florissante. Parce qu'à un moment, ils se sont dit, la cantine va amorcer ça. La cantine tout seul ne suffit pas. Après, il y a l'autre deux de commerce qui se sont mis, etc. Mais elle a permis de faire le premier investissement. Ils ont commencé par ça. Maintenant, ils ont fait ça aussi sur des filières de légumineuses, de maraîchage. Et aujourd'hui, ils ont recréé un tissu agricole extraordinaire. Ils ont une capacité à réintroduire des producteurs. Et tout ça... parce que la restauration collective, à un moment, a décidé de changer ses menus. Ils n'ont pas dépensé plus, ils ont réorienté. Ce n'est pas de la magie, il faut le faire. Ça doit être une priorité des acteurs politiques. Et finalement, les acteurs politiques, on est encore dans une démocratie, c'est aussi le peuple. Donc c'est à quel point nous, on considère que c'est important en tant que citoyens, à quel point on le fait monter dans nos bulletins de vote. Il va y avoir les multiples en mai 2026, qui vont avoir un impact directement sur ce qu'on mange dans nos cantines scolaires. à quel point on prouve que c'est un sujet important et à quel point on demande à nos mères de prendre des engagements là-dessus. C'est possible. Et qu'en deux ans, c'est possible de passer d'une cantine de 6,6% de produits bio à 100%. Donc en fait, il faut juste qu'on le veuille et que ça devienne une priorité. Aujourd'hui, on est 35. On devrait quasiment doubler cette année. C'est 35 activistes qu'on a chez Nona, qui se lèvent le matin, qui ont envie de tout détruire sur ce secteur-là, de faire avancer les choses. Et ça crée une énergie où tous les matins, je suis hyper content d'aller au boulot. C'est agréable aussi clairement si je devais remonter Nona je le ferais totalement différent différemment et on irait beaucoup plus vite mais bon c'est aussi ce qui nous a construit et on s'est pris plein de claques parce qu'on a fait plein d'erreurs comme tout le monde il faut juste sourire, tendre l'autre joue et rebondir
- Speaker #1
À quel moment vous vous êtes dit « là, j'ai vraiment eu de l'impact » ?
- Speaker #2
Il y a un moment qui m'a marqué récemment, à l'IDRI, avec des collègues de l'ICAT-CE, ils ont sorti un scénario d'évolution des comportements alimentaires avec 12 groupes sociaux différenciés, pour montrer qu'en fait on n'était pas en train de normer les comportements et qu'on prenait en compte aussi les situations économiques différentes et difficiles d'un certain nombre de groupes sociaux. Néanmoins, il y a plein de leviers qui peuvent être actionnés par la politique publique et par les stratégies des acteurs privés pour faire changer les comportements. Et j'ai trouvé ça très fort de voir les associations de consommateurs, les associations d'obèses, des agriculteurs, des gens de la distribution de l'industrie agroalimentaire, se disaient en fait on n'est pas loin d'être d'accord en fait sur le fait qu'on a les moyens et que cette idée d'un espèce de consommateur moyen est une mauvaise représentation et que c'est pas juste une histoire de consommateur responsable et que là j'ai eu l'impression d'une étincelle, comme une ampoule qui s'allume dans la tête des gens en disant en fait On est d'accord, on a un programme à faire ensemble. Maintenant, il ne reste plus qu'à aller convaincre les salons politiques. Et je crois que ça bouge.
- Speaker #0
Alors certes, des fois j'ai un peu des petites cernes, mais autant au niveau de nos clients finaux, quand ils nous disent « merci, grâce à vous j'ai testé des nouvelles recettes chaque semaine, j'ai introduit des recettes végétariennes » . L'une des premiers clients qu'on a aidé, c'est une cantine de 200 couverts, même pas 120, où la cuisinière avait juste un petit cahier avec 20 recettes, sa précision que je lui avais laissé. Grâce à nous, elle a changé totalement ses menus. Elle a testé des trucs qu'elle disait qu'elle ne testerait même pas avec ses enfants chez elle. Mais elle s'est amusée, elle a pris un nouveau métier en fait. Elle est devenue vraiment chef cuisinière. Au point que les enfants disaient, j'ai envie que tu viennes avec nous au collège, que les parents la remercient. Ça c'est des exemples où on a remis la lumière sur ces cuisiniers de l'ombre un peu, qui sont extrêmement fiers à nouveau de leur métier. Et ça c'est le truc dont je suis le plus fier.
- Speaker #1
En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par FriXion. La musique a été composée par Nils Bertinelli.