- Voix off
En mode Innovation, le podcast de l'Alliance du Commerce.
- Gilles Halais
Bonjour à toutes et à tous, je m'appelle Gilles Halais, je suis journaliste et on va se retrouver très régulièrement dans cette collection de podcasts créée par l'Alliance du Commerce. Notre ambition : vous faire découvrir les coulisses des plus grandes enseignes de la mode et de leur stratégie de transformation. Avec des analyses et de nombreux témoignages, vous allez comprendre comment elles s'adaptent à un marché qui évolue très vite et comment ces grandes marques anticipent les besoins de leurs clients et les futurs comportements d'achat. Dans ce premier épisode, nous avons choisi de vous parler de la seconde main. 27% des français ont acheté un vêtement d'occasion au cours de l'année écoulée. Pour les vêtements, les chaussures et la maroquinerie, la seconde main pesait 6 milliards d'euros l'an dernier contre 45 milliards pour le neuf. Et la croissance est exponentielle. Elle est portée par les contraintes qui pèsent sur le pouvoir d'achat et par la prise de conscience environnementale. Car rappelons-le, un vêtement d'occasion, c'est une empreinte carbone réduite de 82% par rapport à un vêtement neuf. Alors comment les enseignes se saisissent-elles de ce nouveau marché avec l'objectif de parvenir à la rentabilité ? Comment assurer le retour des vêtements et le sourcing des meilleurs produits capables de vivre une nouvelle vie ? Comment associer sous la même enseigne le neuf et la seconde main ? Autant de défis que l'on explore dans ce podcast. Et on commence avec vous Philippe Moati, vous êtes professeur d'économie à l'université Paris Cité et cofondateur de l'ObSoCo, l'Observatoire Société et Consommation. La seconde main c'est vieux comme le monde.
- Phillipe Moati
C'est aussi ancien que la consommation et en réalité même la consommation populaire de vêtements, ça a d'abord été la friperie. On achetait des vêtements d'occasion parce qu'on ne pouvait pas acheter des vêtements neufs. Ça remonte très très très loin. Et évidemment, les choses ont changé avec l'arrivée du numérique. Fin des années 90, début des années 2000, quand les technologies numériques ont facilité le rapprochement de l'offre et la demande.
- Gilles Halais
Face aux leaders bien campés, l'appli' Vinted et ses 23 millions de comptes en France, les grandes marques se sont mises à la seconde main, mais plus récemment, à l'image de Kiabi, Estelle Urbain, vous êtes leader des nouveaux business et services au sein du pôle innovation. Kiabi s'est lancé il y a 4 ans, en mode test, à la fois en magasin et sur le digital.
- Estelle Urbain
Nous avons un premier test qui propose des corners ou des rayons complètement intégrés, de seconde main, toutes marques confondues, hommes, femmes, enfants, bébés. L'idée de départ, c'est d'avoir une approche pour nous offensive, c'est-à-dire qu'on n'y va pas de façon défensive parce que la loi nous l'impose, mais parce qu'on veut vraiment hybrider notre modèle. C'est ce qu'on a fait dans le parcours du client qui peut essayer, qui passe en caisse en ayant fait des silhouettes mixtes première et seconde main, et qui peut même profiter de notre politique de service puisqu'il peut revenir et échanger un article si ça ne lui convenait pas.
- Gilles Halais
Et sur le digital donc, un site internet et une appli.
- Estelle Urbain
On a créé notre propre plateforme qui est plugée à Kiabi.com et c'est également une app. Et le principe est en effet un peu miroir de ce que je vous exprimais sur le magasin. On est sur du multimarque, toutes cibles, homme, femme, enfant, bébé.
- Gilles Halais
Je me tourne vers vous Hélène de Saugère, vous êtes directrice marketing, communication et digital de Petit Bateau. La seconde main chez Petit Bateau, c'est vraiment dans l'ADN de la marque et aujourd'hui, vous en faites un business model.
- Hélène de Saugère
Depuis plus de 130 ans, la qualité au cœur de notre modèle et nos vêtements sont fabriqués pour durer 5 vies. Donc finalement, ils ont toujours été transmis de frères en sœurs, de cousins en cousines. Et en 2017, on a vu apparaître les premières formes de transmission un peu nouvelles. Et c'est comme ça qu'on a développé notre première application de seconde main. Et du coup, on a pris la décision de totalement internaliser la seconde main pour réduire au maximum nos coûts. L'idée c'était de faire de la seconde main, mais que ça vienne s'intégrer naturellement dans notre écosystème et que ça ne vienne pas non plus dégrader l'expérience de nos clients, ni la confiance qu'elles avaient en la qualité petit bateau.
- Gilles Halais
C'est donc une activité complètement nouvelle, elle a conduit à quelle transformation dans l'entreprise ?
- Hélène de Saugère
Pour vous donner un exemple, en logistique, nous on a dû apprendre à faire du tri, on a acheté des machines à ozone pour désinfecter les vêtements, on a appris à faire du stockage à la pièce. Et de la même façon, en Haïti, on a dû gérer chaque produit comme une référence unique dans des systèmes qui n'étaient pas du tout faits pour ça. Donc c'était vraiment, pour chaque métier, une remise en question totale de leur façon de faire et une façon de devoir réinventer finalement leur activité.
- Gilles Halais
Khalida Chami, vous êtes directrice RSE et transformation chez Sandro. Contrairement à Petit Bateau, chez Sandro, vous avez fait le choix d'aller chercher un partenaire pour opérer la seconde main.
- Khalida Chami
Opérer la seconde main, c'est un métier à part entière qui n'était pas le nôtre. Donc l'enjeu, ça a été assez rapidement de trouver le bon partenaire qui a le même niveau d'exigence que nous dans l'exécution, mais aussi la même obsession de la satisfaction client. Proposer un parcours client qui soit simple, mais aussi qualitatif que notre parcours sur le neuf. Et on voulait absolument apporter de la valeur ajoutée aux deux parties prenantes, donc les personnes qui vendaient les pièces, en leur retirant toutes les tâches de description, frise de photo, négociation, donc avec un rachat immédiat de leurs pièces, et aussi pour l'acheteur, une valeur ajoutée qui est celle de la garantie de l'authenticité, de la qualité, de la propreté de la pièce, et aussi en leur donnant la possibilité de la retourner si elle ne leur convenait pas.
- Gilles Halais
Et pour l'instant, avec vos clients seconde main, c'est une relation 100% à distance ?
- Khalida Chami
Les clients entrent des informations qui concernent leurs produits, donc la référence qui est indiquée sur chaque produit, mais aussi dans quel état se trouve la pièce, la taille. 3-4 informations très simples. On leur fait une proposition de prix de reprise. Une fois qu'on a réceptionné la pièce dans l'entrepôt de notre partenaire, si elle est dans l'état indiqué, nous leur fournissons immédiatement un bon d'achat de ce montant-là qu'ils peuvent dépenser chez nous sur le neuf, en magasin ou sur le site, et bien évidemment sur la seconde main également.
- Gilles Halais
Philippe Moati, quelle est la motivation première à l'achat d'un vêtement de seconde main ?
- Phillipe Moati
Quand on interroge les gens qui pratiquent l'achat de seconde main, ce qui arrive en premier, mais largement devant tout le reste, c'est des considérations économiques. Et c'est encore plus vrai des acheteurs que des vendeurs. Il n'en demeure pas moins que quand on demande aux gens de préciser les différentes motivations, ils vont vous mettre un peu plus bas dans la liste la question environnementale. Mais ça vient ensuite.
- Gilles Halais
Ça signifie que le prix de la seconde main est un élément très important. Comment le prix d'un vêtement est-il calculé chez Seconde Main by Kiabi et Estelle Urbain ?
- Estelle Urbain
Si on est sur une plateforme C2C... C'est la vendeuse qui décide du prix à quel elle souhaite céder son article. Si je suis en magasin, on fait exactement comme sur la première main, on fait des relevés de prix. On regarde quels sont les prix à la concurrence. Et aujourd'hui, par exemple, en magasin, selon les marques, on est entre moins 40 et moins 80% par rapport au prix initial.
- Gilles Halais
Et chez Sandro, Khalida Chami ?
- Khalida Chami
Ce n'est pas la même manière de pricer qu'une collection neuve. On a des pièces qui ont un cours, on va dire, sur les plateformes de seconde main qu'il faut qu'on prenne en compte.
- Gilles Halais
Chez Petit Bateau, Hélène de Saugère ?
- Hélène de Saugère
Un vêtement de seconde main doit forcément coûter moins cher que la plus forte des réductions qu'on peut obtenir sur la première main. Donc c'est souvent comme ça qu'on réfléchit, et puis on regarde aussi ce qui se passe sur le marché pour être cohérent par rapport à l'offre de vêtements Petit Bateau qui pourraient se trouver ailleurs.
- Gilles Halais
Et chez vous, la cliente repart avec des bons d'achats ?
- Hélène de Saugère
Qui sont valables aussi bien sur de la première main que de la seconde main. Donc si vous êtes une acheteuse seconde main convaincue, vous n'êtes pas obligé de racheter de la première main, vous pouvez racheter de la seconde main. Et c'est valable à la fois en boutique et sur notre site. [Gilles Halais] : "Chez Kiabi, Estelle Urbain ?"
- Estelle Urbain
La particularité, c'est qu'un client qui vend sur la plateforme, Seconde Main By Kiabi, peut donc soit choisir du cash, comme il le fait sur toutes les plateformes, mais également transformer ce cash en bon d'achat qui est abondé. Et nous abondons pour le vendeur, mais également pour l'acheteur. Donc on abonde de 20%. Concrètement, je vends un jean de 10 euros. Je choisis du cash, je touche 10 euros. Je choisis un bon d'achat. Je touche 12 euros et mon acheteur reçoit son jean et en plus il a sa cagnotte bon d'achat qui est créditée systématiquement de 2 euros.
- Gilles Halais
Quels sont les enjeux, Philippe Moati, pour se lancer sur le marché de la seconde main ?
- Phillipe Moati
Si on veut vraiment faire un flux de revenus, ça va être compliqué si on n'a pas les volumes. Et si on est trop cher, ça sera une raison de plus pour ne pas fréquenter une plateforme qui par ailleurs ne présente pas la base critique comparativement aux leaders. Je pense qu'en boutique, c'est un avantage d'être visible, ça concrétise l'engagement de l'enseigne, mais ça pose de manière encore plus crue la question de l'appariement entre l'offre et la demande. Ces marchés d'appariement nécessitent la densité. En numérique, on peut réunir des flux qui viennent de partout, donc c'est plus facile de monter en puissance en numérique que dans le physique.
- Gilles Halais
L'enjeu, c'est donc bien l'approvisionnement. Vous partagez cette analyse, Estelle Urbain ?
- Estelle Urbain
L'un des éléments clés, ce sera de fiabiliser les gisements, la collecte, pour pouvoir avoir une supply qui est stable et pérenne. Nous, on a aujourd'hui plus d'un magasin sur deux qui propose de la seconde main en magasin. On aura 300 magasins à la fin de l'année. On aura la totalité de notre parc, y compris à l'international, l'année prochaine. Donc, on a plus de 500 000 clients qui ont déjà acheté de la seconde main en magasin. Puis, sur la plateforme, on a plus de 2 millions de pièces en ligne à l'instant T.
- Gilles Halais
Chez Petit Bateau, Hélène de Saugère, quel est le poids de la seconde main dans votre business model aujourd'hui ? Quelles sont vos ambitions sur ce marché ?
- Hélène de Saugère
Nos meilleurs magasins atteignent à peu près 10% de leur chiffre d'affaires en seconde main. Quant au e-commerce, on l'a lancé en mars dernier, donc c'est assez récent, mais on vise à 2025 à peu près 5% de notre chiffre d'affaires réalisé en seconde main.
- Gilles Halais
Et vous avez déjà atteint un seuil de rentabilité ?
- Hélène de Saugère
C'est un marché rentable, mais pour ça, le nerf de la guerre, c'est d'avoir un stock qualitatif. Car dans la seconde main, finalement, on ne vend que ce qu'on a. C'est donc la collecte auprès des clients qui va driver le business. Plus on a de stock, plus il est qualitatif, meilleure sera la revente et meilleure sera la rentabilité.
- Gilles Halais
Chez Sandro, Khalida Chami, c'est rentable ?
- Khalida Chami
Oui, nous avons trouvé un modèle économique qui est rentable. Après, l'objectif, ce sera de rapprocher le niveau de rentabilité au maximum de ce qu'on connaît, nous, sur la première main. Ça nous permet aussi d'acquérir de nouveaux clients qui ont un profil peut-être un peu différent de nos clients habituels, mais aussi de réactiver peut-être des personnes qui ne venaient plus chez Sandro, qui sont revenues à travers ce service de seconde main. Et ça rassure le client de savoir que nous proposons ce service parce que ça assoie notre confiance en la qualité de notre produit, leur durabilité, donc ça les rassure de savoir qu'à terme, on pourra reprendre leurs pièces.
- Phillipe Moati
Ça peut être un outil de fidélisation. C'est un service supplémentaire que l'on rend à ses clients, c'est un vecteur d'image, parce qu'aujourd'hui quand même le secteur de la mode est très attaqué sur le plan environnemental, donc il faut désamorcer un peu ça et dire qu'on est une marque responsable et on va contribuer à alléger un peu le fardeau en stimulant les habitudes en matière de consommation de seconde main, c'est bien, une contribution à la restauration d'une image plus responsable.
- Khalida Chami
Ce qu'on mesure, ce n'est pas le poids de la seconde main seule, c'est le poids des business circulaires. Et à l'intérieur, nous intégrons des pièces qui utilisent des matières recyclées, le poids des nouveaux business circulaires que sont la seconde main à terme, la réparation, la location. Et c'est sur cet objectif de circularité qu'on se fixe 30% de notre business qui soit plus circulaire dans les cinq prochaines années.
- Gilles Halais
Hélène de Saugère, Estelle Urbain, que diriez-vous aux enseignes qui hésitent encore ou qui ne savent pas comment se lancer sur le marché de la seconde main ?
- Hélène de Saugère
Clairement pour moi le premier piège c'est de ne pas tester, d'arriver avec beaucoup de certitude puisque c'est une activité qui se construit et du coup il faut se confronter à la réalité avec nos clientes.
- Estelle Urbain
Il y a une accélération mais qui est phénoménale. Moi quand j'ai commencé à travailler sur la seconde main il y a plus de 4 ans, il y avait à peu près 400 000 produits Kiabi en ligne, aujourd'hui on est à plus de 25 millions. Il y a une vraie bascule. Je pense qu'il y a une démocratisation totale de ce mode de consommation. C'est-à-dire qu'au-delà de l'approche pouvoir d'achat qui est en train de renforcer l'attractivité de cette façon de consommer, il y a une vraie démocratisation. On n'a plus honte de dire qu'on achète en seconde main. C'est même malin, c'est même normal, c'est même sain et mis en avant par rapport aux gestes de consommation responsable. Il n'y aura pas de seconde main sans première main. Ça va s'équilibrer. Nous, ce qu'on souhaite, c'est vraiment accentuer cette offre pour que même un magasin en donne beaucoup plus d'espace qu'aujourd'hui.
- Gilles Halais
Vous l'avez compris, avec des approches diverses, les enseignes ont toutes les clés pour réussir dans la seconde main, les opportunités sont à la taille de l'enjeu, ce marché pourrait peser en France 11 milliards d'euros à l'horizon 2030 et la croissance est 10 fois plus rapide sur la seconde main que sur le neuf. Un grand merci pour votre écoute de ce premier podcast de la collection En mode Innovation. N'hésitez pas à le partager, à réagir et rendez-vous pour le deuxième épisode qui sera consacré au Made in France. À très bientôt.
- Voix off
En mode Innovation, le podcast de l'Alliance du Commerce.