- Florence Gault
Vous l'avez peut-être découvert il y a deux semaines, pour cette saison, Minute Papillon se transforme un peu. Tous les 15 jours, un des invités du reportage diffusé la semaine précédente répond à une sorte de questionnaire de Proust. Après Hugues Mouret, c'est au tour d'Alexine Viney, en charge du programme Transition Juste au sein de Make Sense, de se prêter à l'exercice. N'hésitez pas à me dire si ce format vous plaît. Qu'est-ce qui vous indigne ?
- Alexine Viney
Qu'est-ce qui m'indigne ? Je pense que ce qui m'indigne le plus, c'est que depuis 50 ans, sur la question écologique, j'ai l'impression que les politiciens nous incitent à prendre cette responsabilité de façon individuelle, alors qu'on sait que le problème des questions écologiques, c'est plutôt un problème qui est au niveau du système global. Donc voilà, c'est plus ce détournement de responsabilité qui m'indigne un peu.
- Florence Gault
Un événement ou une expérience qui a créé un déclic écologique ?
- Alexine Viney
Je pense qu'il n'y a jamais eu vraiment de déclic pour moi sur les questions écologiques. C'était plutôt un cheminement. En fait, ça a commencé avec la COP en 2015, où j'ai commencé à en entendre parler. Moi, à ce moment-là, je n'avais que 15 ans. Donc, ça a été ma première approche, je pense, sur les questions d'environnement. Puis, s'en sont suivis les Fridays for Future, où là, pareil, je faisais un peu partie de cette jeunesse. Et je voyais... tous mes camarades autour qui se mobilisaient sur les questions climatiques. Puis ensuite je pense que ça a été plutôt l'implication dans le monde associatif où je faisais des maraudes à Villeurbanne avec le Camion du Coeur et où je me rendais compte que toutes les personnes qu'on accompagnait et qui on distribuait à manger, c'était de la nourriture pas ouf qui sortait de boîtes de conserve. Et je me disais, trop nul, ces personnes sont complètement dépossédées de l'alimentation qu'elles vont manger, ce sont des produits qui ne sont pas terribles. Et voilà, ça n'a été que des cheminements. Ensuite, il y a eu les Gilets jaunes. qui était lié à la question écologique. Il y avait eu ensuite le Covid, où ça a été, je pense, un temps hyper introspectif pour beaucoup d'entre nous. Donc voilà, c'était plus un cheminement qu'un moment, un déclic, où je me suis dit, OK, let's go, je vais être écolo.
- Florence Gault
Une rencontre qui vous a marquée ?
- Alexine Viney
Alors, j'en ai fait beaucoup, des rencontres qui m'ont marquée. Je pense que celle qui m'a le plus marquée récemment, c'était avec GetUp, qui est une association... sur les questions des quartiers populaires qui essayent de donner une image hyper positive aux jeunes de quartiers populaires. Ils sont implantés dans un lieu qui s'appelle le SASS à Saint-Denis. Et en fait, ils étaient venus en juin dernier nous présenter chez Make Sense la dernière étude qu'ils ont faite, qui a dû être publiée ou qui va bientôt sortir en tout cas. Et une étude où en fait, ils ont fait 70 entretiens sur les questions de justice climatique, 70 entretiens auprès des jeunes qu'ils rencontrent tous les jours. Et en fait, cette étude, elle est tout simplement monstrueuse. Elle montre que les jeunes sont hyper engagés, qu'ils ont une sensibilité écologique qui est développée, mais qu'il y a aussi d'autres priorités qui viennent là-dessus. Ça met vraiment en évidence la question des inégalités environnementales et vraiment cette question de justice sociale sur les enjeux écologiques. Donc voilà, cette étude m'a particulièrement marquée. Et surtout, ils font un travail de fou, donc c'est pour les mettre un peu en lumière aussi.
- Florence Gault
Un livre, un documentaire, un film, un podcast qui vous a influencé ?
- Alexine Viney
Il y en a plein, c'est dur de choisir. Mais je pense que peut-être un film qui m'a marquée, c'était le film Douce offense C'était un film documentaire avec des jeunes en banlieue parisienne qui sont allés explorer un petit peu tous les détails autour d'un projet de construction. J'ai trouvé ça super intéressant. Il y avait aussi un podcast qui mélangeait les paroles de Adrien Mallier et de Fatima Ouassak. Adrien Mallier qui est un sociologue et Fatima Ouassak qui est aussi une écrivaine et une politicienne hyper engagée sur les questions d'écologie populaire. Et pareil, ils ont fait un podcast hyper intéressant sur comment parler d'écologie en quartier populaire. Et peut-être la dernière chose qui m'a marquée en écrivant mon mémoire cet été, c'était Jean-Baptiste Combi. qui est un sociologue aussi qui travaille sur ces questions-là et qui a sorti un livre très récemment qui s'appelle Écolo mais pas trop. À côté de ça, il y a aussi une conférence gesticulée qui permet de vraiment comprendre ces sujets. Donc voilà, ça m'a beaucoup marquée aussi.
- Florence Gault
Si vous étiez un animal en voie de disparition, lequel seriez-vous et pourquoi ?
- Alexine Viney
Alors j'avoue que je ne connais pas si bien les animaux en voie de disparition. Du coup, peut-être plutôt pour faire une référence à l'actualité en ce moment, je dirais les baleines en soutien à Paul Watson. Et voilà, sinon je n'ai pas trop d'autres idées sur les animaux en voie de disparition.
- Florence Gault
Imaginez que vous avez le pouvoir de donner la parole à une plante, laquelle choisiriez-vous et quel serait son message à l'humanité ?
- Alexine Viney
Je pense que je serai un bananier, qui n'est pas un arbre, c'est une plante et c'est la plus grande plante du monde d'ailleurs. Et je pense que je serai un bananier en référence au scandale du chlordécone qui a eu lieu dans les années 90. En fait, le chlordécone aux Antilles, ça a été un pesticide qui a été utilisé sur les bananiers. Et en fait, c'est un pesticide ultra toxique pour les humains et toutes les espèces vivantes, non humaines aussi. Et ça a été hyper scandaleux. Et Malcolm Ferdinand, qui est aussi un philosophe. et un ingénieur, Martiniquais, a beaucoup parlé de ces questions-là pour montrer un petit peu tout le rapport colonial qu'il y a dans l'écologie. Et voilà, je pense que si j'étais un bananier, j'essayerais de dire au reste du monde, s'il vous plaît, évitez ce type d'agriculture intensive qui ne profite qu'aux actionnaires, aux propriétaires terriens. Et là, pour le coup, il y avait vraiment cette question hyper coloniale où c'était pour nourrir la France métropolitaine. On a complètement... Défoncer les sols des Antilles et aussi les humains qui vivaient dessus. Aujourd'hui, 90% de la population est touchée par le chlordécone. Du coup, ça entraîne des cancers, ça touche le système nerveux. C'est un gros scandale et du coup, je serais un bananier.
- Florence Gault
Si vous pouviez organiser un dîner avec trois figures emblématiques de l'écologie, vivantes ou décédées, qui inviteriez-vous et quel serait le menu ?
- Alexine Viney
Alors, j'inviterais, je pense, Ferris Barkat sur la question, qui a été cofondateur de Banlieue Climat et qui a une parole trop chouette sur les questions d'écologie en quartier populaire. Et surtout, il écoute grave de la bonne musique, donc je sais qu'il pourrait assurer la playlist. Je pense que j'inviterais aussi Vandana Shiva, qui a été une grande militante indienne sur la question des OGM, qui a vraiment traversé le monde, qui s'est confrontée à Monsanto et à d'autres... grand de l'industrie hyper destructrice. Donc, Bandhanashiva, et aussi parce que je suis d'origine indienne, donc comme ça, ça fait un rappel. Et enfin, j'irai sortir de sa tombe, Morey Bookchin, qui a été un penseur aussi américain, qui a été un peu à l'origine du concept d'écologie sociale. Du coup, j'aimerais beaucoup converser avec les trois sur les sujets d'écologie sociale, d'écologie populaire. Et qu'est-ce qu'on mangerait ? Je vais faire un truc simple. Je pense que je choisirais un bon dalle avec des lentilles un peu épicées. Ça reste un plat végétarien, mais qui permet de bien manger. Et le reste, tout ce qui est entrée, dessert, je laisserais choisir les convives. Ce serait un repas un petit peu collaboratif.
- Florence Gault
Quel est votre péché mignon non écolo dont vous avez du mal à vous passer ?
- Alexine Viney
Je pense que c'est un peu classique. Mais en vrai, la viande, moi, ça fait un vrai... Au début, il y a quelques années, j'avais complètement arrêté de manger de la viande. J'étais hyper radicale sur le sujet, en mode... C'est quand même... Et c'est vrai, c'est le plus gros levier à l'échelle individuelle pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Et donc, j'avais arrêté complètement. Et en fait, j'en suis un peu revenue, parce que, comme j'ai dit au début, je suis un peu indignée par le fait que la responsabilité soit hyper individuelle, alors que quand on connaît un peu les échelles de grandeur, en fait, c'est pas du tout la même chose des personnes qui vont prendre des jets privés tous les jours. et s'efforcer tous les jours au quotidien d'avoir une logique hyper moralisante sur notre consommation. Et il y a ce côté vraiment moralisant, l'invention éco-citoyenne. Et voilà, c'était un peu dur d'arrêter la viande, je pense aussi dans ma culture, on mange aussi beaucoup de viande. Donc voilà, sur la viande, je suis revenue un petit peu et maintenant souvent je craque. Pas souvent, enfin je ne mange pas au quotidien, mais de temps en temps quand c'est devant moi, je craque.
- Florence Gault
Alors pour cette dernière question, je vais vous laisser seule. Depuis novembre 2022, avec Audrey Ronchin, nous menons une expérience intitulée Au creux de mon arbre, l'écho du vivant Nous avons fabriqué un arbre cabane dans lequel nous invitons les gens à venir raconter leurs souvenirs de leur lien au vivant. Et je vous propose donc pour finir de nous partager un souvenir marquant de votre lien au vivant.
- Alexine Viney
Ce n'est pas un souvenir particulier, mais c'est un peu une habitude que j'ai très souvent en revenant ici chez mes parents. J'ai la chance d'habiter dans un endroit où il y a plein de champs autour de chez moi. Et donc, depuis que je suis au collège, presque tous les soirs, je prends mon petit skateboard, je vais dans un champ et je me pose. J'ai souvent une vue un peu dégagée sur Lyon. J'attends que le soleil se couche, j'écoute de la musique ou parfois non. Et je me souviens particulièrement d'un moment où il y avait beaucoup de vent. et je trouvais ça hyper intéressant de voir toutes les herbes qui avec le vent s'aplatissaient et aussi les arbres à côté, j'avais l'impression que c'était une sorte de danse autour de moi et voilà c'est des moments qui sont hyper frais et hyper introspectifs dont j'ai vraiment besoin et je pense que c'est un peu mes plus beaux moments de connexion avec la nature.