- Speaker #0
Hors série d'Encore, hors série d'Encore. Bonjour Laetitia.
- Speaker #1
Bonjour Claire.
- Speaker #0
Merci d'avoir accepté mon invitation au micro d'Encore. Aujourd'hui, on va aborder pas mal de thèmes, c'est un hors série, avec pas mal de thématiques. La thématique principale, c'est qu'on va aborder ensemble le son, l'audio, la transmission par l'oral, parce que tu es une spécialiste. Et justement, avant de commencer dans tous ces vastes sujets, je te propose de te présenter en quelques mots auprès des auditeurs et des auditrices.
- Speaker #1
J'ai eu plaisir, alors je ne sais pas si je suis une spécialiste, mais en tout cas je suis une auditrice depuis toujours, puisque ma grand-mère m'avait offert très jeune un petit poste de radio à antenne télescopique. Et ce poste de radio ne m'a plus quitté et a accompagné tous mes gestes et mes pas dans l'appartement que j'habitais à Paris. Il était avec moi dans mon lit, dans ma salle de bain, dans ma cuisine. J'ai passé vraiment beaucoup, beaucoup de temps. à écouter ces voix de la radio dont j'avais l'impression qu'elles s'adressaient à moi, ce qui est évidemment faux, je ne l'ai découvert pas, mais cette sensation magique de se dire que ces gens qu'on ne voit pas nous parlent de là où ils sont, de ce qu'ils ressentent, de ce qu'ils font, de ce qu'ils aiment faire, de ce qui les intéresse, ça a enrichi vraiment mon imagination et ce que je suis aujourd'hui. Et c'est avec toutes ces voix que j'ai tissé un parcours autour du son et des pratiques d'écoute.
- Speaker #0
D'accord. Et c'est marrant, c'est ta grand-mère qui t'a finalement transmis ce poste de radio. Est-ce qu'elle avait cette passion aussi de l'audio ?
- Speaker #1
Oui, c'est vrai, c'est une bonne question. Je me suis souvent demandé comment c'était venu. Je pense que c'était plutôt une question de génération, où à l'époque, la radio était un objet très important dans la maison. puisque c'est une génération qui avait vécu la guerre, donc il y avait beaucoup d'informations importantes qui passaient à travers la radio, des rendez-vous, des messages codés, tout ce qu'on a appris. C'était aussi extraordinaire quand même cette technologie où on se rassemblait et on entendait des rumeurs de l'extérieur qui arrivaient dans notre espace intime. Donc je pense que c'était plus générationnel. Comme beaucoup de familles, la radio était quelque chose de très important. Et quand ça a changé de taille, à l'époque ça devait être des gros objets. Et en fait, c'est devenu de plus en plus petit. Donc, c'était quelque chose qu'on pouvait offrir. Et donc, je pense qu'elle a fait tout simplement ce choix de cadeau pour m'ouvrir une fin sur le monde comme ça l'avait été pour elle, mais pas forcément plus que dans les autres familles. En fait, je pense que ça s'est passé comme ça.
- Speaker #0
D'accord. Oui, parce qu'il y a certaines familles, c'est parfois par la littérature qu'on transmet des choses. Là, finalement, l'objet du poste de radio est devenu pour toi un fil rouge finalement dans ta vie. parce que alors Raconte-nous ce que tu as eu, ce poste de radio. Et quand tu tires le fil de la bobine, tu te souviens de tes premiers moments avec cet appareil-là et finalement une passion qui a né. Pourquoi tu en as fait ton métier aujourd'hui d'être productrice dans l'audio ?
- Speaker #1
En fait, je me suis rendu compte que ce que j'aimais dans la radio, c'est le fait qu'on était libéré de son image et de l'image des autres. Quand j'écoutais ces gens qui parlaient à la radio, libre à moi... ou pas d'ailleurs, de les imaginer physiquement, la façon dont ils étaient habillés, leurs regards, etc. Et je trouve que ça reliait les gens dans une autre dimension qui est une dimension profonde, écouter vraiment ce que les gens ont à dire plutôt que de s'arrêter à leur surface. Ça m'a beaucoup touchée et j'imagine que ça a rencontré une sensibilité et quelque chose qui a résonné pour moi. Donc voilà, j'ai voulu essayer de rentrer dans la Maison de la Radio à Paris. Donc j'ai candidaté à l'époque en candidature libre. J'ai été prise pour faire un remplacement. C'est comme ça que j'ai travaillé une quinzaine d'années à la Maison de Radio France à Paris, où j'ai tout appris. J'ai côtoyé les réalisateurs, les producteurs, les assistants de production. J'ai passé beaucoup, beaucoup de temps à observer les gens qui venaient parler comme ça dans les micros et qui étaient donc distribués. dans toutes les maisons du pays comme moi je l'avais ressenti à l'époque. C'est vraiment ce fil très ténu, très fragile, mais vraiment réel entre ces voix qui parlent et ces personnes qui reçoivent le son des autres sans s'encombrer de l'image. Ça m'a beaucoup intéressée, touchée et ça m'accompagne encore vraiment beaucoup aujourd'hui. Et je sais, plus j'avance dans mon parcours de chercheuse, Le potentiel que ça représente de se débarrasser de l'image, comme vous avez dit depuis le début, pour transmettre d'une génération à l'autre, pour se relier entre soi, pour laisser des traces autres que le visuel. Donc les images, les photos, les images animées, les vidéos.
- Speaker #0
C'est vrai qu'on parle souvent de la vidéo comme étant le support de l'instant, de l'instanté. L'audio, tu en parles beaucoup comme quelque chose qui permet de transmettre. Tu as même cité une phrase de la transmission entre les générations. C'est comme ça que tu le vois aujourd'hui, ce support ? Est-ce que c'est un outil finalement du passé ?
- Speaker #1
Alors, je ne pense pas. Je pense que c'est un outil qui laisse une trace. Je parle des enregistrements. Moi, j'ai créé une structure qui s'appelle les mémoires sonores. Donc, j'ai enregistré des voix à usage des cercles. proches, les familles, donc j'enregistrais les voix des grands-parents, les voix des enfants, pour laisser une trace vivante, sensible pour les proches. Et c'est une matière qui prend de la valeur au fur et à mesure des années qui passent, puisque plus on s'éloigne de comment on a été, plus on a de l'émotion à se réécouter. Donc c'est une matière qui traverse les temporalités en fait. C'est vrai que ça fixe un moment dans le présent qu'on peut réécouter. au fur et à mesure que le temps passe. Mais je pense aussi que c'est un outil extrêmement actuel, avec beaucoup de potentiel. Je lis beaucoup d'auteurs qui s'intéressent à ces questions-là, dans le milieu universitaire, mais dans le milieu artistique, culturel. Il y a cette idée que c'est un outil très politique et très inclusif. Il y a un auteur qui s'appelle Brandon Labelle, qui est américain mais qui est basé à Berlin, qui explique que... Le son, la façon de se relier par le son et non pas par l'image, nous permet d'exister plus tel que nous sommes. Ça permet de rassembler des gens qui n'ont a priori rien de commun, mais qui se relient juste par l'écoute de l'autre, le soin de l'autre, et tout ce que ça comprend d'empathie, d'intérêt, de curiosité saine pour l'univers des autres, en dehors du monde visible. Et pendant très longtemps, la politique a été liée. à être visible dans l'espace public. Et en fait, aujourd'hui, c'est un petit peu comme si ça s'inversait, c'est-à-dire qu'en fait, on n'a pas besoin finalement d'être visible pour être engagé, pour vouloir exister, pour vouloir faire émerger des voix. En fait, ce monde sonore est un monde réel et il se passe autre chose que dans la sphère du visible.
- Speaker #0
On le voit bien avec l'avènement aussi du format podcast. Depuis un certain nombre d'années, le podcast explose parce que les gens prennent plaisir finalement à écouter des récits, des témoignages, suivent l'actualité avec le simple média de l'audio. Tu as parlé aussi par mémoire sonore, donc c'est un projet que tu as créé, que tu as lancé. J'aimerais que tu nous en parles un petit peu plus parce que quand tu dis j'ai participé à des récits familiaux, c'est-à-dire que tu allais dans des familles et tu prenais... Tu enregistrais différentes personnes qui parlent ensemble ? Comment ça se construisait, cette transmission par l'audio dans ces familles ?
- Speaker #1
C'est des dispositifs qui se disputent un petit peu à l'avance. On peut effectivement imaginer des dialogues à deux voix ou à trois voix, ou une voix, un petit peu comme on est en train de faire en fait. C'est un récit à la première personne, donc c'est un récit incarné, donc très authentique. La voix et le son en général ne se produisent que dans le présent. Donc en fait réécouter une voix de quelqu'un qui est décédé, ça trouble complètement la perception de la temporalité puisqu'en fait on est dans le présent, puisque la voix est condamnée à se produire dans le présent. Dans ce projet de mémoire sonore, c'était l'idée de capter un moment où la personne se raconte, raconte son parcours de vie. Ça pouvait être aussi très léger, ça pouvait rencontrer la grande histoire ou non, ça pouvait être... Ça pouvait être tissé d'anecdotes, ne serait-ce que de capter un rapport au monde. C'était ça mon objectif, capter un rapport au monde. Ça peut aussi passer par comment je décris la pièce où je suis. Ça passe parfois par des toutes petites choses et pourtant tellement aidées dans cette façon que la personne a de choisir ses mots, son débit, son souffle, ses silences, son rythme d'expression. Et c'est ça qui nous touche quand on le réécoute, parce que c'est tellement unique, c'est tellement singulier, que par cette matière sonore, la personne nous réapparaît dans toute sa complétude, dans toute son entièreté. Et c'est assez troublant et touchant.
- Speaker #0
Tu sais que dans ce podcast, on parle beaucoup de la vieillesse et de la reconnexion entre les générations. Toi qui es allée dans des familles avec différentes personnes, Qu'est-ce que tu as pu observer quand il s'agit de mettre un micro dans une famille avec plusieurs âges autour de ce micro, justement ? Est-ce qu'il y a une magie qui s'opère ? Est-ce que les uns écoutent les autres ? C'est quoi ton ressenti avec ce média que tu as créé ?
- Speaker #1
Alors, merci beaucoup de poser cette question parce que c'est très important. de se dire que tout ça est finalement très joyeux, qu'il y a beaucoup de plaisir à partager toutes ces choses-là et que ça n'a rien de triste, en fait, de vouloir enregistrer les gens pour les garder, en fait. C'est quelque chose de très vivant. Et moi, ce que j'ai remarqué, c'est que, d'abord, c'est très flatteur d'avoir un micro devant soi parce que tout d'un coup, on se dit que oui, peut-être que ce que j'ai vécu, que ce soit grand, que ce soit petit, peut-être que ça peut intéresser, peut-être que ça peut être transmis, partagé. C'est un intérêt et c'est une relation à l'autre qui est flatteur. Ensuite, le fait de réécouter ces voix et de créer des situations d'écoute où toute la famille se rassemble, toutes les générations, tous les âges, autour de cette voix qui fait partie, qu'on le veuille ou non, de notre histoire, puisqu'en fait on est tous une partie d'un grand puzzle de générations, d'ancêtres, de contemporains, de descendants, d'ascendants, etc. Donc on est tous pris dans un maillage. générationnelle et le fait d'écouter ces voix tous ensemble et bien en fait ça apporte beaucoup de joie d'abord, d'apaisement, de cohérence avec sa propre histoire, avec l'histoire des autres donc ça nous remet à l'intérieur de ce maillage familial et c'est très joyeux, j'insiste c'est vraiment très joyeux.
- Speaker #0
Oui c'est le sentiment qu'on a quand on écoute ce projet que tu as mené d'ailleurs au-delà des... des familles, tu l'as mené dans plusieurs villes, tu l'as mené dans plusieurs pays. Est-ce que tu as noté justement une différence quand tu es allé, par exemple, réaliser ces projets-là ? Il me semble que tu es allé installer des choses sonores, par exemple, à Dakar. Il me semble que tu es allé aussi en Afrique, que tu es allé dans plusieurs endroits dans le monde pour ces expérimentations. Est-ce que tu vois une différence dans le traitement de l'oralité entre les générations dans ces pays ?
- Speaker #1
Oui, c'est une grande question dont je suis loin d'être venue à bout. Nous, notre façon d'écouter est différente déjà d'une personne à l'autre, mais aussi d'une culture à l'autre et en l'occurrence d'un continent à l'autre. En fait, ce qui est intéressant aussi, c'est de désapprendre à écouter. C'est-à-dire que l'écoute est tellement conditionnée par notre éducation, par la façon dont on... qu'on a eu d'écouter par exemple en classe, d'écouter la voix de l'autorité. Il y a toutes sortes d'écoutes, une écoute désirée, une écoute autorisée, une écoute subie, une écoute traumatique. Au-delà des différences entre les continents, ce qui est intéressant aussi, c'est d'arriver à déconstruire et avoir conscience de sa façon d'écouter. On peut écouter de façon critique, on peut écouter de façon… Quand on dit « on voit les paroles » , ça veut dire d'une façon… qui adhèrent totalement à ce qu'on écoute, ça peut nous transporter, ça peut nous irriter. Les pratiques d'écoute, en fait, c'est vraiment très complexe, très riche. Et je cite aussi là une autre autrice très, très intéressante, d'origine arménienne, anglaise, britannique, qui s'appelle Gassia Ouzounian, qui écrit sur les pratiques de contre-écoute, à quel point c'est très important de se débarrasser de ce qu'on a hérité dans notre façon d'écouter. même peut-être d'obéir et donc d'aller vers des écoutes plus libérées, anarchiques. L'écoute, en fait, c'est un outil extrêmement inclusif, encore une fois, et qui devrait être pensé, actif, comme un outil de libération et de reconnexion, de liaison avec nos contemporains, avec ceux qui étaient là avant nous, avec ceux qui seront là après nous. Donc en fait, c'est un outil vraiment extrêmement puissant. Je reviens à la différence entre l'écoute en Afrique et l'écoute en France. Ça dépend de ce qu'on écoute, dans quel contexte, pourquoi. Toutes ces conditions d'écoute ont une importance très grande. Je travaille aussi sur cette idée de quelles sont les conditions qu'on peut créer pour qu'une certaine voix émerge et qu'elle soit entendue.
- Speaker #0
Par exemple, la voix de la vieillesse, est-ce qu'elle est entendue aujourd'hui ? Tu dis que c'est inclusif et toutes les voix, celles d'hier, d'aujourd'hui et de demain, sont entendues, seront entendues. Est-ce qu'elles le sont vraiment, les voix des personnes âgées, par exemple ?
- Speaker #1
C'est vrai que c'est une belle question à poser. Et je pense que dans la démarche que vous avez eue à créer ce fabuleux podcast, Encore, c'était l'idée de vouloir écouter nos anciens. Et donc moi, évidemment, ça me touche beaucoup parce que c'est une démarche que j'essaye de développer depuis plusieurs années. Probablement pas assez, on n'écoute pas assez nos anciens. Je ne sais pas si on les ignore ou si on les délaisse, ou si on se détourne d'eux. Probablement un peu de tout, mais... Remettre au centre cette richesse que les anciens ont, puisqu'ils sont passés par toutes les étapes par lesquelles nous allons passer, c'est vraiment très important et c'est facile à comprendre en fait. C'est même fou qu'on se soit autant déconnecté de cette parole qui nous a précédé. En fait, ça pour le coup, dans des pays sur le continent africain, dans les cultures, il y a vraiment un autre rapport à la vieillesse puisque les vieux sont considérés comme des sages. Donc ça veut dire qu'ils sont beaucoup plus intégrés. Dans le présent des familles, géographiquement, ils habitent encore dans les maisons, ou ils sont dans la maison juste à côté. En fait, cette idée de maison de repos, etc., c'est d'autres façons de vivre. Mais quand même, ça interroge sur la place des anciens dans nos vies.
- Speaker #0
Tu viens d'aborder, je trouve, un point hyper intéressant sur cette proximité géographique qui est en chute libre, et on le voit depuis un certain nombre d'années maintenant, en Europe notamment, où on habite. n'est plus du tout à côté de ses parents et encore moins à côté de ses grands-parents. Est-ce que justement la tradition de l'oral se perd parce que le lien physique est rompu ?
- Speaker #1
Oui, probablement. C'est vrai que ça contribue, c'est sûr. Quand on vit avec les personnes, il est évident qu'on est plus en relation, on se parle plus, on partage plus le quotidien. D'ailleurs, sans parler de discussions profondes, ça peut être vraiment partager les toutes petites choses du quotidien. Mais en fait, c'est là où on est dans la vie. C'est la vraie vie en réalité, qui va faire les courses, qui descend les poubelles, que tu as besoin de boire un thé parce que tu as froid. C'est des toutes petites choses en réalité. Moi je l'ai vu parce qu'il se trouve que j'ai accueilli ma belle-mère de 85 ans pendant plusieurs mois dans un tout petit espace où on habitait avec mes trois filles. Cette relation que j'ai avec cette génération, elle est d'une densité et d'une richesse vraiment pour moi extraordinaire. C'est-à-dire que... Oui, bien sûr, c'est une responsabilité d'avoir quelqu'un de très âgé dans sa maison parce que parfois, elle n'arrive pas bien à marcher. Parfois, elle a des douleurs, même assez souvent. Les nuits ne se passent pas toujours bien. Il faut aller souvent aux toilettes. Il y a tout un tas de réjouissances liées à la vieillesse qu'on ne connaît pas encore, mais on va les commettre aussi. Mais c'est surtout, en fait, la richesse d'avoir quelqu'un à la maison, toute la stabilité aussi de ces âges-là. La vie des parents, mais pas seulement, la vie des gens qui travaillent, la vie des gens qui font des choses, qui sont reliés, connectés avec Internet, avec toute cette vitesse qui nous absorbe dès le matin et jusqu'au soir. Eh bien, en fait, les personnes âgées ou nos anciens apportent pour moi une constance, une stabilité, une expérience et qui, dans mon cas, et je vois aussi pour mes filles. incroyablement apaisé le quotidien. Donc en fait, toutes ces relations intergénérationnelles, cet appel à vivre ensemble dans la mesure du possible, pour moi, c'est vers là qu'on doit aller parce que c'est tellement riche dans les deux sens.
- Speaker #0
D'abord, d'un sujet que j'ai envie de creuser avec toi, cette notion de filiation, parce que là, on parle beaucoup de la relation qu'on peut avoir avec nos aînés ou les aînés qui peuvent avoir de la relation avec leurs descendants, par exemple. Comment on peut créer des relations avec des... personnes plus âgées que nous qui ne sont pas dans nos cercles. Si ces personnes, par exemple, sont très âgées et n'ont pas accès à des outils digitaux ou des outils pour communiquer, comment on fait aujourd'hui pour être en contact avec des personnes plus âgées qui ne sont pas dans notre filiation ?
- Speaker #1
Peut-être aller collecter des voix. En fait, moi, je m'en suis servie comme ça au départ, avoir un micro, un enregistreur dans ma main, ça permet de frapper aux portes et d'aller s'intéresser à l'autre. qu'on ne connaît pas, à l'autre dont on sait qu'il est là, mais on ne sait pas ce qu'il a à dire parce que cette personne, comme vous dites, n'est pas forcément connectée ou peut-être qu'elle ne peut pas sortir parce qu'elle n'a pas le courage, elle est timide, je ne sais pas ce qui peut lui arriver. Mais c'est vrai que le micro donne un alibi, un prétexte extraordinaire pour aller frapper aux portes, s'intéresser aux personnes et aller les enregistrer parce que toutes les voix comptent en fait. Et tout le monde a quelque chose à dire, ça c'est très important aussi. On n'a pas besoin de faire quoi que ce soit pour avoir quelque chose à dire en fait. Rien que le fait d'avoir passé toutes ces années à vivre par sédimentation, on a accumulé une expérience, un rapport au monde. Et bien c'est ça qui nous intéresse, nous qui voulons garder une trace de toutes ces vies, de toutes ces voies, de toutes ces personnes. Et dans le cas de personnes âgées, oui, il y a le problème d'être déconnecté des outils digitaux, il y a le problème de l'immobilité, de l'isolement quand il n'y a pas beaucoup de cadre familial. Chacun voit un petit peu avec son prisme à lui. Moi, c'est vrai que je travaille beaucoup avec un micro et avec l'audio. Ce qui me permet encore une fois de débarrasser les questions liées à l'image. Donc en fait, les personnes âgées n'ont pas toujours eu ce corps-là, ce visage-là, ce tremblement-là des mains ou autre. Et donc leur tendre un micro, c'est aussi s'intéresser à elles, c'est les valoriser dans leur densité de vécu. Peut-être que ça pourrait être une piste, une contribution pour les écouter, pour les garder. dans la société avec nous.
- Speaker #0
C'est ça qui est important aujourd'hui. Et ça, tu le vois aujourd'hui, parce que tu as évoqué tout à l'heure en début une thèse. Donc, tu étudies, tu as repris le banc des études, on peut dire ça, ou peut-être que tu ne l'as jamais quitté. Qu'est-ce que tu étudies, justement ? Est-ce que cette part sociologique, avec les comparaisons qu'on essaie de faire avec les personnes âgées, est-ce que ça, tu l'étudies, justement ?
- Speaker #1
Je n'étudie pas seulement vers les personnes âgées. J'étudie la voix parlée enregistrée, et les pratiques d'écoute de cette voix qui nous transportent au-delà de ce que les voix disent. Donc je les dis autrement. En fait, j'étudie comment faire émerger ces voix-là et comment c'est une expérience sonore et non pas seulement de l'information ou du langage ou des choses à dire, à transmettre du point de vue factuel, etc. En fait, moi, ce qui m'intéresse, c'est le voix comme le son humain. tout ce qu'elle transporte d'invisible avec elle. Et c'est cet invisible-là qui touche, qui émeut, qui garde l'essence d'une âme, d'une personne, etc. Et donc, ça, pour transformer la voix en une expérience sonore, on doit se détacher de ce qui est dit pour s'intéresser à la matière en tant que telle. Encore une fois, les souffles, les silences. la texture, le teindre, tout ce qui est là, mais qu'on n'entend pas si on n'y prête pas attention. Donc, c'est une déconstruction de l'écoute à laquelle on a été habitué pour entendre autre chose, en fait. Donc, ça, ça passe par des exercices aussi. C'est vraiment très, très, très...
- Speaker #0
J'allais te demander, justement, concrètement, si quelqu'un te dit « Je sens que j'ai envie de... » Mieux écouter et pas seulement être une présence physique quand, par exemple, je vais voir mes grands-parents ou quand je rencontre quelqu'un de plus âgé, parce qu'encore une fois, j'ai envie d'avoir le spectre de l'âge. Quel conseil tu donnerais à une personne pour déconstruire sa capacité d'écoute ?
- Speaker #1
C'est des exercices très simples. Déjà, fermez les yeux. Fermez les yeux là où on est. Commencez par observer le silence, parce que pour écouter les autres, il faut savoir se taire et faire le moins de bruit possible. Et commencez à... essayer d'identifier les sons qui sont autour de nous. Et donc, quand on neutralise notre vision, qui est le sens dominant chez l'être humain, une autre dimension s'ouvre à nous. Donc, j'invite les auditeurs à fermer les yeux, là où ils se trouvent au moment où ils nous écoutent, et essayer d'identifier les sons, par quoi ces sons ont été provoqués. Donc, c'est souvent un mouvement de quelque chose, une activité. humaine ou de la nature. Donc en fait, commencer déjà à s'interroger sur son écologie sonore. Qu'est-ce qui se passe dans la matière sonore autour de moi dans mon quotidien ? Et c'est pareil quand on va voir ses grands-parents. En fait, essayer de se congeler dans son univers à eux, du point de vue sonore. Fermer les yeux avec eux. Qu'est-ce qu'ils entendent ? Est-ce que c'est le rideau qui claque ? Est-ce que c'est la cuillère en fer dans la tasse de thé en porcelaine ? Est-ce que c'est la chasse d'eau ? Est-ce que c'est quelque chose qui fuit ? Est-ce que c'est le son de l'ascenseur qui monte et qui descend ? Est-ce que c'est les voix des voisins dans la cage d'escalier ? Est-ce que c'est les voitures qui passent en bas si on habite dans une ville ? Est-ce que c'est le son des vaches si on habite à la campagne ? Ou les chiens, les Ausha, les animaux ? Est-ce que c'est les oiseaux ? quel oiseau, à quelle heure, souvent, tout ça, c'est des mondes, en fait, qui... qui sont peut-être un peu banalisées, mais qui ont leur propre cohérence, leur propre dynamique, et donc c'est intéressant d'essayer de sortir de soi et de se plonger dans cet autre monde qui est le monde sonore. Et en fait, déjà on se sent ce petit chemin vers une écoute plus active, plus consciente des choses. On se rapproche différemment des êtres aimés, mais aussi pour soi. En fait, on prend plus possession de son existence quand on s'intéresse à d'autres dimensions de cette existence et notamment à la dimension sonore.
- Speaker #0
C'est marrant, pendant que tu évoquais tout ça, c'était comme un exercice de méditation, je me suis transportée dans le... dans la salle à manger de mes grands-parents. Parce que là, tu m'as invité à fermer les yeux et j'avais l'impression de revenir au moment où j'allais prendre le café avec mes grands-parents et on papotait. Et c'est marrant comme ça a un pouvoir aussi, le son de mémoire. On peut se rappeler.
- Speaker #1
Absolument.
- Speaker #0
C'est vrai qu'on évoque souvent les goûts, les madeleines de Proust, parce qu'il y a une saveur, une odeur qui va nous plonger dans l'enfance. Mais les sons ont ce pouvoir-là aussi.
- Speaker #1
Absolument. Donc là, c'est vraiment la question des mémoires sonores. C'est très intéressant. à quel point la mémoire marche par sédimentation, c'est-à-dire que depuis la vie intra-utérine même, on entend des sons qu'on emmagasine dans notre inconscient et ce sont des sons qui nous construisent. On est la sonne de tous les sons que nous avons entendus dans notre vie. Et donc, plus on élargit notre spectre sonore, plus on a une réserve, une bibliothèque de sons. riche, variée, intéressante, qui nous constitue. Et si on pense à la mémoire sonore, en fait, la mémoire marche par activation. Donc en fait, si on entend quelque chose qui ressemble à un son qu'on a entendu, même il y a très longtemps, ça va nous projeter quelque part, ça va nous faire voyager, comme le goût fonctionne, effectivement, quand on goûte quelque chose. Ça peut nous transporter dans une autre maison, avec d'autres personnes, et même très loin dans l'enfance. Et bien le son, c'est vraiment la même chose. Par exemple, moi j'ai enregistré ma grand-mère, et quand j'allais chez elle, il y a des sons qui sont communs à nous tous, donc mon frère, ma soeur, mes cousins, et même la génération de mes parents, qui nous rappellent l'appartement de ma grand-mère, et notamment par exemple cette sonnerie de téléphone qu'elle avait. à tout volume pour être sûre de l'entendre. C'est incroyable, cette sonnerie de téléphone tellement unique. C'est des sons qui nous rassemblent aussi en famille et dont on peut évoquer, dont on peut sourire ensemble. Tout ça, ça crée du lien, en fait, et c'est très beau. Oui,
- Speaker #0
c'est vrai, et c'est pour ça que ça donne envie. Alors, tout le monde n'a pas un appareil pour enregistrer les uns et les autres. Ce qui est important de retenir aujourd'hui, c'est... cultivons cette capacité à écouter, à poser des questions aussi, parce que c'est vrai qu'on parle beaucoup de l'écoute, mais écouter quelqu'un, c'est aussi savoir, certes, mettre des silences, mais poser des questions, s'intéresser, être curieux de l'autre pour pouvoir entendre.
- Speaker #1
Il y a un sociologue italien qui dit qu'entrer en conversation avec quelqu'un, c'est baisser la garde, rendre les armes. s'abandonner en fait à ce voyage dans l'intime de la personne. Et ça commence par des choses très simples, vraiment les salutations, le regard, se regarder, s'écouter, s'adapter, trouver une synchronicité aussi dans cette façon d'échanger, de questionner, d'écouter la réponse, de réagir. En fait, c'est vraiment une célébration aussi de la conversation. Conversons, écoutons-nous, parlons-nous. Parce que c'est ça, en fait, le lien le plus facile à faire et le plus riche et profond. Celui qui nous relie entre nous, donc d'une génération à l'autre, entre collègues, dans la cellule familiale. Tous les liens, en fait, passent par ce son humain qui est la voix. C'est un signe que je m'intéresse à l'autre et je suis suffisamment disponible pour me laisser transformer. aussi, transformé par ce que je vais écouter de l'autre. Parce qu'en fait, c'est un système de porosité aussi, quand on converse. Et en fait, cet échange, cette dynamique de voix qui partent, qui sont émises et qui sont reçues, tout ça, ça a un pouvoir de transformation. Vraiment, de transformation. Et c'est de ça encore qu'on s'enrichit, qu'on devient plus dense et qu'on aime mieux aussi, parce que finalement, on parle beaucoup d'amour en bas.
- Speaker #0
Oui, c'est clair. Autant on peut prendre plaisir à feuilleter des albums et à continuer à documenter notre vie avec nos téléphones ou appareils photos, autant c'est vrai qu'avoir le plaisir de réécouter un rire d'une personne qui nous est chère, disparue ou non, c'est vrai que c'est des vraies boîtes à souvenirs. C'est des vraies choses qu'on transporte. Le son, la voix, tout ça peut être vecteur de bonheur absolu, complètement.
- Speaker #1
Absolument. Combien de témoignages de personnes qui réécoutent des messages de réponses de personnes qui sont décédées et qui revivent ce lien dans le présent, encore une fois, parce qu'elles écoutent dans le présent, elles sont projetées.
- Speaker #0
dans le présent avec cette personne, c'est extraordinaire. Donc en fait, j'encourage, même un téléphone, n'importe quel outil en fait pour enregistrer, on n'est pas obligé d'avoir un matériel professionnel, même les téléphones, les smartphones suffisent pour enregistrer des choses et avoir tellement de plaisir à les réécouter un jour, deux jours plus tard ou même une semaine, un an, dix ans plus tard. C'est une boîte à souvenirs, comme vous dites. Extraordinaire.
- Speaker #1
Laetitia, ça va bientôt être le mot de la fin. Moi, j'ai pour l'habitude de demander à mes invités ce qu'ils mettent derrière le mot « encore » . Qu'est-ce que ça t'évoque, ce mot-là ?
- Speaker #0
On n'en a jamais assez. On n'en a jamais assez de se parler, de s'intéresser, d'interagir, de vivre avec, de vivre ensemble. Encore, toujours, aller vers l'autre.
- Speaker #1
Parfait. Et écouter.
- Speaker #0
Et écouter.
- Speaker #1
Ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup Laetitia pour ton expertise apportée aujourd'hui, ta passion surtout parce que c'est vrai qu'au-delà de tes recherches, j'ai l'impression que c'est l'histoire aussi de ta vie et c'est pas simplement un travail mais c'est quelque chose qui t'habite, cette volonté de trouver des moyens de transmettre par le son et de décortiquer tout ça et en même temps de le rendre aussi simple parce que finalement on a... un peu détriturer le sujet, mais la simplicité, c'est que écouter, c'est à la portée de tout le monde, ceux qui ont la capacité physique de le faire. Mais en tout cas, c'est à la portée de tout le monde et que c'est important de reprendre les basiques, peut-être aussi, tout simplement.
- Speaker #0
Absolument, oui, oui, c'est vrai que c'est quelque chose qui m'habite beaucoup et pourquoi j'ai repris mes études, puisque c'est le cas, vous l'avez dit tout à l'heure, tout simplement pour mettre dans un cadre académique, toute cette passion que j'ai pour les pratiques d'écoute, pour le son, comme des outils vraiment fondamentaux pour mieux vivre ensemble aujourd'hui, c'est vraiment très important et c'est vraiment très d'actualité. Merci beaucoup pour cette invitation et j'insiste, chères auditrices et chers auditeurs d'Encore, écoutez, enregistrez, conversez, c'est si simple et ça apporte tellement de joie.
- Speaker #1
Parfait. J'adore, en plus on termine sur une note hyper positive, comme d'habitude. Merci Laetitia, je te dis à bientôt. J'espère qu'on aura l'occasion de se revoir et de se rencontrer. Merci pour ton témoignage aujourd'hui. Merci d'avoir écouté cet épisode. J'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, gratifiez-le d'un maximum d'étoiles sur votre plateforme d'écoute préférée et surtout, parlez-en autour de vous. Et pour suivre les coulisses, retrouvez Encore sur Instagram. A bientôt ! Hors série d'encore, portez-vous, encore.