Speaker #0Bonjour ou bonsoir à tous et à toutes et bienvenue sur Environ, le podcast sur l'histoire de l'environnement. Aujourd'hui, je veux vous parler de quelque chose qui me tient à cœur, un sujet qui touche à ma passion ainsi qu'à mon ancien domaine d'études en histoire. Il s'agit de l'histoire environnementale des jeux vidéo. Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous faire une lecture de mon mémoire, déjà car je suis super mauvais en ASMR, et puis cet épisode n'est pas sponsorisé par votre plateforme d'audiobook favorite. Donc en 3 épisodes, je vais synthétiser les idées qui s'y trouvent, et tenter de vous raconter une nouvelle histoire, trop peu étudiée encore, mais qui, je trouve, devient de plus en plus importante au vu des enjeux écologiques d'aujourd'hui. Lors de leur démocratisation dans le monde, les jeux vidéo étaient critiqués pour être considérés comme simplistes, violents, ou alors pour être vus comme une influence étrangère nuisible à la culture occidentale. Mais au fil du temps, les personnes ont commencé à les considérer comme de véritables formes d'art, tout comme le cinéma ou bien la musique. Dans les années 1980-90, beaucoup imaginaient l'avenir des jeux vidéo comme étant très axé sur la technologie, et cette vision était complètement opposée aux préoccupations environnementales. Cette industrie a historiquement mis l'accent sur la technologie au détriment des questions liées à l'écologie, et pendant longtemps, l'industrie ne s'est pas du tout préoccupée de l'environnement, ni n'a abordé cette question dans ses discours, ou alors de manière très très timide. Comment en est-on arrivé là, vous me direz ? Eh bien, je ne vous en dis pas plus, et allons ensemble découvrir ce nouvel environ. Les premiers jeux vidéo, comme Tennis for Two en 1958 et Space War en 1962, étaient créés pour montrer la puissance des ordinateurs, mais n'étaient disponibles que dans quelques universités. Ce n'est qu'avec la commercialisation de bornes d'arcade par Atari dans les années 70, notamment avec le jeu Pong, que l'industrie du jeu vidéo commence réellement à se développer. Durant les années 80, une croissance rapide du secteur est en marche. Cela conduit à une surproduction de jeux et de copies de jeux d'arcade de mauvaise qualité comme Dishaster ou bien Lost Luggage, saturant donc le marché des jeux vidéo. Et en 1983, l'industrie, enfin surtout Atari, connaît un effondrement financier majeur appelé le krach des jeux vidéo. Beaucoup d'entreprises comme Mattel et Texas Instruments font faillite ou alors se retirent du marché. Un des événements les plus emblématiques de ce krach est l'affaire des cartouches enterrées. En 1982, Atari sort sur sa console Atari 2600 un jeu basé sur le film E.T. l'extraterrestre qui se révèle être un échec total au vu de sa mauvaise qualité. Des centaines de milliers de cartouches invendues sont enterrées dans le désert d'Alamogordo, au Nouveau-Mexique, pour s'en débarrasser. Cette anecdote devient une légende jusqu'en 2014, où une équipe dirigée par Microsoft réussit à exhumer environ 1300 de ces cartouches. Malgré des décennies sous terre, certaines des cartouches sont encore en bon état, révélant que les matériaux utilisés ne se décomposent pas facilement. Les cartouches de jeux enterrées à Alamogordo représentent une pollution durable due à la lente décomposition des matériaux tels que l'acrylonitrile butadiene styrene, en gros le plastique, les cartons d'emballage, les ressorts et le silicone. Ces objets, initialement conçus comme produits de consommation, se transforment en déchets polluants lorsqu'ils sont éliminés de manière inappropriée. La découverte de ces cartouches met en évidence le problème plus large de la gestion des déchets dans l'industrie vidéoludique. Chaque jeu physique produit génère un impact environnemental non négligeable, amplifié par la quantité de jeux invendus qui finissent souvent en décharge. Cette première tension environnementale demeure assez isolée finalement. Mais on va voir qu'avec la renaissance du secteur des jeux vidéo, d'autres enjeux vont apparaître. En vérité, le krach de 1983, ça touche surtout Atari, mais sinon le reste de l'industrie va plutôt bien et ça va s'améliorer. La même année au Japon, Nintendo lance la Nintendo Entertainment System, la NES, et des millions d'ordinateurs Commodore 64 sont distribués dans les foyers aux États-Unis. Donc les jeux vidéo ne vont pas si mal finalement. La NES, avec ses graphismes avancés et son jeu phare Super Mario Bros, connaît un succès immédiat. Nintendo adopte une stratégie intelligente, intégrant innovation, qualité et marketing efficace. Et entre 1985 et 1990, l'éditeur monopolise presque le marché, représentant 80% du marché des jeux vidéo et 20% du marché américain des jouets. La NES devient incontournable et son personnage Mario beaucoup plus célèbre que Mickey Mouse. Pendant ces années, Nintendo règne en maître jusqu'à ce que Sega, un autre géant japonais, entre en scène. Sega lance des consoles concurrentes comme la Master System et la Mega Drive, appelées Genesis aux Etats-Unis, et crée une sorte de rivalité iconique entre leurs mascottes, Sonic pour Sega et Mario pour Nintendo. Sega utilise même des slogans provocateurs comme "Sega c'est plus fort que toi" afin de défier Nintendo. Les deux entreprises utilisent des personnages inspirés de BD japonaises, les mangas, pour attirer les joueurs. Ces personnages et leurs histoires captivantes séduisent un large public, contribuant à populariser les jeux vidéo et la culture japonaise en Amérique. L'éditeur Nintendo dépense des millions en publicité pour convaincre les détaillants et les consommateurs que ses jeux sont uniques, et en 1988, sa console NES devient LE jouet le plus vendu en Amérique du Nord. Si vous voulez, la publicité cible principalement les garçons, ce qui conduit à une culture de jeu perçue comme masculine et technophile. Sega va suivre cette tendance, en visant également les adolescents masculins. Mais cette focalisation sur un public masculin va susciter des critiques, notamment en raison des stéréotypes de genre et de la violence dans les jeux. Nintendo tente bien de diversifier son audience en produisant des séries télévisées d'animation basées sur ces jeux pour attirer le public féminin, mais on va pas se mentir, ça reste un coup d'épée dans l'eau. Il faut savoir aussi que les magazines spécialisés jouent un rôle crucial dans la formation de la culture des jeux vidéo. Des publications comme Tilt en France et Computer Video Games au Royaume-Uni aident à créer une communauté de joueurs. Ces magazines ne se contentent pas de critiquer les jeux, mais ils définissent aussi ce que signifie être un joueur en utilisant une esthétique et des histoires inspirées de la fantasy et de la science-fiction. Les magazines utilisent aussi des images et des publicités souvent sexistes pour attirer les acheteurs masculins, renforçant l'idée que les jeux vidéo sont principalement destinés aux garçons. Cette culture du jeu vidéo évolue dans un contexte économique et politique où les compétences technologiques sont de plus en plus valorisées, contribuant ainsi à l'émergence de l'identité du geek. A partir des années 1970, le néolibéralisme, donc une politique favorisant les marchés libres et la réduction des interventions gouvernementales, contribue à la renaissance de l'industrie des jeux vidéo. Sous les gouvernements de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis, des mesures comme la baisse des impôts pour les riches, la diminution du pouvoir des syndicats et la déréglementation sont mises en place. Ces politiques encouragent l'innovation et la concurrence, créant un environnement propice au développement rapide des technologies de jeux vidéo. Les grandes entreprises de jeux vidéo, comme Nintendo et Sega comme on l'a vu, peuvent ainsi prospérer. Chaque nouvelle génération de console rend obsolète la précédente, alimentée par des innovations constantes et une baisse des prix. Par exemple, la console Atari VCS 2600, sortie en 1977, se vendait à 879 dollars, alors que la NES, beaucoup plus avancée technologiquement, coûte seulement 466 dollars, quasiment la moitié, à sa sortie en 1985. Ces évolutions rapides et les baisses de prix aident l'industrie à se remettre de la crise de 83 et du coup à gagner en popularité. Le psychologue Pierre Curtet prédisait que les jeux vidéo deviendraient une tradition culturelle... et bah il avait raison. Les jeux vidéo deviennent une industrie culturelle majeure, influencée par la société et ses changements. Le terme industrie culturelle est utilisé pour la première fois par les sociologues Théodore Adorno et Max Horkheimer pour critiquer la standardisation des œuvres culturelles à cause des techniques de production de masse. Avec l'augmentation des revenus disponibles et les avancées technologiques, les jeux vidéo gagnent en importance et deviennent une forme de culture populaire. Les jeux vidéo sont partout, surtout à l'époque de Noël, à consommer sur place ou à emporter à la maison. Des théoriciens comme Sébastien Gennevaux et Stephen Klein estiment que les jeux vidéo doivent être considérés de manière transnationale car l'industrie se développe en même temps que la mondialisation. Par exemple, Nintendo, dès le départ, se positionne sur les marchés mondiaux. Cette globalisation renforce le monopole de l'industrie dans des régions clés comme l'Amérique du Nord, l'Europe de l'Ouest et l'Asie du Pacifique, avec le Japon en tête pour les publications de jeux à succès. Vous me direz, mais quel est le rapport avec l'environnement ? Eh bien, laissez-moi vous parler de l'innovation perpétuelle et de l'obsolescence programmée. L'innovation perpétuelle désigne une course sans fin à la nouveauté et aux performances dans le domaine technologique. Cela se traduit par des cycles de vie très courts pour les produits, qui deviennent rapidement obsolètes. Cette dynamique pousse les entreprises à constamment lancer de nouveaux produits pour rester compétitives et attirer les consommateurs. Et dans le secteur des jeux vidéo, cette innovation perpétuelle commence à se manifester dès la troisième génération de consoles, donc entre les années 80-90, avec des nouvelles consoles sortant environ tous les 3 ans. Chaque nouvelle génération apporte des améliorations techniques importantes, incitant les joueurs à acheter constamment les derniers modèles. Pour les exemples d'innovation, j'y reviendrai plus tard. Le cycle rapide des générations de consoles reflète cette course à l'innovation. Par exemple, entre 1983 et 1993, 4 générations de consoles se succèdent, chacune apportant des avancées technologiques majeures, comme le passage au graphisme 16 bits ou à la 3D. Chaque nouvelle génération de console permet de nouveaux styles de jeux. Par exemple, la PlayStation a popularisé les jeux en 3D, tandis que la PlayStation 2 introduit le jeu en ligne multijoueur. Cette innovation constante influence les pratiques de jeu et les interactions sociales autour des jeux vidéo. dégénéré, le dégénéré tout simplement original. Elle stimule également la croissance économique de l'industrie, mais pose des défis environnementaux importants, avec, je vous l'ai expliqué plus tôt, la gestion des déchets électroniques. En ce qui concerne les exemples, en 1988, Sega lance la console Megadrive, une machine innovante à un prix compétitif, environ 139 dollars. Contrairement à la NES de Nintendo, la Megadrive utilise une technologie 16 bits et intègre une puce spéciale permettant des graphismes 3D comme dans le jeu Virtua Racing. De son côté, Sega cible un public plus mature avec des jeux plus violents comme Mortal Kombat, Ce qui va d'ailleurs contribuer à son succès. La Game Boy de Nintendo, sortie en 1989, révolutionne le marché des consoles portables. Avec un prix abordable, une autonomie de 10 heures et la possibilité de changer de jeu, elle devient très populaire. Elle se vend à 1 million d'exemplaires en seulement 4 mois. Cette console utilise un processeur 8 bits et un écran LCD offrant une grande variété de jeux. Autre exemple, le PC Engine, lancé en 1988, innove avec son lecteur CD-ROM permettant des extensions et des graphismes plus avancés. Avec un processeur graphique 16 bits et la capacité d'afficher 512 couleurs, il offre des représentations visuelles réalistes et des mouvements fluides répondant donc aux attentes des joueurs pour des graphismes plus complexes. Et en parlant de CD-ROM, ce dernier, signifiant Compact Disc Read Only Memory, apparaît en 1982 grâce à Sony et Philips. En 1989, il devient un standard et révolutionne le stockage des jeux vidéo, remplaçant au fur et à mesure les cartouches et disquettes grâce à sa grande capacité de stockage. Regardez bien ce disque. Ce disque, c'est en principe le disque de l'avenir, un disque numérique. Le CD-ROM permet des expériences interactives riches en données, avec un accès rapide et non linéaire au contenu, tout en réduisant les coûts de production des jeux. Cependant, le CD-ROM pose des défis environnementaux. Bien qu'il soit principalement fait de polycarbonate recyclable, la combinaison de matériaux comme l'aluminium, l'or, le nickel et la laque protectrice rend le recyclage difficile. Les CD sont aussi vulnérables à la détérioration, avec une durée de vie limitée due à des problèmes de fabrication et à l'interaction avec d'autres matériaux. A votre avis, pourquoi on peut parler d'obsolescence programmée en matière de jeux vidéo ? L'obsolescence programmée, c'est une stratégie industrielle où les produits sont conçus pour devenir obsolètes ou inutilisables après une certaine période, incitant les consommateurs et consommatrices à acheter de nouveaux produits beaucoup plus fréquemment. Ce concept a été proposé pour la première fois par Bernard London en 1932 comme une solution à la Grande Dépression. Il suggérait que chaque produit ait une durée de vie déterminée après laquelle il serait retiré du marché pour stimuler l'économie. Bien que la proposition de London n'ait jamais été mise en œuvre par le gouvernement, les entreprises adoptent cette idée pour augmenter leurs ventes. Par exemple, des produits comme les appareils électroniques, les vêtements et les voitures sont souvent conçus pour devenir rapidement démodés ou bien difficiles à réparer. Brooke Stevens, un designer industriel, popularisa cette idée en 1954 en créant, je cite, "un désir de posséder quelque chose de plus récent, mieux et plus tôt que nécessaire". Les jeux vidéo, comme tous les médias numériques, sont sujets à l'obsolescence. Ils deviennent rapidement obsolètes parce que la technologie avance très très vite. Et je vais tenter de vous expliquer comment ça se passe. Les jeux vidéo évoluent rapidement avec des améliorations constantes en termes de capacité de stockage, de vitesse et de fonctionnalité. Cela entraîne l'obsolescence des anciens supports et matériels car les nouvelles plateformes ne sont souvent pas compatibles avec les anciens jeux. Par exemple, très peu de consoles offrent une rétrocompatibilité totale, ce qui force les consommateurs et consommatrices à acheter de nouvelles consoles et jeux pour continuer à jouer. Les entreprises de jeux vidéo conçoivent délibérément des plateformes avec une durée de vie limitée, anticipant le développement de systèmes améliorés. Que tous les coquins soient démasqués, jugés, condamnés et vidés. L'auteurice Alex Custodio souligne que cette stratégie repose sur la fidélité à la marque, encourageant la clientèle à acheter les nouvelles versions et les remakes. Cela s'inscrit donc dans une logique d'obsolescence planifiée, où les anciens produits deviennent obsolètes pour inciter à l'achat des nouveaux. Les jeux vidéo, en tant que biens durables, voient leur valeur dépréciée par l'introduction de nouvelles versions améliorées. Les entreprises doivent équilibrer les coûts de recherche et de développement pour améliorer la qualité et la concurrence de leurs propres produits sur le marché secondaire. D'ailleurs, une étude universitaire mentionne que les producteurs de biens durables, y compris les jeux vidéo, limitent cette concurrence en introduisant des produits de nouvelle génération qui rendent les anciens obsolètes. L'obsolescence des jeux vidéo pose des défis non seulement pour la préservation de l'histoire du jeu, mais aussi en termes de gestion des déchets électroniques. Les anciens matériels deviennent rapidement inutilisables, contribuant à l'accumulation de déchets électroniques. Comme l'indique le théoricien des jeux vidéo James Newman, cela crée des problèmes matériels et environnementaux qui dépassent le simple aspect conceptuel de l'obsolescence. En résumé, la dynamique d'innovation perpétuelle, apparue à la fin des années 80, favorise l'obsolescence programmée dans l'industrie des jeux vidéo, ce qui entraîne une surproduction de matériel de jeu qui, finalement, contribue à des problèmes environnementaux significatifs. Cette surproduction va apporter un autre problème écologique, celui des matériaux utilisés pour la fabrication des consoles et des jeux. Mais cette histoire là sera pour le prochain épisode. Nous arrivons au terme de cette première partie dédiée aux enjeux et tensions environnementaux dans l'industrie du jeu vidéo. J'espère que cette plongée dans cette autre histoire de l'industrie vous aura plu, et j'espère aussi ne pas vous avoir dégoûté des jeux vidéo. Le but de ces épisodes n'est pas de vous faire culpabiliser, mais plutôt de vous montrer les aspects souvent méconnus de cette industrie, et vous permettre de mieux comprendre les défis auxquels elle a été et est toujours confrontée en matière d'impact sur l'environnement. N'hésitez pas à partager vos réflexions, commentaires et expériences sur ce sujet, et bien sûr, si vous avez des idées pour de futurs épisodes, la porte reste ouverte. Je vous remercie de m'avoir accompagné dans cette exploration, il n'est de si bonne compagnie qui ne se sépare et en attendant le prochain épisode, je vous dis au revoir. Et à très vite sur Environ.