Speaker #1Bonjour, donc moi c'est Lucie, j'ai 26 ans. Je me décrirais aujourd'hui, en dehors de mon diagnostic, comme une personne plutôt sociable et solaire. Je dirais que c'est les termes qui reviennent le plus quand les personnes me décrivent et je trouve que ça me correspond plutôt bien. Les émotions qui dominent mon quotidien actuellement, je dirais que pas mal d'anxiété et de tristesse et même si ce n'est pas une émotion, un grand sentiment de vide. J'ai fait ma première dépression à l'âge de 7 ans et les souvenirs qui me restent de cette période, je dirais une grosse part de sentiments d'abandon assez compliqués à gérer en tant qu'enfant, étant donné que c'était le départ du domicile familial de mon frère. Et ça a été une période assez compliquée pour moi où j'avais du mal à m'alimenter, j'avais du mal à dormir, je pleurais tout le temps, j'étais tout le temps... tout le temps à la recherche de mon frère, partout, chez n'importe qui. Enfin voilà, c'était une période assez compliquée pour moi et je me souviens vraiment de cette tristesse envahissante qui a duré des années et des années et qui peut encore être sensible aujourd'hui. C'est un sujet qui reste sensible. Je ne suis pas sûre qu'en fait tout le monde ait vraiment remarqué. Je sais que ma mère m'en a parlé plusieurs fois et que... Je pense que c'était compliqué à gérer pour elle, mais plus dans le sens où elle se sentait dépassée, puisque mon frère ne vivait plus dans la même ville et que dans tous les cas, elle ne pouvait rien faire pour soulager tout ça. Donc c'était un peu délicat pour elle. Après, les autres personnes, je ne suis pas sûre qu'ils aient remarqué. J'ai l'impression que c'est des choses qui passaient un peu outre, en mode « bon, c'est normal, elle est un peu triste » sans forcément se rendre compte de l'impact. Cette dépression, ça a été ma première dépression et ça ne s'est jamais arrêté en fait. Mon adolescence, j'ai connu plusieurs hospitalisations et mes ressentis à ce moment-là, pendant mon vie, au début, beaucoup de peur, beaucoup d'appréhension parce que on ne sait jamais vraiment ce qui nous attend dans des moments d'hospitalisation. Et puis au final, un gros sentiment de sécurité, c'est-à-dire que Moi, je me sentais vraiment dans une bulle où rien ne pouvait me faire de mal, rien ne pouvait m'atteindre. C'est comme si toute ma vie, en fait, elle était mise en pause. Et ouais, c'était une période plutôt agréable pour moi, je dirais, l'hospitalisation. Après, moi, c'était pas en HP ou quoi que ce soit, c'était vraiment dans un service pédopsychiatrique dans l'hôpital de la ville dans laquelle j'habitais. Et le personnel était très bienveillant. Je me suis fait énormément d'amis. Et au final, ça s'est un peu transformé en truc de père et danse. Et de... Comment dire ? Comme si on était en colonie de vacances, en fait. Parce qu'il y avait vraiment ce truc de... On est tous jeunes et puis on a tous les mêmes galères. Et du coup, on fait des conneries tous ensemble. Je dirais que c'est les émotions... qui ont prédominé, c'était la peur au début et puis au final, le sentiment de sécurité, d'appartenance. Donc j'en garde des bons souvenirs et j'en suis encore nostalgique par moment. Le fait de recevoir plusieurs diagnostics au fil des années, toujours différents les uns des autres, ça a été, je dirais, au début pas trop compliqué parce que... J'ai d'abord eu le diagnostic de dépression, ça j'étais au clair avec. Après, on me suspectait d'être bipolaire, ça j'avoue que c'était un diagnostic avec lequel j'avais un peu plus de mal tout de suite. Il y avait l'anxiété, l'anxiété c'était ok parce que je le savais, phobie sociale, tout ça. Ça, il n'y avait pas de problème. Je dirais que par contre, c'est tout récemment où les diagnostics ont été un peu plus complexes. Pour moi, ça a été un peu plus dur à accepter. Parce que du coup, j'ai été diagnostiquée il y a deux ans de mon trouble borderline. Sauf que là, dans ma tête, tout était clair et je savais que c'était ça parce que j'avais déjà fait des recherches et qu'à 1000%, je me reconnaissais là-dedans. Et du coup, ça me faisait peur de me dire que si, en fait, ça y est, j'ai vraiment ça. Ce n'est pas juste dans ta tête. Il y a vraiment des professionnels qui confirment que j'ai ça. Et du coup, ça devient réel et ça fait un peu peur. Et on me parle encore aujourd'hui de d'autres diagnostics qui pourraient venir. Et en même temps, je ne suis pas d'accord avec tous. Et du coup, ça me perturbe parce que là, ma psychiatre actuelle me parle de bipolarité, me parle de TDAH. Elle m'a même parlé de schizophrénie. Et la schizophrénie, pour le coup, c'est vraiment un diagnostic sur lequel je ne serais vraiment pas d'accord puisque je n'ai aucune hallucination et juste un sentiment de persécution, mais qui peut se retrouver dans d'autres pathologies. En fait, c'est assez compliqué parce que quand on rentre dans le système, enfin quand on rentre dans les troubles, j'ai l'impression que tous les troubles sont un peu liés et que du coup, les psychiatres se mélangent les pinceaux et nous mettent dans des cas qui ne sont pas forcément les bonnes non plus. Et j'entends que ce soit compliqué, mais c'est vrai que ce n'est pas facile à entendre et ce n'est pas facile de passer d'un diagnostic à un autre tout le temps. Et quand on a 15 étiquettes sur la tête, ça commence à faire beaucoup. Et du coup, quand on m'a parlé pour la première fois du trouble borderline, moi, ça m'a fait du bien d'en parler parce que ça faisait un moment que je pensais à ce trouble et que je me reconnaissais dedans. Ça m'a vraiment fait du bien. J'ai été soulagée, mais bon, j'avais quand même peur de tout ce que ça pouvait engendrer dans ma vie, de me dire que le trouble borderline, c'est plus ou moins un trouble qui est censé rester à vie, même si ça peut s'apaiser avec les années. C'est un trouble qui... Ça fait partie de moi, ça fait partie de ma personnalité, puisque c'est un trouble de la personnalité. Donc c'est un mélange un peu de tout ça. Et en même temps, je dirais que ce qui prédominait, c'était quand même le soulagement, même si j'avais de la peur aussi qui suivait. J'étais quand même soulagée de me dire, OK, donc tout ça... En fait, il y a une raison derrière tout ça. Ce n'est pas juste moi qui suis complètement à l'ouest. Ce n'est pas juste moi qui pète des câbles ou qui ne suis pas normale, entre guillemets, la normalité, bien sûr. Donc ça fait du bien d'avoir un mot et de s'accrocher à ça et de se dire « ok, j'appartiens à cette catégorie de personnes et c'est ok et je peux justifier certaines choses par ça » . Je ne suis pas complètement « folle » , même si je n'aime pas ce terme-là, mais voilà. Dans ma vie actuelle, j'ai changé énormément de travail et de logement parce que je suis une personne assez instable du fait de mon trouble. Ce qui m'anime, c'est vraiment la nouveauté de repartir de zéro, de réussir à effacer comme des parties de ma vie pour repartir à zéro dans un nouveau truc. Enfin, je ne sais pas vraiment comment expliquer, mais j'ai besoin toujours de tourner une page. C'est hyper important pour moi de pouvoir tourner une page, de pouvoir me dire, si là, ça ne va pas aujourd'hui, ce n'est pas grave, ça ira mieux ailleurs. pas forcément en vrai, mais c'est vrai un temps, et puis après, c'est pour ça que c'est un cycle et que ça recommence tout le temps. Après, c'est vrai que c'est épuisant, parce que déjà, financièrement, il faut que ça suive. Les déménagements, c'est toujours fatigant, c'est toujours prise de tête. Voilà, c'est des choses qui sont pas faciles à faire, mais en même temps, c'est des choses dont j'ai besoin, parce que j'ai besoin en permanence d'entamer un nouveau chapitre, de repartir de zéro. D'avoir un lieu neutre, sans souvenirs, parce que j'associe énormément les choses entre elles. J'ai besoin de découvrir de nouveaux endroits, que ce soit une nouvelle ville ou juste un nouveau quartier. C'est vrai que, ouais, mais je dirais que ça m'anime plus que ça m'épuise, même si ça m'épuise quand même pas mal. Avec les autres, je peux me dire, bah voilà, j'ai trop envie de voir cette personne. On se dit, on va se voir dans... Dans une semaine, sauf que moi, je ne suis pas capable de prévoir des choses à l'avance parce que je ne sais pas comment je vais me sentir au moment même. Donc ça, c'est assez compliqué pour moi. Et du coup, j'ai appris à expliquer aux gens que moi, je n'organise pas à l'avance, qu'il faut que tout soit fait à la dernière minute. Je sais que ça ne convient pas à tout le monde. Je sais que ça peut être compliqué pour les autres. Mais le problème, c'est que sinon, il faut accepter. Il faut que la personne en face accepte que je puisse poser des lapins parce que si je ne me sens pas capable, je ne me sens pas capable et je ne vais pas me forcer. Voilà, avant, de toute façon, je ne peux pas me forcer. Ce n'est même pas question de je ne veux pas me forcer, c'est que je ne peux pas me forcer. Si je suis dans un état émotionnel qui ne me permet pas de voir de personne, eh bien, c'est comme ça et du coup, je ne viendrai pas. Donc ça, je dirais que c'est un truc assez important par rapport aux autres. J'ai aussi mes changements d'humeur où je peux être totalement dans une conversation avec une personne et puis d'un coup, je ne sais pas ce qui va se passer. Je vais changer d'émotion et ça y est, je ne suis plus là. Je n'ai plus envie, j'ai envie de rentrer alors que juste avant, on était en train de rire. Enfin voilà, c'est assez compliqué. Je pense que les personnes en face de moi ne comprennent pas toujours ce qui se passe et moi non plus d'ailleurs, si ça peut rassurer les personnes qui écoutent. Concernant le travail, c'est compliqué. J'ai un énorme, comment dire, syndrome de persécution. Je ne sais pas si c'est le bon terme, mais je me sens persécutée assez vite. Et du coup, au travail, ça me joue beaucoup de tours parce que j'ai toujours l'impression de donner tout ce que j'ai, de me quitter à m'épuiser au travail. Et que les autres, en fait, j'ai trop peur qu'on me dise, que les gens pensent du mal de moi ou que je ne suis pas assez. Donc ça, c'est assez compliqué et ça joue sur mes émotions. Et donc forcément, au travail, je peux être très sociable, très joyeuse, très solaire. Et puis après, l'après-midi même ou le lendemain, être dans un état assez apathique, sans trop... trop grande émotion, un peu plus molle. C'est assez délicat parce que c'est vrai que ça fait beaucoup de changements et je ne sais pas comment les autres perçoivent réellement ça. Je ne sais pas s'ils le perçoivent vraiment d'ailleurs, mais en tout cas, ce n'est pas facile pour moi et dans ma vision de moi-même, du coup, j'ai du mal à accepter que je suis comme ça. Ce que m'apporte mon métier dans le social, le médico-social, malgré mes difficultés, Je dirais que j'ai ce sentiment de père et danse, c'est-à-dire que je suis moi-même une personne troublée et j'aide des personnes troublées ou en situation de handicap, mais toujours un peu par rapport à des troubles psy de toute façon. Et ce sentiment de père et danse, du coup, m'aide moi dans mon cheminement personnel à me dire... Ok, j'ai du mal à gérer mes émotions, j'ai du mal à me gérer avec mon trouble, à m'accepter, mais je suis là pour les autres et je donne tout ce que je peux pour les aider. Et en fait, aussi à travers ça, j'ai l'impression de m'aider totalement. Et d'autant plus que même si j'ai énormément de responsabilités dans les travails que je fais, je pense que c'est vraiment bénéfique pour moi de mettre en place les choses que je mets en place pour ces personnes, parce que c'est des choses qui m'aident également. Et quand je vois un sourire sur... Le visage d'une personne que j'accompagne, il n'y a rien de plus beau, il n'y a rien de plus aidant pour moi dans mon quotidien. Ça me refait ma journée et je me sens utile, je me sens plus légère. C'est vraiment un sentiment de satisfaction incroyable. Aujourd'hui, c'est vrai que je suis dans une période compliquée et du coup, je traverse des émotions assez complexes avec beaucoup de tristesse. avec beaucoup d'anxiété, comme je disais un peu tout à l'heure. On va dire que je suis dans une grosse rechute de dépression depuis quelques semaines, si ce n'est quelques mois. Sauf que je ne m'en sors pas et c'est de pire en pire. J'ai l'impression d'être un peu au fond du trou et que ça n'ira jamais mieux. Mais c'est un peu ce que je me dis dans chaque phase. Donc ça, j'en ai conscience parce qu'à chaque fois que je me sens comme je me sens actuellement, j'ai l'impression que ma vie va s'arrêter, que rien n'ira jamais mieux. C'est très pessimiste, mais en même temps, j'ai les pieds sur terre parce que j'ai conscience que c'est cette phase-là qui me fait parler, qui me fait penser ça. Et voilà. Mais c'est vrai que c'est un peu compliqué. et du coup là je suis en train de faire un dossier MDPH pour pouvoir avoir une RQTH voire l'AAH en plus ce qui serait vraiment chouette j'aimerais beaucoup déjà avoir en ce qui concerne l'AAH ce serait vraiment d'avoir un salaire minimum parce que c'est vrai que quand je travaille et que je suis en arrêt maladie là par exemple j'aurais été en arrêt maladie pendant un mois je vais absolument rien toucher quasiment ça va être très minime Alors que si j'avais la hache, j'aurais au moins 1000 euros. Et en vrai, même 6 000 euros, ce n'est pas énorme. C'est non négociable pour payer mon loyer et tout ce qui va avec. Donc, je dirais que ça, ce serait le plus important pour moi. Dans mon dossier MDPH, je suis vraiment en demande d'AH. Mais après, la RQTH me semble aussi intéressante parce que j'ai besoin d'être reconnue pour qui je suis. J'ai besoin qu'on... Qu'on arrête de me poser des questions, j'ai besoin que les personnes comprennent que j'ai un handicap, même si c'est pas facile à dire. J'ai ce handicap qui fait que je suis pas capable de tenir un rythme de travail comme tout le monde, je suis pas capable de venir au travail tous les jours, je suis pas toujours la motivation, mes capacités dépendent vraiment, je peux un jour être au taquet et ça dure une semaine, et puis la semaine d'après, en fait... Je suis totalement épuisée parce que j'ai beaucoup trop donné la semaine d'avant. Je pense que j'ai besoin de sérénité, de reconnaissance, j'ai besoin d'aide financière. Et j'ai besoin, si je peux avoir un aménagement de poste, des choses qui peuvent me soulager dans mon anxiété, des horaires plus adaptés, je ne sais pas. Je dirais que tout ça, c'est des choses qui... qui serait intéressante à avoir. Et les choses qui me donnent de la force pour continuer malgré mes rechutes, eh bien en fait j'ai mon chien qui m'aide énormément. Ça peut paraître un peu bizarre, mais quand j'ai par exemple des pensées sombres et que j'ai l'impression d'être au bout, je pense à mon chien, à mon chat aussi, mais je dirais que j'ai un lien très très très fort avec mon chien. Et je me dis, je ne peux pas lâcher parce que j'ai mon chien, parce que qui va s'occuper de lui, parce que... C'est moi qui le connais le mieux et donc personne ne s'occupera aussi bien de lui que moi. Et je n'ai pas envie de l'abandonner parce que qu'est-ce qui va devenir ? Je vais lui briser le cœur. Et en fait, c'est vraiment ça qui me retient. C'est parce que je n'ai pas envie de faire de mal à mon chien. Je n'ai pas envie de l'abandonner. C'est vraiment ça. Ce que j'aimerais dire à des personnes qui vivent avec un trouble borderline ou qui se reconnaissent dans mon parcours, c'est de ne pas se définir juste en tant que... Trouble, en fait, on est une personne, on est des personnes avec des émotions, avec un vécu, avec une vie à découvrir, une vie à vivre. Et ce n'est pas juste un trouble qui est censé nous définir. Et que oui, il y aura des phases assez compliquées, mais il y aura aussi des phases super belles et très intenses. Et que tout n'est pas définitif, tout n'est pas fixé. Et que même si c'est un trouble... de la personnalité, il y a plein de choses à mettre en place pour faire en sorte d'aller mieux. Et que la vie ne se résume pas à nos périodes difficiles. Il faut essayer de se concentrer sur le positif. Ce n'est pas facile, mais voilà. Et puis surtout, ce que j'aimerais dire, c'est que moi, j'ai énormément appris de moi. J'ai énormément appris de plein de choses d'ailleurs. Et je pense que tout ça, je le dois. à mon trouble justement et du coup je remercie quand même mon trouble de faire partie de ma vie dans le sens où il m'enrichit énormément sur plein d'aspects ce que j'aimerais que les gens comprennent mieux sur ce trouble et sur moi du coup c'est qu'on n'est pas des personnes parce que j'ai l'impression de ce que j'entends qu'on nous perçoit comme des personnes manipulatrices, comme des personnes Ouais, un peu mauvaise, un peu égocentrée, égoïste. Et en fait, moi, de mon point de vue, c'est pas du tout ça. Ce que j'aimerais que les personnes comprennent, c'est qu'on est des personnes qui, pour la plupart, ont vécu des traumatismes. On est bloquées émotionnellement à un âge assez jeune, c'est-à-dire qu'on a besoin d'être rassurées, on a besoin d'être entourées, on a besoin d'être... d'avoir des personnes bienveillantes autour de nous et qu'en fait, bah oui, quand c'est pas le cas, quand on se sent pas rassuré, etc., et bah c'est très compliqué pour nous parce que ça nous ramène à des périodes de notre enfance dans lesquelles on a pu être négligé et voilà, en fait, nous, tout ce dont on a besoin, c'est d'une écoute, d'une oreille bienveillante, de paroles bienveillantes et de réassurance. Après, je dis pas qu'il faut que la personne en face s'oublie. Évidemment, la personne en face doit penser à elle et fixer ses limites. Le principal, c'est de rester toujours dans des choses bienveillantes et dans des discours très clairs, parce que sans ça... Sans ça, c'est impossible et c'est comme ça que nous avons des réactions qui ne sont pas forcément appropriées au point de vue de la société dans la normalité actuelle.