Speaker #1Bonjour, je m'appelle Émilie Meunier, je suis maman d'un petit garçon de 7 ans aujourd'hui et autrice du livre « J'ai perdu mon bébé » , journal d'une mère cabossée, paru aux éditions de l'Archipel. Ce livre sur le deuil périnatal, j'aurais préféré ne jamais avoir à l'écrire, mais il s'est imposé à moi, si je peux dire. Il me fallait laisser une trace de ce que j'avais vécu et tenter de briser ce lourd silence que j'ai découvert et qui entoure le deuil d'un bébé. Je suis donc une maman, mais aussi une mamange, la maman d'une étoile. J'ai perdu mon deuxième enfant qui était une petite fille en 2022 et à six mois de grossesse, après de très lourdes complications d'une pathologie appelée placenta prévia. Avec mon mari, faire un deuxième enfant, ce n'était pas quelque chose qu'on a voulu précipiter. On a d'abord souhaité profiter pleinement des premières années de notre fils. Et puis, lorsqu'il a eu 4 ans, moi j'en avais 36, l'envie d'agrandir la famille est arrivée. Moi, je n'ai jamais eu de mal à tomber enceinte. À chaque fois, j'y suis arrivée relativement vite. De ce côté-là, je sais que c'est une chance énorme de ne pas avoir un parcours du combattant pour observer un petit plus sur un test de grossesse. Donc, j'étais évidemment extrêmement heureuse de nous imaginer à 4, d'imaginer mon fils avoir un petit frère ou une petite sœur avec. avec qui jouer et être complice. Ce début de grossesse était donc un vrai bonheur, mais avec la prudence des premiers mois, où l'on ne sait pas si ça va tenir, où l'on n'ose pas se projeter trop avant d'avoir passé la batterie de test. Je me souviens avoir été très fatiguée, peut-être c'était dû à mon âge. J'avais beaucoup de nausées et des envies étranges. Par exemple, j'ai mangé... Des carottes râpées au goûter tous les jours, ce qui n'a aucun sens. Et puis j'étais surtout déprimée. Comme si je savais en fait, comme si mon corps m'envoyait des petits signaux que quelque chose n'était pas normal. J'ai continué ma petite vie, continué d'aller travailler jusqu'à ce que je m'aperçoive des premiers saignements. Alors c'était pas grand chose, au début c'était des petites tâches, des pertes du type spotting. Et les médecins me disaient que c'était normal. que ça pouvait être dû à l'annidation, au corps qui se mettait en place. Bref, j'ai eu l'autorisation médicale de partir en vacances en Italie, donc en voiture, pas mal de route, et là-bas, rebelote. Saignement, des pertes, comme si je perdais parfois le bouchon muqueux. Vu que j'avais déjà été enceinte, j'avais déjà vu ces choses-là. Un coup, c'était du vieux sang. Un coup, c'était du sang rouge vif aussi. Et évidemment, j'ai cru que c'était fini. J'ai cru que je perdais le bébé là-bas. Je suis allée consulter en Italie. Je ne parle pas italien, au très mal. Et avec la panique, c'était clairement absurde comme rendez-vous. Ils m'ont auscultée. Avec le spéculum, je saignais encore plus. Et j'ai eu une échographie. Le bébé allait bien. Pour les médecins, c'était soit rien, soit les prémices d'une fausse couche, mais qu'on ne pouvait pas encore appeler ainsi, qu'on ne pouvait pas encore annoncer. On est rentrés en France, c'est dur d'être dans un entre-deux, de ne pas pouvoir se réjouir et en même temps d'espérer si fort que tout aille bien. J'ai demandé des examens approfondis, on m'a enfin diagnostiqué quelque chose en fait. On m'a enfin dit en fait vous ne saignez pas dans le vide. Donc j'ai eu le pourquoi. Je saignais depuis quasiment le début de ma grossesse. J'avais ce qu'ils appellent un placenta prévia. Le placenta, c'est un organe qui est présent lors de la grossesse et qui se positionne normalement en haut de l'utérus. Moi, mon placenta, il était positionné tout en bas. Il était couché sur le col et dès qu'il frottait avec mon col, ça a généré des saignements. En découvrant cette pathologie, parce que c'était une vraie découverte, pour le coup, je suis tombée de haut. On en parle peu ou pas. En tout cas, je suis journaliste. Et je n'en avais absolument jamais entendu parler. Je trouve qu'on parle diabète, on parle préeclampsie ou d'autres pathologies de grossesse. Et d'ailleurs, c'est très bien d'en parler. Mais celle-ci, c'était la première fois que je l'entendais. Ça concerne pourtant une femme enceinte sur 200. Donc, ce n'est pas si rare. Le futur pour les médecins a été incertain. On m'a expliqué que dans 90% des cas, le placenta remontait au cours de la grossesse. Avec le fait que l'utérus grossisse, en fait, ça fait comme un ballon, ça fait remonter le placenta vers le haut. Mais on m'a aussi dit que c'était pile ou face, que si ça restait mal positionné, ça se terminerait en césarienne, car le risque d'hémorragie lors d'un accouchement voix basse avec un placenta prévia, il est trop fort. Voilà, c'était à peu près tout ce qu'on m'a dit à l'époque. Ils étaient incapables, en fait, de m'en dire plus ou de me rassurer, de me dire si... tout finirait bien ou non. La seule constante, finalement, c'était ce bébé qui, à chaque échographie, continuait de grandir, de bouger, de vivre. Alors nous, comme je pense que tous les couples auraient fait à ce moment-là, nous, on s'est accrochés à ça. Mais ça n'a malheureusement pas suffi. Les saignements sont devenus quotidiens. C'était un peu comme si j'avais mes règles, en fait, pendant toute cette grossesse. Et puis un jour, j'ai carrément perdu conscience dans les toilettes de chez moi. Cette fois-ci, je saignais beaucoup, ça coulait comme un robinet ouvert. Et heureusement, il y avait du monde à la maison. Donc j'ai tout de suite été prise en charge, j'ai été transportée. Enfin voilà, mon mari a appelé le SAMU, j'ai été transportée à l'hôpital. Et puis, j'ai quasiment jamais quitté les murs de l'hôpital après ça. Chaque jour de gagné était une petite victoire. Mon corps s'épuisait à force de saigner. Ça va être un peu gore ce que je vais dire, mais je crois que si les femmes n'en parlent pas, on ne saura jamais. Je perdais des caillots de sang, parfois de la taille d'une balle de ping-pong. Ça tenait dans une main. C'était impressionnant, flippant. J'avais la sensation de perdre des bouts de mon corps, des bouts de placenta, des bouts de chair. C'était pas ça, c'était juste du sang qui avait eu le temps de stagner, de s'agglomérer en fait, car j'étais alitée toute la journée. Mais bon bref, c'était vraiment très très stressant et terrifiant. Moi j'avais consigne de rester sans bouger, jour et nuit, allongée, de ne pas toucher mon ventre aussi pour éviter les contractions qui pouvaient, s'il y avait des contractions, créer de nouveaux saignements et ainsi de suite. On m'a fait la cure de corticoïdes pour aider à maturer les poumons du bébé si jamais il venait à arriver trop tôt. Parce que là, les médecins, en fait, ils ont passé leur temps à me dire à l'hôpital qu'ils n'avaient pas de boule de cristal. Psychologiquement, c'était compliqué à entendre. En gros, j'avais une chance sur deux que la grossesse tienne. Je ne pouvais pas me projeter. Je pouvais tenir jusqu'à huit mois de grossesse comme ça, mais je pouvais aussi perdre mon bébé le lendemain matin. Donc cette période a été très difficile à gérer. Je me suis beaucoup enfermée, j'ai beaucoup culpabilisé aussi d'infliger ça à mon mari et à mon fils. Mais bon voilà quoi, j'en étais là. Il fallait tenir bon et croire quand même, au minimum, parce que pendant tout ce temps, il continuait évidemment à me montrer des images d'échographie. Il me montrait que ce bébé, il grandissait, il grossissait, il suçait son pouce. J'avais déjà finalement eu un coup de foudre pour cette petite fille. Donc je ne pouvais pas l'abandonner maintenant. Et puis un jour, ça a craqué. Mon corps a dit stop. J'ai percé la poche des os. Et ensuite, j'étais à l'hôpital, dans les toilettes, et j'ai senti un bout de cordon pendre entre mes jambes. Je me suis mise à hurler. Des cris de bête pour appeler à l'aide. Je ne me suis jamais entendue hurler comme ça. Si quelque chose était passé, en fait, était sorti de moi, ça voulait dire que le placenta, qui était donc censé bloquer le passage, bloquer l'entrée, il s'était détaché. Et ça a fait qu'un tour dans ma tête. Je savais que je risquais gros. Je risquais en effet d'y passer, de peut-être mourir d'une hémorragie massive. Donc, il n'y a pas eu grande réflexion du côté des soignants à ce moment-là. Ils sont arrivés extrêmement vite avec meilleur le monde dans la chambre et en même pas cinq minutes. J'étais déshabillée, au bloc, allongée, anesthésie générale. Il m'ouvrait le ventre pour arrêter cette grossesse et me sauver la vie. Je me rappelle leur avoir dit simplement, avant qu'il m'endorme, que j'avais un fils à la maison et qu'il attendait sa maman. Et voilà, c'était ma manière de leur dire qu'il ne fallait pas qu'il se foire. J'ai rouvert les yeux en salle de réveil. Mon mari était en pleurs à côté de moi. Il me disait qu'il m'aimait, que j'avais été courageuse. Moi, le courage, je n'y crois pas trop parce que je n'avais pas fait grand-chose. J'étais inconsciente tout le long. Mais ces mots, je les ai compris tout de suite. Il n'y avait pas besoin de m'expliquer davantage. Je vais deviner que notre petite-fille, elle, n'avait pas survécu au dehors de mon ventre. Ce moment de bascule, je m'en souviendrai toujours, car la personne que j'étais avant, elle n'existe plus. J'ai dû intégrer dans mon cerveau et mon cœur des données que je n'aurais jamais voulu entendre, que je n'aurais jamais voulu connaître. Notre fille pesait 480 grammes et donc elle n'a pas pu être réanimée. En même temps, on ne voulait pas qu'elle souffre. On ne voulait pas qu'elle ait de graves séquelles ou qu'elle meure quelques jours ou mois après sa naissance. Je dis ça parce que là, on parle d'extrême prématurité. On est à à peine 25 semaines d'aménorée et c'est un peu l'antichambre du cimetière. Nous, on a vu beaucoup de pédiatres à l'hôpital avec ce regard noir, très noir. Au début, on avait du mal à les croire, mais... En fait, ils ont raison, ils voient ça tous les jours. Et ils nous ont expliqué la réalité de naître aussitôt et le pourquoi. Il y a des règles strictes aussi de réanimation. Bien sûr, il y a parfois des miracles, des bébés qui naissent à 500 grammes et qui deviennent des adultes en bonne santé. Mais la réalité, elle est bien plus triste. Les heures et les jours qui suivent, à l'hôpital, on nous a demandé de prendre tout un tas de décisions. Et là, c'était... C'était une claque. Est-ce qu'on voulait enterrer le bébé ? Est-ce que c'était eux qui s'occupaient du corps ? Parce qu'ils avaient un jardin, du souvenir. Est-ce qu'on voulait la voir ? Est-ce qu'on souhaitait les photos et les empreintes qu'ils avaient prises dès la naissance ? On nous a posé vraiment énormément de questions auxquelles, limite, il fallait répondre tout de suite. On nous a mis des fascicules sur le deuil périnatal dans les mains. Il y a des pieds qui sont passés. Mais en fait, je crois qu'on n'était pas prêts pour tout ça. On a pris tout ça dans la tronche et on ne savait même pas quoi répondre, sortir de nos bouches. Finalement, la seule chose qu'on voulait à ce moment-là, c'était partir vite de cette chambre. Sortir de l'hôpital. Retrouver un semblant de vie. Retrouver notre fils. Et la douleur du cœur, elle est venue après celle du corps, en fait. Moi, j'avais été cisaillée en urgence. Mon corps s'était mis en mode montée de lait alors que je n'avais plus de bébé à nourrir, que mon bébé était quelque part dans la morgue de cet hôpital. Physiquement, ça a été une vraie montagne à surmonter. Et puis, rentrer les bras vides sans un nourrisson chez soi, il y avait un mélange étrange de soulagement. Je n'ai pas honte de le dire. que l'enfer de cette grossesse soit enfin fini. Et puis ce vide, ce manque, c'était comme si on nous avait mis un mur en béton horrible en fait, qui s'était dressé devant nous, devant notre avenir à quatre. Et c'est à ce moment-là, quand on retrouve son quotidien, que les larmes viennent vraiment, qu'on percute, qu'on doit à chacune de nos sorties dans la rue. Croiser des voisins, dire « mais oui, oui, ça va » . Et vous, avoir des discussions complètement débiles. Alors qu'on a envie de crever, on doit expliquer, réexpliquer, réexpliquer encore la situation aux gens. Envoyer l'acte de naissance aussi. L'acte de naissance et de décès, parce que c'est le même. À l'administration, tout ça c'est éprouvant. Notre chance dans tout ça, je crois, c'est qu'on nous avait empêchés de nous projeter trop depuis le début de cette grossesse. Et finalement, on n'avait rien préparé. Chez nous, il n'y avait pas de chambre, il n'y avait pas de berceau. On n'avait pas encore fait ce petit endroit pour cette petite fille. Donc, il n'y avait pas ce côté matériel chez nous, en permanence, pour nous rappeler que notre fille, elle n'était pas rentrée avec nous. Mais malgré ça, elle était dans notre tête à 24. Elle était dans chacun de mes mots, chacune de mes pensées. Il a fallu ensuite parler à notre fils. Ça, ça a été la discussion la plus dure de notre vie de parent. Il a fallu lui expliquer qu'il n'aurait pas de petite sœur. Il avait quatre ans, donc c'était peut-être aussi notre chance. Il est vite passé à autre chose. Il est vite retourné jouer. Il nous a vite reparlé d'autres sujets qui l'intéressaient peut-être plus. Et heureusement. C'est pas parce que notre enfant n'a pas de cœur, c'est parce que ça reste un enfant. Et je crois qu'il était surtout soulagé que sa mère revienne vite à la maison. Et il a eu peur pour moi et il ne voulait plus du tout que je sois à l'hôpital. Donc lui, il était plutôt heureux de ça. Avec mon mari, on s'est beaucoup soutenus, on a beaucoup parlé. Mais malgré tout, j'avais cette sensation qu'on évoluait chacun sur une planète différente. Moi, j'avais ce besoin de m'épancher, de refaire l'intégralité du film, de cette histoire, de voir des psys, de pleurer énormément. Et lui, il était plus dans une certaine prise de distance par rapport aux événements. Il était vachement dans le côté pratico-pratique, un pilier quoi. Et il ne s'empêchait de craquer vraiment pour me protéger. Parce qu'il se pensait moins légitime. Il pensait que lui n'avait pas forcément, vu que ça n'avait pas été dans sa chair, qu'il n'avait pas forcément le droit de parler de tout ça. Cette grossesse ne s'était pas déroulée dans son corps. Mais moi, je ne voyais pas le problème. Et lui, il y est. Il n'avait pas autant souffert physiquement. Voilà, c'est ça qu'il m'expliquait. Et puis, je crois que dans notre éducation, malgré tout, même si mon mari n'est pas du tout un homme qui pense ainsi mais malgré tout je crois qu'on a des choses qu'on porte sans s'en rendre compte et on explique souvent aux petits garçons qu'il faut qu'ils soient forts et voilà il s'est retrouvé là-dedans sans forcément en être conscient et moi il fallait qu'il me protège Et du coup, il a vraiment joué ce rôle de pilier pour moi et mon fils. Ça a créé pas mal de tensions entre nous. Je ne comprenais pas pourquoi il réagissait en fait. Pourquoi il réagissait comme ça ? Pourquoi il ne réagissait pas aussi fort que moi ? Comment il pouvait reprendre le travail, revoir ses collègues, ses amis, parler d'autres choses, aller au resto ? Enfin, voilà, des choses... retrouver cette légèreté, cette futilité. À ce moment-là, on aurait pu s'éloigner. davantage, on aurait pu même se séparer. J'ai entrevu tout ce qui nous restait à parcourir et à régler pour sortir la tête de l'eau, quand j'ai compris tout ça. On avait connu déjà le chamboulement. On était déjà parents, donc on savait très bien le bazar que pouvait mettre un bébé en bonne santé dans un couple. Là, on avait entre nous un bébé sans vie. Et c'est vraiment un tout autre bazar qu'on ramène de l'hôpital. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à écrire, pendant ce congé maternité, où je ne savais pas quoi faire de mes journées. J'avais plein de choses qui me trottaient en tête. Et voilà, je suis journaliste et un des trucs que je fais depuis toute petite, c'est d'écrire. Donc je suis allée faire la seule chose que je considérais savoir faire. Au début, j'ai écrit parce que je voulais poser mes émotions. Je voulais les poser quelque part. Je savais que le temps allait effacer un peu de ma douleur. Je voulais garder toutes ces émotions que je traversais, je voulais les garder brutes quelque part. Je ne voulais pas oublier en fait cette épreuve. Et je crois que c'était ma manière de laisser une trace aussi de ma fille, de la rendre palpable. Mon mari a fini par aller consulter une psy, après plusieurs discussions, s'est pas mal engueulé. Et voilà, et il a fait. Finalement, c'est pas. que moi j'ai fait avant lui. Il lui a fallu plus de temps, quelques mois. Donc voilà, on n'était pas sur les mêmes planètes, mais on n'était pas dans la même temporalité non plus. Et en fait, j'ai juste compris qu'on ne gérait pas forcément nos ressentis de la même manière et que c'était OK. Il avait aussi dû faire face à des choses dont moi on m'avait protégée. C'est à lui, en fait, que les médecins ont demandé s'il souhaitait accompagner ou non le bébé durant son dernier souffle. car moi j'étais endormie, sous anesthésie générale. Donc c'est à lui qu'est revenue cette décision intense. C'est à lui aussi qu'ils sont revenus pas mal de tâches en gratte, comme répondre aux proches, aux textos, aux appels réguliers des familles inquiètes, et aussi à lui d'appeler les employeurs à l'époque, pour dire qu'on venait de perdre notre bébé. En écrivant mon livre, j'ai forcément cherché des chiffres. Et le « Die Périnatale » , c'est quand même 7000 familles par an en France qui sont touchées. L'arrêt d'une grossesse, c'est une femme sur quatre qui le vit. Et les couples qui se séparent après la perte d'un bébé, c'est presque un sur deux. Voilà, c'est pile ou face. En fait, on n'était pas seuls quand j'ai... Quand je suis allée chercher tous ces chiffres, je me suis rendue compte de ça, qu'on était un océan, un océan de mer cabossé, comme je dis dans mon livre, et puis de terre aussi cabossé, évidemment. Quand on a traversé ça, on s'est senti extrêmement seule, mais il y avait finalement tellement d'autres personnes concernées que ça m'a confortée dans l'idée d'écrire, pour taire ce silence, surtout. Au-delà de me faire du bien, c'était l'idée de... briser ce tabou, en fait. Parce qu'il ne faut pas se leurrer. Si les gens n'en parlent pas, c'est parce qu'ils n'ont pas envie d'entendre ces histoires. Alors, ok, ça fait peur. Ça, c'est sûr. Mais ça fait aussi partie de la vie. Et quand on veut créer la vie, il faut qu'on ait aussi en tête que ça peut ne pas fonctionner. Et ce n'est pas parce qu'on parle aussi de ça que ça va arriver à plus de gens. Ça n'a aucun sens. Donc voilà, ça ne change rien en fait pour ceux qui ne le vivent pas. Par contre, pour ceux qui le vivent, c'est énorme. Ça déculpabilise, ça permet de reconnaître finalement la situation dans laquelle on est. Alors c'est dur, le deuil d'un bébé, qu'on porte le terme de grossesse, c'est dur parce qu'il n'y a pas que la projection. On n'a pas de vrais souvenirs, entre guillemets, avec ce bébé. Il nous reste à la fin juste des sensations, des images d'échographie et peut-être quelques photos. Mais contrairement aux autres personnes qu'on peut perdre dans notre vie, on n'aura jamais ces anecdotes de vacances, ces souvenirs en commun avec d'autres gens, des amis, à raconter lors de repas de famille. Ces bébés, en fait, ils n'ont pas vécu assez. Et c'est un peu, moi je le dis souvent, c'est un peu un deuil fantôme. Et c'est presque plus dur. de dire au revoir à quelqu'un qu'on n'a pas connu. En tant que femme et mère, j'ai vécu pour ma part une période de réadaptation avec mon corps. Déjà, il y avait ces kilos de grossesse qui ne partaient pas, comme si mon corps se pensait encore plein. Et puis, en fait, je détestais mon reflet dans le miroir. Je n'ai jamais autant haï ce corps qui venait de me trahir, finalement, au moment où j'avais le plus besoin de lui. Je me demandais tous les jours pourquoi il n'avait pas tenu plus longtemps. Je le pensais fort à mon corps et en fait, il m'avait lâchée. Et s'il avait tenu, ma fille serait là aujourd'hui. Donc tous les jours, vraiment tous les jours, je me suis demandé pourquoi il a cédé. Pourquoi il a cédé à tout ce sang ? Pourquoi il m'a fait ça ? Donc j'ai longtemps considéré mon corps comme un traître après ça. Et je crois que c'est très commun aux femmes qui vivent la perte d'un bébé, l'arrêt d'une grossesse. Je le pensais défaillant, mon corps. Et donc par la suite, j'ai fait beaucoup d'examens médicaux, car j'étais convaincue d'avoir un problème. Cette épreuve m'a rendue un peu hypochondriaque, je dois l'avouer. J'étais certaine que le malheur allait encore venir frapper à ma porte. Et puis le temps, encore. Le temps, c'est très important. Et puis avec des mois, j'ai fini par le pardonner. Il a fallu de toute manière le pardonner, ce corps, parce que c'est invivable sinon. Il a fallu accepter. que la nouvelle personne que je voyais dans la classe, elle ne serait plus la même qu'avant. Et ça, je crois que c'est une des clés pour aller mieux. Accepter qu'on ne retrouvera plus notre moi d'avant. Donc aujourd'hui, je vis avec des nouveaux bagages que je trimballe. Et ces bagages, ils ne me pèsent plus autant qu'avant, heureusement. Mais je les ai avec moi et je n'ai pas forcément envie de les laisser sur le côté. J'ai bien sûr moins de naïveté par rapport aux choses. J'ai beaucoup plus peur que mon fils se blesse, par exemple, ou autre, qu'il lui arrive quelque chose. J'ai conscience, disons, que la vie peut basculer. Pourtant, moi, dans ma vie, j'avais déjà été confrontée par le passé à la mort ou à la maladie de proche. Mais là, je ne saurais pas expliquer pourquoi perdre un bébé, ça m'a mis dans un état d'ultra-vigilance. et que je n'avais pas forcément eu sur mes deuils précédents. Alors bien sûr, vu que je sais que je suis comme ça maintenant, j'essaye de me contrôler et ça va beaucoup mieux, mais c'est comme ça. Je ne lutte pas contre ces choses qui peuvent venir parfois traverser mon esprit ou qui sont des nouvelles facettes de ma personnalité. Traverser un deuil périnatal, ça peut être un peu difficile, Ça pourrait être difficile à entendre pour certaines personnes, ça je le conçois, mais ça apporte aussi certaines qualités. Ça fait de moi une meilleure personne, je crois. Je suis plus à l'écoute, plus dans l'instant, dans le présent. Je suis une bien meilleure mère avec mon fils, une bien meilleure amoureuse avec mon mari, parce que j'ai saisi l'importance de ce que j'avais déjà. S'il y a une chose... que j'ai envie de dire aux parents endeuillés, c'est qu'ils n'oublieront jamais leur enfant. Ils le feront ou ils le feront, parce que parfois, malheureusement, ça touche plusieurs fois les parents. Toujours partie de leur histoire, ça c'est sûr en fait. Et ces parents, ils n'oublieront pas, mais ils retrouveront le bonheur. Moi, je crois sincèrement que la vie, elle ne s'arrête pas. Et on ne passe pas l'intégralité d'une vie à pleurer. Donc voilà, il faut agir sans pour autant se dire qu'on tourne une page. Et bien sûr, au début, il faut faire avec les annonces de grossesse autour de soi, parce que comme je dis, la vie ne s'arrête pas. Les naissances qui se passent bien, qui sont annoncées sur les réseaux sociaux et qui nous crèvent le cœur quand on les voit. Et qu'on est obligé de mettre un petit like, la jalousie qu'on peut ressentir et qu'on se déteste aussi parfois de ressentir. Pour des gens qu'on aime et qui sont heureux, il y a ces gens qui se plaignent de leur bébé en permanence et on a envie de leur dire de fermer la ruelle. Et puis il y a ceux qui n'arrêtent pas de vous demander, mais c'est pour quand le prochain ? Il faut recommencer. Et toutes ces maladresses qu'on entend du genre... C'est juste un accident de parcours ou des choses comme ça. Mais tout ça, en fait...