Speaker #1Je m'appelle Michèle Gay et je suis parfumeur culinaire. Un parfum culinaire ou la création d'un parfum culinaire consiste à aller puiser dans la palette du parfumeur, dans l'orgue du parfumeur, ses plus belles matières premières, et de les transposer dans des accords ou des compositions à manger, à goûter, à déguster, à cuisiner. Je pense qu'il faut un esprit d'ouverture et de curiosité, incontestablement. Il faut certainement des faiblesses et des frustrations, puisque je vais te faire une confidence, je pense qu'il n'y a pas plus nulle que moi en cuisine. Je ne sais pas cuisiner, je ne savais pas cuisiner, parce que je n'ai pas eu la chance d'avoir cette transmission maternelle. Et ça a développé chez moi un vrai, un réel complexe qui m'a amenée à inventer, à créer ma signature culinaire sans en maîtriser l'académie ou les gestes de base. Je conçois mes compositions culinaires, le point de départ, c'est le parfum. Donc le parfum que je vais aborder comme un condiment, comme une épice, comme une composition d'épices. Donc je crée des parfums culinaires, des compositions aromatiques que je pose, que je dépose sur une base alimentaire. Ça peut être un sel, un sucre, une huile, un confit, un produit laitier, une gelée, une poudre d'amandes, peu importe. Il faut que ce parfum ait une texture, une structure. Et donc ce parfum qui nécessite un temps de maturation, un petit peu comme un vin ou un fromage qui s'affine, lorsqu'il est arrivé à maturité, je vais l'associer à un mets, à une recette complexe ou un mets brut, un mets simple, pour ne revenir qu'à un fromage ou une compote ou un fruit. Et c'est cet assemblage, c'est ce dialogue entre le parfum culinaire et l'aliment, qui va pour moi créer une recette et une aventure gustative. Le principe même de la parfumerie culinaire peut s'appliquer bien sûr à toute approche gustative et elle peut même s'appliquer d'une façon, je dirais, assez simple et primaire avec le champ des épices classiques, puisque encore une fois, pour ma part, je ne fais pas de différence entre une cannelle, une racine de gingembre et une racine de vétiver ou un bois de santal. Pour moi, ce sont des épices, des parfums culinaires. Certains sont plus installés dans notre assiette. Je les appelle des parfums archaïques. J'ai juste pour vocation, ou en tous les cas pour proposition, d'élargir la palette aromatique au-delà de ce que l'histoire a installé dans nos casseroles. Mes clients aujourd'hui sont des entreprises qui souhaitent intégrer dans leur approche de marque, dans leur ADN, dans leur signature et surtout, on appelle cela le parcours client, une approche sensible à travers, bien sûr, une expérience gustative et parfumée. A l'image et au service de ces marques pour créer de l'émotion et des souvenirs mémorables au sein d'un espace de vente par exemple ou d'un événement dans le cadre d'un lancement. J'accompagne quelques chefs, là plus dans une approche de formation, de transmission de gestes, de cette expertise que j'ai développée au fil des ans. Le travail avec les chefs est particulier puisque là je suis soumise à une confidentialité. Et puis j'ai aussi une clientèle de particuliers sur un format que j'aime beaucoup qui consiste à accompagner des particuliers, soit en one-to-one ou en couple, de façonner leur propre parfum culinaire, leur parfum d'épices qu'ils emportent évidemment pour signer. leur propre cuisine, comme on a un parfum de peau, comme on crée son parfum de peau, je leur propose de créer leur parfum culinaire. On peut manger du vétiver, c'est une évidence. Et au-delà de ça, en ce qui me concerne, c'est mon épice de prédilection. C'est probablement l'épice qui est la plus présente chez moi, dans ma cuisine. C'est un parfum qui me renvoie à la naturalité, à la terre, à l'ancrage, à l'élégance, au parfum masculin dans tout son rayonnement. Il a d'ailleurs été le parfum de mon premier amour. qui était le "Vétiver" de Guerlain. C'est pour moi une Madeleine. J'ai souvent collaboré avec des marques qui, elles, dédiaient leur production, leur création à du grand public. Je pense notamment aux galettes. La première, Poilâne, c'est une première demande. Quand Apollonia m'a appelée, elle souhaitait un parfum de vétiver. Je te jure, ça ne s'invente pas. Pourquoi ? Parce qu'il se trouve que la galette Poilâne est façonnée autour, non pas d'une crème d'amande, mais d'une crème de noisette. Et Apollonia a eu le bon sens d'imaginer que les notes boisées de vétiver, bien sûr, feraient écho aux notes boisées de noisettes. Donc on avait commencé à travailler sur ce brief-là. Et à un moment donné, je dis à Apollonia, écoute Apollonia, on ne peut pas penser galette des rois sans la myrrhe et l'encens. Donc on a réorienté notre travail et notre réflexion sur un accord myrrhe-encens, l'or étant apporté par le doré de la galette. Donc il y a eu un très joli travail où l'année, le millésime de la galette était utilisée en réserve. Donc, Apollonia avait fait faire des pochoirs qui réservaient donc l'année et le reste de la galette était recouvert de cette poudre-neige de myrrhe et d'encens qui était absolument incroyable et normalement, on était sur une édition limitée. Il se trouve que les clients ont réclamé cette galette et on l'a déclinée les années suivantes. Plusieurs années après, la maison Ladurée, m'a sollicitée pour une galette. et leur galette s'appelait "la Précieuse". Donc on était parti plutôt, certes il y avait de la myrrhe et de l'encens en fond, mais la dominante autant olfactive que gustative était portée par des notes de tubereuse et de jasmin, des fleurs très très précieuses et vanillées justement, gourmandes et florales. Et puis sur les signatures, les créations les plus emblématiques, comment ne pas citer la sucette "Angel" des parfums Thierry Mugler, venu me demander une sucette "Angel". Donc ça a été vraiment très compliqué, très difficile. Ça a été un projet, pas sur la déclinaison du parfum, mais sur la mise en œuvre. Ça a été vraiment très compliqué, qui a demandé pratiquement un an de travail, avec des allers-retours sur le bon dosage, pour que le parfum ne soit pas trop prégnant. C'est déroutant quand même de sucer un parfum. Je vais réenchanter une gourmandise française le sablé en l'occurrence, parce que c'est une gourmandise que j'adore. J'aime sa générosité avec ce bon goût de beurre. Et je vais le réenchanter dans une version très particulière qui est le sablé diamant. Donc ce sablé qui est encore plus croquant que le sablé traditionnel puisqu'il est serti de cassonade et de sucre. qui le rend très précieux, très joli, brillant. Il sera parfumé, là c'est vraiment un scoop, sur des notes ambrées balsamiques, avec notamment des notes de myrrhe, d'encens, de jasmin, de fève tonka et sur un départ de bergamote. Un sablé très précieux, très parisien, et que je vais d'ailleurs développer avec une très jolie maison, une ancienne maison parisienne, pâtissière évidemment. Alors ce sablé-là sera accessible bien sûr, sera vendu dans cette pâtisserie, dans ce parfum spécifique. Alors pendant très longtemps, mes sources d'inspiration étaient les parfums, les grands iconiques. En tout premier lieu, la classification des parfums, donc les sept grandes familles de parfums, et qui m'a permis d'ailleurs d'ouvrir et de proposer de sortir de cette vision binaire de la cuisine salée ou sucrée. Ce qui veut dire d'ailleurs, je digresse, mais ce qui veut dire qu'un dîner ou un repas pour moi ne commence pas forcément par du salé pour se finir par du sucré, mais il commencera par une approche espéridée, salée ou sucrée, peu importe. Son cœur pourra prendre la forme d'un accord chypré par exemple, donc floral-boisé, pour se terminer en sillage ou en note de fond sur le troisième service par des notes ambrées-balsamiques par exemple. Mon rapport à la nature, à la nature il est urbain et citadin. Je n'ai pas besoin de me plonger dans une nature sauvage et rurale. J'aime une forme de nature cadrée, sans parler d'un jardin à la française, mais j'aime cette nature, sentir la nature avec la main de l'homme. Donc ce serait ma définition de la nature. Quant à ma relation avec les fleurs, Là encore, histoire particulière, puisque j'ai démarré, quand j'étais appelée par cette approche de parfumerie culinaire, je me suis intéressée tout naturellement aux fleurs fraîches, aux fleurs comestibles. J'ai très vite été confrontée à la difficulté de l'approvisionnement, bien sûr, mais vraiment ma première quête, trouver des fleurs naturelles, des fleurs fraîches et de saison, avec toute la difficulté que ça implique. Ma relation aux fleurs est aussi reliée à la dimension gustative. J'ai eu un jardin des simples dans ma vie à un moment où mes filles étaient petites et nous vivions à Milly-la-Forêt. Nous avions acheté là-bas une jolie maison qui était assez forte en symbole pour moi puisque c'était une maison de village, donc clos de mur évidemment, avec un tout petit jardin. C'était une maison à la fois très très minérale, beaucoup beaucoup de murs, beaucoup de pierres. Et puis, je n'avais pour exprimer cette nature, je ne disposais que de 400-500 mètres carrés. Donc ça, ça a été la première contrainte. Et il se trouve qu'à Milly-la-Forêt, c'est une terre et une ville qui est dédiée aux herbes aromatiques. On trouve notamment à Milly-la-Forêt la menthe poivrée qui est une AOP. et surtout, il existe, et je ne le savais pas en arrivant il existe à Milly-la-Forêt le "Conservatoire des simples" où sont répertoriés des centaines d'herbes aromatiques qui m'ont beaucoup inspirée et j'ose à peine effleurer la thématique aussi de la symbolique du jardin de curé, donc ce jardin qui soigne, qui pense et qui fait du bien et qui sont pour moi des jardins de ressourcement La difficulté le plus dure pour un jardin de simples, c'est de trouver les essences, donc de trouver les plants. Encore une fois, géographiquement, j'étais gâtée parce que j'étais dans un vivier. Ensuite, c'est un jardin qui est assez simple à cultiver, à entretenir. Donc oui, je m'occupais de mon jardin, mais il ne me demandait pas trop de gestes, et si ce n'est aller cueillir, planter bien sûr, cueillir, semer, cueillir, récolter et cuisiner. Le jardin de simples était partagé. Le seul précaré qui m'était réservé était un petit espace qui devait faire 20 mètres carrés, qui était un tapis de lavandes. Et celui-ci, m'incombait, il était placé juste au-dessous de la fenêtre de mon atelier. Là, c'était vraiment mon carré. Personne ne se risquait à y poser le moindre pied ou à y cueillir le moindre brin. Dans ce jardin de simples, je garde un souvenir très ému du basilic, parce que c'est à ce moment-là que j'ai découvert toutes les essences et les variétés de basilic, sur des notes épicées, le basilic cannelle par exemple est fascinant, le basilic ananas. J'ai vraiment découvert cette amplitude, ce champ aromatique livré,apporté par le basilic. On le retrouve aussi dans les menthes. plus touché en tous les cas, plus intéressé par le basilic, qui n'a pas une odeur charmante à la base. J'avais recueilli entre 50 et 60 essences particulières, sur peu de références, le basilic, la menthe, le romarin, le thym, la lavande, j'avais plusieurs variétés de lavandes, j'avais bien 5 à 6 variétés de lavandes, et de lavandins, bien sûr. Oui, je dépassais largement la cinquantaine de nuances et de couleurs aromatiques. Mon approvisionnement était assez divers, puisqu'à Milly, mi-point de départ, on avait régulièrement des marchés avec des spécialistes qui venaient proposer leurs plants ou leurs graines. On allait aussi assez loin, on couvrait le Gâtinais, on y allait et on ne rentrait jamais bredouille. Et puis aussi, les journées des plantes de Courson ont été pour moi, d'abord j'y ai beaucoup, beaucoup collaboré, puisque je préparais, je concoctais notamment les dîners-parfums pour la presse et les VIP dans le cadre des journées des plantes de Courson, donc au château. Ça restait quand même assez local et régional. Le plus beau jardin que j'ai pu visiter est sans conteste le parc floral de la Prairie, je crois, je crois pour le nom du jardin, un parc qui a été repris il y a de cela un bon nombre d'années maintenant par Bernard Pical, et c'est un parc de camélias. Tu as un nombre d'essences incalculables de camélias. J'ai ce souvenir de l'avoir visité bien sûr en pleine floraison, ce qui veut dire qu'il y avait autant de fleurs, encore suspendues qu'au sol. Je marchais sur un tapis de camélias. Ce souvenir, je pense que je le garderai à vie dans ma mémoire. J'ai pêché, colté, récolté des camélias. C'est un moment inoubliable pour moi. Je n'ai plus de jardin aujourd'hui et pendant très très longtemps, je refusais l'idée d'avoir des plantes vertes chez moi. Je pense que je gardais ce souvenir du ficus qui trônait au sein du salon familial et je refusais même cette idée. Pendant longtemps, pas de plantes vertes à la maison. Et tout à fait récemment, j'ai retrouvé ce goût pour les plantes vertes. J'ai commencé par une. Poussée d'ailleurs par ma fille Julia ou accompagnée ou invitée par ma fille Julia. Et aujourd'hui, je ne suis plus très loin de la serre. Donc, on peut changer. Ma fleur préférée fut très très longtemps la pivoine. Non, j'hésite. En tout premier lieu, ce fut la tulipe. Au moment d'ailleurs où je cherchais, où j'étais en quête d'inspiration pour la parfumerie culinaire, ce qui est étonnant parce que la tulipe est une fleur muette, qui ne libère pas de parfum, mais en revanche, elle est indomptable. J'adore voir mûrir et avancer, évoluer une tulipe parce qu'on ne connaît pas son chemin, on ne connaît pas sa ligne, on ne connaît pas sa courbe. Donc c'est une fleur qui m'a très très longtemps inspirée. Et puis ensuite je me suis tournée dans sa dimension graphique, son esthétique, son élégance, mais aussi pour sa symbolique vers l'arôme. J'en ai fait pendant longtemps ma signature parce que l'arôme évidemment fait référence à l'arôme. Là encore une fleur muette, mais aussi l'arôme fait référence à la dialectique culinaire et gustative. J'ai des plantes vertes chez moi, mais je n'ai pas de fleurs. Alors j'en ai quand on m'en offre, je les accepte évidemment. Je les déstructure systématiquement. J'espère que je ne vais pas blesser des amis. Donc je le décompose et je place chaque fleur à la façon du "vase d'avril" des Tsé-Tsé. J'utilise soit ce vase, soit des bouteilles. Mais j'aime la fleur dans son unicité et ensuite je recompose. Mais je n'aime pas l'idée du bouquet. En tous les cas polyflorale, si je puis dire. Si on est sur un bouquet monofloral, ça ne me dérange pas. J'aime pas l'idée et l'esthétique de ces fleurs étouffées. J'aime les voir respirer, j'aime qu'elles aient de l'espace pour pouvoir dialoguer.