Speaker #1Aujourd'hui, j'aimerais te parler du film Je verrai toujours vos visages, réalisé par Jeanne-Éry, qui n'est autre que la fille de Miu Miu, actrice qu'on retrouve d'ailleurs dans le film aux côtés de Gilles Lelouch et Leïla Becht. Jeanne-Éry, je la connaissais déjà pour son film Pupille, que j'avais trouvé bouleversant. Elle y parlait d'adoption, de l'abandon et de ses parcours parfois chaotiques mais humains, tendres, vrais. Et dans ce nouveau film, elle s'attaque à un autre sujet complexe, subtil et encore trop peu représenté au cinéma, la justice restaurative. Alors qu'est-ce que c'est la justice restaurative ? C'est un processus encadré, sécurisé, qui permet à des personnes victimes et à des auteurs d'infractions de se rencontrer, d'échanger et de créer un dialogue dans le but de réparer et d'éviter des récidives. C'est un dispositif délicat qui repose sur la parole et l'écoute et qui nécessite un encadrement très préparé et attentif et beaucoup de temps. Dans Je verrai toujours vos visages, on suit deux récits parallèles. D'un côté, l'histoire de Chloé, une jeune femme qui a été violée par son frère lorsqu'elle était enfant et qui souhaite aujourd'hui, dans un cadre sécurisant, le rencontrer pour poser des mots, poser des limites et surtout pour pouvoir continuer à vivre sans cette menace constante. De l'autre, on assiste à la rencontre entre trois victimes de braquage-agression et trois détenus qui ont commis des actes similaires. Ils ne sont pas liés par les mêmes affaires, mais chacun vient avec son histoire, sa colère, ses peurs, ses traumatismes. Ce que j'ai trouvé remarquable dans ce film, c'est la manière dont Jeanne et Rie nous montrent les deux côtés. Pas pour excuser, pas pour adoucir, mais pour comprendre exactement comme le fait la justice restaurative. Comprendre ce que ces rencontres font aux victimes, mais aussi à ceux qui ont... commis l'irréparable. Comprendre que parfois, parler peut réparer ce que la justice ne s'est pas soignée. Ce film, pour moi, est majoritairement porté par ses actrices. C'est un film de femmes, un film traversé par leur regard, leur force aussi. Miu Miu est bouleversante, Leïla Bekti aussi m'a particulièrement marquée. Et j'en attendais pas moins de cette actrice, qui se donne à merveille dans les rôles dramatiques. Elle joue ici une femme agressée pendant un braquage dans le supermarché où elle travaillait. Et elle raconte, avec beaucoup de justesse, comment cet événement a détruit son quotidien. Comment elle vit maintenant dans la peur permanente. Comment elle ne sort plus sans craindre de croiser son agresseur, sans revivre la scène. Et puis il y a cette scène où un détenu, lui aussi braqueur, lui dit qu'eux aussi, les agresseurs, ils ont peur. Peur de croiser leur victime, peur d'être reconnus. Et ce simple échange, c'est bouleversant. Et ça la répare. Ça la soulage un peu. Pas totalement, bien sûr, mais un peu. De vrais échanges humains se créent des deux côtés. Et même de la compréhension, parfois. Je me suis toujours dit que si on enfermait dans une pièce deux personnes qui n'ont rien en commun et qu'on les forçait à discuter, ils finiraient par s'entendre, s'aider, s'apprécier. Ce film renforce encore pour moi un peu plus cette croyance. Alors oui, toutes les histoires que l'on suit dans le film se terminent plutôt bien, peut-être trop bien même. On pourrait se dire que c'est un peu romancé. Mais je ne crois pas que ça nuise à la... crédibilité du film. Au contraire, je pense que ça ouvre une porte, que ça donne de l'espoir. C'est pas un documentaire, c'est pas une enquête sur les ratés du système, c'est une proposition, une démonstration de ce qui est possible quand on prend le temps d'écouter, de préparer, de mettre en confiance. J'ai beaucoup aimé que le film nous montre l'envers du décor, le travail de ces femmes et de ces hommes qui organisent ces rencontres, qui accompagnent les victimes, qui préparent les dialogues, qui prennent le temps de sentir quand une rencontre peut avoir lieu ou quand elle doit être annulée. On sent leur épuisement, leur engagement, leur propre fragilité aussi. C'est un aspect du film que j'ai trouvé vraiment passionnant et hyper important. Je verrai toujours vos visages a été nommé pour de nombreux Césars, notamment pour le meilleur film, la meilleure réalisation, le meilleur scénario original. Et même si c'est Adèle Exarpopulos qui a remporté le César de la meilleure actrice dans un second rôle. D'ailleurs, les actrices du film étaient toutes nominées dans cette catégorie. J'aurais aimé que le film reparte avec davantage de prix parce qu'il le mérite. Parce que c'est un film important, un film sensible, un film nécessaire. Si tu as l'occasion de le voir, je te le recommande vivement. Mais attention, certains sujets abordés peuvent être très difficiles, notamment les violences sexuelles et l'inceste. Ce n'est pas un film facile, mais c'est un film qui fait du bien et qui, je crois, peut faire réfléchir, avancer, réparer.