Speaker #2Romy, ça va pas devenir une coutume, mais aujourd'hui je vais vous parler d'un film qui m'a marquée, un film qui bouscule les genres et qui confirme le talent d'un réalisateur qu'on avait déjà remarqué avec J'ai perdu mon corps. Il s'agit de Pendant ce temps sur Terre, et autant vous le dire tout de suite, si vous aimez les films bien rangés dans une seule case, ce n'est certainement pas un film pour vous. Mais si vous aimez être surpris, dérouté et que comme moi vous aimez les films où l'image est super travaillée, alors restez avec moi. Le film suit Elsa, une jeune femme incarnée par Megan Northam, une actrice que l'on voit de plus en plus et que personnellement je trouve fascinante. Vous l'avez peut-être découverte comme moi dans la série Salade grecque, la suite de la fameuse saga de l'auberge espagnole. Elsa a perdu son frère aîné, Cosmonaut, ayant disparu lors d'une mission spatiale. Le décor est planté. L'espace, le vide intergalactique, mais aussi le deuil seront des éléments importants de ce film. Elle vit dans une ville qui a érigé une statue à l'effigie de son frère, en combinaison d'astronautes au milieu d'un rond-point important. Et chaque jour, à la mémoire de son frère, elle va la taguer, avec un symbole qui semble n'avoir de sens que pour elle. Depuis cette disparition, Elsa a mis ses rêves de côté. Elle dessine pourtant avec un talent incroyable. Elle dessine partout, elle dessine des gens, comme pour ne pas les oublier. Mais elle est enfermée dans une routine. Travaillant dans une maison de retraite dirigée par sa mère, elle s'occupe de personnes âgées atteintes d'Alzheimer ou d'autres pathologies difficiles. Jusqu'à un soir où elle entend la voix de son frère, qui l'appelle à travers une sorte d'antenne. Il lui demande d'insérer dans son oreille une mystérieuse graine trouvée par terre pour continuer de communiquer avec lui. C'est le point de bascule du film. À partir de cet instant, Elsa a une chance de sauver son frère, mais pour ça... Elle va devoir sacrifier quatre personnes bien vivantes. Ce qui frappe d'abord dans ce film, c'est l'incroyable mélange des genres. On alterne entre des moments de pure science-fiction, où Elsa entre en contact avec des entités extraterrestres, des passages de body horror, et puis des moments de vie entre Elsa et les membres de sa famille, son entourage, son quotidien dans cette maison de retraite. Il y a aussi cette approche très introspective, avec son vrai regard d'auteur et des questionnements profonds sur le deuil et les dilemmes moraux. Jusqu'où irions-nous pour ramener un être cher ? Est-ce que la vie de notre frère vaut plus que celle d'un inconnu ? Quelle vie pourrions-nous sacrifier pour un être cher ? Est-ce que certaines vies valent plus que d'autres ? Les changements de ton sont subtils, on ne passe pas brutalement d'un style à l'autre, mais les codes de chaque genre s'entremêlent. L'horreur se manifeste par petites touches, du sang, des objets qui rappellent les grands classiques du genre. La science-fiction est plus abstraite, on ne voit jamais les extraterrestres, mais leur présence se ressent. à travers des éléments visuels et sonores. Et puis, il y a cette dimension très intime où l'on suit Elsa dans sa solitude et ses questionnements, superbement représentées par les scènes en animation, qui sont, je crois, une des grandes réussites du film. Ces séquences sont fascinantes car elles ne sont pas là pour simplement illustrer un souvenir ou un rêve, mais pour traduire l'imaginaire d'Elsa. Ce sont des conversations entre elle et son frère disparu dans un univers graphique qui évoque une bande dessinée futuriste dans l'espace. Les personnages ont des allures d'elfes ou d'êtres fantastiques, avec un style visuel unique. Ces passages y sont pas juste beaux, ils donnent une vraie profondeur émotionnelle au film et nous plongent directement dans la tête d'Elsa. L'une des scènes qui m'a le plus marquée, c'est le moment où Elsa découvre la graine venue de l'espace et elle entend la voix de son frère qui lui demande de la ramasser pour continuer à communiquer ensemble. Elle la porte à son oreille et c'est là que le film bascule totalement dans la science-fiction avec un petit côté body horror très plaisant. La graine commence à coloniser son cerveau et la mise en scène devient super oppressante. On est dans quelque chose qui rappelle Alien ou même les mutations corporelles des films de Cronenberg ou Julia Ducournau. La scène est viscérale, les effets visuels sont super précis, la mise en scène joue sur des gros plans qui rendent la transformation presque palpable. Le montage et le son extrêmement travaillés renforcent cette sensation de malaise. Et c'est là qu'on comprend toute la maîtrise du réalisateur. Il ne se contente pas d'effleurer les différents genres, il s'y plonge complètement. Impossible de parler de ce film sans évoquer Megan Northam, qui porte ce film. Elle a ce côté mystérieux qui fait qu'on sait jamais vraiment ce qu'elle pense, ce qu'elle va faire, mais on la suit. Et c'est ce qui rend son personnage aussi captivant. Une scène en particulier m'a bluffée, celle où elle tente d'arracher cette graine de son oreille, seule dans sa salle de bain. Il y a une tension dingue et elle est seule pour faire passer toutes les émotions de cette scène. La douleur, la panique, l'incompréhension, le stress, la révolte, et puis finalement la résilience. La manière dont elle lutte contre ce qui lui arrive livre une performance impressionnante. Ce film, c'est un film sur le deuil qui aborde le déni et la colère face au décès d'une personne chère par la science-fiction. Et je trouve ça super intéressant. Quand quelqu'un meurt, on explique aux enfants qu'il est parti là-haut, dans le ciel, qu'il a rejoint les étoiles. On associe souvent le ciel, l'univers et l'espace à l'après. Et ici cette association elle devient palpable et elle rend l'histoire encore plus poétique. C'est le genre de film qui vous laisse sans réponse et dont les phrases et les images vous reviennent en tête quelques jours après l'avoir vu. Si vous aimez les films qui ne vous donnent pas toutes les réponses sur un plateau, si vous appréciez les œuvres qui jouent avec les genres et qui osent des parties pris visuelles fortes, alors Pendant ce temps sur terre pourrait bien être un film pour vous. Par contre si vous détestez les fins ouvertes et les films qui n'entrent dans aucune case, passez votre chemin. Moi en tout cas j'ai été totalement embarquée dans cet univers et j'espère que vous lui laisserez une chance. Dites-moi si vous l'avez vu, ce que vous en avez pensé et je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode. Voilà,