- Speaker #0
Hérétique est un podcast politique mêlant entretien et débat. Hérétique pour questionner les dogmes et les mythes. Hérétique parce que la politique n'est pas la religion. Hérétique parce que vouloir penser est toujours le début de la dissidence. Il y a un an, nous invitions Boalem Sansal, dont la liberté de parole a peu à peu transformé en hérétique. Cela fait maintenant plus de six mois que pour cette même liberté, il est embastillé dans les cachots algériens. Bualem Sensa l'est défendu par tous ceux qui, d'où qu'ils soient, refusent la tyrannie. Mais chose moins évidente, il ne l'est pas par ceux-là qui, à gauche, se prétendent être l'avant-garde des combats pour l'émancipation. Il n'y a au fond rien de surprenant. Le XXe siècle est celui où la gauche s'est métamorphosée, passant de soutien au mouvement ouvrier à compagnons de route, les plus grands massacreurs de prolétaires, de paysans et d'opposants aux quatre coins de la planète. derrière les bons sentiments les trémolos et les tralala, il y a aujourd'hui quelques questions qui permettent de faire tomber les masques qu'il faut poser afin de savoir qui l'on a en face de soi. Et l'une d'elles est, soutenez-vous Boilem Sansal. Castoria 10, pensez l'époque, première partie. Quentin Bérard est fondateur et animateur du site Lieux commun, s'inscrivant dans un projet politique de démocratie directe. Enseignant de biologie et d'ethnoécologie, il est l'auteur du livre « Éléments d'écologie politique » pour lequel nous l'avions invité il y a deux ans et demi, et revient aujourd'hui pour discuter de ses textes sur Cornelius Castoriadis, réunis en brochure. Lire et comprendre Castoriadis. Bonjour, cette émission est un peu particulière, en fait nous nous autant invitons en quelque sorte. On l'a déjà fait une fois, mais cette fois... Une autre particularité, on va parler d'un intellectuel qui s'appelle Castoriadis, et c'est à l'occasion de la sortie d'une brochure éditée par Lieu Commun. Alors ma première question sera, qu'est-ce que le collectif Lieu Commun ?
- Speaker #1
Alors Lieu Commun, c'était un collectif qui a été fondé il y a une vingtaine d'années maintenant, qui s'est étiolé au fil du temps, et depuis quelques années je suis tout seul, j'ai donc gardé juste le... L'appellation, et je travaille sous cette étiquette, L'Yeu commun, donc il y a un site qui s'appelle collectiflecommun.fr et qui publie régulièrement des textes de moi ou d'autres personnes qui tournent autour de, systématiquement, la démocratie directe et toutes les questions afférentes, les questions un peu plus profondes en termes de philosophie, d'anthropologie. d'écologie, d'histoire, etc. Et je sors à peu près tous les ans des brochures auto-éditées, distribuées dans des librairies. Et là, en février dernier, j'ai sorti un recueil de quatre textes sous le titre « Lire et comprendre Kassoriadis » de quelques tentatives de penser notre époque.
- Speaker #0
Donc, pour commencer, est-ce que tu peux décrire les grandes lignes du parcours politico-intellectuel de Kassoriadis ?
- Speaker #1
Alors Castoriadis, il est né en 1922, mort en 1997, donc il y a une trentaine d'années maintenant. C'est un grec qui est né à Athènes, qui a grandi là-bas. Il s'est politisé donc assez tôt à travers le marxisme et particulièrement le trotskisme. Il entre dans la résistance grecque très tôt, il entre aussi en dissidence avec le trotskisme là-bas. On ne va pas rentrer dans les détails, mais il arrive en France en 1945. Il a une vingtaine d'années. Il poursuit ses études à Paris. Et très rapidement, il est condamné par Comte Humas en Grèce pour ses activités politiques.
- Speaker #0
Au sein d'un parti trotski, c'était ça ?
- Speaker #1
Oui, il entre au PCI. Et en 1946, il rompt avec la direction du PCI sur la question de l'URSS. C'était la grande question à l'époque qui animait toute la gauche. C'était la nature du régime qu'il y avait en IRSS. Et il rentre en dissidence avec les positions trotskistes. Alors on ne va pas rentrer dans le détail. Et il fonde avec Claude Lefort le groupe revu Socialisme ou Barbarie, S.O.B. en abréviation. qui va être un groupe revu qui va être extrêmement actif durant 20 ans et très productif, très fertile, puisqu'ils vont produire une analyse. de l'URSS et des sociétés occidentales en général, extrêmement intéressante et qui sera reconnue dans les années 70 lors du dégel intellectuel en quelque sorte, lorsque le stalinisme aura reflué. Ils sont reconnus comme les fondateurs de la gauche antitotalitaire.
- Speaker #0
D'après ce que j'ai compris, parce qu'il y a une forte réputation de socialisme ou barbarie dans les milieux libertaires ou même gauchistes, et d'après ce que j'ai compris, c'est aussi une critique du gauchisme aussi. ça ne s'arrêtait pas seulement à la critique du stalinisme qui peut y avoir chez les trotskistes oui,
- Speaker #1
c'était vraiment le dernier groupe se réclamant le dernier groupe vivant se réclamant du moins ouvrier du XVIIIe, XIXe siècle et qui s'est épuisé au XXe siècle c'est un groupe qui était actif un groupe essentiellement constitué d'intellectuels mais tout ça c'est de très bon niveau donc Katsouridis et Lefort qui étaient en gros Oh le le... les têtes du groupe, mais il y avait par exemple Jean-François Lyotard, Jean Laplanche, le psychanalyste, Guy Debord, on en parlait en off avant l'émission, il est passé et s'est politisé. Il y a beaucoup de gens qui sont passés et beaucoup de gens qui ont été marqués aussi par leurs analyses, qui étaient d'une très grande lucidité effectivement, qui s'est un peu érigée de fait en mythe et en modèle pour beaucoup de groupes qui ont suivi, pour de bonnes raisons, parce que S.O.B. est rentré très rapidement en dissidence avec les doxa, toutes les doctrines qui avaient cours à l'époque, aussi bien les doctrines du stalinisme classique que du trotskisme, que de toutes les lectures marxistes ou anarchistes, en gros. aboutir à l'élaboration d'une analyse très particulière de la société russe, comme une société de type nouvelle, une nouvelle société, dirigée par une classe nouvelle, qui était une classe bureaucratique, et ça obligeait à relire Marx. Donc c'est un groupe qui s'est échiné, et particulièrement Castoriadis, à relire Marx très précisément. En fait, toute cette démarche les a amenés à remettre beaucoup de choses en cause. Aussi bien la lecture de Marx que la conception qu'ils avaient des sociétés, parce qu'ils étaient marxistes, rompent avec le marxisme, et relire aussi les sociétés occidentales comme en proie au phénomène de bureaucratisation, c'est-à-dire le fait qu'ils observaient une délégation de pouvoirs généralisées dans la société, et particulièrement dans les organisations ouvrières, les partis, les syndicats, les groupes, les revues, les groupuscules. Ce que Castoridis a appelé la division entre dirigeants et dirigés. Et à partir de là, le vrai conflit n'était pas un conflit de classe, n'était pas un conflit sur des bases économiques, mais des conflits sur des bases politiques, entre les dirigeants et les dirigés. En ouvrant, au fond, l'horizon d'une gestion ouvrière, ce qu'ils appelaient à l'époque la gestion ouvrière, autrement dit une autogestion, donc la démocratie directe. En gros, c'est un parcours qui se réapproprie, après être passé par le marxisme, des positions de type libertaire. Mais extrêmement élaboré, extrêmement fondé intellectuellement, et qui aurait dû réensemencer le monde libertaire en France.
- Speaker #0
En fait, qui ont très peu repris les travaux de Castoriadis. Il ne le renie pas, c'est-à-dire que chez les libertaires, il est encore... populaire et même je pense qu'il est disponible dans les librairies libertaires c'est possible mais c'est très peu mis en avant en fait.
- Speaker #1
Il est populaire absolument, il est connu mais il n'est pas reconnu et surtout chez les libertaires il n'est pas lu et s'il est lu il n'est pas compris et s'il est compris il n'est pas retenu et globalement on le cite, c'est une des motivations qui m'a poussé à écrire la brochure, on le cite non pas à contre-emploi mais systématiquement de manière à l'édulcorer. de manière à ce qu'il alimente l'idéologie classique ou la bien-pensance, ou ce qu'on appelle la bien-pensance, ou le gauchisme culturel, ou les doctrines vaguement anarchistes de gauche, etc.
- Speaker #0
On reviendra sur l'utilisation, mais il y a aussi deux particularités. Je n'avais pas pensé au moment de préparer, c'était sur la partie « il est grec » . Donc il y a toute cette tradition aussi de la démocratie. comment l'histoire de la démocratie commence en Grèce, et il s'est intéressé, je ne sais pas si c'était avant ou après socialisme ou barbarisme, à la psychanalyse. C'est aussi assez particulier et il utilise la psychanalyse dans la politique. Ce n'est pas séparé pour lui.
- Speaker #1
Oui, parce qu'en fait, on peut rentrer un peu dans les détails. Il aboutit à mettre en avant cette histoire de gestion ouvrière, d'autogestion généralisée, de démocratie directe. Et ce qu'il appelle au fil du temps l'auto-institution explicite. C'est-à-dire une société qui s'auto-institue, qui se met en place, qui se revitalise explicitement. Elle le dit, elle le met en acte. Alors toutes les sociétés s'auto-instituent, que ce soit des tribus, que ce soit des empires, que ce soit des royaumes ou des républiques, ce sont des sociétés qui émergent des adultes qui les fondent. la particularité d'une démocratie est que cette auto-institution, elle se fait explicitement, c'est-à-dire que les gens le savent, les lois auxquelles ils obéissent, les règles, les valeurs, émanent de leurs décisions. Donc c'est une auto-institution explicite. Et c'est ce que Kassaridis entame par le terme d'autonomie, c'est-à-dire la capacité, l'autonomie, autos nomos, on fait ses règles soi-même. C'est cette capacité à s'auto-instituer lorsqu'on est une collectivité et lorsqu'on est un individu, à ne fonder ses règles et ses décisions qu'après un examen approfondi de soi. Donc on voit bien que c'est un concept qui est politique et, j'ai parlé d'individu, on peut l'appliquer immédiatement au psychisme d'un individu parce qu'un individu peut ne pas être autonome. évidemment, le contraire étant l'autonomie, l'hétéronomie, et le but de la psychanalyse est de rendre l'individu autonome. Donc, Astérix a dit que ça commençait une analyse au début des années 60, certainement pour des raisons très personnelles, et aussi, on peut supposer aussi parce qu'il était en train de rompre avec Marx, et que pour quelqu'un qui était passionné par le marxisme, qui était imbibé de cette pensée, cette rupture a dû beaucoup l'ébranler. Donc il est entré en psychanalyse et il est devenu psychanalyste, je crois, au début des années 70. Et il a pratiqué jusqu'à sa mort en 97. Et il a pas mal écrit, il a beaucoup réfléchi à la psychanalyse aussi. Il a contribué à fonder le quatrième groupe, un groupe psychanalytique, qui cherchait à dépasser un peu le sectarisme de Lacan.
- Speaker #0
Quatrième groupe au sein de quoi ? Au sein de SUB ?
- Speaker #1
Non, le quatrième groupe, c'est un groupe à part entière qui s'appelle le quatrième groupe, parce que c'est l'histoire de la quatrième analyse du contrôle du contrôle. C'est un peu compliqué, mais c'est un groupe psychanalytique à part entière. Donc là, ce n'est plus du tout de la politique. Un groupe qui existe toujours et qui adopte des principes d'autogestion. Vous allez sur leur site du quatrième groupe, et régulièrement, ils font ce qu'ils appellent une réinstitution. Donc ils ont repris le terme, ils se réinstituent. En fait, c'est tout bête, enfin je pense, je ne suis pas membre, mais c'est l'équivalent d'une assemblée générale dans une association. Qu'est-ce que c'est en fait qu'une assemblée générale dans une association ? Ce sont les gens qui réinstituent l'association régulièrement, ils se demandent au moins une fois par an, c'est dans les statuts, normalement, ils se demandent est-ce que ce qu'on a fait cette année est bien, qu'est-ce qu'on fait l'an prochain, quelles règles on met en place, qui on accepte, qui on refuse, etc. Il les réinstitue explicitement. C'est vraiment une association qui est une création ouvrière, d'ailleurs, l'association de loi 1901. Ce sont des exemples même d'auto-institutions explicites de la société.
- Speaker #0
Après, on a un peu parlé de l'autonomie. Il y a trois choses qui reviennent souvent dans les textes de Castoriadis. C'est anomie, autonomie, hétéronomie. Autonomie, on va dire, c'est celui qui est le plus utilisé. Les deux autres termes, est-ce qu'on peut les définir ?
- Speaker #1
Ah oui, j'aurais même dû commencer, c'est plus simple, par définir l'hétéronomie. L'hétéronomie, c'est donc étymologiquement hétéro-l'autre, nommé la loi auquel on obéit, vient d'un autre. C'est le cas classique de toutes les sociétés traditionnelles. qui obéissent à des lois, qui viennent des ancêtres, qui viennent de Dieu, qui viennent d'un livre sacré, qui viennent d'un passé qui est sacralisé, etc. C'est vraiment l'hétéronomie la plus caractérisée. Au niveau individuel, l'hétéronomie, ce serait un individu, on est tous plus ou moins névrosés, l'individu névrosé, c'est un individu qui est déterminé par le traumatisme de l'enfance. Il n'a pas dépassé et son comportement est dicté par les réactions qu'il a eues à cette époque-là. Il est aliéné en réalité à lui-même, à un choix qu'il a fait lorsqu'il était petit.
- Speaker #0
Il n'a pas conscience.
- Speaker #1
Voilà, c'est une hétéronomie qui est inconsciente, bien sûr. Ou plus classiquement, un individu qui est sous la domination d'un autre, que ce soit une femme sous la domination de son mari ou l'inverse. Les enfants sont dans des situations d'hétéronomie qui sont passagères. Un groupe restreint aussi peut être par exemple une secte. C'est typiquement une situation hétéronome, le collectif, et soit domination d'un gourou. Qui peut être là aussi. Ça peut être dit et ça peut ne pas être dit aussi. Tout à l'heure, on discutait un peu de la différence entre les gauchistes et les anarchistes. Et il a été dit que les anarchistes étaient beaucoup plus hypocrites. C'est-à-dire qu'ils prétendaient que leur groupe était autonome. Et en réalité, on voit assez clairement dans les groupes anarchistes, libertaires, émerger des leaders. Ce qui est un phénomène naturel, mais ils refusent de le reconnaître à cause de leur idéologie. Donc on est dans une hétéronomie qui est pire encore parce qu'elle est tue, elle est déniée. Et donc dans ces cas-là, on a évidemment du mal à s'en sortir. Donc l'hétéronomie, en fait, c'est la dépendance d'un groupe à une source extrasociale. C'est un fantasme, évidemment. On croit que le groupe, ses règles, ses valeurs, ses règlements, ses lois, viennent d'un autre, d'un ailleurs. Que ce soit un ailleurs ou surnaturel ou très concret, ça peut être un parti politique, par exemple une société actuelle. Est-ce qu'on peut dire que nos sociétés actuelles sont hétéronomes ? Pas vraiment.
- Speaker #0
En théorie, on est autonome.
- Speaker #1
En théorie, on est autonome absolument parce qu'on vient d'une histoire très animée par l'autonomie collective. Dans la réalité, des fois on peut parler d'hétéronomie lorsqu'on parle de la dépendance au marché, puisqu'on parle des marchés un peu comme des institutions transcendantes. Mais ce n'est pas une autonomie qui est stricte.
- Speaker #0
Et après, par exemple, la définition idéale de la République, c'est l'autonomie.
- Speaker #1
Absolument, tout à fait. C'est la définition idéale de la République. En fait, l'autonomie collective, c'est vraiment la démocratie. C'est l'autre nom de la démocratie. Le castreadisme parle aussi d'auto-limitation. Se donner des règles, se donner des limites. Ce qu'on refuse de faire, ce qu'on ne va pas faire. Allez, cela individuel. L'autonomie, c'est ce qu'on peut appeler l'émancipation à l'échelle individuelle. C'est la capacité d'un individu à se prendre en charge lui-même et à reconnaître ses propres désirs, à reconnaître des envies de viol, des envies de meurtre, des envies de destruction, des envies de suicide, et se les refuser. C'est la capacité, c'est une maturité de l'être humain. à regarder en face sa propre existence et les règles qui vont la déterminer. Alors, Dostoevsky...
- Speaker #0
C'est se limiter, mais pas en disant ça se fait pas, d'avoir conscience aussi, d'avoir réfléchi aux conséquences de ses actes, etc. Du bien commun. Ça suffirait pas de dire je m'auto-limite parce que ma religion me permet pas.
- Speaker #1
Là, vous venez de dire... Parce que ma religion ne me permet pas, c'est une hétéronomie. D'emblée, on est dans autre chose. Alors, l'autonomie, ça ne veut pas dire non plus de ne pas tenir compte de l'extériorité. Il y a beaucoup de termes d'autonomie qui sont très galvaudés. Tous les termes importants sont galvaudés aujourd'hui. L'autonomie, ce n'est pas du tout ne pas tenir compte de la vie des autres. Ça ne veut rien dire. Ce n'est pas du tout de s'arracher à tout ce qui existe. Ce n'est pas du tout de vivre dans un monde en suspension, dans une autarcie absolue. Ça ne veut rien dire. Être autonome, c'est être enraciné. Ça fait partie d'une société. C'est reconnaître la vie en société. Ce sont les enfants qui croient qu'ils sont capables de vivre tout seuls. C'est reconnaître un héritage de morale. C'est reconnaître un héritage religieux, même s'il est implicite. Nous, nous sommes d'héritage judéo-chrétien. Il faut le savoir, regarder les choses en face et peser le pour et le contre et délibérer le plus souvent possible quant à ce que l'on croit, ce que l'on veut faire. ce qu'on est capable de faire, ce qu'on se refuse. de faire, en notre âme et conscience. Et ça demande une capacité d'autonomie qui n'est pas simple du tout, d'où l'existence de la psychanalyse.
- Speaker #0
Et donc, il y a le troisième terme, qui était l'anomie.
- Speaker #1
Alors l'anomie, Castoridis en parle, alors étonomie et autonomie, il le reprend de Kant, c'est Kant qui est donc le philosophe qui a posé ces termes-là, et Castoridis le reprend. Et anomie, en fait, Castoridis en parle de temps en temps. Mais il ne le met pas en triptyque. Là, c'est moi plutôt qui l'avance. Donc, j'en prends la responsabilité. Et je trouve que ça correspond vraiment à quelque chose. Anomie, donc aprivatif, anomos, il n'y a plus de règles. Il n'y a plus de valeur. Il n'y a plus de direction, ni individuelle, ni collective. Et je trouve que ça forme un triptyque qui est très éclairant.
- Speaker #0
Est-ce que c'est le chaos ?
- Speaker #1
Voilà, c'est tendance au chaos, l'anomie.
- Speaker #0
Ou la définition ? commune d'anarchie, par la définition politique. Oui,
- Speaker #1
voilà, anarchique. Quand on a une situation qui est anarchique, elle est anomique. Le terme a été utilisé dans l'histoire. Et la situation d'anomie est en fait une situation intermédiaire entre l'autonomie et l'étonomie. Et je pense que c'est la situation que nous sommes en train de vivre. Nous ne sommes déjà plus dans une situation socialement, une situation de société qui tend à l'autonomie. Kassaridis dit qu'il y a une éclipse de ce projet d'autonomie dans nos sociétés. On ne tend plus à l'autonomie. On n'est pas encore retombé dans l'hétéronomie. L'islam peut être un horizon, un regain du christianisme, une dictature militaire, etc. On n'y est pas encore, on n'est pas encore du tout dedans. On est plutôt dans une forme d'anomie légère, mais qui est visible partout. Vous vous sentez dans la rue, il y a une sorte d'anomie vestimentaire. On le voit, on peut s'habiller à peu près n'importe comment aujourd'hui, et on s'habille à peu près n'importe comment. Je parle de tendance, ce n'est pas...
- Speaker #0
Ce n'est pas que chacun est autonome de son habillement.
- Speaker #1
Voilà, alors, Black Asteroidist a par exemple une idée qui est annexe, mais qui est très intéressante. Il dit que nous ne vivons pas du tout dans des sociétés individualistes. Pour lui, une société individualiste, c'est un horizon qui est très désirable. C'est une société qui est constituée d'individus, de gens qui sont autonomes, qui sont capables de peser leurs décisions, de délibérer, d'être au contact de leurs désirs, de les mettre en œuvre autant que faire se peut. Et ce n'est pas du tout ce que l'on voit aujourd'hui. Lui, il voit au contraire ce qu'il appelle l'époque du conformisme généralisé. Nous vivons une époque où les personnes... se conforme de plus en plus à ce qu'on attend d'elles. Ce qu'on attend d'elles en fonction de leur origine, ethnico-religieuse maintenant, en fonction de leur classe sociale, en fonction de leur lieu de fréquentation, en fonction de l'université civile dans des villes, des campagnes, la France périphérique, etc. De leur vie professionnelle, vie familiale, etc. On a un retour d'indéterminisme avec un manque d'originalité assez extraordinaire. que l'on voit aussi bien dans l'habillement que dans la création artistique, etc. Donc là, on est, pour Castoriadis, au niveau individuel, en train de retomber dans une hétéronomie qui n'est pas dite, qui est le conformisme de groupe, en fait. Donc, pour vous répondre, en termes vestimentaires, on ne vit plus du tout dans l'originalité, parce que ce que l'on voit, ce sont ou des tenues traditionnelles, des djellabas, des courtas, etc.
- Speaker #0
Qui répondent à une hétéronomie du groupe.
- Speaker #1
Qui répondent à une hétéronomie, là, pour le coup, du groupe, c'est du communautarisme. Ou alors on a l'uniforme, le jean, la chemise, le pull, etc., qui n'a absolument aucune originalité. C'est du normcore, pourquoi pas, c'est ce qu'il y a de moins pire. Et puis on a tout le stétile de la mode américaine, avec le débraillé, le jean déchiré. Le jean déchiré a plus de 50 ans. Les jeunes aujourd'hui arrivent à des jeans déchirés, ça a l'air d'être original ou subversif. On va parler d'ailleurs de la fausse subversion tout à l'heure. C'est en fait un retour de la tradition pseudo-subversive. Donc là, on est plutôt dans une forme d'anomie, ou de multiple hétéronomie. Cette anomie se retrouve aussi sur le terrain le plus important, les terrains législatifs, le terrain moral, où on a un opportunisme généralisé, le terrain artistique, où on a à peu près n'importe quoi. Donc ça c'est plus personnel, mais je pense que Castoriadis ne serait pas en train de s'insurger contre ce que je dis.
- Speaker #0
Je reviens un peu sur une question auxquelles on n'avait pas répondu, c'est sur les origines grecques de Castoriadis. Donc, effectivement, il y a le côté la naissance de la démocratie, mais au moment où Castoriadis a vécu en Grèce, c'est très différent. Ce n'est pas du tout une démocratie idéale.
- Speaker #1
Non, absolument pas. Et Castoriadis a un entretien, qu'on a traduit d'ailleurs à un lieu commun, il y a une dizaine d'années, un entretien sur la Grèce contemporaine où il est extrêmement dur. Il a quitté la Grèce. à l'âge de 22-23 ans, il est très content de l'avoir quitté. Il n'y a aucun regret là-dessus. C'est un immigré qui est venu en France. Il voulait vivre en France. C'était vraiment la patrie pour lui de la révolution, du savoir, de la culture, etc. Donc pour lui, c'était vraiment important. Et il n'a pas du tout de nostalgie ou d'attachement, en tout cas, à la Grèce contemporaine. Par la suite, mais c'est beaucoup plus tardif, effectivement, il a mis la Grèce antique au centre de ses préoccupations, dans son travail sur la démocratie directe, mais c'est vraiment un travail purement intellectuel. Il dit à plusieurs reprises que la Grèce antique n'a rien à voir avec la Grèce contemporaine. Donc c'est pas du tout, parce qu'on lui reproche un hélénocentrisme, c'est pas du tout un ethnocentrisme, c'est très très clair. Il a été condamné par Comte Humas, je l'ai dit, lorsqu'il a quitté la Grèce. C'est un vrai réfugié politique. Et s'il est rentré en tant que fonctionnaire international à l'OCDE assez peu de temps après son arrivée en France, c'était notamment parce que ça lui offrait une immunité internationale qui n'a été levée que dans les années 70. Dès que sa condamnation a été levée avec la suite des colonels en Grèce, début des années 70, il a démissionné de l'OCDE immédiatement. C'est un vrai réfugié. politique castelvedis qui a connu des conditions de vie très difficiles en grèce dans sa jeunesse il n'a pas cherché à revenir justement la fin de non non non non non non non bon j'imagine qu'il avait des maisons de vacances etc c'est quand même il était c'est un méditerranéen malgré tout il est amoureux de la méditerranée mais mais il a beaucoup de recul par rapport à sa grèce natale ça c'est assez évident mais pour lui dans en tout cas le lien qu'il a avec la grèce c'est un lien enfin avec la grèce antique et un lien qui est très fort parce que Il se réclame du projet d'autonomie. Il voit dans l'histoire se déployer ce qu'il appelle un projet d'autonomie, qui est d'abord né en Grèce, en moins 700 avant Jésus-Christ, notamment à Athènes, et qui a disparu ensuite, notamment à cause de ce qu'il appelle la barbarie chrétienne, qui a mis à bas tout ce mouvement d'autonomie qui était en Grèce et qui a explosé ce qu'on a appelé le miracle grec, aussi bien démocratie directe dans la cité. d'Athènes que la création artistique, philosophique évidemment, scientifique, etc. Et cette autonomie-là est née 1500 ans plus tard, dans le haut Moyen-Âge, en Europe, à travers les cités médiévales, où les gens ont commencé à s'auto-organiser dans les bourgs, c'était la proto-bourgeoisie, ce qu'on a appelé la révolution du XIIIe siècle, et puis ça a été le début de... L'apparition en Europe de cette autonomie, de cette recherche d'autonomie, de ce projet d'autonomie, à travers la Renaissance, les Lumières, les révolutions classiques, révolutions américaines, hollandaises, anglaises, françaises, puis le mouvement ouvrier, évidemment, et puis derrière, les mouvements écologistes et féministes, la lutte des immigrés, etc., dont on va parler. Tout ça, c'est ce qu'on appelle le projet d'autonomie, et c'est plutôt mal vu de la gauche.
- Speaker #0
Et justement, pourquoi la gauche, selon vous, se trompe au sujet de Castoriadis ?
- Speaker #1
Alors, la gauche considère que Castoriadis est un allié, à la fois raison et tort. Elle a raison parce que Castoriadis est un révolutionnaire. Il est resté jusqu'à la fin de sa vie. Il veut instituer une société autonome, constituer un individu autonome. Autrement dit, il reprend la visée d'émancipation qui a fondé la gauche. Ça, c'est absolument évident, irréputable. Son dernier texte, en 1997-1996, est une profession de foi révolutionnaire. Donc là-dessus, il n'y a absolument aucun doute. Mais la gauche en fait aussi une semi-icône, elle en parle mais sans trop en parler, qui recouvre en fait la spécificité de ce qu'il a à dire, parce que ce qu'il a à dire est très dérangeant pour la gauche d'aujourd'hui. Pour lui, la gauche aujourd'hui, c'est un parti, enfin c'est même pas un parti, c'est un camp d'arracheurs de dents qui a menti en réalité depuis au moins l'instauration de l'URSS. Je vous rappelle que c'est un antitotalitaire.
- Speaker #0
et que durant des décennies, il a lutté contre les mensonges que la gauche française relayait à propos de la patrie du socialisme que devait être l'URSS, alors que c'était le pire des régimes de l'histoire de l'humanité, avec l'instauration en réalité d'un esclavagisme industrialisé, à travers les goulags, la terreur, l'idéologie, etc.
- Speaker #1
Il est connu pour sa phrase... Quatre mots, quatre mensonges.
- Speaker #0
Quatre lettres, quatre mensonges. URSS, effectivement, ce n'est pas une union des républiques. C'est une prison des peuples. Ce ne sont pas des républiques, évidemment, parce que c'est une dictature abominable. Ce ne sont pas des soviétiques, puisqu'il n'y a pas de soviètes là-bas. Les soviètes, je rappelle, ce sont des assemblées du peuple. Des conseils. Ce sont des conseils ouvriers, normalement, les soviètes. C'est donc des organes de démocratie directe, évidemment. On est très, très loin des démocraties directes. Et ce n'est pas socialiste, évidemment. Si Marx arrivait en URSS, évidemment, il serait absolument outré. Donc la gauche, c'est ça. Pour lui, c'est d'abord le parti des menteurs. Il a un texte de 76, qu'il faut absolument lire si vous écoutez cette émission, qui est sur le site Liocomin, qu'on a... l'autogestion de la mystification où il décrit le militant de gauche comme étant effectivement en situation d'autogestion de sa propre mystification il n'a même plus besoin qu'on lui raconte n'importe quoi il se raconte lui-même n'importe quoi pour continuer à croire dans son parti et on a l'impression qu'il parle de la LFI et de ses bigones. Evidemment tout le monde a ça en tête parce que les mensonges sont tellement évidents que Mélenchon n'a même plus besoin de mentir, les militants. se montent à eux-mêmes immédiatement, ils métabolisent automatiquement leur propre mystification. C'est absolument ça. Donc Castoridis est vent debout, évidemment, contre la gauche radicale, qui en fait reprend les schémas de Marx que lui a réfutés, qui considère être en fait des schémas de type capitaliste. puisque dans Marx, il distingue plusieurs éléments, et notamment un élément proprement rationaliste, mécaniste, systémiste, qui est congruent avec l'imaginaire capitaliste, et au fond qui a une mythologie judéo-chrétienne, avec une minorité de militants qui est censée... être en contact avec la vérité divine et qui va amener l'humanité à son terme à travers la parousie du communisme grâce aux évangiles et aux prophètes de Marx et du Capital, etc. Tout ça, c'est une mythologie avec laquelle il a rompu dès les années 50 et qui doit se déployer encore jusque dans les années 90 et qu'on voit aujourd'hui continuer à labourer les cerveaux de nos militants contemporains. Donc là-dessus, il est très très dur. Et puis la gauche plus assagie, on va dire, le PS ou les lambeaux aujourd'hui, de ce qu'il en reste, c'est la gauche bureaucratique. Évidemment, il n'y a rien à chercher là-dedans. Ce ne sont pas du tout des gens qui veulent changer la société. Il n'y a aucun projet de société. Il n'y a plus aucun contact réellement avec le monde populaire. Leur horizon est d'élargir la cisse de la consommation à la planète entière. Il n'y a absolument aucun intérêt. Alors, le nationaliste est en rupture avec la gauche, évidemment, il est en rupture avec la droite, il n'y a pas question de défendre la droite, qui pour lui, c'est un faux conservatisme. Pourquoi c'est un faux conservatisme ? Parce que dans un système qui est soumis au mécanisme capitaliste, il n'y a pas de conservatisme qui tienne. Ce n'est pas possible de vouloir éduquer les enfants à la tradition en leur donnant un smartphone à 6 ans. C'est toute l'hypocrisie fondamentale de la droite. auquel on peut se gargariser sur Europe 1 ou CNews, la rechristianisation, etc. On est dans la tartufferie la plus totale.
- Speaker #1
Et est-ce que, justement, le concept de gauche et droite, on met souvent des guillemets sur le site lieu commun, est-ce qu'il a encore un sens, en fait, même pour Castoriadis, dans les années 60-70 ?
- Speaker #0
Pour Castoriadis, il n'a aucun sens, c'est très tôt. Dès les années 60-70, pour lui, la question n'est pas à gauche ou à droite, puisque ce sont de toute façon des mouvances qui sont intégrées à cette société-là et qui, au fond, n'ont aucune envie de la changer. Et l'accession de la gauche au pouvoir en 81 l'a très bien montré. Depuis, on a une alternance Ausha qui ne change absolument rien. Donc la différence que la gauche et la droite, déjà dans les années... 60 n'a pas de pertinence pour Castoriadis. La question n'est pas du tout être de gauche ou être de droite, la question est quelle société vous voulez. Et pour Castoriadis, c'est clair qu'il veut une société de démocratie directe. Et je crois que c'est effectivement le vrai clivage est là. Et on l'a vu, nous, très concrètement, il y a quelques années, lors du mouvement des Gilets jaunes. On a vu très clairement des gens de gauche infiltrés. le mouvement des Gilets jaunes. Au bout de 3-4 mois, le mouvement a commencé à la fin novembre. Nous, sur le terrain, on a vu une infiltration en janvier, en février, c'était quasiment fini. Tous les gauchistes étaient rentrés dans les assemblées, avaient viré les gens qui n'étaient pas politiquement corrects. Que des problématiques. Ils avaient pris le pouvoir, ils s'étaient réglés. Le mouvement des Gilets jaunes a duré 3-4 mois. Et c'était très clair, la question est très claire. Le mouvement des Gilets jaunes... Est-ce que vous voulez aider ces gens-là ? Est-ce que vous reconnaissez plutôt, dans leur démarche, moi c'était mon cas, pour arriver à une expression qui est maladroite, qui est confuse, on est d'accord, qui est hétérogène, qui est attenante, qui est hésitante, pour aider à une expression populaire et tenter d'articuler une parole collective ? Où est-ce que vous arrivez, et ça c'est toute la gauche, avec vos lubies, vos grilles de lecture, vos mots d'ordre ? Et puis vous éliminez les gens que vous voulez éliminer, vous mettez en avant les gens que vous pouvez manipuler, et puis vous amenez le mouvement là où vous voulez qu'il arrive, c'est-à-dire à sa perte, parce que la Ausha horreur du peuple. La droite aussi, il n'y a pas de bon point à distribuer. Mais la gauche est beaucoup plus hypocrite, puisqu'elle se réclame du peuple, et ça dure depuis le putsch du parti bolchevique de 1917, qui s'est réclamé de la révolution.
- Speaker #1
Et après, le problème de la démocratie, c'est que le peuple ne veut pas forcément ce qui était dans les programmes, par exemple de la LFI, où ça peut être contradictoire.
- Speaker #0
C'est toute la question. Le mouvement des Gilets jaunes, globalement, n'était pas du tout politiquement correct. Tout le courage est d'arriver à aller vers ces gens-là, de les reconnaître comme des égaux, de discuter avec eux de la manière la plus ouverte possible, la moins idéologique possible, et de voir ce qu'ils sont capables de faire ensemble.
- Speaker #1
et aussi d'admettre que... Par exemple, c'est la majorité, donc c'est à eux de décider, même si ça ne nous plaît pas.
- Speaker #0
Absolument, et de considérer que le peuple, de toute façon, doit avoir le dernier mot, même s'il se trompe, c'est le principe, le pari de la démocratie directe, même si le peuple se trompe, il faut qu'il fasse l'expérience de sa propre liberté. C'est comme un individu, tu fais ce que tu veux de ta vie, peut-être que tu te trompes, mais c'est ton destin. C'est ce qu'on appelle la liberté, c'est ce qu'on appelle l'autonomie. Pour revenir à Castoridis et à la gauche, il est donc en désaccord total avec la plupart des gens qui le citent et qui en font l'éloge. Il est en désaccord avec les pacifistes, il est en désaccord avec les néo-féministes, qui sont des confusionnismes, avec ce qu'on appelle le wokisme en fait. Il est très critique vis-à-vis des écologistes, vis-à-vis évidemment des gauchistes. Quand il dit qu'il est critique, ce n'est pas du tout qu'il en désaccorde sur le fond. Il est écologiste, il est féministe, il est révolutionnaire, mais tout ce qu'il voit dans ces mouvements-là, c'est en fait des simulacres, et de plus en plus un n'importe quoi. Et sans parler des nouvelles questions qui ont surgi depuis 30 ans, la question de l'immigration, la question de l'islam, la question du multiculturalisme. Là-dessus, Castoradis est politiquement incorrect au possible. Il serait aujourd'hui traité de tous les noms, si vraiment les gens le lisaient. Alors, dans ma brochure, il y a un article, justement, Castoradis contre les bien-pensants, où je montre quelques citations qui sont très faciles à trouver, qui sont de multiples endroits dans son œuvre. où il prend des positions qui sont extrêmement hétérodoxes, mais qui ne sont pas simplement des opinions de la part d'un philosophe, comme un philosophe pourrait avoir des opinions à propos d'un sujet qui ne regarde pas du tout sa philosophie. Ce sont des positions qui sont ancrées dans ces positions philosophiques. Par exemple, la question de l'islam, elle découle immédiatement de la question de l'autonomie. Pour l'autonomie, bien comprise. Vous considérez que toutes les religions, et particulièrement l'islam, qui est quasiment de ce point de vue-là une caricature, en tout cas qui est très virulente aujourd'hui, qui est la religion la plus agressive, vous mettez évidemment en question la croyance en Mahomet et la pratique de ses fidèles. C'est évident, on ne peut pas s'accommoder en disant que c'est une passade et qu'ils s'en débarrasseront spontanément un jour ou l'autre. L'emprise de la religion est une aliénation qui est très forte. Même chose à propos du multiculturalisme. Le classé radicalisme, c'est culturaliste. C'est-à-dire que l'autonomie n'est pas un élément naturel qui serait présent dans l'être humain. C'est une chose qui est construite. Il n'y a eu que deux moments dans l'histoire où l'autonomie a éclaté de manière importante et a perduré dans l'histoire. Il y a eu des tendances à l'autonomie à peu près dans toutes les civilisations, mais ça a été assez superficiel et assez court. Il n'y a que deux endroits où ça a duré réellement, la Grèce antique et l'Europe moderne, et c'est par hasard. Ça a informé évidemment les cultures. Donc la culture occidentale est imprégnée de ces tendances à l'autonomie. Elle est ambivalente, la culture occidentale. Elle comporte aussi un élément, on en reparlera un petit peu, l'élément capitaliste, l'élément de la maîtrise. l'élément du contrôle rationnel des individus qui a abouti au totalitarisme, mais c'est aussi la source de la démocratie et de l'autonomie d'émancipation. De ce point de vue-là, en face d'autres cultures, il y a un conflit, un conflit de cultures qui est important, que ce soit en face de la culture musulmane, en face de la culture hindouiste, de la culture russe, de la culture africaine, tout ce que vous voulez. Il y a une... Castaner, c'est un partisan de... En tout cas... il constate l'incompatibilité des cultures. Ce n'est pas simple du tout de faire cohabiter les cultures les unes avec les autres, parce que ce sont des univers très particuliers, très singuliers, et qu'un multiculturalisme ne peut pas avoir lieu de manière simple et heureuse. Donc, sur de multiples points que j'égrenne dans mon article, Castoridis est politiquement... incorrect. Et beaucoup de gens à gauche et à extrême droite et à extrême gauche continuent de le citer comme une référence mais sans vraiment le lire. Et s'ils le lisaient vraiment, ils seraient horrifiés qu'il est d'extrême droite.
- Speaker #1
Il est aussi récupéré à l'extrême droite ?
- Speaker #0
Je n'ai jamais vu. Mais ça ne pourrait pas tarder. Parce que, comme d'habitude, ce que la gauche abandonne, la droite le récupère. La Ausha abandonné la laïcité, la gauche l'a récupéré. La Ausha abandonné le travail.
- Speaker #1
On a beaucoup de mal avec cette définition droite-gauche.
- Speaker #0
Oui, mais en tout cas, ça c'est phénoménologique. La laïcité aujourd'hui n'est plus à gauche.
- Speaker #1
La droite est l'ancienne gauche.
- Speaker #0
Oui, il y a quelque chose de cet ordre-là. Donc ce ne serait pas étonnant du tout que Castoridis, un jour ou l'autre, soit cité, revendiqué par un opportuniste de droite. Alors ce ne sera pas difficile, il suffira là aussi de lui faire lire Castoridis et il se retrouvera devant une contradiction. Castorlis est condamné à ne parler qu'à l'intelligence des gens. Et vu que l'intelligence des gens n'est pas une valeur très cotée en ce moment, il est un peu condamné à rester sous les radars. Bon, on le cite de loin en loin. Il y a des émissions de radio, il y a des revues, il y a des colloques. Les gens qui nous écoutent ont très certainement entendu parler de loin en loin.
- Speaker #1
Justement, la prochaine question, c'est... Quel pourrait être le rapport à entretenir avec un penseur et sa pensée ? Parce qu'il y a différentes approches. Justement, il y a dit qu'il est cité dans des colloques, mais ça peut rester une sorte d'adoration, de sacralisation de ses textes. Et ce n'est pas comme ça que tu l'envisages, en tout cas.
- Speaker #0
Non, c'est un peu toute la question, effectivement. Le rapport au penseur, en gros, est de deux types. Ou alors, on en fait des prophètes. C'est ce qui s'est passé avec le marxisme, très classiquement. Marx est devenu un prophète pour ses partisans à son détriment. Sa philosophie, qui était une philosophie vivante, est pluridisciplinaire. Ce qu'est la philosophie, c'est de l'économie, c'est de l'histoire, et réduite à un dogme ridicule. C'était la fondation quasiment d'un quatrième monothéisme. Et souvent les épigones des penseurs deviennent des disciples en réalité, des disciples disciplinés, que ce soit des disciples des guerres, que ce soit des disciples de Foucault, de Deleuze, etc.
- Speaker #1
D'ailleurs il y a une espèce de lien avec la théologie, c'est qu'en fait les marxistes débattent uniquement à savoir si Marx avait pensé ça et ça, et ça exclut ou ça inclut une pensée de manière magique.
- Speaker #0
Absolument. On est vraiment dans la reproduction, dans le déploiement d'une religion laïque, d'une pseudo-religion laïque, de micro-religion laïque, où on fait de l'exégèse en fait. Pas comme on fait l'exégèse des écritures. Là, on fait l'exégèse d'un texte. On tombe nécessairement dedans lorsqu'on étudie un auteur, il y a quelque chose de passionnant, parce qu'on circonscrit un champ de recherche qui est très circonscrit, et puis on travaille intensément dessus, donc on a l'impression de dominer enfin un endroit du cosmos. Futile et ridicule, mais au moins, on maîtrise ce côté-là. Parce qu'en réalité, la réalité fuit de partout. Mais c'est stérile, évidemment. Ce n'est pas sa pensée. L'autre posture... c'est de refuser, c'est d'avoir vu cette chose-là, qui est assez courante dans les années 70, un peu moins aujourd'hui, et d'avoir un mouvement de refus, et de chercher à éviter de tomber dans l'escarcelle d'un ou d'un autre penseur. Mais dans ces cas-là, on risque de faire ce que j'appelle la pensée éclatée, c'est-à-dire on prend à gauche, on prend à droite, sans trop tenter une cohérence, et finalement on se retrouve à vivre avec énormément de contradictions. et à vivre ce que les gens, le qui-dame de tout venant, vit lui, dans tous les cas, c'est-à-dire qu'il pense en fonction des circonstances. Il n'y a pas de cohérence du tout, et ça c'est une pensée éclatée. Alors il y a une impression de liberté, mais en réalité, on pense toujours la pensée de quelqu'un. C'est très rare la pensée, en réalité, dans une vie humaine, on pense...
- Speaker #1
C'est-à-dire qu'on pourrait... On ne pourrait pas utiliser un bout de Castoriadis qui nous serait utile dans la pensée boîte à outils ? C'est-à-dire, je prends un bout de Castoriadis, je prends un bout de George Orwell, et je forme mon idée. Qu'est-ce qui nous empêcherait de faire ça, en fait ?
- Speaker #0
Il faut le faire, d'abord, il faut le faire. Ça, c'est très clair. C'est important, parce que c'est un mouvement aussi... Je crois que c'est Foucault qui parle de la pensée boîte à outils. Il voulait donc... pensé en élaborant des boîtes à outils pour les gens. Effectivement, ils prennent ce qui leur plaît, ce qui ne leur plaît pas. C'est une réaction contre l'esprit de système, évidemment, dont je viens de parler, le fait de tomber dans un système tout fait, clos. Le problème est que les idées, ce n'est pas un magasin où on déambule avec un caddie et où on prend les articles les uns après les autres. C'est des choses qui doivent être articulées les uns aux autres. On peut prendre l'écologie comme image. On ne peut pas... arracher une espèce à son écosystème. On ne peut pas arracher une idée de la matrice qu'il a générée. Ça va demander des modifications, ça va demander de la repenser, ça va demander un vrai travail. Sinon, on va se retrouver en face d'incohérences, de contradictions, et on évitera de les penser par peur, parce que c'est très embêtant de penser des contradictions, c'est fatigant, donc on ne va pas les penser. L'exemple, je l'ai cité, c'est la gauche qui cite le terme d'autonomie. de 4 à 10, qui fait référence, mais qui derrière vous parle d'islamophobie. L'autonomie, si vous pensez l'autonomie, vous ne pouvez qu'être contre les religions. Ça ne veut pas dire persécuter les musulmans, évidemment, mais c'est-à-dire qu'au fond, vous visez un monde où il n'y a plus de religion.
- Speaker #1
Après, c'est aussi un sujet dont je voulais parler, c'est que l'anomie et l'hétéronomie... Souvent, c'est la gauche qui en fait la promotion, malgré elle, peut-être de manière inconsciente. Mais souvent, en plus avec ce mot ambigu d'anarchie, qui est souvent un militant anarchiste conséquent, il va comprendre ce que veut dire ce mot. C'est vraiment la démocratie directe, etc. Mais il y a aussi les anarcho-punks qui, pour eux, c'est foutre le bordel. Et en fait, c'est l'ambiguïté du terme. renforce un peu ça. Et du côté gauchiste, si on considère qu'il y a une différence entre l'anarchisme et le gauchisme, il y a carrément, c'est le culte du chef. Ça ne va pas très loin. Comme on dit, ils sont pour la démocratie, mais dès que l'ouvrier ou la personne qu'ils ont en face pense mal, il faut l'empêcher de parler ou alors il faut la manipuler pour arriver à ce qu'elle pense bien. Mais souvent, ils basculent finalement de l'anomie à l'hétéronomie en disant être ceux qui ont l'autonomie et qui la défendent plus que tous.
- Speaker #0
Oui, vous avez très bien résumé, c'est exactement ça. On oscille en permanence entre l'anomie et l'hétéronomie. Parce que l'autonomie est très difficile. Et le terme d'anarchie, entre parenthèses, m'a toujours paru très ambigu. Ça ne veut pas dire grand-chose, anarchie, absence de pouvoir. Dans une démocratie directe, il y a un pouvoir. Dans un groupe aussi restreint soit-il, il y a un pouvoir.
- Speaker #1
Il y a beaucoup de groupes qui se définissent comme communistes libertaires, en opposition à communistes autoritaires. qui était une façon de répondre à ça. Oui,
- Speaker #0
pourquoi pas, mais là, il faut rentrer dans les détails. Par exemple, Castoriadis a beaucoup inspiré un courant dans les années 60-70, les institutionnalistes. C'est comme ça, d'ailleurs, que j'ai rencontré la pensée de Castoriadis. La pédagogie institutionnelle, la psychothérapie institutionnelle, l'analyse institutionnelle qui s'occupait beaucoup de la dynamique des groupes. et de la dynamique réelle des groupes par rapport à leur discours. Et chez les anarchistes, c'est évident qu'il y a toujours des pouvoirs qui sont toujours invisibilisés. Et un pouvoir est d'autant plus efficace et fort qu'il est invisible et qu'il se nie lui-même. Et ça, c'est une alienation qui est terrible, absolument terrible. L'autre côté, évidemment, l'impasse, c'est exactement la posture vis-à-vis des penseurs. On a mis d'un côté la pensée éclatée, le groupe pseudo-libéré mais en fait complètement aliéné, et de l'autre on a le prophétisme ou la secte avec un leader qui prétend amener le groupe à son autonomie. Alors là-dessus, il y a plusieurs choses à dire. Cassiolidis cite une très belle phrase de Freud. qui parle des métiers impossibles. Freud dit qu'il y a trois métiers impossibles. Le métier d'éducateur, de thérapeute et de leader politique. Et on pourrait ajouter le métier de penseur également. Alors pourquoi est-ce que ce sont des métiers impossibles ? Parce que ce sont des métiers qui sont en surplomb. Vous pensez au thérapeute et son patient, l'éducateur et l'éduqué, l'enfant ou l'adulte, le leader politique et le reste du groupe. Il y a un surplomb, il a une influence, il a un pouvoir, il a une possibilité de contrainte. Et cette influence-là, il faut qu'il l'exerce pour amener l'individu qu'il a en face de lui à s'émanciper, c'est-à-dire à pouvoir se passer de lui. Le but d'un thérapeute, ce n'est pas d'être présent tout au long de la vie de la personne, c'est de l'aider durant un moment moins difficile pour l'amener à se passer lui-même. L'éducateur, que ce soit un parent... Une mère, le métier le plus difficile c'est d'être une mère, c'est d'amener l'enfant à son émancipation et à son autonomie réelle de manière à pouvoir se passer de son tuteur. Un leader politique, c'est ça exactement. Réellement, c'est ça que ça implique. C'est une influence auprès des gens de manière à... aider les gens à s'auto-organiser de façon à ce qu'ils puissent ensuite se passer de leader. C'est le principe de, ça a été compris très tôt, de l'État qui doit être biodégradable sous les mines, la phase de transition d'un État qui est très fort, mais de manière à s'effacer au fil du temps dans l'étape ultime qu'est le communisme. Donc la question n'est pas avoir un leader, ne pas en avoir, la question est quel rapport on a à... Avec ce leader-là, est-ce que ce leader, est-ce que ce chef, est-ce que ce penseur aussi vous aide, vous, à penser, vous aide à s'en passer ? Ou est-ce qu'au contraire, il vous entretient dans cette dépendance et cette aliénation ? C'est ça la vraie question, au fond.
- Speaker #1
Vous venez d'entendre la première partie de l'entretien avec Quentin Bérard. Castoriadis, pensez l'époque. Rendez-vous dans 15 jours pour la seconde partie. Vous pouvez retrouver les documents évoqués lors de l'émission ainsi que d'autres, permettant de prolonger la réflexion sur notre site, heretiqueaupluriel.fr. Ce podcast est disponible sur toutes les plateformes d'écoute.