#56 - Inès Leonarduzzi - cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet cover
#56 - Inès Leonarduzzi - cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet cover
HeyA

#56 - Inès Leonarduzzi - cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet

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1h00 |08/05/2024
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Description

Cette semaine je suis ravie de partager ma conversation avec Ines Leonarduzzi, cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet.

 

Vous laurez compris Inès a plus d’une corde à son arc et un parcours très inspirant.

 

Dans cet épisode, elle retrace son enfance en Normandie au sein d’un couple mixte : papa italo-croate et une maman Berbère d’Algérie. Éduquée par son grand-père imam, elle a été scolarisée dans une école catholique. 

 

Inès revient sur son adolescence et ses complexes passés issus de l’effet pervers des diktats de la beauté de l’époque. Elle se livre sans filtre sur le harcèlement subi à l’école et ses conséquences sur la petite fille qu’elle était.

 

Elle partage également la difficulté qu’elle a eu plus jeune à appréhender et maîtriser sa double identité. Inès évoque avec beaucoup d’émotions les précieux conseils transmis par son grand-père qui ont contribué à bâtir la femme qu’elle est devenue.

 

Enfin, nous avons discuté d´amour de soi, de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité.


Un épisode à cœur ouvert que j’ai pris un plaisir immense à enregistrer.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Inès Leonarduzzi.

 

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Pour suivre Inès

Instagram: @inesleonarduzzi


Pour suivre Heya 

Instagram: @heya_podcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur HEYA. En arabe, HEYA signifie « elle » . C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est double. Tout d'abord, promouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Inès Léonard-Duzzi, chef d'entreprise, autrice, professeure à Sciences Po et fondatrice de l'ONG Digital for the Planet. Vous l'aurez compris, Inès a plus d'une corde à son arc et a un parcours très inspirant. Dans cet épisode, Inès revient sur son enfance en Normandie, au sein d'un couple mixte, papa d'origine italienne et croate et une maman algérienne berbère. Elle a été éduquée par son grand-père, imam, et scolarisée dans une école catholique. Inès revient sur son adolescence et ses complexes nés par le poids des dictates de la beauté de l'époque. Elle nous parle sans filtre du harcèlement subi à l'école, ainsi que les conséquences que ça a eu sur la petite fille qu'elle était. Elle revient sur la difficulté qu'elle a eu plus jeune à expliquer sa double identité. Inès partage avec beaucoup d'émotion les conseils donnés par son grand-père, qui feront la femme qu'elle est devenue. Nous avons aussi discuté d'amour de soi. de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité. Un épisode à cœur ouvert que j'ai adoré enregistrer. Sans plus attendre, je laisse place à la réé du jour, Inès Léonard-Dodzi. Bonjour Inès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ausha.

  • Speaker #0

    Merci d'être mon invitée. On essaye d'organiser cette interview depuis quelques temps et je suis ravie de t'avoir et de le faire face to face, ce qu'on ne fait pas souvent vu que je n'habite pas en France. Donc je suis ravie et merci d'être là.

  • Speaker #1

    Merci à toi, je suis très contente aussi.

  • Speaker #0

    Inès, la tradition sur Réa, c'est de commencer par les origines. Donc si tu es d'accord, est-ce que tu pourrais nous parler de l'enfance que tu as eue, l'éducation que tu as reçue, comment la petite Inès a grandi ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Moi, je suis issue d'une famille mixte. Mon père est d'origine italienne et croate. Il est né en France et ma mère est aussi née en France. C'est d'origine algérienne, de ses deux parents. Algérienne et plus précisément berbère des Ores. qu'elle est Ausha d'origine, c'est important de le dire. J'ai grandi dans une maison qui prônait l'idée qu'il n'y a qu'un seul Dieu, mais qui a plein de manières d'être au monde. J'ai été beaucoup éduquée par mon grand-père imam, et j'ai été à l'école avec les bonnes sœurs, dans les écoles catholiques. Je vous salue Marie, je connais les prières catholiques et je fais ma shahada tous les soirs, qui est une prière musulmane pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne le sauraient pas. J'ai prié un temps, j'ai une spiritualité, je pense que je m'exprime plutôt en spiritualité. J'ai un rapport à la spiritualité très important. Pas tant dans les dogmes finalement, ce n'est pas du tout quelque chose qui m'appartient. Mais je me suis construite à travers une identité double, qui n'était pas toujours facile à l'extérieur à expliquer, à revendiquer, et aussi trouver sa place. Parce que finalement, même si dans ton cœur, ça se passe très bien, parce que tu es en confiance avec ce que tu es, et puis tu es la preuve que ça fonctionne, puisque tu existes. Mais il y a ce regard, aussi bien dans ma famille... Dans ma famille et mes proches, plutôt du côté nord-africain qui me disait « Toi, t'es française, mais t'es pas vraiment arabe. Ça se voit comment tu parles, comment tu marches, comment tu t'habilles, comment tu penses. » Et du côté plutôt, eh bien, j'aime pas dire franco-français, parce que moi j'ai l'impression d'être française au maximum aussi. Mais voilà, du côté plutôt non-musulman. Nord-africain, j'étais au contraire une arabe. Et puis sans aucun souci de nuance, voilà, t'es arabe. Du coup, tu navigues avec ça et puis t'apprends surtout à vivre avec. Mon enfance, j'ai grandi en Normandie, comme je le disais, et à la campagne. Ce qui m'a aussi beaucoup préservée parce qu'il n'y avait personne. Donc je me cachais souvent, j'étais très casanière, je restais dans les bois, au bord de la rivière. Et je lisais beaucoup. Je lisais énormément les mille et une nuits, les poètes français, les poètes arabes, comme Unsi Al-Haj, Adonis. J'ai très vite aimé Mabaudelaire, Rimbaud, des poétesses aussi uruguayennes sur lesquelles je tombais. J'attrapais tous les livres que je pouvais, notamment dans les petits marchés. Il y avait des petites brocantes souvent dans les petits villages à côté, où avec ma mère on allait, on vendait des choses aussi. Et j'achetais tous les bouquins que je pouvais à 20 centimes, 50 centimes de France. Voilà, donc je me suis construite avec du coup une vision très universelle. Rapidement, je me suis aperçue que l'identité, c'est un concept mouvant et très personnel. En réalité, on descend de nos parents, on descend de nos origines, mais on devient, on crée une identité qui est propre à nos expériences. à nos parcours de vie, à la géographie aussi. Je n'aurais pas été la même enfant métisse en ville ou dans une tour à New York ou dans un HLM en banlieue parisienne ou dans le 7e. J'étais à la campagne avec des vaches, avec un PMU et des Georges et des Robert à 11h au Ricard, tu vois, avec des agriculteurs.

  • Speaker #0

    Du coup, dans ce village, Il n'y a pas beaucoup de personnes de diversité, j'imagine que c'est... J'étais la seule. Et ce que tu disais, c'est qu'on te renvoyait du côté nord-africain, on te disait, toi, tu n'es pas complètement une arabe, regarde la manière avec laquelle tu parles, etc. Et en France, est-ce qu'on te renvoyait plus à ton arabité du fait de tes origines et des origines de ta maman ?

  • Speaker #1

    Oui, c'était souvent... C'était plus mon physique. J'avais les cheveux frisés. Donc les gens les touchaient, me demandaient d'où ça venait. Et j'ai une tache de naissance sur le visage qui a rapetissé avec le temps parce que mon visage a grandi mais petite, elle prenait vraiment une grande place sur mon visage. Et les gens venaient essayer de l'essuyer en pensant que j'étais sale parce qu'il y avait des préjugés en fait.

  • Speaker #0

    C'est dur ça non ? Comment tu le vivais ?

  • Speaker #1

    Quand j'étais petite, la chance que j'ai eue, en réalité, ce qu'il faut comprendre, c'est que les personnes qui ont des signes distinctifs et qui peuvent faire objet de complexe, moi par exemple aujourd'hui, ça m'arrive dans toutes les personnes qui m'interpellent dans la rue, au café, au restaurant, pour me dire que j'ai une tache sur le visage, que je suis sale. Et bien, il arrive que souvent des femmes me disent « vous savez que vous pouvez le faire enlever ? » Ah bon ? Mais je ne savais pas, je l'ignorais. et il se trouve que moi j'adore ma tâche de naissance il se trouve que je merci, il se trouve que je l'adore et pourquoi je dis ça ? Parce que mes parents m'ont fait grandir avec l'idée que ça me donnait du charme et que c'était mon identité et je crois que les complexes naissent quand on n'a pas été mis en confiance avec nos atouts distinctifs si on a toujours regardé un signe distinctif avec un peu de regret ou les gens qui te disent ah C'est dommage que tu aies ça, évidemment tu vas construire un immense complexe. Il se trouve que moi mes parents me disaient que c'était ce qui faisait tout mon charme. Donc c'était que le reste n'était pas... C'est vrai que j'adore ma tâche de naissance. Et c'est vrai que quand on me disait, oui évidemment, quand tu es une petite fille et qu'on te répète tous les jours, « T'es sale, il faut te nettoyer le visage. » « Tes parents ne t'ont pas nettoyé le visage ce matin ? » « Tu sais, il faut se laver. Il faut dire à tes parents qu'il faut nettoyer le visage des enfants. » Et toi, tu leur dis « Non, c'est une tâche de naissance. » Donc c'est vrai qu'en réalité, non, ça forge. une espèce de résistance sans aigreur, en fait. Tu réponds en disant, mais non, c'est mon grain de beauté. Et comme son nom l'indique, ça me rend belle. Non, voilà, donc ce qu'on regardait, c'était surtout mes cheveux frisés, ma couleur de peau, et on me ramenait souvent à ça.

  • Speaker #0

    Et ça te gênait ? Enfin, c'est plus dur. Là, avec du recul, évidemment, l'analyse est plus évidente. Mais dans la tête d'une petite fille, quand on ne ressemble pas au reste du groupe, quand on te le fait remarquer, quand on te le touche d'autant plus. C'est presque une agression, entre guillemets. J'exagère peut-être, mais c'est quand même toucher une partie du corps de quelqu'un sans forcément être d'accord et pas pour dire que c'est joli ou quoi. Est-ce que ça t'a fait peut-être à des moments renier ou être moins dans la fierté de cette origine-là ?

  • Speaker #1

    Toute petite, je ne me rendais pas compte de ce que ça voulait dire, donc ça ne me dérangeait pas. C'était complètement un dolor et ça glissait comme sur les plumes d'un canard. C'est en devenant une pré-adolescente que les complexes sont nés. Je me suis construite l'identité d'une petite fille pas belle du tout. J'étais persuadée d'être moche parce que j'ai vraiment grandi dans un environnement où les dictats, c'était d'être blonde, d'avoir les cheveux très lisses, d'avoir des yeux bleus. Et je me rappellerai toujours d'un petit garçon que j'aimais beaucoup à l'école, de manière très platonique, mais qui était blond aux yeux bleus. Et lui m'a complètement... Et moi, en plus, je suis quelqu'un de très timide. Jusqu'à aujourd'hui, je suis hyper timide dès qu'il s'agit des interrelations personnelles. Et j'ai beaucoup de bagouts comme ça sur scène, quand je donne des conférences, quand je suis dans les médias, mais en réalité, je suis un vrai bébé chat. Et je me rappelle être allée le voir, mais évidemment sans jamais lui dire, lui déclarer ma flamme, mais juste jouer avec lui. Et en fait, il m'avait complètement éconduite en me disant que j'étais moche. Et il était évidemment amoureux de la blonde aussi. Et en fait, oui, à ce moment-là, tu te forges l'idée que comme tu n'as pas le bon physique, tu ne plairas jamais. Et évidemment, comme ton physique ne te plaît pas, les garçons qui te ressemblent ne te plaisent pas. Parce qu'ils sont par définition moches aussi. C'est dur à dire, c'est hyper violent de dire ça, mais j'en parle aujourd'hui avec beaucoup de recul. Évidemment, j'ai fait du chemin, on va en parler très certainement. Mais à cette époque-là, j'en ai parlé à ma mère, c'est drôle qu'on ait cette conversation aujourd'hui. Parce que je crois que c'était hier matin, j'avais ma maman au téléphone. Et on parlait de nous, de la famille, et d'une manière, on arrive sur une conversation qui est la suivante. Je lui racontais que pendant mes années d'études, j'avais eu un moment où tous les matins, je me levais, je me regardais, je me disais « Ma pauvre, t'es tellement moche, comment tu vas faire pour camoufler cette laideur ? » Et ma mère a dit « Mais pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? » Et je sentis qu'elle était bouleversée au téléphone et je me demande même si elle n'a pas pleuré. Du coup, je m'en suis un peu voulue de lui avoir dit ça. J'ai dit non, mais maman, ça va mieux. Et elle s'est lancée dans une tirade. Mais ma fille, t'es belle, mais regarde comme les gens te regardent. Regarde tes photos. Et moi, avec de l'humour, je dis, mais maman, j'en ai pris 100. C'est la centième fois que tu me vois sur les réseaux sociaux. Il y en avait 99 qui étaient terribles. Et donc, elle rigole parce qu'évidemment, j'appartiens aussi à une culture comme toi. Très drôle, avec beaucoup d'humour, ça sauve. Mais non, oui, les complexes sont nés à ce moment-là où en effet, je ne me trouvais pas jolie.

  • Speaker #0

    Et à quoi rêver cette petite Inès, timide, cachée un peu dans ses bouquins, dans sa campagne ? Comment t'imaginer cette vie ? J'entends cette préadolescence un peu compliquée au niveau du physique, ou de comment toi tu le percevais. Qu'est-ce que tu imaginais de ta vie d'adulte ? Est-ce qu'un métier t'attirait ? Comment tu te projetais ?

  • Speaker #1

    En fait, je n'avais aucun rêve. Je n'ai pas non plus eu une enfance rêvée. Ce n'est pas quelque chose que je pourrais qualifier comme ça. J'ai eu une enfance plutôt jonchée de conflits familiaux et de violences. Il y a eu aussi la précarité. toutes ces choses-là, qui ont fait que l'enfance pour moi, et même l'adolescence, ça a été une route assez sinueuse. Une route où tous les matins, c'était pas évident de projeter ta journée. Et alors en avenir, c'était encore plus compliqué. J'ai vécu une adolescence qui relevait l'ordre de la survie. C'était comment je parviens à rester en vie, en fait. J'avoue que je n'avais pas de rêve. J'avais le rêve de partir et de m'émanciper. J'avais le rêve d'être moi et de partir à ma conquête. En réalité, je me suis aperçue très rapidement vis-à-vis de l'environnement où je m'évoluais, où je grandissais, que je ne savais pas du tout qui j'étais. On projetait en plus sur moi beaucoup de choses qui n'étaient pas toujours vraies. Et c'était très compliqué. Comme beaucoup de petites filles, j'ai été harcelée à l'école, très longtemps. J'ai été frappée à l'école primaire par toute ma classe, y compris ce petit garçon que j'aimais beaucoup, et la jeune fille qu'il aimait beaucoup aussi. Et en fait, il m'insultait une fois de plus, des insultes qui étaient relatives à ma couleur de peau. Et puis j'ai répondu. J'ai répondu quelque chose du genre, je crois, « Vous allez tous me laisser tranquille, je ne vais pas me laisser faire un truc, quelque chose comme ça, parce que j'en avais marre. » Et ça n'a pas du tout été apprécié, ils m'ont tous couru après. J'ai couru jusqu'au bout de la cour et au bout de la cour, je n'ai rien trouvé d'autre à faire puisque le grillage arrivait, de me blottir contre une porte dans un coin et je me suis mise en boule et ils m'ont tous rué de coups. Et après, ça m'a complètement traumatisée dans les relations humaines et à l'école, donc je n'avais pas d'amis, j'étais toujours toute seule et mes bouquins étaient mes copains. Et donc, comme beaucoup aussi d'enfants... Vers 14-15 ans, j'avais même des idées sombres, très sombres. J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer une super prof qui m'a donné beaucoup confiance en moi. Madame Larbi, Christelle Larbi. Elle était adorable avec moi et je voulais absolument savoir si elle était arabe. et elle ne voulait jamais me répondre elle me disait et c'est les questions très bêtes d'enfants complètement intrusifs je disais mais vous êtes musulmane ? parce que c'est important pour moi je vous laisse la voix il n'y a pas longtemps j'ai donné une conférence chez Chanel et on m'a on a porté à mon attention qu'une des jeunes femmes qui travaillent là-bas, qui était là-bas, a fait une obsession du fait, elle voulait absolument savoir si j'étais algérienne Et elle me disait, mais on s'en fiche. Elle dit, non, moi, je veux savoir parce que je crois qu'elle est algérienne. Et moi, je comprends. Tu comprends le besoin,

  • Speaker #0

    l'importance d'avoir cette information.

  • Speaker #1

    Et j'ai dit, mais dites-lui. C'est comme ça que je suis là. Et en fait, Madame Larbi, elle me disait, mais je n'ai pas à te répondre, Inès. C'est ma vie privée. Et moi, je trouvais que c'était violent.

  • Speaker #0

    Ben oui, je ne comprends pas.

  • Speaker #1

    Et en réalité... Aujourd'hui, je la comprends. Il se trouve que Mme Larbi est française, mariée avec un Libanais chrétien.

  • Speaker #0

    Donc, tu disais qu'elle t'a beaucoup aidée.

  • Speaker #1

    Absolument. Pourquoi je parle de ses origines ? C'est parce que, quelque part, en projetant sur elle des fantasmes, qu'elle était peut-être métisse comme moi, ça m'a vachement raccrochée à quelque chose, à un modèle.

  • Speaker #0

    Ça devient un rôle modèle, un peu.

  • Speaker #1

    Ça devient un rôle modèle. Donc, tu vois, il ne s'agit que d'un nom. Et qui pour moi, en fait, a été peut-être que j'aimerais bien aider les gens comme elle aide les gens, comme elle m'aide moi. Et c'est elle qui m'a redonné le goût à moi-même, en fait. Et donc, aider les autres a toujours été quelque chose qui me parlait. J'ai fondé ma première association à 17 ans. Avec des copains, et ensuite je me suis fait des amis, en réalité grâce à la musique, parce que je me suis mise à chanter. En fait, j'écrivais énormément du fait que je lisais beaucoup, j'écrivais des poèmes et des chansons. J'écrivais des chansons et un jour je me suis mise à les chanter, et je me suis aperçue que je savais chanter. Et donc j'ai attiré l'attention de groupes de musique locaux qui m'ont demandé de les rejoindre, et ça a été ma première... famille d'amis en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est dingue parce que la petite timide qui se cachait allait chanter sur scène, le grand écart l'exercice est quand même périlleux et difficile.

  • Speaker #1

    C'était très très périlleux mais je ne sais pas, je n'étais pas la même d'ailleurs j'avais un blase tu vois. Donc j'étais le Sasha Fierce tu vois. C'était une autre personnalité qui s'exprimait.

  • Speaker #0

    Mais c'est ça, mais tu as besoin de ça du coup pour...

  • Speaker #1

    Oui, j'ai vraiment besoin, même aujourd'hui, quand je monte sur scène pour donner des conférences, je mets ma casquette où toutes mes failles personnelles n'apparaissent pas. En réalité, je les laisse, je les mets précieusement dans une petite boîte parce que j'y tiens aussi à mes failles, à mes fragilités, mes vulnérabilités. Mais à ce moment-là, je les exprime autrement ou en tout cas, elles sont au service d'un moment de puissance. Et donc oui, chanter a été très... salvateur pour moi. D'abord sur le plan hum... mentale, tu vois, à chanter, moi ça m'apaisait et je chantais tout le temps quand je pleurais chez moi, quand j'étais triste, je me mettais à pleurer c'était comme si je me berçais moi-même en fait, je me chantais une berceuse et ça me permettait d'aller mieux en fait et aujourd'hui on le sait dans la recherche dans les neurosciences c'est aujourd'hui très documenté que le chant permet d'envoyer des signaux au corps notamment d'envoyer l'endorphine ... de la dopamine, donc des hormones de bien-être, de bonheur, de plaisir. Et en réalité, à l'époque, je l'ai fait de manière très instinctive, comme beaucoup de gens le font, en fait. Pareil, le soir, parfois, je n'arrivais pas à m'endormir, soit parce qu'il y avait des conflits à la maison, soit parce qu'il y avait trop de choses qui s'étaient passées dans la journée de brutale. Je chantais pour m'endormir, donc je me chantais à moi-même des berceuses. Et le chant a été non seulement quelque chose qui m'a réparée, Mais en plus, il m'a offert mes premières amitiés. Et j'ai aussi pris confiance en moi en tant qu'écrivaine, parce que j'ai commencé à écrire des chansons et qui étaient chantées après par d'autres personnes.

  • Speaker #0

    Et tu ne te disais pas, c'est un métier que j'ai envie de faire pour le coup ? Si. Parce que ça mixe. Et tu as essayé ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé, mais je me suis arrêtée à la porte d'entrée. J'étais tellement tétanisée par la timidité et la peur d'échouer que je ne passais pas la barrière des castings.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qui te reste souvent ? On a un peu des rêves un peu cachetés et on se dit peut-être qu'un jour...

  • Speaker #1

    En fait, j'ai un ukulélé chez moi et j'en joue et je chante dessus des chansons que j'écris. Et je me dis que si un jour j'ai du temps, j'aimerais bien enregistrer mes propres chansons et peut-être faire un petit album, mais quelque chose de très indé. Mais quand je suis arrivée à Paris, je chantais dans des cafés. Ah oui ? Oui, je venais, j'allais me présenter au patron ou à la patronne, ils avaient souvent une scène, et je disais « bonjour, je suis chanteuse » . C'est que je n'ai jamais raconté ça à personne, personne ne me raconte ça. Et je me faisais 50, 80, 100 euros par soir, et je chantais toute la soirée avec un pianiste ou quelqu'un qui m'accompagnait au santé, et c'était toujours à la guitare aussi. Je me sentais bien, en fait, parce que j'étais un peu dans ma bulle, la lumière sur moi, mais moi qui ne vois pas. Donc, ce n'est pas tant le fait d'avoir la lumière, c'est le fait que c'était chaud. Ça me donnait chaud et je me sentais dans un petit cocon où je ne vois personne. Je suis complètement éblouie et où j'ai cette vibration vocale en moi qui m'apaise.

  • Speaker #0

    Oui, et puis c'est thérapeutique aussi, j'imagine, d'écrire en plus tes chansons à toi. Donc, tu communiques des sentiments, des choses, des ressentis qui viennent de toi. Je pense que c'est différent que d'interpréter les chansons, ce qui doit être autant thérapeutique. Mais je pense qu'il y a aussi cette notion de dire ses paroles à soi, ses sentiments et les choses qu'on a ressenties.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci, je suis ravie de découvrir des facettes qu'on ne connaissait pas. Tu parlais un peu de ça, tu disais que quand tu mettais ton chapeau de conférencière, tes failles restaient un peu dans une boîte. Je le lis un peu à cette question. Tu sais, avant de préparer l'interview, j'ai regardé ton site, j'ai lu des interviews, etc. J'ai essayé de préparer et d'être un peu sérieuse. Évidemment, je le dis à l'intro, des distinctions, tu as reçu énormément de distinctions, beaucoup de prix. Ton CV est vraiment impressionnant. Mais tu rajoutes une phrase que j'ai trouvée hyper intéressante et qu'on ne voit pas. C'est que tu as la liste et à la fin, tu rajoutes « Il y a aussi tous les projets que j'ai extraordinairement échoués » . C'est rare de voir ça, encore moins sur Internet, sur un CV digital où les gens souvent se vendent et tu essaies aussi de te vendre, ce qui est normal. Mais il y a cette petite touche finale, il y a des failles, il y a des choses qu'on ne réussit pas. Pourquoi c'était important pour toi de rajouter ça ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense que déjà, c'est vrai. J'ai l'impression de mentir par omission en ne parlant que de mes succès. Mais mes succès sont moins nombreux que mes échecs. Il y a aussi un côté... Je déteste me prendre au sérieux. Et c'est vrai que moi-même, parfois, je rougis un peu quand je lis des articles ou la liste des distinctions que j'ai pu recevoir. Et je n'en ai pas du tout conscience, en fait, de ce que ça peut représenter dans les yeux des gens. Je prends un peu la mesure quand je vois où est-ce qu'on peut m'inviter, la manière dont je peux être reçue, où je me dis « Waouh, mais à ce niveau tout petit déjà, ça donne ça, ces distinctions. » J'imagine même pas les grands de ce monde, la manière dont ils peuvent être accueillis, reçus. Et c'est vrai que pour moi, c'est important de... On me le dit souvent, tu laisses pas la place au fantasme.

  • Speaker #0

    Tu casses tout de suite.

  • Speaker #1

    Tout de suite, je casse. Et je fais souvent ça quand j'arrive sur scène, où il y a un maître de cérémonie qui dit « Elle a reçu tant de prix, elle a réussi à faire ça, elle a voyagé, dansé, elle a écrit... » Et moi, plus on me dit ça... plus ça me rend toute petite et la première chose que je fais c'est d'arriver sur scène en disant je viens pas du tout d'un milieu élitiste j'ai échoué beaucoup de choses et je suis hyper mnésique donc je retiens beaucoup de choses et notamment des gens que j'ai pu croiser et il se trouve qu'à un moment donné j'avais croisé une fille que j'avais emmenée sur un projet dans lequel j'ai complètement échoué et je dis ah bah tiens elle était moi on la montre rendu d'où ah ah Et quand je fais ça, je me grandis. J'ai l'impression de devenir plus grande. Je pense aussi que j'ai un esprit très critique et je trouve aussi très dommage qu'on vive dans un monde où on valorise non seulement, parfois, des espèces de profils intempestifs et complètement fantasmés où on a levé 15 millions et on mesure la valeur des gens à l'argent qu'ils gagnent, à l'argent qu'ils lèvent, alors que... profondément, par exemple, dans ce cas précis, lever de l'argent, ça veut dire que tu n'arrives pas à faire de la croissance organique. On ne va pas se mentir. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons pour rester dans le milieu de l'entrepreneuriat et l'image que je voulais apporter. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons de PME, de TPE qui font de la croissance organique, qui ne gagnent pas des mille et cent, qui ne font pas la une sur LinkedIn, mais qui sont balafrêtes partout, qui ont les mains dans le cambouis toute la journée. Et il y a quelque chose aussi qui est très proche de mes racines. de ma classe d'origine. Là d'où je viens, le travail, c'est important. Là d'où je viens, c'est ça qui te donne de la valeur. C'est si tu te lèves tôt le matin et que tu rentres après un travail bien fait.

  • Speaker #0

    Mais du coup, t'as l'impression que ça amoindrit ce que tu fais, que toi, t'as pas les mains dans le cambouis, que t'es moins dans la souffrance, peut-être physique, de l'exemple que tu prenais.

  • Speaker #1

    Évidemment. Il y a toujours la sensation, aujourd'hui, je suis ce qu'on peut appeler une transclasse. C'est-à-dire que je vis largement au-dessus des moyens qu'on avait quand j'étais petite.

  • Speaker #0

    Et donc j'ai changé d'environnement social aussi. J'ai changé d'environnement professionnel et forcément intellectuel. Oui, je crois qu'on ressent toujours une sensation d'être traître à là d'où l'on vient et que pour moi, peut-être de rappeler ça, c'est important. Il y a aussi un usage qui est très fréquent dans mon milieu d'aujourd'hui, c'est qu'évidemment, j'ai de la chance. J'ai de la chance au quotidien. C'est de plus en plus facile à mesure du temps d'obtenir... les résultats que je veux, d'accéder à des personnes qui peuvent me permettre d'aller plus vite, de signer des contrats plus vite. Et c'est vrai pour plein de gens dans mon entourage, parce que la chance, c'est quelque chose qui grandit à mesure qu'on a un entourage de qualité, et quand je dis de qualité, ça veut dire qu'il y a les moyens, qui a les bonnes professions, le bon réseau, etc. Et ça me dérange parce que ce qui est dit souvent dans ces environnements-là, c'est Je suis arrivée là tout seule parce que je travaille. Et c'est faux. Moi, les gens de qualité, pour moi, c'est les personnes que j'ai rencontrées enfant, qui m'ont inculqué des valeurs très terriennes, très terroires, qui sont la loyauté, ne pas rompre la confiance de quelqu'un. On double personne par la droite. On ne vole pas, on ne ment pas. On ne fanfaronne pas quand on gagne. On ne se moque pas des autres quand ils sont par terre. Au contraire, on les tient pour qu'ils puissent mieux se relever. C'est ça pour moi la qualité de... Chez les gens. Et d'ailleurs, aujourd'hui, il y a des gens qui me disent que je ne suis pas du tout stratégique, pas du tout opportuniste, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, vu ma présence sur les réseaux sociaux, etc. Et je maîtrise parfaitement ma communication. Et je sais que je pourrais aller beaucoup plus loin. Et je ne le fais pas. Et on me reproche parfois. On me dit « tu n'as pas compris comment on fait. Parfois, lui, tu aurais dû lui parler, tu ne l'as pas fait. » Alors que lui, il pourrait te faire avancer. Je dis « oui, mais lui, il ne croit pas. » pas aux valeurs auxquelles je crois et ça me dérange. Elle, elle ne croit pas en l'amour. Ça me dérange aussi. Et ça, je viens vite à le débusquer. Et je me fiche de savoir si tu es millionnaire, si tu connais le président, si tu peux me faire rentrer dans tel écosystème ou tel environnement. Je ne me sens pas à ma place, pas alignée. Et c'est peut-être aussi pour ça que je... Très rapidement, je montre mon jeu. Moi, voilà d'où je viens, voilà qui je suis. Il y a peut-être quelque part... Aussi, une manière d'assouvir mon besoin de dire je ne suis pas une traître, je suis là, mais voilà si vous m'entendez les autres, regardez ce que je dis, et je le dis et je l'assume et j'en suis fière. Mais aussi une façon pour moi de montrer tout de suite mon jeu, de dire qui je suis, quelle est ma couleur, quel est mon bois. Et donc tout de suite voir si les gens ça les intéresse pas, et ben ils vont ailleurs. Et je pourrais mille fois... il y a beaucoup de gens qui pensent que je suis une fille d'une grande famille, et juste par la manière dont je parle, la manière dont je peux présenter. les idées que j'ai, le fait que je puisse parler de Vladimir Jankiewicz ou de Bergson et avoir des grandes théories sur le monde du travail en 2050 les gens se disent, elle a forcément fait des études extrêmement brillantes, elle a dû grandir et dîner tous les soirs avec des gens et des esprits très érudits et en fait, bah du tout mes parents étaient des petits commerçants on a fait faillite 20 fois on avait les huissiers qui venaient à la maison on... et on a vécu une grande partie de notre vie dans la précarité. Donc pour moi, c'est important de rappeler qu'en fait, non, la chance, si j'ai de la chance aujourd'hui, c'est grâce à toutes les personnes que j'ai rencontrées qui m'ont fait confiance, qui m'ont parfois donné une deuxième chance. Parce que quand on doute de soi, quand on doute de soi, et quand on n'a pas d'estime de soi, on dégrade son être. On se met à la hauteur de l'estime qu'on a de nous-mêmes. Moi, par exemple, je mentais beaucoup. enfant. Et je m'en suis beaucoup voulue après pour ça. Parce que c'est pas digne de quelqu'un de confiance de mentir. Je mentais sur ma vie, je mentais sur... J'ai menti sur mes origines, mais même pas par complexe, d'où je venais. C'était m'inventer une fantaisie, une autre vie, venir d'ailleurs, en fait. C'était être autre que je ne suis, parce que moi, je m'aime pas. Et... Aujourd'hui, je sais qu'un enfant qui ment, c'est un enfant qui souffre. J'aurais tendance à le prendre dans mes bras, à le chérir, à lui dire à quel point il est beau, à quel point... Il peut faire ce qu'il veut. Et oui, je crois qu'il y a des gens qui ont vu parfois que je me perdais, comme on se perd quand on est jeune, mais qui m'ont donné une deuxième chance. Qui m'ont dit, mais non, mais... Réessaye. Réessaye parce que tu as raté ton essai. Et ça, c'est tellement précieux. C'est beau que les gens croient en toi, mais quand ils recroient en toi, c'est incroyablement précieux. J'ai eu de la chance, parce que oui, j'ai travaillé. Mais j'ai travaillé d'une certaine manière. parce qu'on avait cru en moi dans un premier temps. En réalité, on est toujours la somme de toutes nos rencontres. et la somme de tout ce qu'on a vu. Et aujourd'hui, j'ai encore une espèce de dissonance avec ma classe d'aujourd'hui, qui est une classe qui valorise les distinctions. Ton look, les gens que tu connais. Et tout ça est important dans le monde dans lequel je vis. Mais pour moi, j'aurais raté ma vie si j'oubliais d'où je viens.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux associer ça à ce qu'on appelle le syndrome de l'imposteur ? Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens parfois ?

  • Speaker #0

    Oui, évidemment. Et à la fois, non. J'ai tendance à dire que moi, j'ai eu le syndrome de la survie. C'est-à-dire que pour moi, l'important, c'était le concept du syndrome de l'imposteur. C'est né dans les années 70. Ça a été développé par deux femmes occidentales, bien nées, privilégiées. Et plein de femmes comme moi, elles n'ont pas ce luxe de se poser dans un canapé et se demander dans quelle étagère. Est-ce que j'ai le droit de faire des choses ? À un moment donné, il fallait payer le loyer. Et j'ai eu, à un moment donné, quand même, cette espèce de... Regain de vitalité qui m'imposait de quand même faire quelque chose qui me rende heureuse. J'avais tellement cette revanche à prendre sur mon enfance qui était pour moi... J'étais malheureuse comme petite fille. Être heureuse pour moi dans mon métier aujourd'hui, c'est un prérequis. J'ai besoin de faire que des choses que j'aime.

  • Speaker #1

    Et c'est un luxe aussi.

  • Speaker #0

    C'est un grand luxe et qui demande beaucoup de sacrifices. Donc je travaille beaucoup en ce sens-là. C'est pour ça que mes amis me disent souvent... Tu travailles trop, tu travailles beaucoup. Et je dis, ouais, mais j'aime ce que je fais. Je dormirai quand je serai morte. Tu vois, le genre de phrase qu'on balance. Et puis, t'inquiète pas, si j'ai envie de m'arrêter, je suis suffisamment têtu et avec du tempérament pour m'arrêter. Donc, moi, en réalité, oui, plein de fois, je me dis, est-ce que je suis à la bonne place ? Est-ce que c'est à moi de le faire ? Est-ce qu'il n'y a pas quelqu'un d'autre qui serait mieux que moi ? Mais ça, c'est peut-être presque... C'est peut-être bien de se poser cette question-là dans une petite mesure. Je pense que ça permet de se remettre en question, de ne pas s'asseoir sur ses acquis. de ne pas penser qu'on a tout compris de la vie et qu'on n'a plus rien à apprendre. Par contre, non, j'ai aussi compris que personne ne viendrait me donner ma légitimité, que c'est à moi d'aller la prendre, qu'on ne me donnera jamais ce que je veux sans que j'en demande, en tout cas que j'en fasse la demande. Donc, syndrome de l'imposteur, on le gère, mais il est l'heure de questions qui viennent me mettre des limites.

  • Speaker #1

    Tu parlais des études et de l'importance, en tout cas en France et ailleurs, de tafé. telle étude et donc tu fais ça et donc tu es spécialisé dans ça. Et tu dis, et j'ai lu ça dans une autre interview, où tu disais je m'interdis de me spécialiser, j'aime apprendre et partager de manière générale. Néanmoins, je m'adonne à approfondir mes connaissances et mes réflexions sur des sujets de fond. On est vraiment dans cette époque de plus en plus où il y a les slasheurs, où les gens ont différentes facettes, plusieurs jobs qui peuvent aller d'un extrême à l'autre et c'est dans ça qu'ils s'épanouissent. Mais on a aussi cette... contrainte, en France en tout cas, beaucoup de tel et tel diplôme, et si tu n'as pas fait ça, mais non, mais il n'a fait qu'à l'école, etc. Comment tu as vécu, toi, ça ? Comment tu t'es sentie à l'aise et légitime de faire tout ce que tu fais, d'avoir tout ce panel, tout ce beau portefeuille, et de ne pas t'arrêter à cette pression-là ?

  • Speaker #0

    Mais c'est vrai qu'en France, c'est une pression. Il faut justifier tes diplômes, et d'ailleurs, on parlait de mensonges tout à l'heure. Il n'y a pas longtemps, j'assistais à un dîner où on parlait, on se moquait allègrement d'un homme, notamment d'origine nord-africaine, qui est un jeune homme qui a écrit plein de bouquins en neurosciences et dans d'autres sujets, et dont on a dit qu'il n'avait pas les diplômes qu'il disait avoir. Il s'agit d'Idriss Aberkane. Je ne sais pas si ces accusations sont vraies, parce qu'il se trouve que je ne connais pas ce monsieur. Et je ne sais pas s'il a ses diplômes ou pas. Mais en tout cas, on a beaucoup dit, après qu'il ait eu beaucoup de succès, qu'il avait menti et qu'il n'était pas le docteur qu'il disait être, etc. Et en fait, tout le monde était assez d'accord sur dire, oh là là, c'est pas bien d'être croqué comme ça. Et évidemment, je me suis dit, je vais être encore la personne d'origine nord-africaine qui va apprendre, qui va vouloir au secours de cette personne. Et je dis, mais vous vous rendez compte à quel point il y a une pression ? Une pression en France. France du diplôme qui vient dire que tu es compétent dans quelque chose et pas dans une autre. Ça veut dire qu'il y a des gens qui ont 50 ans, qui sont diplômés depuis 30 ans, et que parce qu'ils ont été diplômés de connaissances il y a 30 ans, sont aujourd'hui plus légitimes que des personnes de 35 ans qui n'ont peut-être pas les mêmes diplômes, peut-être qu'ils n'en ont même pas, mais qui ont appris par plein de moyens différents. autant, voire peut-être plus, qui ont une agilité d'esprit, une profondeur d'esprit, une rapidité de pensée. qui est telle qu'en réalité, ces personnes dépassent les personnes diplômées les plus prestigieuses. Parce que qu'est-ce qu'on apprend ? Qu'est-ce qu'on sanctionne avec un diplôme ? On sanctionne le fait que tu as appris par cœur des données et que tu as appris à résoudre des problèmes pour certaines formations et que tu comprends comment se joue la géopolitique de ton métier et de l'environnement dans lequel tu vas travailler. Je parle pour les avocats, etc. Apprendre de la technique, évidemment, pour des métiers comme peut-être la médecine, ce genre de choses. Mais en réalité, pour le reste. Comment est-ce qu'on peut dire qu'un diplôme sanctionné il y a 20 ans peut être beaucoup plus valorisé qu'un apprentissage de tous les jours avec une acuité telle qui fait que cette personne est extrêmement talentueuse et qu'elle peut faire énormément gagner à une entreprise ou à une organisation ? Aujourd'hui, on a ce problème. Et donc, j'ai tenu ce discours-là à la table. Il n'y a pas eu de débat. Ils ont changé de conversation. Mais j'aurais dit, mais je comprends. Je comprends qu'on puisse se dire, je suis à ça d'atteindre mes rêves. Je suis à ça de partager mon savoir. Vous avez tous lu le livre de cette personne. Vous l'avez tous trouvé brillante. D'ailleurs, il n'a rien dit de faux. Donc, en l'occurrence, il nous a enrichi de choses exactes. Mais aujourd'hui, on remet en cause son travail parce qu'il n'aurait pas les diplômes qu'il prétend avoir. Je trouve ça problématique. Voilà, si je pourrais pas un texte comme ça, je le ferais comme ça.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as fait des études d'histoire de l'art, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Je l'ai dans le management des marchés de l'art. que j'ai étudié aux États-Unis. J'ai eu la chance d'avoir... J'ai fait un séjour dans une famille au père qui a prolongé mon séjour et moyennant le paiement de parcours d'études. Ce qui était incroyable. On parlait de chance, de gens que tu rencontres. Je ne pense pas que je serai là. Et ça ne s'est joué à rien. Ça s'est joué au fait que j'adorais faire des cookies avec leurs enfants. que je l'ai surprotégée quand ils étaient au parc, à côté de la route, et que les parents se sont dit « Non mais attends, elle est hyper dévouée. Je m'endormais avec eux dans leur lit. Je leur lisais plein d'histoires. On faisait des ateliers. » C'est bête, en fait, ils se sont dit, mais elle est vachement investie, absolument en flemme de trouver quelqu'un d'autre dans le coin. Autant trouver un bon deal. Et il se trouve que ces personnes avaient beaucoup, beaucoup d'argent, étaient aussi des collectionneurs. Et c'est eux, c'est via eux, que j'ai découvert le monde de l'art, tardivement.

  • Speaker #1

    Et on parlait, il y a deux minutes, de ce challenge, de cette pression en France, des diplômes, etc. Quand tu as lancé l'ONG Digital for the Planet, est-ce que ça a été un sujet ? Est-ce qu'on t'a challengée parce que tu es une femme dans la tech, une ONG ? Enfin, tu as tous les...

  • Speaker #0

    L'environnement !

  • Speaker #1

    Tu te les traînes tous. Donc, j'imagine que ça n'a pas été difficile. Et peut-être juste rappeler ce qu'est Digital for the Planet, pour ceux qui ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    Digital for the Planet, c'est une ONG que j'ai fondée il y a presque sept ans, qui promeut la manière dont on peut utiliser le numérique de manière plus vertueuse, sur le plan environnemental, cognitif et sur le plan sociétal. On construit des programmes de formation pour la jeunesse en Europe. On fait des plaidoyers, du lobbying sur les grandes places décisionnelles comme Bruxelles, Washington, l'Elysée, etc. Et on a donc co-écrit des amendements, on travaille sur des projets de loi, des feuilles de route gouvernementales, etc. Quand je suis arrivée, il n'y avait même pas encore toute... Aujourd'hui, on a une très belle panoplie de journalistes environnementaux, d'activistes militantes. Elles n'existaient pas encore à ce moment-là. Et alors, l'environnement et le numérique, à l'époque, et l'associatif, c'était des mondes cruellement noyautés par les hommes. Et souvent, très peu de diversité, voire pas. Et puis pas du tout de notre génération. Pour te le faire très court, j'ai eu menaces, intimidations, boycott. Ah oui ? Oui. J'avais été invitée à être auditionnée et participer à une commission ministérielle avec le ministère de l'Environnement. Un grand patron de la tech qui en faisait partie, il se trouve qu'il devait m'apprécier, m'envoie un screenshot dans une boucle de mail avec une autre personne qui est dans l'associatif aussi, dans l'environnement, et qui a dit « Il est hors de question que cette femme vienne dans la commission. Si elle vient, je prendrai ça comme une insulte personnelle. Elle n'a aucune légitimité. C'est une intéressée. » Elle n'a rien à voir avec nous et elle n'a rien à faire ici, elle n'apportera rien au débat. C'était d'une violence. Et donc cet entrepreneur qui m'envoie ça, qui avait le vent en poupe, quelqu'un de très pinon sur rue, que je connais à peine en fait, il me dit voilà je préfère te le dire, c'est pas ton ami lui. Parce que cette personne, dans la vraie vie, me salue, m'encourage et me dit...

  • Speaker #1

    C'est super ce que tu fais.

  • Speaker #0

    Et puis moi, de manière très directe, c'est à la manière comme on aime, j'ai demandé à cet entrepreneur qui m'a donné l'info, je lui ai dit « t'aurais pas son numéro ? » Il me dit « si, si, tiens » . Donc il m'envoie son numéro et je l'appelle. « Allô ? » « Oui, allô ? » « Oui, bonjour, Inès Lonnarduzzi. » « Oui, j'aimerais qu'on parle de ton mail que t'as envoyé à toute la boucle au ministère. » Directeur du cabinet inclus dans la boucle, on peut en parler. Ah là je fais les courses avec ma fille, on peut se rappeler. Bien sûr, je te rappelle dans combien de temps ? Trois quarts d'heure, ça te va ? Je te rappelle. Puis évidemment, il a botté en touche, il m'a expliqué qu'il me trouvait incroyable, pleine de talent, que la commission pourrait l'utiliser. Pourquoi je raconte jusqu'au bout l'histoire et son issue ? Parce que ça m'a profondément détruite ce mail-là. Parce que c'était humiliant, il y avait peut-être 60 personnes dans la boucle. Et là, je suis gentille, je n'arrive pas à tout dire, mais il a employé des mots gravissimes, des mots qui ont engagé mon intégrité personnelle, les raisons pour lesquelles je faisais ça. Il a joué tous les clichés de la femme, parvenue, arriviste, opportuniste, intéressée, pas honnête. Enfin, il a dit des choses terribles. Et c'est pour dire qu'il ne faut jamais rester terré. Ces gens-là, qui ont suffisamment lâche pour faire les choses derrière notre dos, il faut savoir aller les cueillir gentiment. et puis tu sais, sans violence en fait. Bonjour, j'aimerais comprendre. Il ne me semblait pas que vous éprouviez tout ce mépris quand vous m'avez serré la main lors de notre dernière table ronde. Après, on ne peut pas plaire à tout le monde et ça, j'ai beaucoup composé avec. Tu vois, mon grand-père, Imam, qui m'a beaucoup élevée, me disait toujours « Même Dieu, il ne fait pas l'unanimité. » C'est vrai. « Pourquoi toi, tu voudrais que tout le monde t'aime ? » Et c'était une super philosophie qui m'a beaucoup... ... C'est lui qui m'a enseigné qu'il y avait plus de mots pour dire amour que pour dire Dieu, qu'il y a 99 mots pour dire Allah, Dieu, et il y en a 100 pour dire amour. Il n'y a aujourd'hui aucune langue dans le monde, aucune, qui dispose d'une telle nuance dans le sentiment de l'amour. Il y a donc un livre qui s'appelle « Les 100 noms de l'amour » de Malik Chebel. pour celles et ceux qui souhaiteraient le découvrir, qui est, pour moi, on ne peut pas quitter ce monde sans avoir lu ce livre. C'est juste un trésor. Mon grand-père était un, il nous a quittés, hélas, et c'était un imam très éclairé, qui avait des prêches très progressistes, et c'est lui qui a fait de moi une féministe. C'était vraiment mon oasis de paix, mon grand-père. Il restait dans sa chambre comme beaucoup de pères arabes. Il restait beaucoup dans sa chambre, il priait tout le temps. Et j'étais la seule à avoir le droit de rentrer. Il y avait des corans partout, des tapis de prière. Il fallait toujours que ce soit tout propre. Et je passais du temps là-bas et parfois il ouvrait une boîte et il avait un côté très austère. Il était grand, les cheveux blancs, la barbe blanche, toujours en robe et un regard très noir. Et il faisait peur à tout le monde. Il n'y a personne qui branchait avec mon chanteur. Et moi, en fait, j'étais celle à qui il montrait l'enfant qui vivait en lui. Donc, il me faisait des trucs genre... Tu vois, il me faisait des grimaces. Et il me sortait des poupées Barbie, des poupées, des sneakers, plein de trucs comme ça de ses tiroirs. Et il me disait « Chut ! » et il me les donnait, tu sais. Et un jour, il m'a mis un dessin animé dans sa chambre. Et je regardais si c'était sur une princesse. Et j'étais tellement conflite avec mon grand-père, je devais avoir 12 ans, et je lui dis, c'était l'époque où je me sentais très moche. Je lui dis, j'ai dit, tu crois que je vais rencontrer le prince charmant, moi, un jour ? Tu vois, tellement désespérée, tellement... C'était tellement pas méchant.

  • Speaker #1

    Elle se fait chier à mon tour pour avoir la lumière.

  • Speaker #0

    C'était tellement... Normalement, on ne dit pas ça à son grand-père. Et il m'a regardée, il a froncé les sourcils, déçue, tu sais. Il m'a regardée, il m'a dit, si tu trouves le prince charmant... Prends le cheval et pars avec ! Qu'est-ce qui te va te fatiguer ? Mais qu'après un changement ! Il m'a dit si, c'est lui qui te rattrape. Ah,

  • Speaker #1

    j'adore !

  • Speaker #0

    Et en fait, ça m'a bouleversée. Et c'est à 16 ans où j'entendais pour la énième fois des disputes, ce genre de choses. J'étais dans ma chambre, j'avais tous mes poèmes, mes chansons sur mon lit étalées sur mes feuilles, mes feuilles libres, perforées, qui étaient en vrac. Je me rappellerai toute ma vie de ce moment-là et je me suis dit, il y a des gens qui m'aiment, oui, mais personne ne viendra me sauver. Et il faut que moi, je trace mon chemin. Il faut que moi, j'aille à la rencontre de qui je suis. Ce n'est pas possible, je ne peux pas être tout ça sans être rien. Et je crois que ce que je viens de dire... Ça peut ne vouloir rien dire pour des gens, mais je crois qu'il y a plein de gens qui vont exactement comprendre ce que je veux dire. Je ne peux pas être tout ça sans être rien. Il fallait que j'aille rencontrer qui j'étais, transgresser des règles qu'on me donnait et qui ne devaient pas être les miennes. Et je me suis beaucoup raccrochée à ce que mon grand-père m'a dit. Prends un cheval, il n'y a que ça qu'il te faut. Et il l'avait complété avec quelque chose comme « C'est ton métier qui va faire que tu vas t'aimer » . Et il me disait toujours « Gagne ton propre argent, parce que c'est que comme ça qu'aucun homme ne pourra te manquer de respect » . Et il me le répétait, mais dès qu'il me voyait, il m'attrapait « Ça va, ça va à l'école, ça va bien, super. Tu travailles bien à l'école comme ça, toi ? » Tu vas gagner beaucoup d'argent, comme ça il n'y a pas un homme. Il te manque de respect. Il me dit une chose avec le doigt sous l'œil, comme ça, dans l'air de dire, je te regarde et je t'ai à l'œil. En fait, il ne m'en a pas fallu plus.

  • Speaker #1

    C'est génial. C'est génial,

  • Speaker #0

    j'ai la chair de poule. Il me manque.

  • Speaker #1

    Sans transition, tu es maman d'un petit garçon.

  • Speaker #0

    Oui, qui est le portrait craché de mon grand-père.

  • Speaker #1

    C'est vrai ? C'est génial ça.

  • Speaker #0

    Sauf qu'il a les yeux bleus. Mon grand-père avait les yeux marrons.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que la maternité a changé en toi, Inès ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de choses. D'abord, je vais le dire dans l'ordre dont ça me vient. La première chose, c'est la peur. J'ai appris ce que c'était que la peur en devenant mère, on ne va pas se mentir. C'est fou de voir qu'en fait, tout ce que tu es maintenant ne tient qu'à... un être humain, ou à deux, à trois, quand tu as plusieurs enfants. Et que s'il arrive quoi que ce soit à cet être, c'est terminé. Je pensais que je serais évidemment une mauvaise mère. J'ai toujours pensé que je n'aurais pas d'enfants. Je pensais que j'en adopterais sur le tard. Je me disais, je vais devenir riche, j'adopterai des enfants, je vais les faire kiffer, tu vois. Mais c'est tout. Je me disais que je n'aurais pas de famille, je me disais que... Pourquoi ? Parce que je pensais que déjà, aucun homme voudrait se mettre avec moi. J'étais vraiment, quand je te dis que je n'avais pas d'estime, Bouchra, c'était terrible et vraiment pathétique. C'est comme ça. Je pense que ça arrive à plein de femmes et c'est aussi pour ça que je veux en parler avec beaucoup, avec autant de facilité. Parce que je crois qu'en fait, il faut vraiment qu'on en parle. Moi, quand je vois des femmes qui me disent « mais t'as une assurance » , tu te rends compte, je donne des conférences sur le charisme, Bouchra. Je coache des dirigeants. sur la place de Paris, dans les entreprises les plus puissantes, sur leur posture de pouvoir. Et moi, ma psy, dernière fois, elle me fait parler. Et à un moment donné, elle m'arrête, elle fait « Ah ! À ce point, Inès ? » « À ce point,

  • Speaker #1

    tu as gêné ? »

  • Speaker #0

    Parce que parfois, je lui dis « Vous savez, si vous en avez marre, vous avez le droit de me dire que vous n'avez plus pu me prendre. » Elle me dit « Mais ça ne va pas ? » Elle me dit « Mais qu'est-ce qui s'est passé ? » Elle est bouleversée, elle, de voir comment... La dichotomie entre moi, publique, et moi dans son cabinet. Et c'est pas grave parce que je regarde. C'est encore en moi, parce que c'est ce qui j'ai été et on reste ce qu'on a été, toujours dans une part de nous. Mais à la fois, j'ai développé une femme puissante, sûre d'elle. Ça veut pas dire que parfois je doute pas de moi. Et donc je veux vraiment le dire ça, parce que ça peut exister, ça coexiste. Mais donc pour revenir à ta question, la peur. Donc moi je pensais pas devenir mère. Parce que je pensais que ce n'était pas pour moi. C'était trop bien pour moi, une famille. Et c'était surcoté. Et en fait, quand je suis devenue mère, je me suis dit... Ah oui, puis après, je me suis cachée derrière des choses du genre... Comme je m'étais dit que c'est ma carrière qui allait faire de moi une femme qui s'aime. Je me suis dit, je n'aurai jamais le temps pour un enfant. Et en réalité, j'ai composé. Et j'en parlais encore récemment. J'adore... J'adore être une maman, d'être dévouée à ma famille. J'ai une copine qui se moque de moi, elle me dit « toi tu es mi-Amazon, mi-Gueisha » . Elle me dit « quand je te vois dehors, tu es un cheval, tu es un hydra de tête » . Elle me dit « tu es sur ton cheval avec ton épée, il n'y a rien qui te fait peur dehors. » Et quand tu es chez toi... Tu es dévouée à ta famille, à ton chéri, à ton fils. Et je dis, mais je vois que tu te régales. Ils te disent, laisse-nous, on va faire. Non, non, non, laissez-moi. J'adore me mettre à quatre pattes avec mon fils, jouer avec lui, lui lire des bouquins, faire à manger. Tu vois, soigner mon intérieur, les draps, ils sont bons. Tu sais bien faire des gâteaux. Nos amis qui viennent avec nous en vacances l'été, on loue une maison, je suis à la cuisine toute la journée. Mais genre, j'ai vraiment... Mais tu prends plaisir. Je me réconcilie avec le côté... Avec le côté familial qui vit en moi, tout ce que j'ai pas pu peut-être vivre avant, il y a aussi ce côté très arabe, ce côté très nord-africain, oriental, qui est de cuisiner pour les autres. Regarde, moi je suis venue là chez toi, tu m'accueilles avec 1, 2, 3, 4, 5, 6 gâteaux, plus des fruits, plus... Toi t'échappes pas à l'arrêt, t'as sorti un autre truc sur le bar là-bas, j'ai vu, mais tu t'es dit peut-être, si jamais ça va pas. Donc il y a quelque chose de... quand même qui appartient, qui est très universel, mais qui est très présent dans notre culture.

  • Speaker #1

    Mais comment tu fais ça ? Parce que c'est l'autre question. Comment on jongle avec tout ça ? C'est pas évident.

  • Speaker #0

    Eh bien, tu loupes des trains, et c'est pas grave.

  • Speaker #1

    Tu loupes des trains pros ? Ou des trains perso ?

  • Speaker #0

    Non, pro. Il faut faire un choix. En fait, à un moment donné, tu ne peux pas toujours passer entre les gouttes. Il faut accepter de trancher, de choisir un camp. Ma famille passe avant. Tout le reste. C'est très égoïste. Techniquement, qu'est-ce qui me rend le plus heureux ? C'est ma famille. Et je sais que je loupe des trains. De toute façon, je te l'ai déjà dit tout à l'heure. Il y a des gens, quand je n'aime pas leur vibe, je n'y vais pas. Et pourtant, ça promet à plein d'avantages. Je me dis que ça ne va pas me porter chance, tu sais. Je me dis que Moi je veux garder cette part d'instinct qu'on a réussi à nommer. Tu vois, c'est renifler, je suis une renifleuse, vraiment. Il y a un côté très animal chez moi et je fais très attention à ce que me dicte mon instinct. Et donc aussi il faut louper quelques traits en plus pour ta famille. Je trouve qu'il n'y a pas de meilleure raison.

  • Speaker #1

    Parce que l'ONG, vous êtes combien ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, il y a près de 100 000 membres dans le monde. Et on a une équipe de 12 personnes qui fédère les activités principales et les autres sont gérées par des membres qui s'organisent en groupe de travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc tu gères l'équipe de 12 ?

  • Speaker #0

    Même pas, ils s'autogèrent de plus en plus. Moi je fais mon deuxième mandat de présidente et je pense pas que je vais le renouveler. J'aimerais qu'elle continue de vieillir, de grandir, mais avec d'autres esprits, d'autres intelligences. On crée des choses aussi pour les laisser partir et puis moi j'ai d'autres rêves qui m'attendent. Puis là, j'ai 36 ans, j'ai envie de prendre le temps, peut-être. Juste prendre le temps, voilà.

  • Speaker #1

    Et est-ce qu'élever un petit garçon dans le monde dans lequel on vit, ça rajoute une pression peut-être différente de ce rôle de maman, de ce qu'on transmet, de ce qu'on laisse ?

  • Speaker #0

    Je pense que j'aurais la même pression si c'était une fille. Mais oui, élever un enfant aujourd'hui, c'est bien sûr que c'est une pression. Déjà, on ne sait pas dans quel monde on va les laisser. On ne sait pas si ce serait l'apocalypse, si on pourrait respirer, s'il y aura de l'eau pour tout le monde, tu vois. On ne va pas se mentir, en tant que maman et papa, on se pose tous ces questions. Non, élever un enfant, un garçon qui plus est, on s'attache à ce qu'il ait des valeurs universelles, on s'attache à ce qu'il développe une identité qui lui soit propre, sans toxicité, qu'il sera aimé, quoi qu'il choisisse d'être. L'amour inconditionnel, je crois que c'est ce qui est le plus... Un enfant a besoin de sécurité et de tendresse. J'ai appris aussi une chose récemment, c'est que c'est pas parce qu'on est... pas maltraité, qu'on est bien traité.

  • Speaker #1

    C'est très vrai ça.

  • Speaker #0

    Moi j'ai fait l'écueil très longtemps. C'est pas parce que les gens ne te frappent pas, ne t'insultent pas, ne te brutalisent pas psychologiquement que t'es bien traité. La bien-traitance, c'est des câlins, c'est rappeler tous les jours qu'on t'aime, tous les jours que t'es... Mon fils, il me demande, il a 3 ans et demi, il me dit « Maman, tu m'aimes ? » Je lui dis « Mais bien sûr mon amour, je t'aime. » Il me dit « Pourquoi tu m'aimes ? » C'est sa nouvelle question. Je pourrais lui répondre « Parce que t'es mon fils. » Mais du coup, ça annihile complètement les raisons qu'il a intrinsèquement d'être ma mère. Je lui dis parce que d'abord, tu es un petit gars extraordinaire. Et puis en plus, j'ai le privilège d'être ta maman.

  • Speaker #1

    Génial.

  • Speaker #0

    Mais voilà, j'essaye de le nourrir en amour, en tendresse. Dans mon livre, j'écris, je suis allée en Inde et j'ai rencontré une réalisatrice, Leila, qui a beaucoup documenté la violence faite aux femmes dans les villages indiens. de la violence souvent perpétrée, souvent et presque exclusivement perpétrée par des hommes. Et en fait, elle explique, après avoir fait des études, que la violence... On a souvent la tendance à penser que les enfants battus vont battre leurs enfants. Il y a plein de facteurs qui font que c'est parfois vrai. Mais en fait, on peut complètement se défaire de ça, puisque c'est ce que je dis un petit peu sans le dire depuis le début, mais je pense que j'en suis aussi la preuve vivante. J'avais très peur de ça. Tu vois, je ne voulais pas avoir d'enfants parce que tout le monde me disait, tu sais, les enfants battus, ça bat les enfants. Donc moi, je me disais, mais je ne veux pas faire ça à des enfants. Et en fait, il se trouve que je suis un foutu. On a eu des limaces sur notre terrasse et je lui ai dit à mon chéri, non, non, non, on va les déposer en bas.

  • Speaker #1

    Surtout les touches pas.

  • Speaker #0

    Et puis, il voulait les jeter. On va les mettre en bas. On les pose dans un chantiment. Un jantemout. Et donc Leïla me disait qu'elle s'était aperçue que ce n'est pas nécessairement le fait d'avoir été battue, on peut ne pas avoir été battue et battre. Et d'ailleurs c'est aussi fréquent que l'autre cas. Mais c'est surtout quand on a manqué de tendresse enfant et quand on a été peu touché. Et en réalité aujourd'hui on corrèle scientifiquement, dans une grande mesure, le fait que les personnes qui ont été peu touchées, peu câlinées, ont plus de facilité et sont plus inclines. à demain, trouver facilement le chemin de la violence sur l'autre. Parce que ces personnes s'handicapent, en plus de plein d'autres facteurs, évidemment, de l'absence de connaissance de la sensation d'une caresse, d'une étreinte, d'une main posée sur ton bras, qu'on prenne ta main pour la serrer délicatement, pour te dire qu'on est là. Et en fait, aujourd'hui, sur le plan neuroscientifique, on sait que moins on est touché, moins... On inclut la tendresse dans les rapports sociaux, plus on est agressif. Et d'ailleurs, on l'observe avec le numérique. À force d'être dans des socialités sans corps derrière nos écrans, il est bien plus facile de menacer, d'insulter, d'humilier des gens. Donc les socialités sans corps, qui sont encouragées aujourd'hui par l'ultracapitalisme et les sociétés dans lesquelles nous vivons, nous induisent de devenir des gens violents. Et ça, il faut s'en prémunir. J'en parle beaucoup dans mon livre, qui est presque un plaidoyer pour moi. Et bon... Pour revenir à mon fils, j'essaye évidemment de lui apprendre la douceur, la force aussi, le courage. Le courage d'être lui, le courage d'aimer les autres, le courage de la nuance, le courage de la pensée complexe. Toutes ces choses-là qui aujourd'hui nous échappent. Aujourd'hui, on est dans qui a la meilleure punchline.

  • Speaker #1

    Et puis la pensée unique, c'est noir ou blanc.

  • Speaker #0

    C'est terrible. Donc voilà, c'est ça la pression. C'est d'en faire un être humain libre. et plutôt de bonne composition. Ça sera déjà pas mal.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #0

    Je lui dirais qu'elle était parfaite. Parfaite pas dans le sens où elle n'avait rien à développer ou ce genre de perfection-là. Elle était parfaite pour son âge. Elle était parfaite parce que quand tu es enfant, tu es parfait. Et en réalité, on n'a rien à exiger d'un enfant.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Sur un malentendu, ça peut passer.

  • Speaker #1

    C'est la première chose qui m'est. Un livre ?

  • Speaker #0

    L'humanisme est un soin, de Cynthia Fleury.

  • Speaker #1

    Un lieu ?

  • Speaker #0

    La campagne.

  • Speaker #1

    Ta plus grande fierté ?

  • Speaker #0

    D'avoir réussi à être une femme que je respecte, tout en gardant en vie ma petite fille en moi.

  • Speaker #1

    Et si tu ne devais garder qu'un seul métier pour le restant de tes jours, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Écrivain.

  • Speaker #1

    Une femme de culture arabe que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #0

    Une femme de culture arabe ? Attends parce que tu en as peut-être reçu plein. Tu as dit pour moi, je te dis si c'est reçu ou pas reçu. La première qui me vient... C'est Nesrin Slaoui que tu as eu,

  • Speaker #1

    je crois. Non, je n'ai pas eu.

  • Speaker #0

    Tu ne l'as pas eu ? Qui a une force incroyable et un parcours de vie. Et je pense que c'est important de connaître ce genre de parcours de vie. Elle a des idées. C'est une femme qui sait se battre pour les idées qu'elle défend. Et je trouve que c'est inédit des femmes comme elle.

  • Speaker #1

    Merci infiniment. C'était un vrai plaisir de discuter avec toi.

  • Speaker #0

    Merci pour ton écoute, Bouchra.

  • Speaker #1

    À très bientôt. À bientôt.

  • Speaker #2

    Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Heya underscore podcast. A très bientôt.

Description

Cette semaine je suis ravie de partager ma conversation avec Ines Leonarduzzi, cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet.

 

Vous laurez compris Inès a plus d’une corde à son arc et un parcours très inspirant.

 

Dans cet épisode, elle retrace son enfance en Normandie au sein d’un couple mixte : papa italo-croate et une maman Berbère d’Algérie. Éduquée par son grand-père imam, elle a été scolarisée dans une école catholique. 

 

Inès revient sur son adolescence et ses complexes passés issus de l’effet pervers des diktats de la beauté de l’époque. Elle se livre sans filtre sur le harcèlement subi à l’école et ses conséquences sur la petite fille qu’elle était.

 

Elle partage également la difficulté qu’elle a eu plus jeune à appréhender et maîtriser sa double identité. Inès évoque avec beaucoup d’émotions les précieux conseils transmis par son grand-père qui ont contribué à bâtir la femme qu’elle est devenue.

 

Enfin, nous avons discuté d´amour de soi, de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité.


Un épisode à cœur ouvert que j’ai pris un plaisir immense à enregistrer.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Inès Leonarduzzi.

 

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Pour suivre Inès

Instagram: @inesleonarduzzi


Pour suivre Heya 

Instagram: @heya_podcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur HEYA. En arabe, HEYA signifie « elle » . C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est double. Tout d'abord, promouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Inès Léonard-Duzzi, chef d'entreprise, autrice, professeure à Sciences Po et fondatrice de l'ONG Digital for the Planet. Vous l'aurez compris, Inès a plus d'une corde à son arc et a un parcours très inspirant. Dans cet épisode, Inès revient sur son enfance en Normandie, au sein d'un couple mixte, papa d'origine italienne et croate et une maman algérienne berbère. Elle a été éduquée par son grand-père, imam, et scolarisée dans une école catholique. Inès revient sur son adolescence et ses complexes nés par le poids des dictates de la beauté de l'époque. Elle nous parle sans filtre du harcèlement subi à l'école, ainsi que les conséquences que ça a eu sur la petite fille qu'elle était. Elle revient sur la difficulté qu'elle a eu plus jeune à expliquer sa double identité. Inès partage avec beaucoup d'émotion les conseils donnés par son grand-père, qui feront la femme qu'elle est devenue. Nous avons aussi discuté d'amour de soi. de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité. Un épisode à cœur ouvert que j'ai adoré enregistrer. Sans plus attendre, je laisse place à la réé du jour, Inès Léonard-Dodzi. Bonjour Inès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ausha.

  • Speaker #0

    Merci d'être mon invitée. On essaye d'organiser cette interview depuis quelques temps et je suis ravie de t'avoir et de le faire face to face, ce qu'on ne fait pas souvent vu que je n'habite pas en France. Donc je suis ravie et merci d'être là.

  • Speaker #1

    Merci à toi, je suis très contente aussi.

  • Speaker #0

    Inès, la tradition sur Réa, c'est de commencer par les origines. Donc si tu es d'accord, est-ce que tu pourrais nous parler de l'enfance que tu as eue, l'éducation que tu as reçue, comment la petite Inès a grandi ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Moi, je suis issue d'une famille mixte. Mon père est d'origine italienne et croate. Il est né en France et ma mère est aussi née en France. C'est d'origine algérienne, de ses deux parents. Algérienne et plus précisément berbère des Ores. qu'elle est Ausha d'origine, c'est important de le dire. J'ai grandi dans une maison qui prônait l'idée qu'il n'y a qu'un seul Dieu, mais qui a plein de manières d'être au monde. J'ai été beaucoup éduquée par mon grand-père imam, et j'ai été à l'école avec les bonnes sœurs, dans les écoles catholiques. Je vous salue Marie, je connais les prières catholiques et je fais ma shahada tous les soirs, qui est une prière musulmane pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne le sauraient pas. J'ai prié un temps, j'ai une spiritualité, je pense que je m'exprime plutôt en spiritualité. J'ai un rapport à la spiritualité très important. Pas tant dans les dogmes finalement, ce n'est pas du tout quelque chose qui m'appartient. Mais je me suis construite à travers une identité double, qui n'était pas toujours facile à l'extérieur à expliquer, à revendiquer, et aussi trouver sa place. Parce que finalement, même si dans ton cœur, ça se passe très bien, parce que tu es en confiance avec ce que tu es, et puis tu es la preuve que ça fonctionne, puisque tu existes. Mais il y a ce regard, aussi bien dans ma famille... Dans ma famille et mes proches, plutôt du côté nord-africain qui me disait « Toi, t'es française, mais t'es pas vraiment arabe. Ça se voit comment tu parles, comment tu marches, comment tu t'habilles, comment tu penses. » Et du côté plutôt, eh bien, j'aime pas dire franco-français, parce que moi j'ai l'impression d'être française au maximum aussi. Mais voilà, du côté plutôt non-musulman. Nord-africain, j'étais au contraire une arabe. Et puis sans aucun souci de nuance, voilà, t'es arabe. Du coup, tu navigues avec ça et puis t'apprends surtout à vivre avec. Mon enfance, j'ai grandi en Normandie, comme je le disais, et à la campagne. Ce qui m'a aussi beaucoup préservée parce qu'il n'y avait personne. Donc je me cachais souvent, j'étais très casanière, je restais dans les bois, au bord de la rivière. Et je lisais beaucoup. Je lisais énormément les mille et une nuits, les poètes français, les poètes arabes, comme Unsi Al-Haj, Adonis. J'ai très vite aimé Mabaudelaire, Rimbaud, des poétesses aussi uruguayennes sur lesquelles je tombais. J'attrapais tous les livres que je pouvais, notamment dans les petits marchés. Il y avait des petites brocantes souvent dans les petits villages à côté, où avec ma mère on allait, on vendait des choses aussi. Et j'achetais tous les bouquins que je pouvais à 20 centimes, 50 centimes de France. Voilà, donc je me suis construite avec du coup une vision très universelle. Rapidement, je me suis aperçue que l'identité, c'est un concept mouvant et très personnel. En réalité, on descend de nos parents, on descend de nos origines, mais on devient, on crée une identité qui est propre à nos expériences. à nos parcours de vie, à la géographie aussi. Je n'aurais pas été la même enfant métisse en ville ou dans une tour à New York ou dans un HLM en banlieue parisienne ou dans le 7e. J'étais à la campagne avec des vaches, avec un PMU et des Georges et des Robert à 11h au Ricard, tu vois, avec des agriculteurs.

  • Speaker #0

    Du coup, dans ce village, Il n'y a pas beaucoup de personnes de diversité, j'imagine que c'est... J'étais la seule. Et ce que tu disais, c'est qu'on te renvoyait du côté nord-africain, on te disait, toi, tu n'es pas complètement une arabe, regarde la manière avec laquelle tu parles, etc. Et en France, est-ce qu'on te renvoyait plus à ton arabité du fait de tes origines et des origines de ta maman ?

  • Speaker #1

    Oui, c'était souvent... C'était plus mon physique. J'avais les cheveux frisés. Donc les gens les touchaient, me demandaient d'où ça venait. Et j'ai une tache de naissance sur le visage qui a rapetissé avec le temps parce que mon visage a grandi mais petite, elle prenait vraiment une grande place sur mon visage. Et les gens venaient essayer de l'essuyer en pensant que j'étais sale parce qu'il y avait des préjugés en fait.

  • Speaker #0

    C'est dur ça non ? Comment tu le vivais ?

  • Speaker #1

    Quand j'étais petite, la chance que j'ai eue, en réalité, ce qu'il faut comprendre, c'est que les personnes qui ont des signes distinctifs et qui peuvent faire objet de complexe, moi par exemple aujourd'hui, ça m'arrive dans toutes les personnes qui m'interpellent dans la rue, au café, au restaurant, pour me dire que j'ai une tache sur le visage, que je suis sale. Et bien, il arrive que souvent des femmes me disent « vous savez que vous pouvez le faire enlever ? » Ah bon ? Mais je ne savais pas, je l'ignorais. et il se trouve que moi j'adore ma tâche de naissance il se trouve que je merci, il se trouve que je l'adore et pourquoi je dis ça ? Parce que mes parents m'ont fait grandir avec l'idée que ça me donnait du charme et que c'était mon identité et je crois que les complexes naissent quand on n'a pas été mis en confiance avec nos atouts distinctifs si on a toujours regardé un signe distinctif avec un peu de regret ou les gens qui te disent ah C'est dommage que tu aies ça, évidemment tu vas construire un immense complexe. Il se trouve que moi mes parents me disaient que c'était ce qui faisait tout mon charme. Donc c'était que le reste n'était pas... C'est vrai que j'adore ma tâche de naissance. Et c'est vrai que quand on me disait, oui évidemment, quand tu es une petite fille et qu'on te répète tous les jours, « T'es sale, il faut te nettoyer le visage. » « Tes parents ne t'ont pas nettoyé le visage ce matin ? » « Tu sais, il faut se laver. Il faut dire à tes parents qu'il faut nettoyer le visage des enfants. » Et toi, tu leur dis « Non, c'est une tâche de naissance. » Donc c'est vrai qu'en réalité, non, ça forge. une espèce de résistance sans aigreur, en fait. Tu réponds en disant, mais non, c'est mon grain de beauté. Et comme son nom l'indique, ça me rend belle. Non, voilà, donc ce qu'on regardait, c'était surtout mes cheveux frisés, ma couleur de peau, et on me ramenait souvent à ça.

  • Speaker #0

    Et ça te gênait ? Enfin, c'est plus dur. Là, avec du recul, évidemment, l'analyse est plus évidente. Mais dans la tête d'une petite fille, quand on ne ressemble pas au reste du groupe, quand on te le fait remarquer, quand on te le touche d'autant plus. C'est presque une agression, entre guillemets. J'exagère peut-être, mais c'est quand même toucher une partie du corps de quelqu'un sans forcément être d'accord et pas pour dire que c'est joli ou quoi. Est-ce que ça t'a fait peut-être à des moments renier ou être moins dans la fierté de cette origine-là ?

  • Speaker #1

    Toute petite, je ne me rendais pas compte de ce que ça voulait dire, donc ça ne me dérangeait pas. C'était complètement un dolor et ça glissait comme sur les plumes d'un canard. C'est en devenant une pré-adolescente que les complexes sont nés. Je me suis construite l'identité d'une petite fille pas belle du tout. J'étais persuadée d'être moche parce que j'ai vraiment grandi dans un environnement où les dictats, c'était d'être blonde, d'avoir les cheveux très lisses, d'avoir des yeux bleus. Et je me rappellerai toujours d'un petit garçon que j'aimais beaucoup à l'école, de manière très platonique, mais qui était blond aux yeux bleus. Et lui m'a complètement... Et moi, en plus, je suis quelqu'un de très timide. Jusqu'à aujourd'hui, je suis hyper timide dès qu'il s'agit des interrelations personnelles. Et j'ai beaucoup de bagouts comme ça sur scène, quand je donne des conférences, quand je suis dans les médias, mais en réalité, je suis un vrai bébé chat. Et je me rappelle être allée le voir, mais évidemment sans jamais lui dire, lui déclarer ma flamme, mais juste jouer avec lui. Et en fait, il m'avait complètement éconduite en me disant que j'étais moche. Et il était évidemment amoureux de la blonde aussi. Et en fait, oui, à ce moment-là, tu te forges l'idée que comme tu n'as pas le bon physique, tu ne plairas jamais. Et évidemment, comme ton physique ne te plaît pas, les garçons qui te ressemblent ne te plaisent pas. Parce qu'ils sont par définition moches aussi. C'est dur à dire, c'est hyper violent de dire ça, mais j'en parle aujourd'hui avec beaucoup de recul. Évidemment, j'ai fait du chemin, on va en parler très certainement. Mais à cette époque-là, j'en ai parlé à ma mère, c'est drôle qu'on ait cette conversation aujourd'hui. Parce que je crois que c'était hier matin, j'avais ma maman au téléphone. Et on parlait de nous, de la famille, et d'une manière, on arrive sur une conversation qui est la suivante. Je lui racontais que pendant mes années d'études, j'avais eu un moment où tous les matins, je me levais, je me regardais, je me disais « Ma pauvre, t'es tellement moche, comment tu vas faire pour camoufler cette laideur ? » Et ma mère a dit « Mais pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? » Et je sentis qu'elle était bouleversée au téléphone et je me demande même si elle n'a pas pleuré. Du coup, je m'en suis un peu voulue de lui avoir dit ça. J'ai dit non, mais maman, ça va mieux. Et elle s'est lancée dans une tirade. Mais ma fille, t'es belle, mais regarde comme les gens te regardent. Regarde tes photos. Et moi, avec de l'humour, je dis, mais maman, j'en ai pris 100. C'est la centième fois que tu me vois sur les réseaux sociaux. Il y en avait 99 qui étaient terribles. Et donc, elle rigole parce qu'évidemment, j'appartiens aussi à une culture comme toi. Très drôle, avec beaucoup d'humour, ça sauve. Mais non, oui, les complexes sont nés à ce moment-là où en effet, je ne me trouvais pas jolie.

  • Speaker #0

    Et à quoi rêver cette petite Inès, timide, cachée un peu dans ses bouquins, dans sa campagne ? Comment t'imaginer cette vie ? J'entends cette préadolescence un peu compliquée au niveau du physique, ou de comment toi tu le percevais. Qu'est-ce que tu imaginais de ta vie d'adulte ? Est-ce qu'un métier t'attirait ? Comment tu te projetais ?

  • Speaker #1

    En fait, je n'avais aucun rêve. Je n'ai pas non plus eu une enfance rêvée. Ce n'est pas quelque chose que je pourrais qualifier comme ça. J'ai eu une enfance plutôt jonchée de conflits familiaux et de violences. Il y a eu aussi la précarité. toutes ces choses-là, qui ont fait que l'enfance pour moi, et même l'adolescence, ça a été une route assez sinueuse. Une route où tous les matins, c'était pas évident de projeter ta journée. Et alors en avenir, c'était encore plus compliqué. J'ai vécu une adolescence qui relevait l'ordre de la survie. C'était comment je parviens à rester en vie, en fait. J'avoue que je n'avais pas de rêve. J'avais le rêve de partir et de m'émanciper. J'avais le rêve d'être moi et de partir à ma conquête. En réalité, je me suis aperçue très rapidement vis-à-vis de l'environnement où je m'évoluais, où je grandissais, que je ne savais pas du tout qui j'étais. On projetait en plus sur moi beaucoup de choses qui n'étaient pas toujours vraies. Et c'était très compliqué. Comme beaucoup de petites filles, j'ai été harcelée à l'école, très longtemps. J'ai été frappée à l'école primaire par toute ma classe, y compris ce petit garçon que j'aimais beaucoup, et la jeune fille qu'il aimait beaucoup aussi. Et en fait, il m'insultait une fois de plus, des insultes qui étaient relatives à ma couleur de peau. Et puis j'ai répondu. J'ai répondu quelque chose du genre, je crois, « Vous allez tous me laisser tranquille, je ne vais pas me laisser faire un truc, quelque chose comme ça, parce que j'en avais marre. » Et ça n'a pas du tout été apprécié, ils m'ont tous couru après. J'ai couru jusqu'au bout de la cour et au bout de la cour, je n'ai rien trouvé d'autre à faire puisque le grillage arrivait, de me blottir contre une porte dans un coin et je me suis mise en boule et ils m'ont tous rué de coups. Et après, ça m'a complètement traumatisée dans les relations humaines et à l'école, donc je n'avais pas d'amis, j'étais toujours toute seule et mes bouquins étaient mes copains. Et donc, comme beaucoup aussi d'enfants... Vers 14-15 ans, j'avais même des idées sombres, très sombres. J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer une super prof qui m'a donné beaucoup confiance en moi. Madame Larbi, Christelle Larbi. Elle était adorable avec moi et je voulais absolument savoir si elle était arabe. et elle ne voulait jamais me répondre elle me disait et c'est les questions très bêtes d'enfants complètement intrusifs je disais mais vous êtes musulmane ? parce que c'est important pour moi je vous laisse la voix il n'y a pas longtemps j'ai donné une conférence chez Chanel et on m'a on a porté à mon attention qu'une des jeunes femmes qui travaillent là-bas, qui était là-bas, a fait une obsession du fait, elle voulait absolument savoir si j'étais algérienne Et elle me disait, mais on s'en fiche. Elle dit, non, moi, je veux savoir parce que je crois qu'elle est algérienne. Et moi, je comprends. Tu comprends le besoin,

  • Speaker #0

    l'importance d'avoir cette information.

  • Speaker #1

    Et j'ai dit, mais dites-lui. C'est comme ça que je suis là. Et en fait, Madame Larbi, elle me disait, mais je n'ai pas à te répondre, Inès. C'est ma vie privée. Et moi, je trouvais que c'était violent.

  • Speaker #0

    Ben oui, je ne comprends pas.

  • Speaker #1

    Et en réalité... Aujourd'hui, je la comprends. Il se trouve que Mme Larbi est française, mariée avec un Libanais chrétien.

  • Speaker #0

    Donc, tu disais qu'elle t'a beaucoup aidée.

  • Speaker #1

    Absolument. Pourquoi je parle de ses origines ? C'est parce que, quelque part, en projetant sur elle des fantasmes, qu'elle était peut-être métisse comme moi, ça m'a vachement raccrochée à quelque chose, à un modèle.

  • Speaker #0

    Ça devient un rôle modèle, un peu.

  • Speaker #1

    Ça devient un rôle modèle. Donc, tu vois, il ne s'agit que d'un nom. Et qui pour moi, en fait, a été peut-être que j'aimerais bien aider les gens comme elle aide les gens, comme elle m'aide moi. Et c'est elle qui m'a redonné le goût à moi-même, en fait. Et donc, aider les autres a toujours été quelque chose qui me parlait. J'ai fondé ma première association à 17 ans. Avec des copains, et ensuite je me suis fait des amis, en réalité grâce à la musique, parce que je me suis mise à chanter. En fait, j'écrivais énormément du fait que je lisais beaucoup, j'écrivais des poèmes et des chansons. J'écrivais des chansons et un jour je me suis mise à les chanter, et je me suis aperçue que je savais chanter. Et donc j'ai attiré l'attention de groupes de musique locaux qui m'ont demandé de les rejoindre, et ça a été ma première... famille d'amis en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est dingue parce que la petite timide qui se cachait allait chanter sur scène, le grand écart l'exercice est quand même périlleux et difficile.

  • Speaker #1

    C'était très très périlleux mais je ne sais pas, je n'étais pas la même d'ailleurs j'avais un blase tu vois. Donc j'étais le Sasha Fierce tu vois. C'était une autre personnalité qui s'exprimait.

  • Speaker #0

    Mais c'est ça, mais tu as besoin de ça du coup pour...

  • Speaker #1

    Oui, j'ai vraiment besoin, même aujourd'hui, quand je monte sur scène pour donner des conférences, je mets ma casquette où toutes mes failles personnelles n'apparaissent pas. En réalité, je les laisse, je les mets précieusement dans une petite boîte parce que j'y tiens aussi à mes failles, à mes fragilités, mes vulnérabilités. Mais à ce moment-là, je les exprime autrement ou en tout cas, elles sont au service d'un moment de puissance. Et donc oui, chanter a été très... salvateur pour moi. D'abord sur le plan hum... mentale, tu vois, à chanter, moi ça m'apaisait et je chantais tout le temps quand je pleurais chez moi, quand j'étais triste, je me mettais à pleurer c'était comme si je me berçais moi-même en fait, je me chantais une berceuse et ça me permettait d'aller mieux en fait et aujourd'hui on le sait dans la recherche dans les neurosciences c'est aujourd'hui très documenté que le chant permet d'envoyer des signaux au corps notamment d'envoyer l'endorphine ... de la dopamine, donc des hormones de bien-être, de bonheur, de plaisir. Et en réalité, à l'époque, je l'ai fait de manière très instinctive, comme beaucoup de gens le font, en fait. Pareil, le soir, parfois, je n'arrivais pas à m'endormir, soit parce qu'il y avait des conflits à la maison, soit parce qu'il y avait trop de choses qui s'étaient passées dans la journée de brutale. Je chantais pour m'endormir, donc je me chantais à moi-même des berceuses. Et le chant a été non seulement quelque chose qui m'a réparée, Mais en plus, il m'a offert mes premières amitiés. Et j'ai aussi pris confiance en moi en tant qu'écrivaine, parce que j'ai commencé à écrire des chansons et qui étaient chantées après par d'autres personnes.

  • Speaker #0

    Et tu ne te disais pas, c'est un métier que j'ai envie de faire pour le coup ? Si. Parce que ça mixe. Et tu as essayé ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé, mais je me suis arrêtée à la porte d'entrée. J'étais tellement tétanisée par la timidité et la peur d'échouer que je ne passais pas la barrière des castings.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qui te reste souvent ? On a un peu des rêves un peu cachetés et on se dit peut-être qu'un jour...

  • Speaker #1

    En fait, j'ai un ukulélé chez moi et j'en joue et je chante dessus des chansons que j'écris. Et je me dis que si un jour j'ai du temps, j'aimerais bien enregistrer mes propres chansons et peut-être faire un petit album, mais quelque chose de très indé. Mais quand je suis arrivée à Paris, je chantais dans des cafés. Ah oui ? Oui, je venais, j'allais me présenter au patron ou à la patronne, ils avaient souvent une scène, et je disais « bonjour, je suis chanteuse » . C'est que je n'ai jamais raconté ça à personne, personne ne me raconte ça. Et je me faisais 50, 80, 100 euros par soir, et je chantais toute la soirée avec un pianiste ou quelqu'un qui m'accompagnait au santé, et c'était toujours à la guitare aussi. Je me sentais bien, en fait, parce que j'étais un peu dans ma bulle, la lumière sur moi, mais moi qui ne vois pas. Donc, ce n'est pas tant le fait d'avoir la lumière, c'est le fait que c'était chaud. Ça me donnait chaud et je me sentais dans un petit cocon où je ne vois personne. Je suis complètement éblouie et où j'ai cette vibration vocale en moi qui m'apaise.

  • Speaker #0

    Oui, et puis c'est thérapeutique aussi, j'imagine, d'écrire en plus tes chansons à toi. Donc, tu communiques des sentiments, des choses, des ressentis qui viennent de toi. Je pense que c'est différent que d'interpréter les chansons, ce qui doit être autant thérapeutique. Mais je pense qu'il y a aussi cette notion de dire ses paroles à soi, ses sentiments et les choses qu'on a ressenties.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci, je suis ravie de découvrir des facettes qu'on ne connaissait pas. Tu parlais un peu de ça, tu disais que quand tu mettais ton chapeau de conférencière, tes failles restaient un peu dans une boîte. Je le lis un peu à cette question. Tu sais, avant de préparer l'interview, j'ai regardé ton site, j'ai lu des interviews, etc. J'ai essayé de préparer et d'être un peu sérieuse. Évidemment, je le dis à l'intro, des distinctions, tu as reçu énormément de distinctions, beaucoup de prix. Ton CV est vraiment impressionnant. Mais tu rajoutes une phrase que j'ai trouvée hyper intéressante et qu'on ne voit pas. C'est que tu as la liste et à la fin, tu rajoutes « Il y a aussi tous les projets que j'ai extraordinairement échoués » . C'est rare de voir ça, encore moins sur Internet, sur un CV digital où les gens souvent se vendent et tu essaies aussi de te vendre, ce qui est normal. Mais il y a cette petite touche finale, il y a des failles, il y a des choses qu'on ne réussit pas. Pourquoi c'était important pour toi de rajouter ça ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense que déjà, c'est vrai. J'ai l'impression de mentir par omission en ne parlant que de mes succès. Mais mes succès sont moins nombreux que mes échecs. Il y a aussi un côté... Je déteste me prendre au sérieux. Et c'est vrai que moi-même, parfois, je rougis un peu quand je lis des articles ou la liste des distinctions que j'ai pu recevoir. Et je n'en ai pas du tout conscience, en fait, de ce que ça peut représenter dans les yeux des gens. Je prends un peu la mesure quand je vois où est-ce qu'on peut m'inviter, la manière dont je peux être reçue, où je me dis « Waouh, mais à ce niveau tout petit déjà, ça donne ça, ces distinctions. » J'imagine même pas les grands de ce monde, la manière dont ils peuvent être accueillis, reçus. Et c'est vrai que pour moi, c'est important de... On me le dit souvent, tu laisses pas la place au fantasme.

  • Speaker #0

    Tu casses tout de suite.

  • Speaker #1

    Tout de suite, je casse. Et je fais souvent ça quand j'arrive sur scène, où il y a un maître de cérémonie qui dit « Elle a reçu tant de prix, elle a réussi à faire ça, elle a voyagé, dansé, elle a écrit... » Et moi, plus on me dit ça... plus ça me rend toute petite et la première chose que je fais c'est d'arriver sur scène en disant je viens pas du tout d'un milieu élitiste j'ai échoué beaucoup de choses et je suis hyper mnésique donc je retiens beaucoup de choses et notamment des gens que j'ai pu croiser et il se trouve qu'à un moment donné j'avais croisé une fille que j'avais emmenée sur un projet dans lequel j'ai complètement échoué et je dis ah bah tiens elle était moi on la montre rendu d'où ah ah Et quand je fais ça, je me grandis. J'ai l'impression de devenir plus grande. Je pense aussi que j'ai un esprit très critique et je trouve aussi très dommage qu'on vive dans un monde où on valorise non seulement, parfois, des espèces de profils intempestifs et complètement fantasmés où on a levé 15 millions et on mesure la valeur des gens à l'argent qu'ils gagnent, à l'argent qu'ils lèvent, alors que... profondément, par exemple, dans ce cas précis, lever de l'argent, ça veut dire que tu n'arrives pas à faire de la croissance organique. On ne va pas se mentir. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons pour rester dans le milieu de l'entrepreneuriat et l'image que je voulais apporter. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons de PME, de TPE qui font de la croissance organique, qui ne gagnent pas des mille et cent, qui ne font pas la une sur LinkedIn, mais qui sont balafrêtes partout, qui ont les mains dans le cambouis toute la journée. Et il y a quelque chose aussi qui est très proche de mes racines. de ma classe d'origine. Là d'où je viens, le travail, c'est important. Là d'où je viens, c'est ça qui te donne de la valeur. C'est si tu te lèves tôt le matin et que tu rentres après un travail bien fait.

  • Speaker #0

    Mais du coup, t'as l'impression que ça amoindrit ce que tu fais, que toi, t'as pas les mains dans le cambouis, que t'es moins dans la souffrance, peut-être physique, de l'exemple que tu prenais.

  • Speaker #1

    Évidemment. Il y a toujours la sensation, aujourd'hui, je suis ce qu'on peut appeler une transclasse. C'est-à-dire que je vis largement au-dessus des moyens qu'on avait quand j'étais petite.

  • Speaker #0

    Et donc j'ai changé d'environnement social aussi. J'ai changé d'environnement professionnel et forcément intellectuel. Oui, je crois qu'on ressent toujours une sensation d'être traître à là d'où l'on vient et que pour moi, peut-être de rappeler ça, c'est important. Il y a aussi un usage qui est très fréquent dans mon milieu d'aujourd'hui, c'est qu'évidemment, j'ai de la chance. J'ai de la chance au quotidien. C'est de plus en plus facile à mesure du temps d'obtenir... les résultats que je veux, d'accéder à des personnes qui peuvent me permettre d'aller plus vite, de signer des contrats plus vite. Et c'est vrai pour plein de gens dans mon entourage, parce que la chance, c'est quelque chose qui grandit à mesure qu'on a un entourage de qualité, et quand je dis de qualité, ça veut dire qu'il y a les moyens, qui a les bonnes professions, le bon réseau, etc. Et ça me dérange parce que ce qui est dit souvent dans ces environnements-là, c'est Je suis arrivée là tout seule parce que je travaille. Et c'est faux. Moi, les gens de qualité, pour moi, c'est les personnes que j'ai rencontrées enfant, qui m'ont inculqué des valeurs très terriennes, très terroires, qui sont la loyauté, ne pas rompre la confiance de quelqu'un. On double personne par la droite. On ne vole pas, on ne ment pas. On ne fanfaronne pas quand on gagne. On ne se moque pas des autres quand ils sont par terre. Au contraire, on les tient pour qu'ils puissent mieux se relever. C'est ça pour moi la qualité de... Chez les gens. Et d'ailleurs, aujourd'hui, il y a des gens qui me disent que je ne suis pas du tout stratégique, pas du tout opportuniste, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, vu ma présence sur les réseaux sociaux, etc. Et je maîtrise parfaitement ma communication. Et je sais que je pourrais aller beaucoup plus loin. Et je ne le fais pas. Et on me reproche parfois. On me dit « tu n'as pas compris comment on fait. Parfois, lui, tu aurais dû lui parler, tu ne l'as pas fait. » Alors que lui, il pourrait te faire avancer. Je dis « oui, mais lui, il ne croit pas. » pas aux valeurs auxquelles je crois et ça me dérange. Elle, elle ne croit pas en l'amour. Ça me dérange aussi. Et ça, je viens vite à le débusquer. Et je me fiche de savoir si tu es millionnaire, si tu connais le président, si tu peux me faire rentrer dans tel écosystème ou tel environnement. Je ne me sens pas à ma place, pas alignée. Et c'est peut-être aussi pour ça que je... Très rapidement, je montre mon jeu. Moi, voilà d'où je viens, voilà qui je suis. Il y a peut-être quelque part... Aussi, une manière d'assouvir mon besoin de dire je ne suis pas une traître, je suis là, mais voilà si vous m'entendez les autres, regardez ce que je dis, et je le dis et je l'assume et j'en suis fière. Mais aussi une façon pour moi de montrer tout de suite mon jeu, de dire qui je suis, quelle est ma couleur, quel est mon bois. Et donc tout de suite voir si les gens ça les intéresse pas, et ben ils vont ailleurs. Et je pourrais mille fois... il y a beaucoup de gens qui pensent que je suis une fille d'une grande famille, et juste par la manière dont je parle, la manière dont je peux présenter. les idées que j'ai, le fait que je puisse parler de Vladimir Jankiewicz ou de Bergson et avoir des grandes théories sur le monde du travail en 2050 les gens se disent, elle a forcément fait des études extrêmement brillantes, elle a dû grandir et dîner tous les soirs avec des gens et des esprits très érudits et en fait, bah du tout mes parents étaient des petits commerçants on a fait faillite 20 fois on avait les huissiers qui venaient à la maison on... et on a vécu une grande partie de notre vie dans la précarité. Donc pour moi, c'est important de rappeler qu'en fait, non, la chance, si j'ai de la chance aujourd'hui, c'est grâce à toutes les personnes que j'ai rencontrées qui m'ont fait confiance, qui m'ont parfois donné une deuxième chance. Parce que quand on doute de soi, quand on doute de soi, et quand on n'a pas d'estime de soi, on dégrade son être. On se met à la hauteur de l'estime qu'on a de nous-mêmes. Moi, par exemple, je mentais beaucoup. enfant. Et je m'en suis beaucoup voulue après pour ça. Parce que c'est pas digne de quelqu'un de confiance de mentir. Je mentais sur ma vie, je mentais sur... J'ai menti sur mes origines, mais même pas par complexe, d'où je venais. C'était m'inventer une fantaisie, une autre vie, venir d'ailleurs, en fait. C'était être autre que je ne suis, parce que moi, je m'aime pas. Et... Aujourd'hui, je sais qu'un enfant qui ment, c'est un enfant qui souffre. J'aurais tendance à le prendre dans mes bras, à le chérir, à lui dire à quel point il est beau, à quel point... Il peut faire ce qu'il veut. Et oui, je crois qu'il y a des gens qui ont vu parfois que je me perdais, comme on se perd quand on est jeune, mais qui m'ont donné une deuxième chance. Qui m'ont dit, mais non, mais... Réessaye. Réessaye parce que tu as raté ton essai. Et ça, c'est tellement précieux. C'est beau que les gens croient en toi, mais quand ils recroient en toi, c'est incroyablement précieux. J'ai eu de la chance, parce que oui, j'ai travaillé. Mais j'ai travaillé d'une certaine manière. parce qu'on avait cru en moi dans un premier temps. En réalité, on est toujours la somme de toutes nos rencontres. et la somme de tout ce qu'on a vu. Et aujourd'hui, j'ai encore une espèce de dissonance avec ma classe d'aujourd'hui, qui est une classe qui valorise les distinctions. Ton look, les gens que tu connais. Et tout ça est important dans le monde dans lequel je vis. Mais pour moi, j'aurais raté ma vie si j'oubliais d'où je viens.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux associer ça à ce qu'on appelle le syndrome de l'imposteur ? Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens parfois ?

  • Speaker #0

    Oui, évidemment. Et à la fois, non. J'ai tendance à dire que moi, j'ai eu le syndrome de la survie. C'est-à-dire que pour moi, l'important, c'était le concept du syndrome de l'imposteur. C'est né dans les années 70. Ça a été développé par deux femmes occidentales, bien nées, privilégiées. Et plein de femmes comme moi, elles n'ont pas ce luxe de se poser dans un canapé et se demander dans quelle étagère. Est-ce que j'ai le droit de faire des choses ? À un moment donné, il fallait payer le loyer. Et j'ai eu, à un moment donné, quand même, cette espèce de... Regain de vitalité qui m'imposait de quand même faire quelque chose qui me rende heureuse. J'avais tellement cette revanche à prendre sur mon enfance qui était pour moi... J'étais malheureuse comme petite fille. Être heureuse pour moi dans mon métier aujourd'hui, c'est un prérequis. J'ai besoin de faire que des choses que j'aime.

  • Speaker #1

    Et c'est un luxe aussi.

  • Speaker #0

    C'est un grand luxe et qui demande beaucoup de sacrifices. Donc je travaille beaucoup en ce sens-là. C'est pour ça que mes amis me disent souvent... Tu travailles trop, tu travailles beaucoup. Et je dis, ouais, mais j'aime ce que je fais. Je dormirai quand je serai morte. Tu vois, le genre de phrase qu'on balance. Et puis, t'inquiète pas, si j'ai envie de m'arrêter, je suis suffisamment têtu et avec du tempérament pour m'arrêter. Donc, moi, en réalité, oui, plein de fois, je me dis, est-ce que je suis à la bonne place ? Est-ce que c'est à moi de le faire ? Est-ce qu'il n'y a pas quelqu'un d'autre qui serait mieux que moi ? Mais ça, c'est peut-être presque... C'est peut-être bien de se poser cette question-là dans une petite mesure. Je pense que ça permet de se remettre en question, de ne pas s'asseoir sur ses acquis. de ne pas penser qu'on a tout compris de la vie et qu'on n'a plus rien à apprendre. Par contre, non, j'ai aussi compris que personne ne viendrait me donner ma légitimité, que c'est à moi d'aller la prendre, qu'on ne me donnera jamais ce que je veux sans que j'en demande, en tout cas que j'en fasse la demande. Donc, syndrome de l'imposteur, on le gère, mais il est l'heure de questions qui viennent me mettre des limites.

  • Speaker #1

    Tu parlais des études et de l'importance, en tout cas en France et ailleurs, de tafé. telle étude et donc tu fais ça et donc tu es spécialisé dans ça. Et tu dis, et j'ai lu ça dans une autre interview, où tu disais je m'interdis de me spécialiser, j'aime apprendre et partager de manière générale. Néanmoins, je m'adonne à approfondir mes connaissances et mes réflexions sur des sujets de fond. On est vraiment dans cette époque de plus en plus où il y a les slasheurs, où les gens ont différentes facettes, plusieurs jobs qui peuvent aller d'un extrême à l'autre et c'est dans ça qu'ils s'épanouissent. Mais on a aussi cette... contrainte, en France en tout cas, beaucoup de tel et tel diplôme, et si tu n'as pas fait ça, mais non, mais il n'a fait qu'à l'école, etc. Comment tu as vécu, toi, ça ? Comment tu t'es sentie à l'aise et légitime de faire tout ce que tu fais, d'avoir tout ce panel, tout ce beau portefeuille, et de ne pas t'arrêter à cette pression-là ?

  • Speaker #0

    Mais c'est vrai qu'en France, c'est une pression. Il faut justifier tes diplômes, et d'ailleurs, on parlait de mensonges tout à l'heure. Il n'y a pas longtemps, j'assistais à un dîner où on parlait, on se moquait allègrement d'un homme, notamment d'origine nord-africaine, qui est un jeune homme qui a écrit plein de bouquins en neurosciences et dans d'autres sujets, et dont on a dit qu'il n'avait pas les diplômes qu'il disait avoir. Il s'agit d'Idriss Aberkane. Je ne sais pas si ces accusations sont vraies, parce qu'il se trouve que je ne connais pas ce monsieur. Et je ne sais pas s'il a ses diplômes ou pas. Mais en tout cas, on a beaucoup dit, après qu'il ait eu beaucoup de succès, qu'il avait menti et qu'il n'était pas le docteur qu'il disait être, etc. Et en fait, tout le monde était assez d'accord sur dire, oh là là, c'est pas bien d'être croqué comme ça. Et évidemment, je me suis dit, je vais être encore la personne d'origine nord-africaine qui va apprendre, qui va vouloir au secours de cette personne. Et je dis, mais vous vous rendez compte à quel point il y a une pression ? Une pression en France. France du diplôme qui vient dire que tu es compétent dans quelque chose et pas dans une autre. Ça veut dire qu'il y a des gens qui ont 50 ans, qui sont diplômés depuis 30 ans, et que parce qu'ils ont été diplômés de connaissances il y a 30 ans, sont aujourd'hui plus légitimes que des personnes de 35 ans qui n'ont peut-être pas les mêmes diplômes, peut-être qu'ils n'en ont même pas, mais qui ont appris par plein de moyens différents. autant, voire peut-être plus, qui ont une agilité d'esprit, une profondeur d'esprit, une rapidité de pensée. qui est telle qu'en réalité, ces personnes dépassent les personnes diplômées les plus prestigieuses. Parce que qu'est-ce qu'on apprend ? Qu'est-ce qu'on sanctionne avec un diplôme ? On sanctionne le fait que tu as appris par cœur des données et que tu as appris à résoudre des problèmes pour certaines formations et que tu comprends comment se joue la géopolitique de ton métier et de l'environnement dans lequel tu vas travailler. Je parle pour les avocats, etc. Apprendre de la technique, évidemment, pour des métiers comme peut-être la médecine, ce genre de choses. Mais en réalité, pour le reste. Comment est-ce qu'on peut dire qu'un diplôme sanctionné il y a 20 ans peut être beaucoup plus valorisé qu'un apprentissage de tous les jours avec une acuité telle qui fait que cette personne est extrêmement talentueuse et qu'elle peut faire énormément gagner à une entreprise ou à une organisation ? Aujourd'hui, on a ce problème. Et donc, j'ai tenu ce discours-là à la table. Il n'y a pas eu de débat. Ils ont changé de conversation. Mais j'aurais dit, mais je comprends. Je comprends qu'on puisse se dire, je suis à ça d'atteindre mes rêves. Je suis à ça de partager mon savoir. Vous avez tous lu le livre de cette personne. Vous l'avez tous trouvé brillante. D'ailleurs, il n'a rien dit de faux. Donc, en l'occurrence, il nous a enrichi de choses exactes. Mais aujourd'hui, on remet en cause son travail parce qu'il n'aurait pas les diplômes qu'il prétend avoir. Je trouve ça problématique. Voilà, si je pourrais pas un texte comme ça, je le ferais comme ça.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as fait des études d'histoire de l'art, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Je l'ai dans le management des marchés de l'art. que j'ai étudié aux États-Unis. J'ai eu la chance d'avoir... J'ai fait un séjour dans une famille au père qui a prolongé mon séjour et moyennant le paiement de parcours d'études. Ce qui était incroyable. On parlait de chance, de gens que tu rencontres. Je ne pense pas que je serai là. Et ça ne s'est joué à rien. Ça s'est joué au fait que j'adorais faire des cookies avec leurs enfants. que je l'ai surprotégée quand ils étaient au parc, à côté de la route, et que les parents se sont dit « Non mais attends, elle est hyper dévouée. Je m'endormais avec eux dans leur lit. Je leur lisais plein d'histoires. On faisait des ateliers. » C'est bête, en fait, ils se sont dit, mais elle est vachement investie, absolument en flemme de trouver quelqu'un d'autre dans le coin. Autant trouver un bon deal. Et il se trouve que ces personnes avaient beaucoup, beaucoup d'argent, étaient aussi des collectionneurs. Et c'est eux, c'est via eux, que j'ai découvert le monde de l'art, tardivement.

  • Speaker #1

    Et on parlait, il y a deux minutes, de ce challenge, de cette pression en France, des diplômes, etc. Quand tu as lancé l'ONG Digital for the Planet, est-ce que ça a été un sujet ? Est-ce qu'on t'a challengée parce que tu es une femme dans la tech, une ONG ? Enfin, tu as tous les...

  • Speaker #0

    L'environnement !

  • Speaker #1

    Tu te les traînes tous. Donc, j'imagine que ça n'a pas été difficile. Et peut-être juste rappeler ce qu'est Digital for the Planet, pour ceux qui ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    Digital for the Planet, c'est une ONG que j'ai fondée il y a presque sept ans, qui promeut la manière dont on peut utiliser le numérique de manière plus vertueuse, sur le plan environnemental, cognitif et sur le plan sociétal. On construit des programmes de formation pour la jeunesse en Europe. On fait des plaidoyers, du lobbying sur les grandes places décisionnelles comme Bruxelles, Washington, l'Elysée, etc. Et on a donc co-écrit des amendements, on travaille sur des projets de loi, des feuilles de route gouvernementales, etc. Quand je suis arrivée, il n'y avait même pas encore toute... Aujourd'hui, on a une très belle panoplie de journalistes environnementaux, d'activistes militantes. Elles n'existaient pas encore à ce moment-là. Et alors, l'environnement et le numérique, à l'époque, et l'associatif, c'était des mondes cruellement noyautés par les hommes. Et souvent, très peu de diversité, voire pas. Et puis pas du tout de notre génération. Pour te le faire très court, j'ai eu menaces, intimidations, boycott. Ah oui ? Oui. J'avais été invitée à être auditionnée et participer à une commission ministérielle avec le ministère de l'Environnement. Un grand patron de la tech qui en faisait partie, il se trouve qu'il devait m'apprécier, m'envoie un screenshot dans une boucle de mail avec une autre personne qui est dans l'associatif aussi, dans l'environnement, et qui a dit « Il est hors de question que cette femme vienne dans la commission. Si elle vient, je prendrai ça comme une insulte personnelle. Elle n'a aucune légitimité. C'est une intéressée. » Elle n'a rien à voir avec nous et elle n'a rien à faire ici, elle n'apportera rien au débat. C'était d'une violence. Et donc cet entrepreneur qui m'envoie ça, qui avait le vent en poupe, quelqu'un de très pinon sur rue, que je connais à peine en fait, il me dit voilà je préfère te le dire, c'est pas ton ami lui. Parce que cette personne, dans la vraie vie, me salue, m'encourage et me dit...

  • Speaker #1

    C'est super ce que tu fais.

  • Speaker #0

    Et puis moi, de manière très directe, c'est à la manière comme on aime, j'ai demandé à cet entrepreneur qui m'a donné l'info, je lui ai dit « t'aurais pas son numéro ? » Il me dit « si, si, tiens » . Donc il m'envoie son numéro et je l'appelle. « Allô ? » « Oui, allô ? » « Oui, bonjour, Inès Lonnarduzzi. » « Oui, j'aimerais qu'on parle de ton mail que t'as envoyé à toute la boucle au ministère. » Directeur du cabinet inclus dans la boucle, on peut en parler. Ah là je fais les courses avec ma fille, on peut se rappeler. Bien sûr, je te rappelle dans combien de temps ? Trois quarts d'heure, ça te va ? Je te rappelle. Puis évidemment, il a botté en touche, il m'a expliqué qu'il me trouvait incroyable, pleine de talent, que la commission pourrait l'utiliser. Pourquoi je raconte jusqu'au bout l'histoire et son issue ? Parce que ça m'a profondément détruite ce mail-là. Parce que c'était humiliant, il y avait peut-être 60 personnes dans la boucle. Et là, je suis gentille, je n'arrive pas à tout dire, mais il a employé des mots gravissimes, des mots qui ont engagé mon intégrité personnelle, les raisons pour lesquelles je faisais ça. Il a joué tous les clichés de la femme, parvenue, arriviste, opportuniste, intéressée, pas honnête. Enfin, il a dit des choses terribles. Et c'est pour dire qu'il ne faut jamais rester terré. Ces gens-là, qui ont suffisamment lâche pour faire les choses derrière notre dos, il faut savoir aller les cueillir gentiment. et puis tu sais, sans violence en fait. Bonjour, j'aimerais comprendre. Il ne me semblait pas que vous éprouviez tout ce mépris quand vous m'avez serré la main lors de notre dernière table ronde. Après, on ne peut pas plaire à tout le monde et ça, j'ai beaucoup composé avec. Tu vois, mon grand-père, Imam, qui m'a beaucoup élevée, me disait toujours « Même Dieu, il ne fait pas l'unanimité. » C'est vrai. « Pourquoi toi, tu voudrais que tout le monde t'aime ? » Et c'était une super philosophie qui m'a beaucoup... ... C'est lui qui m'a enseigné qu'il y avait plus de mots pour dire amour que pour dire Dieu, qu'il y a 99 mots pour dire Allah, Dieu, et il y en a 100 pour dire amour. Il n'y a aujourd'hui aucune langue dans le monde, aucune, qui dispose d'une telle nuance dans le sentiment de l'amour. Il y a donc un livre qui s'appelle « Les 100 noms de l'amour » de Malik Chebel. pour celles et ceux qui souhaiteraient le découvrir, qui est, pour moi, on ne peut pas quitter ce monde sans avoir lu ce livre. C'est juste un trésor. Mon grand-père était un, il nous a quittés, hélas, et c'était un imam très éclairé, qui avait des prêches très progressistes, et c'est lui qui a fait de moi une féministe. C'était vraiment mon oasis de paix, mon grand-père. Il restait dans sa chambre comme beaucoup de pères arabes. Il restait beaucoup dans sa chambre, il priait tout le temps. Et j'étais la seule à avoir le droit de rentrer. Il y avait des corans partout, des tapis de prière. Il fallait toujours que ce soit tout propre. Et je passais du temps là-bas et parfois il ouvrait une boîte et il avait un côté très austère. Il était grand, les cheveux blancs, la barbe blanche, toujours en robe et un regard très noir. Et il faisait peur à tout le monde. Il n'y a personne qui branchait avec mon chanteur. Et moi, en fait, j'étais celle à qui il montrait l'enfant qui vivait en lui. Donc, il me faisait des trucs genre... Tu vois, il me faisait des grimaces. Et il me sortait des poupées Barbie, des poupées, des sneakers, plein de trucs comme ça de ses tiroirs. Et il me disait « Chut ! » et il me les donnait, tu sais. Et un jour, il m'a mis un dessin animé dans sa chambre. Et je regardais si c'était sur une princesse. Et j'étais tellement conflite avec mon grand-père, je devais avoir 12 ans, et je lui dis, c'était l'époque où je me sentais très moche. Je lui dis, j'ai dit, tu crois que je vais rencontrer le prince charmant, moi, un jour ? Tu vois, tellement désespérée, tellement... C'était tellement pas méchant.

  • Speaker #1

    Elle se fait chier à mon tour pour avoir la lumière.

  • Speaker #0

    C'était tellement... Normalement, on ne dit pas ça à son grand-père. Et il m'a regardée, il a froncé les sourcils, déçue, tu sais. Il m'a regardée, il m'a dit, si tu trouves le prince charmant... Prends le cheval et pars avec ! Qu'est-ce qui te va te fatiguer ? Mais qu'après un changement ! Il m'a dit si, c'est lui qui te rattrape. Ah,

  • Speaker #1

    j'adore !

  • Speaker #0

    Et en fait, ça m'a bouleversée. Et c'est à 16 ans où j'entendais pour la énième fois des disputes, ce genre de choses. J'étais dans ma chambre, j'avais tous mes poèmes, mes chansons sur mon lit étalées sur mes feuilles, mes feuilles libres, perforées, qui étaient en vrac. Je me rappellerai toute ma vie de ce moment-là et je me suis dit, il y a des gens qui m'aiment, oui, mais personne ne viendra me sauver. Et il faut que moi, je trace mon chemin. Il faut que moi, j'aille à la rencontre de qui je suis. Ce n'est pas possible, je ne peux pas être tout ça sans être rien. Et je crois que ce que je viens de dire... Ça peut ne vouloir rien dire pour des gens, mais je crois qu'il y a plein de gens qui vont exactement comprendre ce que je veux dire. Je ne peux pas être tout ça sans être rien. Il fallait que j'aille rencontrer qui j'étais, transgresser des règles qu'on me donnait et qui ne devaient pas être les miennes. Et je me suis beaucoup raccrochée à ce que mon grand-père m'a dit. Prends un cheval, il n'y a que ça qu'il te faut. Et il l'avait complété avec quelque chose comme « C'est ton métier qui va faire que tu vas t'aimer » . Et il me disait toujours « Gagne ton propre argent, parce que c'est que comme ça qu'aucun homme ne pourra te manquer de respect » . Et il me le répétait, mais dès qu'il me voyait, il m'attrapait « Ça va, ça va à l'école, ça va bien, super. Tu travailles bien à l'école comme ça, toi ? » Tu vas gagner beaucoup d'argent, comme ça il n'y a pas un homme. Il te manque de respect. Il me dit une chose avec le doigt sous l'œil, comme ça, dans l'air de dire, je te regarde et je t'ai à l'œil. En fait, il ne m'en a pas fallu plus.

  • Speaker #1

    C'est génial. C'est génial,

  • Speaker #0

    j'ai la chair de poule. Il me manque.

  • Speaker #1

    Sans transition, tu es maman d'un petit garçon.

  • Speaker #0

    Oui, qui est le portrait craché de mon grand-père.

  • Speaker #1

    C'est vrai ? C'est génial ça.

  • Speaker #0

    Sauf qu'il a les yeux bleus. Mon grand-père avait les yeux marrons.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que la maternité a changé en toi, Inès ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de choses. D'abord, je vais le dire dans l'ordre dont ça me vient. La première chose, c'est la peur. J'ai appris ce que c'était que la peur en devenant mère, on ne va pas se mentir. C'est fou de voir qu'en fait, tout ce que tu es maintenant ne tient qu'à... un être humain, ou à deux, à trois, quand tu as plusieurs enfants. Et que s'il arrive quoi que ce soit à cet être, c'est terminé. Je pensais que je serais évidemment une mauvaise mère. J'ai toujours pensé que je n'aurais pas d'enfants. Je pensais que j'en adopterais sur le tard. Je me disais, je vais devenir riche, j'adopterai des enfants, je vais les faire kiffer, tu vois. Mais c'est tout. Je me disais que je n'aurais pas de famille, je me disais que... Pourquoi ? Parce que je pensais que déjà, aucun homme voudrait se mettre avec moi. J'étais vraiment, quand je te dis que je n'avais pas d'estime, Bouchra, c'était terrible et vraiment pathétique. C'est comme ça. Je pense que ça arrive à plein de femmes et c'est aussi pour ça que je veux en parler avec beaucoup, avec autant de facilité. Parce que je crois qu'en fait, il faut vraiment qu'on en parle. Moi, quand je vois des femmes qui me disent « mais t'as une assurance » , tu te rends compte, je donne des conférences sur le charisme, Bouchra. Je coache des dirigeants. sur la place de Paris, dans les entreprises les plus puissantes, sur leur posture de pouvoir. Et moi, ma psy, dernière fois, elle me fait parler. Et à un moment donné, elle m'arrête, elle fait « Ah ! À ce point, Inès ? » « À ce point,

  • Speaker #1

    tu as gêné ? »

  • Speaker #0

    Parce que parfois, je lui dis « Vous savez, si vous en avez marre, vous avez le droit de me dire que vous n'avez plus pu me prendre. » Elle me dit « Mais ça ne va pas ? » Elle me dit « Mais qu'est-ce qui s'est passé ? » Elle est bouleversée, elle, de voir comment... La dichotomie entre moi, publique, et moi dans son cabinet. Et c'est pas grave parce que je regarde. C'est encore en moi, parce que c'est ce qui j'ai été et on reste ce qu'on a été, toujours dans une part de nous. Mais à la fois, j'ai développé une femme puissante, sûre d'elle. Ça veut pas dire que parfois je doute pas de moi. Et donc je veux vraiment le dire ça, parce que ça peut exister, ça coexiste. Mais donc pour revenir à ta question, la peur. Donc moi je pensais pas devenir mère. Parce que je pensais que ce n'était pas pour moi. C'était trop bien pour moi, une famille. Et c'était surcoté. Et en fait, quand je suis devenue mère, je me suis dit... Ah oui, puis après, je me suis cachée derrière des choses du genre... Comme je m'étais dit que c'est ma carrière qui allait faire de moi une femme qui s'aime. Je me suis dit, je n'aurai jamais le temps pour un enfant. Et en réalité, j'ai composé. Et j'en parlais encore récemment. J'adore... J'adore être une maman, d'être dévouée à ma famille. J'ai une copine qui se moque de moi, elle me dit « toi tu es mi-Amazon, mi-Gueisha » . Elle me dit « quand je te vois dehors, tu es un cheval, tu es un hydra de tête » . Elle me dit « tu es sur ton cheval avec ton épée, il n'y a rien qui te fait peur dehors. » Et quand tu es chez toi... Tu es dévouée à ta famille, à ton chéri, à ton fils. Et je dis, mais je vois que tu te régales. Ils te disent, laisse-nous, on va faire. Non, non, non, laissez-moi. J'adore me mettre à quatre pattes avec mon fils, jouer avec lui, lui lire des bouquins, faire à manger. Tu vois, soigner mon intérieur, les draps, ils sont bons. Tu sais bien faire des gâteaux. Nos amis qui viennent avec nous en vacances l'été, on loue une maison, je suis à la cuisine toute la journée. Mais genre, j'ai vraiment... Mais tu prends plaisir. Je me réconcilie avec le côté... Avec le côté familial qui vit en moi, tout ce que j'ai pas pu peut-être vivre avant, il y a aussi ce côté très arabe, ce côté très nord-africain, oriental, qui est de cuisiner pour les autres. Regarde, moi je suis venue là chez toi, tu m'accueilles avec 1, 2, 3, 4, 5, 6 gâteaux, plus des fruits, plus... Toi t'échappes pas à l'arrêt, t'as sorti un autre truc sur le bar là-bas, j'ai vu, mais tu t'es dit peut-être, si jamais ça va pas. Donc il y a quelque chose de... quand même qui appartient, qui est très universel, mais qui est très présent dans notre culture.

  • Speaker #1

    Mais comment tu fais ça ? Parce que c'est l'autre question. Comment on jongle avec tout ça ? C'est pas évident.

  • Speaker #0

    Eh bien, tu loupes des trains, et c'est pas grave.

  • Speaker #1

    Tu loupes des trains pros ? Ou des trains perso ?

  • Speaker #0

    Non, pro. Il faut faire un choix. En fait, à un moment donné, tu ne peux pas toujours passer entre les gouttes. Il faut accepter de trancher, de choisir un camp. Ma famille passe avant. Tout le reste. C'est très égoïste. Techniquement, qu'est-ce qui me rend le plus heureux ? C'est ma famille. Et je sais que je loupe des trains. De toute façon, je te l'ai déjà dit tout à l'heure. Il y a des gens, quand je n'aime pas leur vibe, je n'y vais pas. Et pourtant, ça promet à plein d'avantages. Je me dis que ça ne va pas me porter chance, tu sais. Je me dis que Moi je veux garder cette part d'instinct qu'on a réussi à nommer. Tu vois, c'est renifler, je suis une renifleuse, vraiment. Il y a un côté très animal chez moi et je fais très attention à ce que me dicte mon instinct. Et donc aussi il faut louper quelques traits en plus pour ta famille. Je trouve qu'il n'y a pas de meilleure raison.

  • Speaker #1

    Parce que l'ONG, vous êtes combien ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, il y a près de 100 000 membres dans le monde. Et on a une équipe de 12 personnes qui fédère les activités principales et les autres sont gérées par des membres qui s'organisent en groupe de travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc tu gères l'équipe de 12 ?

  • Speaker #0

    Même pas, ils s'autogèrent de plus en plus. Moi je fais mon deuxième mandat de présidente et je pense pas que je vais le renouveler. J'aimerais qu'elle continue de vieillir, de grandir, mais avec d'autres esprits, d'autres intelligences. On crée des choses aussi pour les laisser partir et puis moi j'ai d'autres rêves qui m'attendent. Puis là, j'ai 36 ans, j'ai envie de prendre le temps, peut-être. Juste prendre le temps, voilà.

  • Speaker #1

    Et est-ce qu'élever un petit garçon dans le monde dans lequel on vit, ça rajoute une pression peut-être différente de ce rôle de maman, de ce qu'on transmet, de ce qu'on laisse ?

  • Speaker #0

    Je pense que j'aurais la même pression si c'était une fille. Mais oui, élever un enfant aujourd'hui, c'est bien sûr que c'est une pression. Déjà, on ne sait pas dans quel monde on va les laisser. On ne sait pas si ce serait l'apocalypse, si on pourrait respirer, s'il y aura de l'eau pour tout le monde, tu vois. On ne va pas se mentir, en tant que maman et papa, on se pose tous ces questions. Non, élever un enfant, un garçon qui plus est, on s'attache à ce qu'il ait des valeurs universelles, on s'attache à ce qu'il développe une identité qui lui soit propre, sans toxicité, qu'il sera aimé, quoi qu'il choisisse d'être. L'amour inconditionnel, je crois que c'est ce qui est le plus... Un enfant a besoin de sécurité et de tendresse. J'ai appris aussi une chose récemment, c'est que c'est pas parce qu'on est... pas maltraité, qu'on est bien traité.

  • Speaker #1

    C'est très vrai ça.

  • Speaker #0

    Moi j'ai fait l'écueil très longtemps. C'est pas parce que les gens ne te frappent pas, ne t'insultent pas, ne te brutalisent pas psychologiquement que t'es bien traité. La bien-traitance, c'est des câlins, c'est rappeler tous les jours qu'on t'aime, tous les jours que t'es... Mon fils, il me demande, il a 3 ans et demi, il me dit « Maman, tu m'aimes ? » Je lui dis « Mais bien sûr mon amour, je t'aime. » Il me dit « Pourquoi tu m'aimes ? » C'est sa nouvelle question. Je pourrais lui répondre « Parce que t'es mon fils. » Mais du coup, ça annihile complètement les raisons qu'il a intrinsèquement d'être ma mère. Je lui dis parce que d'abord, tu es un petit gars extraordinaire. Et puis en plus, j'ai le privilège d'être ta maman.

  • Speaker #1

    Génial.

  • Speaker #0

    Mais voilà, j'essaye de le nourrir en amour, en tendresse. Dans mon livre, j'écris, je suis allée en Inde et j'ai rencontré une réalisatrice, Leila, qui a beaucoup documenté la violence faite aux femmes dans les villages indiens. de la violence souvent perpétrée, souvent et presque exclusivement perpétrée par des hommes. Et en fait, elle explique, après avoir fait des études, que la violence... On a souvent la tendance à penser que les enfants battus vont battre leurs enfants. Il y a plein de facteurs qui font que c'est parfois vrai. Mais en fait, on peut complètement se défaire de ça, puisque c'est ce que je dis un petit peu sans le dire depuis le début, mais je pense que j'en suis aussi la preuve vivante. J'avais très peur de ça. Tu vois, je ne voulais pas avoir d'enfants parce que tout le monde me disait, tu sais, les enfants battus, ça bat les enfants. Donc moi, je me disais, mais je ne veux pas faire ça à des enfants. Et en fait, il se trouve que je suis un foutu. On a eu des limaces sur notre terrasse et je lui ai dit à mon chéri, non, non, non, on va les déposer en bas.

  • Speaker #1

    Surtout les touches pas.

  • Speaker #0

    Et puis, il voulait les jeter. On va les mettre en bas. On les pose dans un chantiment. Un jantemout. Et donc Leïla me disait qu'elle s'était aperçue que ce n'est pas nécessairement le fait d'avoir été battue, on peut ne pas avoir été battue et battre. Et d'ailleurs c'est aussi fréquent que l'autre cas. Mais c'est surtout quand on a manqué de tendresse enfant et quand on a été peu touché. Et en réalité aujourd'hui on corrèle scientifiquement, dans une grande mesure, le fait que les personnes qui ont été peu touchées, peu câlinées, ont plus de facilité et sont plus inclines. à demain, trouver facilement le chemin de la violence sur l'autre. Parce que ces personnes s'handicapent, en plus de plein d'autres facteurs, évidemment, de l'absence de connaissance de la sensation d'une caresse, d'une étreinte, d'une main posée sur ton bras, qu'on prenne ta main pour la serrer délicatement, pour te dire qu'on est là. Et en fait, aujourd'hui, sur le plan neuroscientifique, on sait que moins on est touché, moins... On inclut la tendresse dans les rapports sociaux, plus on est agressif. Et d'ailleurs, on l'observe avec le numérique. À force d'être dans des socialités sans corps derrière nos écrans, il est bien plus facile de menacer, d'insulter, d'humilier des gens. Donc les socialités sans corps, qui sont encouragées aujourd'hui par l'ultracapitalisme et les sociétés dans lesquelles nous vivons, nous induisent de devenir des gens violents. Et ça, il faut s'en prémunir. J'en parle beaucoup dans mon livre, qui est presque un plaidoyer pour moi. Et bon... Pour revenir à mon fils, j'essaye évidemment de lui apprendre la douceur, la force aussi, le courage. Le courage d'être lui, le courage d'aimer les autres, le courage de la nuance, le courage de la pensée complexe. Toutes ces choses-là qui aujourd'hui nous échappent. Aujourd'hui, on est dans qui a la meilleure punchline.

  • Speaker #1

    Et puis la pensée unique, c'est noir ou blanc.

  • Speaker #0

    C'est terrible. Donc voilà, c'est ça la pression. C'est d'en faire un être humain libre. et plutôt de bonne composition. Ça sera déjà pas mal.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #0

    Je lui dirais qu'elle était parfaite. Parfaite pas dans le sens où elle n'avait rien à développer ou ce genre de perfection-là. Elle était parfaite pour son âge. Elle était parfaite parce que quand tu es enfant, tu es parfait. Et en réalité, on n'a rien à exiger d'un enfant.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Sur un malentendu, ça peut passer.

  • Speaker #1

    C'est la première chose qui m'est. Un livre ?

  • Speaker #0

    L'humanisme est un soin, de Cynthia Fleury.

  • Speaker #1

    Un lieu ?

  • Speaker #0

    La campagne.

  • Speaker #1

    Ta plus grande fierté ?

  • Speaker #0

    D'avoir réussi à être une femme que je respecte, tout en gardant en vie ma petite fille en moi.

  • Speaker #1

    Et si tu ne devais garder qu'un seul métier pour le restant de tes jours, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Écrivain.

  • Speaker #1

    Une femme de culture arabe que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #0

    Une femme de culture arabe ? Attends parce que tu en as peut-être reçu plein. Tu as dit pour moi, je te dis si c'est reçu ou pas reçu. La première qui me vient... C'est Nesrin Slaoui que tu as eu,

  • Speaker #1

    je crois. Non, je n'ai pas eu.

  • Speaker #0

    Tu ne l'as pas eu ? Qui a une force incroyable et un parcours de vie. Et je pense que c'est important de connaître ce genre de parcours de vie. Elle a des idées. C'est une femme qui sait se battre pour les idées qu'elle défend. Et je trouve que c'est inédit des femmes comme elle.

  • Speaker #1

    Merci infiniment. C'était un vrai plaisir de discuter avec toi.

  • Speaker #0

    Merci pour ton écoute, Bouchra.

  • Speaker #1

    À très bientôt. À bientôt.

  • Speaker #2

    Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Heya underscore podcast. A très bientôt.

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Description

Cette semaine je suis ravie de partager ma conversation avec Ines Leonarduzzi, cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet.

 

Vous laurez compris Inès a plus d’une corde à son arc et un parcours très inspirant.

 

Dans cet épisode, elle retrace son enfance en Normandie au sein d’un couple mixte : papa italo-croate et une maman Berbère d’Algérie. Éduquée par son grand-père imam, elle a été scolarisée dans une école catholique. 

 

Inès revient sur son adolescence et ses complexes passés issus de l’effet pervers des diktats de la beauté de l’époque. Elle se livre sans filtre sur le harcèlement subi à l’école et ses conséquences sur la petite fille qu’elle était.

 

Elle partage également la difficulté qu’elle a eu plus jeune à appréhender et maîtriser sa double identité. Inès évoque avec beaucoup d’émotions les précieux conseils transmis par son grand-père qui ont contribué à bâtir la femme qu’elle est devenue.

 

Enfin, nous avons discuté d´amour de soi, de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité.


Un épisode à cœur ouvert que j’ai pris un plaisir immense à enregistrer.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Inès Leonarduzzi.

 

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Pour suivre Inès

Instagram: @inesleonarduzzi


Pour suivre Heya 

Instagram: @heya_podcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur HEYA. En arabe, HEYA signifie « elle » . C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est double. Tout d'abord, promouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Inès Léonard-Duzzi, chef d'entreprise, autrice, professeure à Sciences Po et fondatrice de l'ONG Digital for the Planet. Vous l'aurez compris, Inès a plus d'une corde à son arc et a un parcours très inspirant. Dans cet épisode, Inès revient sur son enfance en Normandie, au sein d'un couple mixte, papa d'origine italienne et croate et une maman algérienne berbère. Elle a été éduquée par son grand-père, imam, et scolarisée dans une école catholique. Inès revient sur son adolescence et ses complexes nés par le poids des dictates de la beauté de l'époque. Elle nous parle sans filtre du harcèlement subi à l'école, ainsi que les conséquences que ça a eu sur la petite fille qu'elle était. Elle revient sur la difficulté qu'elle a eu plus jeune à expliquer sa double identité. Inès partage avec beaucoup d'émotion les conseils donnés par son grand-père, qui feront la femme qu'elle est devenue. Nous avons aussi discuté d'amour de soi. de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité. Un épisode à cœur ouvert que j'ai adoré enregistrer. Sans plus attendre, je laisse place à la réé du jour, Inès Léonard-Dodzi. Bonjour Inès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ausha.

  • Speaker #0

    Merci d'être mon invitée. On essaye d'organiser cette interview depuis quelques temps et je suis ravie de t'avoir et de le faire face to face, ce qu'on ne fait pas souvent vu que je n'habite pas en France. Donc je suis ravie et merci d'être là.

  • Speaker #1

    Merci à toi, je suis très contente aussi.

  • Speaker #0

    Inès, la tradition sur Réa, c'est de commencer par les origines. Donc si tu es d'accord, est-ce que tu pourrais nous parler de l'enfance que tu as eue, l'éducation que tu as reçue, comment la petite Inès a grandi ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Moi, je suis issue d'une famille mixte. Mon père est d'origine italienne et croate. Il est né en France et ma mère est aussi née en France. C'est d'origine algérienne, de ses deux parents. Algérienne et plus précisément berbère des Ores. qu'elle est Ausha d'origine, c'est important de le dire. J'ai grandi dans une maison qui prônait l'idée qu'il n'y a qu'un seul Dieu, mais qui a plein de manières d'être au monde. J'ai été beaucoup éduquée par mon grand-père imam, et j'ai été à l'école avec les bonnes sœurs, dans les écoles catholiques. Je vous salue Marie, je connais les prières catholiques et je fais ma shahada tous les soirs, qui est une prière musulmane pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne le sauraient pas. J'ai prié un temps, j'ai une spiritualité, je pense que je m'exprime plutôt en spiritualité. J'ai un rapport à la spiritualité très important. Pas tant dans les dogmes finalement, ce n'est pas du tout quelque chose qui m'appartient. Mais je me suis construite à travers une identité double, qui n'était pas toujours facile à l'extérieur à expliquer, à revendiquer, et aussi trouver sa place. Parce que finalement, même si dans ton cœur, ça se passe très bien, parce que tu es en confiance avec ce que tu es, et puis tu es la preuve que ça fonctionne, puisque tu existes. Mais il y a ce regard, aussi bien dans ma famille... Dans ma famille et mes proches, plutôt du côté nord-africain qui me disait « Toi, t'es française, mais t'es pas vraiment arabe. Ça se voit comment tu parles, comment tu marches, comment tu t'habilles, comment tu penses. » Et du côté plutôt, eh bien, j'aime pas dire franco-français, parce que moi j'ai l'impression d'être française au maximum aussi. Mais voilà, du côté plutôt non-musulman. Nord-africain, j'étais au contraire une arabe. Et puis sans aucun souci de nuance, voilà, t'es arabe. Du coup, tu navigues avec ça et puis t'apprends surtout à vivre avec. Mon enfance, j'ai grandi en Normandie, comme je le disais, et à la campagne. Ce qui m'a aussi beaucoup préservée parce qu'il n'y avait personne. Donc je me cachais souvent, j'étais très casanière, je restais dans les bois, au bord de la rivière. Et je lisais beaucoup. Je lisais énormément les mille et une nuits, les poètes français, les poètes arabes, comme Unsi Al-Haj, Adonis. J'ai très vite aimé Mabaudelaire, Rimbaud, des poétesses aussi uruguayennes sur lesquelles je tombais. J'attrapais tous les livres que je pouvais, notamment dans les petits marchés. Il y avait des petites brocantes souvent dans les petits villages à côté, où avec ma mère on allait, on vendait des choses aussi. Et j'achetais tous les bouquins que je pouvais à 20 centimes, 50 centimes de France. Voilà, donc je me suis construite avec du coup une vision très universelle. Rapidement, je me suis aperçue que l'identité, c'est un concept mouvant et très personnel. En réalité, on descend de nos parents, on descend de nos origines, mais on devient, on crée une identité qui est propre à nos expériences. à nos parcours de vie, à la géographie aussi. Je n'aurais pas été la même enfant métisse en ville ou dans une tour à New York ou dans un HLM en banlieue parisienne ou dans le 7e. J'étais à la campagne avec des vaches, avec un PMU et des Georges et des Robert à 11h au Ricard, tu vois, avec des agriculteurs.

  • Speaker #0

    Du coup, dans ce village, Il n'y a pas beaucoup de personnes de diversité, j'imagine que c'est... J'étais la seule. Et ce que tu disais, c'est qu'on te renvoyait du côté nord-africain, on te disait, toi, tu n'es pas complètement une arabe, regarde la manière avec laquelle tu parles, etc. Et en France, est-ce qu'on te renvoyait plus à ton arabité du fait de tes origines et des origines de ta maman ?

  • Speaker #1

    Oui, c'était souvent... C'était plus mon physique. J'avais les cheveux frisés. Donc les gens les touchaient, me demandaient d'où ça venait. Et j'ai une tache de naissance sur le visage qui a rapetissé avec le temps parce que mon visage a grandi mais petite, elle prenait vraiment une grande place sur mon visage. Et les gens venaient essayer de l'essuyer en pensant que j'étais sale parce qu'il y avait des préjugés en fait.

  • Speaker #0

    C'est dur ça non ? Comment tu le vivais ?

  • Speaker #1

    Quand j'étais petite, la chance que j'ai eue, en réalité, ce qu'il faut comprendre, c'est que les personnes qui ont des signes distinctifs et qui peuvent faire objet de complexe, moi par exemple aujourd'hui, ça m'arrive dans toutes les personnes qui m'interpellent dans la rue, au café, au restaurant, pour me dire que j'ai une tache sur le visage, que je suis sale. Et bien, il arrive que souvent des femmes me disent « vous savez que vous pouvez le faire enlever ? » Ah bon ? Mais je ne savais pas, je l'ignorais. et il se trouve que moi j'adore ma tâche de naissance il se trouve que je merci, il se trouve que je l'adore et pourquoi je dis ça ? Parce que mes parents m'ont fait grandir avec l'idée que ça me donnait du charme et que c'était mon identité et je crois que les complexes naissent quand on n'a pas été mis en confiance avec nos atouts distinctifs si on a toujours regardé un signe distinctif avec un peu de regret ou les gens qui te disent ah C'est dommage que tu aies ça, évidemment tu vas construire un immense complexe. Il se trouve que moi mes parents me disaient que c'était ce qui faisait tout mon charme. Donc c'était que le reste n'était pas... C'est vrai que j'adore ma tâche de naissance. Et c'est vrai que quand on me disait, oui évidemment, quand tu es une petite fille et qu'on te répète tous les jours, « T'es sale, il faut te nettoyer le visage. » « Tes parents ne t'ont pas nettoyé le visage ce matin ? » « Tu sais, il faut se laver. Il faut dire à tes parents qu'il faut nettoyer le visage des enfants. » Et toi, tu leur dis « Non, c'est une tâche de naissance. » Donc c'est vrai qu'en réalité, non, ça forge. une espèce de résistance sans aigreur, en fait. Tu réponds en disant, mais non, c'est mon grain de beauté. Et comme son nom l'indique, ça me rend belle. Non, voilà, donc ce qu'on regardait, c'était surtout mes cheveux frisés, ma couleur de peau, et on me ramenait souvent à ça.

  • Speaker #0

    Et ça te gênait ? Enfin, c'est plus dur. Là, avec du recul, évidemment, l'analyse est plus évidente. Mais dans la tête d'une petite fille, quand on ne ressemble pas au reste du groupe, quand on te le fait remarquer, quand on te le touche d'autant plus. C'est presque une agression, entre guillemets. J'exagère peut-être, mais c'est quand même toucher une partie du corps de quelqu'un sans forcément être d'accord et pas pour dire que c'est joli ou quoi. Est-ce que ça t'a fait peut-être à des moments renier ou être moins dans la fierté de cette origine-là ?

  • Speaker #1

    Toute petite, je ne me rendais pas compte de ce que ça voulait dire, donc ça ne me dérangeait pas. C'était complètement un dolor et ça glissait comme sur les plumes d'un canard. C'est en devenant une pré-adolescente que les complexes sont nés. Je me suis construite l'identité d'une petite fille pas belle du tout. J'étais persuadée d'être moche parce que j'ai vraiment grandi dans un environnement où les dictats, c'était d'être blonde, d'avoir les cheveux très lisses, d'avoir des yeux bleus. Et je me rappellerai toujours d'un petit garçon que j'aimais beaucoup à l'école, de manière très platonique, mais qui était blond aux yeux bleus. Et lui m'a complètement... Et moi, en plus, je suis quelqu'un de très timide. Jusqu'à aujourd'hui, je suis hyper timide dès qu'il s'agit des interrelations personnelles. Et j'ai beaucoup de bagouts comme ça sur scène, quand je donne des conférences, quand je suis dans les médias, mais en réalité, je suis un vrai bébé chat. Et je me rappelle être allée le voir, mais évidemment sans jamais lui dire, lui déclarer ma flamme, mais juste jouer avec lui. Et en fait, il m'avait complètement éconduite en me disant que j'étais moche. Et il était évidemment amoureux de la blonde aussi. Et en fait, oui, à ce moment-là, tu te forges l'idée que comme tu n'as pas le bon physique, tu ne plairas jamais. Et évidemment, comme ton physique ne te plaît pas, les garçons qui te ressemblent ne te plaisent pas. Parce qu'ils sont par définition moches aussi. C'est dur à dire, c'est hyper violent de dire ça, mais j'en parle aujourd'hui avec beaucoup de recul. Évidemment, j'ai fait du chemin, on va en parler très certainement. Mais à cette époque-là, j'en ai parlé à ma mère, c'est drôle qu'on ait cette conversation aujourd'hui. Parce que je crois que c'était hier matin, j'avais ma maman au téléphone. Et on parlait de nous, de la famille, et d'une manière, on arrive sur une conversation qui est la suivante. Je lui racontais que pendant mes années d'études, j'avais eu un moment où tous les matins, je me levais, je me regardais, je me disais « Ma pauvre, t'es tellement moche, comment tu vas faire pour camoufler cette laideur ? » Et ma mère a dit « Mais pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? » Et je sentis qu'elle était bouleversée au téléphone et je me demande même si elle n'a pas pleuré. Du coup, je m'en suis un peu voulue de lui avoir dit ça. J'ai dit non, mais maman, ça va mieux. Et elle s'est lancée dans une tirade. Mais ma fille, t'es belle, mais regarde comme les gens te regardent. Regarde tes photos. Et moi, avec de l'humour, je dis, mais maman, j'en ai pris 100. C'est la centième fois que tu me vois sur les réseaux sociaux. Il y en avait 99 qui étaient terribles. Et donc, elle rigole parce qu'évidemment, j'appartiens aussi à une culture comme toi. Très drôle, avec beaucoup d'humour, ça sauve. Mais non, oui, les complexes sont nés à ce moment-là où en effet, je ne me trouvais pas jolie.

  • Speaker #0

    Et à quoi rêver cette petite Inès, timide, cachée un peu dans ses bouquins, dans sa campagne ? Comment t'imaginer cette vie ? J'entends cette préadolescence un peu compliquée au niveau du physique, ou de comment toi tu le percevais. Qu'est-ce que tu imaginais de ta vie d'adulte ? Est-ce qu'un métier t'attirait ? Comment tu te projetais ?

  • Speaker #1

    En fait, je n'avais aucun rêve. Je n'ai pas non plus eu une enfance rêvée. Ce n'est pas quelque chose que je pourrais qualifier comme ça. J'ai eu une enfance plutôt jonchée de conflits familiaux et de violences. Il y a eu aussi la précarité. toutes ces choses-là, qui ont fait que l'enfance pour moi, et même l'adolescence, ça a été une route assez sinueuse. Une route où tous les matins, c'était pas évident de projeter ta journée. Et alors en avenir, c'était encore plus compliqué. J'ai vécu une adolescence qui relevait l'ordre de la survie. C'était comment je parviens à rester en vie, en fait. J'avoue que je n'avais pas de rêve. J'avais le rêve de partir et de m'émanciper. J'avais le rêve d'être moi et de partir à ma conquête. En réalité, je me suis aperçue très rapidement vis-à-vis de l'environnement où je m'évoluais, où je grandissais, que je ne savais pas du tout qui j'étais. On projetait en plus sur moi beaucoup de choses qui n'étaient pas toujours vraies. Et c'était très compliqué. Comme beaucoup de petites filles, j'ai été harcelée à l'école, très longtemps. J'ai été frappée à l'école primaire par toute ma classe, y compris ce petit garçon que j'aimais beaucoup, et la jeune fille qu'il aimait beaucoup aussi. Et en fait, il m'insultait une fois de plus, des insultes qui étaient relatives à ma couleur de peau. Et puis j'ai répondu. J'ai répondu quelque chose du genre, je crois, « Vous allez tous me laisser tranquille, je ne vais pas me laisser faire un truc, quelque chose comme ça, parce que j'en avais marre. » Et ça n'a pas du tout été apprécié, ils m'ont tous couru après. J'ai couru jusqu'au bout de la cour et au bout de la cour, je n'ai rien trouvé d'autre à faire puisque le grillage arrivait, de me blottir contre une porte dans un coin et je me suis mise en boule et ils m'ont tous rué de coups. Et après, ça m'a complètement traumatisée dans les relations humaines et à l'école, donc je n'avais pas d'amis, j'étais toujours toute seule et mes bouquins étaient mes copains. Et donc, comme beaucoup aussi d'enfants... Vers 14-15 ans, j'avais même des idées sombres, très sombres. J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer une super prof qui m'a donné beaucoup confiance en moi. Madame Larbi, Christelle Larbi. Elle était adorable avec moi et je voulais absolument savoir si elle était arabe. et elle ne voulait jamais me répondre elle me disait et c'est les questions très bêtes d'enfants complètement intrusifs je disais mais vous êtes musulmane ? parce que c'est important pour moi je vous laisse la voix il n'y a pas longtemps j'ai donné une conférence chez Chanel et on m'a on a porté à mon attention qu'une des jeunes femmes qui travaillent là-bas, qui était là-bas, a fait une obsession du fait, elle voulait absolument savoir si j'étais algérienne Et elle me disait, mais on s'en fiche. Elle dit, non, moi, je veux savoir parce que je crois qu'elle est algérienne. Et moi, je comprends. Tu comprends le besoin,

  • Speaker #0

    l'importance d'avoir cette information.

  • Speaker #1

    Et j'ai dit, mais dites-lui. C'est comme ça que je suis là. Et en fait, Madame Larbi, elle me disait, mais je n'ai pas à te répondre, Inès. C'est ma vie privée. Et moi, je trouvais que c'était violent.

  • Speaker #0

    Ben oui, je ne comprends pas.

  • Speaker #1

    Et en réalité... Aujourd'hui, je la comprends. Il se trouve que Mme Larbi est française, mariée avec un Libanais chrétien.

  • Speaker #0

    Donc, tu disais qu'elle t'a beaucoup aidée.

  • Speaker #1

    Absolument. Pourquoi je parle de ses origines ? C'est parce que, quelque part, en projetant sur elle des fantasmes, qu'elle était peut-être métisse comme moi, ça m'a vachement raccrochée à quelque chose, à un modèle.

  • Speaker #0

    Ça devient un rôle modèle, un peu.

  • Speaker #1

    Ça devient un rôle modèle. Donc, tu vois, il ne s'agit que d'un nom. Et qui pour moi, en fait, a été peut-être que j'aimerais bien aider les gens comme elle aide les gens, comme elle m'aide moi. Et c'est elle qui m'a redonné le goût à moi-même, en fait. Et donc, aider les autres a toujours été quelque chose qui me parlait. J'ai fondé ma première association à 17 ans. Avec des copains, et ensuite je me suis fait des amis, en réalité grâce à la musique, parce que je me suis mise à chanter. En fait, j'écrivais énormément du fait que je lisais beaucoup, j'écrivais des poèmes et des chansons. J'écrivais des chansons et un jour je me suis mise à les chanter, et je me suis aperçue que je savais chanter. Et donc j'ai attiré l'attention de groupes de musique locaux qui m'ont demandé de les rejoindre, et ça a été ma première... famille d'amis en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est dingue parce que la petite timide qui se cachait allait chanter sur scène, le grand écart l'exercice est quand même périlleux et difficile.

  • Speaker #1

    C'était très très périlleux mais je ne sais pas, je n'étais pas la même d'ailleurs j'avais un blase tu vois. Donc j'étais le Sasha Fierce tu vois. C'était une autre personnalité qui s'exprimait.

  • Speaker #0

    Mais c'est ça, mais tu as besoin de ça du coup pour...

  • Speaker #1

    Oui, j'ai vraiment besoin, même aujourd'hui, quand je monte sur scène pour donner des conférences, je mets ma casquette où toutes mes failles personnelles n'apparaissent pas. En réalité, je les laisse, je les mets précieusement dans une petite boîte parce que j'y tiens aussi à mes failles, à mes fragilités, mes vulnérabilités. Mais à ce moment-là, je les exprime autrement ou en tout cas, elles sont au service d'un moment de puissance. Et donc oui, chanter a été très... salvateur pour moi. D'abord sur le plan hum... mentale, tu vois, à chanter, moi ça m'apaisait et je chantais tout le temps quand je pleurais chez moi, quand j'étais triste, je me mettais à pleurer c'était comme si je me berçais moi-même en fait, je me chantais une berceuse et ça me permettait d'aller mieux en fait et aujourd'hui on le sait dans la recherche dans les neurosciences c'est aujourd'hui très documenté que le chant permet d'envoyer des signaux au corps notamment d'envoyer l'endorphine ... de la dopamine, donc des hormones de bien-être, de bonheur, de plaisir. Et en réalité, à l'époque, je l'ai fait de manière très instinctive, comme beaucoup de gens le font, en fait. Pareil, le soir, parfois, je n'arrivais pas à m'endormir, soit parce qu'il y avait des conflits à la maison, soit parce qu'il y avait trop de choses qui s'étaient passées dans la journée de brutale. Je chantais pour m'endormir, donc je me chantais à moi-même des berceuses. Et le chant a été non seulement quelque chose qui m'a réparée, Mais en plus, il m'a offert mes premières amitiés. Et j'ai aussi pris confiance en moi en tant qu'écrivaine, parce que j'ai commencé à écrire des chansons et qui étaient chantées après par d'autres personnes.

  • Speaker #0

    Et tu ne te disais pas, c'est un métier que j'ai envie de faire pour le coup ? Si. Parce que ça mixe. Et tu as essayé ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé, mais je me suis arrêtée à la porte d'entrée. J'étais tellement tétanisée par la timidité et la peur d'échouer que je ne passais pas la barrière des castings.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qui te reste souvent ? On a un peu des rêves un peu cachetés et on se dit peut-être qu'un jour...

  • Speaker #1

    En fait, j'ai un ukulélé chez moi et j'en joue et je chante dessus des chansons que j'écris. Et je me dis que si un jour j'ai du temps, j'aimerais bien enregistrer mes propres chansons et peut-être faire un petit album, mais quelque chose de très indé. Mais quand je suis arrivée à Paris, je chantais dans des cafés. Ah oui ? Oui, je venais, j'allais me présenter au patron ou à la patronne, ils avaient souvent une scène, et je disais « bonjour, je suis chanteuse » . C'est que je n'ai jamais raconté ça à personne, personne ne me raconte ça. Et je me faisais 50, 80, 100 euros par soir, et je chantais toute la soirée avec un pianiste ou quelqu'un qui m'accompagnait au santé, et c'était toujours à la guitare aussi. Je me sentais bien, en fait, parce que j'étais un peu dans ma bulle, la lumière sur moi, mais moi qui ne vois pas. Donc, ce n'est pas tant le fait d'avoir la lumière, c'est le fait que c'était chaud. Ça me donnait chaud et je me sentais dans un petit cocon où je ne vois personne. Je suis complètement éblouie et où j'ai cette vibration vocale en moi qui m'apaise.

  • Speaker #0

    Oui, et puis c'est thérapeutique aussi, j'imagine, d'écrire en plus tes chansons à toi. Donc, tu communiques des sentiments, des choses, des ressentis qui viennent de toi. Je pense que c'est différent que d'interpréter les chansons, ce qui doit être autant thérapeutique. Mais je pense qu'il y a aussi cette notion de dire ses paroles à soi, ses sentiments et les choses qu'on a ressenties.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci, je suis ravie de découvrir des facettes qu'on ne connaissait pas. Tu parlais un peu de ça, tu disais que quand tu mettais ton chapeau de conférencière, tes failles restaient un peu dans une boîte. Je le lis un peu à cette question. Tu sais, avant de préparer l'interview, j'ai regardé ton site, j'ai lu des interviews, etc. J'ai essayé de préparer et d'être un peu sérieuse. Évidemment, je le dis à l'intro, des distinctions, tu as reçu énormément de distinctions, beaucoup de prix. Ton CV est vraiment impressionnant. Mais tu rajoutes une phrase que j'ai trouvée hyper intéressante et qu'on ne voit pas. C'est que tu as la liste et à la fin, tu rajoutes « Il y a aussi tous les projets que j'ai extraordinairement échoués » . C'est rare de voir ça, encore moins sur Internet, sur un CV digital où les gens souvent se vendent et tu essaies aussi de te vendre, ce qui est normal. Mais il y a cette petite touche finale, il y a des failles, il y a des choses qu'on ne réussit pas. Pourquoi c'était important pour toi de rajouter ça ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense que déjà, c'est vrai. J'ai l'impression de mentir par omission en ne parlant que de mes succès. Mais mes succès sont moins nombreux que mes échecs. Il y a aussi un côté... Je déteste me prendre au sérieux. Et c'est vrai que moi-même, parfois, je rougis un peu quand je lis des articles ou la liste des distinctions que j'ai pu recevoir. Et je n'en ai pas du tout conscience, en fait, de ce que ça peut représenter dans les yeux des gens. Je prends un peu la mesure quand je vois où est-ce qu'on peut m'inviter, la manière dont je peux être reçue, où je me dis « Waouh, mais à ce niveau tout petit déjà, ça donne ça, ces distinctions. » J'imagine même pas les grands de ce monde, la manière dont ils peuvent être accueillis, reçus. Et c'est vrai que pour moi, c'est important de... On me le dit souvent, tu laisses pas la place au fantasme.

  • Speaker #0

    Tu casses tout de suite.

  • Speaker #1

    Tout de suite, je casse. Et je fais souvent ça quand j'arrive sur scène, où il y a un maître de cérémonie qui dit « Elle a reçu tant de prix, elle a réussi à faire ça, elle a voyagé, dansé, elle a écrit... » Et moi, plus on me dit ça... plus ça me rend toute petite et la première chose que je fais c'est d'arriver sur scène en disant je viens pas du tout d'un milieu élitiste j'ai échoué beaucoup de choses et je suis hyper mnésique donc je retiens beaucoup de choses et notamment des gens que j'ai pu croiser et il se trouve qu'à un moment donné j'avais croisé une fille que j'avais emmenée sur un projet dans lequel j'ai complètement échoué et je dis ah bah tiens elle était moi on la montre rendu d'où ah ah Et quand je fais ça, je me grandis. J'ai l'impression de devenir plus grande. Je pense aussi que j'ai un esprit très critique et je trouve aussi très dommage qu'on vive dans un monde où on valorise non seulement, parfois, des espèces de profils intempestifs et complètement fantasmés où on a levé 15 millions et on mesure la valeur des gens à l'argent qu'ils gagnent, à l'argent qu'ils lèvent, alors que... profondément, par exemple, dans ce cas précis, lever de l'argent, ça veut dire que tu n'arrives pas à faire de la croissance organique. On ne va pas se mentir. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons pour rester dans le milieu de l'entrepreneuriat et l'image que je voulais apporter. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons de PME, de TPE qui font de la croissance organique, qui ne gagnent pas des mille et cent, qui ne font pas la une sur LinkedIn, mais qui sont balafrêtes partout, qui ont les mains dans le cambouis toute la journée. Et il y a quelque chose aussi qui est très proche de mes racines. de ma classe d'origine. Là d'où je viens, le travail, c'est important. Là d'où je viens, c'est ça qui te donne de la valeur. C'est si tu te lèves tôt le matin et que tu rentres après un travail bien fait.

  • Speaker #0

    Mais du coup, t'as l'impression que ça amoindrit ce que tu fais, que toi, t'as pas les mains dans le cambouis, que t'es moins dans la souffrance, peut-être physique, de l'exemple que tu prenais.

  • Speaker #1

    Évidemment. Il y a toujours la sensation, aujourd'hui, je suis ce qu'on peut appeler une transclasse. C'est-à-dire que je vis largement au-dessus des moyens qu'on avait quand j'étais petite.

  • Speaker #0

    Et donc j'ai changé d'environnement social aussi. J'ai changé d'environnement professionnel et forcément intellectuel. Oui, je crois qu'on ressent toujours une sensation d'être traître à là d'où l'on vient et que pour moi, peut-être de rappeler ça, c'est important. Il y a aussi un usage qui est très fréquent dans mon milieu d'aujourd'hui, c'est qu'évidemment, j'ai de la chance. J'ai de la chance au quotidien. C'est de plus en plus facile à mesure du temps d'obtenir... les résultats que je veux, d'accéder à des personnes qui peuvent me permettre d'aller plus vite, de signer des contrats plus vite. Et c'est vrai pour plein de gens dans mon entourage, parce que la chance, c'est quelque chose qui grandit à mesure qu'on a un entourage de qualité, et quand je dis de qualité, ça veut dire qu'il y a les moyens, qui a les bonnes professions, le bon réseau, etc. Et ça me dérange parce que ce qui est dit souvent dans ces environnements-là, c'est Je suis arrivée là tout seule parce que je travaille. Et c'est faux. Moi, les gens de qualité, pour moi, c'est les personnes que j'ai rencontrées enfant, qui m'ont inculqué des valeurs très terriennes, très terroires, qui sont la loyauté, ne pas rompre la confiance de quelqu'un. On double personne par la droite. On ne vole pas, on ne ment pas. On ne fanfaronne pas quand on gagne. On ne se moque pas des autres quand ils sont par terre. Au contraire, on les tient pour qu'ils puissent mieux se relever. C'est ça pour moi la qualité de... Chez les gens. Et d'ailleurs, aujourd'hui, il y a des gens qui me disent que je ne suis pas du tout stratégique, pas du tout opportuniste, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, vu ma présence sur les réseaux sociaux, etc. Et je maîtrise parfaitement ma communication. Et je sais que je pourrais aller beaucoup plus loin. Et je ne le fais pas. Et on me reproche parfois. On me dit « tu n'as pas compris comment on fait. Parfois, lui, tu aurais dû lui parler, tu ne l'as pas fait. » Alors que lui, il pourrait te faire avancer. Je dis « oui, mais lui, il ne croit pas. » pas aux valeurs auxquelles je crois et ça me dérange. Elle, elle ne croit pas en l'amour. Ça me dérange aussi. Et ça, je viens vite à le débusquer. Et je me fiche de savoir si tu es millionnaire, si tu connais le président, si tu peux me faire rentrer dans tel écosystème ou tel environnement. Je ne me sens pas à ma place, pas alignée. Et c'est peut-être aussi pour ça que je... Très rapidement, je montre mon jeu. Moi, voilà d'où je viens, voilà qui je suis. Il y a peut-être quelque part... Aussi, une manière d'assouvir mon besoin de dire je ne suis pas une traître, je suis là, mais voilà si vous m'entendez les autres, regardez ce que je dis, et je le dis et je l'assume et j'en suis fière. Mais aussi une façon pour moi de montrer tout de suite mon jeu, de dire qui je suis, quelle est ma couleur, quel est mon bois. Et donc tout de suite voir si les gens ça les intéresse pas, et ben ils vont ailleurs. Et je pourrais mille fois... il y a beaucoup de gens qui pensent que je suis une fille d'une grande famille, et juste par la manière dont je parle, la manière dont je peux présenter. les idées que j'ai, le fait que je puisse parler de Vladimir Jankiewicz ou de Bergson et avoir des grandes théories sur le monde du travail en 2050 les gens se disent, elle a forcément fait des études extrêmement brillantes, elle a dû grandir et dîner tous les soirs avec des gens et des esprits très érudits et en fait, bah du tout mes parents étaient des petits commerçants on a fait faillite 20 fois on avait les huissiers qui venaient à la maison on... et on a vécu une grande partie de notre vie dans la précarité. Donc pour moi, c'est important de rappeler qu'en fait, non, la chance, si j'ai de la chance aujourd'hui, c'est grâce à toutes les personnes que j'ai rencontrées qui m'ont fait confiance, qui m'ont parfois donné une deuxième chance. Parce que quand on doute de soi, quand on doute de soi, et quand on n'a pas d'estime de soi, on dégrade son être. On se met à la hauteur de l'estime qu'on a de nous-mêmes. Moi, par exemple, je mentais beaucoup. enfant. Et je m'en suis beaucoup voulue après pour ça. Parce que c'est pas digne de quelqu'un de confiance de mentir. Je mentais sur ma vie, je mentais sur... J'ai menti sur mes origines, mais même pas par complexe, d'où je venais. C'était m'inventer une fantaisie, une autre vie, venir d'ailleurs, en fait. C'était être autre que je ne suis, parce que moi, je m'aime pas. Et... Aujourd'hui, je sais qu'un enfant qui ment, c'est un enfant qui souffre. J'aurais tendance à le prendre dans mes bras, à le chérir, à lui dire à quel point il est beau, à quel point... Il peut faire ce qu'il veut. Et oui, je crois qu'il y a des gens qui ont vu parfois que je me perdais, comme on se perd quand on est jeune, mais qui m'ont donné une deuxième chance. Qui m'ont dit, mais non, mais... Réessaye. Réessaye parce que tu as raté ton essai. Et ça, c'est tellement précieux. C'est beau que les gens croient en toi, mais quand ils recroient en toi, c'est incroyablement précieux. J'ai eu de la chance, parce que oui, j'ai travaillé. Mais j'ai travaillé d'une certaine manière. parce qu'on avait cru en moi dans un premier temps. En réalité, on est toujours la somme de toutes nos rencontres. et la somme de tout ce qu'on a vu. Et aujourd'hui, j'ai encore une espèce de dissonance avec ma classe d'aujourd'hui, qui est une classe qui valorise les distinctions. Ton look, les gens que tu connais. Et tout ça est important dans le monde dans lequel je vis. Mais pour moi, j'aurais raté ma vie si j'oubliais d'où je viens.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux associer ça à ce qu'on appelle le syndrome de l'imposteur ? Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens parfois ?

  • Speaker #0

    Oui, évidemment. Et à la fois, non. J'ai tendance à dire que moi, j'ai eu le syndrome de la survie. C'est-à-dire que pour moi, l'important, c'était le concept du syndrome de l'imposteur. C'est né dans les années 70. Ça a été développé par deux femmes occidentales, bien nées, privilégiées. Et plein de femmes comme moi, elles n'ont pas ce luxe de se poser dans un canapé et se demander dans quelle étagère. Est-ce que j'ai le droit de faire des choses ? À un moment donné, il fallait payer le loyer. Et j'ai eu, à un moment donné, quand même, cette espèce de... Regain de vitalité qui m'imposait de quand même faire quelque chose qui me rende heureuse. J'avais tellement cette revanche à prendre sur mon enfance qui était pour moi... J'étais malheureuse comme petite fille. Être heureuse pour moi dans mon métier aujourd'hui, c'est un prérequis. J'ai besoin de faire que des choses que j'aime.

  • Speaker #1

    Et c'est un luxe aussi.

  • Speaker #0

    C'est un grand luxe et qui demande beaucoup de sacrifices. Donc je travaille beaucoup en ce sens-là. C'est pour ça que mes amis me disent souvent... Tu travailles trop, tu travailles beaucoup. Et je dis, ouais, mais j'aime ce que je fais. Je dormirai quand je serai morte. Tu vois, le genre de phrase qu'on balance. Et puis, t'inquiète pas, si j'ai envie de m'arrêter, je suis suffisamment têtu et avec du tempérament pour m'arrêter. Donc, moi, en réalité, oui, plein de fois, je me dis, est-ce que je suis à la bonne place ? Est-ce que c'est à moi de le faire ? Est-ce qu'il n'y a pas quelqu'un d'autre qui serait mieux que moi ? Mais ça, c'est peut-être presque... C'est peut-être bien de se poser cette question-là dans une petite mesure. Je pense que ça permet de se remettre en question, de ne pas s'asseoir sur ses acquis. de ne pas penser qu'on a tout compris de la vie et qu'on n'a plus rien à apprendre. Par contre, non, j'ai aussi compris que personne ne viendrait me donner ma légitimité, que c'est à moi d'aller la prendre, qu'on ne me donnera jamais ce que je veux sans que j'en demande, en tout cas que j'en fasse la demande. Donc, syndrome de l'imposteur, on le gère, mais il est l'heure de questions qui viennent me mettre des limites.

  • Speaker #1

    Tu parlais des études et de l'importance, en tout cas en France et ailleurs, de tafé. telle étude et donc tu fais ça et donc tu es spécialisé dans ça. Et tu dis, et j'ai lu ça dans une autre interview, où tu disais je m'interdis de me spécialiser, j'aime apprendre et partager de manière générale. Néanmoins, je m'adonne à approfondir mes connaissances et mes réflexions sur des sujets de fond. On est vraiment dans cette époque de plus en plus où il y a les slasheurs, où les gens ont différentes facettes, plusieurs jobs qui peuvent aller d'un extrême à l'autre et c'est dans ça qu'ils s'épanouissent. Mais on a aussi cette... contrainte, en France en tout cas, beaucoup de tel et tel diplôme, et si tu n'as pas fait ça, mais non, mais il n'a fait qu'à l'école, etc. Comment tu as vécu, toi, ça ? Comment tu t'es sentie à l'aise et légitime de faire tout ce que tu fais, d'avoir tout ce panel, tout ce beau portefeuille, et de ne pas t'arrêter à cette pression-là ?

  • Speaker #0

    Mais c'est vrai qu'en France, c'est une pression. Il faut justifier tes diplômes, et d'ailleurs, on parlait de mensonges tout à l'heure. Il n'y a pas longtemps, j'assistais à un dîner où on parlait, on se moquait allègrement d'un homme, notamment d'origine nord-africaine, qui est un jeune homme qui a écrit plein de bouquins en neurosciences et dans d'autres sujets, et dont on a dit qu'il n'avait pas les diplômes qu'il disait avoir. Il s'agit d'Idriss Aberkane. Je ne sais pas si ces accusations sont vraies, parce qu'il se trouve que je ne connais pas ce monsieur. Et je ne sais pas s'il a ses diplômes ou pas. Mais en tout cas, on a beaucoup dit, après qu'il ait eu beaucoup de succès, qu'il avait menti et qu'il n'était pas le docteur qu'il disait être, etc. Et en fait, tout le monde était assez d'accord sur dire, oh là là, c'est pas bien d'être croqué comme ça. Et évidemment, je me suis dit, je vais être encore la personne d'origine nord-africaine qui va apprendre, qui va vouloir au secours de cette personne. Et je dis, mais vous vous rendez compte à quel point il y a une pression ? Une pression en France. France du diplôme qui vient dire que tu es compétent dans quelque chose et pas dans une autre. Ça veut dire qu'il y a des gens qui ont 50 ans, qui sont diplômés depuis 30 ans, et que parce qu'ils ont été diplômés de connaissances il y a 30 ans, sont aujourd'hui plus légitimes que des personnes de 35 ans qui n'ont peut-être pas les mêmes diplômes, peut-être qu'ils n'en ont même pas, mais qui ont appris par plein de moyens différents. autant, voire peut-être plus, qui ont une agilité d'esprit, une profondeur d'esprit, une rapidité de pensée. qui est telle qu'en réalité, ces personnes dépassent les personnes diplômées les plus prestigieuses. Parce que qu'est-ce qu'on apprend ? Qu'est-ce qu'on sanctionne avec un diplôme ? On sanctionne le fait que tu as appris par cœur des données et que tu as appris à résoudre des problèmes pour certaines formations et que tu comprends comment se joue la géopolitique de ton métier et de l'environnement dans lequel tu vas travailler. Je parle pour les avocats, etc. Apprendre de la technique, évidemment, pour des métiers comme peut-être la médecine, ce genre de choses. Mais en réalité, pour le reste. Comment est-ce qu'on peut dire qu'un diplôme sanctionné il y a 20 ans peut être beaucoup plus valorisé qu'un apprentissage de tous les jours avec une acuité telle qui fait que cette personne est extrêmement talentueuse et qu'elle peut faire énormément gagner à une entreprise ou à une organisation ? Aujourd'hui, on a ce problème. Et donc, j'ai tenu ce discours-là à la table. Il n'y a pas eu de débat. Ils ont changé de conversation. Mais j'aurais dit, mais je comprends. Je comprends qu'on puisse se dire, je suis à ça d'atteindre mes rêves. Je suis à ça de partager mon savoir. Vous avez tous lu le livre de cette personne. Vous l'avez tous trouvé brillante. D'ailleurs, il n'a rien dit de faux. Donc, en l'occurrence, il nous a enrichi de choses exactes. Mais aujourd'hui, on remet en cause son travail parce qu'il n'aurait pas les diplômes qu'il prétend avoir. Je trouve ça problématique. Voilà, si je pourrais pas un texte comme ça, je le ferais comme ça.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as fait des études d'histoire de l'art, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Je l'ai dans le management des marchés de l'art. que j'ai étudié aux États-Unis. J'ai eu la chance d'avoir... J'ai fait un séjour dans une famille au père qui a prolongé mon séjour et moyennant le paiement de parcours d'études. Ce qui était incroyable. On parlait de chance, de gens que tu rencontres. Je ne pense pas que je serai là. Et ça ne s'est joué à rien. Ça s'est joué au fait que j'adorais faire des cookies avec leurs enfants. que je l'ai surprotégée quand ils étaient au parc, à côté de la route, et que les parents se sont dit « Non mais attends, elle est hyper dévouée. Je m'endormais avec eux dans leur lit. Je leur lisais plein d'histoires. On faisait des ateliers. » C'est bête, en fait, ils se sont dit, mais elle est vachement investie, absolument en flemme de trouver quelqu'un d'autre dans le coin. Autant trouver un bon deal. Et il se trouve que ces personnes avaient beaucoup, beaucoup d'argent, étaient aussi des collectionneurs. Et c'est eux, c'est via eux, que j'ai découvert le monde de l'art, tardivement.

  • Speaker #1

    Et on parlait, il y a deux minutes, de ce challenge, de cette pression en France, des diplômes, etc. Quand tu as lancé l'ONG Digital for the Planet, est-ce que ça a été un sujet ? Est-ce qu'on t'a challengée parce que tu es une femme dans la tech, une ONG ? Enfin, tu as tous les...

  • Speaker #0

    L'environnement !

  • Speaker #1

    Tu te les traînes tous. Donc, j'imagine que ça n'a pas été difficile. Et peut-être juste rappeler ce qu'est Digital for the Planet, pour ceux qui ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    Digital for the Planet, c'est une ONG que j'ai fondée il y a presque sept ans, qui promeut la manière dont on peut utiliser le numérique de manière plus vertueuse, sur le plan environnemental, cognitif et sur le plan sociétal. On construit des programmes de formation pour la jeunesse en Europe. On fait des plaidoyers, du lobbying sur les grandes places décisionnelles comme Bruxelles, Washington, l'Elysée, etc. Et on a donc co-écrit des amendements, on travaille sur des projets de loi, des feuilles de route gouvernementales, etc. Quand je suis arrivée, il n'y avait même pas encore toute... Aujourd'hui, on a une très belle panoplie de journalistes environnementaux, d'activistes militantes. Elles n'existaient pas encore à ce moment-là. Et alors, l'environnement et le numérique, à l'époque, et l'associatif, c'était des mondes cruellement noyautés par les hommes. Et souvent, très peu de diversité, voire pas. Et puis pas du tout de notre génération. Pour te le faire très court, j'ai eu menaces, intimidations, boycott. Ah oui ? Oui. J'avais été invitée à être auditionnée et participer à une commission ministérielle avec le ministère de l'Environnement. Un grand patron de la tech qui en faisait partie, il se trouve qu'il devait m'apprécier, m'envoie un screenshot dans une boucle de mail avec une autre personne qui est dans l'associatif aussi, dans l'environnement, et qui a dit « Il est hors de question que cette femme vienne dans la commission. Si elle vient, je prendrai ça comme une insulte personnelle. Elle n'a aucune légitimité. C'est une intéressée. » Elle n'a rien à voir avec nous et elle n'a rien à faire ici, elle n'apportera rien au débat. C'était d'une violence. Et donc cet entrepreneur qui m'envoie ça, qui avait le vent en poupe, quelqu'un de très pinon sur rue, que je connais à peine en fait, il me dit voilà je préfère te le dire, c'est pas ton ami lui. Parce que cette personne, dans la vraie vie, me salue, m'encourage et me dit...

  • Speaker #1

    C'est super ce que tu fais.

  • Speaker #0

    Et puis moi, de manière très directe, c'est à la manière comme on aime, j'ai demandé à cet entrepreneur qui m'a donné l'info, je lui ai dit « t'aurais pas son numéro ? » Il me dit « si, si, tiens » . Donc il m'envoie son numéro et je l'appelle. « Allô ? » « Oui, allô ? » « Oui, bonjour, Inès Lonnarduzzi. » « Oui, j'aimerais qu'on parle de ton mail que t'as envoyé à toute la boucle au ministère. » Directeur du cabinet inclus dans la boucle, on peut en parler. Ah là je fais les courses avec ma fille, on peut se rappeler. Bien sûr, je te rappelle dans combien de temps ? Trois quarts d'heure, ça te va ? Je te rappelle. Puis évidemment, il a botté en touche, il m'a expliqué qu'il me trouvait incroyable, pleine de talent, que la commission pourrait l'utiliser. Pourquoi je raconte jusqu'au bout l'histoire et son issue ? Parce que ça m'a profondément détruite ce mail-là. Parce que c'était humiliant, il y avait peut-être 60 personnes dans la boucle. Et là, je suis gentille, je n'arrive pas à tout dire, mais il a employé des mots gravissimes, des mots qui ont engagé mon intégrité personnelle, les raisons pour lesquelles je faisais ça. Il a joué tous les clichés de la femme, parvenue, arriviste, opportuniste, intéressée, pas honnête. Enfin, il a dit des choses terribles. Et c'est pour dire qu'il ne faut jamais rester terré. Ces gens-là, qui ont suffisamment lâche pour faire les choses derrière notre dos, il faut savoir aller les cueillir gentiment. et puis tu sais, sans violence en fait. Bonjour, j'aimerais comprendre. Il ne me semblait pas que vous éprouviez tout ce mépris quand vous m'avez serré la main lors de notre dernière table ronde. Après, on ne peut pas plaire à tout le monde et ça, j'ai beaucoup composé avec. Tu vois, mon grand-père, Imam, qui m'a beaucoup élevée, me disait toujours « Même Dieu, il ne fait pas l'unanimité. » C'est vrai. « Pourquoi toi, tu voudrais que tout le monde t'aime ? » Et c'était une super philosophie qui m'a beaucoup... ... C'est lui qui m'a enseigné qu'il y avait plus de mots pour dire amour que pour dire Dieu, qu'il y a 99 mots pour dire Allah, Dieu, et il y en a 100 pour dire amour. Il n'y a aujourd'hui aucune langue dans le monde, aucune, qui dispose d'une telle nuance dans le sentiment de l'amour. Il y a donc un livre qui s'appelle « Les 100 noms de l'amour » de Malik Chebel. pour celles et ceux qui souhaiteraient le découvrir, qui est, pour moi, on ne peut pas quitter ce monde sans avoir lu ce livre. C'est juste un trésor. Mon grand-père était un, il nous a quittés, hélas, et c'était un imam très éclairé, qui avait des prêches très progressistes, et c'est lui qui a fait de moi une féministe. C'était vraiment mon oasis de paix, mon grand-père. Il restait dans sa chambre comme beaucoup de pères arabes. Il restait beaucoup dans sa chambre, il priait tout le temps. Et j'étais la seule à avoir le droit de rentrer. Il y avait des corans partout, des tapis de prière. Il fallait toujours que ce soit tout propre. Et je passais du temps là-bas et parfois il ouvrait une boîte et il avait un côté très austère. Il était grand, les cheveux blancs, la barbe blanche, toujours en robe et un regard très noir. Et il faisait peur à tout le monde. Il n'y a personne qui branchait avec mon chanteur. Et moi, en fait, j'étais celle à qui il montrait l'enfant qui vivait en lui. Donc, il me faisait des trucs genre... Tu vois, il me faisait des grimaces. Et il me sortait des poupées Barbie, des poupées, des sneakers, plein de trucs comme ça de ses tiroirs. Et il me disait « Chut ! » et il me les donnait, tu sais. Et un jour, il m'a mis un dessin animé dans sa chambre. Et je regardais si c'était sur une princesse. Et j'étais tellement conflite avec mon grand-père, je devais avoir 12 ans, et je lui dis, c'était l'époque où je me sentais très moche. Je lui dis, j'ai dit, tu crois que je vais rencontrer le prince charmant, moi, un jour ? Tu vois, tellement désespérée, tellement... C'était tellement pas méchant.

  • Speaker #1

    Elle se fait chier à mon tour pour avoir la lumière.

  • Speaker #0

    C'était tellement... Normalement, on ne dit pas ça à son grand-père. Et il m'a regardée, il a froncé les sourcils, déçue, tu sais. Il m'a regardée, il m'a dit, si tu trouves le prince charmant... Prends le cheval et pars avec ! Qu'est-ce qui te va te fatiguer ? Mais qu'après un changement ! Il m'a dit si, c'est lui qui te rattrape. Ah,

  • Speaker #1

    j'adore !

  • Speaker #0

    Et en fait, ça m'a bouleversée. Et c'est à 16 ans où j'entendais pour la énième fois des disputes, ce genre de choses. J'étais dans ma chambre, j'avais tous mes poèmes, mes chansons sur mon lit étalées sur mes feuilles, mes feuilles libres, perforées, qui étaient en vrac. Je me rappellerai toute ma vie de ce moment-là et je me suis dit, il y a des gens qui m'aiment, oui, mais personne ne viendra me sauver. Et il faut que moi, je trace mon chemin. Il faut que moi, j'aille à la rencontre de qui je suis. Ce n'est pas possible, je ne peux pas être tout ça sans être rien. Et je crois que ce que je viens de dire... Ça peut ne vouloir rien dire pour des gens, mais je crois qu'il y a plein de gens qui vont exactement comprendre ce que je veux dire. Je ne peux pas être tout ça sans être rien. Il fallait que j'aille rencontrer qui j'étais, transgresser des règles qu'on me donnait et qui ne devaient pas être les miennes. Et je me suis beaucoup raccrochée à ce que mon grand-père m'a dit. Prends un cheval, il n'y a que ça qu'il te faut. Et il l'avait complété avec quelque chose comme « C'est ton métier qui va faire que tu vas t'aimer » . Et il me disait toujours « Gagne ton propre argent, parce que c'est que comme ça qu'aucun homme ne pourra te manquer de respect » . Et il me le répétait, mais dès qu'il me voyait, il m'attrapait « Ça va, ça va à l'école, ça va bien, super. Tu travailles bien à l'école comme ça, toi ? » Tu vas gagner beaucoup d'argent, comme ça il n'y a pas un homme. Il te manque de respect. Il me dit une chose avec le doigt sous l'œil, comme ça, dans l'air de dire, je te regarde et je t'ai à l'œil. En fait, il ne m'en a pas fallu plus.

  • Speaker #1

    C'est génial. C'est génial,

  • Speaker #0

    j'ai la chair de poule. Il me manque.

  • Speaker #1

    Sans transition, tu es maman d'un petit garçon.

  • Speaker #0

    Oui, qui est le portrait craché de mon grand-père.

  • Speaker #1

    C'est vrai ? C'est génial ça.

  • Speaker #0

    Sauf qu'il a les yeux bleus. Mon grand-père avait les yeux marrons.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que la maternité a changé en toi, Inès ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de choses. D'abord, je vais le dire dans l'ordre dont ça me vient. La première chose, c'est la peur. J'ai appris ce que c'était que la peur en devenant mère, on ne va pas se mentir. C'est fou de voir qu'en fait, tout ce que tu es maintenant ne tient qu'à... un être humain, ou à deux, à trois, quand tu as plusieurs enfants. Et que s'il arrive quoi que ce soit à cet être, c'est terminé. Je pensais que je serais évidemment une mauvaise mère. J'ai toujours pensé que je n'aurais pas d'enfants. Je pensais que j'en adopterais sur le tard. Je me disais, je vais devenir riche, j'adopterai des enfants, je vais les faire kiffer, tu vois. Mais c'est tout. Je me disais que je n'aurais pas de famille, je me disais que... Pourquoi ? Parce que je pensais que déjà, aucun homme voudrait se mettre avec moi. J'étais vraiment, quand je te dis que je n'avais pas d'estime, Bouchra, c'était terrible et vraiment pathétique. C'est comme ça. Je pense que ça arrive à plein de femmes et c'est aussi pour ça que je veux en parler avec beaucoup, avec autant de facilité. Parce que je crois qu'en fait, il faut vraiment qu'on en parle. Moi, quand je vois des femmes qui me disent « mais t'as une assurance » , tu te rends compte, je donne des conférences sur le charisme, Bouchra. Je coache des dirigeants. sur la place de Paris, dans les entreprises les plus puissantes, sur leur posture de pouvoir. Et moi, ma psy, dernière fois, elle me fait parler. Et à un moment donné, elle m'arrête, elle fait « Ah ! À ce point, Inès ? » « À ce point,

  • Speaker #1

    tu as gêné ? »

  • Speaker #0

    Parce que parfois, je lui dis « Vous savez, si vous en avez marre, vous avez le droit de me dire que vous n'avez plus pu me prendre. » Elle me dit « Mais ça ne va pas ? » Elle me dit « Mais qu'est-ce qui s'est passé ? » Elle est bouleversée, elle, de voir comment... La dichotomie entre moi, publique, et moi dans son cabinet. Et c'est pas grave parce que je regarde. C'est encore en moi, parce que c'est ce qui j'ai été et on reste ce qu'on a été, toujours dans une part de nous. Mais à la fois, j'ai développé une femme puissante, sûre d'elle. Ça veut pas dire que parfois je doute pas de moi. Et donc je veux vraiment le dire ça, parce que ça peut exister, ça coexiste. Mais donc pour revenir à ta question, la peur. Donc moi je pensais pas devenir mère. Parce que je pensais que ce n'était pas pour moi. C'était trop bien pour moi, une famille. Et c'était surcoté. Et en fait, quand je suis devenue mère, je me suis dit... Ah oui, puis après, je me suis cachée derrière des choses du genre... Comme je m'étais dit que c'est ma carrière qui allait faire de moi une femme qui s'aime. Je me suis dit, je n'aurai jamais le temps pour un enfant. Et en réalité, j'ai composé. Et j'en parlais encore récemment. J'adore... J'adore être une maman, d'être dévouée à ma famille. J'ai une copine qui se moque de moi, elle me dit « toi tu es mi-Amazon, mi-Gueisha » . Elle me dit « quand je te vois dehors, tu es un cheval, tu es un hydra de tête » . Elle me dit « tu es sur ton cheval avec ton épée, il n'y a rien qui te fait peur dehors. » Et quand tu es chez toi... Tu es dévouée à ta famille, à ton chéri, à ton fils. Et je dis, mais je vois que tu te régales. Ils te disent, laisse-nous, on va faire. Non, non, non, laissez-moi. J'adore me mettre à quatre pattes avec mon fils, jouer avec lui, lui lire des bouquins, faire à manger. Tu vois, soigner mon intérieur, les draps, ils sont bons. Tu sais bien faire des gâteaux. Nos amis qui viennent avec nous en vacances l'été, on loue une maison, je suis à la cuisine toute la journée. Mais genre, j'ai vraiment... Mais tu prends plaisir. Je me réconcilie avec le côté... Avec le côté familial qui vit en moi, tout ce que j'ai pas pu peut-être vivre avant, il y a aussi ce côté très arabe, ce côté très nord-africain, oriental, qui est de cuisiner pour les autres. Regarde, moi je suis venue là chez toi, tu m'accueilles avec 1, 2, 3, 4, 5, 6 gâteaux, plus des fruits, plus... Toi t'échappes pas à l'arrêt, t'as sorti un autre truc sur le bar là-bas, j'ai vu, mais tu t'es dit peut-être, si jamais ça va pas. Donc il y a quelque chose de... quand même qui appartient, qui est très universel, mais qui est très présent dans notre culture.

  • Speaker #1

    Mais comment tu fais ça ? Parce que c'est l'autre question. Comment on jongle avec tout ça ? C'est pas évident.

  • Speaker #0

    Eh bien, tu loupes des trains, et c'est pas grave.

  • Speaker #1

    Tu loupes des trains pros ? Ou des trains perso ?

  • Speaker #0

    Non, pro. Il faut faire un choix. En fait, à un moment donné, tu ne peux pas toujours passer entre les gouttes. Il faut accepter de trancher, de choisir un camp. Ma famille passe avant. Tout le reste. C'est très égoïste. Techniquement, qu'est-ce qui me rend le plus heureux ? C'est ma famille. Et je sais que je loupe des trains. De toute façon, je te l'ai déjà dit tout à l'heure. Il y a des gens, quand je n'aime pas leur vibe, je n'y vais pas. Et pourtant, ça promet à plein d'avantages. Je me dis que ça ne va pas me porter chance, tu sais. Je me dis que Moi je veux garder cette part d'instinct qu'on a réussi à nommer. Tu vois, c'est renifler, je suis une renifleuse, vraiment. Il y a un côté très animal chez moi et je fais très attention à ce que me dicte mon instinct. Et donc aussi il faut louper quelques traits en plus pour ta famille. Je trouve qu'il n'y a pas de meilleure raison.

  • Speaker #1

    Parce que l'ONG, vous êtes combien ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, il y a près de 100 000 membres dans le monde. Et on a une équipe de 12 personnes qui fédère les activités principales et les autres sont gérées par des membres qui s'organisent en groupe de travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc tu gères l'équipe de 12 ?

  • Speaker #0

    Même pas, ils s'autogèrent de plus en plus. Moi je fais mon deuxième mandat de présidente et je pense pas que je vais le renouveler. J'aimerais qu'elle continue de vieillir, de grandir, mais avec d'autres esprits, d'autres intelligences. On crée des choses aussi pour les laisser partir et puis moi j'ai d'autres rêves qui m'attendent. Puis là, j'ai 36 ans, j'ai envie de prendre le temps, peut-être. Juste prendre le temps, voilà.

  • Speaker #1

    Et est-ce qu'élever un petit garçon dans le monde dans lequel on vit, ça rajoute une pression peut-être différente de ce rôle de maman, de ce qu'on transmet, de ce qu'on laisse ?

  • Speaker #0

    Je pense que j'aurais la même pression si c'était une fille. Mais oui, élever un enfant aujourd'hui, c'est bien sûr que c'est une pression. Déjà, on ne sait pas dans quel monde on va les laisser. On ne sait pas si ce serait l'apocalypse, si on pourrait respirer, s'il y aura de l'eau pour tout le monde, tu vois. On ne va pas se mentir, en tant que maman et papa, on se pose tous ces questions. Non, élever un enfant, un garçon qui plus est, on s'attache à ce qu'il ait des valeurs universelles, on s'attache à ce qu'il développe une identité qui lui soit propre, sans toxicité, qu'il sera aimé, quoi qu'il choisisse d'être. L'amour inconditionnel, je crois que c'est ce qui est le plus... Un enfant a besoin de sécurité et de tendresse. J'ai appris aussi une chose récemment, c'est que c'est pas parce qu'on est... pas maltraité, qu'on est bien traité.

  • Speaker #1

    C'est très vrai ça.

  • Speaker #0

    Moi j'ai fait l'écueil très longtemps. C'est pas parce que les gens ne te frappent pas, ne t'insultent pas, ne te brutalisent pas psychologiquement que t'es bien traité. La bien-traitance, c'est des câlins, c'est rappeler tous les jours qu'on t'aime, tous les jours que t'es... Mon fils, il me demande, il a 3 ans et demi, il me dit « Maman, tu m'aimes ? » Je lui dis « Mais bien sûr mon amour, je t'aime. » Il me dit « Pourquoi tu m'aimes ? » C'est sa nouvelle question. Je pourrais lui répondre « Parce que t'es mon fils. » Mais du coup, ça annihile complètement les raisons qu'il a intrinsèquement d'être ma mère. Je lui dis parce que d'abord, tu es un petit gars extraordinaire. Et puis en plus, j'ai le privilège d'être ta maman.

  • Speaker #1

    Génial.

  • Speaker #0

    Mais voilà, j'essaye de le nourrir en amour, en tendresse. Dans mon livre, j'écris, je suis allée en Inde et j'ai rencontré une réalisatrice, Leila, qui a beaucoup documenté la violence faite aux femmes dans les villages indiens. de la violence souvent perpétrée, souvent et presque exclusivement perpétrée par des hommes. Et en fait, elle explique, après avoir fait des études, que la violence... On a souvent la tendance à penser que les enfants battus vont battre leurs enfants. Il y a plein de facteurs qui font que c'est parfois vrai. Mais en fait, on peut complètement se défaire de ça, puisque c'est ce que je dis un petit peu sans le dire depuis le début, mais je pense que j'en suis aussi la preuve vivante. J'avais très peur de ça. Tu vois, je ne voulais pas avoir d'enfants parce que tout le monde me disait, tu sais, les enfants battus, ça bat les enfants. Donc moi, je me disais, mais je ne veux pas faire ça à des enfants. Et en fait, il se trouve que je suis un foutu. On a eu des limaces sur notre terrasse et je lui ai dit à mon chéri, non, non, non, on va les déposer en bas.

  • Speaker #1

    Surtout les touches pas.

  • Speaker #0

    Et puis, il voulait les jeter. On va les mettre en bas. On les pose dans un chantiment. Un jantemout. Et donc Leïla me disait qu'elle s'était aperçue que ce n'est pas nécessairement le fait d'avoir été battue, on peut ne pas avoir été battue et battre. Et d'ailleurs c'est aussi fréquent que l'autre cas. Mais c'est surtout quand on a manqué de tendresse enfant et quand on a été peu touché. Et en réalité aujourd'hui on corrèle scientifiquement, dans une grande mesure, le fait que les personnes qui ont été peu touchées, peu câlinées, ont plus de facilité et sont plus inclines. à demain, trouver facilement le chemin de la violence sur l'autre. Parce que ces personnes s'handicapent, en plus de plein d'autres facteurs, évidemment, de l'absence de connaissance de la sensation d'une caresse, d'une étreinte, d'une main posée sur ton bras, qu'on prenne ta main pour la serrer délicatement, pour te dire qu'on est là. Et en fait, aujourd'hui, sur le plan neuroscientifique, on sait que moins on est touché, moins... On inclut la tendresse dans les rapports sociaux, plus on est agressif. Et d'ailleurs, on l'observe avec le numérique. À force d'être dans des socialités sans corps derrière nos écrans, il est bien plus facile de menacer, d'insulter, d'humilier des gens. Donc les socialités sans corps, qui sont encouragées aujourd'hui par l'ultracapitalisme et les sociétés dans lesquelles nous vivons, nous induisent de devenir des gens violents. Et ça, il faut s'en prémunir. J'en parle beaucoup dans mon livre, qui est presque un plaidoyer pour moi. Et bon... Pour revenir à mon fils, j'essaye évidemment de lui apprendre la douceur, la force aussi, le courage. Le courage d'être lui, le courage d'aimer les autres, le courage de la nuance, le courage de la pensée complexe. Toutes ces choses-là qui aujourd'hui nous échappent. Aujourd'hui, on est dans qui a la meilleure punchline.

  • Speaker #1

    Et puis la pensée unique, c'est noir ou blanc.

  • Speaker #0

    C'est terrible. Donc voilà, c'est ça la pression. C'est d'en faire un être humain libre. et plutôt de bonne composition. Ça sera déjà pas mal.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #0

    Je lui dirais qu'elle était parfaite. Parfaite pas dans le sens où elle n'avait rien à développer ou ce genre de perfection-là. Elle était parfaite pour son âge. Elle était parfaite parce que quand tu es enfant, tu es parfait. Et en réalité, on n'a rien à exiger d'un enfant.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Sur un malentendu, ça peut passer.

  • Speaker #1

    C'est la première chose qui m'est. Un livre ?

  • Speaker #0

    L'humanisme est un soin, de Cynthia Fleury.

  • Speaker #1

    Un lieu ?

  • Speaker #0

    La campagne.

  • Speaker #1

    Ta plus grande fierté ?

  • Speaker #0

    D'avoir réussi à être une femme que je respecte, tout en gardant en vie ma petite fille en moi.

  • Speaker #1

    Et si tu ne devais garder qu'un seul métier pour le restant de tes jours, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Écrivain.

  • Speaker #1

    Une femme de culture arabe que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #0

    Une femme de culture arabe ? Attends parce que tu en as peut-être reçu plein. Tu as dit pour moi, je te dis si c'est reçu ou pas reçu. La première qui me vient... C'est Nesrin Slaoui que tu as eu,

  • Speaker #1

    je crois. Non, je n'ai pas eu.

  • Speaker #0

    Tu ne l'as pas eu ? Qui a une force incroyable et un parcours de vie. Et je pense que c'est important de connaître ce genre de parcours de vie. Elle a des idées. C'est une femme qui sait se battre pour les idées qu'elle défend. Et je trouve que c'est inédit des femmes comme elle.

  • Speaker #1

    Merci infiniment. C'était un vrai plaisir de discuter avec toi.

  • Speaker #0

    Merci pour ton écoute, Bouchra.

  • Speaker #1

    À très bientôt. À bientôt.

  • Speaker #2

    Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Heya underscore podcast. A très bientôt.

Description

Cette semaine je suis ravie de partager ma conversation avec Ines Leonarduzzi, cheffe d’entreprise, autrice et fondatrice de l’ONG Digital for the Planet.

 

Vous laurez compris Inès a plus d’une corde à son arc et un parcours très inspirant.

 

Dans cet épisode, elle retrace son enfance en Normandie au sein d’un couple mixte : papa italo-croate et une maman Berbère d’Algérie. Éduquée par son grand-père imam, elle a été scolarisée dans une école catholique. 

 

Inès revient sur son adolescence et ses complexes passés issus de l’effet pervers des diktats de la beauté de l’époque. Elle se livre sans filtre sur le harcèlement subi à l’école et ses conséquences sur la petite fille qu’elle était.

 

Elle partage également la difficulté qu’elle a eu plus jeune à appréhender et maîtriser sa double identité. Inès évoque avec beaucoup d’émotions les précieux conseils transmis par son grand-père qui ont contribué à bâtir la femme qu’elle est devenue.

 

Enfin, nous avons discuté d´amour de soi, de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité.


Un épisode à cœur ouvert que j’ai pris un plaisir immense à enregistrer.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Inès Leonarduzzi.

 

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Pour suivre Inès

Instagram: @inesleonarduzzi


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur HEYA. En arabe, HEYA signifie « elle » . C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est double. Tout d'abord, promouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Inès Léonard-Duzzi, chef d'entreprise, autrice, professeure à Sciences Po et fondatrice de l'ONG Digital for the Planet. Vous l'aurez compris, Inès a plus d'une corde à son arc et a un parcours très inspirant. Dans cet épisode, Inès revient sur son enfance en Normandie, au sein d'un couple mixte, papa d'origine italienne et croate et une maman algérienne berbère. Elle a été éduquée par son grand-père, imam, et scolarisée dans une école catholique. Inès revient sur son adolescence et ses complexes nés par le poids des dictates de la beauté de l'époque. Elle nous parle sans filtre du harcèlement subi à l'école, ainsi que les conséquences que ça a eu sur la petite fille qu'elle était. Elle revient sur la difficulté qu'elle a eu plus jeune à expliquer sa double identité. Inès partage avec beaucoup d'émotion les conseils donnés par son grand-père, qui feront la femme qu'elle est devenue. Nous avons aussi discuté d'amour de soi. de transclasses, du poids des diplômes en France et de maternité. Un épisode à cœur ouvert que j'ai adoré enregistrer. Sans plus attendre, je laisse place à la réé du jour, Inès Léonard-Dodzi. Bonjour Inès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ausha.

  • Speaker #0

    Merci d'être mon invitée. On essaye d'organiser cette interview depuis quelques temps et je suis ravie de t'avoir et de le faire face to face, ce qu'on ne fait pas souvent vu que je n'habite pas en France. Donc je suis ravie et merci d'être là.

  • Speaker #1

    Merci à toi, je suis très contente aussi.

  • Speaker #0

    Inès, la tradition sur Réa, c'est de commencer par les origines. Donc si tu es d'accord, est-ce que tu pourrais nous parler de l'enfance que tu as eue, l'éducation que tu as reçue, comment la petite Inès a grandi ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Moi, je suis issue d'une famille mixte. Mon père est d'origine italienne et croate. Il est né en France et ma mère est aussi née en France. C'est d'origine algérienne, de ses deux parents. Algérienne et plus précisément berbère des Ores. qu'elle est Ausha d'origine, c'est important de le dire. J'ai grandi dans une maison qui prônait l'idée qu'il n'y a qu'un seul Dieu, mais qui a plein de manières d'être au monde. J'ai été beaucoup éduquée par mon grand-père imam, et j'ai été à l'école avec les bonnes sœurs, dans les écoles catholiques. Je vous salue Marie, je connais les prières catholiques et je fais ma shahada tous les soirs, qui est une prière musulmane pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne le sauraient pas. J'ai prié un temps, j'ai une spiritualité, je pense que je m'exprime plutôt en spiritualité. J'ai un rapport à la spiritualité très important. Pas tant dans les dogmes finalement, ce n'est pas du tout quelque chose qui m'appartient. Mais je me suis construite à travers une identité double, qui n'était pas toujours facile à l'extérieur à expliquer, à revendiquer, et aussi trouver sa place. Parce que finalement, même si dans ton cœur, ça se passe très bien, parce que tu es en confiance avec ce que tu es, et puis tu es la preuve que ça fonctionne, puisque tu existes. Mais il y a ce regard, aussi bien dans ma famille... Dans ma famille et mes proches, plutôt du côté nord-africain qui me disait « Toi, t'es française, mais t'es pas vraiment arabe. Ça se voit comment tu parles, comment tu marches, comment tu t'habilles, comment tu penses. » Et du côté plutôt, eh bien, j'aime pas dire franco-français, parce que moi j'ai l'impression d'être française au maximum aussi. Mais voilà, du côté plutôt non-musulman. Nord-africain, j'étais au contraire une arabe. Et puis sans aucun souci de nuance, voilà, t'es arabe. Du coup, tu navigues avec ça et puis t'apprends surtout à vivre avec. Mon enfance, j'ai grandi en Normandie, comme je le disais, et à la campagne. Ce qui m'a aussi beaucoup préservée parce qu'il n'y avait personne. Donc je me cachais souvent, j'étais très casanière, je restais dans les bois, au bord de la rivière. Et je lisais beaucoup. Je lisais énormément les mille et une nuits, les poètes français, les poètes arabes, comme Unsi Al-Haj, Adonis. J'ai très vite aimé Mabaudelaire, Rimbaud, des poétesses aussi uruguayennes sur lesquelles je tombais. J'attrapais tous les livres que je pouvais, notamment dans les petits marchés. Il y avait des petites brocantes souvent dans les petits villages à côté, où avec ma mère on allait, on vendait des choses aussi. Et j'achetais tous les bouquins que je pouvais à 20 centimes, 50 centimes de France. Voilà, donc je me suis construite avec du coup une vision très universelle. Rapidement, je me suis aperçue que l'identité, c'est un concept mouvant et très personnel. En réalité, on descend de nos parents, on descend de nos origines, mais on devient, on crée une identité qui est propre à nos expériences. à nos parcours de vie, à la géographie aussi. Je n'aurais pas été la même enfant métisse en ville ou dans une tour à New York ou dans un HLM en banlieue parisienne ou dans le 7e. J'étais à la campagne avec des vaches, avec un PMU et des Georges et des Robert à 11h au Ricard, tu vois, avec des agriculteurs.

  • Speaker #0

    Du coup, dans ce village, Il n'y a pas beaucoup de personnes de diversité, j'imagine que c'est... J'étais la seule. Et ce que tu disais, c'est qu'on te renvoyait du côté nord-africain, on te disait, toi, tu n'es pas complètement une arabe, regarde la manière avec laquelle tu parles, etc. Et en France, est-ce qu'on te renvoyait plus à ton arabité du fait de tes origines et des origines de ta maman ?

  • Speaker #1

    Oui, c'était souvent... C'était plus mon physique. J'avais les cheveux frisés. Donc les gens les touchaient, me demandaient d'où ça venait. Et j'ai une tache de naissance sur le visage qui a rapetissé avec le temps parce que mon visage a grandi mais petite, elle prenait vraiment une grande place sur mon visage. Et les gens venaient essayer de l'essuyer en pensant que j'étais sale parce qu'il y avait des préjugés en fait.

  • Speaker #0

    C'est dur ça non ? Comment tu le vivais ?

  • Speaker #1

    Quand j'étais petite, la chance que j'ai eue, en réalité, ce qu'il faut comprendre, c'est que les personnes qui ont des signes distinctifs et qui peuvent faire objet de complexe, moi par exemple aujourd'hui, ça m'arrive dans toutes les personnes qui m'interpellent dans la rue, au café, au restaurant, pour me dire que j'ai une tache sur le visage, que je suis sale. Et bien, il arrive que souvent des femmes me disent « vous savez que vous pouvez le faire enlever ? » Ah bon ? Mais je ne savais pas, je l'ignorais. et il se trouve que moi j'adore ma tâche de naissance il se trouve que je merci, il se trouve que je l'adore et pourquoi je dis ça ? Parce que mes parents m'ont fait grandir avec l'idée que ça me donnait du charme et que c'était mon identité et je crois que les complexes naissent quand on n'a pas été mis en confiance avec nos atouts distinctifs si on a toujours regardé un signe distinctif avec un peu de regret ou les gens qui te disent ah C'est dommage que tu aies ça, évidemment tu vas construire un immense complexe. Il se trouve que moi mes parents me disaient que c'était ce qui faisait tout mon charme. Donc c'était que le reste n'était pas... C'est vrai que j'adore ma tâche de naissance. Et c'est vrai que quand on me disait, oui évidemment, quand tu es une petite fille et qu'on te répète tous les jours, « T'es sale, il faut te nettoyer le visage. » « Tes parents ne t'ont pas nettoyé le visage ce matin ? » « Tu sais, il faut se laver. Il faut dire à tes parents qu'il faut nettoyer le visage des enfants. » Et toi, tu leur dis « Non, c'est une tâche de naissance. » Donc c'est vrai qu'en réalité, non, ça forge. une espèce de résistance sans aigreur, en fait. Tu réponds en disant, mais non, c'est mon grain de beauté. Et comme son nom l'indique, ça me rend belle. Non, voilà, donc ce qu'on regardait, c'était surtout mes cheveux frisés, ma couleur de peau, et on me ramenait souvent à ça.

  • Speaker #0

    Et ça te gênait ? Enfin, c'est plus dur. Là, avec du recul, évidemment, l'analyse est plus évidente. Mais dans la tête d'une petite fille, quand on ne ressemble pas au reste du groupe, quand on te le fait remarquer, quand on te le touche d'autant plus. C'est presque une agression, entre guillemets. J'exagère peut-être, mais c'est quand même toucher une partie du corps de quelqu'un sans forcément être d'accord et pas pour dire que c'est joli ou quoi. Est-ce que ça t'a fait peut-être à des moments renier ou être moins dans la fierté de cette origine-là ?

  • Speaker #1

    Toute petite, je ne me rendais pas compte de ce que ça voulait dire, donc ça ne me dérangeait pas. C'était complètement un dolor et ça glissait comme sur les plumes d'un canard. C'est en devenant une pré-adolescente que les complexes sont nés. Je me suis construite l'identité d'une petite fille pas belle du tout. J'étais persuadée d'être moche parce que j'ai vraiment grandi dans un environnement où les dictats, c'était d'être blonde, d'avoir les cheveux très lisses, d'avoir des yeux bleus. Et je me rappellerai toujours d'un petit garçon que j'aimais beaucoup à l'école, de manière très platonique, mais qui était blond aux yeux bleus. Et lui m'a complètement... Et moi, en plus, je suis quelqu'un de très timide. Jusqu'à aujourd'hui, je suis hyper timide dès qu'il s'agit des interrelations personnelles. Et j'ai beaucoup de bagouts comme ça sur scène, quand je donne des conférences, quand je suis dans les médias, mais en réalité, je suis un vrai bébé chat. Et je me rappelle être allée le voir, mais évidemment sans jamais lui dire, lui déclarer ma flamme, mais juste jouer avec lui. Et en fait, il m'avait complètement éconduite en me disant que j'étais moche. Et il était évidemment amoureux de la blonde aussi. Et en fait, oui, à ce moment-là, tu te forges l'idée que comme tu n'as pas le bon physique, tu ne plairas jamais. Et évidemment, comme ton physique ne te plaît pas, les garçons qui te ressemblent ne te plaisent pas. Parce qu'ils sont par définition moches aussi. C'est dur à dire, c'est hyper violent de dire ça, mais j'en parle aujourd'hui avec beaucoup de recul. Évidemment, j'ai fait du chemin, on va en parler très certainement. Mais à cette époque-là, j'en ai parlé à ma mère, c'est drôle qu'on ait cette conversation aujourd'hui. Parce que je crois que c'était hier matin, j'avais ma maman au téléphone. Et on parlait de nous, de la famille, et d'une manière, on arrive sur une conversation qui est la suivante. Je lui racontais que pendant mes années d'études, j'avais eu un moment où tous les matins, je me levais, je me regardais, je me disais « Ma pauvre, t'es tellement moche, comment tu vas faire pour camoufler cette laideur ? » Et ma mère a dit « Mais pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? » Et je sentis qu'elle était bouleversée au téléphone et je me demande même si elle n'a pas pleuré. Du coup, je m'en suis un peu voulue de lui avoir dit ça. J'ai dit non, mais maman, ça va mieux. Et elle s'est lancée dans une tirade. Mais ma fille, t'es belle, mais regarde comme les gens te regardent. Regarde tes photos. Et moi, avec de l'humour, je dis, mais maman, j'en ai pris 100. C'est la centième fois que tu me vois sur les réseaux sociaux. Il y en avait 99 qui étaient terribles. Et donc, elle rigole parce qu'évidemment, j'appartiens aussi à une culture comme toi. Très drôle, avec beaucoup d'humour, ça sauve. Mais non, oui, les complexes sont nés à ce moment-là où en effet, je ne me trouvais pas jolie.

  • Speaker #0

    Et à quoi rêver cette petite Inès, timide, cachée un peu dans ses bouquins, dans sa campagne ? Comment t'imaginer cette vie ? J'entends cette préadolescence un peu compliquée au niveau du physique, ou de comment toi tu le percevais. Qu'est-ce que tu imaginais de ta vie d'adulte ? Est-ce qu'un métier t'attirait ? Comment tu te projetais ?

  • Speaker #1

    En fait, je n'avais aucun rêve. Je n'ai pas non plus eu une enfance rêvée. Ce n'est pas quelque chose que je pourrais qualifier comme ça. J'ai eu une enfance plutôt jonchée de conflits familiaux et de violences. Il y a eu aussi la précarité. toutes ces choses-là, qui ont fait que l'enfance pour moi, et même l'adolescence, ça a été une route assez sinueuse. Une route où tous les matins, c'était pas évident de projeter ta journée. Et alors en avenir, c'était encore plus compliqué. J'ai vécu une adolescence qui relevait l'ordre de la survie. C'était comment je parviens à rester en vie, en fait. J'avoue que je n'avais pas de rêve. J'avais le rêve de partir et de m'émanciper. J'avais le rêve d'être moi et de partir à ma conquête. En réalité, je me suis aperçue très rapidement vis-à-vis de l'environnement où je m'évoluais, où je grandissais, que je ne savais pas du tout qui j'étais. On projetait en plus sur moi beaucoup de choses qui n'étaient pas toujours vraies. Et c'était très compliqué. Comme beaucoup de petites filles, j'ai été harcelée à l'école, très longtemps. J'ai été frappée à l'école primaire par toute ma classe, y compris ce petit garçon que j'aimais beaucoup, et la jeune fille qu'il aimait beaucoup aussi. Et en fait, il m'insultait une fois de plus, des insultes qui étaient relatives à ma couleur de peau. Et puis j'ai répondu. J'ai répondu quelque chose du genre, je crois, « Vous allez tous me laisser tranquille, je ne vais pas me laisser faire un truc, quelque chose comme ça, parce que j'en avais marre. » Et ça n'a pas du tout été apprécié, ils m'ont tous couru après. J'ai couru jusqu'au bout de la cour et au bout de la cour, je n'ai rien trouvé d'autre à faire puisque le grillage arrivait, de me blottir contre une porte dans un coin et je me suis mise en boule et ils m'ont tous rué de coups. Et après, ça m'a complètement traumatisée dans les relations humaines et à l'école, donc je n'avais pas d'amis, j'étais toujours toute seule et mes bouquins étaient mes copains. Et donc, comme beaucoup aussi d'enfants... Vers 14-15 ans, j'avais même des idées sombres, très sombres. J'ai eu beaucoup de chance de rencontrer une super prof qui m'a donné beaucoup confiance en moi. Madame Larbi, Christelle Larbi. Elle était adorable avec moi et je voulais absolument savoir si elle était arabe. et elle ne voulait jamais me répondre elle me disait et c'est les questions très bêtes d'enfants complètement intrusifs je disais mais vous êtes musulmane ? parce que c'est important pour moi je vous laisse la voix il n'y a pas longtemps j'ai donné une conférence chez Chanel et on m'a on a porté à mon attention qu'une des jeunes femmes qui travaillent là-bas, qui était là-bas, a fait une obsession du fait, elle voulait absolument savoir si j'étais algérienne Et elle me disait, mais on s'en fiche. Elle dit, non, moi, je veux savoir parce que je crois qu'elle est algérienne. Et moi, je comprends. Tu comprends le besoin,

  • Speaker #0

    l'importance d'avoir cette information.

  • Speaker #1

    Et j'ai dit, mais dites-lui. C'est comme ça que je suis là. Et en fait, Madame Larbi, elle me disait, mais je n'ai pas à te répondre, Inès. C'est ma vie privée. Et moi, je trouvais que c'était violent.

  • Speaker #0

    Ben oui, je ne comprends pas.

  • Speaker #1

    Et en réalité... Aujourd'hui, je la comprends. Il se trouve que Mme Larbi est française, mariée avec un Libanais chrétien.

  • Speaker #0

    Donc, tu disais qu'elle t'a beaucoup aidée.

  • Speaker #1

    Absolument. Pourquoi je parle de ses origines ? C'est parce que, quelque part, en projetant sur elle des fantasmes, qu'elle était peut-être métisse comme moi, ça m'a vachement raccrochée à quelque chose, à un modèle.

  • Speaker #0

    Ça devient un rôle modèle, un peu.

  • Speaker #1

    Ça devient un rôle modèle. Donc, tu vois, il ne s'agit que d'un nom. Et qui pour moi, en fait, a été peut-être que j'aimerais bien aider les gens comme elle aide les gens, comme elle m'aide moi. Et c'est elle qui m'a redonné le goût à moi-même, en fait. Et donc, aider les autres a toujours été quelque chose qui me parlait. J'ai fondé ma première association à 17 ans. Avec des copains, et ensuite je me suis fait des amis, en réalité grâce à la musique, parce que je me suis mise à chanter. En fait, j'écrivais énormément du fait que je lisais beaucoup, j'écrivais des poèmes et des chansons. J'écrivais des chansons et un jour je me suis mise à les chanter, et je me suis aperçue que je savais chanter. Et donc j'ai attiré l'attention de groupes de musique locaux qui m'ont demandé de les rejoindre, et ça a été ma première... famille d'amis en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est dingue parce que la petite timide qui se cachait allait chanter sur scène, le grand écart l'exercice est quand même périlleux et difficile.

  • Speaker #1

    C'était très très périlleux mais je ne sais pas, je n'étais pas la même d'ailleurs j'avais un blase tu vois. Donc j'étais le Sasha Fierce tu vois. C'était une autre personnalité qui s'exprimait.

  • Speaker #0

    Mais c'est ça, mais tu as besoin de ça du coup pour...

  • Speaker #1

    Oui, j'ai vraiment besoin, même aujourd'hui, quand je monte sur scène pour donner des conférences, je mets ma casquette où toutes mes failles personnelles n'apparaissent pas. En réalité, je les laisse, je les mets précieusement dans une petite boîte parce que j'y tiens aussi à mes failles, à mes fragilités, mes vulnérabilités. Mais à ce moment-là, je les exprime autrement ou en tout cas, elles sont au service d'un moment de puissance. Et donc oui, chanter a été très... salvateur pour moi. D'abord sur le plan hum... mentale, tu vois, à chanter, moi ça m'apaisait et je chantais tout le temps quand je pleurais chez moi, quand j'étais triste, je me mettais à pleurer c'était comme si je me berçais moi-même en fait, je me chantais une berceuse et ça me permettait d'aller mieux en fait et aujourd'hui on le sait dans la recherche dans les neurosciences c'est aujourd'hui très documenté que le chant permet d'envoyer des signaux au corps notamment d'envoyer l'endorphine ... de la dopamine, donc des hormones de bien-être, de bonheur, de plaisir. Et en réalité, à l'époque, je l'ai fait de manière très instinctive, comme beaucoup de gens le font, en fait. Pareil, le soir, parfois, je n'arrivais pas à m'endormir, soit parce qu'il y avait des conflits à la maison, soit parce qu'il y avait trop de choses qui s'étaient passées dans la journée de brutale. Je chantais pour m'endormir, donc je me chantais à moi-même des berceuses. Et le chant a été non seulement quelque chose qui m'a réparée, Mais en plus, il m'a offert mes premières amitiés. Et j'ai aussi pris confiance en moi en tant qu'écrivaine, parce que j'ai commencé à écrire des chansons et qui étaient chantées après par d'autres personnes.

  • Speaker #0

    Et tu ne te disais pas, c'est un métier que j'ai envie de faire pour le coup ? Si. Parce que ça mixe. Et tu as essayé ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé, mais je me suis arrêtée à la porte d'entrée. J'étais tellement tétanisée par la timidité et la peur d'échouer que je ne passais pas la barrière des castings.

  • Speaker #0

    C'est quelque chose qui te reste souvent ? On a un peu des rêves un peu cachetés et on se dit peut-être qu'un jour...

  • Speaker #1

    En fait, j'ai un ukulélé chez moi et j'en joue et je chante dessus des chansons que j'écris. Et je me dis que si un jour j'ai du temps, j'aimerais bien enregistrer mes propres chansons et peut-être faire un petit album, mais quelque chose de très indé. Mais quand je suis arrivée à Paris, je chantais dans des cafés. Ah oui ? Oui, je venais, j'allais me présenter au patron ou à la patronne, ils avaient souvent une scène, et je disais « bonjour, je suis chanteuse » . C'est que je n'ai jamais raconté ça à personne, personne ne me raconte ça. Et je me faisais 50, 80, 100 euros par soir, et je chantais toute la soirée avec un pianiste ou quelqu'un qui m'accompagnait au santé, et c'était toujours à la guitare aussi. Je me sentais bien, en fait, parce que j'étais un peu dans ma bulle, la lumière sur moi, mais moi qui ne vois pas. Donc, ce n'est pas tant le fait d'avoir la lumière, c'est le fait que c'était chaud. Ça me donnait chaud et je me sentais dans un petit cocon où je ne vois personne. Je suis complètement éblouie et où j'ai cette vibration vocale en moi qui m'apaise.

  • Speaker #0

    Oui, et puis c'est thérapeutique aussi, j'imagine, d'écrire en plus tes chansons à toi. Donc, tu communiques des sentiments, des choses, des ressentis qui viennent de toi. Je pense que c'est différent que d'interpréter les chansons, ce qui doit être autant thérapeutique. Mais je pense qu'il y a aussi cette notion de dire ses paroles à soi, ses sentiments et les choses qu'on a ressenties.

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci, je suis ravie de découvrir des facettes qu'on ne connaissait pas. Tu parlais un peu de ça, tu disais que quand tu mettais ton chapeau de conférencière, tes failles restaient un peu dans une boîte. Je le lis un peu à cette question. Tu sais, avant de préparer l'interview, j'ai regardé ton site, j'ai lu des interviews, etc. J'ai essayé de préparer et d'être un peu sérieuse. Évidemment, je le dis à l'intro, des distinctions, tu as reçu énormément de distinctions, beaucoup de prix. Ton CV est vraiment impressionnant. Mais tu rajoutes une phrase que j'ai trouvée hyper intéressante et qu'on ne voit pas. C'est que tu as la liste et à la fin, tu rajoutes « Il y a aussi tous les projets que j'ai extraordinairement échoués » . C'est rare de voir ça, encore moins sur Internet, sur un CV digital où les gens souvent se vendent et tu essaies aussi de te vendre, ce qui est normal. Mais il y a cette petite touche finale, il y a des failles, il y a des choses qu'on ne réussit pas. Pourquoi c'était important pour toi de rajouter ça ?

  • Speaker #1

    Parce que je pense que déjà, c'est vrai. J'ai l'impression de mentir par omission en ne parlant que de mes succès. Mais mes succès sont moins nombreux que mes échecs. Il y a aussi un côté... Je déteste me prendre au sérieux. Et c'est vrai que moi-même, parfois, je rougis un peu quand je lis des articles ou la liste des distinctions que j'ai pu recevoir. Et je n'en ai pas du tout conscience, en fait, de ce que ça peut représenter dans les yeux des gens. Je prends un peu la mesure quand je vois où est-ce qu'on peut m'inviter, la manière dont je peux être reçue, où je me dis « Waouh, mais à ce niveau tout petit déjà, ça donne ça, ces distinctions. » J'imagine même pas les grands de ce monde, la manière dont ils peuvent être accueillis, reçus. Et c'est vrai que pour moi, c'est important de... On me le dit souvent, tu laisses pas la place au fantasme.

  • Speaker #0

    Tu casses tout de suite.

  • Speaker #1

    Tout de suite, je casse. Et je fais souvent ça quand j'arrive sur scène, où il y a un maître de cérémonie qui dit « Elle a reçu tant de prix, elle a réussi à faire ça, elle a voyagé, dansé, elle a écrit... » Et moi, plus on me dit ça... plus ça me rend toute petite et la première chose que je fais c'est d'arriver sur scène en disant je viens pas du tout d'un milieu élitiste j'ai échoué beaucoup de choses et je suis hyper mnésique donc je retiens beaucoup de choses et notamment des gens que j'ai pu croiser et il se trouve qu'à un moment donné j'avais croisé une fille que j'avais emmenée sur un projet dans lequel j'ai complètement échoué et je dis ah bah tiens elle était moi on la montre rendu d'où ah ah Et quand je fais ça, je me grandis. J'ai l'impression de devenir plus grande. Je pense aussi que j'ai un esprit très critique et je trouve aussi très dommage qu'on vive dans un monde où on valorise non seulement, parfois, des espèces de profils intempestifs et complètement fantasmés où on a levé 15 millions et on mesure la valeur des gens à l'argent qu'ils gagnent, à l'argent qu'ils lèvent, alors que... profondément, par exemple, dans ce cas précis, lever de l'argent, ça veut dire que tu n'arrives pas à faire de la croissance organique. On ne va pas se mentir. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons pour rester dans le milieu de l'entrepreneuriat et l'image que je voulais apporter. J'ai beaucoup plus de respect pour des petits patrons de PME, de TPE qui font de la croissance organique, qui ne gagnent pas des mille et cent, qui ne font pas la une sur LinkedIn, mais qui sont balafrêtes partout, qui ont les mains dans le cambouis toute la journée. Et il y a quelque chose aussi qui est très proche de mes racines. de ma classe d'origine. Là d'où je viens, le travail, c'est important. Là d'où je viens, c'est ça qui te donne de la valeur. C'est si tu te lèves tôt le matin et que tu rentres après un travail bien fait.

  • Speaker #0

    Mais du coup, t'as l'impression que ça amoindrit ce que tu fais, que toi, t'as pas les mains dans le cambouis, que t'es moins dans la souffrance, peut-être physique, de l'exemple que tu prenais.

  • Speaker #1

    Évidemment. Il y a toujours la sensation, aujourd'hui, je suis ce qu'on peut appeler une transclasse. C'est-à-dire que je vis largement au-dessus des moyens qu'on avait quand j'étais petite.

  • Speaker #0

    Et donc j'ai changé d'environnement social aussi. J'ai changé d'environnement professionnel et forcément intellectuel. Oui, je crois qu'on ressent toujours une sensation d'être traître à là d'où l'on vient et que pour moi, peut-être de rappeler ça, c'est important. Il y a aussi un usage qui est très fréquent dans mon milieu d'aujourd'hui, c'est qu'évidemment, j'ai de la chance. J'ai de la chance au quotidien. C'est de plus en plus facile à mesure du temps d'obtenir... les résultats que je veux, d'accéder à des personnes qui peuvent me permettre d'aller plus vite, de signer des contrats plus vite. Et c'est vrai pour plein de gens dans mon entourage, parce que la chance, c'est quelque chose qui grandit à mesure qu'on a un entourage de qualité, et quand je dis de qualité, ça veut dire qu'il y a les moyens, qui a les bonnes professions, le bon réseau, etc. Et ça me dérange parce que ce qui est dit souvent dans ces environnements-là, c'est Je suis arrivée là tout seule parce que je travaille. Et c'est faux. Moi, les gens de qualité, pour moi, c'est les personnes que j'ai rencontrées enfant, qui m'ont inculqué des valeurs très terriennes, très terroires, qui sont la loyauté, ne pas rompre la confiance de quelqu'un. On double personne par la droite. On ne vole pas, on ne ment pas. On ne fanfaronne pas quand on gagne. On ne se moque pas des autres quand ils sont par terre. Au contraire, on les tient pour qu'ils puissent mieux se relever. C'est ça pour moi la qualité de... Chez les gens. Et d'ailleurs, aujourd'hui, il y a des gens qui me disent que je ne suis pas du tout stratégique, pas du tout opportuniste, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, vu ma présence sur les réseaux sociaux, etc. Et je maîtrise parfaitement ma communication. Et je sais que je pourrais aller beaucoup plus loin. Et je ne le fais pas. Et on me reproche parfois. On me dit « tu n'as pas compris comment on fait. Parfois, lui, tu aurais dû lui parler, tu ne l'as pas fait. » Alors que lui, il pourrait te faire avancer. Je dis « oui, mais lui, il ne croit pas. » pas aux valeurs auxquelles je crois et ça me dérange. Elle, elle ne croit pas en l'amour. Ça me dérange aussi. Et ça, je viens vite à le débusquer. Et je me fiche de savoir si tu es millionnaire, si tu connais le président, si tu peux me faire rentrer dans tel écosystème ou tel environnement. Je ne me sens pas à ma place, pas alignée. Et c'est peut-être aussi pour ça que je... Très rapidement, je montre mon jeu. Moi, voilà d'où je viens, voilà qui je suis. Il y a peut-être quelque part... Aussi, une manière d'assouvir mon besoin de dire je ne suis pas une traître, je suis là, mais voilà si vous m'entendez les autres, regardez ce que je dis, et je le dis et je l'assume et j'en suis fière. Mais aussi une façon pour moi de montrer tout de suite mon jeu, de dire qui je suis, quelle est ma couleur, quel est mon bois. Et donc tout de suite voir si les gens ça les intéresse pas, et ben ils vont ailleurs. Et je pourrais mille fois... il y a beaucoup de gens qui pensent que je suis une fille d'une grande famille, et juste par la manière dont je parle, la manière dont je peux présenter. les idées que j'ai, le fait que je puisse parler de Vladimir Jankiewicz ou de Bergson et avoir des grandes théories sur le monde du travail en 2050 les gens se disent, elle a forcément fait des études extrêmement brillantes, elle a dû grandir et dîner tous les soirs avec des gens et des esprits très érudits et en fait, bah du tout mes parents étaient des petits commerçants on a fait faillite 20 fois on avait les huissiers qui venaient à la maison on... et on a vécu une grande partie de notre vie dans la précarité. Donc pour moi, c'est important de rappeler qu'en fait, non, la chance, si j'ai de la chance aujourd'hui, c'est grâce à toutes les personnes que j'ai rencontrées qui m'ont fait confiance, qui m'ont parfois donné une deuxième chance. Parce que quand on doute de soi, quand on doute de soi, et quand on n'a pas d'estime de soi, on dégrade son être. On se met à la hauteur de l'estime qu'on a de nous-mêmes. Moi, par exemple, je mentais beaucoup. enfant. Et je m'en suis beaucoup voulue après pour ça. Parce que c'est pas digne de quelqu'un de confiance de mentir. Je mentais sur ma vie, je mentais sur... J'ai menti sur mes origines, mais même pas par complexe, d'où je venais. C'était m'inventer une fantaisie, une autre vie, venir d'ailleurs, en fait. C'était être autre que je ne suis, parce que moi, je m'aime pas. Et... Aujourd'hui, je sais qu'un enfant qui ment, c'est un enfant qui souffre. J'aurais tendance à le prendre dans mes bras, à le chérir, à lui dire à quel point il est beau, à quel point... Il peut faire ce qu'il veut. Et oui, je crois qu'il y a des gens qui ont vu parfois que je me perdais, comme on se perd quand on est jeune, mais qui m'ont donné une deuxième chance. Qui m'ont dit, mais non, mais... Réessaye. Réessaye parce que tu as raté ton essai. Et ça, c'est tellement précieux. C'est beau que les gens croient en toi, mais quand ils recroient en toi, c'est incroyablement précieux. J'ai eu de la chance, parce que oui, j'ai travaillé. Mais j'ai travaillé d'une certaine manière. parce qu'on avait cru en moi dans un premier temps. En réalité, on est toujours la somme de toutes nos rencontres. et la somme de tout ce qu'on a vu. Et aujourd'hui, j'ai encore une espèce de dissonance avec ma classe d'aujourd'hui, qui est une classe qui valorise les distinctions. Ton look, les gens que tu connais. Et tout ça est important dans le monde dans lequel je vis. Mais pour moi, j'aurais raté ma vie si j'oubliais d'où je viens.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux associer ça à ce qu'on appelle le syndrome de l'imposteur ? Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens parfois ?

  • Speaker #0

    Oui, évidemment. Et à la fois, non. J'ai tendance à dire que moi, j'ai eu le syndrome de la survie. C'est-à-dire que pour moi, l'important, c'était le concept du syndrome de l'imposteur. C'est né dans les années 70. Ça a été développé par deux femmes occidentales, bien nées, privilégiées. Et plein de femmes comme moi, elles n'ont pas ce luxe de se poser dans un canapé et se demander dans quelle étagère. Est-ce que j'ai le droit de faire des choses ? À un moment donné, il fallait payer le loyer. Et j'ai eu, à un moment donné, quand même, cette espèce de... Regain de vitalité qui m'imposait de quand même faire quelque chose qui me rende heureuse. J'avais tellement cette revanche à prendre sur mon enfance qui était pour moi... J'étais malheureuse comme petite fille. Être heureuse pour moi dans mon métier aujourd'hui, c'est un prérequis. J'ai besoin de faire que des choses que j'aime.

  • Speaker #1

    Et c'est un luxe aussi.

  • Speaker #0

    C'est un grand luxe et qui demande beaucoup de sacrifices. Donc je travaille beaucoup en ce sens-là. C'est pour ça que mes amis me disent souvent... Tu travailles trop, tu travailles beaucoup. Et je dis, ouais, mais j'aime ce que je fais. Je dormirai quand je serai morte. Tu vois, le genre de phrase qu'on balance. Et puis, t'inquiète pas, si j'ai envie de m'arrêter, je suis suffisamment têtu et avec du tempérament pour m'arrêter. Donc, moi, en réalité, oui, plein de fois, je me dis, est-ce que je suis à la bonne place ? Est-ce que c'est à moi de le faire ? Est-ce qu'il n'y a pas quelqu'un d'autre qui serait mieux que moi ? Mais ça, c'est peut-être presque... C'est peut-être bien de se poser cette question-là dans une petite mesure. Je pense que ça permet de se remettre en question, de ne pas s'asseoir sur ses acquis. de ne pas penser qu'on a tout compris de la vie et qu'on n'a plus rien à apprendre. Par contre, non, j'ai aussi compris que personne ne viendrait me donner ma légitimité, que c'est à moi d'aller la prendre, qu'on ne me donnera jamais ce que je veux sans que j'en demande, en tout cas que j'en fasse la demande. Donc, syndrome de l'imposteur, on le gère, mais il est l'heure de questions qui viennent me mettre des limites.

  • Speaker #1

    Tu parlais des études et de l'importance, en tout cas en France et ailleurs, de tafé. telle étude et donc tu fais ça et donc tu es spécialisé dans ça. Et tu dis, et j'ai lu ça dans une autre interview, où tu disais je m'interdis de me spécialiser, j'aime apprendre et partager de manière générale. Néanmoins, je m'adonne à approfondir mes connaissances et mes réflexions sur des sujets de fond. On est vraiment dans cette époque de plus en plus où il y a les slasheurs, où les gens ont différentes facettes, plusieurs jobs qui peuvent aller d'un extrême à l'autre et c'est dans ça qu'ils s'épanouissent. Mais on a aussi cette... contrainte, en France en tout cas, beaucoup de tel et tel diplôme, et si tu n'as pas fait ça, mais non, mais il n'a fait qu'à l'école, etc. Comment tu as vécu, toi, ça ? Comment tu t'es sentie à l'aise et légitime de faire tout ce que tu fais, d'avoir tout ce panel, tout ce beau portefeuille, et de ne pas t'arrêter à cette pression-là ?

  • Speaker #0

    Mais c'est vrai qu'en France, c'est une pression. Il faut justifier tes diplômes, et d'ailleurs, on parlait de mensonges tout à l'heure. Il n'y a pas longtemps, j'assistais à un dîner où on parlait, on se moquait allègrement d'un homme, notamment d'origine nord-africaine, qui est un jeune homme qui a écrit plein de bouquins en neurosciences et dans d'autres sujets, et dont on a dit qu'il n'avait pas les diplômes qu'il disait avoir. Il s'agit d'Idriss Aberkane. Je ne sais pas si ces accusations sont vraies, parce qu'il se trouve que je ne connais pas ce monsieur. Et je ne sais pas s'il a ses diplômes ou pas. Mais en tout cas, on a beaucoup dit, après qu'il ait eu beaucoup de succès, qu'il avait menti et qu'il n'était pas le docteur qu'il disait être, etc. Et en fait, tout le monde était assez d'accord sur dire, oh là là, c'est pas bien d'être croqué comme ça. Et évidemment, je me suis dit, je vais être encore la personne d'origine nord-africaine qui va apprendre, qui va vouloir au secours de cette personne. Et je dis, mais vous vous rendez compte à quel point il y a une pression ? Une pression en France. France du diplôme qui vient dire que tu es compétent dans quelque chose et pas dans une autre. Ça veut dire qu'il y a des gens qui ont 50 ans, qui sont diplômés depuis 30 ans, et que parce qu'ils ont été diplômés de connaissances il y a 30 ans, sont aujourd'hui plus légitimes que des personnes de 35 ans qui n'ont peut-être pas les mêmes diplômes, peut-être qu'ils n'en ont même pas, mais qui ont appris par plein de moyens différents. autant, voire peut-être plus, qui ont une agilité d'esprit, une profondeur d'esprit, une rapidité de pensée. qui est telle qu'en réalité, ces personnes dépassent les personnes diplômées les plus prestigieuses. Parce que qu'est-ce qu'on apprend ? Qu'est-ce qu'on sanctionne avec un diplôme ? On sanctionne le fait que tu as appris par cœur des données et que tu as appris à résoudre des problèmes pour certaines formations et que tu comprends comment se joue la géopolitique de ton métier et de l'environnement dans lequel tu vas travailler. Je parle pour les avocats, etc. Apprendre de la technique, évidemment, pour des métiers comme peut-être la médecine, ce genre de choses. Mais en réalité, pour le reste. Comment est-ce qu'on peut dire qu'un diplôme sanctionné il y a 20 ans peut être beaucoup plus valorisé qu'un apprentissage de tous les jours avec une acuité telle qui fait que cette personne est extrêmement talentueuse et qu'elle peut faire énormément gagner à une entreprise ou à une organisation ? Aujourd'hui, on a ce problème. Et donc, j'ai tenu ce discours-là à la table. Il n'y a pas eu de débat. Ils ont changé de conversation. Mais j'aurais dit, mais je comprends. Je comprends qu'on puisse se dire, je suis à ça d'atteindre mes rêves. Je suis à ça de partager mon savoir. Vous avez tous lu le livre de cette personne. Vous l'avez tous trouvé brillante. D'ailleurs, il n'a rien dit de faux. Donc, en l'occurrence, il nous a enrichi de choses exactes. Mais aujourd'hui, on remet en cause son travail parce qu'il n'aurait pas les diplômes qu'il prétend avoir. Je trouve ça problématique. Voilà, si je pourrais pas un texte comme ça, je le ferais comme ça.

  • Speaker #1

    Et toi, tu as fait des études d'histoire de l'art, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Je l'ai dans le management des marchés de l'art. que j'ai étudié aux États-Unis. J'ai eu la chance d'avoir... J'ai fait un séjour dans une famille au père qui a prolongé mon séjour et moyennant le paiement de parcours d'études. Ce qui était incroyable. On parlait de chance, de gens que tu rencontres. Je ne pense pas que je serai là. Et ça ne s'est joué à rien. Ça s'est joué au fait que j'adorais faire des cookies avec leurs enfants. que je l'ai surprotégée quand ils étaient au parc, à côté de la route, et que les parents se sont dit « Non mais attends, elle est hyper dévouée. Je m'endormais avec eux dans leur lit. Je leur lisais plein d'histoires. On faisait des ateliers. » C'est bête, en fait, ils se sont dit, mais elle est vachement investie, absolument en flemme de trouver quelqu'un d'autre dans le coin. Autant trouver un bon deal. Et il se trouve que ces personnes avaient beaucoup, beaucoup d'argent, étaient aussi des collectionneurs. Et c'est eux, c'est via eux, que j'ai découvert le monde de l'art, tardivement.

  • Speaker #1

    Et on parlait, il y a deux minutes, de ce challenge, de cette pression en France, des diplômes, etc. Quand tu as lancé l'ONG Digital for the Planet, est-ce que ça a été un sujet ? Est-ce qu'on t'a challengée parce que tu es une femme dans la tech, une ONG ? Enfin, tu as tous les...

  • Speaker #0

    L'environnement !

  • Speaker #1

    Tu te les traînes tous. Donc, j'imagine que ça n'a pas été difficile. Et peut-être juste rappeler ce qu'est Digital for the Planet, pour ceux qui ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    Digital for the Planet, c'est une ONG que j'ai fondée il y a presque sept ans, qui promeut la manière dont on peut utiliser le numérique de manière plus vertueuse, sur le plan environnemental, cognitif et sur le plan sociétal. On construit des programmes de formation pour la jeunesse en Europe. On fait des plaidoyers, du lobbying sur les grandes places décisionnelles comme Bruxelles, Washington, l'Elysée, etc. Et on a donc co-écrit des amendements, on travaille sur des projets de loi, des feuilles de route gouvernementales, etc. Quand je suis arrivée, il n'y avait même pas encore toute... Aujourd'hui, on a une très belle panoplie de journalistes environnementaux, d'activistes militantes. Elles n'existaient pas encore à ce moment-là. Et alors, l'environnement et le numérique, à l'époque, et l'associatif, c'était des mondes cruellement noyautés par les hommes. Et souvent, très peu de diversité, voire pas. Et puis pas du tout de notre génération. Pour te le faire très court, j'ai eu menaces, intimidations, boycott. Ah oui ? Oui. J'avais été invitée à être auditionnée et participer à une commission ministérielle avec le ministère de l'Environnement. Un grand patron de la tech qui en faisait partie, il se trouve qu'il devait m'apprécier, m'envoie un screenshot dans une boucle de mail avec une autre personne qui est dans l'associatif aussi, dans l'environnement, et qui a dit « Il est hors de question que cette femme vienne dans la commission. Si elle vient, je prendrai ça comme une insulte personnelle. Elle n'a aucune légitimité. C'est une intéressée. » Elle n'a rien à voir avec nous et elle n'a rien à faire ici, elle n'apportera rien au débat. C'était d'une violence. Et donc cet entrepreneur qui m'envoie ça, qui avait le vent en poupe, quelqu'un de très pinon sur rue, que je connais à peine en fait, il me dit voilà je préfère te le dire, c'est pas ton ami lui. Parce que cette personne, dans la vraie vie, me salue, m'encourage et me dit...

  • Speaker #1

    C'est super ce que tu fais.

  • Speaker #0

    Et puis moi, de manière très directe, c'est à la manière comme on aime, j'ai demandé à cet entrepreneur qui m'a donné l'info, je lui ai dit « t'aurais pas son numéro ? » Il me dit « si, si, tiens » . Donc il m'envoie son numéro et je l'appelle. « Allô ? » « Oui, allô ? » « Oui, bonjour, Inès Lonnarduzzi. » « Oui, j'aimerais qu'on parle de ton mail que t'as envoyé à toute la boucle au ministère. » Directeur du cabinet inclus dans la boucle, on peut en parler. Ah là je fais les courses avec ma fille, on peut se rappeler. Bien sûr, je te rappelle dans combien de temps ? Trois quarts d'heure, ça te va ? Je te rappelle. Puis évidemment, il a botté en touche, il m'a expliqué qu'il me trouvait incroyable, pleine de talent, que la commission pourrait l'utiliser. Pourquoi je raconte jusqu'au bout l'histoire et son issue ? Parce que ça m'a profondément détruite ce mail-là. Parce que c'était humiliant, il y avait peut-être 60 personnes dans la boucle. Et là, je suis gentille, je n'arrive pas à tout dire, mais il a employé des mots gravissimes, des mots qui ont engagé mon intégrité personnelle, les raisons pour lesquelles je faisais ça. Il a joué tous les clichés de la femme, parvenue, arriviste, opportuniste, intéressée, pas honnête. Enfin, il a dit des choses terribles. Et c'est pour dire qu'il ne faut jamais rester terré. Ces gens-là, qui ont suffisamment lâche pour faire les choses derrière notre dos, il faut savoir aller les cueillir gentiment. et puis tu sais, sans violence en fait. Bonjour, j'aimerais comprendre. Il ne me semblait pas que vous éprouviez tout ce mépris quand vous m'avez serré la main lors de notre dernière table ronde. Après, on ne peut pas plaire à tout le monde et ça, j'ai beaucoup composé avec. Tu vois, mon grand-père, Imam, qui m'a beaucoup élevée, me disait toujours « Même Dieu, il ne fait pas l'unanimité. » C'est vrai. « Pourquoi toi, tu voudrais que tout le monde t'aime ? » Et c'était une super philosophie qui m'a beaucoup... ... C'est lui qui m'a enseigné qu'il y avait plus de mots pour dire amour que pour dire Dieu, qu'il y a 99 mots pour dire Allah, Dieu, et il y en a 100 pour dire amour. Il n'y a aujourd'hui aucune langue dans le monde, aucune, qui dispose d'une telle nuance dans le sentiment de l'amour. Il y a donc un livre qui s'appelle « Les 100 noms de l'amour » de Malik Chebel. pour celles et ceux qui souhaiteraient le découvrir, qui est, pour moi, on ne peut pas quitter ce monde sans avoir lu ce livre. C'est juste un trésor. Mon grand-père était un, il nous a quittés, hélas, et c'était un imam très éclairé, qui avait des prêches très progressistes, et c'est lui qui a fait de moi une féministe. C'était vraiment mon oasis de paix, mon grand-père. Il restait dans sa chambre comme beaucoup de pères arabes. Il restait beaucoup dans sa chambre, il priait tout le temps. Et j'étais la seule à avoir le droit de rentrer. Il y avait des corans partout, des tapis de prière. Il fallait toujours que ce soit tout propre. Et je passais du temps là-bas et parfois il ouvrait une boîte et il avait un côté très austère. Il était grand, les cheveux blancs, la barbe blanche, toujours en robe et un regard très noir. Et il faisait peur à tout le monde. Il n'y a personne qui branchait avec mon chanteur. Et moi, en fait, j'étais celle à qui il montrait l'enfant qui vivait en lui. Donc, il me faisait des trucs genre... Tu vois, il me faisait des grimaces. Et il me sortait des poupées Barbie, des poupées, des sneakers, plein de trucs comme ça de ses tiroirs. Et il me disait « Chut ! » et il me les donnait, tu sais. Et un jour, il m'a mis un dessin animé dans sa chambre. Et je regardais si c'était sur une princesse. Et j'étais tellement conflite avec mon grand-père, je devais avoir 12 ans, et je lui dis, c'était l'époque où je me sentais très moche. Je lui dis, j'ai dit, tu crois que je vais rencontrer le prince charmant, moi, un jour ? Tu vois, tellement désespérée, tellement... C'était tellement pas méchant.

  • Speaker #1

    Elle se fait chier à mon tour pour avoir la lumière.

  • Speaker #0

    C'était tellement... Normalement, on ne dit pas ça à son grand-père. Et il m'a regardée, il a froncé les sourcils, déçue, tu sais. Il m'a regardée, il m'a dit, si tu trouves le prince charmant... Prends le cheval et pars avec ! Qu'est-ce qui te va te fatiguer ? Mais qu'après un changement ! Il m'a dit si, c'est lui qui te rattrape. Ah,

  • Speaker #1

    j'adore !

  • Speaker #0

    Et en fait, ça m'a bouleversée. Et c'est à 16 ans où j'entendais pour la énième fois des disputes, ce genre de choses. J'étais dans ma chambre, j'avais tous mes poèmes, mes chansons sur mon lit étalées sur mes feuilles, mes feuilles libres, perforées, qui étaient en vrac. Je me rappellerai toute ma vie de ce moment-là et je me suis dit, il y a des gens qui m'aiment, oui, mais personne ne viendra me sauver. Et il faut que moi, je trace mon chemin. Il faut que moi, j'aille à la rencontre de qui je suis. Ce n'est pas possible, je ne peux pas être tout ça sans être rien. Et je crois que ce que je viens de dire... Ça peut ne vouloir rien dire pour des gens, mais je crois qu'il y a plein de gens qui vont exactement comprendre ce que je veux dire. Je ne peux pas être tout ça sans être rien. Il fallait que j'aille rencontrer qui j'étais, transgresser des règles qu'on me donnait et qui ne devaient pas être les miennes. Et je me suis beaucoup raccrochée à ce que mon grand-père m'a dit. Prends un cheval, il n'y a que ça qu'il te faut. Et il l'avait complété avec quelque chose comme « C'est ton métier qui va faire que tu vas t'aimer » . Et il me disait toujours « Gagne ton propre argent, parce que c'est que comme ça qu'aucun homme ne pourra te manquer de respect » . Et il me le répétait, mais dès qu'il me voyait, il m'attrapait « Ça va, ça va à l'école, ça va bien, super. Tu travailles bien à l'école comme ça, toi ? » Tu vas gagner beaucoup d'argent, comme ça il n'y a pas un homme. Il te manque de respect. Il me dit une chose avec le doigt sous l'œil, comme ça, dans l'air de dire, je te regarde et je t'ai à l'œil. En fait, il ne m'en a pas fallu plus.

  • Speaker #1

    C'est génial. C'est génial,

  • Speaker #0

    j'ai la chair de poule. Il me manque.

  • Speaker #1

    Sans transition, tu es maman d'un petit garçon.

  • Speaker #0

    Oui, qui est le portrait craché de mon grand-père.

  • Speaker #1

    C'est vrai ? C'est génial ça.

  • Speaker #0

    Sauf qu'il a les yeux bleus. Mon grand-père avait les yeux marrons.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que la maternité a changé en toi, Inès ?

  • Speaker #0

    Beaucoup de choses. D'abord, je vais le dire dans l'ordre dont ça me vient. La première chose, c'est la peur. J'ai appris ce que c'était que la peur en devenant mère, on ne va pas se mentir. C'est fou de voir qu'en fait, tout ce que tu es maintenant ne tient qu'à... un être humain, ou à deux, à trois, quand tu as plusieurs enfants. Et que s'il arrive quoi que ce soit à cet être, c'est terminé. Je pensais que je serais évidemment une mauvaise mère. J'ai toujours pensé que je n'aurais pas d'enfants. Je pensais que j'en adopterais sur le tard. Je me disais, je vais devenir riche, j'adopterai des enfants, je vais les faire kiffer, tu vois. Mais c'est tout. Je me disais que je n'aurais pas de famille, je me disais que... Pourquoi ? Parce que je pensais que déjà, aucun homme voudrait se mettre avec moi. J'étais vraiment, quand je te dis que je n'avais pas d'estime, Bouchra, c'était terrible et vraiment pathétique. C'est comme ça. Je pense que ça arrive à plein de femmes et c'est aussi pour ça que je veux en parler avec beaucoup, avec autant de facilité. Parce que je crois qu'en fait, il faut vraiment qu'on en parle. Moi, quand je vois des femmes qui me disent « mais t'as une assurance » , tu te rends compte, je donne des conférences sur le charisme, Bouchra. Je coache des dirigeants. sur la place de Paris, dans les entreprises les plus puissantes, sur leur posture de pouvoir. Et moi, ma psy, dernière fois, elle me fait parler. Et à un moment donné, elle m'arrête, elle fait « Ah ! À ce point, Inès ? » « À ce point,

  • Speaker #1

    tu as gêné ? »

  • Speaker #0

    Parce que parfois, je lui dis « Vous savez, si vous en avez marre, vous avez le droit de me dire que vous n'avez plus pu me prendre. » Elle me dit « Mais ça ne va pas ? » Elle me dit « Mais qu'est-ce qui s'est passé ? » Elle est bouleversée, elle, de voir comment... La dichotomie entre moi, publique, et moi dans son cabinet. Et c'est pas grave parce que je regarde. C'est encore en moi, parce que c'est ce qui j'ai été et on reste ce qu'on a été, toujours dans une part de nous. Mais à la fois, j'ai développé une femme puissante, sûre d'elle. Ça veut pas dire que parfois je doute pas de moi. Et donc je veux vraiment le dire ça, parce que ça peut exister, ça coexiste. Mais donc pour revenir à ta question, la peur. Donc moi je pensais pas devenir mère. Parce que je pensais que ce n'était pas pour moi. C'était trop bien pour moi, une famille. Et c'était surcoté. Et en fait, quand je suis devenue mère, je me suis dit... Ah oui, puis après, je me suis cachée derrière des choses du genre... Comme je m'étais dit que c'est ma carrière qui allait faire de moi une femme qui s'aime. Je me suis dit, je n'aurai jamais le temps pour un enfant. Et en réalité, j'ai composé. Et j'en parlais encore récemment. J'adore... J'adore être une maman, d'être dévouée à ma famille. J'ai une copine qui se moque de moi, elle me dit « toi tu es mi-Amazon, mi-Gueisha » . Elle me dit « quand je te vois dehors, tu es un cheval, tu es un hydra de tête » . Elle me dit « tu es sur ton cheval avec ton épée, il n'y a rien qui te fait peur dehors. » Et quand tu es chez toi... Tu es dévouée à ta famille, à ton chéri, à ton fils. Et je dis, mais je vois que tu te régales. Ils te disent, laisse-nous, on va faire. Non, non, non, laissez-moi. J'adore me mettre à quatre pattes avec mon fils, jouer avec lui, lui lire des bouquins, faire à manger. Tu vois, soigner mon intérieur, les draps, ils sont bons. Tu sais bien faire des gâteaux. Nos amis qui viennent avec nous en vacances l'été, on loue une maison, je suis à la cuisine toute la journée. Mais genre, j'ai vraiment... Mais tu prends plaisir. Je me réconcilie avec le côté... Avec le côté familial qui vit en moi, tout ce que j'ai pas pu peut-être vivre avant, il y a aussi ce côté très arabe, ce côté très nord-africain, oriental, qui est de cuisiner pour les autres. Regarde, moi je suis venue là chez toi, tu m'accueilles avec 1, 2, 3, 4, 5, 6 gâteaux, plus des fruits, plus... Toi t'échappes pas à l'arrêt, t'as sorti un autre truc sur le bar là-bas, j'ai vu, mais tu t'es dit peut-être, si jamais ça va pas. Donc il y a quelque chose de... quand même qui appartient, qui est très universel, mais qui est très présent dans notre culture.

  • Speaker #1

    Mais comment tu fais ça ? Parce que c'est l'autre question. Comment on jongle avec tout ça ? C'est pas évident.

  • Speaker #0

    Eh bien, tu loupes des trains, et c'est pas grave.

  • Speaker #1

    Tu loupes des trains pros ? Ou des trains perso ?

  • Speaker #0

    Non, pro. Il faut faire un choix. En fait, à un moment donné, tu ne peux pas toujours passer entre les gouttes. Il faut accepter de trancher, de choisir un camp. Ma famille passe avant. Tout le reste. C'est très égoïste. Techniquement, qu'est-ce qui me rend le plus heureux ? C'est ma famille. Et je sais que je loupe des trains. De toute façon, je te l'ai déjà dit tout à l'heure. Il y a des gens, quand je n'aime pas leur vibe, je n'y vais pas. Et pourtant, ça promet à plein d'avantages. Je me dis que ça ne va pas me porter chance, tu sais. Je me dis que Moi je veux garder cette part d'instinct qu'on a réussi à nommer. Tu vois, c'est renifler, je suis une renifleuse, vraiment. Il y a un côté très animal chez moi et je fais très attention à ce que me dicte mon instinct. Et donc aussi il faut louper quelques traits en plus pour ta famille. Je trouve qu'il n'y a pas de meilleure raison.

  • Speaker #1

    Parce que l'ONG, vous êtes combien ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, il y a près de 100 000 membres dans le monde. Et on a une équipe de 12 personnes qui fédère les activités principales et les autres sont gérées par des membres qui s'organisent en groupe de travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc tu gères l'équipe de 12 ?

  • Speaker #0

    Même pas, ils s'autogèrent de plus en plus. Moi je fais mon deuxième mandat de présidente et je pense pas que je vais le renouveler. J'aimerais qu'elle continue de vieillir, de grandir, mais avec d'autres esprits, d'autres intelligences. On crée des choses aussi pour les laisser partir et puis moi j'ai d'autres rêves qui m'attendent. Puis là, j'ai 36 ans, j'ai envie de prendre le temps, peut-être. Juste prendre le temps, voilà.

  • Speaker #1

    Et est-ce qu'élever un petit garçon dans le monde dans lequel on vit, ça rajoute une pression peut-être différente de ce rôle de maman, de ce qu'on transmet, de ce qu'on laisse ?

  • Speaker #0

    Je pense que j'aurais la même pression si c'était une fille. Mais oui, élever un enfant aujourd'hui, c'est bien sûr que c'est une pression. Déjà, on ne sait pas dans quel monde on va les laisser. On ne sait pas si ce serait l'apocalypse, si on pourrait respirer, s'il y aura de l'eau pour tout le monde, tu vois. On ne va pas se mentir, en tant que maman et papa, on se pose tous ces questions. Non, élever un enfant, un garçon qui plus est, on s'attache à ce qu'il ait des valeurs universelles, on s'attache à ce qu'il développe une identité qui lui soit propre, sans toxicité, qu'il sera aimé, quoi qu'il choisisse d'être. L'amour inconditionnel, je crois que c'est ce qui est le plus... Un enfant a besoin de sécurité et de tendresse. J'ai appris aussi une chose récemment, c'est que c'est pas parce qu'on est... pas maltraité, qu'on est bien traité.

  • Speaker #1

    C'est très vrai ça.

  • Speaker #0

    Moi j'ai fait l'écueil très longtemps. C'est pas parce que les gens ne te frappent pas, ne t'insultent pas, ne te brutalisent pas psychologiquement que t'es bien traité. La bien-traitance, c'est des câlins, c'est rappeler tous les jours qu'on t'aime, tous les jours que t'es... Mon fils, il me demande, il a 3 ans et demi, il me dit « Maman, tu m'aimes ? » Je lui dis « Mais bien sûr mon amour, je t'aime. » Il me dit « Pourquoi tu m'aimes ? » C'est sa nouvelle question. Je pourrais lui répondre « Parce que t'es mon fils. » Mais du coup, ça annihile complètement les raisons qu'il a intrinsèquement d'être ma mère. Je lui dis parce que d'abord, tu es un petit gars extraordinaire. Et puis en plus, j'ai le privilège d'être ta maman.

  • Speaker #1

    Génial.

  • Speaker #0

    Mais voilà, j'essaye de le nourrir en amour, en tendresse. Dans mon livre, j'écris, je suis allée en Inde et j'ai rencontré une réalisatrice, Leila, qui a beaucoup documenté la violence faite aux femmes dans les villages indiens. de la violence souvent perpétrée, souvent et presque exclusivement perpétrée par des hommes. Et en fait, elle explique, après avoir fait des études, que la violence... On a souvent la tendance à penser que les enfants battus vont battre leurs enfants. Il y a plein de facteurs qui font que c'est parfois vrai. Mais en fait, on peut complètement se défaire de ça, puisque c'est ce que je dis un petit peu sans le dire depuis le début, mais je pense que j'en suis aussi la preuve vivante. J'avais très peur de ça. Tu vois, je ne voulais pas avoir d'enfants parce que tout le monde me disait, tu sais, les enfants battus, ça bat les enfants. Donc moi, je me disais, mais je ne veux pas faire ça à des enfants. Et en fait, il se trouve que je suis un foutu. On a eu des limaces sur notre terrasse et je lui ai dit à mon chéri, non, non, non, on va les déposer en bas.

  • Speaker #1

    Surtout les touches pas.

  • Speaker #0

    Et puis, il voulait les jeter. On va les mettre en bas. On les pose dans un chantiment. Un jantemout. Et donc Leïla me disait qu'elle s'était aperçue que ce n'est pas nécessairement le fait d'avoir été battue, on peut ne pas avoir été battue et battre. Et d'ailleurs c'est aussi fréquent que l'autre cas. Mais c'est surtout quand on a manqué de tendresse enfant et quand on a été peu touché. Et en réalité aujourd'hui on corrèle scientifiquement, dans une grande mesure, le fait que les personnes qui ont été peu touchées, peu câlinées, ont plus de facilité et sont plus inclines. à demain, trouver facilement le chemin de la violence sur l'autre. Parce que ces personnes s'handicapent, en plus de plein d'autres facteurs, évidemment, de l'absence de connaissance de la sensation d'une caresse, d'une étreinte, d'une main posée sur ton bras, qu'on prenne ta main pour la serrer délicatement, pour te dire qu'on est là. Et en fait, aujourd'hui, sur le plan neuroscientifique, on sait que moins on est touché, moins... On inclut la tendresse dans les rapports sociaux, plus on est agressif. Et d'ailleurs, on l'observe avec le numérique. À force d'être dans des socialités sans corps derrière nos écrans, il est bien plus facile de menacer, d'insulter, d'humilier des gens. Donc les socialités sans corps, qui sont encouragées aujourd'hui par l'ultracapitalisme et les sociétés dans lesquelles nous vivons, nous induisent de devenir des gens violents. Et ça, il faut s'en prémunir. J'en parle beaucoup dans mon livre, qui est presque un plaidoyer pour moi. Et bon... Pour revenir à mon fils, j'essaye évidemment de lui apprendre la douceur, la force aussi, le courage. Le courage d'être lui, le courage d'aimer les autres, le courage de la nuance, le courage de la pensée complexe. Toutes ces choses-là qui aujourd'hui nous échappent. Aujourd'hui, on est dans qui a la meilleure punchline.

  • Speaker #1

    Et puis la pensée unique, c'est noir ou blanc.

  • Speaker #0

    C'est terrible. Donc voilà, c'est ça la pression. C'est d'en faire un être humain libre. et plutôt de bonne composition. Ça sera déjà pas mal.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #0

    Je lui dirais qu'elle était parfaite. Parfaite pas dans le sens où elle n'avait rien à développer ou ce genre de perfection-là. Elle était parfaite pour son âge. Elle était parfaite parce que quand tu es enfant, tu es parfait. Et en réalité, on n'a rien à exiger d'un enfant.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Sur un malentendu, ça peut passer.

  • Speaker #1

    C'est la première chose qui m'est. Un livre ?

  • Speaker #0

    L'humanisme est un soin, de Cynthia Fleury.

  • Speaker #1

    Un lieu ?

  • Speaker #0

    La campagne.

  • Speaker #1

    Ta plus grande fierté ?

  • Speaker #0

    D'avoir réussi à être une femme que je respecte, tout en gardant en vie ma petite fille en moi.

  • Speaker #1

    Et si tu ne devais garder qu'un seul métier pour le restant de tes jours, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Écrivain.

  • Speaker #1

    Une femme de culture arabe que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #0

    Une femme de culture arabe ? Attends parce que tu en as peut-être reçu plein. Tu as dit pour moi, je te dis si c'est reçu ou pas reçu. La première qui me vient... C'est Nesrin Slaoui que tu as eu,

  • Speaker #1

    je crois. Non, je n'ai pas eu.

  • Speaker #0

    Tu ne l'as pas eu ? Qui a une force incroyable et un parcours de vie. Et je pense que c'est important de connaître ce genre de parcours de vie. Elle a des idées. C'est une femme qui sait se battre pour les idées qu'elle défend. Et je trouve que c'est inédit des femmes comme elle.

  • Speaker #1

    Merci infiniment. C'était un vrai plaisir de discuter avec toi.

  • Speaker #0

    Merci pour ton écoute, Bouchra.

  • Speaker #1

    À très bientôt. À bientôt.

  • Speaker #2

    Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Heya underscore podcast. A très bientôt.

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