"Le goût de la liberté" avec Farida Ouchani cover
"Le goût de la liberté" avec Farida Ouchani cover
HeyA - Les voix de femmes arabes et amazighs : Parcours inspirants, sororité, fierté, transmission

"Le goût de la liberté" avec Farida Ouchani

"Le goût de la liberté" avec Farida Ouchani

51min |02/07/2025|

115

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"Le goût de la liberté" avec Farida Ouchani cover
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HeyA - Les voix de femmes arabes et amazighs : Parcours inspirants, sororité, fierté, transmission

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51min |02/07/2025|

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Description

Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Farida Ouchani, comédienne franco-marocaine au parcours riche et engagé. Elle est l’un des rares visages de femme issue de l’immigration maghrébine de sa génération à s’imposer dans le cinéma français.


En plus de son métier d’actrice, Farida a plusieurs cordes à son arc : elle est aussi metteuse en scène, autrice et très active dans le milieu associatif.


Son dernier film, Sur la route de papa, actuellement en salles, suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines.

Farida y joue Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée qui casse les clichés souvent associés aux femmes musulmanes.


Dans cet épisode, Farida revient sur son enfance, son lien profond avec ses racines et son engagement pour une représentation plus juste et plus large des femmes issues de l’immigration.

Nous avons également discuté :

• de ses combats personnels, de sororité

• des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie qu’après 30 ans

• de pourquoi son dernier rôle dans Sur la route de papa l’a particulièrement touchée

• de sa vision d’un cinéma français plus inclusif


Un épisode plein d’authenticité qui m’a beaucoup touchée.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Farida Ouchani.


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Pour suivre Farida

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Ici, on parle d’identités plurielles, de voix arabes, de parcours de femmes inspirantes, de diaspora maghrébine, de sororité, de féminisme, d’inclusion, de récits de femmes et de transmission et d’héritages culturels.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, cette semaine je suis ravie de partager avec vous un nouvel épisode du podcast dans lequel je reçois Farida Oushani. Farida qui est comédienne franco-marocaine, elle est l'un des rares visages de femmes issues de l'immigration maghrébine de sa génération à s'imposer dans le cinéma français. En plus d'être actrice, elle a plusieurs cordes à son arc, elle est metteuse en scène, autrice mais aussi très active dans le milieu associatif. Farida est actuellement à l'affiche de Sur la route de papa avec entre autres Redouane Bougueraba. qui est actuellement en salle et dans lequel on suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines. Faridah y joue le rôle de Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée, qui casse les clichés qu'on associe souvent aux femmes musulmanes. Dans cet épisode, Faridah revient sur son enfance, sur son lien profond avec ses racines. On y discute entre autres de ses combats personnels, des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie et dans le cinéma qu'après 30 ans. de pourquoi ce dernier rôle dans le film Sur la route de papa l'a particulièrement touché, de sa vision d'un cinéma français plus inclusif et de plein d'autres choses. C'est un épisode que j'ai adoré enregistrer. Je connaissais de loin Farida et j'ai découvert une femme pleine d'authenticité, de douceur. Donc sans plus attendre, je laisse place à la réelle du jour, Farida Oushani. Farida, bonjour et bienvenue sur Réel. Je suis ravie de te compter parmi... Toutes les rias qui sont passées sur le podcast. Tu n'as pas fait beaucoup d'interviews où tu discutais en longueur. Donc, je suis ravie qu'on ait un peu ce temps long pour échanger sur plusieurs sujets.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup de me recevoir. En fait, c'est l'une des premières interviews, peut-être même la première que je fais. Et je suis très heureuse de la faire avec vous.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Farida. Tu es née en France, dans une famille marocaine. Est-ce que tu peux nous parler de l'environnement dans lequel tu as grandi ? Et quels souvenirs te restent de ton enfance ?

  • Speaker #1

    Mon père tenait un café-hôtel-restaurant à côté de la Régie Renaud. Et donc, voilà, moi j'ai grandi dans un environnement très masculin parce que c'était surtout les ouvriers qui habitaient dans l'hôtel de mon père. Nous, nous habitions aussi, mes frères, ma sœur et moi, avec mes parents, nous habitions dans l'hôtel ici. Il y avait deux étages. Le premier étage était occupé par ma famille et par... Les femmes retraitaient de l'usine Renault et au deuxième étage, c'était les ouvriers, soit du bâtiment, soit de l'usine Renault qui habitaient. Il n'y avait pas d'enfants, il y avait très peu de travailleurs immigrés qui avaient amené leurs enfants en France. On est dans les années 60, il n'y a quasiment pas de logement. La France est encore en train de se relever, de se reconstruire au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. Donc vraiment, on assiste à une... une arrivée, on va dire, un petit peu plus importante et un petit peu plus conséquente dans le milieu des années 70, début des années 80. C'est là où les travailleurs immigrés vont pouvoir faire ce qu'on appelle le regroupement familial. Donc ma famille et moi, on est parmi les premiers, parmi les familles à être nées en France. Et voilà, donc moi, je joue dans le couloir de l'hôtel. Je n'ai pas de copains, je n'ai pas de copines. Mes copains, mes copines, je n'ai pas de copains et copines de classe. L'un de mes plus vieux souvenirs, on habitait quand même à côté des studios de Boulogne-Biancourt, donc des studios de cinéma, d'enregistrement, etc. Et quand on allait le matin à l'école Tréteau, je vous parle de ça, j'ai 5 ans, c'est vraiment très très ancien. C'est des souvenirs qui remontent à plus de 50 ans en arrière. Eh bien, on croisait des artistes comme Carlos, Sylvie Vartan, Johnny Hally. qui allaient enregistrer leur disque et on avait droit à notre petit bonjour les enfants, bonjour les enfants parce qu'ils nous voyaient tous les matins quand ils venaient faire des séances d'enregistrement, ils voyaient les mêmes enfants que ma mère nous tenait par la main comme ça pour nous emmener à l'école. Mon souvenir c'est plutôt les murs de l'usine et les chansons des chirettes qui venaient chanter dans le bar de mon père. Les conversations enflammées dans le café de mon père, les verres qui claquent, l'ambiance d'un café.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc première génération née en France, j'imagine première génération à aller à l'école aussi. Est-ce que ça a été une responsabilité en quelque sorte ? Est-ce que c'est quelque chose qui a été peut-être lourd à porter ou peut-être très léger parce qu'il est de la liberté ? Et... une manière de pouvoir s'émanciper.

  • Speaker #1

    Effectivement, quand on est la première génération aussi à avoir été scolarisée. Avant la responsabilité, c'est d'abord la notion de rupture. C'est une rupture. C'est une rupture avec les générations. On change. C'est comme si on bascule dans autre chose. On est élevé par des parents, enfin pas mon père, mon père était lettré lui, ça venait réécrit. L'éducation étant entre les mains de ma mère, on est élevé par une maman analphabète. Donc, pour les analphabètes, Il y a une langue, une langue que les lettrés ne... Ce n'est pas la même langue que les lettrés. C'est une langue spécifique. La langue de l'analphabète, elle est spécifique. Elle est très imagée, c'est un vocabulaire produit. Donc une pensée plutôt... qui est factuelle, tout est matérialisé. Du coup, les nuances, les subtilités, elles ne sont pas à travers les mots, mais ça va être à travers les images. D'accord ? Donc déjà ça, on le ressent parce que, et en plus, moi j'apprends à lire et à écrire la langue que je ne parle pas à la maison. Donc double rupture. À la maison, à l'époque quand j'étais petite, il nous était par ma mère interdit de parler français.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant.

  • Speaker #1

    À la maison, je parle une langue que je ne sais pas lire. Ce n'est pas de l'arabe classique, ce n'est pas l'arabe de la poésie, ce n'est pas l'arabe du Coran. Ce n'est pas l'arabe littéraire classique, c'est un arabe qui est mélangé. C'est l'arabe circonscrit à une région spécifique du Maroc, à la frontière algérienne, où on a une enclave espagnole à 100 km de chez nous. Le Maroc est un pays à la base, une très forte présence berbère. Il y a eu la présence des Français, il y a eu la présence des Espagnols, il y a la présence du berbère, ma mère est d'origine berbère. jusqu'à ce que ses parents parlaient berbère et après ils ont arrêté de transmettre le berbère à leurs enfants. Donc moi l'arabe, entre guillemets, que je parle, on dit l'arabe dialectal, mais le dialectal que moi je parle, ce n'est pas le même que celui de Fès. Enfin, on se comprend, mais il y a des petites différences. Donc en fait, me voilà éduquée avec une langue où il y a un mélange de français, c'est des mots français arabisés, je vous donne un exemple, j'ai bêlé le farcheta. « Ramène-moi la fourchette. » « Fourchette, fourchetta. » « Tu veux manger des tomates ? » « T'as clé tomateja ? » C'est un mélange de français, d'espagnol, de berbère et d'arabe. Est-ce que je peux appeler ça de l'arabe ?

  • Speaker #0

    Mais un beau melting pot pour le coup.

  • Speaker #1

    Complètement, absolument. Absolument, c'est un mélange. Après qu'on se rend compte, par exemple, le baudoré. Le baudoré, dans ma région, dans la région de mes parents au Maroc, le baudoré, c'est le rouge à lèvres. Et le baudouret, c'est en fait la poudre de riz. La poudre de riz qui était le maquillage que les femmes se mettaient jusqu'au début du XXe siècle. Donc c'est un vieux français en plus. C'est un vieux français, voilà.

  • Speaker #0

    Mais c'est génial parce que j'ai l'impression que c'est comme si vous jouiez, comme si vous, ce mélange, comme si vous passiez d'une chambre à une autre, d'une atmosphère à une autre, entre l'école. entre la maison et vous parliez de ces studios de cinéma à Boulogne. J'ai l'impression que vous viviez déjà dans un décor cinématographique entre d'une pièce à l'autre et puis d'être cette première génération de filles qui vont à l'école aussi. Il y a aussi, je ne dis pas un rôle à jouer, mais quand même, c'est quand même deux manières d'être. C'est des codes différents, que ce soit l'école, la maison. Donc, il y avait déjà des prémices d'acting en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Absolument, en fait... Moi, je suis la cinquième d'une famille de huit enfants. Je fais vraiment la jonction entre la première génération et la deuxième partie de la famille de mes petites sœurs. Donc moi, je suis au milieu de tout ça. Et effectivement, à la maison, on est éduqués d'une certaine façon. Les Marocains, jusqu'à il y a très peu de temps, on mange dans le plat commun. On n'a pas chacun notre assiette. On mange dans le plat commun, contrairement par exemple à nos amis algériens ou tunisiens, nous on mange encore dans le plat commun, on mange avec nos doigts. On te dit voilà, tu dois apprendre à faire à manger, tu dois apprendre à faire le ménage pour ton futur mari. Donc déjà on te fait rentrer dans la tête un schéma, alors que quand tu vas à l'école et que tu as des institutrices ou des professeurs un petit peu plus tard, qui te disent « mais qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? C'est quoi ton métier ? Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? » Toi, dans ta tête, tu te dis… Alors, ma mère, elle me dit qu'il faut que j'apprenne à faire à manger pour mon mari. Et il faut que j'apprenne à faire le pain. Quand elle me disait, viens apprendre à faire à manger, c'était, tiens, par exemple, viens apprendre à faire le pain. Je lui dis, mais pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Il y a plein de boulangeries et la baguette, c'est super bon. Pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Et ma mère, elle était là, oui, oui, oui. Et quand les invités vont venir, tu vas leur dire d'aller acheter le pain à la boulangerie ? Je dis, ben oui, parce que c'est super bon. En fait, c'est vrai, tu as raison quand tu dis qu'on passait d'un monde à un autre. Et il fallait qu'on développe des capacités d'adaptation, en fait. Et donc, pour moi, en tout cas, en ce qui me concerne, m'adapter, ça voulait dire comprendre. Ça voulait dire comprendre l'autre et me mettre à la place de l'autre. Et donc, peut-être que c'est quelque chose qui est utile pour le métier de comédien. C'est apprendre à être à la place du monde.

  • Speaker #0

    Puis lire les codes et vite les enregistrer pour pouvoir les interpréter et réagir de la manière qui est la plus appropriée dans un environnement particulier.

  • Speaker #1

    Tu as parfaitement bien résumé la situation. Juste une petite parenthèse, on partait tous les ans au Maroc, on restait trois mois. Donc j'ai une vraie double culture au sens où on l'entend. Quand on va au Maroc, nous on habite au bord de la mer. C'est encore autre chose. Donc, on est en maillot de bain toute la journée. À l'époque, il y avait très peu de monde là où on était. Donc, on se baladait dans le petit village. On était vraiment en maillot de bain du matin au soir. Pour aller chez nos tantes à la campagne, évidemment, on ne pouvait pas y aller en short. On ne pouvait pas y aller avec des tenues d'été, machin. Il fallait s'habiller. Et donc, en fin de compte, on a été trimballés comme ça d'environnement. Dans le Maroc des années 70, c'est un Maroc très rural. et encore, quand on est petit on peut mettre des shorts et tout, mais dès qu'on a le bout des seins qui pointent à travers le t-shirt et qu'on a nos règles bon ben là c'est fini, les shorts à la campagne les shorts au bord de la mer, il n'y a pas de problème mais à la campagne, non, donc en fait on a on nous donne comme ça des codes qu'on intègre parce que sinon on ne peut pas vivre sinon ce n'est pas possible si je ne pouvais pas aller en short à la campagne d'abord je me serais fait piquer par toutes les bêtes possibles inimaginables, les ronces, etc. Et puis, c'était « rib » , c'était Ausha , c'était pas convenable. C'était pas convenable. Donc, on apprend très jeune, on apprend plein de codes. Les codes à l'école, qui sont à l'opposé des codes de la maison. À la maison, on apprend à être une bonne femme d'intérieur, moi, à l'extérieur. Je m'ouvrais sur des horizons qui ne m'étaient absolument pas accessibles dans ma prime enfance à la maison. Sauf quand la télévision est arrivée.

  • Speaker #0

    Et je voulais savoir, parce que vous parlez de ces vacances, ces longues vacances au Maroc, à quel moment en France et peut-être aussi au Maroc, vous vous êtes sentie différente ?

  • Speaker #1

    Ça va paraître incroyable, mais quand on a eu la télévision, c'était un truc de fou. Au début des années 70, j'étais plus petite. et il y a eu Giscard d'Estaing qui est devenu président de la République ou même Pompidou avant. Les hommes politiques disaient « français, française » . J'étais petite et quand ils disaient « français, française » , je me sentais exclue de ce « français, française » .

  • Speaker #0

    C'est intéressant.

  • Speaker #1

    Parce qu'à la maison, comment on a été éduqués, c'était… Attention, soyez discrets, ne faites pas de vagues, ne faites pas d'histoires, ne faites pas de bêtises, ne parlez pas trop fort, ne vous faites pas remarquer, vous n'êtes pas chez vous, on n'est pas chez nous. La première fois que j'ai entendu « on n'est pas chez nous » , ce n'est pas dehors que j'ai entendu, c'est à la maison. Vous êtes des Marocains, vous êtes des Arabes, on est Marocains, on n'est pas Français, on n'est pas chez nous. Donc, il faut être… discrets, il ne faut pas se faire remarquer, etc. Donc, voilà, cette différence, d'abord, c'est dans le foyer familial. À l'extérieur, donc là, on est toujours dans l'enfance, à Boulogne-Villancourt, moi, j'arrive à l'école, je suis bien obligée de constater que je suis vraiment différente. Les autres, je suis la seule à avoir les cheveux bouclés, il n'y a que des cheveux lisses autour de moi, il n'y a personne qui porte un prénom que moi, j'en... Quand je vais au Maroc en vacances, personne ne suit la seule enfant d'origine immigrée dans la classe. Il y a un immigré par classe, c'est mes trois frères, ma grande sœur et moi. Mon tout premier environnement scolaire, il n'y a zéro immigré, il n'y a que nous. Après, on a déménagé, on a changé de ville et là, on arrive dans une cité, dans un quartier, une cité telle qu'on peut l'imaginer aujourd'hui, les Garges-Légonès à côté de Sarcelles dans le 95. Et là, je me mettais par la fenêtre, j'avais peur de sortir. pour la première fois. En dehors du Maroc, je voyais des gamins qui me ressemblaient et ça m'a fait peur. Ça m'a fait peur parce que ça jouait dans tous les sens. Alors que nous, tout était, comme on vivait à Boulogne-Diancourt, il n'y avait pas de verdure pour avoir de la verdure. C'était une démarche. Mon père nous mettait dans la voiture le dimanche et nous emmenait au Bois de Boulogne, à Saint-Cloud, au château de Versailles, etc. Mais sinon, il n'y avait pas de verdure autour de nous. Et la seule nature à laquelle on avait accès, c'est quand on allait en vacances au Maroc. Et là, tout d'un coup, on arrive dans un quartier, un quartier à l'ancienne. Au début, quand ils ont été construits, c'était magnifique. Il y avait des rosiers en bas des immeubles. Il y avait un petit bois, comme je viens de vous le dire. Il y avait des balançoires. Et puis, il y avait plein d'enfants qui jouaient et qui hurlaient dans la rue. Et là, par contre, dans l'école à Garges-les-Gonesse, là, je ne suis plus du tout la seule arabe de la classe. C'est plus tard. Ça fait que ça va revenir. Quand j'ai fait allemand, deuxième langue.

  • Speaker #0

    Du coup, Farida, comment vous avez fait accepter votre volonté de jouer ? ce qui n'est pas évident parce que déjà, comme on parlait de première génération qui s'émancipe, travailler, mais là, c'est travailler dans un domaine qui est perçu d'une manière assez particulière par nos parents comme étant un métier léger et pas vraiment un métier, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Beaucoup de gens, quand ils sont parents, ne considèrent pas ça comme un métier, mais nous, dans l'éducation que j'ai reçue, être comédienne, c'est fille de petite vertu, fille de mauvaise vie, etc. Donc moi, ça, je l'ai compris très vite. J'ai fait du théâtre pendant toutes mes années de collège, et mes professeurs de troisième m'avaient dit, mais Farida, il faut absolument que tu passes les concours pour rentrer au conservatoire, t'es douée, t'es vraiment faite pour ça, on voit bien que t'es pas scolaire. Moi, je faisais le minimum pour passer. J'avais des facilités. Je faisais le minimum pour passer d'une classe à l'autre classe supérieure. Mais moi, je voulais tout le temps jouer, en fait. Je voulais tout le temps imiter les gens. de temps en temps raconter des histoires. Je voulais tout le temps qu'on me raconte des histoires. J'adorais lire, j'adorais raconter, j'adorais qu'on me raconte des histoires et j'adorais mettre en scène, jouer, etc. À la maison, c'était compliqué. C'était très compliqué parce que comme je me rebellais, à la maison, je ne voulais pas apprendre à manger pour un mari et pour satisfaire sa famille, essayer de les inviter. Je ne voulais pas être l'esclave, ce que moi je considérais être l'esclave de mes frères. J'ai eu beaucoup de conflits. J'ai vécu toute mon adolescence et une première partie de ma maturité, de mon âge de jeune femme, j'étais en conflit constant. J'étais en conflit constant avec ma mère qui ne savait pas comment faire pour me maîtriser. Elle a fait ce qu'on fait, on n'a pas besoin d'aller à l'école pour comprendre qu'il était divisé pour mieux régner. Donc mes frères étaient extrêmement violents à mon égard. Et donc, j'étais en rébellion constante. Mais en même temps, j'avais des petites sœurs. À 18 ans, j'avais envie de partir, de prendre mon sac et de me tirer, d'aller en Angleterre filer au père pour apprendre l'anglais et tout ça. Je me suis dit, si je fais ça, mes sœurs vont payer le prix de ma liberté. Donc, il faut que j'attende que mes sœurs grandissent pour pouvoir faire ce que je veux. Donc, ce que j'ai fait à l'issue de la troisième, je ne m'ai pas passé les concours au conservatoire. Parce que j'avais deux ou trois combats à mener au sein de la famille. J'ai laissé tomber pendant 15 ans. Je suis allée au lycée, j'ai eu mon bac, je suis allée à l'université. J'ai fait un d'œuvre, à l'époque on appelait ça un d'œuvre, plus une licence de l'ethnoderme. J'ai travaillé, j'ai protégé mes sœurs.

  • Speaker #0

    C'est toujours dans un coin de votre tête quand même ? Vous saviez que vous retournerez vers ces premiers amours ?

  • Speaker #1

    Je prestaisais cette partie-là. La partie artistique, je l'ai complètement anesthésiée. Vraiment, vraiment. C'est revenu et évidemment, j'ai fait des études, etc. Mais j'étais très instable. Je ne gardais pas mes boulots. Je ne gardais pas mes appartements. Quand j'ai pris mon indépendance, mon premier appartement, je déménageais tous les un an et demi, deux ans. J'étais complètement instable et je ne comprenais pas pourquoi j'étais instable. Et en 1998, j'ai 31 ans. J'ai un ami que je remercierai. C'était la fin de mes jours. J'étais directrice d'un centre de loisirs à Paris et il me dit, écoute Farida, au mois de juillet, j'ai fait un super stage de théâtre qui devrait venir. Le prof, il revient au mois de septembre, octobre, il revient, il va donner des cours, il va donner, il va animer un atelier de théâtre amateur. Viens et tout. Ouais, ouais, bon, je n'étais pas très bien dans ma peau ni dans ma tête à cette époque-là. Ça me revient en fait. Tout d'un coup, il réactive un vieux souvenir. C'est comme si je sortais d'un long sommeil et je me vois en train de discuter avec un pote en lui disant « Il faut vraiment que je retourne au théâtre parce que sinon je vais devenir folle si je ne fais pas ça. » Et donc, je m'inscris à cet atelier théâtre. J'assiste à la première séance de cet atelier où je vois des jeunes. Ils sont en train de dire des textes. Je suis assise dans une rangée, comme ça je suis toute seule. Et je parle toute seule en les regardant, en me disant, en fait, elle est là ma place. Tout est revenu. Physiquement, j'ai eu une réaction physique où j'ai senti, je t'assure Bouchra, j'ai ressenti une réaction physiologique, comme si dans mon corps, il y avait des cellules qui se remettaient en marche. Je ne sais pas comment vous dire. Mais on réactivait une mémoire. Oui, en fait, c'est ça. La mémoire, la joie que j'avais à être sur scène, à jouer, etc., que mon corps avait imprimé, elle se réveillait. Et donc, je me suis inscrite à cet atelier. Comme quoi, quand on se reconnecte avec qui nous meut fondamentalement, 99... premier festival d'Avignon, 2000, deuxième festival d'Avignon, 2001, troisième festival d'Avignon. En 2001, il y a un monsieur P. à son âme qui s'appelle Claude Wolf, qui était l'un des premiers agents de Paris. Il avait créé ce qu'on appelait à l'époque les fichiers électroniques du spectacle. Il m'avait vu jouer en 2000 et en 2001 au festival d'Avignon et il voulait me faire rentrer dans son agence. Et il m'avait dit cette phrase, il m'avait dit vous, vous êtes… Je t'assure, Bouchra, des fois, il y a des choses comme ça dans la vie, c'est incroyable. Il m'invite à venir dans son agence, il m'explique un peu comment ça se passe. Il me dit que c'est payant et tout. Je dis, écoutez, moi, je n'ai pas d'argent. Moi, je fais ça comme ça. Il me dit, non, non, je ne veux pas vous prendre d'argent. Il me dit, moi, je vais bientôt arrêter. Je vais à la retraite. Je fais ça vraiment pour le plaisir. Je ne demande pas d'argent. Mais moi, je pense que vous êtes faite pour ça. Parce que j'étais amateur, en fait. J'étais juste amateur. Vous êtes comme le bon vent. Vous allez vous bonifier avec le temps.

  • Speaker #0

    Et puis, c'est un super coup de boost pour ton égo et toutes les questions qu'on peut se poser en tant que femme en général, de légitimité, j'ai 31 ans, est-ce que je peux le faire, etc.

  • Speaker #1

    C'est génial. Donc, cette phrase m'est restée. Cette phrase m'est régie. S'il y a bien un métier où on ne prend pas sa retraite, c'est bien un comédien. On peut jouer des rôles jusqu'à la fin de sa vie. Et puis, à partir de là, j'ai retrouvé un boulot. J'ai retrouvé un appartement parce que j'étais par mots et par vaut. Je me suis un petit peu plus stabilisée. C'est-à-dire que l'appartement que j'avais trouvé en 1999, je l'ai gardé dix ans, celui-là. Là, je me suis posée, je me suis stabilisée. J'ai créé une association. J'ai commencé à prendre des cours à Paris. Bref, j'ai commencé à apprendre mon art. Je continue encore. Quand on revient à ce qui n'était pas... mes occasions s'offrent à nous et je les ai saisies mais vraiment Bouchra quand j'ai saisi toutes ces occasions de m'inscrire à cette atelier théâtre d'aller au Festival d'Avignon, d'aller voir ce monsieur Claude Valls à Paris dans le 16ème arrondissement rue des Bemsœil il m'a fait rencontrer une première réalisatrice, j'ai fait un premier court-métrage, un deuxième court-métrage, un troisième court-métrage à l'issue de ces court-métrages un an et demi après Merci. Il y a une directrice de casting qui me contacte pour que je puisse passer un casting pour un téléfilm. Je suis sélectionnée, je joue dans ce téléfilm. Suite à ce téléfilm, le directeur de production me dit « Il faut absolument que tu aies un agent parce que tu es vraiment faite pour ce métier, mais il faut que tu aies un agent. » Et donc, il m'a présenté mon premier agent, Christine Parra. Si un jour elle écoute ce podcast, je ne la remercierai jamais assez, elle aussi. Elle a cru en moi. Je restais dix ans dans son agence. Après, j'ai pris une deuxième agence. Là, je suis dans une troisième agence. Quand j'ai commencé, quand j'ai saisi toutes ces opportunités, franchement, Bouchra, pas une seconde, je n'avais de carrière dans la tête. Pas une seconde. Pour moi, c'était déjà un miracle d'être revenu sur scène. À chaque fois que je décrochais un casting, la question de la légitimité... t'a roder la tête jusqu'à il n'y a pas très longtemps. Tu sais, quand tu es biberonné, depuis le plus jeune âge, d'abord, premièrement, tu n'es pas chez toi. Donc la question de la légitimité... De l'appartenance à un territoire, déjà ça, c'est... Enfin, je veux dire, pour se construire, si on n'a pas cette base-là, c'est compliqué. Tu vois, la question de la légitimité. Moi, quand j'étais petite, je n'osais pas lever la main. Je connaissais les réponses aux questions que l'instituteur ou l'institutrice posait. Je n'osais pas lever la main. Ce qui fait que quand j'ai fait du clown, mon premier personnage qui est sorti, mon premier clown qui est sorti, c'est une petite fille. Et à chaque fois que quelqu'un... Par exemple, quand on faisait une improvisation de clown, mon clown, c'était une petite fille. Elle a une voix comme ça. Ou elle parle comme ça. Et donc, en fait, à chaque fois que dans une improvisation, le clown d'en face de moi disait quelque chose, posait une question, moi, j'étais là, moi, je sais, moi, je sais, moi, je sais. C'est comme si mon clown, il rattrapait toutes ces années où je ne pouvais pas poser la question parce que je ne me sentais pas légitime. Dans ma tête, c'était, t'es qu'une fille, t'es qu'une arabe. Tu ne peux pas savoir mieux que les Français. Les Français, eux, ils sont chez eux. Toi, tu n'es pas chez toi. Voilà, donc on grandit avec ça. Alors, sûr, après, on se dit qu'on est névrosé. On développe une anxiété absolument. Moi, j'ai vécu avec une anxiété chevillée au corps. Il a fallu que je parle franchement. Il a fallu que je fasse des années et des années de thérapie. On ne sort pas indemne d'une éducation comme ça.

  • Speaker #0

    Et puis on porte aussi des chaînes de nos ancêtres, l'exil, tout ça, ce n'est pas des choses qui sont faciles.

  • Speaker #1

    Exactement, on démarre dans la vie avec un 38 tonnes à chaque pied. Il faut s'alléger de tous ces poids-là. Moi je pense, tu sais, franchement, oui, ça demande du courage. Parce que c'est plus heureux.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Moi, je n'ai pas fondé de famille. Il n'y avait pas d'espace pour ça. Il y avait tellement d'interrogations dans ma tête, il y avait tellement de combats à mener. Tu vois, il n'y a pas eu l'espace pour que je pense à fonder une famille. C'est-à-dire que même quand j'ai eu des relations amoureuses, je me suis toujours... intéressé, comment je peux l'exprimer d'une manière, je ne veux pas faire du misérabilisme, je ne suis pas en train de te respecter. Moi, quand on me pose la question, ah, tu n'as pas d'enfant, d'abord, on est étonné que je n'ai pas d'enfant. Non, je n'ai pas d'enfant. Ah, d'accord, c'est parce que tu n'as pas voulu, ni j'ai voulu, ni je n'ai pas voulu. Il n'y avait pas d'espace pour le penser, ni pour le désirer.

  • Speaker #0

    La société est dure aussi parce qu'il y a un peu cette injonction et Il faut se marier et il faut avoir des enfants parce que c'est la seule manière d'être heureux, ce qui n'est pas forcément vrai. On en connaît tous beaucoup qui sont dans ce cas-là et ils sont malheureusement loin d'être heureux.

  • Speaker #1

    Je suis la preuve qu'on peut s'épanouir sans enfants. Alors bien sûr, comme je dis, moi, mon instinct maternel, je l'ai donné à mes sœurs. J'ai beaucoup travaillé avec les enfants aussi. J'ai beaucoup travaillé avec les jeunes. J'ai été pionne, j'ai été animatrice, j'ai été directrice d'écolos. J'ai été prof dans les collèges, etc. Et donc, moi, l'éducation, la transmission, c'est quelque chose qui me passionne tout autant que le jeu d'acteur. Parce que dans la transmission, c'est comme dans le jeu d'acteur, on donne quelque chose à l'autre. On donne directement quelque chose à l'autre.

  • Speaker #0

    Pour ce point de transmission, quelle est la chose que tu veux transmettre à ces enfants ? Je voulais revenir, parce que je sais que tu as donné beaucoup de cours, que tu animes des classes. Quelle est la chose que, s'il y avait une chose que tu veux absolument transmettre à ces enfants ? des... à tes nièces, ce serait quoi ?

  • Speaker #1

    Le goût de la liberté, l'indépendance, être autonome. C'est ça. Je te dis ça parce que j'ai fait un jour ce qu'on appelle une autobiographie résumée. Donc en fait, ça se fait en trois parties pour découvrir les fils rouges qui jalonnent ton existence. Et donc, tu fais tout un récit de ta vie, etc. en mettant l'affect de côté. Et tu fais le récit de tout ce que tu as mis en place, en dehors du cadre des études. Et je me suis rendu compte...

  • Speaker #0

    que ce que j'aimais par-dessus tout, c'était accompagner les personnes vers de l'autonomie, vers de l'indépendance, vers vraiment que ces personnes-là découvrent qui elles sont. Et à partir du moment où elles découvrent ce qu'elles sont, à ce moment-là, elles vont trouver en elles-mêmes les outils, pas les outils parce qu'on n'est pas des machines, mais les ressources. les ressources, merci, les ressources, les ressorts pour bâtir leur vie. Vraiment, il n'y a pas de matière pour ça. C'est vraiment ça qui me met, vraiment. Même dans mes cours de théâtre. C'est-à-dire que quand j'anime des ateliers théâtre, j'essaie autant que faire se peut de... C'est pour ça que je ne peux pas faire des cours de théâtre avec 30 personnes. Moi, c'est 12, 15 maximum. Pourquoi ? Parce que je travaille avec chacun pour que chacun trouve sa singularité. sa personnalité et sa façon de faire, sa façon de jouer, sa façon de dire à lui. Et donc, c'est ça qui m'intéresse, c'est comment chacun va trouver sa singularité.

  • Speaker #1

    C'est un peu de ce que j'entends, le chemin de votre vie. Vous recherchez de trouver cette indépendance et revenir à ces amours qui n'étaient pas toujours acceptés au début pour se sentir pleinement alignés et être soi.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    C'est très beau. Tu es une femme très engagée, tu parlais de l'association que tu as créée. Je voulais savoir, est-ce que cet engagement pour toi, il passe aussi parce que tu joues ou aussi parce que tu refuses de jouer peut-être ? Est-ce qu'il y a eu des rôles que tu as refusé de jouer parce que peut-être trop cliché ou pas en ligne avec tes valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors, on va parler de manière vraiment, comme on le fait depuis le début, très nette. Au début, moi, je ne refusais aucun rôle. Pourquoi ? Le moindre rôle qu'on... proposé et que j'obtenais devant la caméra, c'était une occasion d'apprendre. D'apprendre parce qu'apprendre à jouer sur scène, ce n'est pas comme jouer devant une caméra. Ça n'a rien à voir. C'est le même métier, mais ce n'est pas du tout la même façon de le faire. D'accord ? Et puis, il y a la question pécuniaire. Donc, comme je t'ai dit, moi, je n'ai pas bâti de famille. Donc, moi, j'étais totalement indépendante. Ça veut dire responsable de ma propre personne, personne pour payer mon loyer, etc. Donc, moi, je… au début, moi je travaille, j'essaie de travailler le maximum parce qu'il faut bien vivre. C'était des rôles en fait, au-delà du cliché, c'était des rôles qui étaient complètement fantasmés. C'est-à-dire que c'était écrit par des gens qui avaient une idée de la femme maghrébine qui était complètement à côté de la plaque. Au début, j'ai mis ça de côté et ce que j'ai essayé de faire à chaque fois, c'était vraiment de mettre de la sincérité et c'est peut-être là mon engagement. Mon engagement, il est dans comment je joue ces personnages-là. On me donne quelque chose de cliché, comment j'essaie d'y mettre de la sincérité et de la justesse et de la vérité. Il est là, mon engagement. Même quand on me demande de faire un accent. Aujourd'hui, je n'y arrive plus. Là, moi, par contre, aujourd'hui, quand on me demande de faire un accent, je dis non. Là, stop. J'ai prouvé, ça y est, c'est bon. C'est bon, j'ai fait 8 000 Rachida, 15 000 Malika. Ça y est, il n'y a pas que ces prénoms-là. C'est bon, stop. Et donc, tu vois, dans le dernier film, dans le film qui vient de sortir, avec Redouane Bouguérapa, Caroline Anglade, Nora Degendi et mes autres camarades, je joue le rôle de Mima, qui est un hommage, en fait, à nos parents. mais qui serait plutôt de la génération de ma grande soeur. Et les deux réalisateurs, Olivier Dacourt et Nabil Aïta Kouali, ils m'ont dit, nous, on ne veut pas une femme clichée. Alors oui, moi au début, je ne voulais pas porter le foulard, mais ils m'ont dit, si, si, si, nous, on veut que tu portes le foulard parce qu'on veut montrer à travers ton personnage qu'on peut porter le foulard et quand même en avoir plein la tête. Ça,

  • Speaker #1

    c'était très intéressant. Je trouvais que c'était assez frais. de montrer cette dualité. Et je trouve qu'on n'associe pas du tout foulard et culture générale et lecture. C'est des choses qu'on retrouve chez plein de femmes. Et je trouvais que c'était très rafraîchissant de voir.

  • Speaker #0

    Exactement. Donc, il m'a dit, tu parles comme tu parles, mais tu es juste Mima qui a des enfants, etc. Donc, il me fait lire une carte. Une partie de mon engagement, c'est ça. C'est de... Vraiment de ne pas juger mes personnages, même quand ils peuvent paraître caricaturaux, de ne pas les juger et d'y mettre de la vérité. Alors, on peut ne pas aimer mon jeu, il n'y a pas de problème là-dessus. Je veux dire, il n'y a pas de souci, on a le droit de ne pas aimer ce que je fais, il n'y a pas de problème là-dessus. Il y en a beaucoup qui aiment, que j'entends souvent quand on me fait des compliments, c'est « j'aime bien comment tu joues parce que tu es sincère » . Moi, quand on me dit ça, je suis contente,

  • Speaker #1

    tu vois ? Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Et dans ce film qui est, comme je disais tout à l'heure, qui est très rafraîchissant et vraiment... Surtout ton personnage de Mima, c'est ce qu'on disait, c'est la première fois je pense qu'on associe ces deux choses-là. Est-ce que c'est quelque chose qui t'a séduit du coup dans le scénario ? Et on parle beaucoup de silence, de mémoire, de filiation. Est-ce que c'est des choses qui résonnaient particulièrement avec ton parcours et avec toi ?

  • Speaker #0

    Ah oui, oui, oui, oui. Ce personnage, le scénario et le personnage m'ont beaucoup plu parce que forcément ça va résonner avec... une partie de mon histoire personnelle, où on a été élevés par des parents quand même. Eux ont eu une éducation encore plus rigide que la nôtre, avec une pudeur qui fait 8000 kilos. Enfin, un truc comme une chape de plomb, cette pudeur, où on a du mal, on ne dit pas « je t'aime » à ses enfants, on ne raconte pas à ses enfants. Moi, il a fallu que je pose des questions et que je tire les verres du nez de mon père pour qu'il me raconte un petit peu. peu son enfance avec une pudeur incroyable. C'est ma mère maintenant, elle sait que j'aime bien, donc elle me raconte souvent « ton père c'était comme ci, ton père c'était comme ça, et moi c'était comme ci, et moi c'était comme ça » , parce qu'elle a compris que ça m'intéressait. Mais oui, ce qui m'a intéressée dans ce film, c'est effectivement que nos parents, ils ont vécu, par exemple ma mère, son père et sa mère, ils se parlaient en berbère. En fait, ils n'ont pas transmis le berbère à leurs enfants. Et pour que les enfants ne comprennent pas, parce que les maisons étaient construites de manière… Ce n'était pas la même façon, donc l'intimité ne se déployait pas de la même façon. Eh bien, déjà, mes grands-parents maternels se parlaient en berbère pour pas que les enfants comprennent. Déjà, mon père, lui, il a perdu sa mère très tôt. Il était tout petit. Très tôt, il a quitté le domicile familial, il crevait de faim. Donc, il a fugué très, très tôt, etc. Il s'est fait un peu tout seul. Donc, mon père, c'est quelqu'un qui était… c'était un taiseux. D'accord ? Donc, c'est plus tard que mon père, quand il a commencé, quand il était devenu vieux, il nous appelait ma jolie. Et ça, ça choquait, ça choquait toutes les copines qui venaient à la maison. Ils entendaient mon père, ça va ma jolie ? Alors là, c'était, comment ça, mon père ? Ouais, ouais, je dis mon père, il a cinq filles et il a cinq ma jolie. Donc, c'est plus tard, tu vois. Donc voilà, et ce silence-là, dans le film, Nima, elle porte ça en elle et elle se rend compte des dégâts que ça a causé sur ses enfants.

  • Speaker #1

    Et quelle est, selon toi, Farida, la chose qu'on comprend le moins bien du vécu des femmes issues de l'immigration dans le cinéma français ?

  • Speaker #0

    Ce qu'on comprend le moins bien, c'est que c'est uniquement des victimes. On en fait des victimes, on en fait des femmes qui ne comprennent rien, des pauvres petites... C'est vraiment une vision néo... coloniale, la femme maghrébine. Il n'y a pas de rôle de femme qui peut représenter ma génération, par exemple. Ça n'existe pas. C'est un sujet, c'est un impensé. Les femmes, moi, mes petites sœurs, quand je dis mes petites sœurs, elles ont plus de 40 ans. Toutes ces femmes-là, dans le cinéma français, elles n'existent pas. En fait, on a figé la femme maghrébine à l'âge de... de nos mères, les femmes forcément victimes et soumises. Oui, il y en a, on ne va pas se mentir. Bien sûr qu'il y en a. Mais il n'y a pas que ça. Elles ont du caractère. Elles ont du caractère. Il y a des femmes qui ont du caractère. Il y en a qui ont travaillé. Il y en a qui sont allées apprendre à lire et à écrire. Moi-même, j'ai donné des cours de français. J'ai appris à lire et à écrire à des femmes africaines, maghrébines, etc. Moi-même, dans les années 90, j'ai donné des cours de français et d'alphabétisation. Ces femmes-là, on ne les voit jamais. On ne voit jamais toutes ces femmes qui sont allées à l'école. Celle que je vous raconte, j'ai 58 ans. Ma sœur, elle en a 65. J'ai des cousines qui ont 67, 68 ans, qui ont travaillé toute leur vie, qui s'expriment extrêmement bien. On ne les voit jamais dans le cinéma français. Ces femmes-là n'existent pas. Seules existent infantiles. néocoloniale qui est la femme maghrébine qui sait pas lire, qui sait pas écrire ou celle qui se fait tabasser par... ou alors une fille, entre guillemets, pas de mauvaise vie, mais qui a des problèmes sociaux, etc. Oui, tout ça existe. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le mettre en scène, mais ça devient du cliché à partir du moment où on ne reste que sur cet angle-là. Moi, ça ne me dérange pas de jouer une femme de ménage. Ça ne me dérange pas, ça existe. Bien sûr qu'il y a des femmes maghrébines. D'ailleurs, les femmes de ménage et les aidantes à domicile, elles sont toutes de régime. Mais on peut jouer autre chose. On peut jouer autrement. Non, c'est impensé, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Mais ça, ça a dû être difficile quand on commence, surtout à 30 ans, à jouer dans ce milieu-là. Et je voulais savoir, est-ce qu'il y a des figures féminines dans ta famille, dans la culture, dans le cinéma, qui t'ont portée, qui t'ont inspirée, qui étaient un peu tes rôles modèles quand tu t'es lancée ?

  • Speaker #0

    Moi, j'ai des modèles dans ma famille. Mes cousines au Maroc, j'ai une nièce de ma mère, qui sont donc un petit peu plus âgées que moi, dans notre région. c'était les premières à avoir eu leur baccalauréat. Et donc à l'époque, au début des années 80, on marquait le nom des gens dans le journal, au Bled, au Maroc, on marquait le nom des gens qui avaient eu le bac. Et mes cousines étaient les premières à avoir eu leur bac. Donc ça, voilà, pour moi, ces cousines-là, les nièces de ma mère, donc il y en a une qui était prof d'anglais, deux autres qui étaient institut, qui travaillent au centre culturel américain, etc. elle parle l'anglais, le français couramment, elle parle l'arabe, elle dit tout ça couramment. Bref, pour moi, au niveau intellectuel, c'était des modèles. J'ai eu plusieurs modèles. Mon père avait une licence pour vendre de l'alcool. On est dans les années 70. Donc, les femmes de ma famille, elles ne sont pas voilées, d'accord, mais elles sont toutes en robe longue, etc. Et au Maroc, je vois des femmes assises à la... la terrasse du café de nos pères. Elles ont des cheveux comme ça, ondulés, brochingués. Elles sont maquillées. Elles ont un verre d'alcool devant elles et elles portent des pantalons, pas d'éléphant. Elles étaient super belles. Elles avaient du vernis rouge et des ongles nôtres, etc. Et après, j'ai fini par comprendre que c'était des prostituées. Je les adorais. Je les adorais et elles m'adoraient. parce que j'essayais de parler en arabe et donc avec un accent un peu plus au coton en français. Et elle m'achetait des études, elle venait me toucher les cheveux, etc. Et puis, moi, je les adorais et je voulais leur ressembler. C'était mes modèles de beauté, de féminité.

  • Speaker #1

    Parce qu'elle représentait l'émancipation.

  • Speaker #0

    Oui, elle représentait l'émancipation parce que j'entendais à la maison Ausha, Ausha, la femme qui fume, Ausha, la nanny, nanana, nanana. » Et en fin de compte, ces femmes-là, je les trouvais super sympas et je les trouvais super belles. Ça a été parmi mes modèles de féminité. Des putes, des prostituées, tu vois. Quand je dis putes, il y a un très grand respect dans ma bouche. C'était des prostituées. Je les trouvais magnifiques. Ça, ça a fait partie de mes modèles. Et puis au cinéma, il y a une actrice, parmi beaucoup d'actrices, il y en a une qui m'impressionnait. C'était qui ? C'était Simone Seymouré.

  • Speaker #1

    En d'hommes.

  • Speaker #0

    Waouh ! Quel jeu, quelle puissance ! Il y avait de la puissance et de la fragilité en même temps. Il y avait de la... Enfin voilà, elle a le corps, elle a un âge avancé, le visage, etc. Elle est restée belle différemment, mais elle est restée magnifique. C'est vraiment l'une des actrices qui m'a le plus marquée.

  • Speaker #1

    Si je te disais, quelle est ta définition de la réussite ? Réussir dans la vie, pour toi, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Être en accord avec soi-même. C'est la première phrase qui me vient. Je ne réfléchis pas, je dis être en accord avec soi-même. Aujourd'hui, on dit allumé, reconnaître ses erreurs, ses errements, ses égarements. Ils ne m'ont rien regretté parce qu'on fait ce qu'on peut. Mais c'est vraiment être foncièrement et fondamentalement honnête avec soi-même. Avant de l'être avec les autres, il faut l'être avec soi-même. Dans l'intimité entre soi et soi, quand il n'y a personne qui te regarde. entre les quatre murs de chez toi, il n'y a personne qui te regarde, il n'y a personne qui t'écoute et tu te regardes tel que tu es, tel que tu es. Être alignée à l'autre, c'est un bon mot. Et se dire, là, il y a des choses que je fais, ce n'est pas encore ça, mais ce n'est pas grave parce que je sais que je t'en vais être alignée, être toujours alignée. Moi, je suis heureuse comme ça. Je suis une femme heureuse.

  • Speaker #1

    C'est beau à entendre et on le voit, je le vois en tout cas. Vous le portez, tu le portes sur toi, vraiment. Qu'est-ce que tu dirais à la petite Farida si tu pouvais parler à cette petite fille dont on parle depuis tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Je lui parle souvent. Je lui dis « mets pas peur » . Parce que, comme je te disais au début de l'entretien, il y a des hommes plus anxiétiques, chevillés au corps, parce que dès tout petit, on nous dit « on n'est pas chez nous, t'es qu'une fille, t'es plus ici, t'es plus là » . On développe une espèce de peur viscéral contre laquelle je ne me lutte plus, mais que je repousse, que je repousse, que je repousse. Et parfois, quand je sens une peur irrésumée en moi, je sais que c'est la mémoire de cette petite fille qui se réveille. Je lui dis, n'aie pas peur, petite Fariba, la grande, elle est là pour baigner sur toi. C'est une première chose. La deuxième chose que je dis à cette petite fille, je lui dis merci. Je lui dis merci d'avoir été une petite fille. qui était tout le temps dans la lune, tout le temps dans les nuages, qui rêvait, qui était gourmande des autres. Moi, par exemple, quand j'étais à la plage, je ne savais pas encore bien nager. J'étais donc au bord de Benoît, au Maroc, et j'allais voir tous les gens qui étaient autour de moi. « Bonjour, je m'appelle Farida. Tu veux on joue ? Comment tu t'appelles, toi ? » Et tous les jours, je connaissais tout le monde. Au bout de trois jours, je connaissais tout le monde. Cette petite fille, je lui dis merci. Moi, ce qui m'intéressait, c'était de jouer avec les œufs. Ce n'était pas de jouer avec des objets, c'était de jouer avec les œufs.

  • Speaker #1

    Génial. C'est vraiment génial. Qu'est-ce que tu aimerais dire aux femmes qui écoutent cet épisode et qui parfois doutent, hésitent à prendre leur place, se disent « il est trop tard, je ne peux pas le faire parce que j'ai 30-40 ans » . Qu'est-ce que tu aimerais leur dire ?

  • Speaker #0

    J'ai plusieurs choses à vous dire parce que ce n'est pas que nous. La première chose, doutes. Douter, c'est normal. C'est normal. À chaque fois qu'on a été habitué à être dans un certain chemin, on a du confort. On est confortable dans cette situation que l'on connaît, dont on maîtrise tous les codes. Même si c'est une situation qui nous fait souffrir, on en maîtrise les choses. Notre cerveau est sénéant de nature, il aime bien les choses connues. C'est une prison, les babes. Le doute, c'est une bénédiction, c'est un cadeau. Avoir des doutes, c'est un cadeau. Ne fuyez pas le doute, allez-y. N'ayez pas peur de l'inconnu, c'est absurde. C'est absurde d'avoir peur de quelque chose qu'on ne connaît pas. La peur, comme disait un grand écrivain égyptien, n'empêche pas la mort, elle empêche la vie. Donc, mesdames, vous doutez, c'est normal. Vous avez peur, c'est normal. Apprivoisez cette peur. Apprivoisez-la, ne la laissez pas vous envahir. Troisièmement, il est trop tard, c'est pas bon ça. Ça, il faut effacer ce logiciel. Ce que vous aimez au fond de vous, c'est pas rien. C'est merveilleux, c'est magnifique, c'est l'espoir du monde. Nous sommes l'espoir du monde, mesdames, vraiment, je le pense. Ce que vous êtes aujourd'hui est... et vous vous sentez à l'étroit, ça n'est qu'une construction, c'est une fabrication, ce n'est pas vous. C'est qui est vous, c'est magnifique, c'est à l'intérieur de vous, et le monde a besoin de ça. Nous avons besoin de ça, c'est urgent, mesdames. Déployez-vous, épanouissez-vous. Moi, je suis dans la sororité. Si vous me croisez sur votre chemin, je vous donnerai tout ce que je peux, je vous donnerai le maximum d'énergie que je peux, mais le dites-moi. pas il est trop tard c'est ce qu'on veut nous faire croire vous voulez faire de la danse à 40 ans allez-y vous voulez faire de la sculpture à 55 ans allez-y vous avez envie de vous tirer la peau allez-y vous avez envie de vous tourner la tête allez-y vous avez envie d'avoir les cheveux violets allez-y allez-y on a besoin de fantaisie on a besoin de la fantaisie de l'intelligence incroyable et inépuisable des femmes les soeurs toutes les soeurs n'ayez pas peur Nous sommes puissantes, nous sommes belles, nous sommes fortes, nous sommes intelligentes, nous sommes généreuses, nous sommes la vie.

  • Speaker #1

    Merci Farida. C'est très émouvant ce que vous venez de dire, ça me touche particulièrement. Merci pour ça. Il y a une dernière partie dans l'interview, c'est des toutes petites questions et l'idée c'est de répondre du tac au tac. Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Alors une phrase que je me répète souvent, je ne suis pas sur terre pour souffrir ni pour subir.

  • Speaker #1

    un livre

  • Speaker #0

    « Les femmes qui courent avec les loups » de Clarissa Pinkola Estes. C'est un livre parmi tant d'autres, mais celui-là a été un détonateur.

  • Speaker #1

    Une musique ?

  • Speaker #0

    J'adore.

  • Speaker #1

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur ce podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours sur mon podcast ?

  • Speaker #0

    La première à laquelle je pense ? C'est une réalisatrice, actrice et scénariste qui s'appelle Sejriya Dehbiba, qui a réalisé un magnifique film qui s'appelle « D'une pierre deux coups » dans lequel j'ai eu la joie de jouer, que je te recommande. Tu peux me permettre une deuxième femme qui est une critique de cinéma qui s'appelle Nadia Mefla, c'est un personnage.

  • Speaker #1

    Farida, je te remercie infiniment pour ce moment. c'était un vrai plaisir d'échanger avec toi et d'en savoir plus sur ton magnifique parcours et ta magnifique histoire merci beaucoup Bouchra,

  • Speaker #0

    merci infiniment et j'espère avoir l'occasion de te croiser en chair et en os j'adorerai,

  • Speaker #1

    j'adorerai,

  • Speaker #0

    merci Alida avec plaisir,

  • Speaker #1

    à bientôt cet épisode de Heya est maintenant terminé, je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout ce qui j'espère veut dire que vous l'avez apprécié N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux, c'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire, c'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya underscore podcast. A très bientôt.

Description

Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Farida Ouchani, comédienne franco-marocaine au parcours riche et engagé. Elle est l’un des rares visages de femme issue de l’immigration maghrébine de sa génération à s’imposer dans le cinéma français.


En plus de son métier d’actrice, Farida a plusieurs cordes à son arc : elle est aussi metteuse en scène, autrice et très active dans le milieu associatif.


Son dernier film, Sur la route de papa, actuellement en salles, suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines.

Farida y joue Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée qui casse les clichés souvent associés aux femmes musulmanes.


Dans cet épisode, Farida revient sur son enfance, son lien profond avec ses racines et son engagement pour une représentation plus juste et plus large des femmes issues de l’immigration.

Nous avons également discuté :

• de ses combats personnels, de sororité

• des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie qu’après 30 ans

• de pourquoi son dernier rôle dans Sur la route de papa l’a particulièrement touchée

• de sa vision d’un cinéma français plus inclusif


Un épisode plein d’authenticité qui m’a beaucoup touchée.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Farida Ouchani.


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Ici, on parle d’identités plurielles, de voix arabes, de parcours de femmes inspirantes, de diaspora maghrébine, de sororité, de féminisme, d’inclusion, de récits de femmes et de transmission et d’héritages culturels.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, cette semaine je suis ravie de partager avec vous un nouvel épisode du podcast dans lequel je reçois Farida Oushani. Farida qui est comédienne franco-marocaine, elle est l'un des rares visages de femmes issues de l'immigration maghrébine de sa génération à s'imposer dans le cinéma français. En plus d'être actrice, elle a plusieurs cordes à son arc, elle est metteuse en scène, autrice mais aussi très active dans le milieu associatif. Farida est actuellement à l'affiche de Sur la route de papa avec entre autres Redouane Bougueraba. qui est actuellement en salle et dans lequel on suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines. Faridah y joue le rôle de Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée, qui casse les clichés qu'on associe souvent aux femmes musulmanes. Dans cet épisode, Faridah revient sur son enfance, sur son lien profond avec ses racines. On y discute entre autres de ses combats personnels, des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie et dans le cinéma qu'après 30 ans. de pourquoi ce dernier rôle dans le film Sur la route de papa l'a particulièrement touché, de sa vision d'un cinéma français plus inclusif et de plein d'autres choses. C'est un épisode que j'ai adoré enregistrer. Je connaissais de loin Farida et j'ai découvert une femme pleine d'authenticité, de douceur. Donc sans plus attendre, je laisse place à la réelle du jour, Farida Oushani. Farida, bonjour et bienvenue sur Réel. Je suis ravie de te compter parmi... Toutes les rias qui sont passées sur le podcast. Tu n'as pas fait beaucoup d'interviews où tu discutais en longueur. Donc, je suis ravie qu'on ait un peu ce temps long pour échanger sur plusieurs sujets.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup de me recevoir. En fait, c'est l'une des premières interviews, peut-être même la première que je fais. Et je suis très heureuse de la faire avec vous.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Farida. Tu es née en France, dans une famille marocaine. Est-ce que tu peux nous parler de l'environnement dans lequel tu as grandi ? Et quels souvenirs te restent de ton enfance ?

  • Speaker #1

    Mon père tenait un café-hôtel-restaurant à côté de la Régie Renaud. Et donc, voilà, moi j'ai grandi dans un environnement très masculin parce que c'était surtout les ouvriers qui habitaient dans l'hôtel de mon père. Nous, nous habitions aussi, mes frères, ma sœur et moi, avec mes parents, nous habitions dans l'hôtel ici. Il y avait deux étages. Le premier étage était occupé par ma famille et par... Les femmes retraitaient de l'usine Renault et au deuxième étage, c'était les ouvriers, soit du bâtiment, soit de l'usine Renault qui habitaient. Il n'y avait pas d'enfants, il y avait très peu de travailleurs immigrés qui avaient amené leurs enfants en France. On est dans les années 60, il n'y a quasiment pas de logement. La France est encore en train de se relever, de se reconstruire au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. Donc vraiment, on assiste à une... une arrivée, on va dire, un petit peu plus importante et un petit peu plus conséquente dans le milieu des années 70, début des années 80. C'est là où les travailleurs immigrés vont pouvoir faire ce qu'on appelle le regroupement familial. Donc ma famille et moi, on est parmi les premiers, parmi les familles à être nées en France. Et voilà, donc moi, je joue dans le couloir de l'hôtel. Je n'ai pas de copains, je n'ai pas de copines. Mes copains, mes copines, je n'ai pas de copains et copines de classe. L'un de mes plus vieux souvenirs, on habitait quand même à côté des studios de Boulogne-Biancourt, donc des studios de cinéma, d'enregistrement, etc. Et quand on allait le matin à l'école Tréteau, je vous parle de ça, j'ai 5 ans, c'est vraiment très très ancien. C'est des souvenirs qui remontent à plus de 50 ans en arrière. Eh bien, on croisait des artistes comme Carlos, Sylvie Vartan, Johnny Hally. qui allaient enregistrer leur disque et on avait droit à notre petit bonjour les enfants, bonjour les enfants parce qu'ils nous voyaient tous les matins quand ils venaient faire des séances d'enregistrement, ils voyaient les mêmes enfants que ma mère nous tenait par la main comme ça pour nous emmener à l'école. Mon souvenir c'est plutôt les murs de l'usine et les chansons des chirettes qui venaient chanter dans le bar de mon père. Les conversations enflammées dans le café de mon père, les verres qui claquent, l'ambiance d'un café.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc première génération née en France, j'imagine première génération à aller à l'école aussi. Est-ce que ça a été une responsabilité en quelque sorte ? Est-ce que c'est quelque chose qui a été peut-être lourd à porter ou peut-être très léger parce qu'il est de la liberté ? Et... une manière de pouvoir s'émanciper.

  • Speaker #1

    Effectivement, quand on est la première génération aussi à avoir été scolarisée. Avant la responsabilité, c'est d'abord la notion de rupture. C'est une rupture. C'est une rupture avec les générations. On change. C'est comme si on bascule dans autre chose. On est élevé par des parents, enfin pas mon père, mon père était lettré lui, ça venait réécrit. L'éducation étant entre les mains de ma mère, on est élevé par une maman analphabète. Donc, pour les analphabètes, Il y a une langue, une langue que les lettrés ne... Ce n'est pas la même langue que les lettrés. C'est une langue spécifique. La langue de l'analphabète, elle est spécifique. Elle est très imagée, c'est un vocabulaire produit. Donc une pensée plutôt... qui est factuelle, tout est matérialisé. Du coup, les nuances, les subtilités, elles ne sont pas à travers les mots, mais ça va être à travers les images. D'accord ? Donc déjà ça, on le ressent parce que, et en plus, moi j'apprends à lire et à écrire la langue que je ne parle pas à la maison. Donc double rupture. À la maison, à l'époque quand j'étais petite, il nous était par ma mère interdit de parler français.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant.

  • Speaker #1

    À la maison, je parle une langue que je ne sais pas lire. Ce n'est pas de l'arabe classique, ce n'est pas l'arabe de la poésie, ce n'est pas l'arabe du Coran. Ce n'est pas l'arabe littéraire classique, c'est un arabe qui est mélangé. C'est l'arabe circonscrit à une région spécifique du Maroc, à la frontière algérienne, où on a une enclave espagnole à 100 km de chez nous. Le Maroc est un pays à la base, une très forte présence berbère. Il y a eu la présence des Français, il y a eu la présence des Espagnols, il y a la présence du berbère, ma mère est d'origine berbère. jusqu'à ce que ses parents parlaient berbère et après ils ont arrêté de transmettre le berbère à leurs enfants. Donc moi l'arabe, entre guillemets, que je parle, on dit l'arabe dialectal, mais le dialectal que moi je parle, ce n'est pas le même que celui de Fès. Enfin, on se comprend, mais il y a des petites différences. Donc en fait, me voilà éduquée avec une langue où il y a un mélange de français, c'est des mots français arabisés, je vous donne un exemple, j'ai bêlé le farcheta. « Ramène-moi la fourchette. » « Fourchette, fourchetta. » « Tu veux manger des tomates ? » « T'as clé tomateja ? » C'est un mélange de français, d'espagnol, de berbère et d'arabe. Est-ce que je peux appeler ça de l'arabe ?

  • Speaker #0

    Mais un beau melting pot pour le coup.

  • Speaker #1

    Complètement, absolument. Absolument, c'est un mélange. Après qu'on se rend compte, par exemple, le baudoré. Le baudoré, dans ma région, dans la région de mes parents au Maroc, le baudoré, c'est le rouge à lèvres. Et le baudouret, c'est en fait la poudre de riz. La poudre de riz qui était le maquillage que les femmes se mettaient jusqu'au début du XXe siècle. Donc c'est un vieux français en plus. C'est un vieux français, voilà.

  • Speaker #0

    Mais c'est génial parce que j'ai l'impression que c'est comme si vous jouiez, comme si vous, ce mélange, comme si vous passiez d'une chambre à une autre, d'une atmosphère à une autre, entre l'école. entre la maison et vous parliez de ces studios de cinéma à Boulogne. J'ai l'impression que vous viviez déjà dans un décor cinématographique entre d'une pièce à l'autre et puis d'être cette première génération de filles qui vont à l'école aussi. Il y a aussi, je ne dis pas un rôle à jouer, mais quand même, c'est quand même deux manières d'être. C'est des codes différents, que ce soit l'école, la maison. Donc, il y avait déjà des prémices d'acting en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Absolument, en fait... Moi, je suis la cinquième d'une famille de huit enfants. Je fais vraiment la jonction entre la première génération et la deuxième partie de la famille de mes petites sœurs. Donc moi, je suis au milieu de tout ça. Et effectivement, à la maison, on est éduqués d'une certaine façon. Les Marocains, jusqu'à il y a très peu de temps, on mange dans le plat commun. On n'a pas chacun notre assiette. On mange dans le plat commun, contrairement par exemple à nos amis algériens ou tunisiens, nous on mange encore dans le plat commun, on mange avec nos doigts. On te dit voilà, tu dois apprendre à faire à manger, tu dois apprendre à faire le ménage pour ton futur mari. Donc déjà on te fait rentrer dans la tête un schéma, alors que quand tu vas à l'école et que tu as des institutrices ou des professeurs un petit peu plus tard, qui te disent « mais qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? C'est quoi ton métier ? Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? » Toi, dans ta tête, tu te dis… Alors, ma mère, elle me dit qu'il faut que j'apprenne à faire à manger pour mon mari. Et il faut que j'apprenne à faire le pain. Quand elle me disait, viens apprendre à faire à manger, c'était, tiens, par exemple, viens apprendre à faire le pain. Je lui dis, mais pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Il y a plein de boulangeries et la baguette, c'est super bon. Pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Et ma mère, elle était là, oui, oui, oui. Et quand les invités vont venir, tu vas leur dire d'aller acheter le pain à la boulangerie ? Je dis, ben oui, parce que c'est super bon. En fait, c'est vrai, tu as raison quand tu dis qu'on passait d'un monde à un autre. Et il fallait qu'on développe des capacités d'adaptation, en fait. Et donc, pour moi, en tout cas, en ce qui me concerne, m'adapter, ça voulait dire comprendre. Ça voulait dire comprendre l'autre et me mettre à la place de l'autre. Et donc, peut-être que c'est quelque chose qui est utile pour le métier de comédien. C'est apprendre à être à la place du monde.

  • Speaker #0

    Puis lire les codes et vite les enregistrer pour pouvoir les interpréter et réagir de la manière qui est la plus appropriée dans un environnement particulier.

  • Speaker #1

    Tu as parfaitement bien résumé la situation. Juste une petite parenthèse, on partait tous les ans au Maroc, on restait trois mois. Donc j'ai une vraie double culture au sens où on l'entend. Quand on va au Maroc, nous on habite au bord de la mer. C'est encore autre chose. Donc, on est en maillot de bain toute la journée. À l'époque, il y avait très peu de monde là où on était. Donc, on se baladait dans le petit village. On était vraiment en maillot de bain du matin au soir. Pour aller chez nos tantes à la campagne, évidemment, on ne pouvait pas y aller en short. On ne pouvait pas y aller avec des tenues d'été, machin. Il fallait s'habiller. Et donc, en fin de compte, on a été trimballés comme ça d'environnement. Dans le Maroc des années 70, c'est un Maroc très rural. et encore, quand on est petit on peut mettre des shorts et tout, mais dès qu'on a le bout des seins qui pointent à travers le t-shirt et qu'on a nos règles bon ben là c'est fini, les shorts à la campagne les shorts au bord de la mer, il n'y a pas de problème mais à la campagne, non, donc en fait on a on nous donne comme ça des codes qu'on intègre parce que sinon on ne peut pas vivre sinon ce n'est pas possible si je ne pouvais pas aller en short à la campagne d'abord je me serais fait piquer par toutes les bêtes possibles inimaginables, les ronces, etc. Et puis, c'était « rib » , c'était Ausha , c'était pas convenable. C'était pas convenable. Donc, on apprend très jeune, on apprend plein de codes. Les codes à l'école, qui sont à l'opposé des codes de la maison. À la maison, on apprend à être une bonne femme d'intérieur, moi, à l'extérieur. Je m'ouvrais sur des horizons qui ne m'étaient absolument pas accessibles dans ma prime enfance à la maison. Sauf quand la télévision est arrivée.

  • Speaker #0

    Et je voulais savoir, parce que vous parlez de ces vacances, ces longues vacances au Maroc, à quel moment en France et peut-être aussi au Maroc, vous vous êtes sentie différente ?

  • Speaker #1

    Ça va paraître incroyable, mais quand on a eu la télévision, c'était un truc de fou. Au début des années 70, j'étais plus petite. et il y a eu Giscard d'Estaing qui est devenu président de la République ou même Pompidou avant. Les hommes politiques disaient « français, française » . J'étais petite et quand ils disaient « français, française » , je me sentais exclue de ce « français, française » .

  • Speaker #0

    C'est intéressant.

  • Speaker #1

    Parce qu'à la maison, comment on a été éduqués, c'était… Attention, soyez discrets, ne faites pas de vagues, ne faites pas d'histoires, ne faites pas de bêtises, ne parlez pas trop fort, ne vous faites pas remarquer, vous n'êtes pas chez vous, on n'est pas chez nous. La première fois que j'ai entendu « on n'est pas chez nous » , ce n'est pas dehors que j'ai entendu, c'est à la maison. Vous êtes des Marocains, vous êtes des Arabes, on est Marocains, on n'est pas Français, on n'est pas chez nous. Donc, il faut être… discrets, il ne faut pas se faire remarquer, etc. Donc, voilà, cette différence, d'abord, c'est dans le foyer familial. À l'extérieur, donc là, on est toujours dans l'enfance, à Boulogne-Villancourt, moi, j'arrive à l'école, je suis bien obligée de constater que je suis vraiment différente. Les autres, je suis la seule à avoir les cheveux bouclés, il n'y a que des cheveux lisses autour de moi, il n'y a personne qui porte un prénom que moi, j'en... Quand je vais au Maroc en vacances, personne ne suit la seule enfant d'origine immigrée dans la classe. Il y a un immigré par classe, c'est mes trois frères, ma grande sœur et moi. Mon tout premier environnement scolaire, il n'y a zéro immigré, il n'y a que nous. Après, on a déménagé, on a changé de ville et là, on arrive dans une cité, dans un quartier, une cité telle qu'on peut l'imaginer aujourd'hui, les Garges-Légonès à côté de Sarcelles dans le 95. Et là, je me mettais par la fenêtre, j'avais peur de sortir. pour la première fois. En dehors du Maroc, je voyais des gamins qui me ressemblaient et ça m'a fait peur. Ça m'a fait peur parce que ça jouait dans tous les sens. Alors que nous, tout était, comme on vivait à Boulogne-Diancourt, il n'y avait pas de verdure pour avoir de la verdure. C'était une démarche. Mon père nous mettait dans la voiture le dimanche et nous emmenait au Bois de Boulogne, à Saint-Cloud, au château de Versailles, etc. Mais sinon, il n'y avait pas de verdure autour de nous. Et la seule nature à laquelle on avait accès, c'est quand on allait en vacances au Maroc. Et là, tout d'un coup, on arrive dans un quartier, un quartier à l'ancienne. Au début, quand ils ont été construits, c'était magnifique. Il y avait des rosiers en bas des immeubles. Il y avait un petit bois, comme je viens de vous le dire. Il y avait des balançoires. Et puis, il y avait plein d'enfants qui jouaient et qui hurlaient dans la rue. Et là, par contre, dans l'école à Garges-les-Gonesse, là, je ne suis plus du tout la seule arabe de la classe. C'est plus tard. Ça fait que ça va revenir. Quand j'ai fait allemand, deuxième langue.

  • Speaker #0

    Du coup, Farida, comment vous avez fait accepter votre volonté de jouer ? ce qui n'est pas évident parce que déjà, comme on parlait de première génération qui s'émancipe, travailler, mais là, c'est travailler dans un domaine qui est perçu d'une manière assez particulière par nos parents comme étant un métier léger et pas vraiment un métier, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Beaucoup de gens, quand ils sont parents, ne considèrent pas ça comme un métier, mais nous, dans l'éducation que j'ai reçue, être comédienne, c'est fille de petite vertu, fille de mauvaise vie, etc. Donc moi, ça, je l'ai compris très vite. J'ai fait du théâtre pendant toutes mes années de collège, et mes professeurs de troisième m'avaient dit, mais Farida, il faut absolument que tu passes les concours pour rentrer au conservatoire, t'es douée, t'es vraiment faite pour ça, on voit bien que t'es pas scolaire. Moi, je faisais le minimum pour passer. J'avais des facilités. Je faisais le minimum pour passer d'une classe à l'autre classe supérieure. Mais moi, je voulais tout le temps jouer, en fait. Je voulais tout le temps imiter les gens. de temps en temps raconter des histoires. Je voulais tout le temps qu'on me raconte des histoires. J'adorais lire, j'adorais raconter, j'adorais qu'on me raconte des histoires et j'adorais mettre en scène, jouer, etc. À la maison, c'était compliqué. C'était très compliqué parce que comme je me rebellais, à la maison, je ne voulais pas apprendre à manger pour un mari et pour satisfaire sa famille, essayer de les inviter. Je ne voulais pas être l'esclave, ce que moi je considérais être l'esclave de mes frères. J'ai eu beaucoup de conflits. J'ai vécu toute mon adolescence et une première partie de ma maturité, de mon âge de jeune femme, j'étais en conflit constant. J'étais en conflit constant avec ma mère qui ne savait pas comment faire pour me maîtriser. Elle a fait ce qu'on fait, on n'a pas besoin d'aller à l'école pour comprendre qu'il était divisé pour mieux régner. Donc mes frères étaient extrêmement violents à mon égard. Et donc, j'étais en rébellion constante. Mais en même temps, j'avais des petites sœurs. À 18 ans, j'avais envie de partir, de prendre mon sac et de me tirer, d'aller en Angleterre filer au père pour apprendre l'anglais et tout ça. Je me suis dit, si je fais ça, mes sœurs vont payer le prix de ma liberté. Donc, il faut que j'attende que mes sœurs grandissent pour pouvoir faire ce que je veux. Donc, ce que j'ai fait à l'issue de la troisième, je ne m'ai pas passé les concours au conservatoire. Parce que j'avais deux ou trois combats à mener au sein de la famille. J'ai laissé tomber pendant 15 ans. Je suis allée au lycée, j'ai eu mon bac, je suis allée à l'université. J'ai fait un d'œuvre, à l'époque on appelait ça un d'œuvre, plus une licence de l'ethnoderme. J'ai travaillé, j'ai protégé mes sœurs.

  • Speaker #0

    C'est toujours dans un coin de votre tête quand même ? Vous saviez que vous retournerez vers ces premiers amours ?

  • Speaker #1

    Je prestaisais cette partie-là. La partie artistique, je l'ai complètement anesthésiée. Vraiment, vraiment. C'est revenu et évidemment, j'ai fait des études, etc. Mais j'étais très instable. Je ne gardais pas mes boulots. Je ne gardais pas mes appartements. Quand j'ai pris mon indépendance, mon premier appartement, je déménageais tous les un an et demi, deux ans. J'étais complètement instable et je ne comprenais pas pourquoi j'étais instable. Et en 1998, j'ai 31 ans. J'ai un ami que je remercierai. C'était la fin de mes jours. J'étais directrice d'un centre de loisirs à Paris et il me dit, écoute Farida, au mois de juillet, j'ai fait un super stage de théâtre qui devrait venir. Le prof, il revient au mois de septembre, octobre, il revient, il va donner des cours, il va donner, il va animer un atelier de théâtre amateur. Viens et tout. Ouais, ouais, bon, je n'étais pas très bien dans ma peau ni dans ma tête à cette époque-là. Ça me revient en fait. Tout d'un coup, il réactive un vieux souvenir. C'est comme si je sortais d'un long sommeil et je me vois en train de discuter avec un pote en lui disant « Il faut vraiment que je retourne au théâtre parce que sinon je vais devenir folle si je ne fais pas ça. » Et donc, je m'inscris à cet atelier théâtre. J'assiste à la première séance de cet atelier où je vois des jeunes. Ils sont en train de dire des textes. Je suis assise dans une rangée, comme ça je suis toute seule. Et je parle toute seule en les regardant, en me disant, en fait, elle est là ma place. Tout est revenu. Physiquement, j'ai eu une réaction physique où j'ai senti, je t'assure Bouchra, j'ai ressenti une réaction physiologique, comme si dans mon corps, il y avait des cellules qui se remettaient en marche. Je ne sais pas comment vous dire. Mais on réactivait une mémoire. Oui, en fait, c'est ça. La mémoire, la joie que j'avais à être sur scène, à jouer, etc., que mon corps avait imprimé, elle se réveillait. Et donc, je me suis inscrite à cet atelier. Comme quoi, quand on se reconnecte avec qui nous meut fondamentalement, 99... premier festival d'Avignon, 2000, deuxième festival d'Avignon, 2001, troisième festival d'Avignon. En 2001, il y a un monsieur P. à son âme qui s'appelle Claude Wolf, qui était l'un des premiers agents de Paris. Il avait créé ce qu'on appelait à l'époque les fichiers électroniques du spectacle. Il m'avait vu jouer en 2000 et en 2001 au festival d'Avignon et il voulait me faire rentrer dans son agence. Et il m'avait dit cette phrase, il m'avait dit vous, vous êtes… Je t'assure, Bouchra, des fois, il y a des choses comme ça dans la vie, c'est incroyable. Il m'invite à venir dans son agence, il m'explique un peu comment ça se passe. Il me dit que c'est payant et tout. Je dis, écoutez, moi, je n'ai pas d'argent. Moi, je fais ça comme ça. Il me dit, non, non, je ne veux pas vous prendre d'argent. Il me dit, moi, je vais bientôt arrêter. Je vais à la retraite. Je fais ça vraiment pour le plaisir. Je ne demande pas d'argent. Mais moi, je pense que vous êtes faite pour ça. Parce que j'étais amateur, en fait. J'étais juste amateur. Vous êtes comme le bon vent. Vous allez vous bonifier avec le temps.

  • Speaker #0

    Et puis, c'est un super coup de boost pour ton égo et toutes les questions qu'on peut se poser en tant que femme en général, de légitimité, j'ai 31 ans, est-ce que je peux le faire, etc.

  • Speaker #1

    C'est génial. Donc, cette phrase m'est restée. Cette phrase m'est régie. S'il y a bien un métier où on ne prend pas sa retraite, c'est bien un comédien. On peut jouer des rôles jusqu'à la fin de sa vie. Et puis, à partir de là, j'ai retrouvé un boulot. J'ai retrouvé un appartement parce que j'étais par mots et par vaut. Je me suis un petit peu plus stabilisée. C'est-à-dire que l'appartement que j'avais trouvé en 1999, je l'ai gardé dix ans, celui-là. Là, je me suis posée, je me suis stabilisée. J'ai créé une association. J'ai commencé à prendre des cours à Paris. Bref, j'ai commencé à apprendre mon art. Je continue encore. Quand on revient à ce qui n'était pas... mes occasions s'offrent à nous et je les ai saisies mais vraiment Bouchra quand j'ai saisi toutes ces occasions de m'inscrire à cette atelier théâtre d'aller au Festival d'Avignon, d'aller voir ce monsieur Claude Valls à Paris dans le 16ème arrondissement rue des Bemsœil il m'a fait rencontrer une première réalisatrice, j'ai fait un premier court-métrage, un deuxième court-métrage, un troisième court-métrage à l'issue de ces court-métrages un an et demi après Merci. Il y a une directrice de casting qui me contacte pour que je puisse passer un casting pour un téléfilm. Je suis sélectionnée, je joue dans ce téléfilm. Suite à ce téléfilm, le directeur de production me dit « Il faut absolument que tu aies un agent parce que tu es vraiment faite pour ce métier, mais il faut que tu aies un agent. » Et donc, il m'a présenté mon premier agent, Christine Parra. Si un jour elle écoute ce podcast, je ne la remercierai jamais assez, elle aussi. Elle a cru en moi. Je restais dix ans dans son agence. Après, j'ai pris une deuxième agence. Là, je suis dans une troisième agence. Quand j'ai commencé, quand j'ai saisi toutes ces opportunités, franchement, Bouchra, pas une seconde, je n'avais de carrière dans la tête. Pas une seconde. Pour moi, c'était déjà un miracle d'être revenu sur scène. À chaque fois que je décrochais un casting, la question de la légitimité... t'a roder la tête jusqu'à il n'y a pas très longtemps. Tu sais, quand tu es biberonné, depuis le plus jeune âge, d'abord, premièrement, tu n'es pas chez toi. Donc la question de la légitimité... De l'appartenance à un territoire, déjà ça, c'est... Enfin, je veux dire, pour se construire, si on n'a pas cette base-là, c'est compliqué. Tu vois, la question de la légitimité. Moi, quand j'étais petite, je n'osais pas lever la main. Je connaissais les réponses aux questions que l'instituteur ou l'institutrice posait. Je n'osais pas lever la main. Ce qui fait que quand j'ai fait du clown, mon premier personnage qui est sorti, mon premier clown qui est sorti, c'est une petite fille. Et à chaque fois que quelqu'un... Par exemple, quand on faisait une improvisation de clown, mon clown, c'était une petite fille. Elle a une voix comme ça. Ou elle parle comme ça. Et donc, en fait, à chaque fois que dans une improvisation, le clown d'en face de moi disait quelque chose, posait une question, moi, j'étais là, moi, je sais, moi, je sais, moi, je sais. C'est comme si mon clown, il rattrapait toutes ces années où je ne pouvais pas poser la question parce que je ne me sentais pas légitime. Dans ma tête, c'était, t'es qu'une fille, t'es qu'une arabe. Tu ne peux pas savoir mieux que les Français. Les Français, eux, ils sont chez eux. Toi, tu n'es pas chez toi. Voilà, donc on grandit avec ça. Alors, sûr, après, on se dit qu'on est névrosé. On développe une anxiété absolument. Moi, j'ai vécu avec une anxiété chevillée au corps. Il a fallu que je parle franchement. Il a fallu que je fasse des années et des années de thérapie. On ne sort pas indemne d'une éducation comme ça.

  • Speaker #0

    Et puis on porte aussi des chaînes de nos ancêtres, l'exil, tout ça, ce n'est pas des choses qui sont faciles.

  • Speaker #1

    Exactement, on démarre dans la vie avec un 38 tonnes à chaque pied. Il faut s'alléger de tous ces poids-là. Moi je pense, tu sais, franchement, oui, ça demande du courage. Parce que c'est plus heureux.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Moi, je n'ai pas fondé de famille. Il n'y avait pas d'espace pour ça. Il y avait tellement d'interrogations dans ma tête, il y avait tellement de combats à mener. Tu vois, il n'y a pas eu l'espace pour que je pense à fonder une famille. C'est-à-dire que même quand j'ai eu des relations amoureuses, je me suis toujours... intéressé, comment je peux l'exprimer d'une manière, je ne veux pas faire du misérabilisme, je ne suis pas en train de te respecter. Moi, quand on me pose la question, ah, tu n'as pas d'enfant, d'abord, on est étonné que je n'ai pas d'enfant. Non, je n'ai pas d'enfant. Ah, d'accord, c'est parce que tu n'as pas voulu, ni j'ai voulu, ni je n'ai pas voulu. Il n'y avait pas d'espace pour le penser, ni pour le désirer.

  • Speaker #0

    La société est dure aussi parce qu'il y a un peu cette injonction et Il faut se marier et il faut avoir des enfants parce que c'est la seule manière d'être heureux, ce qui n'est pas forcément vrai. On en connaît tous beaucoup qui sont dans ce cas-là et ils sont malheureusement loin d'être heureux.

  • Speaker #1

    Je suis la preuve qu'on peut s'épanouir sans enfants. Alors bien sûr, comme je dis, moi, mon instinct maternel, je l'ai donné à mes sœurs. J'ai beaucoup travaillé avec les enfants aussi. J'ai beaucoup travaillé avec les jeunes. J'ai été pionne, j'ai été animatrice, j'ai été directrice d'écolos. J'ai été prof dans les collèges, etc. Et donc, moi, l'éducation, la transmission, c'est quelque chose qui me passionne tout autant que le jeu d'acteur. Parce que dans la transmission, c'est comme dans le jeu d'acteur, on donne quelque chose à l'autre. On donne directement quelque chose à l'autre.

  • Speaker #0

    Pour ce point de transmission, quelle est la chose que tu veux transmettre à ces enfants ? Je voulais revenir, parce que je sais que tu as donné beaucoup de cours, que tu animes des classes. Quelle est la chose que, s'il y avait une chose que tu veux absolument transmettre à ces enfants ? des... à tes nièces, ce serait quoi ?

  • Speaker #1

    Le goût de la liberté, l'indépendance, être autonome. C'est ça. Je te dis ça parce que j'ai fait un jour ce qu'on appelle une autobiographie résumée. Donc en fait, ça se fait en trois parties pour découvrir les fils rouges qui jalonnent ton existence. Et donc, tu fais tout un récit de ta vie, etc. en mettant l'affect de côté. Et tu fais le récit de tout ce que tu as mis en place, en dehors du cadre des études. Et je me suis rendu compte...

  • Speaker #0

    que ce que j'aimais par-dessus tout, c'était accompagner les personnes vers de l'autonomie, vers de l'indépendance, vers vraiment que ces personnes-là découvrent qui elles sont. Et à partir du moment où elles découvrent ce qu'elles sont, à ce moment-là, elles vont trouver en elles-mêmes les outils, pas les outils parce qu'on n'est pas des machines, mais les ressources. les ressources, merci, les ressources, les ressorts pour bâtir leur vie. Vraiment, il n'y a pas de matière pour ça. C'est vraiment ça qui me met, vraiment. Même dans mes cours de théâtre. C'est-à-dire que quand j'anime des ateliers théâtre, j'essaie autant que faire se peut de... C'est pour ça que je ne peux pas faire des cours de théâtre avec 30 personnes. Moi, c'est 12, 15 maximum. Pourquoi ? Parce que je travaille avec chacun pour que chacun trouve sa singularité. sa personnalité et sa façon de faire, sa façon de jouer, sa façon de dire à lui. Et donc, c'est ça qui m'intéresse, c'est comment chacun va trouver sa singularité.

  • Speaker #1

    C'est un peu de ce que j'entends, le chemin de votre vie. Vous recherchez de trouver cette indépendance et revenir à ces amours qui n'étaient pas toujours acceptés au début pour se sentir pleinement alignés et être soi.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    C'est très beau. Tu es une femme très engagée, tu parlais de l'association que tu as créée. Je voulais savoir, est-ce que cet engagement pour toi, il passe aussi parce que tu joues ou aussi parce que tu refuses de jouer peut-être ? Est-ce qu'il y a eu des rôles que tu as refusé de jouer parce que peut-être trop cliché ou pas en ligne avec tes valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors, on va parler de manière vraiment, comme on le fait depuis le début, très nette. Au début, moi, je ne refusais aucun rôle. Pourquoi ? Le moindre rôle qu'on... proposé et que j'obtenais devant la caméra, c'était une occasion d'apprendre. D'apprendre parce qu'apprendre à jouer sur scène, ce n'est pas comme jouer devant une caméra. Ça n'a rien à voir. C'est le même métier, mais ce n'est pas du tout la même façon de le faire. D'accord ? Et puis, il y a la question pécuniaire. Donc, comme je t'ai dit, moi, je n'ai pas bâti de famille. Donc, moi, j'étais totalement indépendante. Ça veut dire responsable de ma propre personne, personne pour payer mon loyer, etc. Donc, moi, je… au début, moi je travaille, j'essaie de travailler le maximum parce qu'il faut bien vivre. C'était des rôles en fait, au-delà du cliché, c'était des rôles qui étaient complètement fantasmés. C'est-à-dire que c'était écrit par des gens qui avaient une idée de la femme maghrébine qui était complètement à côté de la plaque. Au début, j'ai mis ça de côté et ce que j'ai essayé de faire à chaque fois, c'était vraiment de mettre de la sincérité et c'est peut-être là mon engagement. Mon engagement, il est dans comment je joue ces personnages-là. On me donne quelque chose de cliché, comment j'essaie d'y mettre de la sincérité et de la justesse et de la vérité. Il est là, mon engagement. Même quand on me demande de faire un accent. Aujourd'hui, je n'y arrive plus. Là, moi, par contre, aujourd'hui, quand on me demande de faire un accent, je dis non. Là, stop. J'ai prouvé, ça y est, c'est bon. C'est bon, j'ai fait 8 000 Rachida, 15 000 Malika. Ça y est, il n'y a pas que ces prénoms-là. C'est bon, stop. Et donc, tu vois, dans le dernier film, dans le film qui vient de sortir, avec Redouane Bouguérapa, Caroline Anglade, Nora Degendi et mes autres camarades, je joue le rôle de Mima, qui est un hommage, en fait, à nos parents. mais qui serait plutôt de la génération de ma grande soeur. Et les deux réalisateurs, Olivier Dacourt et Nabil Aïta Kouali, ils m'ont dit, nous, on ne veut pas une femme clichée. Alors oui, moi au début, je ne voulais pas porter le foulard, mais ils m'ont dit, si, si, si, nous, on veut que tu portes le foulard parce qu'on veut montrer à travers ton personnage qu'on peut porter le foulard et quand même en avoir plein la tête. Ça,

  • Speaker #1

    c'était très intéressant. Je trouvais que c'était assez frais. de montrer cette dualité. Et je trouve qu'on n'associe pas du tout foulard et culture générale et lecture. C'est des choses qu'on retrouve chez plein de femmes. Et je trouvais que c'était très rafraîchissant de voir.

  • Speaker #0

    Exactement. Donc, il m'a dit, tu parles comme tu parles, mais tu es juste Mima qui a des enfants, etc. Donc, il me fait lire une carte. Une partie de mon engagement, c'est ça. C'est de... Vraiment de ne pas juger mes personnages, même quand ils peuvent paraître caricaturaux, de ne pas les juger et d'y mettre de la vérité. Alors, on peut ne pas aimer mon jeu, il n'y a pas de problème là-dessus. Je veux dire, il n'y a pas de souci, on a le droit de ne pas aimer ce que je fais, il n'y a pas de problème là-dessus. Il y en a beaucoup qui aiment, que j'entends souvent quand on me fait des compliments, c'est « j'aime bien comment tu joues parce que tu es sincère » . Moi, quand on me dit ça, je suis contente,

  • Speaker #1

    tu vois ? Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Et dans ce film qui est, comme je disais tout à l'heure, qui est très rafraîchissant et vraiment... Surtout ton personnage de Mima, c'est ce qu'on disait, c'est la première fois je pense qu'on associe ces deux choses-là. Est-ce que c'est quelque chose qui t'a séduit du coup dans le scénario ? Et on parle beaucoup de silence, de mémoire, de filiation. Est-ce que c'est des choses qui résonnaient particulièrement avec ton parcours et avec toi ?

  • Speaker #0

    Ah oui, oui, oui, oui. Ce personnage, le scénario et le personnage m'ont beaucoup plu parce que forcément ça va résonner avec... une partie de mon histoire personnelle, où on a été élevés par des parents quand même. Eux ont eu une éducation encore plus rigide que la nôtre, avec une pudeur qui fait 8000 kilos. Enfin, un truc comme une chape de plomb, cette pudeur, où on a du mal, on ne dit pas « je t'aime » à ses enfants, on ne raconte pas à ses enfants. Moi, il a fallu que je pose des questions et que je tire les verres du nez de mon père pour qu'il me raconte un petit peu. peu son enfance avec une pudeur incroyable. C'est ma mère maintenant, elle sait que j'aime bien, donc elle me raconte souvent « ton père c'était comme ci, ton père c'était comme ça, et moi c'était comme ci, et moi c'était comme ça » , parce qu'elle a compris que ça m'intéressait. Mais oui, ce qui m'a intéressée dans ce film, c'est effectivement que nos parents, ils ont vécu, par exemple ma mère, son père et sa mère, ils se parlaient en berbère. En fait, ils n'ont pas transmis le berbère à leurs enfants. Et pour que les enfants ne comprennent pas, parce que les maisons étaient construites de manière… Ce n'était pas la même façon, donc l'intimité ne se déployait pas de la même façon. Eh bien, déjà, mes grands-parents maternels se parlaient en berbère pour pas que les enfants comprennent. Déjà, mon père, lui, il a perdu sa mère très tôt. Il était tout petit. Très tôt, il a quitté le domicile familial, il crevait de faim. Donc, il a fugué très, très tôt, etc. Il s'est fait un peu tout seul. Donc, mon père, c'est quelqu'un qui était… c'était un taiseux. D'accord ? Donc, c'est plus tard que mon père, quand il a commencé, quand il était devenu vieux, il nous appelait ma jolie. Et ça, ça choquait, ça choquait toutes les copines qui venaient à la maison. Ils entendaient mon père, ça va ma jolie ? Alors là, c'était, comment ça, mon père ? Ouais, ouais, je dis mon père, il a cinq filles et il a cinq ma jolie. Donc, c'est plus tard, tu vois. Donc voilà, et ce silence-là, dans le film, Nima, elle porte ça en elle et elle se rend compte des dégâts que ça a causé sur ses enfants.

  • Speaker #1

    Et quelle est, selon toi, Farida, la chose qu'on comprend le moins bien du vécu des femmes issues de l'immigration dans le cinéma français ?

  • Speaker #0

    Ce qu'on comprend le moins bien, c'est que c'est uniquement des victimes. On en fait des victimes, on en fait des femmes qui ne comprennent rien, des pauvres petites... C'est vraiment une vision néo... coloniale, la femme maghrébine. Il n'y a pas de rôle de femme qui peut représenter ma génération, par exemple. Ça n'existe pas. C'est un sujet, c'est un impensé. Les femmes, moi, mes petites sœurs, quand je dis mes petites sœurs, elles ont plus de 40 ans. Toutes ces femmes-là, dans le cinéma français, elles n'existent pas. En fait, on a figé la femme maghrébine à l'âge de... de nos mères, les femmes forcément victimes et soumises. Oui, il y en a, on ne va pas se mentir. Bien sûr qu'il y en a. Mais il n'y a pas que ça. Elles ont du caractère. Elles ont du caractère. Il y a des femmes qui ont du caractère. Il y en a qui ont travaillé. Il y en a qui sont allées apprendre à lire et à écrire. Moi-même, j'ai donné des cours de français. J'ai appris à lire et à écrire à des femmes africaines, maghrébines, etc. Moi-même, dans les années 90, j'ai donné des cours de français et d'alphabétisation. Ces femmes-là, on ne les voit jamais. On ne voit jamais toutes ces femmes qui sont allées à l'école. Celle que je vous raconte, j'ai 58 ans. Ma sœur, elle en a 65. J'ai des cousines qui ont 67, 68 ans, qui ont travaillé toute leur vie, qui s'expriment extrêmement bien. On ne les voit jamais dans le cinéma français. Ces femmes-là n'existent pas. Seules existent infantiles. néocoloniale qui est la femme maghrébine qui sait pas lire, qui sait pas écrire ou celle qui se fait tabasser par... ou alors une fille, entre guillemets, pas de mauvaise vie, mais qui a des problèmes sociaux, etc. Oui, tout ça existe. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le mettre en scène, mais ça devient du cliché à partir du moment où on ne reste que sur cet angle-là. Moi, ça ne me dérange pas de jouer une femme de ménage. Ça ne me dérange pas, ça existe. Bien sûr qu'il y a des femmes maghrébines. D'ailleurs, les femmes de ménage et les aidantes à domicile, elles sont toutes de régime. Mais on peut jouer autre chose. On peut jouer autrement. Non, c'est impensé, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Mais ça, ça a dû être difficile quand on commence, surtout à 30 ans, à jouer dans ce milieu-là. Et je voulais savoir, est-ce qu'il y a des figures féminines dans ta famille, dans la culture, dans le cinéma, qui t'ont portée, qui t'ont inspirée, qui étaient un peu tes rôles modèles quand tu t'es lancée ?

  • Speaker #0

    Moi, j'ai des modèles dans ma famille. Mes cousines au Maroc, j'ai une nièce de ma mère, qui sont donc un petit peu plus âgées que moi, dans notre région. c'était les premières à avoir eu leur baccalauréat. Et donc à l'époque, au début des années 80, on marquait le nom des gens dans le journal, au Bled, au Maroc, on marquait le nom des gens qui avaient eu le bac. Et mes cousines étaient les premières à avoir eu leur bac. Donc ça, voilà, pour moi, ces cousines-là, les nièces de ma mère, donc il y en a une qui était prof d'anglais, deux autres qui étaient institut, qui travaillent au centre culturel américain, etc. elle parle l'anglais, le français couramment, elle parle l'arabe, elle dit tout ça couramment. Bref, pour moi, au niveau intellectuel, c'était des modèles. J'ai eu plusieurs modèles. Mon père avait une licence pour vendre de l'alcool. On est dans les années 70. Donc, les femmes de ma famille, elles ne sont pas voilées, d'accord, mais elles sont toutes en robe longue, etc. Et au Maroc, je vois des femmes assises à la... la terrasse du café de nos pères. Elles ont des cheveux comme ça, ondulés, brochingués. Elles sont maquillées. Elles ont un verre d'alcool devant elles et elles portent des pantalons, pas d'éléphant. Elles étaient super belles. Elles avaient du vernis rouge et des ongles nôtres, etc. Et après, j'ai fini par comprendre que c'était des prostituées. Je les adorais. Je les adorais et elles m'adoraient. parce que j'essayais de parler en arabe et donc avec un accent un peu plus au coton en français. Et elle m'achetait des études, elle venait me toucher les cheveux, etc. Et puis, moi, je les adorais et je voulais leur ressembler. C'était mes modèles de beauté, de féminité.

  • Speaker #1

    Parce qu'elle représentait l'émancipation.

  • Speaker #0

    Oui, elle représentait l'émancipation parce que j'entendais à la maison Ausha, Ausha, la femme qui fume, Ausha, la nanny, nanana, nanana. » Et en fin de compte, ces femmes-là, je les trouvais super sympas et je les trouvais super belles. Ça a été parmi mes modèles de féminité. Des putes, des prostituées, tu vois. Quand je dis putes, il y a un très grand respect dans ma bouche. C'était des prostituées. Je les trouvais magnifiques. Ça, ça a fait partie de mes modèles. Et puis au cinéma, il y a une actrice, parmi beaucoup d'actrices, il y en a une qui m'impressionnait. C'était qui ? C'était Simone Seymouré.

  • Speaker #1

    En d'hommes.

  • Speaker #0

    Waouh ! Quel jeu, quelle puissance ! Il y avait de la puissance et de la fragilité en même temps. Il y avait de la... Enfin voilà, elle a le corps, elle a un âge avancé, le visage, etc. Elle est restée belle différemment, mais elle est restée magnifique. C'est vraiment l'une des actrices qui m'a le plus marquée.

  • Speaker #1

    Si je te disais, quelle est ta définition de la réussite ? Réussir dans la vie, pour toi, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Être en accord avec soi-même. C'est la première phrase qui me vient. Je ne réfléchis pas, je dis être en accord avec soi-même. Aujourd'hui, on dit allumé, reconnaître ses erreurs, ses errements, ses égarements. Ils ne m'ont rien regretté parce qu'on fait ce qu'on peut. Mais c'est vraiment être foncièrement et fondamentalement honnête avec soi-même. Avant de l'être avec les autres, il faut l'être avec soi-même. Dans l'intimité entre soi et soi, quand il n'y a personne qui te regarde. entre les quatre murs de chez toi, il n'y a personne qui te regarde, il n'y a personne qui t'écoute et tu te regardes tel que tu es, tel que tu es. Être alignée à l'autre, c'est un bon mot. Et se dire, là, il y a des choses que je fais, ce n'est pas encore ça, mais ce n'est pas grave parce que je sais que je t'en vais être alignée, être toujours alignée. Moi, je suis heureuse comme ça. Je suis une femme heureuse.

  • Speaker #1

    C'est beau à entendre et on le voit, je le vois en tout cas. Vous le portez, tu le portes sur toi, vraiment. Qu'est-ce que tu dirais à la petite Farida si tu pouvais parler à cette petite fille dont on parle depuis tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Je lui parle souvent. Je lui dis « mets pas peur » . Parce que, comme je te disais au début de l'entretien, il y a des hommes plus anxiétiques, chevillés au corps, parce que dès tout petit, on nous dit « on n'est pas chez nous, t'es qu'une fille, t'es plus ici, t'es plus là » . On développe une espèce de peur viscéral contre laquelle je ne me lutte plus, mais que je repousse, que je repousse, que je repousse. Et parfois, quand je sens une peur irrésumée en moi, je sais que c'est la mémoire de cette petite fille qui se réveille. Je lui dis, n'aie pas peur, petite Fariba, la grande, elle est là pour baigner sur toi. C'est une première chose. La deuxième chose que je dis à cette petite fille, je lui dis merci. Je lui dis merci d'avoir été une petite fille. qui était tout le temps dans la lune, tout le temps dans les nuages, qui rêvait, qui était gourmande des autres. Moi, par exemple, quand j'étais à la plage, je ne savais pas encore bien nager. J'étais donc au bord de Benoît, au Maroc, et j'allais voir tous les gens qui étaient autour de moi. « Bonjour, je m'appelle Farida. Tu veux on joue ? Comment tu t'appelles, toi ? » Et tous les jours, je connaissais tout le monde. Au bout de trois jours, je connaissais tout le monde. Cette petite fille, je lui dis merci. Moi, ce qui m'intéressait, c'était de jouer avec les œufs. Ce n'était pas de jouer avec des objets, c'était de jouer avec les œufs.

  • Speaker #1

    Génial. C'est vraiment génial. Qu'est-ce que tu aimerais dire aux femmes qui écoutent cet épisode et qui parfois doutent, hésitent à prendre leur place, se disent « il est trop tard, je ne peux pas le faire parce que j'ai 30-40 ans » . Qu'est-ce que tu aimerais leur dire ?

  • Speaker #0

    J'ai plusieurs choses à vous dire parce que ce n'est pas que nous. La première chose, doutes. Douter, c'est normal. C'est normal. À chaque fois qu'on a été habitué à être dans un certain chemin, on a du confort. On est confortable dans cette situation que l'on connaît, dont on maîtrise tous les codes. Même si c'est une situation qui nous fait souffrir, on en maîtrise les choses. Notre cerveau est sénéant de nature, il aime bien les choses connues. C'est une prison, les babes. Le doute, c'est une bénédiction, c'est un cadeau. Avoir des doutes, c'est un cadeau. Ne fuyez pas le doute, allez-y. N'ayez pas peur de l'inconnu, c'est absurde. C'est absurde d'avoir peur de quelque chose qu'on ne connaît pas. La peur, comme disait un grand écrivain égyptien, n'empêche pas la mort, elle empêche la vie. Donc, mesdames, vous doutez, c'est normal. Vous avez peur, c'est normal. Apprivoisez cette peur. Apprivoisez-la, ne la laissez pas vous envahir. Troisièmement, il est trop tard, c'est pas bon ça. Ça, il faut effacer ce logiciel. Ce que vous aimez au fond de vous, c'est pas rien. C'est merveilleux, c'est magnifique, c'est l'espoir du monde. Nous sommes l'espoir du monde, mesdames, vraiment, je le pense. Ce que vous êtes aujourd'hui est... et vous vous sentez à l'étroit, ça n'est qu'une construction, c'est une fabrication, ce n'est pas vous. C'est qui est vous, c'est magnifique, c'est à l'intérieur de vous, et le monde a besoin de ça. Nous avons besoin de ça, c'est urgent, mesdames. Déployez-vous, épanouissez-vous. Moi, je suis dans la sororité. Si vous me croisez sur votre chemin, je vous donnerai tout ce que je peux, je vous donnerai le maximum d'énergie que je peux, mais le dites-moi. pas il est trop tard c'est ce qu'on veut nous faire croire vous voulez faire de la danse à 40 ans allez-y vous voulez faire de la sculpture à 55 ans allez-y vous avez envie de vous tirer la peau allez-y vous avez envie de vous tourner la tête allez-y vous avez envie d'avoir les cheveux violets allez-y allez-y on a besoin de fantaisie on a besoin de la fantaisie de l'intelligence incroyable et inépuisable des femmes les soeurs toutes les soeurs n'ayez pas peur Nous sommes puissantes, nous sommes belles, nous sommes fortes, nous sommes intelligentes, nous sommes généreuses, nous sommes la vie.

  • Speaker #1

    Merci Farida. C'est très émouvant ce que vous venez de dire, ça me touche particulièrement. Merci pour ça. Il y a une dernière partie dans l'interview, c'est des toutes petites questions et l'idée c'est de répondre du tac au tac. Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Alors une phrase que je me répète souvent, je ne suis pas sur terre pour souffrir ni pour subir.

  • Speaker #1

    un livre

  • Speaker #0

    « Les femmes qui courent avec les loups » de Clarissa Pinkola Estes. C'est un livre parmi tant d'autres, mais celui-là a été un détonateur.

  • Speaker #1

    Une musique ?

  • Speaker #0

    J'adore.

  • Speaker #1

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur ce podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours sur mon podcast ?

  • Speaker #0

    La première à laquelle je pense ? C'est une réalisatrice, actrice et scénariste qui s'appelle Sejriya Dehbiba, qui a réalisé un magnifique film qui s'appelle « D'une pierre deux coups » dans lequel j'ai eu la joie de jouer, que je te recommande. Tu peux me permettre une deuxième femme qui est une critique de cinéma qui s'appelle Nadia Mefla, c'est un personnage.

  • Speaker #1

    Farida, je te remercie infiniment pour ce moment. c'était un vrai plaisir d'échanger avec toi et d'en savoir plus sur ton magnifique parcours et ta magnifique histoire merci beaucoup Bouchra,

  • Speaker #0

    merci infiniment et j'espère avoir l'occasion de te croiser en chair et en os j'adorerai,

  • Speaker #1

    j'adorerai,

  • Speaker #0

    merci Alida avec plaisir,

  • Speaker #1

    à bientôt cet épisode de Heya est maintenant terminé, je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout ce qui j'espère veut dire que vous l'avez apprécié N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux, c'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire, c'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya underscore podcast. A très bientôt.

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Description

Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Farida Ouchani, comédienne franco-marocaine au parcours riche et engagé. Elle est l’un des rares visages de femme issue de l’immigration maghrébine de sa génération à s’imposer dans le cinéma français.


En plus de son métier d’actrice, Farida a plusieurs cordes à son arc : elle est aussi metteuse en scène, autrice et très active dans le milieu associatif.


Son dernier film, Sur la route de papa, actuellement en salles, suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines.

Farida y joue Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée qui casse les clichés souvent associés aux femmes musulmanes.


Dans cet épisode, Farida revient sur son enfance, son lien profond avec ses racines et son engagement pour une représentation plus juste et plus large des femmes issues de l’immigration.

Nous avons également discuté :

• de ses combats personnels, de sororité

• des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie qu’après 30 ans

• de pourquoi son dernier rôle dans Sur la route de papa l’a particulièrement touchée

• de sa vision d’un cinéma français plus inclusif


Un épisode plein d’authenticité qui m’a beaucoup touchée.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Farida Ouchani.


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Pour suivre Farida

LinkedIn : @faridaouchani

 

Rejoignez la communauté Heya 

Instagram: @heya_podcast


Ici, on parle d’identités plurielles, de voix arabes, de parcours de femmes inspirantes, de diaspora maghrébine, de sororité, de féminisme, d’inclusion, de récits de femmes et de transmission et d’héritages culturels.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, cette semaine je suis ravie de partager avec vous un nouvel épisode du podcast dans lequel je reçois Farida Oushani. Farida qui est comédienne franco-marocaine, elle est l'un des rares visages de femmes issues de l'immigration maghrébine de sa génération à s'imposer dans le cinéma français. En plus d'être actrice, elle a plusieurs cordes à son arc, elle est metteuse en scène, autrice mais aussi très active dans le milieu associatif. Farida est actuellement à l'affiche de Sur la route de papa avec entre autres Redouane Bougueraba. qui est actuellement en salle et dans lequel on suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines. Faridah y joue le rôle de Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée, qui casse les clichés qu'on associe souvent aux femmes musulmanes. Dans cet épisode, Faridah revient sur son enfance, sur son lien profond avec ses racines. On y discute entre autres de ses combats personnels, des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie et dans le cinéma qu'après 30 ans. de pourquoi ce dernier rôle dans le film Sur la route de papa l'a particulièrement touché, de sa vision d'un cinéma français plus inclusif et de plein d'autres choses. C'est un épisode que j'ai adoré enregistrer. Je connaissais de loin Farida et j'ai découvert une femme pleine d'authenticité, de douceur. Donc sans plus attendre, je laisse place à la réelle du jour, Farida Oushani. Farida, bonjour et bienvenue sur Réel. Je suis ravie de te compter parmi... Toutes les rias qui sont passées sur le podcast. Tu n'as pas fait beaucoup d'interviews où tu discutais en longueur. Donc, je suis ravie qu'on ait un peu ce temps long pour échanger sur plusieurs sujets.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup de me recevoir. En fait, c'est l'une des premières interviews, peut-être même la première que je fais. Et je suis très heureuse de la faire avec vous.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Farida. Tu es née en France, dans une famille marocaine. Est-ce que tu peux nous parler de l'environnement dans lequel tu as grandi ? Et quels souvenirs te restent de ton enfance ?

  • Speaker #1

    Mon père tenait un café-hôtel-restaurant à côté de la Régie Renaud. Et donc, voilà, moi j'ai grandi dans un environnement très masculin parce que c'était surtout les ouvriers qui habitaient dans l'hôtel de mon père. Nous, nous habitions aussi, mes frères, ma sœur et moi, avec mes parents, nous habitions dans l'hôtel ici. Il y avait deux étages. Le premier étage était occupé par ma famille et par... Les femmes retraitaient de l'usine Renault et au deuxième étage, c'était les ouvriers, soit du bâtiment, soit de l'usine Renault qui habitaient. Il n'y avait pas d'enfants, il y avait très peu de travailleurs immigrés qui avaient amené leurs enfants en France. On est dans les années 60, il n'y a quasiment pas de logement. La France est encore en train de se relever, de se reconstruire au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. Donc vraiment, on assiste à une... une arrivée, on va dire, un petit peu plus importante et un petit peu plus conséquente dans le milieu des années 70, début des années 80. C'est là où les travailleurs immigrés vont pouvoir faire ce qu'on appelle le regroupement familial. Donc ma famille et moi, on est parmi les premiers, parmi les familles à être nées en France. Et voilà, donc moi, je joue dans le couloir de l'hôtel. Je n'ai pas de copains, je n'ai pas de copines. Mes copains, mes copines, je n'ai pas de copains et copines de classe. L'un de mes plus vieux souvenirs, on habitait quand même à côté des studios de Boulogne-Biancourt, donc des studios de cinéma, d'enregistrement, etc. Et quand on allait le matin à l'école Tréteau, je vous parle de ça, j'ai 5 ans, c'est vraiment très très ancien. C'est des souvenirs qui remontent à plus de 50 ans en arrière. Eh bien, on croisait des artistes comme Carlos, Sylvie Vartan, Johnny Hally. qui allaient enregistrer leur disque et on avait droit à notre petit bonjour les enfants, bonjour les enfants parce qu'ils nous voyaient tous les matins quand ils venaient faire des séances d'enregistrement, ils voyaient les mêmes enfants que ma mère nous tenait par la main comme ça pour nous emmener à l'école. Mon souvenir c'est plutôt les murs de l'usine et les chansons des chirettes qui venaient chanter dans le bar de mon père. Les conversations enflammées dans le café de mon père, les verres qui claquent, l'ambiance d'un café.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc première génération née en France, j'imagine première génération à aller à l'école aussi. Est-ce que ça a été une responsabilité en quelque sorte ? Est-ce que c'est quelque chose qui a été peut-être lourd à porter ou peut-être très léger parce qu'il est de la liberté ? Et... une manière de pouvoir s'émanciper.

  • Speaker #1

    Effectivement, quand on est la première génération aussi à avoir été scolarisée. Avant la responsabilité, c'est d'abord la notion de rupture. C'est une rupture. C'est une rupture avec les générations. On change. C'est comme si on bascule dans autre chose. On est élevé par des parents, enfin pas mon père, mon père était lettré lui, ça venait réécrit. L'éducation étant entre les mains de ma mère, on est élevé par une maman analphabète. Donc, pour les analphabètes, Il y a une langue, une langue que les lettrés ne... Ce n'est pas la même langue que les lettrés. C'est une langue spécifique. La langue de l'analphabète, elle est spécifique. Elle est très imagée, c'est un vocabulaire produit. Donc une pensée plutôt... qui est factuelle, tout est matérialisé. Du coup, les nuances, les subtilités, elles ne sont pas à travers les mots, mais ça va être à travers les images. D'accord ? Donc déjà ça, on le ressent parce que, et en plus, moi j'apprends à lire et à écrire la langue que je ne parle pas à la maison. Donc double rupture. À la maison, à l'époque quand j'étais petite, il nous était par ma mère interdit de parler français.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant.

  • Speaker #1

    À la maison, je parle une langue que je ne sais pas lire. Ce n'est pas de l'arabe classique, ce n'est pas l'arabe de la poésie, ce n'est pas l'arabe du Coran. Ce n'est pas l'arabe littéraire classique, c'est un arabe qui est mélangé. C'est l'arabe circonscrit à une région spécifique du Maroc, à la frontière algérienne, où on a une enclave espagnole à 100 km de chez nous. Le Maroc est un pays à la base, une très forte présence berbère. Il y a eu la présence des Français, il y a eu la présence des Espagnols, il y a la présence du berbère, ma mère est d'origine berbère. jusqu'à ce que ses parents parlaient berbère et après ils ont arrêté de transmettre le berbère à leurs enfants. Donc moi l'arabe, entre guillemets, que je parle, on dit l'arabe dialectal, mais le dialectal que moi je parle, ce n'est pas le même que celui de Fès. Enfin, on se comprend, mais il y a des petites différences. Donc en fait, me voilà éduquée avec une langue où il y a un mélange de français, c'est des mots français arabisés, je vous donne un exemple, j'ai bêlé le farcheta. « Ramène-moi la fourchette. » « Fourchette, fourchetta. » « Tu veux manger des tomates ? » « T'as clé tomateja ? » C'est un mélange de français, d'espagnol, de berbère et d'arabe. Est-ce que je peux appeler ça de l'arabe ?

  • Speaker #0

    Mais un beau melting pot pour le coup.

  • Speaker #1

    Complètement, absolument. Absolument, c'est un mélange. Après qu'on se rend compte, par exemple, le baudoré. Le baudoré, dans ma région, dans la région de mes parents au Maroc, le baudoré, c'est le rouge à lèvres. Et le baudouret, c'est en fait la poudre de riz. La poudre de riz qui était le maquillage que les femmes se mettaient jusqu'au début du XXe siècle. Donc c'est un vieux français en plus. C'est un vieux français, voilà.

  • Speaker #0

    Mais c'est génial parce que j'ai l'impression que c'est comme si vous jouiez, comme si vous, ce mélange, comme si vous passiez d'une chambre à une autre, d'une atmosphère à une autre, entre l'école. entre la maison et vous parliez de ces studios de cinéma à Boulogne. J'ai l'impression que vous viviez déjà dans un décor cinématographique entre d'une pièce à l'autre et puis d'être cette première génération de filles qui vont à l'école aussi. Il y a aussi, je ne dis pas un rôle à jouer, mais quand même, c'est quand même deux manières d'être. C'est des codes différents, que ce soit l'école, la maison. Donc, il y avait déjà des prémices d'acting en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Absolument, en fait... Moi, je suis la cinquième d'une famille de huit enfants. Je fais vraiment la jonction entre la première génération et la deuxième partie de la famille de mes petites sœurs. Donc moi, je suis au milieu de tout ça. Et effectivement, à la maison, on est éduqués d'une certaine façon. Les Marocains, jusqu'à il y a très peu de temps, on mange dans le plat commun. On n'a pas chacun notre assiette. On mange dans le plat commun, contrairement par exemple à nos amis algériens ou tunisiens, nous on mange encore dans le plat commun, on mange avec nos doigts. On te dit voilà, tu dois apprendre à faire à manger, tu dois apprendre à faire le ménage pour ton futur mari. Donc déjà on te fait rentrer dans la tête un schéma, alors que quand tu vas à l'école et que tu as des institutrices ou des professeurs un petit peu plus tard, qui te disent « mais qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? C'est quoi ton métier ? Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? » Toi, dans ta tête, tu te dis… Alors, ma mère, elle me dit qu'il faut que j'apprenne à faire à manger pour mon mari. Et il faut que j'apprenne à faire le pain. Quand elle me disait, viens apprendre à faire à manger, c'était, tiens, par exemple, viens apprendre à faire le pain. Je lui dis, mais pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Il y a plein de boulangeries et la baguette, c'est super bon. Pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Et ma mère, elle était là, oui, oui, oui. Et quand les invités vont venir, tu vas leur dire d'aller acheter le pain à la boulangerie ? Je dis, ben oui, parce que c'est super bon. En fait, c'est vrai, tu as raison quand tu dis qu'on passait d'un monde à un autre. Et il fallait qu'on développe des capacités d'adaptation, en fait. Et donc, pour moi, en tout cas, en ce qui me concerne, m'adapter, ça voulait dire comprendre. Ça voulait dire comprendre l'autre et me mettre à la place de l'autre. Et donc, peut-être que c'est quelque chose qui est utile pour le métier de comédien. C'est apprendre à être à la place du monde.

  • Speaker #0

    Puis lire les codes et vite les enregistrer pour pouvoir les interpréter et réagir de la manière qui est la plus appropriée dans un environnement particulier.

  • Speaker #1

    Tu as parfaitement bien résumé la situation. Juste une petite parenthèse, on partait tous les ans au Maroc, on restait trois mois. Donc j'ai une vraie double culture au sens où on l'entend. Quand on va au Maroc, nous on habite au bord de la mer. C'est encore autre chose. Donc, on est en maillot de bain toute la journée. À l'époque, il y avait très peu de monde là où on était. Donc, on se baladait dans le petit village. On était vraiment en maillot de bain du matin au soir. Pour aller chez nos tantes à la campagne, évidemment, on ne pouvait pas y aller en short. On ne pouvait pas y aller avec des tenues d'été, machin. Il fallait s'habiller. Et donc, en fin de compte, on a été trimballés comme ça d'environnement. Dans le Maroc des années 70, c'est un Maroc très rural. et encore, quand on est petit on peut mettre des shorts et tout, mais dès qu'on a le bout des seins qui pointent à travers le t-shirt et qu'on a nos règles bon ben là c'est fini, les shorts à la campagne les shorts au bord de la mer, il n'y a pas de problème mais à la campagne, non, donc en fait on a on nous donne comme ça des codes qu'on intègre parce que sinon on ne peut pas vivre sinon ce n'est pas possible si je ne pouvais pas aller en short à la campagne d'abord je me serais fait piquer par toutes les bêtes possibles inimaginables, les ronces, etc. Et puis, c'était « rib » , c'était Ausha , c'était pas convenable. C'était pas convenable. Donc, on apprend très jeune, on apprend plein de codes. Les codes à l'école, qui sont à l'opposé des codes de la maison. À la maison, on apprend à être une bonne femme d'intérieur, moi, à l'extérieur. Je m'ouvrais sur des horizons qui ne m'étaient absolument pas accessibles dans ma prime enfance à la maison. Sauf quand la télévision est arrivée.

  • Speaker #0

    Et je voulais savoir, parce que vous parlez de ces vacances, ces longues vacances au Maroc, à quel moment en France et peut-être aussi au Maroc, vous vous êtes sentie différente ?

  • Speaker #1

    Ça va paraître incroyable, mais quand on a eu la télévision, c'était un truc de fou. Au début des années 70, j'étais plus petite. et il y a eu Giscard d'Estaing qui est devenu président de la République ou même Pompidou avant. Les hommes politiques disaient « français, française » . J'étais petite et quand ils disaient « français, française » , je me sentais exclue de ce « français, française » .

  • Speaker #0

    C'est intéressant.

  • Speaker #1

    Parce qu'à la maison, comment on a été éduqués, c'était… Attention, soyez discrets, ne faites pas de vagues, ne faites pas d'histoires, ne faites pas de bêtises, ne parlez pas trop fort, ne vous faites pas remarquer, vous n'êtes pas chez vous, on n'est pas chez nous. La première fois que j'ai entendu « on n'est pas chez nous » , ce n'est pas dehors que j'ai entendu, c'est à la maison. Vous êtes des Marocains, vous êtes des Arabes, on est Marocains, on n'est pas Français, on n'est pas chez nous. Donc, il faut être… discrets, il ne faut pas se faire remarquer, etc. Donc, voilà, cette différence, d'abord, c'est dans le foyer familial. À l'extérieur, donc là, on est toujours dans l'enfance, à Boulogne-Villancourt, moi, j'arrive à l'école, je suis bien obligée de constater que je suis vraiment différente. Les autres, je suis la seule à avoir les cheveux bouclés, il n'y a que des cheveux lisses autour de moi, il n'y a personne qui porte un prénom que moi, j'en... Quand je vais au Maroc en vacances, personne ne suit la seule enfant d'origine immigrée dans la classe. Il y a un immigré par classe, c'est mes trois frères, ma grande sœur et moi. Mon tout premier environnement scolaire, il n'y a zéro immigré, il n'y a que nous. Après, on a déménagé, on a changé de ville et là, on arrive dans une cité, dans un quartier, une cité telle qu'on peut l'imaginer aujourd'hui, les Garges-Légonès à côté de Sarcelles dans le 95. Et là, je me mettais par la fenêtre, j'avais peur de sortir. pour la première fois. En dehors du Maroc, je voyais des gamins qui me ressemblaient et ça m'a fait peur. Ça m'a fait peur parce que ça jouait dans tous les sens. Alors que nous, tout était, comme on vivait à Boulogne-Diancourt, il n'y avait pas de verdure pour avoir de la verdure. C'était une démarche. Mon père nous mettait dans la voiture le dimanche et nous emmenait au Bois de Boulogne, à Saint-Cloud, au château de Versailles, etc. Mais sinon, il n'y avait pas de verdure autour de nous. Et la seule nature à laquelle on avait accès, c'est quand on allait en vacances au Maroc. Et là, tout d'un coup, on arrive dans un quartier, un quartier à l'ancienne. Au début, quand ils ont été construits, c'était magnifique. Il y avait des rosiers en bas des immeubles. Il y avait un petit bois, comme je viens de vous le dire. Il y avait des balançoires. Et puis, il y avait plein d'enfants qui jouaient et qui hurlaient dans la rue. Et là, par contre, dans l'école à Garges-les-Gonesse, là, je ne suis plus du tout la seule arabe de la classe. C'est plus tard. Ça fait que ça va revenir. Quand j'ai fait allemand, deuxième langue.

  • Speaker #0

    Du coup, Farida, comment vous avez fait accepter votre volonté de jouer ? ce qui n'est pas évident parce que déjà, comme on parlait de première génération qui s'émancipe, travailler, mais là, c'est travailler dans un domaine qui est perçu d'une manière assez particulière par nos parents comme étant un métier léger et pas vraiment un métier, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Beaucoup de gens, quand ils sont parents, ne considèrent pas ça comme un métier, mais nous, dans l'éducation que j'ai reçue, être comédienne, c'est fille de petite vertu, fille de mauvaise vie, etc. Donc moi, ça, je l'ai compris très vite. J'ai fait du théâtre pendant toutes mes années de collège, et mes professeurs de troisième m'avaient dit, mais Farida, il faut absolument que tu passes les concours pour rentrer au conservatoire, t'es douée, t'es vraiment faite pour ça, on voit bien que t'es pas scolaire. Moi, je faisais le minimum pour passer. J'avais des facilités. Je faisais le minimum pour passer d'une classe à l'autre classe supérieure. Mais moi, je voulais tout le temps jouer, en fait. Je voulais tout le temps imiter les gens. de temps en temps raconter des histoires. Je voulais tout le temps qu'on me raconte des histoires. J'adorais lire, j'adorais raconter, j'adorais qu'on me raconte des histoires et j'adorais mettre en scène, jouer, etc. À la maison, c'était compliqué. C'était très compliqué parce que comme je me rebellais, à la maison, je ne voulais pas apprendre à manger pour un mari et pour satisfaire sa famille, essayer de les inviter. Je ne voulais pas être l'esclave, ce que moi je considérais être l'esclave de mes frères. J'ai eu beaucoup de conflits. J'ai vécu toute mon adolescence et une première partie de ma maturité, de mon âge de jeune femme, j'étais en conflit constant. J'étais en conflit constant avec ma mère qui ne savait pas comment faire pour me maîtriser. Elle a fait ce qu'on fait, on n'a pas besoin d'aller à l'école pour comprendre qu'il était divisé pour mieux régner. Donc mes frères étaient extrêmement violents à mon égard. Et donc, j'étais en rébellion constante. Mais en même temps, j'avais des petites sœurs. À 18 ans, j'avais envie de partir, de prendre mon sac et de me tirer, d'aller en Angleterre filer au père pour apprendre l'anglais et tout ça. Je me suis dit, si je fais ça, mes sœurs vont payer le prix de ma liberté. Donc, il faut que j'attende que mes sœurs grandissent pour pouvoir faire ce que je veux. Donc, ce que j'ai fait à l'issue de la troisième, je ne m'ai pas passé les concours au conservatoire. Parce que j'avais deux ou trois combats à mener au sein de la famille. J'ai laissé tomber pendant 15 ans. Je suis allée au lycée, j'ai eu mon bac, je suis allée à l'université. J'ai fait un d'œuvre, à l'époque on appelait ça un d'œuvre, plus une licence de l'ethnoderme. J'ai travaillé, j'ai protégé mes sœurs.

  • Speaker #0

    C'est toujours dans un coin de votre tête quand même ? Vous saviez que vous retournerez vers ces premiers amours ?

  • Speaker #1

    Je prestaisais cette partie-là. La partie artistique, je l'ai complètement anesthésiée. Vraiment, vraiment. C'est revenu et évidemment, j'ai fait des études, etc. Mais j'étais très instable. Je ne gardais pas mes boulots. Je ne gardais pas mes appartements. Quand j'ai pris mon indépendance, mon premier appartement, je déménageais tous les un an et demi, deux ans. J'étais complètement instable et je ne comprenais pas pourquoi j'étais instable. Et en 1998, j'ai 31 ans. J'ai un ami que je remercierai. C'était la fin de mes jours. J'étais directrice d'un centre de loisirs à Paris et il me dit, écoute Farida, au mois de juillet, j'ai fait un super stage de théâtre qui devrait venir. Le prof, il revient au mois de septembre, octobre, il revient, il va donner des cours, il va donner, il va animer un atelier de théâtre amateur. Viens et tout. Ouais, ouais, bon, je n'étais pas très bien dans ma peau ni dans ma tête à cette époque-là. Ça me revient en fait. Tout d'un coup, il réactive un vieux souvenir. C'est comme si je sortais d'un long sommeil et je me vois en train de discuter avec un pote en lui disant « Il faut vraiment que je retourne au théâtre parce que sinon je vais devenir folle si je ne fais pas ça. » Et donc, je m'inscris à cet atelier théâtre. J'assiste à la première séance de cet atelier où je vois des jeunes. Ils sont en train de dire des textes. Je suis assise dans une rangée, comme ça je suis toute seule. Et je parle toute seule en les regardant, en me disant, en fait, elle est là ma place. Tout est revenu. Physiquement, j'ai eu une réaction physique où j'ai senti, je t'assure Bouchra, j'ai ressenti une réaction physiologique, comme si dans mon corps, il y avait des cellules qui se remettaient en marche. Je ne sais pas comment vous dire. Mais on réactivait une mémoire. Oui, en fait, c'est ça. La mémoire, la joie que j'avais à être sur scène, à jouer, etc., que mon corps avait imprimé, elle se réveillait. Et donc, je me suis inscrite à cet atelier. Comme quoi, quand on se reconnecte avec qui nous meut fondamentalement, 99... premier festival d'Avignon, 2000, deuxième festival d'Avignon, 2001, troisième festival d'Avignon. En 2001, il y a un monsieur P. à son âme qui s'appelle Claude Wolf, qui était l'un des premiers agents de Paris. Il avait créé ce qu'on appelait à l'époque les fichiers électroniques du spectacle. Il m'avait vu jouer en 2000 et en 2001 au festival d'Avignon et il voulait me faire rentrer dans son agence. Et il m'avait dit cette phrase, il m'avait dit vous, vous êtes… Je t'assure, Bouchra, des fois, il y a des choses comme ça dans la vie, c'est incroyable. Il m'invite à venir dans son agence, il m'explique un peu comment ça se passe. Il me dit que c'est payant et tout. Je dis, écoutez, moi, je n'ai pas d'argent. Moi, je fais ça comme ça. Il me dit, non, non, je ne veux pas vous prendre d'argent. Il me dit, moi, je vais bientôt arrêter. Je vais à la retraite. Je fais ça vraiment pour le plaisir. Je ne demande pas d'argent. Mais moi, je pense que vous êtes faite pour ça. Parce que j'étais amateur, en fait. J'étais juste amateur. Vous êtes comme le bon vent. Vous allez vous bonifier avec le temps.

  • Speaker #0

    Et puis, c'est un super coup de boost pour ton égo et toutes les questions qu'on peut se poser en tant que femme en général, de légitimité, j'ai 31 ans, est-ce que je peux le faire, etc.

  • Speaker #1

    C'est génial. Donc, cette phrase m'est restée. Cette phrase m'est régie. S'il y a bien un métier où on ne prend pas sa retraite, c'est bien un comédien. On peut jouer des rôles jusqu'à la fin de sa vie. Et puis, à partir de là, j'ai retrouvé un boulot. J'ai retrouvé un appartement parce que j'étais par mots et par vaut. Je me suis un petit peu plus stabilisée. C'est-à-dire que l'appartement que j'avais trouvé en 1999, je l'ai gardé dix ans, celui-là. Là, je me suis posée, je me suis stabilisée. J'ai créé une association. J'ai commencé à prendre des cours à Paris. Bref, j'ai commencé à apprendre mon art. Je continue encore. Quand on revient à ce qui n'était pas... mes occasions s'offrent à nous et je les ai saisies mais vraiment Bouchra quand j'ai saisi toutes ces occasions de m'inscrire à cette atelier théâtre d'aller au Festival d'Avignon, d'aller voir ce monsieur Claude Valls à Paris dans le 16ème arrondissement rue des Bemsœil il m'a fait rencontrer une première réalisatrice, j'ai fait un premier court-métrage, un deuxième court-métrage, un troisième court-métrage à l'issue de ces court-métrages un an et demi après Merci. Il y a une directrice de casting qui me contacte pour que je puisse passer un casting pour un téléfilm. Je suis sélectionnée, je joue dans ce téléfilm. Suite à ce téléfilm, le directeur de production me dit « Il faut absolument que tu aies un agent parce que tu es vraiment faite pour ce métier, mais il faut que tu aies un agent. » Et donc, il m'a présenté mon premier agent, Christine Parra. Si un jour elle écoute ce podcast, je ne la remercierai jamais assez, elle aussi. Elle a cru en moi. Je restais dix ans dans son agence. Après, j'ai pris une deuxième agence. Là, je suis dans une troisième agence. Quand j'ai commencé, quand j'ai saisi toutes ces opportunités, franchement, Bouchra, pas une seconde, je n'avais de carrière dans la tête. Pas une seconde. Pour moi, c'était déjà un miracle d'être revenu sur scène. À chaque fois que je décrochais un casting, la question de la légitimité... t'a roder la tête jusqu'à il n'y a pas très longtemps. Tu sais, quand tu es biberonné, depuis le plus jeune âge, d'abord, premièrement, tu n'es pas chez toi. Donc la question de la légitimité... De l'appartenance à un territoire, déjà ça, c'est... Enfin, je veux dire, pour se construire, si on n'a pas cette base-là, c'est compliqué. Tu vois, la question de la légitimité. Moi, quand j'étais petite, je n'osais pas lever la main. Je connaissais les réponses aux questions que l'instituteur ou l'institutrice posait. Je n'osais pas lever la main. Ce qui fait que quand j'ai fait du clown, mon premier personnage qui est sorti, mon premier clown qui est sorti, c'est une petite fille. Et à chaque fois que quelqu'un... Par exemple, quand on faisait une improvisation de clown, mon clown, c'était une petite fille. Elle a une voix comme ça. Ou elle parle comme ça. Et donc, en fait, à chaque fois que dans une improvisation, le clown d'en face de moi disait quelque chose, posait une question, moi, j'étais là, moi, je sais, moi, je sais, moi, je sais. C'est comme si mon clown, il rattrapait toutes ces années où je ne pouvais pas poser la question parce que je ne me sentais pas légitime. Dans ma tête, c'était, t'es qu'une fille, t'es qu'une arabe. Tu ne peux pas savoir mieux que les Français. Les Français, eux, ils sont chez eux. Toi, tu n'es pas chez toi. Voilà, donc on grandit avec ça. Alors, sûr, après, on se dit qu'on est névrosé. On développe une anxiété absolument. Moi, j'ai vécu avec une anxiété chevillée au corps. Il a fallu que je parle franchement. Il a fallu que je fasse des années et des années de thérapie. On ne sort pas indemne d'une éducation comme ça.

  • Speaker #0

    Et puis on porte aussi des chaînes de nos ancêtres, l'exil, tout ça, ce n'est pas des choses qui sont faciles.

  • Speaker #1

    Exactement, on démarre dans la vie avec un 38 tonnes à chaque pied. Il faut s'alléger de tous ces poids-là. Moi je pense, tu sais, franchement, oui, ça demande du courage. Parce que c'est plus heureux.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Moi, je n'ai pas fondé de famille. Il n'y avait pas d'espace pour ça. Il y avait tellement d'interrogations dans ma tête, il y avait tellement de combats à mener. Tu vois, il n'y a pas eu l'espace pour que je pense à fonder une famille. C'est-à-dire que même quand j'ai eu des relations amoureuses, je me suis toujours... intéressé, comment je peux l'exprimer d'une manière, je ne veux pas faire du misérabilisme, je ne suis pas en train de te respecter. Moi, quand on me pose la question, ah, tu n'as pas d'enfant, d'abord, on est étonné que je n'ai pas d'enfant. Non, je n'ai pas d'enfant. Ah, d'accord, c'est parce que tu n'as pas voulu, ni j'ai voulu, ni je n'ai pas voulu. Il n'y avait pas d'espace pour le penser, ni pour le désirer.

  • Speaker #0

    La société est dure aussi parce qu'il y a un peu cette injonction et Il faut se marier et il faut avoir des enfants parce que c'est la seule manière d'être heureux, ce qui n'est pas forcément vrai. On en connaît tous beaucoup qui sont dans ce cas-là et ils sont malheureusement loin d'être heureux.

  • Speaker #1

    Je suis la preuve qu'on peut s'épanouir sans enfants. Alors bien sûr, comme je dis, moi, mon instinct maternel, je l'ai donné à mes sœurs. J'ai beaucoup travaillé avec les enfants aussi. J'ai beaucoup travaillé avec les jeunes. J'ai été pionne, j'ai été animatrice, j'ai été directrice d'écolos. J'ai été prof dans les collèges, etc. Et donc, moi, l'éducation, la transmission, c'est quelque chose qui me passionne tout autant que le jeu d'acteur. Parce que dans la transmission, c'est comme dans le jeu d'acteur, on donne quelque chose à l'autre. On donne directement quelque chose à l'autre.

  • Speaker #0

    Pour ce point de transmission, quelle est la chose que tu veux transmettre à ces enfants ? Je voulais revenir, parce que je sais que tu as donné beaucoup de cours, que tu animes des classes. Quelle est la chose que, s'il y avait une chose que tu veux absolument transmettre à ces enfants ? des... à tes nièces, ce serait quoi ?

  • Speaker #1

    Le goût de la liberté, l'indépendance, être autonome. C'est ça. Je te dis ça parce que j'ai fait un jour ce qu'on appelle une autobiographie résumée. Donc en fait, ça se fait en trois parties pour découvrir les fils rouges qui jalonnent ton existence. Et donc, tu fais tout un récit de ta vie, etc. en mettant l'affect de côté. Et tu fais le récit de tout ce que tu as mis en place, en dehors du cadre des études. Et je me suis rendu compte...

  • Speaker #0

    que ce que j'aimais par-dessus tout, c'était accompagner les personnes vers de l'autonomie, vers de l'indépendance, vers vraiment que ces personnes-là découvrent qui elles sont. Et à partir du moment où elles découvrent ce qu'elles sont, à ce moment-là, elles vont trouver en elles-mêmes les outils, pas les outils parce qu'on n'est pas des machines, mais les ressources. les ressources, merci, les ressources, les ressorts pour bâtir leur vie. Vraiment, il n'y a pas de matière pour ça. C'est vraiment ça qui me met, vraiment. Même dans mes cours de théâtre. C'est-à-dire que quand j'anime des ateliers théâtre, j'essaie autant que faire se peut de... C'est pour ça que je ne peux pas faire des cours de théâtre avec 30 personnes. Moi, c'est 12, 15 maximum. Pourquoi ? Parce que je travaille avec chacun pour que chacun trouve sa singularité. sa personnalité et sa façon de faire, sa façon de jouer, sa façon de dire à lui. Et donc, c'est ça qui m'intéresse, c'est comment chacun va trouver sa singularité.

  • Speaker #1

    C'est un peu de ce que j'entends, le chemin de votre vie. Vous recherchez de trouver cette indépendance et revenir à ces amours qui n'étaient pas toujours acceptés au début pour se sentir pleinement alignés et être soi.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    C'est très beau. Tu es une femme très engagée, tu parlais de l'association que tu as créée. Je voulais savoir, est-ce que cet engagement pour toi, il passe aussi parce que tu joues ou aussi parce que tu refuses de jouer peut-être ? Est-ce qu'il y a eu des rôles que tu as refusé de jouer parce que peut-être trop cliché ou pas en ligne avec tes valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors, on va parler de manière vraiment, comme on le fait depuis le début, très nette. Au début, moi, je ne refusais aucun rôle. Pourquoi ? Le moindre rôle qu'on... proposé et que j'obtenais devant la caméra, c'était une occasion d'apprendre. D'apprendre parce qu'apprendre à jouer sur scène, ce n'est pas comme jouer devant une caméra. Ça n'a rien à voir. C'est le même métier, mais ce n'est pas du tout la même façon de le faire. D'accord ? Et puis, il y a la question pécuniaire. Donc, comme je t'ai dit, moi, je n'ai pas bâti de famille. Donc, moi, j'étais totalement indépendante. Ça veut dire responsable de ma propre personne, personne pour payer mon loyer, etc. Donc, moi, je… au début, moi je travaille, j'essaie de travailler le maximum parce qu'il faut bien vivre. C'était des rôles en fait, au-delà du cliché, c'était des rôles qui étaient complètement fantasmés. C'est-à-dire que c'était écrit par des gens qui avaient une idée de la femme maghrébine qui était complètement à côté de la plaque. Au début, j'ai mis ça de côté et ce que j'ai essayé de faire à chaque fois, c'était vraiment de mettre de la sincérité et c'est peut-être là mon engagement. Mon engagement, il est dans comment je joue ces personnages-là. On me donne quelque chose de cliché, comment j'essaie d'y mettre de la sincérité et de la justesse et de la vérité. Il est là, mon engagement. Même quand on me demande de faire un accent. Aujourd'hui, je n'y arrive plus. Là, moi, par contre, aujourd'hui, quand on me demande de faire un accent, je dis non. Là, stop. J'ai prouvé, ça y est, c'est bon. C'est bon, j'ai fait 8 000 Rachida, 15 000 Malika. Ça y est, il n'y a pas que ces prénoms-là. C'est bon, stop. Et donc, tu vois, dans le dernier film, dans le film qui vient de sortir, avec Redouane Bouguérapa, Caroline Anglade, Nora Degendi et mes autres camarades, je joue le rôle de Mima, qui est un hommage, en fait, à nos parents. mais qui serait plutôt de la génération de ma grande soeur. Et les deux réalisateurs, Olivier Dacourt et Nabil Aïta Kouali, ils m'ont dit, nous, on ne veut pas une femme clichée. Alors oui, moi au début, je ne voulais pas porter le foulard, mais ils m'ont dit, si, si, si, nous, on veut que tu portes le foulard parce qu'on veut montrer à travers ton personnage qu'on peut porter le foulard et quand même en avoir plein la tête. Ça,

  • Speaker #1

    c'était très intéressant. Je trouvais que c'était assez frais. de montrer cette dualité. Et je trouve qu'on n'associe pas du tout foulard et culture générale et lecture. C'est des choses qu'on retrouve chez plein de femmes. Et je trouvais que c'était très rafraîchissant de voir.

  • Speaker #0

    Exactement. Donc, il m'a dit, tu parles comme tu parles, mais tu es juste Mima qui a des enfants, etc. Donc, il me fait lire une carte. Une partie de mon engagement, c'est ça. C'est de... Vraiment de ne pas juger mes personnages, même quand ils peuvent paraître caricaturaux, de ne pas les juger et d'y mettre de la vérité. Alors, on peut ne pas aimer mon jeu, il n'y a pas de problème là-dessus. Je veux dire, il n'y a pas de souci, on a le droit de ne pas aimer ce que je fais, il n'y a pas de problème là-dessus. Il y en a beaucoup qui aiment, que j'entends souvent quand on me fait des compliments, c'est « j'aime bien comment tu joues parce que tu es sincère » . Moi, quand on me dit ça, je suis contente,

  • Speaker #1

    tu vois ? Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Et dans ce film qui est, comme je disais tout à l'heure, qui est très rafraîchissant et vraiment... Surtout ton personnage de Mima, c'est ce qu'on disait, c'est la première fois je pense qu'on associe ces deux choses-là. Est-ce que c'est quelque chose qui t'a séduit du coup dans le scénario ? Et on parle beaucoup de silence, de mémoire, de filiation. Est-ce que c'est des choses qui résonnaient particulièrement avec ton parcours et avec toi ?

  • Speaker #0

    Ah oui, oui, oui, oui. Ce personnage, le scénario et le personnage m'ont beaucoup plu parce que forcément ça va résonner avec... une partie de mon histoire personnelle, où on a été élevés par des parents quand même. Eux ont eu une éducation encore plus rigide que la nôtre, avec une pudeur qui fait 8000 kilos. Enfin, un truc comme une chape de plomb, cette pudeur, où on a du mal, on ne dit pas « je t'aime » à ses enfants, on ne raconte pas à ses enfants. Moi, il a fallu que je pose des questions et que je tire les verres du nez de mon père pour qu'il me raconte un petit peu. peu son enfance avec une pudeur incroyable. C'est ma mère maintenant, elle sait que j'aime bien, donc elle me raconte souvent « ton père c'était comme ci, ton père c'était comme ça, et moi c'était comme ci, et moi c'était comme ça » , parce qu'elle a compris que ça m'intéressait. Mais oui, ce qui m'a intéressée dans ce film, c'est effectivement que nos parents, ils ont vécu, par exemple ma mère, son père et sa mère, ils se parlaient en berbère. En fait, ils n'ont pas transmis le berbère à leurs enfants. Et pour que les enfants ne comprennent pas, parce que les maisons étaient construites de manière… Ce n'était pas la même façon, donc l'intimité ne se déployait pas de la même façon. Eh bien, déjà, mes grands-parents maternels se parlaient en berbère pour pas que les enfants comprennent. Déjà, mon père, lui, il a perdu sa mère très tôt. Il était tout petit. Très tôt, il a quitté le domicile familial, il crevait de faim. Donc, il a fugué très, très tôt, etc. Il s'est fait un peu tout seul. Donc, mon père, c'est quelqu'un qui était… c'était un taiseux. D'accord ? Donc, c'est plus tard que mon père, quand il a commencé, quand il était devenu vieux, il nous appelait ma jolie. Et ça, ça choquait, ça choquait toutes les copines qui venaient à la maison. Ils entendaient mon père, ça va ma jolie ? Alors là, c'était, comment ça, mon père ? Ouais, ouais, je dis mon père, il a cinq filles et il a cinq ma jolie. Donc, c'est plus tard, tu vois. Donc voilà, et ce silence-là, dans le film, Nima, elle porte ça en elle et elle se rend compte des dégâts que ça a causé sur ses enfants.

  • Speaker #1

    Et quelle est, selon toi, Farida, la chose qu'on comprend le moins bien du vécu des femmes issues de l'immigration dans le cinéma français ?

  • Speaker #0

    Ce qu'on comprend le moins bien, c'est que c'est uniquement des victimes. On en fait des victimes, on en fait des femmes qui ne comprennent rien, des pauvres petites... C'est vraiment une vision néo... coloniale, la femme maghrébine. Il n'y a pas de rôle de femme qui peut représenter ma génération, par exemple. Ça n'existe pas. C'est un sujet, c'est un impensé. Les femmes, moi, mes petites sœurs, quand je dis mes petites sœurs, elles ont plus de 40 ans. Toutes ces femmes-là, dans le cinéma français, elles n'existent pas. En fait, on a figé la femme maghrébine à l'âge de... de nos mères, les femmes forcément victimes et soumises. Oui, il y en a, on ne va pas se mentir. Bien sûr qu'il y en a. Mais il n'y a pas que ça. Elles ont du caractère. Elles ont du caractère. Il y a des femmes qui ont du caractère. Il y en a qui ont travaillé. Il y en a qui sont allées apprendre à lire et à écrire. Moi-même, j'ai donné des cours de français. J'ai appris à lire et à écrire à des femmes africaines, maghrébines, etc. Moi-même, dans les années 90, j'ai donné des cours de français et d'alphabétisation. Ces femmes-là, on ne les voit jamais. On ne voit jamais toutes ces femmes qui sont allées à l'école. Celle que je vous raconte, j'ai 58 ans. Ma sœur, elle en a 65. J'ai des cousines qui ont 67, 68 ans, qui ont travaillé toute leur vie, qui s'expriment extrêmement bien. On ne les voit jamais dans le cinéma français. Ces femmes-là n'existent pas. Seules existent infantiles. néocoloniale qui est la femme maghrébine qui sait pas lire, qui sait pas écrire ou celle qui se fait tabasser par... ou alors une fille, entre guillemets, pas de mauvaise vie, mais qui a des problèmes sociaux, etc. Oui, tout ça existe. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le mettre en scène, mais ça devient du cliché à partir du moment où on ne reste que sur cet angle-là. Moi, ça ne me dérange pas de jouer une femme de ménage. Ça ne me dérange pas, ça existe. Bien sûr qu'il y a des femmes maghrébines. D'ailleurs, les femmes de ménage et les aidantes à domicile, elles sont toutes de régime. Mais on peut jouer autre chose. On peut jouer autrement. Non, c'est impensé, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Mais ça, ça a dû être difficile quand on commence, surtout à 30 ans, à jouer dans ce milieu-là. Et je voulais savoir, est-ce qu'il y a des figures féminines dans ta famille, dans la culture, dans le cinéma, qui t'ont portée, qui t'ont inspirée, qui étaient un peu tes rôles modèles quand tu t'es lancée ?

  • Speaker #0

    Moi, j'ai des modèles dans ma famille. Mes cousines au Maroc, j'ai une nièce de ma mère, qui sont donc un petit peu plus âgées que moi, dans notre région. c'était les premières à avoir eu leur baccalauréat. Et donc à l'époque, au début des années 80, on marquait le nom des gens dans le journal, au Bled, au Maroc, on marquait le nom des gens qui avaient eu le bac. Et mes cousines étaient les premières à avoir eu leur bac. Donc ça, voilà, pour moi, ces cousines-là, les nièces de ma mère, donc il y en a une qui était prof d'anglais, deux autres qui étaient institut, qui travaillent au centre culturel américain, etc. elle parle l'anglais, le français couramment, elle parle l'arabe, elle dit tout ça couramment. Bref, pour moi, au niveau intellectuel, c'était des modèles. J'ai eu plusieurs modèles. Mon père avait une licence pour vendre de l'alcool. On est dans les années 70. Donc, les femmes de ma famille, elles ne sont pas voilées, d'accord, mais elles sont toutes en robe longue, etc. Et au Maroc, je vois des femmes assises à la... la terrasse du café de nos pères. Elles ont des cheveux comme ça, ondulés, brochingués. Elles sont maquillées. Elles ont un verre d'alcool devant elles et elles portent des pantalons, pas d'éléphant. Elles étaient super belles. Elles avaient du vernis rouge et des ongles nôtres, etc. Et après, j'ai fini par comprendre que c'était des prostituées. Je les adorais. Je les adorais et elles m'adoraient. parce que j'essayais de parler en arabe et donc avec un accent un peu plus au coton en français. Et elle m'achetait des études, elle venait me toucher les cheveux, etc. Et puis, moi, je les adorais et je voulais leur ressembler. C'était mes modèles de beauté, de féminité.

  • Speaker #1

    Parce qu'elle représentait l'émancipation.

  • Speaker #0

    Oui, elle représentait l'émancipation parce que j'entendais à la maison Ausha, Ausha, la femme qui fume, Ausha, la nanny, nanana, nanana. » Et en fin de compte, ces femmes-là, je les trouvais super sympas et je les trouvais super belles. Ça a été parmi mes modèles de féminité. Des putes, des prostituées, tu vois. Quand je dis putes, il y a un très grand respect dans ma bouche. C'était des prostituées. Je les trouvais magnifiques. Ça, ça a fait partie de mes modèles. Et puis au cinéma, il y a une actrice, parmi beaucoup d'actrices, il y en a une qui m'impressionnait. C'était qui ? C'était Simone Seymouré.

  • Speaker #1

    En d'hommes.

  • Speaker #0

    Waouh ! Quel jeu, quelle puissance ! Il y avait de la puissance et de la fragilité en même temps. Il y avait de la... Enfin voilà, elle a le corps, elle a un âge avancé, le visage, etc. Elle est restée belle différemment, mais elle est restée magnifique. C'est vraiment l'une des actrices qui m'a le plus marquée.

  • Speaker #1

    Si je te disais, quelle est ta définition de la réussite ? Réussir dans la vie, pour toi, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Être en accord avec soi-même. C'est la première phrase qui me vient. Je ne réfléchis pas, je dis être en accord avec soi-même. Aujourd'hui, on dit allumé, reconnaître ses erreurs, ses errements, ses égarements. Ils ne m'ont rien regretté parce qu'on fait ce qu'on peut. Mais c'est vraiment être foncièrement et fondamentalement honnête avec soi-même. Avant de l'être avec les autres, il faut l'être avec soi-même. Dans l'intimité entre soi et soi, quand il n'y a personne qui te regarde. entre les quatre murs de chez toi, il n'y a personne qui te regarde, il n'y a personne qui t'écoute et tu te regardes tel que tu es, tel que tu es. Être alignée à l'autre, c'est un bon mot. Et se dire, là, il y a des choses que je fais, ce n'est pas encore ça, mais ce n'est pas grave parce que je sais que je t'en vais être alignée, être toujours alignée. Moi, je suis heureuse comme ça. Je suis une femme heureuse.

  • Speaker #1

    C'est beau à entendre et on le voit, je le vois en tout cas. Vous le portez, tu le portes sur toi, vraiment. Qu'est-ce que tu dirais à la petite Farida si tu pouvais parler à cette petite fille dont on parle depuis tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Je lui parle souvent. Je lui dis « mets pas peur » . Parce que, comme je te disais au début de l'entretien, il y a des hommes plus anxiétiques, chevillés au corps, parce que dès tout petit, on nous dit « on n'est pas chez nous, t'es qu'une fille, t'es plus ici, t'es plus là » . On développe une espèce de peur viscéral contre laquelle je ne me lutte plus, mais que je repousse, que je repousse, que je repousse. Et parfois, quand je sens une peur irrésumée en moi, je sais que c'est la mémoire de cette petite fille qui se réveille. Je lui dis, n'aie pas peur, petite Fariba, la grande, elle est là pour baigner sur toi. C'est une première chose. La deuxième chose que je dis à cette petite fille, je lui dis merci. Je lui dis merci d'avoir été une petite fille. qui était tout le temps dans la lune, tout le temps dans les nuages, qui rêvait, qui était gourmande des autres. Moi, par exemple, quand j'étais à la plage, je ne savais pas encore bien nager. J'étais donc au bord de Benoît, au Maroc, et j'allais voir tous les gens qui étaient autour de moi. « Bonjour, je m'appelle Farida. Tu veux on joue ? Comment tu t'appelles, toi ? » Et tous les jours, je connaissais tout le monde. Au bout de trois jours, je connaissais tout le monde. Cette petite fille, je lui dis merci. Moi, ce qui m'intéressait, c'était de jouer avec les œufs. Ce n'était pas de jouer avec des objets, c'était de jouer avec les œufs.

  • Speaker #1

    Génial. C'est vraiment génial. Qu'est-ce que tu aimerais dire aux femmes qui écoutent cet épisode et qui parfois doutent, hésitent à prendre leur place, se disent « il est trop tard, je ne peux pas le faire parce que j'ai 30-40 ans » . Qu'est-ce que tu aimerais leur dire ?

  • Speaker #0

    J'ai plusieurs choses à vous dire parce que ce n'est pas que nous. La première chose, doutes. Douter, c'est normal. C'est normal. À chaque fois qu'on a été habitué à être dans un certain chemin, on a du confort. On est confortable dans cette situation que l'on connaît, dont on maîtrise tous les codes. Même si c'est une situation qui nous fait souffrir, on en maîtrise les choses. Notre cerveau est sénéant de nature, il aime bien les choses connues. C'est une prison, les babes. Le doute, c'est une bénédiction, c'est un cadeau. Avoir des doutes, c'est un cadeau. Ne fuyez pas le doute, allez-y. N'ayez pas peur de l'inconnu, c'est absurde. C'est absurde d'avoir peur de quelque chose qu'on ne connaît pas. La peur, comme disait un grand écrivain égyptien, n'empêche pas la mort, elle empêche la vie. Donc, mesdames, vous doutez, c'est normal. Vous avez peur, c'est normal. Apprivoisez cette peur. Apprivoisez-la, ne la laissez pas vous envahir. Troisièmement, il est trop tard, c'est pas bon ça. Ça, il faut effacer ce logiciel. Ce que vous aimez au fond de vous, c'est pas rien. C'est merveilleux, c'est magnifique, c'est l'espoir du monde. Nous sommes l'espoir du monde, mesdames, vraiment, je le pense. Ce que vous êtes aujourd'hui est... et vous vous sentez à l'étroit, ça n'est qu'une construction, c'est une fabrication, ce n'est pas vous. C'est qui est vous, c'est magnifique, c'est à l'intérieur de vous, et le monde a besoin de ça. Nous avons besoin de ça, c'est urgent, mesdames. Déployez-vous, épanouissez-vous. Moi, je suis dans la sororité. Si vous me croisez sur votre chemin, je vous donnerai tout ce que je peux, je vous donnerai le maximum d'énergie que je peux, mais le dites-moi. pas il est trop tard c'est ce qu'on veut nous faire croire vous voulez faire de la danse à 40 ans allez-y vous voulez faire de la sculpture à 55 ans allez-y vous avez envie de vous tirer la peau allez-y vous avez envie de vous tourner la tête allez-y vous avez envie d'avoir les cheveux violets allez-y allez-y on a besoin de fantaisie on a besoin de la fantaisie de l'intelligence incroyable et inépuisable des femmes les soeurs toutes les soeurs n'ayez pas peur Nous sommes puissantes, nous sommes belles, nous sommes fortes, nous sommes intelligentes, nous sommes généreuses, nous sommes la vie.

  • Speaker #1

    Merci Farida. C'est très émouvant ce que vous venez de dire, ça me touche particulièrement. Merci pour ça. Il y a une dernière partie dans l'interview, c'est des toutes petites questions et l'idée c'est de répondre du tac au tac. Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Alors une phrase que je me répète souvent, je ne suis pas sur terre pour souffrir ni pour subir.

  • Speaker #1

    un livre

  • Speaker #0

    « Les femmes qui courent avec les loups » de Clarissa Pinkola Estes. C'est un livre parmi tant d'autres, mais celui-là a été un détonateur.

  • Speaker #1

    Une musique ?

  • Speaker #0

    J'adore.

  • Speaker #1

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur ce podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours sur mon podcast ?

  • Speaker #0

    La première à laquelle je pense ? C'est une réalisatrice, actrice et scénariste qui s'appelle Sejriya Dehbiba, qui a réalisé un magnifique film qui s'appelle « D'une pierre deux coups » dans lequel j'ai eu la joie de jouer, que je te recommande. Tu peux me permettre une deuxième femme qui est une critique de cinéma qui s'appelle Nadia Mefla, c'est un personnage.

  • Speaker #1

    Farida, je te remercie infiniment pour ce moment. c'était un vrai plaisir d'échanger avec toi et d'en savoir plus sur ton magnifique parcours et ta magnifique histoire merci beaucoup Bouchra,

  • Speaker #0

    merci infiniment et j'espère avoir l'occasion de te croiser en chair et en os j'adorerai,

  • Speaker #1

    j'adorerai,

  • Speaker #0

    merci Alida avec plaisir,

  • Speaker #1

    à bientôt cet épisode de Heya est maintenant terminé, je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout ce qui j'espère veut dire que vous l'avez apprécié N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux, c'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire, c'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya underscore podcast. A très bientôt.

Description

Cette semaine, je suis ravie de partager ma conversation avec Farida Ouchani, comédienne franco-marocaine au parcours riche et engagé. Elle est l’un des rares visages de femme issue de l’immigration maghrébine de sa génération à s’imposer dans le cinéma français.


En plus de son métier d’actrice, Farida a plusieurs cordes à son arc : elle est aussi metteuse en scène, autrice et très active dans le milieu associatif.


Son dernier film, Sur la route de papa, actuellement en salles, suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines.

Farida y joue Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée qui casse les clichés souvent associés aux femmes musulmanes.


Dans cet épisode, Farida revient sur son enfance, son lien profond avec ses racines et son engagement pour une représentation plus juste et plus large des femmes issues de l’immigration.

Nous avons également discuté :

• de ses combats personnels, de sororité

• des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie qu’après 30 ans

• de pourquoi son dernier rôle dans Sur la route de papa l’a particulièrement touchée

• de sa vision d’un cinéma français plus inclusif


Un épisode plein d’authenticité qui m’a beaucoup touchée.


Sans plus attendre, je laisse place à la HeyA du jour – Farida Ouchani.


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Ici, on parle d’identités plurielles, de voix arabes, de parcours de femmes inspirantes, de diaspora maghrébine, de sororité, de féminisme, d’inclusion, de récits de femmes et de transmission et d’héritages culturels.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, cette semaine je suis ravie de partager avec vous un nouvel épisode du podcast dans lequel je reçois Farida Oushani. Farida qui est comédienne franco-marocaine, elle est l'un des rares visages de femmes issues de l'immigration maghrébine de sa génération à s'imposer dans le cinéma français. En plus d'être actrice, elle a plusieurs cordes à son arc, elle est metteuse en scène, autrice mais aussi très active dans le milieu associatif. Farida est actuellement à l'affiche de Sur la route de papa avec entre autres Redouane Bougueraba. qui est actuellement en salle et dans lequel on suit avec tendresse et humour un père qui entreprend un voyage chargé de mémoire pour renouer avec son histoire et ses origines. Faridah y joue le rôle de Mima, une mère et grand-mère forte et cultivée, qui casse les clichés qu'on associe souvent aux femmes musulmanes. Dans cet épisode, Faridah revient sur son enfance, sur son lien profond avec ses racines. On y discute entre autres de ses combats personnels, des raisons pour lesquelles elle ne se lance dans la comédie et dans le cinéma qu'après 30 ans. de pourquoi ce dernier rôle dans le film Sur la route de papa l'a particulièrement touché, de sa vision d'un cinéma français plus inclusif et de plein d'autres choses. C'est un épisode que j'ai adoré enregistrer. Je connaissais de loin Farida et j'ai découvert une femme pleine d'authenticité, de douceur. Donc sans plus attendre, je laisse place à la réelle du jour, Farida Oushani. Farida, bonjour et bienvenue sur Réel. Je suis ravie de te compter parmi... Toutes les rias qui sont passées sur le podcast. Tu n'as pas fait beaucoup d'interviews où tu discutais en longueur. Donc, je suis ravie qu'on ait un peu ce temps long pour échanger sur plusieurs sujets.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup de me recevoir. En fait, c'est l'une des premières interviews, peut-être même la première que je fais. Et je suis très heureuse de la faire avec vous.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Farida. Tu es née en France, dans une famille marocaine. Est-ce que tu peux nous parler de l'environnement dans lequel tu as grandi ? Et quels souvenirs te restent de ton enfance ?

  • Speaker #1

    Mon père tenait un café-hôtel-restaurant à côté de la Régie Renaud. Et donc, voilà, moi j'ai grandi dans un environnement très masculin parce que c'était surtout les ouvriers qui habitaient dans l'hôtel de mon père. Nous, nous habitions aussi, mes frères, ma sœur et moi, avec mes parents, nous habitions dans l'hôtel ici. Il y avait deux étages. Le premier étage était occupé par ma famille et par... Les femmes retraitaient de l'usine Renault et au deuxième étage, c'était les ouvriers, soit du bâtiment, soit de l'usine Renault qui habitaient. Il n'y avait pas d'enfants, il y avait très peu de travailleurs immigrés qui avaient amené leurs enfants en France. On est dans les années 60, il n'y a quasiment pas de logement. La France est encore en train de se relever, de se reconstruire au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. Donc vraiment, on assiste à une... une arrivée, on va dire, un petit peu plus importante et un petit peu plus conséquente dans le milieu des années 70, début des années 80. C'est là où les travailleurs immigrés vont pouvoir faire ce qu'on appelle le regroupement familial. Donc ma famille et moi, on est parmi les premiers, parmi les familles à être nées en France. Et voilà, donc moi, je joue dans le couloir de l'hôtel. Je n'ai pas de copains, je n'ai pas de copines. Mes copains, mes copines, je n'ai pas de copains et copines de classe. L'un de mes plus vieux souvenirs, on habitait quand même à côté des studios de Boulogne-Biancourt, donc des studios de cinéma, d'enregistrement, etc. Et quand on allait le matin à l'école Tréteau, je vous parle de ça, j'ai 5 ans, c'est vraiment très très ancien. C'est des souvenirs qui remontent à plus de 50 ans en arrière. Eh bien, on croisait des artistes comme Carlos, Sylvie Vartan, Johnny Hally. qui allaient enregistrer leur disque et on avait droit à notre petit bonjour les enfants, bonjour les enfants parce qu'ils nous voyaient tous les matins quand ils venaient faire des séances d'enregistrement, ils voyaient les mêmes enfants que ma mère nous tenait par la main comme ça pour nous emmener à l'école. Mon souvenir c'est plutôt les murs de l'usine et les chansons des chirettes qui venaient chanter dans le bar de mon père. Les conversations enflammées dans le café de mon père, les verres qui claquent, l'ambiance d'un café.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc première génération née en France, j'imagine première génération à aller à l'école aussi. Est-ce que ça a été une responsabilité en quelque sorte ? Est-ce que c'est quelque chose qui a été peut-être lourd à porter ou peut-être très léger parce qu'il est de la liberté ? Et... une manière de pouvoir s'émanciper.

  • Speaker #1

    Effectivement, quand on est la première génération aussi à avoir été scolarisée. Avant la responsabilité, c'est d'abord la notion de rupture. C'est une rupture. C'est une rupture avec les générations. On change. C'est comme si on bascule dans autre chose. On est élevé par des parents, enfin pas mon père, mon père était lettré lui, ça venait réécrit. L'éducation étant entre les mains de ma mère, on est élevé par une maman analphabète. Donc, pour les analphabètes, Il y a une langue, une langue que les lettrés ne... Ce n'est pas la même langue que les lettrés. C'est une langue spécifique. La langue de l'analphabète, elle est spécifique. Elle est très imagée, c'est un vocabulaire produit. Donc une pensée plutôt... qui est factuelle, tout est matérialisé. Du coup, les nuances, les subtilités, elles ne sont pas à travers les mots, mais ça va être à travers les images. D'accord ? Donc déjà ça, on le ressent parce que, et en plus, moi j'apprends à lire et à écrire la langue que je ne parle pas à la maison. Donc double rupture. À la maison, à l'époque quand j'étais petite, il nous était par ma mère interdit de parler français.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant.

  • Speaker #1

    À la maison, je parle une langue que je ne sais pas lire. Ce n'est pas de l'arabe classique, ce n'est pas l'arabe de la poésie, ce n'est pas l'arabe du Coran. Ce n'est pas l'arabe littéraire classique, c'est un arabe qui est mélangé. C'est l'arabe circonscrit à une région spécifique du Maroc, à la frontière algérienne, où on a une enclave espagnole à 100 km de chez nous. Le Maroc est un pays à la base, une très forte présence berbère. Il y a eu la présence des Français, il y a eu la présence des Espagnols, il y a la présence du berbère, ma mère est d'origine berbère. jusqu'à ce que ses parents parlaient berbère et après ils ont arrêté de transmettre le berbère à leurs enfants. Donc moi l'arabe, entre guillemets, que je parle, on dit l'arabe dialectal, mais le dialectal que moi je parle, ce n'est pas le même que celui de Fès. Enfin, on se comprend, mais il y a des petites différences. Donc en fait, me voilà éduquée avec une langue où il y a un mélange de français, c'est des mots français arabisés, je vous donne un exemple, j'ai bêlé le farcheta. « Ramène-moi la fourchette. » « Fourchette, fourchetta. » « Tu veux manger des tomates ? » « T'as clé tomateja ? » C'est un mélange de français, d'espagnol, de berbère et d'arabe. Est-ce que je peux appeler ça de l'arabe ?

  • Speaker #0

    Mais un beau melting pot pour le coup.

  • Speaker #1

    Complètement, absolument. Absolument, c'est un mélange. Après qu'on se rend compte, par exemple, le baudoré. Le baudoré, dans ma région, dans la région de mes parents au Maroc, le baudoré, c'est le rouge à lèvres. Et le baudouret, c'est en fait la poudre de riz. La poudre de riz qui était le maquillage que les femmes se mettaient jusqu'au début du XXe siècle. Donc c'est un vieux français en plus. C'est un vieux français, voilà.

  • Speaker #0

    Mais c'est génial parce que j'ai l'impression que c'est comme si vous jouiez, comme si vous, ce mélange, comme si vous passiez d'une chambre à une autre, d'une atmosphère à une autre, entre l'école. entre la maison et vous parliez de ces studios de cinéma à Boulogne. J'ai l'impression que vous viviez déjà dans un décor cinématographique entre d'une pièce à l'autre et puis d'être cette première génération de filles qui vont à l'école aussi. Il y a aussi, je ne dis pas un rôle à jouer, mais quand même, c'est quand même deux manières d'être. C'est des codes différents, que ce soit l'école, la maison. Donc, il y avait déjà des prémices d'acting en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Absolument, en fait... Moi, je suis la cinquième d'une famille de huit enfants. Je fais vraiment la jonction entre la première génération et la deuxième partie de la famille de mes petites sœurs. Donc moi, je suis au milieu de tout ça. Et effectivement, à la maison, on est éduqués d'une certaine façon. Les Marocains, jusqu'à il y a très peu de temps, on mange dans le plat commun. On n'a pas chacun notre assiette. On mange dans le plat commun, contrairement par exemple à nos amis algériens ou tunisiens, nous on mange encore dans le plat commun, on mange avec nos doigts. On te dit voilà, tu dois apprendre à faire à manger, tu dois apprendre à faire le ménage pour ton futur mari. Donc déjà on te fait rentrer dans la tête un schéma, alors que quand tu vas à l'école et que tu as des institutrices ou des professeurs un petit peu plus tard, qui te disent « mais qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? C'est quoi ton métier ? Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? » Toi, dans ta tête, tu te dis… Alors, ma mère, elle me dit qu'il faut que j'apprenne à faire à manger pour mon mari. Et il faut que j'apprenne à faire le pain. Quand elle me disait, viens apprendre à faire à manger, c'était, tiens, par exemple, viens apprendre à faire le pain. Je lui dis, mais pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Il y a plein de boulangeries et la baguette, c'est super bon. Pourquoi tu veux que j'apprenne à faire le pain ? Et ma mère, elle était là, oui, oui, oui. Et quand les invités vont venir, tu vas leur dire d'aller acheter le pain à la boulangerie ? Je dis, ben oui, parce que c'est super bon. En fait, c'est vrai, tu as raison quand tu dis qu'on passait d'un monde à un autre. Et il fallait qu'on développe des capacités d'adaptation, en fait. Et donc, pour moi, en tout cas, en ce qui me concerne, m'adapter, ça voulait dire comprendre. Ça voulait dire comprendre l'autre et me mettre à la place de l'autre. Et donc, peut-être que c'est quelque chose qui est utile pour le métier de comédien. C'est apprendre à être à la place du monde.

  • Speaker #0

    Puis lire les codes et vite les enregistrer pour pouvoir les interpréter et réagir de la manière qui est la plus appropriée dans un environnement particulier.

  • Speaker #1

    Tu as parfaitement bien résumé la situation. Juste une petite parenthèse, on partait tous les ans au Maroc, on restait trois mois. Donc j'ai une vraie double culture au sens où on l'entend. Quand on va au Maroc, nous on habite au bord de la mer. C'est encore autre chose. Donc, on est en maillot de bain toute la journée. À l'époque, il y avait très peu de monde là où on était. Donc, on se baladait dans le petit village. On était vraiment en maillot de bain du matin au soir. Pour aller chez nos tantes à la campagne, évidemment, on ne pouvait pas y aller en short. On ne pouvait pas y aller avec des tenues d'été, machin. Il fallait s'habiller. Et donc, en fin de compte, on a été trimballés comme ça d'environnement. Dans le Maroc des années 70, c'est un Maroc très rural. et encore, quand on est petit on peut mettre des shorts et tout, mais dès qu'on a le bout des seins qui pointent à travers le t-shirt et qu'on a nos règles bon ben là c'est fini, les shorts à la campagne les shorts au bord de la mer, il n'y a pas de problème mais à la campagne, non, donc en fait on a on nous donne comme ça des codes qu'on intègre parce que sinon on ne peut pas vivre sinon ce n'est pas possible si je ne pouvais pas aller en short à la campagne d'abord je me serais fait piquer par toutes les bêtes possibles inimaginables, les ronces, etc. Et puis, c'était « rib » , c'était Ausha , c'était pas convenable. C'était pas convenable. Donc, on apprend très jeune, on apprend plein de codes. Les codes à l'école, qui sont à l'opposé des codes de la maison. À la maison, on apprend à être une bonne femme d'intérieur, moi, à l'extérieur. Je m'ouvrais sur des horizons qui ne m'étaient absolument pas accessibles dans ma prime enfance à la maison. Sauf quand la télévision est arrivée.

  • Speaker #0

    Et je voulais savoir, parce que vous parlez de ces vacances, ces longues vacances au Maroc, à quel moment en France et peut-être aussi au Maroc, vous vous êtes sentie différente ?

  • Speaker #1

    Ça va paraître incroyable, mais quand on a eu la télévision, c'était un truc de fou. Au début des années 70, j'étais plus petite. et il y a eu Giscard d'Estaing qui est devenu président de la République ou même Pompidou avant. Les hommes politiques disaient « français, française » . J'étais petite et quand ils disaient « français, française » , je me sentais exclue de ce « français, française » .

  • Speaker #0

    C'est intéressant.

  • Speaker #1

    Parce qu'à la maison, comment on a été éduqués, c'était… Attention, soyez discrets, ne faites pas de vagues, ne faites pas d'histoires, ne faites pas de bêtises, ne parlez pas trop fort, ne vous faites pas remarquer, vous n'êtes pas chez vous, on n'est pas chez nous. La première fois que j'ai entendu « on n'est pas chez nous » , ce n'est pas dehors que j'ai entendu, c'est à la maison. Vous êtes des Marocains, vous êtes des Arabes, on est Marocains, on n'est pas Français, on n'est pas chez nous. Donc, il faut être… discrets, il ne faut pas se faire remarquer, etc. Donc, voilà, cette différence, d'abord, c'est dans le foyer familial. À l'extérieur, donc là, on est toujours dans l'enfance, à Boulogne-Villancourt, moi, j'arrive à l'école, je suis bien obligée de constater que je suis vraiment différente. Les autres, je suis la seule à avoir les cheveux bouclés, il n'y a que des cheveux lisses autour de moi, il n'y a personne qui porte un prénom que moi, j'en... Quand je vais au Maroc en vacances, personne ne suit la seule enfant d'origine immigrée dans la classe. Il y a un immigré par classe, c'est mes trois frères, ma grande sœur et moi. Mon tout premier environnement scolaire, il n'y a zéro immigré, il n'y a que nous. Après, on a déménagé, on a changé de ville et là, on arrive dans une cité, dans un quartier, une cité telle qu'on peut l'imaginer aujourd'hui, les Garges-Légonès à côté de Sarcelles dans le 95. Et là, je me mettais par la fenêtre, j'avais peur de sortir. pour la première fois. En dehors du Maroc, je voyais des gamins qui me ressemblaient et ça m'a fait peur. Ça m'a fait peur parce que ça jouait dans tous les sens. Alors que nous, tout était, comme on vivait à Boulogne-Diancourt, il n'y avait pas de verdure pour avoir de la verdure. C'était une démarche. Mon père nous mettait dans la voiture le dimanche et nous emmenait au Bois de Boulogne, à Saint-Cloud, au château de Versailles, etc. Mais sinon, il n'y avait pas de verdure autour de nous. Et la seule nature à laquelle on avait accès, c'est quand on allait en vacances au Maroc. Et là, tout d'un coup, on arrive dans un quartier, un quartier à l'ancienne. Au début, quand ils ont été construits, c'était magnifique. Il y avait des rosiers en bas des immeubles. Il y avait un petit bois, comme je viens de vous le dire. Il y avait des balançoires. Et puis, il y avait plein d'enfants qui jouaient et qui hurlaient dans la rue. Et là, par contre, dans l'école à Garges-les-Gonesse, là, je ne suis plus du tout la seule arabe de la classe. C'est plus tard. Ça fait que ça va revenir. Quand j'ai fait allemand, deuxième langue.

  • Speaker #0

    Du coup, Farida, comment vous avez fait accepter votre volonté de jouer ? ce qui n'est pas évident parce que déjà, comme on parlait de première génération qui s'émancipe, travailler, mais là, c'est travailler dans un domaine qui est perçu d'une manière assez particulière par nos parents comme étant un métier léger et pas vraiment un métier, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Beaucoup de gens, quand ils sont parents, ne considèrent pas ça comme un métier, mais nous, dans l'éducation que j'ai reçue, être comédienne, c'est fille de petite vertu, fille de mauvaise vie, etc. Donc moi, ça, je l'ai compris très vite. J'ai fait du théâtre pendant toutes mes années de collège, et mes professeurs de troisième m'avaient dit, mais Farida, il faut absolument que tu passes les concours pour rentrer au conservatoire, t'es douée, t'es vraiment faite pour ça, on voit bien que t'es pas scolaire. Moi, je faisais le minimum pour passer. J'avais des facilités. Je faisais le minimum pour passer d'une classe à l'autre classe supérieure. Mais moi, je voulais tout le temps jouer, en fait. Je voulais tout le temps imiter les gens. de temps en temps raconter des histoires. Je voulais tout le temps qu'on me raconte des histoires. J'adorais lire, j'adorais raconter, j'adorais qu'on me raconte des histoires et j'adorais mettre en scène, jouer, etc. À la maison, c'était compliqué. C'était très compliqué parce que comme je me rebellais, à la maison, je ne voulais pas apprendre à manger pour un mari et pour satisfaire sa famille, essayer de les inviter. Je ne voulais pas être l'esclave, ce que moi je considérais être l'esclave de mes frères. J'ai eu beaucoup de conflits. J'ai vécu toute mon adolescence et une première partie de ma maturité, de mon âge de jeune femme, j'étais en conflit constant. J'étais en conflit constant avec ma mère qui ne savait pas comment faire pour me maîtriser. Elle a fait ce qu'on fait, on n'a pas besoin d'aller à l'école pour comprendre qu'il était divisé pour mieux régner. Donc mes frères étaient extrêmement violents à mon égard. Et donc, j'étais en rébellion constante. Mais en même temps, j'avais des petites sœurs. À 18 ans, j'avais envie de partir, de prendre mon sac et de me tirer, d'aller en Angleterre filer au père pour apprendre l'anglais et tout ça. Je me suis dit, si je fais ça, mes sœurs vont payer le prix de ma liberté. Donc, il faut que j'attende que mes sœurs grandissent pour pouvoir faire ce que je veux. Donc, ce que j'ai fait à l'issue de la troisième, je ne m'ai pas passé les concours au conservatoire. Parce que j'avais deux ou trois combats à mener au sein de la famille. J'ai laissé tomber pendant 15 ans. Je suis allée au lycée, j'ai eu mon bac, je suis allée à l'université. J'ai fait un d'œuvre, à l'époque on appelait ça un d'œuvre, plus une licence de l'ethnoderme. J'ai travaillé, j'ai protégé mes sœurs.

  • Speaker #0

    C'est toujours dans un coin de votre tête quand même ? Vous saviez que vous retournerez vers ces premiers amours ?

  • Speaker #1

    Je prestaisais cette partie-là. La partie artistique, je l'ai complètement anesthésiée. Vraiment, vraiment. C'est revenu et évidemment, j'ai fait des études, etc. Mais j'étais très instable. Je ne gardais pas mes boulots. Je ne gardais pas mes appartements. Quand j'ai pris mon indépendance, mon premier appartement, je déménageais tous les un an et demi, deux ans. J'étais complètement instable et je ne comprenais pas pourquoi j'étais instable. Et en 1998, j'ai 31 ans. J'ai un ami que je remercierai. C'était la fin de mes jours. J'étais directrice d'un centre de loisirs à Paris et il me dit, écoute Farida, au mois de juillet, j'ai fait un super stage de théâtre qui devrait venir. Le prof, il revient au mois de septembre, octobre, il revient, il va donner des cours, il va donner, il va animer un atelier de théâtre amateur. Viens et tout. Ouais, ouais, bon, je n'étais pas très bien dans ma peau ni dans ma tête à cette époque-là. Ça me revient en fait. Tout d'un coup, il réactive un vieux souvenir. C'est comme si je sortais d'un long sommeil et je me vois en train de discuter avec un pote en lui disant « Il faut vraiment que je retourne au théâtre parce que sinon je vais devenir folle si je ne fais pas ça. » Et donc, je m'inscris à cet atelier théâtre. J'assiste à la première séance de cet atelier où je vois des jeunes. Ils sont en train de dire des textes. Je suis assise dans une rangée, comme ça je suis toute seule. Et je parle toute seule en les regardant, en me disant, en fait, elle est là ma place. Tout est revenu. Physiquement, j'ai eu une réaction physique où j'ai senti, je t'assure Bouchra, j'ai ressenti une réaction physiologique, comme si dans mon corps, il y avait des cellules qui se remettaient en marche. Je ne sais pas comment vous dire. Mais on réactivait une mémoire. Oui, en fait, c'est ça. La mémoire, la joie que j'avais à être sur scène, à jouer, etc., que mon corps avait imprimé, elle se réveillait. Et donc, je me suis inscrite à cet atelier. Comme quoi, quand on se reconnecte avec qui nous meut fondamentalement, 99... premier festival d'Avignon, 2000, deuxième festival d'Avignon, 2001, troisième festival d'Avignon. En 2001, il y a un monsieur P. à son âme qui s'appelle Claude Wolf, qui était l'un des premiers agents de Paris. Il avait créé ce qu'on appelait à l'époque les fichiers électroniques du spectacle. Il m'avait vu jouer en 2000 et en 2001 au festival d'Avignon et il voulait me faire rentrer dans son agence. Et il m'avait dit cette phrase, il m'avait dit vous, vous êtes… Je t'assure, Bouchra, des fois, il y a des choses comme ça dans la vie, c'est incroyable. Il m'invite à venir dans son agence, il m'explique un peu comment ça se passe. Il me dit que c'est payant et tout. Je dis, écoutez, moi, je n'ai pas d'argent. Moi, je fais ça comme ça. Il me dit, non, non, je ne veux pas vous prendre d'argent. Il me dit, moi, je vais bientôt arrêter. Je vais à la retraite. Je fais ça vraiment pour le plaisir. Je ne demande pas d'argent. Mais moi, je pense que vous êtes faite pour ça. Parce que j'étais amateur, en fait. J'étais juste amateur. Vous êtes comme le bon vent. Vous allez vous bonifier avec le temps.

  • Speaker #0

    Et puis, c'est un super coup de boost pour ton égo et toutes les questions qu'on peut se poser en tant que femme en général, de légitimité, j'ai 31 ans, est-ce que je peux le faire, etc.

  • Speaker #1

    C'est génial. Donc, cette phrase m'est restée. Cette phrase m'est régie. S'il y a bien un métier où on ne prend pas sa retraite, c'est bien un comédien. On peut jouer des rôles jusqu'à la fin de sa vie. Et puis, à partir de là, j'ai retrouvé un boulot. J'ai retrouvé un appartement parce que j'étais par mots et par vaut. Je me suis un petit peu plus stabilisée. C'est-à-dire que l'appartement que j'avais trouvé en 1999, je l'ai gardé dix ans, celui-là. Là, je me suis posée, je me suis stabilisée. J'ai créé une association. J'ai commencé à prendre des cours à Paris. Bref, j'ai commencé à apprendre mon art. Je continue encore. Quand on revient à ce qui n'était pas... mes occasions s'offrent à nous et je les ai saisies mais vraiment Bouchra quand j'ai saisi toutes ces occasions de m'inscrire à cette atelier théâtre d'aller au Festival d'Avignon, d'aller voir ce monsieur Claude Valls à Paris dans le 16ème arrondissement rue des Bemsœil il m'a fait rencontrer une première réalisatrice, j'ai fait un premier court-métrage, un deuxième court-métrage, un troisième court-métrage à l'issue de ces court-métrages un an et demi après Merci. Il y a une directrice de casting qui me contacte pour que je puisse passer un casting pour un téléfilm. Je suis sélectionnée, je joue dans ce téléfilm. Suite à ce téléfilm, le directeur de production me dit « Il faut absolument que tu aies un agent parce que tu es vraiment faite pour ce métier, mais il faut que tu aies un agent. » Et donc, il m'a présenté mon premier agent, Christine Parra. Si un jour elle écoute ce podcast, je ne la remercierai jamais assez, elle aussi. Elle a cru en moi. Je restais dix ans dans son agence. Après, j'ai pris une deuxième agence. Là, je suis dans une troisième agence. Quand j'ai commencé, quand j'ai saisi toutes ces opportunités, franchement, Bouchra, pas une seconde, je n'avais de carrière dans la tête. Pas une seconde. Pour moi, c'était déjà un miracle d'être revenu sur scène. À chaque fois que je décrochais un casting, la question de la légitimité... t'a roder la tête jusqu'à il n'y a pas très longtemps. Tu sais, quand tu es biberonné, depuis le plus jeune âge, d'abord, premièrement, tu n'es pas chez toi. Donc la question de la légitimité... De l'appartenance à un territoire, déjà ça, c'est... Enfin, je veux dire, pour se construire, si on n'a pas cette base-là, c'est compliqué. Tu vois, la question de la légitimité. Moi, quand j'étais petite, je n'osais pas lever la main. Je connaissais les réponses aux questions que l'instituteur ou l'institutrice posait. Je n'osais pas lever la main. Ce qui fait que quand j'ai fait du clown, mon premier personnage qui est sorti, mon premier clown qui est sorti, c'est une petite fille. Et à chaque fois que quelqu'un... Par exemple, quand on faisait une improvisation de clown, mon clown, c'était une petite fille. Elle a une voix comme ça. Ou elle parle comme ça. Et donc, en fait, à chaque fois que dans une improvisation, le clown d'en face de moi disait quelque chose, posait une question, moi, j'étais là, moi, je sais, moi, je sais, moi, je sais. C'est comme si mon clown, il rattrapait toutes ces années où je ne pouvais pas poser la question parce que je ne me sentais pas légitime. Dans ma tête, c'était, t'es qu'une fille, t'es qu'une arabe. Tu ne peux pas savoir mieux que les Français. Les Français, eux, ils sont chez eux. Toi, tu n'es pas chez toi. Voilà, donc on grandit avec ça. Alors, sûr, après, on se dit qu'on est névrosé. On développe une anxiété absolument. Moi, j'ai vécu avec une anxiété chevillée au corps. Il a fallu que je parle franchement. Il a fallu que je fasse des années et des années de thérapie. On ne sort pas indemne d'une éducation comme ça.

  • Speaker #0

    Et puis on porte aussi des chaînes de nos ancêtres, l'exil, tout ça, ce n'est pas des choses qui sont faciles.

  • Speaker #1

    Exactement, on démarre dans la vie avec un 38 tonnes à chaque pied. Il faut s'alléger de tous ces poids-là. Moi je pense, tu sais, franchement, oui, ça demande du courage. Parce que c'est plus heureux.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Moi, je n'ai pas fondé de famille. Il n'y avait pas d'espace pour ça. Il y avait tellement d'interrogations dans ma tête, il y avait tellement de combats à mener. Tu vois, il n'y a pas eu l'espace pour que je pense à fonder une famille. C'est-à-dire que même quand j'ai eu des relations amoureuses, je me suis toujours... intéressé, comment je peux l'exprimer d'une manière, je ne veux pas faire du misérabilisme, je ne suis pas en train de te respecter. Moi, quand on me pose la question, ah, tu n'as pas d'enfant, d'abord, on est étonné que je n'ai pas d'enfant. Non, je n'ai pas d'enfant. Ah, d'accord, c'est parce que tu n'as pas voulu, ni j'ai voulu, ni je n'ai pas voulu. Il n'y avait pas d'espace pour le penser, ni pour le désirer.

  • Speaker #0

    La société est dure aussi parce qu'il y a un peu cette injonction et Il faut se marier et il faut avoir des enfants parce que c'est la seule manière d'être heureux, ce qui n'est pas forcément vrai. On en connaît tous beaucoup qui sont dans ce cas-là et ils sont malheureusement loin d'être heureux.

  • Speaker #1

    Je suis la preuve qu'on peut s'épanouir sans enfants. Alors bien sûr, comme je dis, moi, mon instinct maternel, je l'ai donné à mes sœurs. J'ai beaucoup travaillé avec les enfants aussi. J'ai beaucoup travaillé avec les jeunes. J'ai été pionne, j'ai été animatrice, j'ai été directrice d'écolos. J'ai été prof dans les collèges, etc. Et donc, moi, l'éducation, la transmission, c'est quelque chose qui me passionne tout autant que le jeu d'acteur. Parce que dans la transmission, c'est comme dans le jeu d'acteur, on donne quelque chose à l'autre. On donne directement quelque chose à l'autre.

  • Speaker #0

    Pour ce point de transmission, quelle est la chose que tu veux transmettre à ces enfants ? Je voulais revenir, parce que je sais que tu as donné beaucoup de cours, que tu animes des classes. Quelle est la chose que, s'il y avait une chose que tu veux absolument transmettre à ces enfants ? des... à tes nièces, ce serait quoi ?

  • Speaker #1

    Le goût de la liberté, l'indépendance, être autonome. C'est ça. Je te dis ça parce que j'ai fait un jour ce qu'on appelle une autobiographie résumée. Donc en fait, ça se fait en trois parties pour découvrir les fils rouges qui jalonnent ton existence. Et donc, tu fais tout un récit de ta vie, etc. en mettant l'affect de côté. Et tu fais le récit de tout ce que tu as mis en place, en dehors du cadre des études. Et je me suis rendu compte...

  • Speaker #0

    que ce que j'aimais par-dessus tout, c'était accompagner les personnes vers de l'autonomie, vers de l'indépendance, vers vraiment que ces personnes-là découvrent qui elles sont. Et à partir du moment où elles découvrent ce qu'elles sont, à ce moment-là, elles vont trouver en elles-mêmes les outils, pas les outils parce qu'on n'est pas des machines, mais les ressources. les ressources, merci, les ressources, les ressorts pour bâtir leur vie. Vraiment, il n'y a pas de matière pour ça. C'est vraiment ça qui me met, vraiment. Même dans mes cours de théâtre. C'est-à-dire que quand j'anime des ateliers théâtre, j'essaie autant que faire se peut de... C'est pour ça que je ne peux pas faire des cours de théâtre avec 30 personnes. Moi, c'est 12, 15 maximum. Pourquoi ? Parce que je travaille avec chacun pour que chacun trouve sa singularité. sa personnalité et sa façon de faire, sa façon de jouer, sa façon de dire à lui. Et donc, c'est ça qui m'intéresse, c'est comment chacun va trouver sa singularité.

  • Speaker #1

    C'est un peu de ce que j'entends, le chemin de votre vie. Vous recherchez de trouver cette indépendance et revenir à ces amours qui n'étaient pas toujours acceptés au début pour se sentir pleinement alignés et être soi.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    C'est très beau. Tu es une femme très engagée, tu parlais de l'association que tu as créée. Je voulais savoir, est-ce que cet engagement pour toi, il passe aussi parce que tu joues ou aussi parce que tu refuses de jouer peut-être ? Est-ce qu'il y a eu des rôles que tu as refusé de jouer parce que peut-être trop cliché ou pas en ligne avec tes valeurs ?

  • Speaker #0

    Alors, on va parler de manière vraiment, comme on le fait depuis le début, très nette. Au début, moi, je ne refusais aucun rôle. Pourquoi ? Le moindre rôle qu'on... proposé et que j'obtenais devant la caméra, c'était une occasion d'apprendre. D'apprendre parce qu'apprendre à jouer sur scène, ce n'est pas comme jouer devant une caméra. Ça n'a rien à voir. C'est le même métier, mais ce n'est pas du tout la même façon de le faire. D'accord ? Et puis, il y a la question pécuniaire. Donc, comme je t'ai dit, moi, je n'ai pas bâti de famille. Donc, moi, j'étais totalement indépendante. Ça veut dire responsable de ma propre personne, personne pour payer mon loyer, etc. Donc, moi, je… au début, moi je travaille, j'essaie de travailler le maximum parce qu'il faut bien vivre. C'était des rôles en fait, au-delà du cliché, c'était des rôles qui étaient complètement fantasmés. C'est-à-dire que c'était écrit par des gens qui avaient une idée de la femme maghrébine qui était complètement à côté de la plaque. Au début, j'ai mis ça de côté et ce que j'ai essayé de faire à chaque fois, c'était vraiment de mettre de la sincérité et c'est peut-être là mon engagement. Mon engagement, il est dans comment je joue ces personnages-là. On me donne quelque chose de cliché, comment j'essaie d'y mettre de la sincérité et de la justesse et de la vérité. Il est là, mon engagement. Même quand on me demande de faire un accent. Aujourd'hui, je n'y arrive plus. Là, moi, par contre, aujourd'hui, quand on me demande de faire un accent, je dis non. Là, stop. J'ai prouvé, ça y est, c'est bon. C'est bon, j'ai fait 8 000 Rachida, 15 000 Malika. Ça y est, il n'y a pas que ces prénoms-là. C'est bon, stop. Et donc, tu vois, dans le dernier film, dans le film qui vient de sortir, avec Redouane Bouguérapa, Caroline Anglade, Nora Degendi et mes autres camarades, je joue le rôle de Mima, qui est un hommage, en fait, à nos parents. mais qui serait plutôt de la génération de ma grande soeur. Et les deux réalisateurs, Olivier Dacourt et Nabil Aïta Kouali, ils m'ont dit, nous, on ne veut pas une femme clichée. Alors oui, moi au début, je ne voulais pas porter le foulard, mais ils m'ont dit, si, si, si, nous, on veut que tu portes le foulard parce qu'on veut montrer à travers ton personnage qu'on peut porter le foulard et quand même en avoir plein la tête. Ça,

  • Speaker #1

    c'était très intéressant. Je trouvais que c'était assez frais. de montrer cette dualité. Et je trouve qu'on n'associe pas du tout foulard et culture générale et lecture. C'est des choses qu'on retrouve chez plein de femmes. Et je trouvais que c'était très rafraîchissant de voir.

  • Speaker #0

    Exactement. Donc, il m'a dit, tu parles comme tu parles, mais tu es juste Mima qui a des enfants, etc. Donc, il me fait lire une carte. Une partie de mon engagement, c'est ça. C'est de... Vraiment de ne pas juger mes personnages, même quand ils peuvent paraître caricaturaux, de ne pas les juger et d'y mettre de la vérité. Alors, on peut ne pas aimer mon jeu, il n'y a pas de problème là-dessus. Je veux dire, il n'y a pas de souci, on a le droit de ne pas aimer ce que je fais, il n'y a pas de problème là-dessus. Il y en a beaucoup qui aiment, que j'entends souvent quand on me fait des compliments, c'est « j'aime bien comment tu joues parce que tu es sincère » . Moi, quand on me dit ça, je suis contente,

  • Speaker #1

    tu vois ? Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Et dans ce film qui est, comme je disais tout à l'heure, qui est très rafraîchissant et vraiment... Surtout ton personnage de Mima, c'est ce qu'on disait, c'est la première fois je pense qu'on associe ces deux choses-là. Est-ce que c'est quelque chose qui t'a séduit du coup dans le scénario ? Et on parle beaucoup de silence, de mémoire, de filiation. Est-ce que c'est des choses qui résonnaient particulièrement avec ton parcours et avec toi ?

  • Speaker #0

    Ah oui, oui, oui, oui. Ce personnage, le scénario et le personnage m'ont beaucoup plu parce que forcément ça va résonner avec... une partie de mon histoire personnelle, où on a été élevés par des parents quand même. Eux ont eu une éducation encore plus rigide que la nôtre, avec une pudeur qui fait 8000 kilos. Enfin, un truc comme une chape de plomb, cette pudeur, où on a du mal, on ne dit pas « je t'aime » à ses enfants, on ne raconte pas à ses enfants. Moi, il a fallu que je pose des questions et que je tire les verres du nez de mon père pour qu'il me raconte un petit peu. peu son enfance avec une pudeur incroyable. C'est ma mère maintenant, elle sait que j'aime bien, donc elle me raconte souvent « ton père c'était comme ci, ton père c'était comme ça, et moi c'était comme ci, et moi c'était comme ça » , parce qu'elle a compris que ça m'intéressait. Mais oui, ce qui m'a intéressée dans ce film, c'est effectivement que nos parents, ils ont vécu, par exemple ma mère, son père et sa mère, ils se parlaient en berbère. En fait, ils n'ont pas transmis le berbère à leurs enfants. Et pour que les enfants ne comprennent pas, parce que les maisons étaient construites de manière… Ce n'était pas la même façon, donc l'intimité ne se déployait pas de la même façon. Eh bien, déjà, mes grands-parents maternels se parlaient en berbère pour pas que les enfants comprennent. Déjà, mon père, lui, il a perdu sa mère très tôt. Il était tout petit. Très tôt, il a quitté le domicile familial, il crevait de faim. Donc, il a fugué très, très tôt, etc. Il s'est fait un peu tout seul. Donc, mon père, c'est quelqu'un qui était… c'était un taiseux. D'accord ? Donc, c'est plus tard que mon père, quand il a commencé, quand il était devenu vieux, il nous appelait ma jolie. Et ça, ça choquait, ça choquait toutes les copines qui venaient à la maison. Ils entendaient mon père, ça va ma jolie ? Alors là, c'était, comment ça, mon père ? Ouais, ouais, je dis mon père, il a cinq filles et il a cinq ma jolie. Donc, c'est plus tard, tu vois. Donc voilà, et ce silence-là, dans le film, Nima, elle porte ça en elle et elle se rend compte des dégâts que ça a causé sur ses enfants.

  • Speaker #1

    Et quelle est, selon toi, Farida, la chose qu'on comprend le moins bien du vécu des femmes issues de l'immigration dans le cinéma français ?

  • Speaker #0

    Ce qu'on comprend le moins bien, c'est que c'est uniquement des victimes. On en fait des victimes, on en fait des femmes qui ne comprennent rien, des pauvres petites... C'est vraiment une vision néo... coloniale, la femme maghrébine. Il n'y a pas de rôle de femme qui peut représenter ma génération, par exemple. Ça n'existe pas. C'est un sujet, c'est un impensé. Les femmes, moi, mes petites sœurs, quand je dis mes petites sœurs, elles ont plus de 40 ans. Toutes ces femmes-là, dans le cinéma français, elles n'existent pas. En fait, on a figé la femme maghrébine à l'âge de... de nos mères, les femmes forcément victimes et soumises. Oui, il y en a, on ne va pas se mentir. Bien sûr qu'il y en a. Mais il n'y a pas que ça. Elles ont du caractère. Elles ont du caractère. Il y a des femmes qui ont du caractère. Il y en a qui ont travaillé. Il y en a qui sont allées apprendre à lire et à écrire. Moi-même, j'ai donné des cours de français. J'ai appris à lire et à écrire à des femmes africaines, maghrébines, etc. Moi-même, dans les années 90, j'ai donné des cours de français et d'alphabétisation. Ces femmes-là, on ne les voit jamais. On ne voit jamais toutes ces femmes qui sont allées à l'école. Celle que je vous raconte, j'ai 58 ans. Ma sœur, elle en a 65. J'ai des cousines qui ont 67, 68 ans, qui ont travaillé toute leur vie, qui s'expriment extrêmement bien. On ne les voit jamais dans le cinéma français. Ces femmes-là n'existent pas. Seules existent infantiles. néocoloniale qui est la femme maghrébine qui sait pas lire, qui sait pas écrire ou celle qui se fait tabasser par... ou alors une fille, entre guillemets, pas de mauvaise vie, mais qui a des problèmes sociaux, etc. Oui, tout ça existe. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le mettre en scène, mais ça devient du cliché à partir du moment où on ne reste que sur cet angle-là. Moi, ça ne me dérange pas de jouer une femme de ménage. Ça ne me dérange pas, ça existe. Bien sûr qu'il y a des femmes maghrébines. D'ailleurs, les femmes de ménage et les aidantes à domicile, elles sont toutes de régime. Mais on peut jouer autre chose. On peut jouer autrement. Non, c'est impensé, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Mais ça, ça a dû être difficile quand on commence, surtout à 30 ans, à jouer dans ce milieu-là. Et je voulais savoir, est-ce qu'il y a des figures féminines dans ta famille, dans la culture, dans le cinéma, qui t'ont portée, qui t'ont inspirée, qui étaient un peu tes rôles modèles quand tu t'es lancée ?

  • Speaker #0

    Moi, j'ai des modèles dans ma famille. Mes cousines au Maroc, j'ai une nièce de ma mère, qui sont donc un petit peu plus âgées que moi, dans notre région. c'était les premières à avoir eu leur baccalauréat. Et donc à l'époque, au début des années 80, on marquait le nom des gens dans le journal, au Bled, au Maroc, on marquait le nom des gens qui avaient eu le bac. Et mes cousines étaient les premières à avoir eu leur bac. Donc ça, voilà, pour moi, ces cousines-là, les nièces de ma mère, donc il y en a une qui était prof d'anglais, deux autres qui étaient institut, qui travaillent au centre culturel américain, etc. elle parle l'anglais, le français couramment, elle parle l'arabe, elle dit tout ça couramment. Bref, pour moi, au niveau intellectuel, c'était des modèles. J'ai eu plusieurs modèles. Mon père avait une licence pour vendre de l'alcool. On est dans les années 70. Donc, les femmes de ma famille, elles ne sont pas voilées, d'accord, mais elles sont toutes en robe longue, etc. Et au Maroc, je vois des femmes assises à la... la terrasse du café de nos pères. Elles ont des cheveux comme ça, ondulés, brochingués. Elles sont maquillées. Elles ont un verre d'alcool devant elles et elles portent des pantalons, pas d'éléphant. Elles étaient super belles. Elles avaient du vernis rouge et des ongles nôtres, etc. Et après, j'ai fini par comprendre que c'était des prostituées. Je les adorais. Je les adorais et elles m'adoraient. parce que j'essayais de parler en arabe et donc avec un accent un peu plus au coton en français. Et elle m'achetait des études, elle venait me toucher les cheveux, etc. Et puis, moi, je les adorais et je voulais leur ressembler. C'était mes modèles de beauté, de féminité.

  • Speaker #1

    Parce qu'elle représentait l'émancipation.

  • Speaker #0

    Oui, elle représentait l'émancipation parce que j'entendais à la maison Ausha, Ausha, la femme qui fume, Ausha, la nanny, nanana, nanana. » Et en fin de compte, ces femmes-là, je les trouvais super sympas et je les trouvais super belles. Ça a été parmi mes modèles de féminité. Des putes, des prostituées, tu vois. Quand je dis putes, il y a un très grand respect dans ma bouche. C'était des prostituées. Je les trouvais magnifiques. Ça, ça a fait partie de mes modèles. Et puis au cinéma, il y a une actrice, parmi beaucoup d'actrices, il y en a une qui m'impressionnait. C'était qui ? C'était Simone Seymouré.

  • Speaker #1

    En d'hommes.

  • Speaker #0

    Waouh ! Quel jeu, quelle puissance ! Il y avait de la puissance et de la fragilité en même temps. Il y avait de la... Enfin voilà, elle a le corps, elle a un âge avancé, le visage, etc. Elle est restée belle différemment, mais elle est restée magnifique. C'est vraiment l'une des actrices qui m'a le plus marquée.

  • Speaker #1

    Si je te disais, quelle est ta définition de la réussite ? Réussir dans la vie, pour toi, ce serait quoi ?

  • Speaker #0

    Être en accord avec soi-même. C'est la première phrase qui me vient. Je ne réfléchis pas, je dis être en accord avec soi-même. Aujourd'hui, on dit allumé, reconnaître ses erreurs, ses errements, ses égarements. Ils ne m'ont rien regretté parce qu'on fait ce qu'on peut. Mais c'est vraiment être foncièrement et fondamentalement honnête avec soi-même. Avant de l'être avec les autres, il faut l'être avec soi-même. Dans l'intimité entre soi et soi, quand il n'y a personne qui te regarde. entre les quatre murs de chez toi, il n'y a personne qui te regarde, il n'y a personne qui t'écoute et tu te regardes tel que tu es, tel que tu es. Être alignée à l'autre, c'est un bon mot. Et se dire, là, il y a des choses que je fais, ce n'est pas encore ça, mais ce n'est pas grave parce que je sais que je t'en vais être alignée, être toujours alignée. Moi, je suis heureuse comme ça. Je suis une femme heureuse.

  • Speaker #1

    C'est beau à entendre et on le voit, je le vois en tout cas. Vous le portez, tu le portes sur toi, vraiment. Qu'est-ce que tu dirais à la petite Farida si tu pouvais parler à cette petite fille dont on parle depuis tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Je lui parle souvent. Je lui dis « mets pas peur » . Parce que, comme je te disais au début de l'entretien, il y a des hommes plus anxiétiques, chevillés au corps, parce que dès tout petit, on nous dit « on n'est pas chez nous, t'es qu'une fille, t'es plus ici, t'es plus là » . On développe une espèce de peur viscéral contre laquelle je ne me lutte plus, mais que je repousse, que je repousse, que je repousse. Et parfois, quand je sens une peur irrésumée en moi, je sais que c'est la mémoire de cette petite fille qui se réveille. Je lui dis, n'aie pas peur, petite Fariba, la grande, elle est là pour baigner sur toi. C'est une première chose. La deuxième chose que je dis à cette petite fille, je lui dis merci. Je lui dis merci d'avoir été une petite fille. qui était tout le temps dans la lune, tout le temps dans les nuages, qui rêvait, qui était gourmande des autres. Moi, par exemple, quand j'étais à la plage, je ne savais pas encore bien nager. J'étais donc au bord de Benoît, au Maroc, et j'allais voir tous les gens qui étaient autour de moi. « Bonjour, je m'appelle Farida. Tu veux on joue ? Comment tu t'appelles, toi ? » Et tous les jours, je connaissais tout le monde. Au bout de trois jours, je connaissais tout le monde. Cette petite fille, je lui dis merci. Moi, ce qui m'intéressait, c'était de jouer avec les œufs. Ce n'était pas de jouer avec des objets, c'était de jouer avec les œufs.

  • Speaker #1

    Génial. C'est vraiment génial. Qu'est-ce que tu aimerais dire aux femmes qui écoutent cet épisode et qui parfois doutent, hésitent à prendre leur place, se disent « il est trop tard, je ne peux pas le faire parce que j'ai 30-40 ans » . Qu'est-ce que tu aimerais leur dire ?

  • Speaker #0

    J'ai plusieurs choses à vous dire parce que ce n'est pas que nous. La première chose, doutes. Douter, c'est normal. C'est normal. À chaque fois qu'on a été habitué à être dans un certain chemin, on a du confort. On est confortable dans cette situation que l'on connaît, dont on maîtrise tous les codes. Même si c'est une situation qui nous fait souffrir, on en maîtrise les choses. Notre cerveau est sénéant de nature, il aime bien les choses connues. C'est une prison, les babes. Le doute, c'est une bénédiction, c'est un cadeau. Avoir des doutes, c'est un cadeau. Ne fuyez pas le doute, allez-y. N'ayez pas peur de l'inconnu, c'est absurde. C'est absurde d'avoir peur de quelque chose qu'on ne connaît pas. La peur, comme disait un grand écrivain égyptien, n'empêche pas la mort, elle empêche la vie. Donc, mesdames, vous doutez, c'est normal. Vous avez peur, c'est normal. Apprivoisez cette peur. Apprivoisez-la, ne la laissez pas vous envahir. Troisièmement, il est trop tard, c'est pas bon ça. Ça, il faut effacer ce logiciel. Ce que vous aimez au fond de vous, c'est pas rien. C'est merveilleux, c'est magnifique, c'est l'espoir du monde. Nous sommes l'espoir du monde, mesdames, vraiment, je le pense. Ce que vous êtes aujourd'hui est... et vous vous sentez à l'étroit, ça n'est qu'une construction, c'est une fabrication, ce n'est pas vous. C'est qui est vous, c'est magnifique, c'est à l'intérieur de vous, et le monde a besoin de ça. Nous avons besoin de ça, c'est urgent, mesdames. Déployez-vous, épanouissez-vous. Moi, je suis dans la sororité. Si vous me croisez sur votre chemin, je vous donnerai tout ce que je peux, je vous donnerai le maximum d'énergie que je peux, mais le dites-moi. pas il est trop tard c'est ce qu'on veut nous faire croire vous voulez faire de la danse à 40 ans allez-y vous voulez faire de la sculpture à 55 ans allez-y vous avez envie de vous tirer la peau allez-y vous avez envie de vous tourner la tête allez-y vous avez envie d'avoir les cheveux violets allez-y allez-y on a besoin de fantaisie on a besoin de la fantaisie de l'intelligence incroyable et inépuisable des femmes les soeurs toutes les soeurs n'ayez pas peur Nous sommes puissantes, nous sommes belles, nous sommes fortes, nous sommes intelligentes, nous sommes généreuses, nous sommes la vie.

  • Speaker #1

    Merci Farida. C'est très émouvant ce que vous venez de dire, ça me touche particulièrement. Merci pour ça. Il y a une dernière partie dans l'interview, c'est des toutes petites questions et l'idée c'est de répondre du tac au tac. Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #0

    Alors une phrase que je me répète souvent, je ne suis pas sur terre pour souffrir ni pour subir.

  • Speaker #1

    un livre

  • Speaker #0

    « Les femmes qui courent avec les loups » de Clarissa Pinkola Estes. C'est un livre parmi tant d'autres, mais celui-là a été un détonateur.

  • Speaker #1

    Une musique ?

  • Speaker #0

    J'adore.

  • Speaker #1

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur ce podcast ou dont tu aimerais écouter le parcours sur mon podcast ?

  • Speaker #0

    La première à laquelle je pense ? C'est une réalisatrice, actrice et scénariste qui s'appelle Sejriya Dehbiba, qui a réalisé un magnifique film qui s'appelle « D'une pierre deux coups » dans lequel j'ai eu la joie de jouer, que je te recommande. Tu peux me permettre une deuxième femme qui est une critique de cinéma qui s'appelle Nadia Mefla, c'est un personnage.

  • Speaker #1

    Farida, je te remercie infiniment pour ce moment. c'était un vrai plaisir d'échanger avec toi et d'en savoir plus sur ton magnifique parcours et ta magnifique histoire merci beaucoup Bouchra,

  • Speaker #0

    merci infiniment et j'espère avoir l'occasion de te croiser en chair et en os j'adorerai,

  • Speaker #1

    j'adorerai,

  • Speaker #0

    merci Alida avec plaisir,

  • Speaker #1

    à bientôt cet épisode de Heya est maintenant terminé, je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout ce qui j'espère veut dire que vous l'avez apprécié N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux, c'est ce qui permet au podcast de grandir. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire, c'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya underscore podcast. A très bientôt.

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