Monsieur Monsieur cover
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INTERSTICES

Monsieur Monsieur

Monsieur Monsieur

06min |24/04/2022
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Description

Le courage de la douceur


Quelle ruche que cette brasserie du centre-ville à la mi-journée. Nous sommes des dizaines, debout au bar, à table, en terrasse, dans le fond et dans les recoins. Il entre et il sort de tout, des ouvriers, des étudiants, du business, des bancs de collègues sortis des bureaux pour l'apéro, la formule du jour, une entrée-plat, un plat-dessert ou la complète, un croque, un sandwich, une salade ou une quiche, une bière, un vin au verre, une carafe d'eau, un express, un café gourmand, mousse au chocolat, crème brûlée, île flottante. 

Ça rit, ça crie, ça piaille, pétille et ça défile. 


Les serveurs sont au beau milieu de leur marathon quotidien, et ça carbure aussi en cuisine pour sortir les plats et les desserts du rush, sous l'œil affûté de la patronne qui tient la caisse et à qui rien n'échappe... de ce qui l'intéresse. 


En l'occurrence, il n'intéresse personne de m'apporter mon addition. J'ai déjà hélé le garçon plusieurs fois, mais peine perdue. Sa priorité n'est pas à ceux qui partent. Je lui avais dit que j'étais pressé, et c'était ok jusqu'à présent, mais là maintenant, ça coince. Je vais être en retard.  Allez, je me lève et vais moi-même à la caisse. Pas facile de passer mon manteau, d'extirper du dessous et de charger mon sac à dos dans les dix centimètres qui séparent ma petite table individuelle de celle de ma voisine aux prises avec ses profiteroles.  


Je progresse lentement vers le comptoir en passant devant le bar où se tiennent quelques jeunes filles hilares. Je les contourne pour me placer sagement à la queue de la caisse. Pour mon rendez-vous de 14h00, ça va être juste, il y a trois personne avant moi, et cela n'avance pas vite. 


« Monsieur, Monsieur...». L'appel est à la fois clément et carré. Dans le brouhaha, je n'y prête pas tout de suite attention. 

« Monsieur, Monsieur...». Oui, c'est bien derrière moi. Je me retourne et découvre le visage d'une lycéenne toute fluette aux côtés de ses comparses. Son regard est direct, mêlant confiance et détermination, avec un petit pli entre les sourcils. « Pourquoi vous êtes passé devant nous ? ». Surprise. Je ne suis pas passé devant elles. Je les ai bien
vues installées au bar. Quel calme clair aussi que son apostrophe ! Une question toute simple, légitime, pleine de fermeté pour recevoir une explication factuelle. Quelle douce invitation à la totale responsabilité ! 


« Ah ? Mais vous n'étiez pas au bar ? J'ai cru...». 

« Non, nous faisons la queue à la caisse, et la queue passe devant le bar, Monsieur ». 

« Ok, bon. Veuillez m'excusez. Je n'avais pas compris » dis-je en prenant ma place
derrière le petit groupe. 

À présent, pour 14h, ça va pas le faire. Mais à toute chose malheur est bon. Prenons le temps de bien sentir ce qui se joue. Cela ne m'arrange vraiment pas que ces jeunes filles n'étaient pas au bar, mais je vais retenir cette belle leçon de paix. Parce que je suis encore plus en retard, ce qui habituellement devrait davantage m'énerver, mais là non. C'est comme ça.
Pas de drame. Tout est bien. 

Elles ne m'ont pas dit « Dis-donc, malotru, à la queue comme tout le monde ! ». Elles
ne m'ont même rien dit d'irritant. Je suis passé devant elles par erreur, sans m'en rendre compte. Pour elles c'était un fait. Et avec courage et paisiblement, elles m'ont juste demandé de m'expliquer, sans plus... pas la moindre insinuation. Résultat, je suis encore plus en retard, moins satisfait, mais pas plus tendu, bien au contraire. 


Il faudra que j'y pense tiens ! Au lieu d'accuser : « Tu l'as fait exprès hein ! », je peux aussi laisser à l'autre toute latitude pour donner ses bonnes raisons, simplement en le questionnant : « Pourquoi as-tu fais cela ? ».  

 ---  

Texte déposé : ©Renaud Soubise

Musique : ©Lyrics world_Accordion ; AMBRest_Restaurant (ID 0624)_LSonotheque 

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Le courage de la douceur


Quelle ruche que cette brasserie du centre-ville à la mi-journée. Nous sommes des dizaines, debout au bar, à table, en terrasse, dans le fond et dans les recoins. Il entre et il sort de tout, des ouvriers, des étudiants, du business, des bancs de collègues sortis des bureaux pour l'apéro, la formule du jour, une entrée-plat, un plat-dessert ou la complète, un croque, un sandwich, une salade ou une quiche, une bière, un vin au verre, une carafe d'eau, un express, un café gourmand, mousse au chocolat, crème brûlée, île flottante. 

Ça rit, ça crie, ça piaille, pétille et ça défile. 


Les serveurs sont au beau milieu de leur marathon quotidien, et ça carbure aussi en cuisine pour sortir les plats et les desserts du rush, sous l'œil affûté de la patronne qui tient la caisse et à qui rien n'échappe... de ce qui l'intéresse. 


En l'occurrence, il n'intéresse personne de m'apporter mon addition. J'ai déjà hélé le garçon plusieurs fois, mais peine perdue. Sa priorité n'est pas à ceux qui partent. Je lui avais dit que j'étais pressé, et c'était ok jusqu'à présent, mais là maintenant, ça coince. Je vais être en retard.  Allez, je me lève et vais moi-même à la caisse. Pas facile de passer mon manteau, d'extirper du dessous et de charger mon sac à dos dans les dix centimètres qui séparent ma petite table individuelle de celle de ma voisine aux prises avec ses profiteroles.  


Je progresse lentement vers le comptoir en passant devant le bar où se tiennent quelques jeunes filles hilares. Je les contourne pour me placer sagement à la queue de la caisse. Pour mon rendez-vous de 14h00, ça va être juste, il y a trois personne avant moi, et cela n'avance pas vite. 


« Monsieur, Monsieur...». L'appel est à la fois clément et carré. Dans le brouhaha, je n'y prête pas tout de suite attention. 

« Monsieur, Monsieur...». Oui, c'est bien derrière moi. Je me retourne et découvre le visage d'une lycéenne toute fluette aux côtés de ses comparses. Son regard est direct, mêlant confiance et détermination, avec un petit pli entre les sourcils. « Pourquoi vous êtes passé devant nous ? ». Surprise. Je ne suis pas passé devant elles. Je les ai bien
vues installées au bar. Quel calme clair aussi que son apostrophe ! Une question toute simple, légitime, pleine de fermeté pour recevoir une explication factuelle. Quelle douce invitation à la totale responsabilité ! 


« Ah ? Mais vous n'étiez pas au bar ? J'ai cru...». 

« Non, nous faisons la queue à la caisse, et la queue passe devant le bar, Monsieur ». 

« Ok, bon. Veuillez m'excusez. Je n'avais pas compris » dis-je en prenant ma place
derrière le petit groupe. 

À présent, pour 14h, ça va pas le faire. Mais à toute chose malheur est bon. Prenons le temps de bien sentir ce qui se joue. Cela ne m'arrange vraiment pas que ces jeunes filles n'étaient pas au bar, mais je vais retenir cette belle leçon de paix. Parce que je suis encore plus en retard, ce qui habituellement devrait davantage m'énerver, mais là non. C'est comme ça.
Pas de drame. Tout est bien. 

Elles ne m'ont pas dit « Dis-donc, malotru, à la queue comme tout le monde ! ». Elles
ne m'ont même rien dit d'irritant. Je suis passé devant elles par erreur, sans m'en rendre compte. Pour elles c'était un fait. Et avec courage et paisiblement, elles m'ont juste demandé de m'expliquer, sans plus... pas la moindre insinuation. Résultat, je suis encore plus en retard, moins satisfait, mais pas plus tendu, bien au contraire. 


Il faudra que j'y pense tiens ! Au lieu d'accuser : « Tu l'as fait exprès hein ! », je peux aussi laisser à l'autre toute latitude pour donner ses bonnes raisons, simplement en le questionnant : « Pourquoi as-tu fais cela ? ».  

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Texte déposé : ©Renaud Soubise

Musique : ©Lyrics world_Accordion ; AMBRest_Restaurant (ID 0624)_LSonotheque 

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Quelle ruche que cette brasserie du centre-ville à la mi-journée. Nous sommes des dizaines, debout au bar, à table, en terrasse, dans le fond et dans les recoins. Il entre et il sort de tout, des ouvriers, des étudiants, du business, des bancs de collègues sortis des bureaux pour l'apéro, la formule du jour, une entrée-plat, un plat-dessert ou la complète, un croque, un sandwich, une salade ou une quiche, une bière, un vin au verre, une carafe d'eau, un express, un café gourmand, mousse au chocolat, crème brûlée, île flottante. 

Ça rit, ça crie, ça piaille, pétille et ça défile. 


Les serveurs sont au beau milieu de leur marathon quotidien, et ça carbure aussi en cuisine pour sortir les plats et les desserts du rush, sous l'œil affûté de la patronne qui tient la caisse et à qui rien n'échappe... de ce qui l'intéresse. 


En l'occurrence, il n'intéresse personne de m'apporter mon addition. J'ai déjà hélé le garçon plusieurs fois, mais peine perdue. Sa priorité n'est pas à ceux qui partent. Je lui avais dit que j'étais pressé, et c'était ok jusqu'à présent, mais là maintenant, ça coince. Je vais être en retard.  Allez, je me lève et vais moi-même à la caisse. Pas facile de passer mon manteau, d'extirper du dessous et de charger mon sac à dos dans les dix centimètres qui séparent ma petite table individuelle de celle de ma voisine aux prises avec ses profiteroles.  


Je progresse lentement vers le comptoir en passant devant le bar où se tiennent quelques jeunes filles hilares. Je les contourne pour me placer sagement à la queue de la caisse. Pour mon rendez-vous de 14h00, ça va être juste, il y a trois personne avant moi, et cela n'avance pas vite. 


« Monsieur, Monsieur...». L'appel est à la fois clément et carré. Dans le brouhaha, je n'y prête pas tout de suite attention. 

« Monsieur, Monsieur...». Oui, c'est bien derrière moi. Je me retourne et découvre le visage d'une lycéenne toute fluette aux côtés de ses comparses. Son regard est direct, mêlant confiance et détermination, avec un petit pli entre les sourcils. « Pourquoi vous êtes passé devant nous ? ». Surprise. Je ne suis pas passé devant elles. Je les ai bien
vues installées au bar. Quel calme clair aussi que son apostrophe ! Une question toute simple, légitime, pleine de fermeté pour recevoir une explication factuelle. Quelle douce invitation à la totale responsabilité ! 


« Ah ? Mais vous n'étiez pas au bar ? J'ai cru...». 

« Non, nous faisons la queue à la caisse, et la queue passe devant le bar, Monsieur ». 

« Ok, bon. Veuillez m'excusez. Je n'avais pas compris » dis-je en prenant ma place
derrière le petit groupe. 

À présent, pour 14h, ça va pas le faire. Mais à toute chose malheur est bon. Prenons le temps de bien sentir ce qui se joue. Cela ne m'arrange vraiment pas que ces jeunes filles n'étaient pas au bar, mais je vais retenir cette belle leçon de paix. Parce que je suis encore plus en retard, ce qui habituellement devrait davantage m'énerver, mais là non. C'est comme ça.
Pas de drame. Tout est bien. 

Elles ne m'ont pas dit « Dis-donc, malotru, à la queue comme tout le monde ! ». Elles
ne m'ont même rien dit d'irritant. Je suis passé devant elles par erreur, sans m'en rendre compte. Pour elles c'était un fait. Et avec courage et paisiblement, elles m'ont juste demandé de m'expliquer, sans plus... pas la moindre insinuation. Résultat, je suis encore plus en retard, moins satisfait, mais pas plus tendu, bien au contraire. 


Il faudra que j'y pense tiens ! Au lieu d'accuser : « Tu l'as fait exprès hein ! », je peux aussi laisser à l'autre toute latitude pour donner ses bonnes raisons, simplement en le questionnant : « Pourquoi as-tu fais cela ? ».  

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Texte déposé : ©Renaud Soubise

Musique : ©Lyrics world_Accordion ; AMBRest_Restaurant (ID 0624)_LSonotheque 

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Le courage de la douceur


Quelle ruche que cette brasserie du centre-ville à la mi-journée. Nous sommes des dizaines, debout au bar, à table, en terrasse, dans le fond et dans les recoins. Il entre et il sort de tout, des ouvriers, des étudiants, du business, des bancs de collègues sortis des bureaux pour l'apéro, la formule du jour, une entrée-plat, un plat-dessert ou la complète, un croque, un sandwich, une salade ou une quiche, une bière, un vin au verre, une carafe d'eau, un express, un café gourmand, mousse au chocolat, crème brûlée, île flottante. 

Ça rit, ça crie, ça piaille, pétille et ça défile. 


Les serveurs sont au beau milieu de leur marathon quotidien, et ça carbure aussi en cuisine pour sortir les plats et les desserts du rush, sous l'œil affûté de la patronne qui tient la caisse et à qui rien n'échappe... de ce qui l'intéresse. 


En l'occurrence, il n'intéresse personne de m'apporter mon addition. J'ai déjà hélé le garçon plusieurs fois, mais peine perdue. Sa priorité n'est pas à ceux qui partent. Je lui avais dit que j'étais pressé, et c'était ok jusqu'à présent, mais là maintenant, ça coince. Je vais être en retard.  Allez, je me lève et vais moi-même à la caisse. Pas facile de passer mon manteau, d'extirper du dessous et de charger mon sac à dos dans les dix centimètres qui séparent ma petite table individuelle de celle de ma voisine aux prises avec ses profiteroles.  


Je progresse lentement vers le comptoir en passant devant le bar où se tiennent quelques jeunes filles hilares. Je les contourne pour me placer sagement à la queue de la caisse. Pour mon rendez-vous de 14h00, ça va être juste, il y a trois personne avant moi, et cela n'avance pas vite. 


« Monsieur, Monsieur...». L'appel est à la fois clément et carré. Dans le brouhaha, je n'y prête pas tout de suite attention. 

« Monsieur, Monsieur...». Oui, c'est bien derrière moi. Je me retourne et découvre le visage d'une lycéenne toute fluette aux côtés de ses comparses. Son regard est direct, mêlant confiance et détermination, avec un petit pli entre les sourcils. « Pourquoi vous êtes passé devant nous ? ». Surprise. Je ne suis pas passé devant elles. Je les ai bien
vues installées au bar. Quel calme clair aussi que son apostrophe ! Une question toute simple, légitime, pleine de fermeté pour recevoir une explication factuelle. Quelle douce invitation à la totale responsabilité ! 


« Ah ? Mais vous n'étiez pas au bar ? J'ai cru...». 

« Non, nous faisons la queue à la caisse, et la queue passe devant le bar, Monsieur ». 

« Ok, bon. Veuillez m'excusez. Je n'avais pas compris » dis-je en prenant ma place
derrière le petit groupe. 

À présent, pour 14h, ça va pas le faire. Mais à toute chose malheur est bon. Prenons le temps de bien sentir ce qui se joue. Cela ne m'arrange vraiment pas que ces jeunes filles n'étaient pas au bar, mais je vais retenir cette belle leçon de paix. Parce que je suis encore plus en retard, ce qui habituellement devrait davantage m'énerver, mais là non. C'est comme ça.
Pas de drame. Tout est bien. 

Elles ne m'ont pas dit « Dis-donc, malotru, à la queue comme tout le monde ! ». Elles
ne m'ont même rien dit d'irritant. Je suis passé devant elles par erreur, sans m'en rendre compte. Pour elles c'était un fait. Et avec courage et paisiblement, elles m'ont juste demandé de m'expliquer, sans plus... pas la moindre insinuation. Résultat, je suis encore plus en retard, moins satisfait, mais pas plus tendu, bien au contraire. 


Il faudra que j'y pense tiens ! Au lieu d'accuser : « Tu l'as fait exprès hein ! », je peux aussi laisser à l'autre toute latitude pour donner ses bonnes raisons, simplement en le questionnant : « Pourquoi as-tu fais cela ? ».  

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