Si simple cover
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INTERSTICES

Si simple

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09min |02/10/2022
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Description

Mais où est le problème ?  


Je m'installe dans le train, à la fenêtre d'un carré dont les sièges sont encore vides, et commence à tourner nonchalamment les pages d'un magazine, quand un jeune homme arrive à son tour et s'arrête au carré en vis-à-vis, également inoccupé. Son allure peu courante retient mon attention et je l'observe oisivement. Il est impeccablement coiffé, mi-long, châtain clair, vêtu d'un pantalon de toile au ton crème, d'une veste en daim léger et d'une chemise ivoire au col ouvert sur un foulard en soie, blanc à pois gris, entourant son cou. Il prend le temps de sortir un livre d'une sacoche en cuir mou, qu'il manipule comme une dame son sac à main, puis d'ôter sa veste pour en extraire un téléphone et des câbles, avant de la plier, la poser avec soin sur l'espace en hauteur, et de prendre place à la fenêtre. Il a gardé à lui sa sacoche, posée sur la tablette. Lorsqu'il branche ses écouteurs, se les fixe aux oreilles, réajuste sa coiffure et élargit l'étreinte du foulard sur sa gorge, son doigté et sa gestuelle, si banalement féminins, s'il s'agissait d'une femme, me frappent au point que je ne peux m'empêcher de douter. Il prend son livre en main, le repose distraitement sur sa cuisse en se tournant sur sa droite où, à travers la fenêtre, son regard semble se perdre au-delà du quai, aux confins de la gare. Je me raisonne, pour finalement conclure qu'à sa morphologie mâle et au duvet clairsemé de ses joues, il s'agit à l'évidence d'un garçon, auquel je donne environ vingt-cinq ans. 

Le départ nous est annoncé dans quelques minutes. Je retourne passivement à mon journal, jusqu'à la venue, qui me fait lever la tête, d'une jeune fille noire, très jolie, aux fines et longues tresses. Elle s'asseoit côté couloir, face au jeune homme qui interrompt sa lecture pour échanger avec elle de gentils sourires, avant d'y replonger.  Une fois installée, elle se concentre sur son écran, tandis que je repars dans mon album d'images. Peu de temps après que le train a doucement quitté la gare et qu'il progresse vers sa vitesse de croisière, le coquet, en quittant sa place, s'adresse à la jeune femme dans une intonation si efféminée, caricaturale, que je m'en amuse intérieurement, tout en comprenant qu'il ne joue pas, mais s'exprime sans complexe de tout son naturel : « S'il vous plaît, je peux vous demander de surveiller mes affaires ? », ajoutant : « Je vous remercie, je n'en aurai pas pour longtemps », recevant l'acquiescement de la belle. 

Et le voilà parti, je suppose aux toilettes. 

Arrive alors, presque immédiatement, le troisième protagoniste, un grand rasta black aux lunettes noires, sorte de Jimmy Hendrix culturiste, bâti comme une armoire à glace, dont les muscles débordent d'un tee-shirt trop tendu, un gros casque à musique chevauchant et déformant sa tignasse. J'essaie d'attirer son attention par un geste de la main, en même temps que la fille lui dit trop timidement : « Hé, il y a quelqu'un à cette place », mais il ne voit ni n'entend rien et s'assied directement sur le siège à la fenêtre que vient de quitter le garçon. La voyageuse en reste là, retournant à son écran. De mon côté, j'essaie paresseusement de capter l'attention du nouveau venu pour lui dire, mais il est dans son monde et sa musique, derrière ses lunettes, et je crois même qu'à présent il s'assoupit. 

Autant inquiet qu'excité de ce petit épiçage existentiel, je spécule, je dois bien le reconnaître, et deviens même curieux, voire impatient, de savoir ce qui se passera au retour du jeune homme. Va-t-il revendiquer sa place ? Et comment ? 

S'il s'exprime de la sorte, sera-t-il respecté ? Reprochera-t-il à la jeune fille d'avoir mal su gérer la situation ? Je vais bientôt le savoir, car j'aperçois de loin le garçon revenir vers nous (...)

---

Texte déposé ©Renaud Soubise 

Musiques : ©Scott Buckley - Underlow ; PLUME Revelation Musique Enigme / découverte  /libres de droits

Description

Mais où est le problème ?  


Je m'installe dans le train, à la fenêtre d'un carré dont les sièges sont encore vides, et commence à tourner nonchalamment les pages d'un magazine, quand un jeune homme arrive à son tour et s'arrête au carré en vis-à-vis, également inoccupé. Son allure peu courante retient mon attention et je l'observe oisivement. Il est impeccablement coiffé, mi-long, châtain clair, vêtu d'un pantalon de toile au ton crème, d'une veste en daim léger et d'une chemise ivoire au col ouvert sur un foulard en soie, blanc à pois gris, entourant son cou. Il prend le temps de sortir un livre d'une sacoche en cuir mou, qu'il manipule comme une dame son sac à main, puis d'ôter sa veste pour en extraire un téléphone et des câbles, avant de la plier, la poser avec soin sur l'espace en hauteur, et de prendre place à la fenêtre. Il a gardé à lui sa sacoche, posée sur la tablette. Lorsqu'il branche ses écouteurs, se les fixe aux oreilles, réajuste sa coiffure et élargit l'étreinte du foulard sur sa gorge, son doigté et sa gestuelle, si banalement féminins, s'il s'agissait d'une femme, me frappent au point que je ne peux m'empêcher de douter. Il prend son livre en main, le repose distraitement sur sa cuisse en se tournant sur sa droite où, à travers la fenêtre, son regard semble se perdre au-delà du quai, aux confins de la gare. Je me raisonne, pour finalement conclure qu'à sa morphologie mâle et au duvet clairsemé de ses joues, il s'agit à l'évidence d'un garçon, auquel je donne environ vingt-cinq ans. 

Le départ nous est annoncé dans quelques minutes. Je retourne passivement à mon journal, jusqu'à la venue, qui me fait lever la tête, d'une jeune fille noire, très jolie, aux fines et longues tresses. Elle s'asseoit côté couloir, face au jeune homme qui interrompt sa lecture pour échanger avec elle de gentils sourires, avant d'y replonger.  Une fois installée, elle se concentre sur son écran, tandis que je repars dans mon album d'images. Peu de temps après que le train a doucement quitté la gare et qu'il progresse vers sa vitesse de croisière, le coquet, en quittant sa place, s'adresse à la jeune femme dans une intonation si efféminée, caricaturale, que je m'en amuse intérieurement, tout en comprenant qu'il ne joue pas, mais s'exprime sans complexe de tout son naturel : « S'il vous plaît, je peux vous demander de surveiller mes affaires ? », ajoutant : « Je vous remercie, je n'en aurai pas pour longtemps », recevant l'acquiescement de la belle. 

Et le voilà parti, je suppose aux toilettes. 

Arrive alors, presque immédiatement, le troisième protagoniste, un grand rasta black aux lunettes noires, sorte de Jimmy Hendrix culturiste, bâti comme une armoire à glace, dont les muscles débordent d'un tee-shirt trop tendu, un gros casque à musique chevauchant et déformant sa tignasse. J'essaie d'attirer son attention par un geste de la main, en même temps que la fille lui dit trop timidement : « Hé, il y a quelqu'un à cette place », mais il ne voit ni n'entend rien et s'assied directement sur le siège à la fenêtre que vient de quitter le garçon. La voyageuse en reste là, retournant à son écran. De mon côté, j'essaie paresseusement de capter l'attention du nouveau venu pour lui dire, mais il est dans son monde et sa musique, derrière ses lunettes, et je crois même qu'à présent il s'assoupit. 

Autant inquiet qu'excité de ce petit épiçage existentiel, je spécule, je dois bien le reconnaître, et deviens même curieux, voire impatient, de savoir ce qui se passera au retour du jeune homme. Va-t-il revendiquer sa place ? Et comment ? 

S'il s'exprime de la sorte, sera-t-il respecté ? Reprochera-t-il à la jeune fille d'avoir mal su gérer la situation ? Je vais bientôt le savoir, car j'aperçois de loin le garçon revenir vers nous (...)

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Texte déposé ©Renaud Soubise 

Musiques : ©Scott Buckley - Underlow ; PLUME Revelation Musique Enigme / découverte  /libres de droits

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Je m'installe dans le train, à la fenêtre d'un carré dont les sièges sont encore vides, et commence à tourner nonchalamment les pages d'un magazine, quand un jeune homme arrive à son tour et s'arrête au carré en vis-à-vis, également inoccupé. Son allure peu courante retient mon attention et je l'observe oisivement. Il est impeccablement coiffé, mi-long, châtain clair, vêtu d'un pantalon de toile au ton crème, d'une veste en daim léger et d'une chemise ivoire au col ouvert sur un foulard en soie, blanc à pois gris, entourant son cou. Il prend le temps de sortir un livre d'une sacoche en cuir mou, qu'il manipule comme une dame son sac à main, puis d'ôter sa veste pour en extraire un téléphone et des câbles, avant de la plier, la poser avec soin sur l'espace en hauteur, et de prendre place à la fenêtre. Il a gardé à lui sa sacoche, posée sur la tablette. Lorsqu'il branche ses écouteurs, se les fixe aux oreilles, réajuste sa coiffure et élargit l'étreinte du foulard sur sa gorge, son doigté et sa gestuelle, si banalement féminins, s'il s'agissait d'une femme, me frappent au point que je ne peux m'empêcher de douter. Il prend son livre en main, le repose distraitement sur sa cuisse en se tournant sur sa droite où, à travers la fenêtre, son regard semble se perdre au-delà du quai, aux confins de la gare. Je me raisonne, pour finalement conclure qu'à sa morphologie mâle et au duvet clairsemé de ses joues, il s'agit à l'évidence d'un garçon, auquel je donne environ vingt-cinq ans. 

Le départ nous est annoncé dans quelques minutes. Je retourne passivement à mon journal, jusqu'à la venue, qui me fait lever la tête, d'une jeune fille noire, très jolie, aux fines et longues tresses. Elle s'asseoit côté couloir, face au jeune homme qui interrompt sa lecture pour échanger avec elle de gentils sourires, avant d'y replonger.  Une fois installée, elle se concentre sur son écran, tandis que je repars dans mon album d'images. Peu de temps après que le train a doucement quitté la gare et qu'il progresse vers sa vitesse de croisière, le coquet, en quittant sa place, s'adresse à la jeune femme dans une intonation si efféminée, caricaturale, que je m'en amuse intérieurement, tout en comprenant qu'il ne joue pas, mais s'exprime sans complexe de tout son naturel : « S'il vous plaît, je peux vous demander de surveiller mes affaires ? », ajoutant : « Je vous remercie, je n'en aurai pas pour longtemps », recevant l'acquiescement de la belle. 

Et le voilà parti, je suppose aux toilettes. 

Arrive alors, presque immédiatement, le troisième protagoniste, un grand rasta black aux lunettes noires, sorte de Jimmy Hendrix culturiste, bâti comme une armoire à glace, dont les muscles débordent d'un tee-shirt trop tendu, un gros casque à musique chevauchant et déformant sa tignasse. J'essaie d'attirer son attention par un geste de la main, en même temps que la fille lui dit trop timidement : « Hé, il y a quelqu'un à cette place », mais il ne voit ni n'entend rien et s'assied directement sur le siège à la fenêtre que vient de quitter le garçon. La voyageuse en reste là, retournant à son écran. De mon côté, j'essaie paresseusement de capter l'attention du nouveau venu pour lui dire, mais il est dans son monde et sa musique, derrière ses lunettes, et je crois même qu'à présent il s'assoupit. 

Autant inquiet qu'excité de ce petit épiçage existentiel, je spécule, je dois bien le reconnaître, et deviens même curieux, voire impatient, de savoir ce qui se passera au retour du jeune homme. Va-t-il revendiquer sa place ? Et comment ? 

S'il s'exprime de la sorte, sera-t-il respecté ? Reprochera-t-il à la jeune fille d'avoir mal su gérer la situation ? Je vais bientôt le savoir, car j'aperçois de loin le garçon revenir vers nous (...)

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Texte déposé ©Renaud Soubise 

Musiques : ©Scott Buckley - Underlow ; PLUME Revelation Musique Enigme / découverte  /libres de droits

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Mais où est le problème ?  


Je m'installe dans le train, à la fenêtre d'un carré dont les sièges sont encore vides, et commence à tourner nonchalamment les pages d'un magazine, quand un jeune homme arrive à son tour et s'arrête au carré en vis-à-vis, également inoccupé. Son allure peu courante retient mon attention et je l'observe oisivement. Il est impeccablement coiffé, mi-long, châtain clair, vêtu d'un pantalon de toile au ton crème, d'une veste en daim léger et d'une chemise ivoire au col ouvert sur un foulard en soie, blanc à pois gris, entourant son cou. Il prend le temps de sortir un livre d'une sacoche en cuir mou, qu'il manipule comme une dame son sac à main, puis d'ôter sa veste pour en extraire un téléphone et des câbles, avant de la plier, la poser avec soin sur l'espace en hauteur, et de prendre place à la fenêtre. Il a gardé à lui sa sacoche, posée sur la tablette. Lorsqu'il branche ses écouteurs, se les fixe aux oreilles, réajuste sa coiffure et élargit l'étreinte du foulard sur sa gorge, son doigté et sa gestuelle, si banalement féminins, s'il s'agissait d'une femme, me frappent au point que je ne peux m'empêcher de douter. Il prend son livre en main, le repose distraitement sur sa cuisse en se tournant sur sa droite où, à travers la fenêtre, son regard semble se perdre au-delà du quai, aux confins de la gare. Je me raisonne, pour finalement conclure qu'à sa morphologie mâle et au duvet clairsemé de ses joues, il s'agit à l'évidence d'un garçon, auquel je donne environ vingt-cinq ans. 

Le départ nous est annoncé dans quelques minutes. Je retourne passivement à mon journal, jusqu'à la venue, qui me fait lever la tête, d'une jeune fille noire, très jolie, aux fines et longues tresses. Elle s'asseoit côté couloir, face au jeune homme qui interrompt sa lecture pour échanger avec elle de gentils sourires, avant d'y replonger.  Une fois installée, elle se concentre sur son écran, tandis que je repars dans mon album d'images. Peu de temps après que le train a doucement quitté la gare et qu'il progresse vers sa vitesse de croisière, le coquet, en quittant sa place, s'adresse à la jeune femme dans une intonation si efféminée, caricaturale, que je m'en amuse intérieurement, tout en comprenant qu'il ne joue pas, mais s'exprime sans complexe de tout son naturel : « S'il vous plaît, je peux vous demander de surveiller mes affaires ? », ajoutant : « Je vous remercie, je n'en aurai pas pour longtemps », recevant l'acquiescement de la belle. 

Et le voilà parti, je suppose aux toilettes. 

Arrive alors, presque immédiatement, le troisième protagoniste, un grand rasta black aux lunettes noires, sorte de Jimmy Hendrix culturiste, bâti comme une armoire à glace, dont les muscles débordent d'un tee-shirt trop tendu, un gros casque à musique chevauchant et déformant sa tignasse. J'essaie d'attirer son attention par un geste de la main, en même temps que la fille lui dit trop timidement : « Hé, il y a quelqu'un à cette place », mais il ne voit ni n'entend rien et s'assied directement sur le siège à la fenêtre que vient de quitter le garçon. La voyageuse en reste là, retournant à son écran. De mon côté, j'essaie paresseusement de capter l'attention du nouveau venu pour lui dire, mais il est dans son monde et sa musique, derrière ses lunettes, et je crois même qu'à présent il s'assoupit. 

Autant inquiet qu'excité de ce petit épiçage existentiel, je spécule, je dois bien le reconnaître, et deviens même curieux, voire impatient, de savoir ce qui se passera au retour du jeune homme. Va-t-il revendiquer sa place ? Et comment ? 

S'il s'exprime de la sorte, sera-t-il respecté ? Reprochera-t-il à la jeune fille d'avoir mal su gérer la situation ? Je vais bientôt le savoir, car j'aperçois de loin le garçon revenir vers nous (...)

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Musiques : ©Scott Buckley - Underlow ; PLUME Revelation Musique Enigme / découverte  /libres de droits

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