- Speaker #0
Bienvenue dans notre podcast Isadora BC, le podcast où une comédienne et un poète échangent autour d'une tasse de café. La comédienne c'est Clarence Massiani et le poète c'est Régis Dequet. Bonjour Clarence.
- Speaker #1
Bonjour Régis.
- Speaker #0
Alors, tenir un journal, ça sera le thème de ce jour. Un journal, un diary, comme on dit en anglais. Alors évidemment, tenir ce journal, ça peut être un exercice d'écriture. Parfois, rarement, mais ça peut devenir un monument littéraire. Mais, que dire dans un journal ? C'est un peu la question qu'on va se poser. Et toi Clarence, est-ce que tu as déjà tenu un journal ?
- Speaker #1
Oui, quand j'étais jeune, je tenais des journaux et je me souviens que j'en ai tenu un pendant longtemps, jusqu'à mes 16-17 ans, qui était un peu comme un journal d'adolescence. J'y inscrivais mes pensées, mes joies, mes peines, mes incompréhensions, surtout mes incompréhensions.
- Speaker #0
Personnellement, pendant mes années de pratique du yoga, il y avait cette idée de tenir un journal, ce qui permettait de voir... ses progrès en les relisant. C'est un exercice très intéressant, mais le résultat n'est pas nécessairement un monument littéraire, bien sûr. Pourtant, de nombreux auteurs ont tenu des journaux. Ces journaux, que contiennent-ils ? Quels sont les propos ? De quoi parle-t-on ?
- Speaker #1
Il y a plusieurs possibilités. Dans un journal... On peut consigner des choses, tels que des événements quotidiens, ses propres pensées, ses émotions, ses réflexions. Certains journaux coïncident avec des éléments historiques, comme pour Ryoko, c'est Kiguchi, dans son ouvrage Ce n'est pas un hasard qui est un journal qu'elle a tenu entre le 10 mars et le 30 avril 2011. Je vais vous lire un extrait de la fin de cette chronique. Le livre a fatalement une fin, et fatalement la réalité n'en a pas. Un livre qui traite sur une catastrophe, un livre sur une révolution, s'interrompt forcément au milieu même si le contenu court au-delà des événements. Parce qu'une catastrophe, une révolution, une guerre, ne sont jamais terminées au moment où elles s'achèvent.
- Speaker #0
Alors, petite précision, ce livre de Ce n'est pas un hasard, C'est un ouvrage qui relate le tsunami qu'il y a eu au Japon en 2011, avec Fukushima notamment, le problème sur la centrale nucléaire. Et effectivement, elle a tenu ce journal du 10 mars au 30 avril, donc un bon mois durant cette période. Où elle était à Paris, mais elle était... témoin de cette catastrophe au départ à distance. Moi j'aimerais évoquer un autre aspect à travers un ouvrage que moi je trouve amusant. Ce n'est pas proprement un journal, mais c'est une consignation avec des dates. 24 octobre 1968, 29 octobre 1973, 14 novembre. 1975 et 11 novembre 1977. C'est un ouvrage de Charles Juliette qui s'intitule Rencontres avec Samuel Beckett où il retrace ses quatre rencontres avec le célèbre écrivain.
- Speaker #1
Je vais vous lire une de ses rencontres, celle du 29 octobre 1973. Pourquoi ? ai-je laissé passer cinq ans avant de le revoir. Au printemps 1969, sans doute, ne suis-je pas allée à Paris et à l'automne, comme je m'apprêtais à lui écrire, le prix Nobel lui fut décerné. Puis il continue. Nous avons rendez-vous à la Closerie des Lilas. Je n'ai jamais pénétré en cet établissement et en l'attendant, je ne peux pas ne pas songer à tous ces écrivains de renom. Joyce, Hemingway. Les surréalistes, tant d'autres, qui ont fait de cette brasserie un lieu de légende. Ce journal est comme un journal qui relate ces quatre moments dans le temps, séparés de plusieurs mois ou d'années, avec des réflexions de l'auteur et un témoignage sur ses rencontres avec Samuel Beckett. C'est vraiment quelque chose d'original et je dirais aussi de touchant.
- Speaker #0
Effectivement, c'est tout à fait original. Moi, j'aime bien ces quatre rendez-vous, je trouve ça amusant. On parlait du journal, puisque l'idée du journal, c'est quand même que ce soit rédigé quotidiennement. C'est ce qu'on s'imagine, en tout cas, d'un journal intime. On pourrait aussi, je pense que c'est assez ordinaire, évoquer ce qu'on appellera le journal de voyage. Et parmi ceux-ci, il y en a… Un que j'aime bien. C'est l'idée d'un journal dans lequel on va noter les escales, les péripéties, les rencontres. Et donc, je fais référence à cet ouvrage, ce journal d'Henri Michaud, qui n'était pas alors l'écrivain que nous connaissons. Il est jeune, il est tout jeune, il traverse les Andes, l'Équateur. Et il rédige un curieux journal qui fut édité sous le titre de Esquador. Les entrées. de ce journal, c'est-à-dire les jours, les références, à chaque fois, comment on rentre dans chaque petite partie. Elles sont assez curieuses, outre, parfois, il y a des jours, il y a parfois des heures ou des approximations. Alors, cela commence avec dimanche de Noël 1927, Paris. Voilà, ça commence à Paris. Après, on a 3h, 17h30. Après, on a Amsterdam, mercredi matin. On n'a même plus le... l'heure précise. On a aussi à bord du Boscope en mer. Quatrième jour de mer, le 16h. Vendredi 6 janvier 28, en étant parti le 27-12-27. On a une autre rentrée, c'est un peu plus tard, ou encore le soir, 10 janvier. Et tout d'un coup, hop, le jour apparaît. Mercredi 11 janvier. Jeudi 12 janvier, etc. Alors, toutes ces entrées dans le journal sont des indications comme des balises dans le temps. Parfois, on a l'année, le jour, le mois. D'autres fois, le jour de la semaine ou encore l'heure ou l'approximation. Plus tard ou encore plus tard.
- Speaker #1
Henri Michaud écrira lui-même dans ce texte, préface à quelques souvenirs. Voyant une grosse année réduite à si peu de pages, l'auteur est ému. Sûrement, il s'est passé encore d'autres choses.
- Speaker #0
Alors ça, c'est vraiment très beau. J'aime beaucoup ce passage que tu viens de nous lire. Car effectivement, dans le journal que chacun peut tenir, il y a cette certitude qu'il n'y aura pas tout, que le réel ne peut pas tenir étroitement, comprimé en quelques phrases et que forcément, ce que l'on écrit, ce que l'on note est un choix.
- Speaker #1
Oui. D'ailleurs, un autre classique du journal est celui de témoigner de l'état intérieur, mental ou émotionnel de l'auteur. Par exemple, le journal de Franz Kafka, donc 13 cahiers tenus pendant 13 ans, où Kafka parle de ses combats intérieurs, de ses réflexions, de ses ressentis. Par exemple, il écrit le 21 février 1911, L'espace d'un instant, je me suis sentie revêtue d'une cuirasse Le 2 novembre 1911. Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, j'ai pris plaisir à imaginer un couteau qui se retournerait dans mon cœur. Le 11 mars 1912. Journée d'hier intolérable. Pourquoi n'est-il pas donné à tous de prendre part au repas du soir ? Ce serait pourtant si beau ! Le 23 mai 1912. Je m'ennuie tellement ce soir que je suis allée trois fois de suite dans la salle de bain pour me laver les mains. 8 janvier 1914, incertitudes, sécheresse, silence, c'est dans cela que tout passera. Le 6 mars 1922, fatigue et gravité nouvelle. Bien évidemment, il n'y a pas que cela dans le journal de Franz Kafka. Il y a tout un rapport au théâtre, à l'écriture, des réflexions sur sa création entre autres. Il y a même cette confidence du journal dans le journal du 29 septembre 1911, Kafka écrit Journal de Goethe Une personne qui ne tient pas de journal est dans une position fausse à l'égard du journal et d'un autre. S'il lit dans le journal de Goethe par exemple 11.1.1797, Passer toute la journée chez moi à prendre diverses dispositions il lui semble qu'il ne lui est encore jamais arrivé de faire aussi peu de choses dans une journée.
- Speaker #0
Oui, effectivement, c'est assez amusant. Quelqu'un qui note dans son journal sa lecture et son appréciation de la journal d'un autre. Je trouve ça assez... C'est un peu comme les poupées russes, tu sais. Une petite poupée dans une poupée dans une poupée. Il y a un côté un peu amusant. Et puis, effectivement, Kafka, avec ses tortures intérieures, ce tourment qui est extrêmement présent dans son œuvre. Et notamment dans son journal. Et puis, c'est fou ce que tu nous dis. C'est 13 cahiers, un cahier par an. Donc, il a pendant 13 ans, chaque jour, quasiment consigné ce qu'il ressentait, ce qu'il faisait, ce qu'il voyait au théâtre. Enfin, voilà, ses lectures, etc. Alors, il y a dans les journaux qui existent, bien sûr, il y a ceux qui existent, mais ceux qu'on ne lira pas. C'est d'ailleurs le but du journal intime au départ, rester dans l'intimité. À ce sujet, j'ai entendu parler Nancy Hudson, déclarer que pour son journal, qu'elle tient depuis des décennies, elle avait déjà pris les devants. C'est-à-dire qu'à sa mort, ces journaux seront transmis aux archives au Canada, je crois, seulement visibles par des chercheurs, en fait, et ne pourront... être publié qu'après la mort de ses propres enfants, c'est-à-dire dans bien longtemps.
- Speaker #1
C'est incroyable, cette anecdote. Mais on peut la comprendre, parce que, en tout cas, moi, je peux la comprendre. Un journal intime devrait rester intime, comme tu le disais tout à l'heure.
- Speaker #0
Alors, il existe effectivement plein d'auteurs qui tenaient des journaux. Albert Camus tenait des carnets dans lesquels il notait des réflexions philosophiques. Catherine Mansfield, qui est aussi très connue pour ses journaux. Et ce qui est intéressant, par exemple, de Catherine Mansfield, c'est que ses journaux sont une source d'informations assez précieuses sur sa vie, sur son travail littéraire, etc.
- Speaker #1
Oui, tout comme Virginia Woolf, qui est connue pour la profondeur de ses réflexions sur son quotidien et sur son processus de création qu'elle relatait dans ses journaux.
- Speaker #0
Moi, ce que je trouve intéressant dans l'idée... du journal, c'est que cela offre la première opportunité d'écriture pour ceux qui sont intéressés par la volonté d'écrire. Pas besoin d'inspiration, il suffit de regarder les événements vécus, les pensées du jour et tout simplement de les noter.
- Speaker #1
En somme, les journaux intimes peuvent servir à la fois de mémoire personnelle et d'outils de réflexion. D'ailleurs, à ce propos, j'ai appris que ma grand-mère... qui est morte il y a quelques années, qu'on signait tout dans des petits cahiers qui ont été jetés. Et je le regrette, car j'aurais aimé pouvoir les lire et la découvrir, autrement qu'à travers le souvenir que j'en ai.
- Speaker #0
Je te remercie, Clarence, pour cette petite excursion dans les journaux des auteurs. Je te dis à bientôt pour notre prochain épisode de Isadora BC.
- Speaker #1
Merci.
- Speaker #0
Allez, à bientôt.