#58 - Claudia Da Cruz : "La fille de la femme de ménage elle va avoir une meilleure note que moi ?!" cover
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Joyeux Bazar

#58 - Claudia Da Cruz : "La fille de la femme de ménage elle va avoir une meilleure note que moi ?!"

#58 - Claudia Da Cruz : "La fille de la femme de ménage elle va avoir une meilleure note que moi ?!"

49min |25/09/2024
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Description

Avant de faire Science Po et de s’envoler aux États-Unis, Claudia a longtemps été “la fille de la femme de ménage”. Et même si ses parents sont de ceux qui sont vus comme les “bons immigrés” : blancs, européens, catholiques, travailleurs, elle a connu très tôt le mépris de classe… C’est aux États-Unis que son éveil politique est né : depuis, elle sait que sa colère est légitime. 


Claudia a aussi déménagé, en pleine adolescence, des beaux quartiers à la banlieue : comment grandir entre deux cultures et trouver sa place dans une société marquée par les inégalités sociales et les stéréotypes culturels ? Dans cet épisode, nous recevons Claudia Da Cruz, fille d’immigrés portugais et aujourd’hui consultante en diversité et inclusion.


Nous espérons que cet épisode vous plaira ! Bonne écoute.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Le bazar.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Je suis Alexia Sena et je suis chanceuse, honorée même, d'avancer avec vous dans la cinquième saison déjà de ces conversations délicieuses et périlleuses autour des vécus multiculturels. Joyeux Bazar, c'est aussi une newsletter, des rencontres, des ateliers et des conférences en entreprise. Mais pour l'instant, c'est dans vos oreilles que ça se passe. C'est parti ! Bonne rentrée, bonne reprise à vous qui nous écoutez aujourd'hui. Alors j'ai conté tout à l'heure et j'ai réalisé que c'est la cinquième saison de Joyeux Bazar qui démarre. Ça m'a fait tout drôle. Ça m'a fait drôle de penser qu'épisode après épisode, depuis février 2020, vous êtes encore au rendez-vous pour explorer, chercher, douter, questionner, rire, pleurer aussi parfois, autour de ce sujet qu'est la double culture. Donc évidemment, je vous remercie profondément, infiniment. C'est le temps de cerveau disponible et le temps de cœur aussi disponible que vous consacrez à Joyeux Bazar qui donne tout son sens. à ce projet donc un immense merci vraiment je m'en vais vous présenter l'invité du jour j'ai connu claudia dacrouse par le travail parce qu'elle est comme moi consultante et formatrice en diversité et inclusion et là vous vous dites mais qu'est ce que c'est que ce métier de quoi ça parle ne vous inquiétez pas on va en parler on va vous expliquer tout ça mais en tout cas tout ça pour dire qu'avec claudia on s'était prévu une visio pour parler boulot à la base et elle m'en a un peu dit sur son parcours perso sur cette double culture donc juste ce qu'il faut pour que Illico, je la mette sur la liste des potentiels invités du podcast. Bonjour Claudia.

  • Speaker #0

    Bonjour Alexia.

  • Speaker #1

    En te présentant, tu m'as dit je suis fille d'immigrés portugais et je suis transfuge de classe aussi Qu'est-ce que c'est l'histoire de tes parents, en tout cas l'histoire d'immigration de tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents sont nés au début des années 60 au nord du Portugal. Le Portugal des années 60, en général, je dis aux gens, c'est la France des années 20. Ils se souviennent très bien quand l'eau courante est arrivée, quand l'électrice est arrivée. Ils se souviennent du premier téléphone du village. Mes parents sont nés dans des grandes fratries de 7 et 8 enfants et leurs propres parents étaient paysans. C'était seulement l'école primaire obligatoire. Et puis après ça, comme leurs parents avant eux, leurs grands-parents avant eux, ils sont allés dans les champs, ils sont allés s'occuper des animaux. Et très vite, autour des 13-14 ans, quand ils ont commencé à avoir un peu plus de force physique et d'autonomie, ils ont commencé à travailler. au-delà de ce cercle familial. Donc, mon papa, je pense que 13-14 ans, il a été sur ses premiers chantiers de construction au Portugal, pour le coup. Et ma maman, à 15 ans, elle est partie à Porto en tant que jeune fille au père. Donc, voilà, ils ont commencé à travailler très très jeune. Ils ont comme point commun d'être parmi les plus jeunes de leur fratrie. Donc, ils avaient tous les deux des grands frères et sœurs assez... Enfin, avec 15 ans de plus qu'eux, quoi, qui étaient à peu près tous en France. Et donc, quand ils ont eu 20 et quelques années, ils se sont dit, cette vie ne va pas nous suffire à un jour avoir une maison et à finir nos fins de mois en étant à peu près tranquille. Puisque même en ayant trouvé un job, c'était quand même très, très limité financièrement. Donc, ils ont émigré. Mes parents sont arrivés en milieu des années 80 en France, en Ile-de-France.

  • Speaker #1

    Donc, quand ils arrivent, la France n'est pas... totalement inconnue, c'est-à-dire que c'est la première fois techniquement, mais comme ils ont des grands frères et des grandes sœurs qui y sont déjà, est-ce que tu sais ce que ça représentait pour eux ?

  • Speaker #0

    Alors, ils ont une vision différente l'un et l'autre. Mon père, ce n'était pas son objectif dans la vie, et je pense que comme beaucoup d'immigrés, il avait envie de venir quelques années et repartir, et après faire sa vie au Portugal. Et ma mère, elle voyait vraiment la France comme une échappatoire de son petit village au fin fond de la campagne, et notamment Paris, il y avait vraiment le côté... Paris, la grande ville pleine de possibilités et qui veut dire aussi liberté. Ma mère, elle est arrivée en France, dans les beaux quartiers de Paris, pour faire du ménage, pour s'occuper d'enfants, etc. Elle a appris le français très vite. Elle a un tout petit accent portugais et elle est extrêmement fière d'avoir juste ce tout petit accent. Et elle avait une hantise, c'est qu'on arrive en maternelle sans savoir parler français. Donc ma mère, elle nous parlait français. Et en fait, de facto, voilà, il n'y a pas eu... Moi, je n'ai jamais été élevée dans ce fantasme du retour au pays parce qu'elle, je pense qu'elle était très contente d'être partie. Elle est vraiment dans le modèle de... Moi je suis venue ici donc je me suis adaptée, je travaille dur, je suis discret, je fais pas de vagues. Mes enfants sont français, moi je suis devenue française à 14 ans puisque je suis née en France mais de deux parents étrangers. Et tu sais quand on doit remplir des fiches au collège, la première semaine, on me demandait souvent la nationalité et là ma mère disait tu mec t'es française.

  • Speaker #1

    Ah oui, alors que ce n'était pas encore officiellement le cas, d'accord. Et alors, la place que prenait, qu'avait le Portugal dans ton enfance, donc il y a cette question de la langue, est-ce qu'il était présent sous d'autres formes ?

  • Speaker #0

    Alors, le Portugal était très présent, déjà, tous les mois d'août. Le mois d'août, c'est le mois...

  • Speaker #1

    Ok, d'accord, tu ne te poses pas la question.

  • Speaker #0

    Quasiment tous les Portugais que je connais qui habitent en France, c'est au mois d'août qu'ils rentrent au pays. En fait, ce n'est pas en juillet, c'est en août. Et du coup, le village devient le lieu de réunion de tous les gens qui sont éclatés dans plein de lieux différents. Donc ça, déjà, c'était hyper important. Le dimanche, la messe en portugais, je te disais. Donc déjà, une fois par semaine, voilà. Et puis après, c'est des moments de tradition. Noël. Moi, je n'ai pas eu de dinde à Noël pendant pas mal d'années. Je pense que petit à petit, ma mère l'a intégrée. Et donc maintenant, on est à la dinde. Mais sinon, c'était le poulpe et la morue à Noël. plus des pacheteiges de bacaliao donc des petits acras de morue plus enfin bref différents trucs différentes spécialités puis après t'as Pâques aussi avec en fait la nourriture je pense que c'est un truc qui doit revenir peut-être aussi dans ton podcast carrément un

  • Speaker #1

    peu la base pour les personnes qui nous écoutent et qui ne connaissent pas Paris ou la région parisienne Paris 16ème c'est un arrondissement qui est à l'ouest de Paris et c'est vraiment les quartiers cossus en fait donc comment est-ce que tu es passée de Paris 16 à Paris 16 à Villejuif, qui est cette banlieue populaire, collée à Paris, tout près, mais qui n'est pas le même environnement.

  • Speaker #0

    Entre ma troisième et ma seconde, on a déménagé parce que mes parents, je pense, au début de mon collège, ils ont acheté une maison qui était toute petite et très ancienne. Et pendant quatre ans, le soir après le chantier, mon père allait faire des travaux dedans. Et le week-end, pendant quelques années, on y allait tous les week-ends faire des travaux dedans. pour en faire un pavillon de banlieue un peu plus cossu, un peu plus spacieux. Et donc, il a été prêt pour qu'on emménage dedans entre la troisième, l'été entre ma troisième et ma seconde. Ce qui était nickel parce que stratégie scolaire, j'avais le dossier d'une collégienne parisienne intramuros. Donc, j'ai demandé un lycée hors secteur, mais dans Paris. Donc, tu vois, je suis allée au lycée dans le 13e, à

  • Speaker #1

    Claude Monet.

  • Speaker #0

    plutôt bien classé, etc. Mes parents étaient très contents, ils étaient très rassurés. Et c'est marrant parce que ma sœur, elle a commencé sa sixième cette année-là, ils l'ont tout de suite mis dans le privé à côté de la maison, au crème l'imbicêtre qui est collé avec. Je suis passée de l'un à l'autre parce que j'étais mineure et que je vivais avec mes parents, que je n'avais pas le choix. Puis comment je l'ai vécu, par contre, c'est peut-être la question sous-jacente. D'un côté, très bien. Parce que j'ai très mal vécu mes années collège dans le 16e, à coup de remarques et de vannes quotidiennes sur mes origines portugaises, sur le fait que... Donc des blagues dans tous les sens sur les poils, le ménage...

  • Speaker #1

    Oui, tous les stéréotypes en fait.

  • Speaker #0

    Le chantier. Et blague qui n'était compréhensible que dans le 16e, c'est t'habites à quel étage ?

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #0

    Parce que si tu es enfant de gardienne... Si t'es portugais, il y a 99% de chances que tu sois enfant de gardienne, donc t'habiterais de chaussée. Donc les vannes quotidiennes. J'étais très contente de partir de là parce que j'avais conscience que j'allais aller dans un milieu où je ne serais plus dans une minorité défavorisée. Les gamins de 13-14 ans, en fait, ils ont déjà bien conscience que toi, ta mère, elle est femme de ménage, ton père, il est ouvrier dans le bâtiment et eux, leurs parents, ils sont avocats et médecins. J'étais vraiment consciente. que j'allais quitter cette condition d'infériorité. Et en même temps, j'avais passé quasiment toute ma vie dans le 16e. Et là, je débarque dans un autre monde. Et pour dire les choses de façon extrêmement cash, pour la première fois de ma vie, j'ai pris le métro avec une majorité de non-blancs, des Noirs, des Arabes, des Indiens. Et en fait, quand tu es une gamine de 15 ans qui a connu que... Un quartier où les trottoirs sont larges, sont propres, des bâtiments haussmanniens, jolis, cossus, propres, il n'y a pas de bruit dans la rue, il n'y a pas de personnes qui traînent le soir, etc. Tu vas dans un autre monde. Moi, j'étais très déstabilisée. Et en même temps, j'entendais parfois parler portugais dans la rue. Il y avait des magasins portugais, un magasin d'alimentation portugais juste en bas.

  • Speaker #1

    Tu étais plus à ta place, en tout cas une place plus sympa. Mais ça restait l'inconnu. Ça restait l'inconnu. Ça me rappelle, on parlait de gentrification, dans tous ces quartiers historiquement populaires, et puis dans les classes moyennes, voire supérieures, s'installent de plus en plus, parce que c'est à côté de Paris, et donc un petit peu moins cher. C'est des réflexions que je me fais souvent. Moi, j'habite à Montreuil, donc banlieue proche aussi. Et j'y suis depuis huit ans après avoir vécu toute ma vie parisienne. C'est passé à Paris, Intramuros, y compris Rive-Gauche et Marais. Régulièrement, je me fais cette réflexion. Je me dis, je suis contente que mes enfants vivent dans une ville où il y a des gens qui leur ressemblent. Et en même temps, quand je vais à Vincennes, qui est juste à côté, c'est vrai que les trottoirs sont quand même plus nets. J'hocie entre les deux. En tout cas, ça me faisait penser à ça. Ce que tu décris là, les deux décalages que tu décris, suis dans le 16e d'être la fille de la concierge et suis arrivée à Villejuif, est-ce que c'est des sujets dont vous parliez avec tes parents ?

  • Speaker #0

    Ils avaient fortement conscience de ce que je vivais, ce qui leur faisait beaucoup de peine évidemment. Mon père, oui, c'était vraiment ce discours de fais-toi une carapace, fais en sorte que ça te glisse dessus, on s'en fout d'eux, ils sont jaloux. Et ma mère, je la sentais plus affectée. Après, ma mère, elle bossait dans le 16e aussi. Mon père, il quittait le 16e tous les matins. C'était le 16e dortoir pour lui. Les immigrés portugais en France sont vus comme les bons immigrés. On est blanc, on est européen, on est catho.

  • Speaker #1

    Chrétien, c'est clair.

  • Speaker #0

    Travailleurs, discrets, sérieux, de confiance. Il y a quand même une condescendance. Il y a quand même... notamment quand tu vis dans les beaux quartiers encore plus et donc ma mère elle le vivait au quotidien en tant que femme de ménage et concierge d'immeuble et je pense qu'elle était tiraillée entre le merde j'ai choisi ce quartier parce qu'il y avait une vraie stratégie dans la sélection de ce quartier mes enfants sont dans des bonnes écoles dans un environnement safe je suis pas inquiète quand elles sortent et le, il y a un prix à payer comme tu dis très bien qui est il faut qu'elle elle est confronté dès son plus jeune âge aux inégalités sociales, aux mépris de classe.

  • Speaker #1

    Je pense à Graphie, un épisode avant l'été, et qui disait en fait chaque génération cherche un type différent de sécurité. Donc ses parents ont fui le Sri Lanka parce qu'ils cherchaient de la sécurité physique, en fait ne pas se faire tuer tout simplement, pendant la guerre civile. Puis pour leurs enfants ils voulaient une sécurité financière, donc il fallait être premier ou première de la classe pour faire de bonnes études. Et elle dit, et puis là, nous, notre génération, on a tout ça et maintenant, on cherche un épanouissement. C'est-à-dire que oui, j'ai le diplôme, j'ai fait les bonnes études, mais est-ce que je suis heureux ou heureuse dans ma vie ? Ce sont des questions que nos parents ne se posaient absolument pas.

  • Speaker #0

    Et c'est très juste. Et ça me fait penser, c'est marrant, mon mémoire de master en sociaux à Sciences Po. Je suis en train de réfléchir à ton montage, ça va partir de tous les sens.

  • Speaker #1

    Excuse-toi auprès de Simon, c'est Simon qui fait le montage.

  • Speaker #0

    Excuse-moi Simon, j'en suis vraiment navrée. Donne-moi ton adresse, je t'envoie des chocolats. Et du coup... J'ai, pour mon mémoire de fin d'études, interviewé une quinzaine de familles portugaises. Et tu avais ceux qui te disaient, pour nous, la réussite, c'est l'indépendance matérielle et financière. Et dans ces familles-là, en général, les enfants avaient plutôt fait des études courtes, mais des études qui leur permettaient de rentrer très tôt sur le marché du travail, avec des métiers manuels, plombier, électricien, etc. Mais qui étaient plutôt bien payés. et qui leur permettaient très jeunes de s'acheter une maison, un appart, une voiture, etc. Versus ceux qui te disaient, pour moi, la réussite, c'est être respecté, avoir un statut et ne pas être regardé de haut, être intégré. Et ces familles-là, les enfants ont plutôt fait des études longues. Longues,

  • Speaker #1

    ben oui. C'était quoi le projet de rentrer à Sciences Po pour faire un master de recherche en sociologie ?

  • Speaker #0

    Attends, je t'ai dit que ma mère voulait que je devienne Claire Chazal. Moi, gamine, je connais rien aux études. Ayant grandi dans le 16e, on m'avait quand même parlé. Je savais ce que c'était qu'une prépa. Contrairement à certains cousins, cousines à bras qui ont grandi plutôt en banlieue, qui n'avaient jamais entendu parler de prépa alors qu'ils étaient en tête de classe. Au moment de choisir mon orientation, je vais voir des cousins, cousines plus âgés que moi. J'en ai deux, trois qui ont fait des études longues. Et donc là, à l'une d'elles, je dis je veux être journaliste. Elle me dit il faut que tu fasses Sciences Po. Ok, très bien. Et assez rapidement, je me rends compte que je n'ai pas envie d'être journaliste. Et donc, et très vite en fait à Sciences Po, j'ai des cours de sociologie, j'ai des cours de relations internationales. Ma troisième année, je pars aux Etats-Unis. Et là, j'ai des cours sur le mouvement des droits civiques, sur l'immigration dans la littérature. Donc en fait, très vite, je plonge sur les thématiques qui m'animent encore aujourd'hui autour de la diversité et de l'inclusion, de l'égalité des chances ou de l'inégalité des chances, et qui résonnaient évidemment très fort en moi au vu de mon parcours. Et c'est pour ça, c'est pendant cette année aux Etats-Unis que j'ai décidé, quand je reviendrai pour le master en France, de faire de la socio. Et je savais que tout ce qui était autour de l'éducation et de l'immigration, ça m'intéressait bien.

  • Speaker #1

    Ce dont j'ai l'impression, c'est que... C'est les cours, en fait. C'est les cours. Il y a la découverte de la socio en cours qui t'a passionnée. Et après seulement, tu as fait des liens un peu avec ton propre vécu éventuellement. Mais ça donne l'impression que c'est d'abord une curiosité intellectuelle.

  • Speaker #0

    En fait, c'est marrant. Je viens de réaliser que j'ai été attirée par ces cours parce que j'avais quand même un intérêt sur ces thématiques par rapport à ma propre histoire. Mais je pense que ce qui m'a décidée derrière, c'est parce qu'il y avait des profs à Sciences Po qui en faisaient des cours.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et là, j'arrive à Sciences Po, et il y a des cours qui parlent d'immigration, qui parlent d'inégalité.

  • Speaker #1

    Ça peut être une matière d'études, un truc...

  • Speaker #0

    C'est un truc légitime. Il y a des grands chercheurs et des grandes chercheuses qui publient des trucs là-dessus. Et donc là, je pense que je prends conscience de ça à ce moment-là. Tu vois ? Et que mon parcours, c'est pas juste un parcours de vie individuelle, mais c'est un truc où il y a... plein d'autres gens qui, de plein d'autres façons, ont vécu des trucs similaires.

  • Speaker #1

    Et que du coup, ça devient un truc collectif, systémique, étudiable.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et après, pendant mes études, j'ai pris conscience de plein de choses aussi. Par exemple, anecdote, je vais aux Etats-Unis, je rencontre... Donc je vais dans une fac qui est très à gauche. L'année de la première élection d'Obama,

  • Speaker #1

    2008.

  • Speaker #0

    C'était incroyable. Je pense que j'ai eu un éveil politique à ce moment-là, puisque moi, tu sais, je suis enfant d'immigrés qui sont très discrets,

  • Speaker #1

    qui n'ont pas de vagues.

  • Speaker #0

    Donc pas de politisation. Je rencontre une nana sri-lankaise qui a un nom de famille qui est Almeida. Qui a un nom de famille portugais. Et donc je lui dis, de façon très naïve, autour d'une bière, je pense, je dis, ah c'est marrant, t'as un nom portugais, c'est drôle. Et là, elle se renferme et elle me regarde. très durement, elle me dit de façon assez cash, elle me dit tu crois que c'est drôle d'avoir un nom qui vient du colonisateur qui est lié à mon histoire coloniale à ce moment là, face à elle j'étais la blanche dominante, ignorante de son histoire puisque je savais que le Portugal avait envahi l'Angola, le Mozambique, le Cap-Vert mais le Sri Lanka, le Frépac tout ça pour dire que c'est des moments aussi dans l'histoire dans mon histoire à moi où mon histoire Elle a fait le lien avec la grande histoire, tu vois.

  • Speaker #1

    Comment ça se passe à ce moment où tu as coché des cases de tes parents ? C'est-à-dire que tu as fait de grandes études, tu es à Sciences Po, et tu commences à t'orienter, comme tu dis, à te politiser petit à petit, et à t'orienter vers des trucs où tu vas faire des masters en sociaux.

  • Speaker #0

    Ils ne se rendaient pas compte, tu dis que tu vas faire un master en sociaux, à partir du moment où tu vas avoir un diplôme de Sciences Po, ça leur va très bien. Par contre, le fait de suivre ces cours, de me politiser un peu, je suis revenue en France.

  • Speaker #1

    Tu voyais plus le monde de la même manière.

  • Speaker #0

    J'étais très différente. Je disais quand je n'étais pas d'accord. Je râlais, je gueulais contre les classes dominantes et compagnie. Et donc là, mes parents, ils ont été très perturbés.

  • Speaker #1

    Oui, tu as changé la physionomie des repas dominicaux.

  • Speaker #0

    C'est ça. En fait, aux États-Unis, j'ai rencontré des gens qui se permettaient de dire ce qui ne leur allait pas, d'exprimer à voix haute la source de leur colère. Et ils ne se posaient pas la question de s'ils avaient le droit de le dire ou pas. Ils le disaient. J'ai rencontré des personnes qui se battaient pour la cause de la Palestine. J'ai rencontré des personnes noires, latinas, etc., latinos, qui parlaient de racisme, etc. Et en fait, écouter eux, leurs histoires et leurs combats a fait ressortir des trucs que j'avais vus. ressenti, qui m'avait fait ressentir de la colère ou de la tristesse, mais que j'avais jamais dit à voix haute quoi. Et surtout que mes parents n'avaient jamais exprimé. Avant de partir aux États-Unis, j'étais encore dans le modèle du bon petit portugais qui se tait, et en revenant je dis bah non mais en fait si ça va pas faut le dire quoi. Le sapin de Noël quand on habitait dans le 16e, on n'avait pas la place d'avoir un sapin de Noël dans la loge. Donc En fait, on mettait un grand sapin de Noël dans le hall de l'immeuble, ce qui servait de décoration aussi. Tous les gens de l'immeuble en profitaient. Et c'était ma maman qui achetait le sapin, et c'était ma maman qui achetait les décorations. quasiment tous les jours, on se rendait compte qu'il manquait des décorations. Un jour, ma mère me dit, j'ai vu Madame Machin, sa gamine avait dit, je trouve ça joli, et elle lui avait dit, vas-y, prends. Il y a des souvenirs comme ça un peu flash, de dire à ma mère, mais tu devrais lui dire, ou tu devrais juste mettre une affiche, si tu ne veux pas cibler quelqu'un, une affiche en disant, pour information, le sapin et les décorations sont la propriété de la famille d'Acrouse. Et elle me dit Mais je peux pas faire ça, t'es folle ! Par exemple, je t'ai dit que ma mère était femme de ménage dans une famille et l'un des enfants de cette famille était mon camarade de classe. À un moment donné, j'ai été invitée à participer au concours général. Et les meilleurs élèves, vraiment, de France, en gros, sont invitées à participer à ce truc-là. Ma mère le raconte à sa patronne, très fière.

  • Speaker #1

    Bah oui, comme une maman, quoi.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que quand t'es femme de ménage dans une famille et que ça se passe bien, tu papotes et tu parles de tes trucs perso. Avant que ma mère raconte ça, cette famille ne faisait que la couvrir des loges. A partir de ce jour-là, il y avait toujours un truc qui n'allait pas. Il y avait des tâches qui n'avaient pas bien été réalisées, de la saleté qui restait. Elle n'avait pas assez repassé de chemise dans le temps imparti, que sais-je. Du jour au lendemain. Et ça, elle me l'a raconté. Elle était très en colère, très triste, mais elle n'a jamais rien dit.

  • Speaker #1

    C'est hyper intéressant, cette question de la colère et de la légitimité de la colère. Il y a des catégories de populations qui sont plus légitimes à s'énerver que d'autres. Quand tu es une personne ou quand vous êtes une communauté de personnes noires, de personnes latino, de personnes immigrées, de personnes étrangères, de personnes femmes de ménage, etc., quels sont les espaces dans lesquels vous pouvez exprimer votre colère et être prise au sérieux ? Et comme cette colère n'est jamais légitime, elle n'est jamais suffisamment justifiée et qu'elle n'est pas écoutée, qu'est-ce qu'on fait ? On ne l'exprime pas. La question de la santé mentale, une génération qui... C'est dit, on ne va pas faire de vagues et c'est comme ça que nos enfants vont avoir de la place. Et puis en fait, les enfants ont potentiellement eu cette place-là. Pour autant, il y a quand même de la colère. Alors, est-ce qu'on l'exprime ou pas ? Qu'est-ce qu'on a à perdre à l'exprimer ? Ça ouvre des questions extrêmement intéressantes.

  • Speaker #0

    Et puis, ça ouvre aussi des questions sur le collectif et comment le collectif est indispensable pour pouvoir exprimer cette colère. Et quand tu es femme de ménage, tu es toute seule dans la famille qui t'emploie. Quand tu es concierge d'immeuble, oui, il y a d'autres concierges dans la rue et tu papotes. Mais il n'y a pas de syndicat des concierges d'immeubles.

  • Speaker #1

    Exactement. Donc tu peux avoir des espaces d'expression au sens de ce qu'on appellerait aujourd'hui des safe space en français, mais tu peux avoir du soutien d'une communauté. Ça n'est pas un mouvement organisé. On n'est pas encore dans l'organisation, l'autostructuration pour aller défendre des choses, combattre ou ne serait-ce que dénoncer.

  • Speaker #0

    Ça, ma mère, elle l'a tellement intériorisé. Mon père aussi. Mais si tu allumes le journal et que tu vois des gilets jaunes, des gens qui manifestent, des gens qui font grève... des émeutes dans les quartiers, etc. Le premier réflexe que mes parents vont avoir, c'est Qu'est-ce qu'ils font chier ? Il faudrait juste qu'ils aillent travailler et puis ils arrêtent d'embêter leur monde. Parce que pour eux, s'exprimer et se révolter, c'est pas être du bon côté.

  • Speaker #1

    Je vous conseille, je te conseille si tu le connais pas, de regarder ce que fait Bissai Media. Bissai, ça s'écrit B-I-S-S-A-I. Et donc il y a un média qui a vraiment pour volonté de porter ces voix-là, donc plutôt les voix des nouvelles générations, mais qui racontent finalement l'histoire de leurs parents et de leurs grands-parents, histoire qui n'ont jamais été racontées, parce que surtout il fallait les taire pour ne pas faire de vagues. Et je trouve hyper intéressant cet aspect générationnel et qui provoque beaucoup d'incompréhension dans les familles et dans les communautés, parce que le silence nous a permis de survivre, et toi du jour au lendemain tu arrives et tu dis on va briser le silence et c'est pas bien, mais qui es-tu donc, espèce d'ingrat ?

  • Speaker #0

    Quand les parents veulent que leurs enfants... appartiennent au pays où ils ont émigré, qu'ils aient un bon statut, etc., avoir une voix, ça va avec. Sauf que derrière, quand ils l'utilisent, ils veulent que ta voix compte. Ils veulent que t'aies une voix qui soit légitime.

  • Speaker #1

    Mais c'est pas une voix politisée. On vous aime, les parents. On ne sait pas assez, mais on vous aime. C'est dur, c'est dur. Vraiment, un gros cœur sur vous. On est arrivés ici parce que je te demandais ce qui t'avait frappé dans les résultats de ton mémoire. On a fait une pause pour boire de l'eau et on est parti sur autre chose.

  • Speaker #0

    Premier renseignement, je t'en ai déjà parlé, c'était les familles qui choisissaient les études courtes, c'était plutôt les familles qui valorisaient la réussite matérielle, financière, l'indépendance, l'autonomie, versus les familles où il y a eu des études longues, c'est plutôt des familles où on valorisait le côté statut, respect, une place dans la société. Ce qui aussi différencie énormément ces deux typologies de familles, c'était la géographie. Les familles où les enfants ont fait des études longues, c'était soit des familles qui habitaient dans les beaux quartiers, notamment parce que maman est en concierge, soit des familles qui n'habitaient pas forcément dans les beaux quartiers, mais la mère allait. Dans les beaux quartiers travaillés.

  • Speaker #1

    Et donc voyaient un peu...

  • Speaker #0

    Elles voyaient et elles avaient accès à de l'information, puisque comme je le disais tout à l'heure, les femmes de ménage, elles parlent beaucoup avec leurs employeurs. Et donc, au moment de l'orientation, c'est des familles, et notamment des femmes, des mères, qui se sont dit, j'y connais rien, mais moi j'ai des patrons et des patronnes qui peuvent être une source d'information pour moi. Bien sûr. Et donc... qui ont découvert l'existence des centres d'orientation, des bouquins de l'ONICEP ou de l'étudiant, à travers leur patron-patronne. Et qui faisaient lire leurs enfants aussi. C'est un truc vachement fort. Plusieurs mamans qui m'avaient dit, moi, mon gamin, même si moi je lisais pas, mon gamin, je lui offrais des livres, je voulais qu'il lise. Versus les familles où les enfants avaient fait des études très courtes. C'était, dans la majorité des cas, des familles où les parents disaient, Je ne suis pas intervenue dans le process d'orientation de mon enfant parce que je n'ai pas fait d'études,

  • Speaker #1

    encore moins en France.

  • Speaker #0

    Et je n'en sais rien. Donc, ils ont choisi tout seuls avec leurs copains, leurs frères et sœurs, leurs profs. C'est ça l'autre enseignement. Et ça, c'était, pour faire le lien, c'était plutôt géographiquement dans des quartiers plus populaires.

  • Speaker #1

    Tu aurais pu continuer tes travaux de recherche. Tu t'es dit non, mais je vais aller voir dans la vraie vie comment ça se passe ce truc-là. Et peut-être... tenté d'avoir un impact, une influence là-dessus. Donc, une de tes cousines dit qu'il y a une fonction qui est en train d'éclore en entreprise. Donc, on est en 2011. Et ça s'appelle diversité. Tu fais effectivement un master 2 en RH, en alternance dans une entreprise dans laquelle tu vas rester après sur un poste RH au départ. Puis, au bout de 4-5 ans, il y a un poste diversité, justement, qui se crée. Et là, tu dis, mais c'est pour moi ! Il n'attend que moi, ce poste. Donc, tu l'obtiens. Et tu vas y rester quasiment 4 ans dans ce poste-là, diversité. En quoi a consisté ton boulot pendant 4 ans ? Là, on est en 2015.

  • Speaker #0

    Je bossais chez Bouygues Construction, grand groupe de BTP. J'avais à la fois le pilotage de la politique diversité-inclusion, puisque grand groupe, international, plein de filiales dans tous les sens. Ils avaient formalisé quand même quelques grands objectifs. Il y avait un comité diversité, un comité handicap. Je pilotais un peu tout ça. L'idée, c'était de... Faire en sorte qu'on atteigne nos objectifs et qu'on en crée de nouveaux. Mettre en place des actions. Ça allait être, de façon hyper concrète, mettre en place un programme de mentoring pour des femmes dans l'entreprise pour faire en sorte qu'à un moment critique de la carrière, où il y avait beaucoup de femmes qui partaient, elles restent dans l'entreprise. Organiser des visites pour des jeunes de quartier dans nos bureaux, qui étaient des... Donc le siège de boue de construction, c'était des grands bureaux assez prestigieux, assez impressionnants. Et donc on faisait venir des jeunes de quartier pour leur montrer, oui c'est possible. Et on faisait témoigner des collaborateurs et collaboratrices qui eux-mêmes étaient issus des mêmes quartiers pour leur dire, regardez, moi maintenant je fais ça comme métier, pour vous c'est possible aussi. Je créais ou je refondais des formations et après je les animais ou je les co-animais. Voilà, je faisais plein de choses. Mon quotidien n'était pas du tout ennuyeux. Et donc, je bossais beaucoup sur le sujet du handicap, sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes, un peu sur le sujet des parcours et des diplômes, diversité des parcours et des diplômes, et un peu sur la diversité des origines et l'insertion de publics en difficulté.

  • Speaker #1

    OK. J'espère que c'est plus clair pour les personnes qui nous écoutent. La diversité, c'est le fait d'être différent au sein d'un collectif qui n'est pas que des gens qui se ressemblent tous, pas que des personnes blanches, pas que des gens qui ont tous fait le même parcours. scolaire, académique, etc. Et l'inclusion, c'est une fois qu'on a fait rentrer ces personnes qui sont un peu différentes et qu'on a un effectif divers, comment est-ce qu'on fait pour que les personnes qui ne sont pas dans le schéma dominant, dans la norme, se sentent elles aussi à leur place en fait ?

  • Speaker #0

    Comment on fait un collectif avec toutes ces disciplines ? Comment on fait que chacun soit bien dans ses baskets ? Donne le meilleur de soi-même ?

  • Speaker #1

    Alors au bout de 4 ans, pour plein de raisons, Tu décides d'abord de changer de fonction, puis finalement de quitter le groupe et même de quitter le salariat. Allez, soyons folles. Avant qu'on parle de ça, il se trouve donc que pendant les études à Sciences Po, tu l'as dit, tu es allée étudier aux États-Unis pendant un an. Oui. Ce qui a eu deux grandes conséquences, enfin mille conséquences j'imagine, mais sur notre sujet du jour, deux grandes en tout cas que moi j'ai identifiées. La première, c'est donc ces cours sur plein de sujets sociétaux. Légitimité aussi de la colère que tu découvrais. Et un deuxième impact plus personnel qui est que ça t'a rapproché de ta famille américaine, car oui, tu avais plein de cousins et de cousines aux États-Unis. Et alors, j'aimerais que tu nous parles de ces cousins de culture américaine, parce que tu m'as dit...

  • Speaker #0

    En fait, c'est hallucinant de voir comment juste le fait que nos deux papas, donc les deux frères, aient choisi et quitté le Portugal, l'un pour aller en France et l'autre pour aller aux Etats-Unis, c'est hallucinant de voir à quel point ça fait de nous aujourd'hui des cousins, cousines, qui sommes sur des planètes différentes.

  • Speaker #1

    Absolument. Donc l'histoire, c'est que mon père a six frères et soeurs. Le plus jeune d'entre eux est marié avec une dame du village portugaise. Et toute la famille de cette dame, tout le monde a émigré aux Etats-Unis. Donc mon oncle, bam, il est parti émigrer aux Etats-Unis. C'était le seul de tous les frères et sœurs à vivre aux Etats-Unis parce que tout le monde avait émigré en France sinon. Tout ça fait que ce tonton est parti aux Etats-Unis avec sa femme. Il a eu deux enfants là-bas, il se met deux cousins germains qui habitent dans le Connecticut à Bridgeport.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Et en fait, lorsque je pars aux Etats-Unis, je les connaissais un petit peu du mois d'août, des vacances au mois d'août. Mais je... ne soupçonner rien de leur vie quotidienne aux Etats-Unis.

  • Speaker #0

    Oui, toi, tu les connaissais des mois passés au Portugal, en fait, au mois d'août, quand toute la famille se réunit.

  • Speaker #1

    Et là, je me retrouve plongée dans leur vie. Déjà, je découvre leur ville, leur quartier. Mon oncle et ma tante parlent très, très mal anglais, alors qu'ils sont aux Etats-Unis depuis aussi longtemps que mes parents sont en France. Pourquoi ? Parce qu'ils vivent entre Portugais, dans leur quartier, en fait, dans leur rue. Il y a le drapeau américain devant les maisons, mais il y a aussi le drapeau du Portugal. Et parfois, il y a un troisième drapeau qui est celui de Porto, du Sporting ou de Benfica, qui est donc l'un des trois grands clubs de foot.

  • Speaker #0

    Le club de foot portugais, d'accord.

  • Speaker #1

    Mais donc, leur quartier, il y a une énorme majorité de Portugais. Ils font leurs courses dans des commerces portugais. Ils vont, comme nous, à l'église portugaise. Ils ont la télé allumée en portugais. Ils ne parlent entre eux qu'en portugais. Mes cousins. qui sont nés là-bas, ont grandi avec quasiment que des potes portugais et latinos, puisque là-bas, la communauté portugaise et latina, notamment brésilienne, tu vois, avec la langue, etc., se mélangent. Et lorsque je suis arrivée là-bas, donc t'imagines, moi, je venais de traverser l'Atlantique, j'avais 19 ans, je leur dis, et sinon, on va aller à New York.

  • Speaker #0

    Ils ont jamais mis les pieds.

  • Speaker #1

    Et ils ont jamais mis les pieds à New York. Alors qu'ils sont à une heure de train de banlieue de New York. Et là, c'est comme si tu me disais... En fait, à Postéry, je pense que ça existe. Mais quelqu'un qui habite à Marne-la-Vallée ou à Meaux, qui n'a jamais mis les pieds dans Paris et qui n'a jamais vu la Tour Eiffel, c'est sûr que ça existe. Mais moi, ça me paraissait fou. Et ça ne leur manque pas, ils sont très heureux. Il n'y a pas de jugement de valeur dans ce que je raconte. Mais finalement, moi, j'ai été élevée dans un projet d'ascension sociale. de m'intégrer à la France, d'être française. Et d'ailleurs, on a eu cette conversation avec l'un de ses cousins-là, cet été, en vacances. Parce que je pense que lui aussi, ça le fait cogiter. Il m'a demandé, Claudia, est-ce que tu te sens plus française ou portugaise ? Et là, je lui ai dit, écoute, je suis incapable de choisir entre les deux. Par contre, si vraiment tu dois me demander c'est quoi mon pays, c'est la France. Je suis née là, j'ai grandi là, je fais toute ma vie là quasiment. Et là, il me regarde et me dit Mais tu vois, ça c'est fou pour moi, parce que moi et mon frère et toute notre communauté, on a été élevés en étant portugais avant tout. Et ça te montre bien en fait comment le modèle d'intégration de l'immigration entre la France et les Etats-Unis est extrêmement différent. Parce qu'en France, si tu veux t'intégrer... Tu te fonds dans la masse et tu enlèves ta singularité. Aux Etats-Unis, si tu veux t'intégrer, tu rentres dans une communauté. Et le mot communauté aux Etats-Unis n'est absolument pas négatif. Alors qu'en France, il est vu comme tu rentres dans une communauté, donc tu t'isoles, tu ne veux pas faire l'effort, tu te sépares de la République, etc. Et donc, ça fait qu'on a un rapport à nos origines, à notre identité et au pays dans lequel on vit qui n'a rien à voir. Il a fait des études, il est allé à la fac. Mais il est allé à la fac à côté de chez lui. D'ailleurs, il avait eu, parce qu'il était très, très bon en foot, l'opportunité d'avoir une bourse pour aller dans une fac prestigieuse un peu plus loin. Et il n'a pas voulu partir parce qu'il y a sa communauté qui est là. Il est ancré là. Alors que moi, j'aurais eu l'opportunité de faire une grande école dans une autre ville. Je n'aurais pas été prise à Paris. Je serais allée vivre à Bordeaux. Ça fait partie du... C'est le deal, quoi, tu vois. Donc, ouais, c'est... Effectivement, ce que je t'avais raconté... Quand on avait eu cette première discussion, c'était deuxième, il y a eu un truc différent dans le parcours de nos papas. Ils sont nés à deux ans d'écart, dans la même maison en pierre, dans le même village du fin fond de la campagne portugaise.

  • Speaker #0

    Et dans la même famille où tout le monde allait en France.

  • Speaker #1

    Voilà. Il y a un petit virage qui a été pris par mon oncle qui est allé aux Etats-Unis plutôt qu'en France. Et aujourd'hui, on se retrouve avec des vies qui n'ont rien à voir et derrière, des convictions politiques qui sont très différentes. Un lien à l'identité, à la langue, à la culture, à l'appartenance qui n'a rien à voir. C'est fou.

  • Speaker #0

    C'est fou, effectivement. Et ça tient à peu de choses. Les trajectoires de vie tiennent à peu de choses. J'aimerais qu'on parle de traits d'union. Parmi les cours que tu as pris aux États-Unis, tu as pris un cours sur l'immigration dans la littérature américaine. Tu découvres l'écrivain Junot Diaz. Oui. Je le prononce donc à la française. Mais il faut savoir que Junot s'écrit J-U-N-O-T et Diaz. Diaz, je ne sais pas. D-I-A-Z. Voilà. Donc, écrivain américain d'origine dominicaine qui écrit beaucoup sur la condition d'immigrer et qui utilise notamment cette notion de, si vous le cherchez sur Google, on retrouve beaucoup ce terme de living on the hyphen qui littéralement signifie vivre sur le trait d'union Et en fait, c'est une notion, ce n'est pas lui qui l'a inventée, c'est une notion qu'il a empruntée à Ilan Stavans, qui est un écrivain américain aussi d'origine juive mexicaine. plein de traits d'union. Et donc, il est souvent présenté comme le roi du Spanglish, c'est-à-dire que dans ses bouquins et dans sa propre expression, il utilise beaucoup le Spanglish, qui est donc pas juste une juxtaposition de termes espagnols et de termes anglais, enfin américains, mais qui est vraiment comment les deux fusionnent, à la fois dans les termes, mais même dans les structures de phrases, dans la grammaire, dans la syntaxe, etc. Est-ce que toi, tu te rappelles comment tu as connu et comment tu as compris aussi, à l'époque ? cette histoire de trait d'union. Living on the hyphen.

  • Speaker #1

    Donc je suis dans ce cours de littérature et pendant la discussion, quelqu'un, soit le prof, soit nous tous ensemble, les élèves en se parlant, on met vraiment le doigt sur ce trait d'union. Donc aux Etats-Unis, il y a beaucoup le Dominican American, African American, etc.

  • Speaker #0

    Asian American.

  • Speaker #1

    Et donc... Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese-French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Et en fait, on a expliqué que ce trait d'union, lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité. qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Et ça m'a foutu une claque, ce cours, parce que ça venait mettre un mot et matérialiser ce que depuis toujours j'avais en intuition. Et je me disais, moi je ne suis pas française comme les autres Français, je ne suis pas portugaise comme ceux qui ne sont jamais partis. Je suis ce troisième truc où on a nos codes, on a nos private jokes, tu vois. Entre enfants d'immigrés portugais, tu fais tes blagues que personne d'autre comprend. Et donc le fait de dire, bah oui, il y a une troisième entité, une troisième réalité, elle est là, elle est vraie, elle est légitime, elle n'est pas juste dans ta tête. Elle est partagée par plein de gens.

  • Speaker #0

    Super intéressant, ça me fait penser à un épisode de Joli Bazar avec Marion. Alors je crois que c'est le 34, mais je ne me retiens pas des numéros d'épisode. donc Marion a une maman juive et très engagée dans la communauté juive avec des parents d'un côté qui sont tous morts pendant la Shoah et puis Séfarad de l'autre qu'on faisait la fête tout le temps et puis ça c'est la maman de Marion et puis son papa est catholique d'une famille catho assez tradie autant dire que l'union entre les deux n'a pas été très bien vécue et donc Marion raconte plein de choses hyper intéressantes. Elle dit à un moment, j'ai tellement fréquenté la frontière qu'à un moment, je l'habitais et c'était ça chez moi. Cette définition de la frontière, pas seulement en tant que trait entre deux trucs, mais en tant que lieu en soi. Crée ta boîte qui s'appelle Hyphen Up. Tu reprends ce hyphen qui signifie trait d'union. Je me demandais, on a parlé de ta politisation progressive quand tu es allée aux Etats-Unis, là de... la prise de conscience, mais à la fois individuelle et effectivement collective, politique, de ce trait d'union, en fait, et donc de toutes ces questions d'identité, qui suis-je, etc. Qu'en pensent tes parents ?

  • Speaker #1

    C'est très loin d'eux. Eux, ils ont finalement eu un mode de vie assez individualiste, où tu travailles, tu fais ton argent, t'achètes ta maison, t'achètes ta voiture, tu fais tes vacances au Portugal le mois d'août. Et puis, finalement, il y a moins le sens du collectif, et donc d'enjeux. de cohésion, de collaboration, de bien vivre ensemble. Eux, ils font leur truc un peu dans leur coin et ils ne se prennent pas trop la tête. C'est pour ça, je pense, qu'ils ne comprennent pas trop les enjeux derrière en entreprise. Et très clairement, je suis à peu près sûre que si mes parents, un jour, je les avais dans un atelier de sensibilisation, ils feraient partie des gens chiants qui me diraient Franchement, ça va trop loin, c'est extrémiste, on ne peut plus rien dire aujourd'hui, il ne faut pas être trop sensible sur tout, vous êtes trop susceptibles. Et puis, il faut avoir en tête aussi un truc hyper important, dont j'aurais pu parler depuis le début de l'entretien, c'est que mes parents ont été élevés dans une... dans un petit village au nord du Portugal, au fond de la campagne. Quand ils sont nés, le pays était un pays colonisateur encore. C'était le dernier pays à décoloniser le Portugal. Donc ils ont été élevés, les quelques années d'école qu'ils ont fait, on leur a dit, en gros, l'Africain doit être civilisé par l'Européen blanc. où ils n'ont jamais vu de Noirs ou d'Arabes ou d'Asiatiques de leur vie avant d'être arrivés. Exception fait que ma mère avait sa prof qui était métisse, parce qu'elle venait d'Angola et que son père blanc l'avait ramenée. Mais comme c'était la prof, elle n'était pas Noire. Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'était pas une vraie Noire, c'était la prof.

  • Speaker #0

    Complètement.

  • Speaker #1

    Le poids. Donc en fait, moi j'ai été élevée dans une famille où... Le discours banal, c'était les Noirs et les Arabes, c'est des racailles. L'homosexualité, c'est une déviance, c'est une maladie, c'est un vice. Les Juifs et les musulmans, ils ne sont pas dans le vrai et c'est nous qui sommes dans le vrai. J'ai quand même une éducation pas du tout ouverte. Donc, de toute façon, au-delà du fait que mes parents ne comprennent rien au monde de l'entreprise, en tout cas pas grand-chose... Sur le fond des sujets, moi, je me suis vachement détachée d'eux. Et si j'essayais de les convaincre ou d'avoir des grands débats de fond là-dessus, ça partirait en clash. Finalement, aujourd'hui, ils savent que je fais des formations, que je fais des conférences, qu'il y a des grands groupes qui m'appellent, que je fais des conférences devant 600 personnes d'un coup. Ils sont trop fiers. Le reste,

  • Speaker #0

    non, c'est compliqué.

  • Speaker #1

    C'est très compliqué. parents qui sont finalement dans leurs conditions ultra privilégiées Parce qu'ils sont arrivés en France, ils avaient plein de frères et sœurs plus vieux qui leur ont trouvé un job. Ils avaient un job avant d'arriver en France. Parce que très bien vu, blanc, gna gna gna. Pour eux, ils ne se rendent pas compte qu'un Noir ou un Arabe immigré comme eux, la même année, avec la même motivation, la même niaque pour réussir dans la vie, le même sérieux, etc.

  • Speaker #0

    La même qualité intrinsèque ne va pas réussir pareil que eux.

  • Speaker #1

    Et pour eux... c'est qu'ils ne sont pas assez travailleurs, c'est qu'ils sont flémards, c'est qu'ils veulent prendre les allocations.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant, parce qu'on parle des immigrés, tu sais, parfois comme du mâle homogène, mais en fait, effectivement, en fonction de la nationalité, de la couleur de peau, évidemment, de la religion, etc. Mais de comment la société te perçoit, en fait, il y a à l'intérieur de cette masse des immigrés, aussi encore des hiérarchies qui se jouent. sur le regard de la société, et il y a du racisme intra, évidemment. Il y a une xénophobie,

  • Speaker #1

    un racisme extrêmement violent. Ce que tu racontes, ça me fait penser à ma première élection. Première fois que je reçois au courrier l'enveloppe avec tous les programmes sur le tract du Front National. Il y avait un nom portugais. Et franchement, on me dit, mais comment c'est possible ?

  • Speaker #0

    Maintenant je comprends comment c'est possible.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont intériorisé le discours qui dit que eux c'est les bons immigrés qui respectent et qu'il y en a qui faudrait dégager parce qu'ils méritent pas autant qu'eux. Mais à l'époque ?

  • Speaker #0

    On est en train d'avoir cette discussion en septembre 2024. On a un nouveau Premier ministre depuis quelques heures. On a eu les JO, magnifique, incroyable, grosse fierté après avoir râlé évidemment. Mais on a aussi eu la crise politique qu'on sait, avec la montée historique des extrêmes droites en Europe, en France aussi. Et donc tout ce que ça a créé de crispations, de libération de la parole aussi, dans la rue, dans les entreprises. Et avec des entreprises d'ailleurs, nos clients, qui sont parfois, mais pas toujours quand même, très bavards là-dessus. Justement, quand on parlait de prendre la parole et de dire ça ne va pas et de s'engager de ça. Une question qui m'a beaucoup hantée, qui m'a paralysée au mois de juin, maintenant ça va un peu mieux, mais en tout cas qui continue à me travailler. Et que je te pose en tant que consoeur. Est-ce que notre métier sert à quelque chose ?

  • Speaker #1

    Oui, notre métier sert à quelque chose. Comme beaucoup de monde qui a les... qui partagent les convictions que toi et moi on partage sur l'égalité, sur la lutte contre les discriminations. Et ça, j'étais très choquée par ce qui s'est passé cet été, politiquement. Mais je me suis tout de suite dit, en fait, même si moi je ne suis pas encartée ou que ce soit, je ne suis pas quelqu'un qu'on va appeler militant ou quoi, en fait je me dis, mon travail en lui-même, c'est du militantisme déjà. Avoir des discussions, créer des espaces de dialogue entre des gens, pouvoir mettre des mots sur des espèces de frustrations où les gens dans leur coin ou entre eux au coin café rongent leurs freins en disant ouais de toute façon on peut plus rien dire aujourd'hui, regarde ça va trop loin, les questions de genre franchement n'importe quoi bah notre job c'est d'aller mettre des mots dessus, expliquer d'où ça vient, expliquer pourquoi, accueillir le malaise et l'inconfort face à tous ces trucs-là. Et donc, on a besoin de gens qui vont aller à l'avant des manifs, qui vont aller parler sur les plateaux télé, qui vont publier des trucs sur les réseaux sociaux hyper engagés, machin. Et on a besoin aussi d'un terrain qui vient travailler au quotidien, que ce soit le tissu associatif, machin. Et en toute humilité, je nous vois comme un de ces acteurs de terrain-là, tu vois. Donc ouais, on sert, non ? T'en penses quoi, toi ? On sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Non, mais oui, dans le fond, évidemment que je me lève en me disant que ça a du sens. Ça m'a beaucoup ébranlée, moi, cet été. Vraiment. Ça m'a beaucoup ébranlée. Et je me suis toujours dit que je me lève pour les... C'est ce que tu disais, pour les participants, participantes. Et pour les 4, 5, 15 personnes dans l'Assemblée qui vont se dire... Soit, comme tu disais, tiens, je n'avais pas vu ça comme ça. Ah, je comprends mieux.

  • Speaker #1

    Et des gens qui sont peut-être pour la première fois vus et entendus, ils se sentent vus et entendus.

  • Speaker #0

    Ça, tu crois aussi. On a des gens qui viennent nous voir à la fin. C'est juste que, tu vois, on a eu trois élections en un mois. Et ça m'a découragée. Ça m'a découragée pendant un temps. C'est la rentrée, là, ça y est, je suis repartie. Mais je peux te dire qu'au mois de juin, j'étais complètement paralysée. J'étais... Ouais. J'arrivais pas à bosser, j'arrivais pas à parler, j'arrivais pas à poster.

  • Speaker #1

    Et après, je pense qu'on a un vécu aussi différent, tu vois. Moi, en tant que blanche, jamais dans la rue. Évidemment, on a eu plein de discussions avec nos entourages à ce moment-là. Et une collègue qui est en couple avec un maghrébin, qui a donc deux enfants en métisse, elle me dit Mais moi, j'ai peur pour mes gamins dans la rue. Moi, j'ai ce privilège-là de me dire Jamais j'aurais peur pour moi dans la rue. Donc évidemment, on ne le vit pas exactement pareil.

  • Speaker #0

    Merci pour tout ce que tu as partagé. tout ce que tu as livré aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'avoir offert cet espace, parce que finalement, même si c'est quelque chose sur lequel je cogite depuis longtemps et qui m'anime au quotidien parce que je donne des exemples de ma vraie vie tout le temps dans mes interventions, c'est rare qu'on ait quand même un espace pour tout balancer comme ça. C'est un peu thérapeutique ton votre histoire.

  • Speaker #0

    Faut pas le dire.

  • Speaker #1

    Venez parler à Alexia de vos origines. Ça fait un bien fou.

  • Speaker #0

    C'est un peu ça. Qui dirais-tu que tu es devenue au terme de tout ce que tu nous as raconté là ?

  • Speaker #1

    Je suis devenue moi.

  • Speaker #0

    Je sens qu'il y a un lien avec le trait d'union.

  • Speaker #1

    Et donc cet ensemble de traits d'union, France, Portugal, parents ouvriers, femmes de ménage, aujourd'hui, plutôt CSP+, mariée à un enfant de médecin, ingénieur. avec des potes plutôt français origines de CSP+, voilà, je suis à l'intersection de plein de choses, on n'a pas parlé de mon état de santé je suis à l'intersection de plein de choses voilà, maman de chat je peux parler de mes deux chats ? c'est pas que je vais le garder dans le mental final mais ça me fait très plaisir un immense merci bah merci à toi

  • Speaker #0

    C'était Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Si ce que vous avez entendu vous a plu, laissez des étoiles et des commentaires sur votre appli de podcast, suivez Joyeux Bazar sur les réseaux et surtout, parlez-en autour de vous. Parce que le bouche à oreille est le canal le plus efficace pour faire connaître un podcast. C'est fou, non ? Allez, à bientôt !

Description

Avant de faire Science Po et de s’envoler aux États-Unis, Claudia a longtemps été “la fille de la femme de ménage”. Et même si ses parents sont de ceux qui sont vus comme les “bons immigrés” : blancs, européens, catholiques, travailleurs, elle a connu très tôt le mépris de classe… C’est aux États-Unis que son éveil politique est né : depuis, elle sait que sa colère est légitime. 


Claudia a aussi déménagé, en pleine adolescence, des beaux quartiers à la banlieue : comment grandir entre deux cultures et trouver sa place dans une société marquée par les inégalités sociales et les stéréotypes culturels ? Dans cet épisode, nous recevons Claudia Da Cruz, fille d’immigrés portugais et aujourd’hui consultante en diversité et inclusion.


Nous espérons que cet épisode vous plaira ! Bonne écoute.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Le bazar.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Je suis Alexia Sena et je suis chanceuse, honorée même, d'avancer avec vous dans la cinquième saison déjà de ces conversations délicieuses et périlleuses autour des vécus multiculturels. Joyeux Bazar, c'est aussi une newsletter, des rencontres, des ateliers et des conférences en entreprise. Mais pour l'instant, c'est dans vos oreilles que ça se passe. C'est parti ! Bonne rentrée, bonne reprise à vous qui nous écoutez aujourd'hui. Alors j'ai conté tout à l'heure et j'ai réalisé que c'est la cinquième saison de Joyeux Bazar qui démarre. Ça m'a fait tout drôle. Ça m'a fait drôle de penser qu'épisode après épisode, depuis février 2020, vous êtes encore au rendez-vous pour explorer, chercher, douter, questionner, rire, pleurer aussi parfois, autour de ce sujet qu'est la double culture. Donc évidemment, je vous remercie profondément, infiniment. C'est le temps de cerveau disponible et le temps de cœur aussi disponible que vous consacrez à Joyeux Bazar qui donne tout son sens. à ce projet donc un immense merci vraiment je m'en vais vous présenter l'invité du jour j'ai connu claudia dacrouse par le travail parce qu'elle est comme moi consultante et formatrice en diversité et inclusion et là vous vous dites mais qu'est ce que c'est que ce métier de quoi ça parle ne vous inquiétez pas on va en parler on va vous expliquer tout ça mais en tout cas tout ça pour dire qu'avec claudia on s'était prévu une visio pour parler boulot à la base et elle m'en a un peu dit sur son parcours perso sur cette double culture donc juste ce qu'il faut pour que Illico, je la mette sur la liste des potentiels invités du podcast. Bonjour Claudia.

  • Speaker #0

    Bonjour Alexia.

  • Speaker #1

    En te présentant, tu m'as dit je suis fille d'immigrés portugais et je suis transfuge de classe aussi Qu'est-ce que c'est l'histoire de tes parents, en tout cas l'histoire d'immigration de tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents sont nés au début des années 60 au nord du Portugal. Le Portugal des années 60, en général, je dis aux gens, c'est la France des années 20. Ils se souviennent très bien quand l'eau courante est arrivée, quand l'électrice est arrivée. Ils se souviennent du premier téléphone du village. Mes parents sont nés dans des grandes fratries de 7 et 8 enfants et leurs propres parents étaient paysans. C'était seulement l'école primaire obligatoire. Et puis après ça, comme leurs parents avant eux, leurs grands-parents avant eux, ils sont allés dans les champs, ils sont allés s'occuper des animaux. Et très vite, autour des 13-14 ans, quand ils ont commencé à avoir un peu plus de force physique et d'autonomie, ils ont commencé à travailler. au-delà de ce cercle familial. Donc, mon papa, je pense que 13-14 ans, il a été sur ses premiers chantiers de construction au Portugal, pour le coup. Et ma maman, à 15 ans, elle est partie à Porto en tant que jeune fille au père. Donc, voilà, ils ont commencé à travailler très très jeune. Ils ont comme point commun d'être parmi les plus jeunes de leur fratrie. Donc, ils avaient tous les deux des grands frères et sœurs assez... Enfin, avec 15 ans de plus qu'eux, quoi, qui étaient à peu près tous en France. Et donc, quand ils ont eu 20 et quelques années, ils se sont dit, cette vie ne va pas nous suffire à un jour avoir une maison et à finir nos fins de mois en étant à peu près tranquille. Puisque même en ayant trouvé un job, c'était quand même très, très limité financièrement. Donc, ils ont émigré. Mes parents sont arrivés en milieu des années 80 en France, en Ile-de-France.

  • Speaker #1

    Donc, quand ils arrivent, la France n'est pas... totalement inconnue, c'est-à-dire que c'est la première fois techniquement, mais comme ils ont des grands frères et des grandes sœurs qui y sont déjà, est-ce que tu sais ce que ça représentait pour eux ?

  • Speaker #0

    Alors, ils ont une vision différente l'un et l'autre. Mon père, ce n'était pas son objectif dans la vie, et je pense que comme beaucoup d'immigrés, il avait envie de venir quelques années et repartir, et après faire sa vie au Portugal. Et ma mère, elle voyait vraiment la France comme une échappatoire de son petit village au fin fond de la campagne, et notamment Paris, il y avait vraiment le côté... Paris, la grande ville pleine de possibilités et qui veut dire aussi liberté. Ma mère, elle est arrivée en France, dans les beaux quartiers de Paris, pour faire du ménage, pour s'occuper d'enfants, etc. Elle a appris le français très vite. Elle a un tout petit accent portugais et elle est extrêmement fière d'avoir juste ce tout petit accent. Et elle avait une hantise, c'est qu'on arrive en maternelle sans savoir parler français. Donc ma mère, elle nous parlait français. Et en fait, de facto, voilà, il n'y a pas eu... Moi, je n'ai jamais été élevée dans ce fantasme du retour au pays parce qu'elle, je pense qu'elle était très contente d'être partie. Elle est vraiment dans le modèle de... Moi je suis venue ici donc je me suis adaptée, je travaille dur, je suis discret, je fais pas de vagues. Mes enfants sont français, moi je suis devenue française à 14 ans puisque je suis née en France mais de deux parents étrangers. Et tu sais quand on doit remplir des fiches au collège, la première semaine, on me demandait souvent la nationalité et là ma mère disait tu mec t'es française.

  • Speaker #1

    Ah oui, alors que ce n'était pas encore officiellement le cas, d'accord. Et alors, la place que prenait, qu'avait le Portugal dans ton enfance, donc il y a cette question de la langue, est-ce qu'il était présent sous d'autres formes ?

  • Speaker #0

    Alors, le Portugal était très présent, déjà, tous les mois d'août. Le mois d'août, c'est le mois...

  • Speaker #1

    Ok, d'accord, tu ne te poses pas la question.

  • Speaker #0

    Quasiment tous les Portugais que je connais qui habitent en France, c'est au mois d'août qu'ils rentrent au pays. En fait, ce n'est pas en juillet, c'est en août. Et du coup, le village devient le lieu de réunion de tous les gens qui sont éclatés dans plein de lieux différents. Donc ça, déjà, c'était hyper important. Le dimanche, la messe en portugais, je te disais. Donc déjà, une fois par semaine, voilà. Et puis après, c'est des moments de tradition. Noël. Moi, je n'ai pas eu de dinde à Noël pendant pas mal d'années. Je pense que petit à petit, ma mère l'a intégrée. Et donc maintenant, on est à la dinde. Mais sinon, c'était le poulpe et la morue à Noël. plus des pacheteiges de bacaliao donc des petits acras de morue plus enfin bref différents trucs différentes spécialités puis après t'as Pâques aussi avec en fait la nourriture je pense que c'est un truc qui doit revenir peut-être aussi dans ton podcast carrément un

  • Speaker #1

    peu la base pour les personnes qui nous écoutent et qui ne connaissent pas Paris ou la région parisienne Paris 16ème c'est un arrondissement qui est à l'ouest de Paris et c'est vraiment les quartiers cossus en fait donc comment est-ce que tu es passée de Paris 16 à Paris 16 à Villejuif, qui est cette banlieue populaire, collée à Paris, tout près, mais qui n'est pas le même environnement.

  • Speaker #0

    Entre ma troisième et ma seconde, on a déménagé parce que mes parents, je pense, au début de mon collège, ils ont acheté une maison qui était toute petite et très ancienne. Et pendant quatre ans, le soir après le chantier, mon père allait faire des travaux dedans. Et le week-end, pendant quelques années, on y allait tous les week-ends faire des travaux dedans. pour en faire un pavillon de banlieue un peu plus cossu, un peu plus spacieux. Et donc, il a été prêt pour qu'on emménage dedans entre la troisième, l'été entre ma troisième et ma seconde. Ce qui était nickel parce que stratégie scolaire, j'avais le dossier d'une collégienne parisienne intramuros. Donc, j'ai demandé un lycée hors secteur, mais dans Paris. Donc, tu vois, je suis allée au lycée dans le 13e, à

  • Speaker #1

    Claude Monet.

  • Speaker #0

    plutôt bien classé, etc. Mes parents étaient très contents, ils étaient très rassurés. Et c'est marrant parce que ma sœur, elle a commencé sa sixième cette année-là, ils l'ont tout de suite mis dans le privé à côté de la maison, au crème l'imbicêtre qui est collé avec. Je suis passée de l'un à l'autre parce que j'étais mineure et que je vivais avec mes parents, que je n'avais pas le choix. Puis comment je l'ai vécu, par contre, c'est peut-être la question sous-jacente. D'un côté, très bien. Parce que j'ai très mal vécu mes années collège dans le 16e, à coup de remarques et de vannes quotidiennes sur mes origines portugaises, sur le fait que... Donc des blagues dans tous les sens sur les poils, le ménage...

  • Speaker #1

    Oui, tous les stéréotypes en fait.

  • Speaker #0

    Le chantier. Et blague qui n'était compréhensible que dans le 16e, c'est t'habites à quel étage ?

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #0

    Parce que si tu es enfant de gardienne... Si t'es portugais, il y a 99% de chances que tu sois enfant de gardienne, donc t'habiterais de chaussée. Donc les vannes quotidiennes. J'étais très contente de partir de là parce que j'avais conscience que j'allais aller dans un milieu où je ne serais plus dans une minorité défavorisée. Les gamins de 13-14 ans, en fait, ils ont déjà bien conscience que toi, ta mère, elle est femme de ménage, ton père, il est ouvrier dans le bâtiment et eux, leurs parents, ils sont avocats et médecins. J'étais vraiment consciente. que j'allais quitter cette condition d'infériorité. Et en même temps, j'avais passé quasiment toute ma vie dans le 16e. Et là, je débarque dans un autre monde. Et pour dire les choses de façon extrêmement cash, pour la première fois de ma vie, j'ai pris le métro avec une majorité de non-blancs, des Noirs, des Arabes, des Indiens. Et en fait, quand tu es une gamine de 15 ans qui a connu que... Un quartier où les trottoirs sont larges, sont propres, des bâtiments haussmanniens, jolis, cossus, propres, il n'y a pas de bruit dans la rue, il n'y a pas de personnes qui traînent le soir, etc. Tu vas dans un autre monde. Moi, j'étais très déstabilisée. Et en même temps, j'entendais parfois parler portugais dans la rue. Il y avait des magasins portugais, un magasin d'alimentation portugais juste en bas.

  • Speaker #1

    Tu étais plus à ta place, en tout cas une place plus sympa. Mais ça restait l'inconnu. Ça restait l'inconnu. Ça me rappelle, on parlait de gentrification, dans tous ces quartiers historiquement populaires, et puis dans les classes moyennes, voire supérieures, s'installent de plus en plus, parce que c'est à côté de Paris, et donc un petit peu moins cher. C'est des réflexions que je me fais souvent. Moi, j'habite à Montreuil, donc banlieue proche aussi. Et j'y suis depuis huit ans après avoir vécu toute ma vie parisienne. C'est passé à Paris, Intramuros, y compris Rive-Gauche et Marais. Régulièrement, je me fais cette réflexion. Je me dis, je suis contente que mes enfants vivent dans une ville où il y a des gens qui leur ressemblent. Et en même temps, quand je vais à Vincennes, qui est juste à côté, c'est vrai que les trottoirs sont quand même plus nets. J'hocie entre les deux. En tout cas, ça me faisait penser à ça. Ce que tu décris là, les deux décalages que tu décris, suis dans le 16e d'être la fille de la concierge et suis arrivée à Villejuif, est-ce que c'est des sujets dont vous parliez avec tes parents ?

  • Speaker #0

    Ils avaient fortement conscience de ce que je vivais, ce qui leur faisait beaucoup de peine évidemment. Mon père, oui, c'était vraiment ce discours de fais-toi une carapace, fais en sorte que ça te glisse dessus, on s'en fout d'eux, ils sont jaloux. Et ma mère, je la sentais plus affectée. Après, ma mère, elle bossait dans le 16e aussi. Mon père, il quittait le 16e tous les matins. C'était le 16e dortoir pour lui. Les immigrés portugais en France sont vus comme les bons immigrés. On est blanc, on est européen, on est catho.

  • Speaker #1

    Chrétien, c'est clair.

  • Speaker #0

    Travailleurs, discrets, sérieux, de confiance. Il y a quand même une condescendance. Il y a quand même... notamment quand tu vis dans les beaux quartiers encore plus et donc ma mère elle le vivait au quotidien en tant que femme de ménage et concierge d'immeuble et je pense qu'elle était tiraillée entre le merde j'ai choisi ce quartier parce qu'il y avait une vraie stratégie dans la sélection de ce quartier mes enfants sont dans des bonnes écoles dans un environnement safe je suis pas inquiète quand elles sortent et le, il y a un prix à payer comme tu dis très bien qui est il faut qu'elle elle est confronté dès son plus jeune âge aux inégalités sociales, aux mépris de classe.

  • Speaker #1

    Je pense à Graphie, un épisode avant l'été, et qui disait en fait chaque génération cherche un type différent de sécurité. Donc ses parents ont fui le Sri Lanka parce qu'ils cherchaient de la sécurité physique, en fait ne pas se faire tuer tout simplement, pendant la guerre civile. Puis pour leurs enfants ils voulaient une sécurité financière, donc il fallait être premier ou première de la classe pour faire de bonnes études. Et elle dit, et puis là, nous, notre génération, on a tout ça et maintenant, on cherche un épanouissement. C'est-à-dire que oui, j'ai le diplôme, j'ai fait les bonnes études, mais est-ce que je suis heureux ou heureuse dans ma vie ? Ce sont des questions que nos parents ne se posaient absolument pas.

  • Speaker #0

    Et c'est très juste. Et ça me fait penser, c'est marrant, mon mémoire de master en sociaux à Sciences Po. Je suis en train de réfléchir à ton montage, ça va partir de tous les sens.

  • Speaker #1

    Excuse-toi auprès de Simon, c'est Simon qui fait le montage.

  • Speaker #0

    Excuse-moi Simon, j'en suis vraiment navrée. Donne-moi ton adresse, je t'envoie des chocolats. Et du coup... J'ai, pour mon mémoire de fin d'études, interviewé une quinzaine de familles portugaises. Et tu avais ceux qui te disaient, pour nous, la réussite, c'est l'indépendance matérielle et financière. Et dans ces familles-là, en général, les enfants avaient plutôt fait des études courtes, mais des études qui leur permettaient de rentrer très tôt sur le marché du travail, avec des métiers manuels, plombier, électricien, etc. Mais qui étaient plutôt bien payés. et qui leur permettaient très jeunes de s'acheter une maison, un appart, une voiture, etc. Versus ceux qui te disaient, pour moi, la réussite, c'est être respecté, avoir un statut et ne pas être regardé de haut, être intégré. Et ces familles-là, les enfants ont plutôt fait des études longues. Longues,

  • Speaker #1

    ben oui. C'était quoi le projet de rentrer à Sciences Po pour faire un master de recherche en sociologie ?

  • Speaker #0

    Attends, je t'ai dit que ma mère voulait que je devienne Claire Chazal. Moi, gamine, je connais rien aux études. Ayant grandi dans le 16e, on m'avait quand même parlé. Je savais ce que c'était qu'une prépa. Contrairement à certains cousins, cousines à bras qui ont grandi plutôt en banlieue, qui n'avaient jamais entendu parler de prépa alors qu'ils étaient en tête de classe. Au moment de choisir mon orientation, je vais voir des cousins, cousines plus âgés que moi. J'en ai deux, trois qui ont fait des études longues. Et donc là, à l'une d'elles, je dis je veux être journaliste. Elle me dit il faut que tu fasses Sciences Po. Ok, très bien. Et assez rapidement, je me rends compte que je n'ai pas envie d'être journaliste. Et donc, et très vite en fait à Sciences Po, j'ai des cours de sociologie, j'ai des cours de relations internationales. Ma troisième année, je pars aux Etats-Unis. Et là, j'ai des cours sur le mouvement des droits civiques, sur l'immigration dans la littérature. Donc en fait, très vite, je plonge sur les thématiques qui m'animent encore aujourd'hui autour de la diversité et de l'inclusion, de l'égalité des chances ou de l'inégalité des chances, et qui résonnaient évidemment très fort en moi au vu de mon parcours. Et c'est pour ça, c'est pendant cette année aux Etats-Unis que j'ai décidé, quand je reviendrai pour le master en France, de faire de la socio. Et je savais que tout ce qui était autour de l'éducation et de l'immigration, ça m'intéressait bien.

  • Speaker #1

    Ce dont j'ai l'impression, c'est que... C'est les cours, en fait. C'est les cours. Il y a la découverte de la socio en cours qui t'a passionnée. Et après seulement, tu as fait des liens un peu avec ton propre vécu éventuellement. Mais ça donne l'impression que c'est d'abord une curiosité intellectuelle.

  • Speaker #0

    En fait, c'est marrant. Je viens de réaliser que j'ai été attirée par ces cours parce que j'avais quand même un intérêt sur ces thématiques par rapport à ma propre histoire. Mais je pense que ce qui m'a décidée derrière, c'est parce qu'il y avait des profs à Sciences Po qui en faisaient des cours.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et là, j'arrive à Sciences Po, et il y a des cours qui parlent d'immigration, qui parlent d'inégalité.

  • Speaker #1

    Ça peut être une matière d'études, un truc...

  • Speaker #0

    C'est un truc légitime. Il y a des grands chercheurs et des grandes chercheuses qui publient des trucs là-dessus. Et donc là, je pense que je prends conscience de ça à ce moment-là. Tu vois ? Et que mon parcours, c'est pas juste un parcours de vie individuelle, mais c'est un truc où il y a... plein d'autres gens qui, de plein d'autres façons, ont vécu des trucs similaires.

  • Speaker #1

    Et que du coup, ça devient un truc collectif, systémique, étudiable.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et après, pendant mes études, j'ai pris conscience de plein de choses aussi. Par exemple, anecdote, je vais aux Etats-Unis, je rencontre... Donc je vais dans une fac qui est très à gauche. L'année de la première élection d'Obama,

  • Speaker #1

    2008.

  • Speaker #0

    C'était incroyable. Je pense que j'ai eu un éveil politique à ce moment-là, puisque moi, tu sais, je suis enfant d'immigrés qui sont très discrets,

  • Speaker #1

    qui n'ont pas de vagues.

  • Speaker #0

    Donc pas de politisation. Je rencontre une nana sri-lankaise qui a un nom de famille qui est Almeida. Qui a un nom de famille portugais. Et donc je lui dis, de façon très naïve, autour d'une bière, je pense, je dis, ah c'est marrant, t'as un nom portugais, c'est drôle. Et là, elle se renferme et elle me regarde. très durement, elle me dit de façon assez cash, elle me dit tu crois que c'est drôle d'avoir un nom qui vient du colonisateur qui est lié à mon histoire coloniale à ce moment là, face à elle j'étais la blanche dominante, ignorante de son histoire puisque je savais que le Portugal avait envahi l'Angola, le Mozambique, le Cap-Vert mais le Sri Lanka, le Frépac tout ça pour dire que c'est des moments aussi dans l'histoire dans mon histoire à moi où mon histoire Elle a fait le lien avec la grande histoire, tu vois.

  • Speaker #1

    Comment ça se passe à ce moment où tu as coché des cases de tes parents ? C'est-à-dire que tu as fait de grandes études, tu es à Sciences Po, et tu commences à t'orienter, comme tu dis, à te politiser petit à petit, et à t'orienter vers des trucs où tu vas faire des masters en sociaux.

  • Speaker #0

    Ils ne se rendaient pas compte, tu dis que tu vas faire un master en sociaux, à partir du moment où tu vas avoir un diplôme de Sciences Po, ça leur va très bien. Par contre, le fait de suivre ces cours, de me politiser un peu, je suis revenue en France.

  • Speaker #1

    Tu voyais plus le monde de la même manière.

  • Speaker #0

    J'étais très différente. Je disais quand je n'étais pas d'accord. Je râlais, je gueulais contre les classes dominantes et compagnie. Et donc là, mes parents, ils ont été très perturbés.

  • Speaker #1

    Oui, tu as changé la physionomie des repas dominicaux.

  • Speaker #0

    C'est ça. En fait, aux États-Unis, j'ai rencontré des gens qui se permettaient de dire ce qui ne leur allait pas, d'exprimer à voix haute la source de leur colère. Et ils ne se posaient pas la question de s'ils avaient le droit de le dire ou pas. Ils le disaient. J'ai rencontré des personnes qui se battaient pour la cause de la Palestine. J'ai rencontré des personnes noires, latinas, etc., latinos, qui parlaient de racisme, etc. Et en fait, écouter eux, leurs histoires et leurs combats a fait ressortir des trucs que j'avais vus. ressenti, qui m'avait fait ressentir de la colère ou de la tristesse, mais que j'avais jamais dit à voix haute quoi. Et surtout que mes parents n'avaient jamais exprimé. Avant de partir aux États-Unis, j'étais encore dans le modèle du bon petit portugais qui se tait, et en revenant je dis bah non mais en fait si ça va pas faut le dire quoi. Le sapin de Noël quand on habitait dans le 16e, on n'avait pas la place d'avoir un sapin de Noël dans la loge. Donc En fait, on mettait un grand sapin de Noël dans le hall de l'immeuble, ce qui servait de décoration aussi. Tous les gens de l'immeuble en profitaient. Et c'était ma maman qui achetait le sapin, et c'était ma maman qui achetait les décorations. quasiment tous les jours, on se rendait compte qu'il manquait des décorations. Un jour, ma mère me dit, j'ai vu Madame Machin, sa gamine avait dit, je trouve ça joli, et elle lui avait dit, vas-y, prends. Il y a des souvenirs comme ça un peu flash, de dire à ma mère, mais tu devrais lui dire, ou tu devrais juste mettre une affiche, si tu ne veux pas cibler quelqu'un, une affiche en disant, pour information, le sapin et les décorations sont la propriété de la famille d'Acrouse. Et elle me dit Mais je peux pas faire ça, t'es folle ! Par exemple, je t'ai dit que ma mère était femme de ménage dans une famille et l'un des enfants de cette famille était mon camarade de classe. À un moment donné, j'ai été invitée à participer au concours général. Et les meilleurs élèves, vraiment, de France, en gros, sont invitées à participer à ce truc-là. Ma mère le raconte à sa patronne, très fière.

  • Speaker #1

    Bah oui, comme une maman, quoi.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que quand t'es femme de ménage dans une famille et que ça se passe bien, tu papotes et tu parles de tes trucs perso. Avant que ma mère raconte ça, cette famille ne faisait que la couvrir des loges. A partir de ce jour-là, il y avait toujours un truc qui n'allait pas. Il y avait des tâches qui n'avaient pas bien été réalisées, de la saleté qui restait. Elle n'avait pas assez repassé de chemise dans le temps imparti, que sais-je. Du jour au lendemain. Et ça, elle me l'a raconté. Elle était très en colère, très triste, mais elle n'a jamais rien dit.

  • Speaker #1

    C'est hyper intéressant, cette question de la colère et de la légitimité de la colère. Il y a des catégories de populations qui sont plus légitimes à s'énerver que d'autres. Quand tu es une personne ou quand vous êtes une communauté de personnes noires, de personnes latino, de personnes immigrées, de personnes étrangères, de personnes femmes de ménage, etc., quels sont les espaces dans lesquels vous pouvez exprimer votre colère et être prise au sérieux ? Et comme cette colère n'est jamais légitime, elle n'est jamais suffisamment justifiée et qu'elle n'est pas écoutée, qu'est-ce qu'on fait ? On ne l'exprime pas. La question de la santé mentale, une génération qui... C'est dit, on ne va pas faire de vagues et c'est comme ça que nos enfants vont avoir de la place. Et puis en fait, les enfants ont potentiellement eu cette place-là. Pour autant, il y a quand même de la colère. Alors, est-ce qu'on l'exprime ou pas ? Qu'est-ce qu'on a à perdre à l'exprimer ? Ça ouvre des questions extrêmement intéressantes.

  • Speaker #0

    Et puis, ça ouvre aussi des questions sur le collectif et comment le collectif est indispensable pour pouvoir exprimer cette colère. Et quand tu es femme de ménage, tu es toute seule dans la famille qui t'emploie. Quand tu es concierge d'immeuble, oui, il y a d'autres concierges dans la rue et tu papotes. Mais il n'y a pas de syndicat des concierges d'immeubles.

  • Speaker #1

    Exactement. Donc tu peux avoir des espaces d'expression au sens de ce qu'on appellerait aujourd'hui des safe space en français, mais tu peux avoir du soutien d'une communauté. Ça n'est pas un mouvement organisé. On n'est pas encore dans l'organisation, l'autostructuration pour aller défendre des choses, combattre ou ne serait-ce que dénoncer.

  • Speaker #0

    Ça, ma mère, elle l'a tellement intériorisé. Mon père aussi. Mais si tu allumes le journal et que tu vois des gilets jaunes, des gens qui manifestent, des gens qui font grève... des émeutes dans les quartiers, etc. Le premier réflexe que mes parents vont avoir, c'est Qu'est-ce qu'ils font chier ? Il faudrait juste qu'ils aillent travailler et puis ils arrêtent d'embêter leur monde. Parce que pour eux, s'exprimer et se révolter, c'est pas être du bon côté.

  • Speaker #1

    Je vous conseille, je te conseille si tu le connais pas, de regarder ce que fait Bissai Media. Bissai, ça s'écrit B-I-S-S-A-I. Et donc il y a un média qui a vraiment pour volonté de porter ces voix-là, donc plutôt les voix des nouvelles générations, mais qui racontent finalement l'histoire de leurs parents et de leurs grands-parents, histoire qui n'ont jamais été racontées, parce que surtout il fallait les taire pour ne pas faire de vagues. Et je trouve hyper intéressant cet aspect générationnel et qui provoque beaucoup d'incompréhension dans les familles et dans les communautés, parce que le silence nous a permis de survivre, et toi du jour au lendemain tu arrives et tu dis on va briser le silence et c'est pas bien, mais qui es-tu donc, espèce d'ingrat ?

  • Speaker #0

    Quand les parents veulent que leurs enfants... appartiennent au pays où ils ont émigré, qu'ils aient un bon statut, etc., avoir une voix, ça va avec. Sauf que derrière, quand ils l'utilisent, ils veulent que ta voix compte. Ils veulent que t'aies une voix qui soit légitime.

  • Speaker #1

    Mais c'est pas une voix politisée. On vous aime, les parents. On ne sait pas assez, mais on vous aime. C'est dur, c'est dur. Vraiment, un gros cœur sur vous. On est arrivés ici parce que je te demandais ce qui t'avait frappé dans les résultats de ton mémoire. On a fait une pause pour boire de l'eau et on est parti sur autre chose.

  • Speaker #0

    Premier renseignement, je t'en ai déjà parlé, c'était les familles qui choisissaient les études courtes, c'était plutôt les familles qui valorisaient la réussite matérielle, financière, l'indépendance, l'autonomie, versus les familles où il y a eu des études longues, c'est plutôt des familles où on valorisait le côté statut, respect, une place dans la société. Ce qui aussi différencie énormément ces deux typologies de familles, c'était la géographie. Les familles où les enfants ont fait des études longues, c'était soit des familles qui habitaient dans les beaux quartiers, notamment parce que maman est en concierge, soit des familles qui n'habitaient pas forcément dans les beaux quartiers, mais la mère allait. Dans les beaux quartiers travaillés.

  • Speaker #1

    Et donc voyaient un peu...

  • Speaker #0

    Elles voyaient et elles avaient accès à de l'information, puisque comme je le disais tout à l'heure, les femmes de ménage, elles parlent beaucoup avec leurs employeurs. Et donc, au moment de l'orientation, c'est des familles, et notamment des femmes, des mères, qui se sont dit, j'y connais rien, mais moi j'ai des patrons et des patronnes qui peuvent être une source d'information pour moi. Bien sûr. Et donc... qui ont découvert l'existence des centres d'orientation, des bouquins de l'ONICEP ou de l'étudiant, à travers leur patron-patronne. Et qui faisaient lire leurs enfants aussi. C'est un truc vachement fort. Plusieurs mamans qui m'avaient dit, moi, mon gamin, même si moi je lisais pas, mon gamin, je lui offrais des livres, je voulais qu'il lise. Versus les familles où les enfants avaient fait des études très courtes. C'était, dans la majorité des cas, des familles où les parents disaient, Je ne suis pas intervenue dans le process d'orientation de mon enfant parce que je n'ai pas fait d'études,

  • Speaker #1

    encore moins en France.

  • Speaker #0

    Et je n'en sais rien. Donc, ils ont choisi tout seuls avec leurs copains, leurs frères et sœurs, leurs profs. C'est ça l'autre enseignement. Et ça, c'était, pour faire le lien, c'était plutôt géographiquement dans des quartiers plus populaires.

  • Speaker #1

    Tu aurais pu continuer tes travaux de recherche. Tu t'es dit non, mais je vais aller voir dans la vraie vie comment ça se passe ce truc-là. Et peut-être... tenté d'avoir un impact, une influence là-dessus. Donc, une de tes cousines dit qu'il y a une fonction qui est en train d'éclore en entreprise. Donc, on est en 2011. Et ça s'appelle diversité. Tu fais effectivement un master 2 en RH, en alternance dans une entreprise dans laquelle tu vas rester après sur un poste RH au départ. Puis, au bout de 4-5 ans, il y a un poste diversité, justement, qui se crée. Et là, tu dis, mais c'est pour moi ! Il n'attend que moi, ce poste. Donc, tu l'obtiens. Et tu vas y rester quasiment 4 ans dans ce poste-là, diversité. En quoi a consisté ton boulot pendant 4 ans ? Là, on est en 2015.

  • Speaker #0

    Je bossais chez Bouygues Construction, grand groupe de BTP. J'avais à la fois le pilotage de la politique diversité-inclusion, puisque grand groupe, international, plein de filiales dans tous les sens. Ils avaient formalisé quand même quelques grands objectifs. Il y avait un comité diversité, un comité handicap. Je pilotais un peu tout ça. L'idée, c'était de... Faire en sorte qu'on atteigne nos objectifs et qu'on en crée de nouveaux. Mettre en place des actions. Ça allait être, de façon hyper concrète, mettre en place un programme de mentoring pour des femmes dans l'entreprise pour faire en sorte qu'à un moment critique de la carrière, où il y avait beaucoup de femmes qui partaient, elles restent dans l'entreprise. Organiser des visites pour des jeunes de quartier dans nos bureaux, qui étaient des... Donc le siège de boue de construction, c'était des grands bureaux assez prestigieux, assez impressionnants. Et donc on faisait venir des jeunes de quartier pour leur montrer, oui c'est possible. Et on faisait témoigner des collaborateurs et collaboratrices qui eux-mêmes étaient issus des mêmes quartiers pour leur dire, regardez, moi maintenant je fais ça comme métier, pour vous c'est possible aussi. Je créais ou je refondais des formations et après je les animais ou je les co-animais. Voilà, je faisais plein de choses. Mon quotidien n'était pas du tout ennuyeux. Et donc, je bossais beaucoup sur le sujet du handicap, sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes, un peu sur le sujet des parcours et des diplômes, diversité des parcours et des diplômes, et un peu sur la diversité des origines et l'insertion de publics en difficulté.

  • Speaker #1

    OK. J'espère que c'est plus clair pour les personnes qui nous écoutent. La diversité, c'est le fait d'être différent au sein d'un collectif qui n'est pas que des gens qui se ressemblent tous, pas que des personnes blanches, pas que des gens qui ont tous fait le même parcours. scolaire, académique, etc. Et l'inclusion, c'est une fois qu'on a fait rentrer ces personnes qui sont un peu différentes et qu'on a un effectif divers, comment est-ce qu'on fait pour que les personnes qui ne sont pas dans le schéma dominant, dans la norme, se sentent elles aussi à leur place en fait ?

  • Speaker #0

    Comment on fait un collectif avec toutes ces disciplines ? Comment on fait que chacun soit bien dans ses baskets ? Donne le meilleur de soi-même ?

  • Speaker #1

    Alors au bout de 4 ans, pour plein de raisons, Tu décides d'abord de changer de fonction, puis finalement de quitter le groupe et même de quitter le salariat. Allez, soyons folles. Avant qu'on parle de ça, il se trouve donc que pendant les études à Sciences Po, tu l'as dit, tu es allée étudier aux États-Unis pendant un an. Oui. Ce qui a eu deux grandes conséquences, enfin mille conséquences j'imagine, mais sur notre sujet du jour, deux grandes en tout cas que moi j'ai identifiées. La première, c'est donc ces cours sur plein de sujets sociétaux. Légitimité aussi de la colère que tu découvrais. Et un deuxième impact plus personnel qui est que ça t'a rapproché de ta famille américaine, car oui, tu avais plein de cousins et de cousines aux États-Unis. Et alors, j'aimerais que tu nous parles de ces cousins de culture américaine, parce que tu m'as dit...

  • Speaker #0

    En fait, c'est hallucinant de voir comment juste le fait que nos deux papas, donc les deux frères, aient choisi et quitté le Portugal, l'un pour aller en France et l'autre pour aller aux Etats-Unis, c'est hallucinant de voir à quel point ça fait de nous aujourd'hui des cousins, cousines, qui sommes sur des planètes différentes.

  • Speaker #1

    Absolument. Donc l'histoire, c'est que mon père a six frères et soeurs. Le plus jeune d'entre eux est marié avec une dame du village portugaise. Et toute la famille de cette dame, tout le monde a émigré aux Etats-Unis. Donc mon oncle, bam, il est parti émigrer aux Etats-Unis. C'était le seul de tous les frères et sœurs à vivre aux Etats-Unis parce que tout le monde avait émigré en France sinon. Tout ça fait que ce tonton est parti aux Etats-Unis avec sa femme. Il a eu deux enfants là-bas, il se met deux cousins germains qui habitent dans le Connecticut à Bridgeport.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Et en fait, lorsque je pars aux Etats-Unis, je les connaissais un petit peu du mois d'août, des vacances au mois d'août. Mais je... ne soupçonner rien de leur vie quotidienne aux Etats-Unis.

  • Speaker #0

    Oui, toi, tu les connaissais des mois passés au Portugal, en fait, au mois d'août, quand toute la famille se réunit.

  • Speaker #1

    Et là, je me retrouve plongée dans leur vie. Déjà, je découvre leur ville, leur quartier. Mon oncle et ma tante parlent très, très mal anglais, alors qu'ils sont aux Etats-Unis depuis aussi longtemps que mes parents sont en France. Pourquoi ? Parce qu'ils vivent entre Portugais, dans leur quartier, en fait, dans leur rue. Il y a le drapeau américain devant les maisons, mais il y a aussi le drapeau du Portugal. Et parfois, il y a un troisième drapeau qui est celui de Porto, du Sporting ou de Benfica, qui est donc l'un des trois grands clubs de foot.

  • Speaker #0

    Le club de foot portugais, d'accord.

  • Speaker #1

    Mais donc, leur quartier, il y a une énorme majorité de Portugais. Ils font leurs courses dans des commerces portugais. Ils vont, comme nous, à l'église portugaise. Ils ont la télé allumée en portugais. Ils ne parlent entre eux qu'en portugais. Mes cousins. qui sont nés là-bas, ont grandi avec quasiment que des potes portugais et latinos, puisque là-bas, la communauté portugaise et latina, notamment brésilienne, tu vois, avec la langue, etc., se mélangent. Et lorsque je suis arrivée là-bas, donc t'imagines, moi, je venais de traverser l'Atlantique, j'avais 19 ans, je leur dis, et sinon, on va aller à New York.

  • Speaker #0

    Ils ont jamais mis les pieds.

  • Speaker #1

    Et ils ont jamais mis les pieds à New York. Alors qu'ils sont à une heure de train de banlieue de New York. Et là, c'est comme si tu me disais... En fait, à Postéry, je pense que ça existe. Mais quelqu'un qui habite à Marne-la-Vallée ou à Meaux, qui n'a jamais mis les pieds dans Paris et qui n'a jamais vu la Tour Eiffel, c'est sûr que ça existe. Mais moi, ça me paraissait fou. Et ça ne leur manque pas, ils sont très heureux. Il n'y a pas de jugement de valeur dans ce que je raconte. Mais finalement, moi, j'ai été élevée dans un projet d'ascension sociale. de m'intégrer à la France, d'être française. Et d'ailleurs, on a eu cette conversation avec l'un de ses cousins-là, cet été, en vacances. Parce que je pense que lui aussi, ça le fait cogiter. Il m'a demandé, Claudia, est-ce que tu te sens plus française ou portugaise ? Et là, je lui ai dit, écoute, je suis incapable de choisir entre les deux. Par contre, si vraiment tu dois me demander c'est quoi mon pays, c'est la France. Je suis née là, j'ai grandi là, je fais toute ma vie là quasiment. Et là, il me regarde et me dit Mais tu vois, ça c'est fou pour moi, parce que moi et mon frère et toute notre communauté, on a été élevés en étant portugais avant tout. Et ça te montre bien en fait comment le modèle d'intégration de l'immigration entre la France et les Etats-Unis est extrêmement différent. Parce qu'en France, si tu veux t'intégrer... Tu te fonds dans la masse et tu enlèves ta singularité. Aux Etats-Unis, si tu veux t'intégrer, tu rentres dans une communauté. Et le mot communauté aux Etats-Unis n'est absolument pas négatif. Alors qu'en France, il est vu comme tu rentres dans une communauté, donc tu t'isoles, tu ne veux pas faire l'effort, tu te sépares de la République, etc. Et donc, ça fait qu'on a un rapport à nos origines, à notre identité et au pays dans lequel on vit qui n'a rien à voir. Il a fait des études, il est allé à la fac. Mais il est allé à la fac à côté de chez lui. D'ailleurs, il avait eu, parce qu'il était très, très bon en foot, l'opportunité d'avoir une bourse pour aller dans une fac prestigieuse un peu plus loin. Et il n'a pas voulu partir parce qu'il y a sa communauté qui est là. Il est ancré là. Alors que moi, j'aurais eu l'opportunité de faire une grande école dans une autre ville. Je n'aurais pas été prise à Paris. Je serais allée vivre à Bordeaux. Ça fait partie du... C'est le deal, quoi, tu vois. Donc, ouais, c'est... Effectivement, ce que je t'avais raconté... Quand on avait eu cette première discussion, c'était deuxième, il y a eu un truc différent dans le parcours de nos papas. Ils sont nés à deux ans d'écart, dans la même maison en pierre, dans le même village du fin fond de la campagne portugaise.

  • Speaker #0

    Et dans la même famille où tout le monde allait en France.

  • Speaker #1

    Voilà. Il y a un petit virage qui a été pris par mon oncle qui est allé aux Etats-Unis plutôt qu'en France. Et aujourd'hui, on se retrouve avec des vies qui n'ont rien à voir et derrière, des convictions politiques qui sont très différentes. Un lien à l'identité, à la langue, à la culture, à l'appartenance qui n'a rien à voir. C'est fou.

  • Speaker #0

    C'est fou, effectivement. Et ça tient à peu de choses. Les trajectoires de vie tiennent à peu de choses. J'aimerais qu'on parle de traits d'union. Parmi les cours que tu as pris aux États-Unis, tu as pris un cours sur l'immigration dans la littérature américaine. Tu découvres l'écrivain Junot Diaz. Oui. Je le prononce donc à la française. Mais il faut savoir que Junot s'écrit J-U-N-O-T et Diaz. Diaz, je ne sais pas. D-I-A-Z. Voilà. Donc, écrivain américain d'origine dominicaine qui écrit beaucoup sur la condition d'immigrer et qui utilise notamment cette notion de, si vous le cherchez sur Google, on retrouve beaucoup ce terme de living on the hyphen qui littéralement signifie vivre sur le trait d'union Et en fait, c'est une notion, ce n'est pas lui qui l'a inventée, c'est une notion qu'il a empruntée à Ilan Stavans, qui est un écrivain américain aussi d'origine juive mexicaine. plein de traits d'union. Et donc, il est souvent présenté comme le roi du Spanglish, c'est-à-dire que dans ses bouquins et dans sa propre expression, il utilise beaucoup le Spanglish, qui est donc pas juste une juxtaposition de termes espagnols et de termes anglais, enfin américains, mais qui est vraiment comment les deux fusionnent, à la fois dans les termes, mais même dans les structures de phrases, dans la grammaire, dans la syntaxe, etc. Est-ce que toi, tu te rappelles comment tu as connu et comment tu as compris aussi, à l'époque ? cette histoire de trait d'union. Living on the hyphen.

  • Speaker #1

    Donc je suis dans ce cours de littérature et pendant la discussion, quelqu'un, soit le prof, soit nous tous ensemble, les élèves en se parlant, on met vraiment le doigt sur ce trait d'union. Donc aux Etats-Unis, il y a beaucoup le Dominican American, African American, etc.

  • Speaker #0

    Asian American.

  • Speaker #1

    Et donc... Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese-French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Et en fait, on a expliqué que ce trait d'union, lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité. qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Et ça m'a foutu une claque, ce cours, parce que ça venait mettre un mot et matérialiser ce que depuis toujours j'avais en intuition. Et je me disais, moi je ne suis pas française comme les autres Français, je ne suis pas portugaise comme ceux qui ne sont jamais partis. Je suis ce troisième truc où on a nos codes, on a nos private jokes, tu vois. Entre enfants d'immigrés portugais, tu fais tes blagues que personne d'autre comprend. Et donc le fait de dire, bah oui, il y a une troisième entité, une troisième réalité, elle est là, elle est vraie, elle est légitime, elle n'est pas juste dans ta tête. Elle est partagée par plein de gens.

  • Speaker #0

    Super intéressant, ça me fait penser à un épisode de Joli Bazar avec Marion. Alors je crois que c'est le 34, mais je ne me retiens pas des numéros d'épisode. donc Marion a une maman juive et très engagée dans la communauté juive avec des parents d'un côté qui sont tous morts pendant la Shoah et puis Séfarad de l'autre qu'on faisait la fête tout le temps et puis ça c'est la maman de Marion et puis son papa est catholique d'une famille catho assez tradie autant dire que l'union entre les deux n'a pas été très bien vécue et donc Marion raconte plein de choses hyper intéressantes. Elle dit à un moment, j'ai tellement fréquenté la frontière qu'à un moment, je l'habitais et c'était ça chez moi. Cette définition de la frontière, pas seulement en tant que trait entre deux trucs, mais en tant que lieu en soi. Crée ta boîte qui s'appelle Hyphen Up. Tu reprends ce hyphen qui signifie trait d'union. Je me demandais, on a parlé de ta politisation progressive quand tu es allée aux Etats-Unis, là de... la prise de conscience, mais à la fois individuelle et effectivement collective, politique, de ce trait d'union, en fait, et donc de toutes ces questions d'identité, qui suis-je, etc. Qu'en pensent tes parents ?

  • Speaker #1

    C'est très loin d'eux. Eux, ils ont finalement eu un mode de vie assez individualiste, où tu travailles, tu fais ton argent, t'achètes ta maison, t'achètes ta voiture, tu fais tes vacances au Portugal le mois d'août. Et puis, finalement, il y a moins le sens du collectif, et donc d'enjeux. de cohésion, de collaboration, de bien vivre ensemble. Eux, ils font leur truc un peu dans leur coin et ils ne se prennent pas trop la tête. C'est pour ça, je pense, qu'ils ne comprennent pas trop les enjeux derrière en entreprise. Et très clairement, je suis à peu près sûre que si mes parents, un jour, je les avais dans un atelier de sensibilisation, ils feraient partie des gens chiants qui me diraient Franchement, ça va trop loin, c'est extrémiste, on ne peut plus rien dire aujourd'hui, il ne faut pas être trop sensible sur tout, vous êtes trop susceptibles. Et puis, il faut avoir en tête aussi un truc hyper important, dont j'aurais pu parler depuis le début de l'entretien, c'est que mes parents ont été élevés dans une... dans un petit village au nord du Portugal, au fond de la campagne. Quand ils sont nés, le pays était un pays colonisateur encore. C'était le dernier pays à décoloniser le Portugal. Donc ils ont été élevés, les quelques années d'école qu'ils ont fait, on leur a dit, en gros, l'Africain doit être civilisé par l'Européen blanc. où ils n'ont jamais vu de Noirs ou d'Arabes ou d'Asiatiques de leur vie avant d'être arrivés. Exception fait que ma mère avait sa prof qui était métisse, parce qu'elle venait d'Angola et que son père blanc l'avait ramenée. Mais comme c'était la prof, elle n'était pas Noire. Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'était pas une vraie Noire, c'était la prof.

  • Speaker #0

    Complètement.

  • Speaker #1

    Le poids. Donc en fait, moi j'ai été élevée dans une famille où... Le discours banal, c'était les Noirs et les Arabes, c'est des racailles. L'homosexualité, c'est une déviance, c'est une maladie, c'est un vice. Les Juifs et les musulmans, ils ne sont pas dans le vrai et c'est nous qui sommes dans le vrai. J'ai quand même une éducation pas du tout ouverte. Donc, de toute façon, au-delà du fait que mes parents ne comprennent rien au monde de l'entreprise, en tout cas pas grand-chose... Sur le fond des sujets, moi, je me suis vachement détachée d'eux. Et si j'essayais de les convaincre ou d'avoir des grands débats de fond là-dessus, ça partirait en clash. Finalement, aujourd'hui, ils savent que je fais des formations, que je fais des conférences, qu'il y a des grands groupes qui m'appellent, que je fais des conférences devant 600 personnes d'un coup. Ils sont trop fiers. Le reste,

  • Speaker #0

    non, c'est compliqué.

  • Speaker #1

    C'est très compliqué. parents qui sont finalement dans leurs conditions ultra privilégiées Parce qu'ils sont arrivés en France, ils avaient plein de frères et sœurs plus vieux qui leur ont trouvé un job. Ils avaient un job avant d'arriver en France. Parce que très bien vu, blanc, gna gna gna. Pour eux, ils ne se rendent pas compte qu'un Noir ou un Arabe immigré comme eux, la même année, avec la même motivation, la même niaque pour réussir dans la vie, le même sérieux, etc.

  • Speaker #0

    La même qualité intrinsèque ne va pas réussir pareil que eux.

  • Speaker #1

    Et pour eux... c'est qu'ils ne sont pas assez travailleurs, c'est qu'ils sont flémards, c'est qu'ils veulent prendre les allocations.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant, parce qu'on parle des immigrés, tu sais, parfois comme du mâle homogène, mais en fait, effectivement, en fonction de la nationalité, de la couleur de peau, évidemment, de la religion, etc. Mais de comment la société te perçoit, en fait, il y a à l'intérieur de cette masse des immigrés, aussi encore des hiérarchies qui se jouent. sur le regard de la société, et il y a du racisme intra, évidemment. Il y a une xénophobie,

  • Speaker #1

    un racisme extrêmement violent. Ce que tu racontes, ça me fait penser à ma première élection. Première fois que je reçois au courrier l'enveloppe avec tous les programmes sur le tract du Front National. Il y avait un nom portugais. Et franchement, on me dit, mais comment c'est possible ?

  • Speaker #0

    Maintenant je comprends comment c'est possible.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont intériorisé le discours qui dit que eux c'est les bons immigrés qui respectent et qu'il y en a qui faudrait dégager parce qu'ils méritent pas autant qu'eux. Mais à l'époque ?

  • Speaker #0

    On est en train d'avoir cette discussion en septembre 2024. On a un nouveau Premier ministre depuis quelques heures. On a eu les JO, magnifique, incroyable, grosse fierté après avoir râlé évidemment. Mais on a aussi eu la crise politique qu'on sait, avec la montée historique des extrêmes droites en Europe, en France aussi. Et donc tout ce que ça a créé de crispations, de libération de la parole aussi, dans la rue, dans les entreprises. Et avec des entreprises d'ailleurs, nos clients, qui sont parfois, mais pas toujours quand même, très bavards là-dessus. Justement, quand on parlait de prendre la parole et de dire ça ne va pas et de s'engager de ça. Une question qui m'a beaucoup hantée, qui m'a paralysée au mois de juin, maintenant ça va un peu mieux, mais en tout cas qui continue à me travailler. Et que je te pose en tant que consoeur. Est-ce que notre métier sert à quelque chose ?

  • Speaker #1

    Oui, notre métier sert à quelque chose. Comme beaucoup de monde qui a les... qui partagent les convictions que toi et moi on partage sur l'égalité, sur la lutte contre les discriminations. Et ça, j'étais très choquée par ce qui s'est passé cet été, politiquement. Mais je me suis tout de suite dit, en fait, même si moi je ne suis pas encartée ou que ce soit, je ne suis pas quelqu'un qu'on va appeler militant ou quoi, en fait je me dis, mon travail en lui-même, c'est du militantisme déjà. Avoir des discussions, créer des espaces de dialogue entre des gens, pouvoir mettre des mots sur des espèces de frustrations où les gens dans leur coin ou entre eux au coin café rongent leurs freins en disant ouais de toute façon on peut plus rien dire aujourd'hui, regarde ça va trop loin, les questions de genre franchement n'importe quoi bah notre job c'est d'aller mettre des mots dessus, expliquer d'où ça vient, expliquer pourquoi, accueillir le malaise et l'inconfort face à tous ces trucs-là. Et donc, on a besoin de gens qui vont aller à l'avant des manifs, qui vont aller parler sur les plateaux télé, qui vont publier des trucs sur les réseaux sociaux hyper engagés, machin. Et on a besoin aussi d'un terrain qui vient travailler au quotidien, que ce soit le tissu associatif, machin. Et en toute humilité, je nous vois comme un de ces acteurs de terrain-là, tu vois. Donc ouais, on sert, non ? T'en penses quoi, toi ? On sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Non, mais oui, dans le fond, évidemment que je me lève en me disant que ça a du sens. Ça m'a beaucoup ébranlée, moi, cet été. Vraiment. Ça m'a beaucoup ébranlée. Et je me suis toujours dit que je me lève pour les... C'est ce que tu disais, pour les participants, participantes. Et pour les 4, 5, 15 personnes dans l'Assemblée qui vont se dire... Soit, comme tu disais, tiens, je n'avais pas vu ça comme ça. Ah, je comprends mieux.

  • Speaker #1

    Et des gens qui sont peut-être pour la première fois vus et entendus, ils se sentent vus et entendus.

  • Speaker #0

    Ça, tu crois aussi. On a des gens qui viennent nous voir à la fin. C'est juste que, tu vois, on a eu trois élections en un mois. Et ça m'a découragée. Ça m'a découragée pendant un temps. C'est la rentrée, là, ça y est, je suis repartie. Mais je peux te dire qu'au mois de juin, j'étais complètement paralysée. J'étais... Ouais. J'arrivais pas à bosser, j'arrivais pas à parler, j'arrivais pas à poster.

  • Speaker #1

    Et après, je pense qu'on a un vécu aussi différent, tu vois. Moi, en tant que blanche, jamais dans la rue. Évidemment, on a eu plein de discussions avec nos entourages à ce moment-là. Et une collègue qui est en couple avec un maghrébin, qui a donc deux enfants en métisse, elle me dit Mais moi, j'ai peur pour mes gamins dans la rue. Moi, j'ai ce privilège-là de me dire Jamais j'aurais peur pour moi dans la rue. Donc évidemment, on ne le vit pas exactement pareil.

  • Speaker #0

    Merci pour tout ce que tu as partagé. tout ce que tu as livré aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'avoir offert cet espace, parce que finalement, même si c'est quelque chose sur lequel je cogite depuis longtemps et qui m'anime au quotidien parce que je donne des exemples de ma vraie vie tout le temps dans mes interventions, c'est rare qu'on ait quand même un espace pour tout balancer comme ça. C'est un peu thérapeutique ton votre histoire.

  • Speaker #0

    Faut pas le dire.

  • Speaker #1

    Venez parler à Alexia de vos origines. Ça fait un bien fou.

  • Speaker #0

    C'est un peu ça. Qui dirais-tu que tu es devenue au terme de tout ce que tu nous as raconté là ?

  • Speaker #1

    Je suis devenue moi.

  • Speaker #0

    Je sens qu'il y a un lien avec le trait d'union.

  • Speaker #1

    Et donc cet ensemble de traits d'union, France, Portugal, parents ouvriers, femmes de ménage, aujourd'hui, plutôt CSP+, mariée à un enfant de médecin, ingénieur. avec des potes plutôt français origines de CSP+, voilà, je suis à l'intersection de plein de choses, on n'a pas parlé de mon état de santé je suis à l'intersection de plein de choses voilà, maman de chat je peux parler de mes deux chats ? c'est pas que je vais le garder dans le mental final mais ça me fait très plaisir un immense merci bah merci à toi

  • Speaker #0

    C'était Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Si ce que vous avez entendu vous a plu, laissez des étoiles et des commentaires sur votre appli de podcast, suivez Joyeux Bazar sur les réseaux et surtout, parlez-en autour de vous. Parce que le bouche à oreille est le canal le plus efficace pour faire connaître un podcast. C'est fou, non ? Allez, à bientôt !

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Description

Avant de faire Science Po et de s’envoler aux États-Unis, Claudia a longtemps été “la fille de la femme de ménage”. Et même si ses parents sont de ceux qui sont vus comme les “bons immigrés” : blancs, européens, catholiques, travailleurs, elle a connu très tôt le mépris de classe… C’est aux États-Unis que son éveil politique est né : depuis, elle sait que sa colère est légitime. 


Claudia a aussi déménagé, en pleine adolescence, des beaux quartiers à la banlieue : comment grandir entre deux cultures et trouver sa place dans une société marquée par les inégalités sociales et les stéréotypes culturels ? Dans cet épisode, nous recevons Claudia Da Cruz, fille d’immigrés portugais et aujourd’hui consultante en diversité et inclusion.


Nous espérons que cet épisode vous plaira ! Bonne écoute.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Le bazar.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Je suis Alexia Sena et je suis chanceuse, honorée même, d'avancer avec vous dans la cinquième saison déjà de ces conversations délicieuses et périlleuses autour des vécus multiculturels. Joyeux Bazar, c'est aussi une newsletter, des rencontres, des ateliers et des conférences en entreprise. Mais pour l'instant, c'est dans vos oreilles que ça se passe. C'est parti ! Bonne rentrée, bonne reprise à vous qui nous écoutez aujourd'hui. Alors j'ai conté tout à l'heure et j'ai réalisé que c'est la cinquième saison de Joyeux Bazar qui démarre. Ça m'a fait tout drôle. Ça m'a fait drôle de penser qu'épisode après épisode, depuis février 2020, vous êtes encore au rendez-vous pour explorer, chercher, douter, questionner, rire, pleurer aussi parfois, autour de ce sujet qu'est la double culture. Donc évidemment, je vous remercie profondément, infiniment. C'est le temps de cerveau disponible et le temps de cœur aussi disponible que vous consacrez à Joyeux Bazar qui donne tout son sens. à ce projet donc un immense merci vraiment je m'en vais vous présenter l'invité du jour j'ai connu claudia dacrouse par le travail parce qu'elle est comme moi consultante et formatrice en diversité et inclusion et là vous vous dites mais qu'est ce que c'est que ce métier de quoi ça parle ne vous inquiétez pas on va en parler on va vous expliquer tout ça mais en tout cas tout ça pour dire qu'avec claudia on s'était prévu une visio pour parler boulot à la base et elle m'en a un peu dit sur son parcours perso sur cette double culture donc juste ce qu'il faut pour que Illico, je la mette sur la liste des potentiels invités du podcast. Bonjour Claudia.

  • Speaker #0

    Bonjour Alexia.

  • Speaker #1

    En te présentant, tu m'as dit je suis fille d'immigrés portugais et je suis transfuge de classe aussi Qu'est-ce que c'est l'histoire de tes parents, en tout cas l'histoire d'immigration de tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents sont nés au début des années 60 au nord du Portugal. Le Portugal des années 60, en général, je dis aux gens, c'est la France des années 20. Ils se souviennent très bien quand l'eau courante est arrivée, quand l'électrice est arrivée. Ils se souviennent du premier téléphone du village. Mes parents sont nés dans des grandes fratries de 7 et 8 enfants et leurs propres parents étaient paysans. C'était seulement l'école primaire obligatoire. Et puis après ça, comme leurs parents avant eux, leurs grands-parents avant eux, ils sont allés dans les champs, ils sont allés s'occuper des animaux. Et très vite, autour des 13-14 ans, quand ils ont commencé à avoir un peu plus de force physique et d'autonomie, ils ont commencé à travailler. au-delà de ce cercle familial. Donc, mon papa, je pense que 13-14 ans, il a été sur ses premiers chantiers de construction au Portugal, pour le coup. Et ma maman, à 15 ans, elle est partie à Porto en tant que jeune fille au père. Donc, voilà, ils ont commencé à travailler très très jeune. Ils ont comme point commun d'être parmi les plus jeunes de leur fratrie. Donc, ils avaient tous les deux des grands frères et sœurs assez... Enfin, avec 15 ans de plus qu'eux, quoi, qui étaient à peu près tous en France. Et donc, quand ils ont eu 20 et quelques années, ils se sont dit, cette vie ne va pas nous suffire à un jour avoir une maison et à finir nos fins de mois en étant à peu près tranquille. Puisque même en ayant trouvé un job, c'était quand même très, très limité financièrement. Donc, ils ont émigré. Mes parents sont arrivés en milieu des années 80 en France, en Ile-de-France.

  • Speaker #1

    Donc, quand ils arrivent, la France n'est pas... totalement inconnue, c'est-à-dire que c'est la première fois techniquement, mais comme ils ont des grands frères et des grandes sœurs qui y sont déjà, est-ce que tu sais ce que ça représentait pour eux ?

  • Speaker #0

    Alors, ils ont une vision différente l'un et l'autre. Mon père, ce n'était pas son objectif dans la vie, et je pense que comme beaucoup d'immigrés, il avait envie de venir quelques années et repartir, et après faire sa vie au Portugal. Et ma mère, elle voyait vraiment la France comme une échappatoire de son petit village au fin fond de la campagne, et notamment Paris, il y avait vraiment le côté... Paris, la grande ville pleine de possibilités et qui veut dire aussi liberté. Ma mère, elle est arrivée en France, dans les beaux quartiers de Paris, pour faire du ménage, pour s'occuper d'enfants, etc. Elle a appris le français très vite. Elle a un tout petit accent portugais et elle est extrêmement fière d'avoir juste ce tout petit accent. Et elle avait une hantise, c'est qu'on arrive en maternelle sans savoir parler français. Donc ma mère, elle nous parlait français. Et en fait, de facto, voilà, il n'y a pas eu... Moi, je n'ai jamais été élevée dans ce fantasme du retour au pays parce qu'elle, je pense qu'elle était très contente d'être partie. Elle est vraiment dans le modèle de... Moi je suis venue ici donc je me suis adaptée, je travaille dur, je suis discret, je fais pas de vagues. Mes enfants sont français, moi je suis devenue française à 14 ans puisque je suis née en France mais de deux parents étrangers. Et tu sais quand on doit remplir des fiches au collège, la première semaine, on me demandait souvent la nationalité et là ma mère disait tu mec t'es française.

  • Speaker #1

    Ah oui, alors que ce n'était pas encore officiellement le cas, d'accord. Et alors, la place que prenait, qu'avait le Portugal dans ton enfance, donc il y a cette question de la langue, est-ce qu'il était présent sous d'autres formes ?

  • Speaker #0

    Alors, le Portugal était très présent, déjà, tous les mois d'août. Le mois d'août, c'est le mois...

  • Speaker #1

    Ok, d'accord, tu ne te poses pas la question.

  • Speaker #0

    Quasiment tous les Portugais que je connais qui habitent en France, c'est au mois d'août qu'ils rentrent au pays. En fait, ce n'est pas en juillet, c'est en août. Et du coup, le village devient le lieu de réunion de tous les gens qui sont éclatés dans plein de lieux différents. Donc ça, déjà, c'était hyper important. Le dimanche, la messe en portugais, je te disais. Donc déjà, une fois par semaine, voilà. Et puis après, c'est des moments de tradition. Noël. Moi, je n'ai pas eu de dinde à Noël pendant pas mal d'années. Je pense que petit à petit, ma mère l'a intégrée. Et donc maintenant, on est à la dinde. Mais sinon, c'était le poulpe et la morue à Noël. plus des pacheteiges de bacaliao donc des petits acras de morue plus enfin bref différents trucs différentes spécialités puis après t'as Pâques aussi avec en fait la nourriture je pense que c'est un truc qui doit revenir peut-être aussi dans ton podcast carrément un

  • Speaker #1

    peu la base pour les personnes qui nous écoutent et qui ne connaissent pas Paris ou la région parisienne Paris 16ème c'est un arrondissement qui est à l'ouest de Paris et c'est vraiment les quartiers cossus en fait donc comment est-ce que tu es passée de Paris 16 à Paris 16 à Villejuif, qui est cette banlieue populaire, collée à Paris, tout près, mais qui n'est pas le même environnement.

  • Speaker #0

    Entre ma troisième et ma seconde, on a déménagé parce que mes parents, je pense, au début de mon collège, ils ont acheté une maison qui était toute petite et très ancienne. Et pendant quatre ans, le soir après le chantier, mon père allait faire des travaux dedans. Et le week-end, pendant quelques années, on y allait tous les week-ends faire des travaux dedans. pour en faire un pavillon de banlieue un peu plus cossu, un peu plus spacieux. Et donc, il a été prêt pour qu'on emménage dedans entre la troisième, l'été entre ma troisième et ma seconde. Ce qui était nickel parce que stratégie scolaire, j'avais le dossier d'une collégienne parisienne intramuros. Donc, j'ai demandé un lycée hors secteur, mais dans Paris. Donc, tu vois, je suis allée au lycée dans le 13e, à

  • Speaker #1

    Claude Monet.

  • Speaker #0

    plutôt bien classé, etc. Mes parents étaient très contents, ils étaient très rassurés. Et c'est marrant parce que ma sœur, elle a commencé sa sixième cette année-là, ils l'ont tout de suite mis dans le privé à côté de la maison, au crème l'imbicêtre qui est collé avec. Je suis passée de l'un à l'autre parce que j'étais mineure et que je vivais avec mes parents, que je n'avais pas le choix. Puis comment je l'ai vécu, par contre, c'est peut-être la question sous-jacente. D'un côté, très bien. Parce que j'ai très mal vécu mes années collège dans le 16e, à coup de remarques et de vannes quotidiennes sur mes origines portugaises, sur le fait que... Donc des blagues dans tous les sens sur les poils, le ménage...

  • Speaker #1

    Oui, tous les stéréotypes en fait.

  • Speaker #0

    Le chantier. Et blague qui n'était compréhensible que dans le 16e, c'est t'habites à quel étage ?

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #0

    Parce que si tu es enfant de gardienne... Si t'es portugais, il y a 99% de chances que tu sois enfant de gardienne, donc t'habiterais de chaussée. Donc les vannes quotidiennes. J'étais très contente de partir de là parce que j'avais conscience que j'allais aller dans un milieu où je ne serais plus dans une minorité défavorisée. Les gamins de 13-14 ans, en fait, ils ont déjà bien conscience que toi, ta mère, elle est femme de ménage, ton père, il est ouvrier dans le bâtiment et eux, leurs parents, ils sont avocats et médecins. J'étais vraiment consciente. que j'allais quitter cette condition d'infériorité. Et en même temps, j'avais passé quasiment toute ma vie dans le 16e. Et là, je débarque dans un autre monde. Et pour dire les choses de façon extrêmement cash, pour la première fois de ma vie, j'ai pris le métro avec une majorité de non-blancs, des Noirs, des Arabes, des Indiens. Et en fait, quand tu es une gamine de 15 ans qui a connu que... Un quartier où les trottoirs sont larges, sont propres, des bâtiments haussmanniens, jolis, cossus, propres, il n'y a pas de bruit dans la rue, il n'y a pas de personnes qui traînent le soir, etc. Tu vas dans un autre monde. Moi, j'étais très déstabilisée. Et en même temps, j'entendais parfois parler portugais dans la rue. Il y avait des magasins portugais, un magasin d'alimentation portugais juste en bas.

  • Speaker #1

    Tu étais plus à ta place, en tout cas une place plus sympa. Mais ça restait l'inconnu. Ça restait l'inconnu. Ça me rappelle, on parlait de gentrification, dans tous ces quartiers historiquement populaires, et puis dans les classes moyennes, voire supérieures, s'installent de plus en plus, parce que c'est à côté de Paris, et donc un petit peu moins cher. C'est des réflexions que je me fais souvent. Moi, j'habite à Montreuil, donc banlieue proche aussi. Et j'y suis depuis huit ans après avoir vécu toute ma vie parisienne. C'est passé à Paris, Intramuros, y compris Rive-Gauche et Marais. Régulièrement, je me fais cette réflexion. Je me dis, je suis contente que mes enfants vivent dans une ville où il y a des gens qui leur ressemblent. Et en même temps, quand je vais à Vincennes, qui est juste à côté, c'est vrai que les trottoirs sont quand même plus nets. J'hocie entre les deux. En tout cas, ça me faisait penser à ça. Ce que tu décris là, les deux décalages que tu décris, suis dans le 16e d'être la fille de la concierge et suis arrivée à Villejuif, est-ce que c'est des sujets dont vous parliez avec tes parents ?

  • Speaker #0

    Ils avaient fortement conscience de ce que je vivais, ce qui leur faisait beaucoup de peine évidemment. Mon père, oui, c'était vraiment ce discours de fais-toi une carapace, fais en sorte que ça te glisse dessus, on s'en fout d'eux, ils sont jaloux. Et ma mère, je la sentais plus affectée. Après, ma mère, elle bossait dans le 16e aussi. Mon père, il quittait le 16e tous les matins. C'était le 16e dortoir pour lui. Les immigrés portugais en France sont vus comme les bons immigrés. On est blanc, on est européen, on est catho.

  • Speaker #1

    Chrétien, c'est clair.

  • Speaker #0

    Travailleurs, discrets, sérieux, de confiance. Il y a quand même une condescendance. Il y a quand même... notamment quand tu vis dans les beaux quartiers encore plus et donc ma mère elle le vivait au quotidien en tant que femme de ménage et concierge d'immeuble et je pense qu'elle était tiraillée entre le merde j'ai choisi ce quartier parce qu'il y avait une vraie stratégie dans la sélection de ce quartier mes enfants sont dans des bonnes écoles dans un environnement safe je suis pas inquiète quand elles sortent et le, il y a un prix à payer comme tu dis très bien qui est il faut qu'elle elle est confronté dès son plus jeune âge aux inégalités sociales, aux mépris de classe.

  • Speaker #1

    Je pense à Graphie, un épisode avant l'été, et qui disait en fait chaque génération cherche un type différent de sécurité. Donc ses parents ont fui le Sri Lanka parce qu'ils cherchaient de la sécurité physique, en fait ne pas se faire tuer tout simplement, pendant la guerre civile. Puis pour leurs enfants ils voulaient une sécurité financière, donc il fallait être premier ou première de la classe pour faire de bonnes études. Et elle dit, et puis là, nous, notre génération, on a tout ça et maintenant, on cherche un épanouissement. C'est-à-dire que oui, j'ai le diplôme, j'ai fait les bonnes études, mais est-ce que je suis heureux ou heureuse dans ma vie ? Ce sont des questions que nos parents ne se posaient absolument pas.

  • Speaker #0

    Et c'est très juste. Et ça me fait penser, c'est marrant, mon mémoire de master en sociaux à Sciences Po. Je suis en train de réfléchir à ton montage, ça va partir de tous les sens.

  • Speaker #1

    Excuse-toi auprès de Simon, c'est Simon qui fait le montage.

  • Speaker #0

    Excuse-moi Simon, j'en suis vraiment navrée. Donne-moi ton adresse, je t'envoie des chocolats. Et du coup... J'ai, pour mon mémoire de fin d'études, interviewé une quinzaine de familles portugaises. Et tu avais ceux qui te disaient, pour nous, la réussite, c'est l'indépendance matérielle et financière. Et dans ces familles-là, en général, les enfants avaient plutôt fait des études courtes, mais des études qui leur permettaient de rentrer très tôt sur le marché du travail, avec des métiers manuels, plombier, électricien, etc. Mais qui étaient plutôt bien payés. et qui leur permettaient très jeunes de s'acheter une maison, un appart, une voiture, etc. Versus ceux qui te disaient, pour moi, la réussite, c'est être respecté, avoir un statut et ne pas être regardé de haut, être intégré. Et ces familles-là, les enfants ont plutôt fait des études longues. Longues,

  • Speaker #1

    ben oui. C'était quoi le projet de rentrer à Sciences Po pour faire un master de recherche en sociologie ?

  • Speaker #0

    Attends, je t'ai dit que ma mère voulait que je devienne Claire Chazal. Moi, gamine, je connais rien aux études. Ayant grandi dans le 16e, on m'avait quand même parlé. Je savais ce que c'était qu'une prépa. Contrairement à certains cousins, cousines à bras qui ont grandi plutôt en banlieue, qui n'avaient jamais entendu parler de prépa alors qu'ils étaient en tête de classe. Au moment de choisir mon orientation, je vais voir des cousins, cousines plus âgés que moi. J'en ai deux, trois qui ont fait des études longues. Et donc là, à l'une d'elles, je dis je veux être journaliste. Elle me dit il faut que tu fasses Sciences Po. Ok, très bien. Et assez rapidement, je me rends compte que je n'ai pas envie d'être journaliste. Et donc, et très vite en fait à Sciences Po, j'ai des cours de sociologie, j'ai des cours de relations internationales. Ma troisième année, je pars aux Etats-Unis. Et là, j'ai des cours sur le mouvement des droits civiques, sur l'immigration dans la littérature. Donc en fait, très vite, je plonge sur les thématiques qui m'animent encore aujourd'hui autour de la diversité et de l'inclusion, de l'égalité des chances ou de l'inégalité des chances, et qui résonnaient évidemment très fort en moi au vu de mon parcours. Et c'est pour ça, c'est pendant cette année aux Etats-Unis que j'ai décidé, quand je reviendrai pour le master en France, de faire de la socio. Et je savais que tout ce qui était autour de l'éducation et de l'immigration, ça m'intéressait bien.

  • Speaker #1

    Ce dont j'ai l'impression, c'est que... C'est les cours, en fait. C'est les cours. Il y a la découverte de la socio en cours qui t'a passionnée. Et après seulement, tu as fait des liens un peu avec ton propre vécu éventuellement. Mais ça donne l'impression que c'est d'abord une curiosité intellectuelle.

  • Speaker #0

    En fait, c'est marrant. Je viens de réaliser que j'ai été attirée par ces cours parce que j'avais quand même un intérêt sur ces thématiques par rapport à ma propre histoire. Mais je pense que ce qui m'a décidée derrière, c'est parce qu'il y avait des profs à Sciences Po qui en faisaient des cours.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et là, j'arrive à Sciences Po, et il y a des cours qui parlent d'immigration, qui parlent d'inégalité.

  • Speaker #1

    Ça peut être une matière d'études, un truc...

  • Speaker #0

    C'est un truc légitime. Il y a des grands chercheurs et des grandes chercheuses qui publient des trucs là-dessus. Et donc là, je pense que je prends conscience de ça à ce moment-là. Tu vois ? Et que mon parcours, c'est pas juste un parcours de vie individuelle, mais c'est un truc où il y a... plein d'autres gens qui, de plein d'autres façons, ont vécu des trucs similaires.

  • Speaker #1

    Et que du coup, ça devient un truc collectif, systémique, étudiable.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et après, pendant mes études, j'ai pris conscience de plein de choses aussi. Par exemple, anecdote, je vais aux Etats-Unis, je rencontre... Donc je vais dans une fac qui est très à gauche. L'année de la première élection d'Obama,

  • Speaker #1

    2008.

  • Speaker #0

    C'était incroyable. Je pense que j'ai eu un éveil politique à ce moment-là, puisque moi, tu sais, je suis enfant d'immigrés qui sont très discrets,

  • Speaker #1

    qui n'ont pas de vagues.

  • Speaker #0

    Donc pas de politisation. Je rencontre une nana sri-lankaise qui a un nom de famille qui est Almeida. Qui a un nom de famille portugais. Et donc je lui dis, de façon très naïve, autour d'une bière, je pense, je dis, ah c'est marrant, t'as un nom portugais, c'est drôle. Et là, elle se renferme et elle me regarde. très durement, elle me dit de façon assez cash, elle me dit tu crois que c'est drôle d'avoir un nom qui vient du colonisateur qui est lié à mon histoire coloniale à ce moment là, face à elle j'étais la blanche dominante, ignorante de son histoire puisque je savais que le Portugal avait envahi l'Angola, le Mozambique, le Cap-Vert mais le Sri Lanka, le Frépac tout ça pour dire que c'est des moments aussi dans l'histoire dans mon histoire à moi où mon histoire Elle a fait le lien avec la grande histoire, tu vois.

  • Speaker #1

    Comment ça se passe à ce moment où tu as coché des cases de tes parents ? C'est-à-dire que tu as fait de grandes études, tu es à Sciences Po, et tu commences à t'orienter, comme tu dis, à te politiser petit à petit, et à t'orienter vers des trucs où tu vas faire des masters en sociaux.

  • Speaker #0

    Ils ne se rendaient pas compte, tu dis que tu vas faire un master en sociaux, à partir du moment où tu vas avoir un diplôme de Sciences Po, ça leur va très bien. Par contre, le fait de suivre ces cours, de me politiser un peu, je suis revenue en France.

  • Speaker #1

    Tu voyais plus le monde de la même manière.

  • Speaker #0

    J'étais très différente. Je disais quand je n'étais pas d'accord. Je râlais, je gueulais contre les classes dominantes et compagnie. Et donc là, mes parents, ils ont été très perturbés.

  • Speaker #1

    Oui, tu as changé la physionomie des repas dominicaux.

  • Speaker #0

    C'est ça. En fait, aux États-Unis, j'ai rencontré des gens qui se permettaient de dire ce qui ne leur allait pas, d'exprimer à voix haute la source de leur colère. Et ils ne se posaient pas la question de s'ils avaient le droit de le dire ou pas. Ils le disaient. J'ai rencontré des personnes qui se battaient pour la cause de la Palestine. J'ai rencontré des personnes noires, latinas, etc., latinos, qui parlaient de racisme, etc. Et en fait, écouter eux, leurs histoires et leurs combats a fait ressortir des trucs que j'avais vus. ressenti, qui m'avait fait ressentir de la colère ou de la tristesse, mais que j'avais jamais dit à voix haute quoi. Et surtout que mes parents n'avaient jamais exprimé. Avant de partir aux États-Unis, j'étais encore dans le modèle du bon petit portugais qui se tait, et en revenant je dis bah non mais en fait si ça va pas faut le dire quoi. Le sapin de Noël quand on habitait dans le 16e, on n'avait pas la place d'avoir un sapin de Noël dans la loge. Donc En fait, on mettait un grand sapin de Noël dans le hall de l'immeuble, ce qui servait de décoration aussi. Tous les gens de l'immeuble en profitaient. Et c'était ma maman qui achetait le sapin, et c'était ma maman qui achetait les décorations. quasiment tous les jours, on se rendait compte qu'il manquait des décorations. Un jour, ma mère me dit, j'ai vu Madame Machin, sa gamine avait dit, je trouve ça joli, et elle lui avait dit, vas-y, prends. Il y a des souvenirs comme ça un peu flash, de dire à ma mère, mais tu devrais lui dire, ou tu devrais juste mettre une affiche, si tu ne veux pas cibler quelqu'un, une affiche en disant, pour information, le sapin et les décorations sont la propriété de la famille d'Acrouse. Et elle me dit Mais je peux pas faire ça, t'es folle ! Par exemple, je t'ai dit que ma mère était femme de ménage dans une famille et l'un des enfants de cette famille était mon camarade de classe. À un moment donné, j'ai été invitée à participer au concours général. Et les meilleurs élèves, vraiment, de France, en gros, sont invitées à participer à ce truc-là. Ma mère le raconte à sa patronne, très fière.

  • Speaker #1

    Bah oui, comme une maman, quoi.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que quand t'es femme de ménage dans une famille et que ça se passe bien, tu papotes et tu parles de tes trucs perso. Avant que ma mère raconte ça, cette famille ne faisait que la couvrir des loges. A partir de ce jour-là, il y avait toujours un truc qui n'allait pas. Il y avait des tâches qui n'avaient pas bien été réalisées, de la saleté qui restait. Elle n'avait pas assez repassé de chemise dans le temps imparti, que sais-je. Du jour au lendemain. Et ça, elle me l'a raconté. Elle était très en colère, très triste, mais elle n'a jamais rien dit.

  • Speaker #1

    C'est hyper intéressant, cette question de la colère et de la légitimité de la colère. Il y a des catégories de populations qui sont plus légitimes à s'énerver que d'autres. Quand tu es une personne ou quand vous êtes une communauté de personnes noires, de personnes latino, de personnes immigrées, de personnes étrangères, de personnes femmes de ménage, etc., quels sont les espaces dans lesquels vous pouvez exprimer votre colère et être prise au sérieux ? Et comme cette colère n'est jamais légitime, elle n'est jamais suffisamment justifiée et qu'elle n'est pas écoutée, qu'est-ce qu'on fait ? On ne l'exprime pas. La question de la santé mentale, une génération qui... C'est dit, on ne va pas faire de vagues et c'est comme ça que nos enfants vont avoir de la place. Et puis en fait, les enfants ont potentiellement eu cette place-là. Pour autant, il y a quand même de la colère. Alors, est-ce qu'on l'exprime ou pas ? Qu'est-ce qu'on a à perdre à l'exprimer ? Ça ouvre des questions extrêmement intéressantes.

  • Speaker #0

    Et puis, ça ouvre aussi des questions sur le collectif et comment le collectif est indispensable pour pouvoir exprimer cette colère. Et quand tu es femme de ménage, tu es toute seule dans la famille qui t'emploie. Quand tu es concierge d'immeuble, oui, il y a d'autres concierges dans la rue et tu papotes. Mais il n'y a pas de syndicat des concierges d'immeubles.

  • Speaker #1

    Exactement. Donc tu peux avoir des espaces d'expression au sens de ce qu'on appellerait aujourd'hui des safe space en français, mais tu peux avoir du soutien d'une communauté. Ça n'est pas un mouvement organisé. On n'est pas encore dans l'organisation, l'autostructuration pour aller défendre des choses, combattre ou ne serait-ce que dénoncer.

  • Speaker #0

    Ça, ma mère, elle l'a tellement intériorisé. Mon père aussi. Mais si tu allumes le journal et que tu vois des gilets jaunes, des gens qui manifestent, des gens qui font grève... des émeutes dans les quartiers, etc. Le premier réflexe que mes parents vont avoir, c'est Qu'est-ce qu'ils font chier ? Il faudrait juste qu'ils aillent travailler et puis ils arrêtent d'embêter leur monde. Parce que pour eux, s'exprimer et se révolter, c'est pas être du bon côté.

  • Speaker #1

    Je vous conseille, je te conseille si tu le connais pas, de regarder ce que fait Bissai Media. Bissai, ça s'écrit B-I-S-S-A-I. Et donc il y a un média qui a vraiment pour volonté de porter ces voix-là, donc plutôt les voix des nouvelles générations, mais qui racontent finalement l'histoire de leurs parents et de leurs grands-parents, histoire qui n'ont jamais été racontées, parce que surtout il fallait les taire pour ne pas faire de vagues. Et je trouve hyper intéressant cet aspect générationnel et qui provoque beaucoup d'incompréhension dans les familles et dans les communautés, parce que le silence nous a permis de survivre, et toi du jour au lendemain tu arrives et tu dis on va briser le silence et c'est pas bien, mais qui es-tu donc, espèce d'ingrat ?

  • Speaker #0

    Quand les parents veulent que leurs enfants... appartiennent au pays où ils ont émigré, qu'ils aient un bon statut, etc., avoir une voix, ça va avec. Sauf que derrière, quand ils l'utilisent, ils veulent que ta voix compte. Ils veulent que t'aies une voix qui soit légitime.

  • Speaker #1

    Mais c'est pas une voix politisée. On vous aime, les parents. On ne sait pas assez, mais on vous aime. C'est dur, c'est dur. Vraiment, un gros cœur sur vous. On est arrivés ici parce que je te demandais ce qui t'avait frappé dans les résultats de ton mémoire. On a fait une pause pour boire de l'eau et on est parti sur autre chose.

  • Speaker #0

    Premier renseignement, je t'en ai déjà parlé, c'était les familles qui choisissaient les études courtes, c'était plutôt les familles qui valorisaient la réussite matérielle, financière, l'indépendance, l'autonomie, versus les familles où il y a eu des études longues, c'est plutôt des familles où on valorisait le côté statut, respect, une place dans la société. Ce qui aussi différencie énormément ces deux typologies de familles, c'était la géographie. Les familles où les enfants ont fait des études longues, c'était soit des familles qui habitaient dans les beaux quartiers, notamment parce que maman est en concierge, soit des familles qui n'habitaient pas forcément dans les beaux quartiers, mais la mère allait. Dans les beaux quartiers travaillés.

  • Speaker #1

    Et donc voyaient un peu...

  • Speaker #0

    Elles voyaient et elles avaient accès à de l'information, puisque comme je le disais tout à l'heure, les femmes de ménage, elles parlent beaucoup avec leurs employeurs. Et donc, au moment de l'orientation, c'est des familles, et notamment des femmes, des mères, qui se sont dit, j'y connais rien, mais moi j'ai des patrons et des patronnes qui peuvent être une source d'information pour moi. Bien sûr. Et donc... qui ont découvert l'existence des centres d'orientation, des bouquins de l'ONICEP ou de l'étudiant, à travers leur patron-patronne. Et qui faisaient lire leurs enfants aussi. C'est un truc vachement fort. Plusieurs mamans qui m'avaient dit, moi, mon gamin, même si moi je lisais pas, mon gamin, je lui offrais des livres, je voulais qu'il lise. Versus les familles où les enfants avaient fait des études très courtes. C'était, dans la majorité des cas, des familles où les parents disaient, Je ne suis pas intervenue dans le process d'orientation de mon enfant parce que je n'ai pas fait d'études,

  • Speaker #1

    encore moins en France.

  • Speaker #0

    Et je n'en sais rien. Donc, ils ont choisi tout seuls avec leurs copains, leurs frères et sœurs, leurs profs. C'est ça l'autre enseignement. Et ça, c'était, pour faire le lien, c'était plutôt géographiquement dans des quartiers plus populaires.

  • Speaker #1

    Tu aurais pu continuer tes travaux de recherche. Tu t'es dit non, mais je vais aller voir dans la vraie vie comment ça se passe ce truc-là. Et peut-être... tenté d'avoir un impact, une influence là-dessus. Donc, une de tes cousines dit qu'il y a une fonction qui est en train d'éclore en entreprise. Donc, on est en 2011. Et ça s'appelle diversité. Tu fais effectivement un master 2 en RH, en alternance dans une entreprise dans laquelle tu vas rester après sur un poste RH au départ. Puis, au bout de 4-5 ans, il y a un poste diversité, justement, qui se crée. Et là, tu dis, mais c'est pour moi ! Il n'attend que moi, ce poste. Donc, tu l'obtiens. Et tu vas y rester quasiment 4 ans dans ce poste-là, diversité. En quoi a consisté ton boulot pendant 4 ans ? Là, on est en 2015.

  • Speaker #0

    Je bossais chez Bouygues Construction, grand groupe de BTP. J'avais à la fois le pilotage de la politique diversité-inclusion, puisque grand groupe, international, plein de filiales dans tous les sens. Ils avaient formalisé quand même quelques grands objectifs. Il y avait un comité diversité, un comité handicap. Je pilotais un peu tout ça. L'idée, c'était de... Faire en sorte qu'on atteigne nos objectifs et qu'on en crée de nouveaux. Mettre en place des actions. Ça allait être, de façon hyper concrète, mettre en place un programme de mentoring pour des femmes dans l'entreprise pour faire en sorte qu'à un moment critique de la carrière, où il y avait beaucoup de femmes qui partaient, elles restent dans l'entreprise. Organiser des visites pour des jeunes de quartier dans nos bureaux, qui étaient des... Donc le siège de boue de construction, c'était des grands bureaux assez prestigieux, assez impressionnants. Et donc on faisait venir des jeunes de quartier pour leur montrer, oui c'est possible. Et on faisait témoigner des collaborateurs et collaboratrices qui eux-mêmes étaient issus des mêmes quartiers pour leur dire, regardez, moi maintenant je fais ça comme métier, pour vous c'est possible aussi. Je créais ou je refondais des formations et après je les animais ou je les co-animais. Voilà, je faisais plein de choses. Mon quotidien n'était pas du tout ennuyeux. Et donc, je bossais beaucoup sur le sujet du handicap, sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes, un peu sur le sujet des parcours et des diplômes, diversité des parcours et des diplômes, et un peu sur la diversité des origines et l'insertion de publics en difficulté.

  • Speaker #1

    OK. J'espère que c'est plus clair pour les personnes qui nous écoutent. La diversité, c'est le fait d'être différent au sein d'un collectif qui n'est pas que des gens qui se ressemblent tous, pas que des personnes blanches, pas que des gens qui ont tous fait le même parcours. scolaire, académique, etc. Et l'inclusion, c'est une fois qu'on a fait rentrer ces personnes qui sont un peu différentes et qu'on a un effectif divers, comment est-ce qu'on fait pour que les personnes qui ne sont pas dans le schéma dominant, dans la norme, se sentent elles aussi à leur place en fait ?

  • Speaker #0

    Comment on fait un collectif avec toutes ces disciplines ? Comment on fait que chacun soit bien dans ses baskets ? Donne le meilleur de soi-même ?

  • Speaker #1

    Alors au bout de 4 ans, pour plein de raisons, Tu décides d'abord de changer de fonction, puis finalement de quitter le groupe et même de quitter le salariat. Allez, soyons folles. Avant qu'on parle de ça, il se trouve donc que pendant les études à Sciences Po, tu l'as dit, tu es allée étudier aux États-Unis pendant un an. Oui. Ce qui a eu deux grandes conséquences, enfin mille conséquences j'imagine, mais sur notre sujet du jour, deux grandes en tout cas que moi j'ai identifiées. La première, c'est donc ces cours sur plein de sujets sociétaux. Légitimité aussi de la colère que tu découvrais. Et un deuxième impact plus personnel qui est que ça t'a rapproché de ta famille américaine, car oui, tu avais plein de cousins et de cousines aux États-Unis. Et alors, j'aimerais que tu nous parles de ces cousins de culture américaine, parce que tu m'as dit...

  • Speaker #0

    En fait, c'est hallucinant de voir comment juste le fait que nos deux papas, donc les deux frères, aient choisi et quitté le Portugal, l'un pour aller en France et l'autre pour aller aux Etats-Unis, c'est hallucinant de voir à quel point ça fait de nous aujourd'hui des cousins, cousines, qui sommes sur des planètes différentes.

  • Speaker #1

    Absolument. Donc l'histoire, c'est que mon père a six frères et soeurs. Le plus jeune d'entre eux est marié avec une dame du village portugaise. Et toute la famille de cette dame, tout le monde a émigré aux Etats-Unis. Donc mon oncle, bam, il est parti émigrer aux Etats-Unis. C'était le seul de tous les frères et sœurs à vivre aux Etats-Unis parce que tout le monde avait émigré en France sinon. Tout ça fait que ce tonton est parti aux Etats-Unis avec sa femme. Il a eu deux enfants là-bas, il se met deux cousins germains qui habitent dans le Connecticut à Bridgeport.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Et en fait, lorsque je pars aux Etats-Unis, je les connaissais un petit peu du mois d'août, des vacances au mois d'août. Mais je... ne soupçonner rien de leur vie quotidienne aux Etats-Unis.

  • Speaker #0

    Oui, toi, tu les connaissais des mois passés au Portugal, en fait, au mois d'août, quand toute la famille se réunit.

  • Speaker #1

    Et là, je me retrouve plongée dans leur vie. Déjà, je découvre leur ville, leur quartier. Mon oncle et ma tante parlent très, très mal anglais, alors qu'ils sont aux Etats-Unis depuis aussi longtemps que mes parents sont en France. Pourquoi ? Parce qu'ils vivent entre Portugais, dans leur quartier, en fait, dans leur rue. Il y a le drapeau américain devant les maisons, mais il y a aussi le drapeau du Portugal. Et parfois, il y a un troisième drapeau qui est celui de Porto, du Sporting ou de Benfica, qui est donc l'un des trois grands clubs de foot.

  • Speaker #0

    Le club de foot portugais, d'accord.

  • Speaker #1

    Mais donc, leur quartier, il y a une énorme majorité de Portugais. Ils font leurs courses dans des commerces portugais. Ils vont, comme nous, à l'église portugaise. Ils ont la télé allumée en portugais. Ils ne parlent entre eux qu'en portugais. Mes cousins. qui sont nés là-bas, ont grandi avec quasiment que des potes portugais et latinos, puisque là-bas, la communauté portugaise et latina, notamment brésilienne, tu vois, avec la langue, etc., se mélangent. Et lorsque je suis arrivée là-bas, donc t'imagines, moi, je venais de traverser l'Atlantique, j'avais 19 ans, je leur dis, et sinon, on va aller à New York.

  • Speaker #0

    Ils ont jamais mis les pieds.

  • Speaker #1

    Et ils ont jamais mis les pieds à New York. Alors qu'ils sont à une heure de train de banlieue de New York. Et là, c'est comme si tu me disais... En fait, à Postéry, je pense que ça existe. Mais quelqu'un qui habite à Marne-la-Vallée ou à Meaux, qui n'a jamais mis les pieds dans Paris et qui n'a jamais vu la Tour Eiffel, c'est sûr que ça existe. Mais moi, ça me paraissait fou. Et ça ne leur manque pas, ils sont très heureux. Il n'y a pas de jugement de valeur dans ce que je raconte. Mais finalement, moi, j'ai été élevée dans un projet d'ascension sociale. de m'intégrer à la France, d'être française. Et d'ailleurs, on a eu cette conversation avec l'un de ses cousins-là, cet été, en vacances. Parce que je pense que lui aussi, ça le fait cogiter. Il m'a demandé, Claudia, est-ce que tu te sens plus française ou portugaise ? Et là, je lui ai dit, écoute, je suis incapable de choisir entre les deux. Par contre, si vraiment tu dois me demander c'est quoi mon pays, c'est la France. Je suis née là, j'ai grandi là, je fais toute ma vie là quasiment. Et là, il me regarde et me dit Mais tu vois, ça c'est fou pour moi, parce que moi et mon frère et toute notre communauté, on a été élevés en étant portugais avant tout. Et ça te montre bien en fait comment le modèle d'intégration de l'immigration entre la France et les Etats-Unis est extrêmement différent. Parce qu'en France, si tu veux t'intégrer... Tu te fonds dans la masse et tu enlèves ta singularité. Aux Etats-Unis, si tu veux t'intégrer, tu rentres dans une communauté. Et le mot communauté aux Etats-Unis n'est absolument pas négatif. Alors qu'en France, il est vu comme tu rentres dans une communauté, donc tu t'isoles, tu ne veux pas faire l'effort, tu te sépares de la République, etc. Et donc, ça fait qu'on a un rapport à nos origines, à notre identité et au pays dans lequel on vit qui n'a rien à voir. Il a fait des études, il est allé à la fac. Mais il est allé à la fac à côté de chez lui. D'ailleurs, il avait eu, parce qu'il était très, très bon en foot, l'opportunité d'avoir une bourse pour aller dans une fac prestigieuse un peu plus loin. Et il n'a pas voulu partir parce qu'il y a sa communauté qui est là. Il est ancré là. Alors que moi, j'aurais eu l'opportunité de faire une grande école dans une autre ville. Je n'aurais pas été prise à Paris. Je serais allée vivre à Bordeaux. Ça fait partie du... C'est le deal, quoi, tu vois. Donc, ouais, c'est... Effectivement, ce que je t'avais raconté... Quand on avait eu cette première discussion, c'était deuxième, il y a eu un truc différent dans le parcours de nos papas. Ils sont nés à deux ans d'écart, dans la même maison en pierre, dans le même village du fin fond de la campagne portugaise.

  • Speaker #0

    Et dans la même famille où tout le monde allait en France.

  • Speaker #1

    Voilà. Il y a un petit virage qui a été pris par mon oncle qui est allé aux Etats-Unis plutôt qu'en France. Et aujourd'hui, on se retrouve avec des vies qui n'ont rien à voir et derrière, des convictions politiques qui sont très différentes. Un lien à l'identité, à la langue, à la culture, à l'appartenance qui n'a rien à voir. C'est fou.

  • Speaker #0

    C'est fou, effectivement. Et ça tient à peu de choses. Les trajectoires de vie tiennent à peu de choses. J'aimerais qu'on parle de traits d'union. Parmi les cours que tu as pris aux États-Unis, tu as pris un cours sur l'immigration dans la littérature américaine. Tu découvres l'écrivain Junot Diaz. Oui. Je le prononce donc à la française. Mais il faut savoir que Junot s'écrit J-U-N-O-T et Diaz. Diaz, je ne sais pas. D-I-A-Z. Voilà. Donc, écrivain américain d'origine dominicaine qui écrit beaucoup sur la condition d'immigrer et qui utilise notamment cette notion de, si vous le cherchez sur Google, on retrouve beaucoup ce terme de living on the hyphen qui littéralement signifie vivre sur le trait d'union Et en fait, c'est une notion, ce n'est pas lui qui l'a inventée, c'est une notion qu'il a empruntée à Ilan Stavans, qui est un écrivain américain aussi d'origine juive mexicaine. plein de traits d'union. Et donc, il est souvent présenté comme le roi du Spanglish, c'est-à-dire que dans ses bouquins et dans sa propre expression, il utilise beaucoup le Spanglish, qui est donc pas juste une juxtaposition de termes espagnols et de termes anglais, enfin américains, mais qui est vraiment comment les deux fusionnent, à la fois dans les termes, mais même dans les structures de phrases, dans la grammaire, dans la syntaxe, etc. Est-ce que toi, tu te rappelles comment tu as connu et comment tu as compris aussi, à l'époque ? cette histoire de trait d'union. Living on the hyphen.

  • Speaker #1

    Donc je suis dans ce cours de littérature et pendant la discussion, quelqu'un, soit le prof, soit nous tous ensemble, les élèves en se parlant, on met vraiment le doigt sur ce trait d'union. Donc aux Etats-Unis, il y a beaucoup le Dominican American, African American, etc.

  • Speaker #0

    Asian American.

  • Speaker #1

    Et donc... Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese-French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Et en fait, on a expliqué que ce trait d'union, lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité. qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Et ça m'a foutu une claque, ce cours, parce que ça venait mettre un mot et matérialiser ce que depuis toujours j'avais en intuition. Et je me disais, moi je ne suis pas française comme les autres Français, je ne suis pas portugaise comme ceux qui ne sont jamais partis. Je suis ce troisième truc où on a nos codes, on a nos private jokes, tu vois. Entre enfants d'immigrés portugais, tu fais tes blagues que personne d'autre comprend. Et donc le fait de dire, bah oui, il y a une troisième entité, une troisième réalité, elle est là, elle est vraie, elle est légitime, elle n'est pas juste dans ta tête. Elle est partagée par plein de gens.

  • Speaker #0

    Super intéressant, ça me fait penser à un épisode de Joli Bazar avec Marion. Alors je crois que c'est le 34, mais je ne me retiens pas des numéros d'épisode. donc Marion a une maman juive et très engagée dans la communauté juive avec des parents d'un côté qui sont tous morts pendant la Shoah et puis Séfarad de l'autre qu'on faisait la fête tout le temps et puis ça c'est la maman de Marion et puis son papa est catholique d'une famille catho assez tradie autant dire que l'union entre les deux n'a pas été très bien vécue et donc Marion raconte plein de choses hyper intéressantes. Elle dit à un moment, j'ai tellement fréquenté la frontière qu'à un moment, je l'habitais et c'était ça chez moi. Cette définition de la frontière, pas seulement en tant que trait entre deux trucs, mais en tant que lieu en soi. Crée ta boîte qui s'appelle Hyphen Up. Tu reprends ce hyphen qui signifie trait d'union. Je me demandais, on a parlé de ta politisation progressive quand tu es allée aux Etats-Unis, là de... la prise de conscience, mais à la fois individuelle et effectivement collective, politique, de ce trait d'union, en fait, et donc de toutes ces questions d'identité, qui suis-je, etc. Qu'en pensent tes parents ?

  • Speaker #1

    C'est très loin d'eux. Eux, ils ont finalement eu un mode de vie assez individualiste, où tu travailles, tu fais ton argent, t'achètes ta maison, t'achètes ta voiture, tu fais tes vacances au Portugal le mois d'août. Et puis, finalement, il y a moins le sens du collectif, et donc d'enjeux. de cohésion, de collaboration, de bien vivre ensemble. Eux, ils font leur truc un peu dans leur coin et ils ne se prennent pas trop la tête. C'est pour ça, je pense, qu'ils ne comprennent pas trop les enjeux derrière en entreprise. Et très clairement, je suis à peu près sûre que si mes parents, un jour, je les avais dans un atelier de sensibilisation, ils feraient partie des gens chiants qui me diraient Franchement, ça va trop loin, c'est extrémiste, on ne peut plus rien dire aujourd'hui, il ne faut pas être trop sensible sur tout, vous êtes trop susceptibles. Et puis, il faut avoir en tête aussi un truc hyper important, dont j'aurais pu parler depuis le début de l'entretien, c'est que mes parents ont été élevés dans une... dans un petit village au nord du Portugal, au fond de la campagne. Quand ils sont nés, le pays était un pays colonisateur encore. C'était le dernier pays à décoloniser le Portugal. Donc ils ont été élevés, les quelques années d'école qu'ils ont fait, on leur a dit, en gros, l'Africain doit être civilisé par l'Européen blanc. où ils n'ont jamais vu de Noirs ou d'Arabes ou d'Asiatiques de leur vie avant d'être arrivés. Exception fait que ma mère avait sa prof qui était métisse, parce qu'elle venait d'Angola et que son père blanc l'avait ramenée. Mais comme c'était la prof, elle n'était pas Noire. Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'était pas une vraie Noire, c'était la prof.

  • Speaker #0

    Complètement.

  • Speaker #1

    Le poids. Donc en fait, moi j'ai été élevée dans une famille où... Le discours banal, c'était les Noirs et les Arabes, c'est des racailles. L'homosexualité, c'est une déviance, c'est une maladie, c'est un vice. Les Juifs et les musulmans, ils ne sont pas dans le vrai et c'est nous qui sommes dans le vrai. J'ai quand même une éducation pas du tout ouverte. Donc, de toute façon, au-delà du fait que mes parents ne comprennent rien au monde de l'entreprise, en tout cas pas grand-chose... Sur le fond des sujets, moi, je me suis vachement détachée d'eux. Et si j'essayais de les convaincre ou d'avoir des grands débats de fond là-dessus, ça partirait en clash. Finalement, aujourd'hui, ils savent que je fais des formations, que je fais des conférences, qu'il y a des grands groupes qui m'appellent, que je fais des conférences devant 600 personnes d'un coup. Ils sont trop fiers. Le reste,

  • Speaker #0

    non, c'est compliqué.

  • Speaker #1

    C'est très compliqué. parents qui sont finalement dans leurs conditions ultra privilégiées Parce qu'ils sont arrivés en France, ils avaient plein de frères et sœurs plus vieux qui leur ont trouvé un job. Ils avaient un job avant d'arriver en France. Parce que très bien vu, blanc, gna gna gna. Pour eux, ils ne se rendent pas compte qu'un Noir ou un Arabe immigré comme eux, la même année, avec la même motivation, la même niaque pour réussir dans la vie, le même sérieux, etc.

  • Speaker #0

    La même qualité intrinsèque ne va pas réussir pareil que eux.

  • Speaker #1

    Et pour eux... c'est qu'ils ne sont pas assez travailleurs, c'est qu'ils sont flémards, c'est qu'ils veulent prendre les allocations.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant, parce qu'on parle des immigrés, tu sais, parfois comme du mâle homogène, mais en fait, effectivement, en fonction de la nationalité, de la couleur de peau, évidemment, de la religion, etc. Mais de comment la société te perçoit, en fait, il y a à l'intérieur de cette masse des immigrés, aussi encore des hiérarchies qui se jouent. sur le regard de la société, et il y a du racisme intra, évidemment. Il y a une xénophobie,

  • Speaker #1

    un racisme extrêmement violent. Ce que tu racontes, ça me fait penser à ma première élection. Première fois que je reçois au courrier l'enveloppe avec tous les programmes sur le tract du Front National. Il y avait un nom portugais. Et franchement, on me dit, mais comment c'est possible ?

  • Speaker #0

    Maintenant je comprends comment c'est possible.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont intériorisé le discours qui dit que eux c'est les bons immigrés qui respectent et qu'il y en a qui faudrait dégager parce qu'ils méritent pas autant qu'eux. Mais à l'époque ?

  • Speaker #0

    On est en train d'avoir cette discussion en septembre 2024. On a un nouveau Premier ministre depuis quelques heures. On a eu les JO, magnifique, incroyable, grosse fierté après avoir râlé évidemment. Mais on a aussi eu la crise politique qu'on sait, avec la montée historique des extrêmes droites en Europe, en France aussi. Et donc tout ce que ça a créé de crispations, de libération de la parole aussi, dans la rue, dans les entreprises. Et avec des entreprises d'ailleurs, nos clients, qui sont parfois, mais pas toujours quand même, très bavards là-dessus. Justement, quand on parlait de prendre la parole et de dire ça ne va pas et de s'engager de ça. Une question qui m'a beaucoup hantée, qui m'a paralysée au mois de juin, maintenant ça va un peu mieux, mais en tout cas qui continue à me travailler. Et que je te pose en tant que consoeur. Est-ce que notre métier sert à quelque chose ?

  • Speaker #1

    Oui, notre métier sert à quelque chose. Comme beaucoup de monde qui a les... qui partagent les convictions que toi et moi on partage sur l'égalité, sur la lutte contre les discriminations. Et ça, j'étais très choquée par ce qui s'est passé cet été, politiquement. Mais je me suis tout de suite dit, en fait, même si moi je ne suis pas encartée ou que ce soit, je ne suis pas quelqu'un qu'on va appeler militant ou quoi, en fait je me dis, mon travail en lui-même, c'est du militantisme déjà. Avoir des discussions, créer des espaces de dialogue entre des gens, pouvoir mettre des mots sur des espèces de frustrations où les gens dans leur coin ou entre eux au coin café rongent leurs freins en disant ouais de toute façon on peut plus rien dire aujourd'hui, regarde ça va trop loin, les questions de genre franchement n'importe quoi bah notre job c'est d'aller mettre des mots dessus, expliquer d'où ça vient, expliquer pourquoi, accueillir le malaise et l'inconfort face à tous ces trucs-là. Et donc, on a besoin de gens qui vont aller à l'avant des manifs, qui vont aller parler sur les plateaux télé, qui vont publier des trucs sur les réseaux sociaux hyper engagés, machin. Et on a besoin aussi d'un terrain qui vient travailler au quotidien, que ce soit le tissu associatif, machin. Et en toute humilité, je nous vois comme un de ces acteurs de terrain-là, tu vois. Donc ouais, on sert, non ? T'en penses quoi, toi ? On sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Non, mais oui, dans le fond, évidemment que je me lève en me disant que ça a du sens. Ça m'a beaucoup ébranlée, moi, cet été. Vraiment. Ça m'a beaucoup ébranlée. Et je me suis toujours dit que je me lève pour les... C'est ce que tu disais, pour les participants, participantes. Et pour les 4, 5, 15 personnes dans l'Assemblée qui vont se dire... Soit, comme tu disais, tiens, je n'avais pas vu ça comme ça. Ah, je comprends mieux.

  • Speaker #1

    Et des gens qui sont peut-être pour la première fois vus et entendus, ils se sentent vus et entendus.

  • Speaker #0

    Ça, tu crois aussi. On a des gens qui viennent nous voir à la fin. C'est juste que, tu vois, on a eu trois élections en un mois. Et ça m'a découragée. Ça m'a découragée pendant un temps. C'est la rentrée, là, ça y est, je suis repartie. Mais je peux te dire qu'au mois de juin, j'étais complètement paralysée. J'étais... Ouais. J'arrivais pas à bosser, j'arrivais pas à parler, j'arrivais pas à poster.

  • Speaker #1

    Et après, je pense qu'on a un vécu aussi différent, tu vois. Moi, en tant que blanche, jamais dans la rue. Évidemment, on a eu plein de discussions avec nos entourages à ce moment-là. Et une collègue qui est en couple avec un maghrébin, qui a donc deux enfants en métisse, elle me dit Mais moi, j'ai peur pour mes gamins dans la rue. Moi, j'ai ce privilège-là de me dire Jamais j'aurais peur pour moi dans la rue. Donc évidemment, on ne le vit pas exactement pareil.

  • Speaker #0

    Merci pour tout ce que tu as partagé. tout ce que tu as livré aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'avoir offert cet espace, parce que finalement, même si c'est quelque chose sur lequel je cogite depuis longtemps et qui m'anime au quotidien parce que je donne des exemples de ma vraie vie tout le temps dans mes interventions, c'est rare qu'on ait quand même un espace pour tout balancer comme ça. C'est un peu thérapeutique ton votre histoire.

  • Speaker #0

    Faut pas le dire.

  • Speaker #1

    Venez parler à Alexia de vos origines. Ça fait un bien fou.

  • Speaker #0

    C'est un peu ça. Qui dirais-tu que tu es devenue au terme de tout ce que tu nous as raconté là ?

  • Speaker #1

    Je suis devenue moi.

  • Speaker #0

    Je sens qu'il y a un lien avec le trait d'union.

  • Speaker #1

    Et donc cet ensemble de traits d'union, France, Portugal, parents ouvriers, femmes de ménage, aujourd'hui, plutôt CSP+, mariée à un enfant de médecin, ingénieur. avec des potes plutôt français origines de CSP+, voilà, je suis à l'intersection de plein de choses, on n'a pas parlé de mon état de santé je suis à l'intersection de plein de choses voilà, maman de chat je peux parler de mes deux chats ? c'est pas que je vais le garder dans le mental final mais ça me fait très plaisir un immense merci bah merci à toi

  • Speaker #0

    C'était Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Si ce que vous avez entendu vous a plu, laissez des étoiles et des commentaires sur votre appli de podcast, suivez Joyeux Bazar sur les réseaux et surtout, parlez-en autour de vous. Parce que le bouche à oreille est le canal le plus efficace pour faire connaître un podcast. C'est fou, non ? Allez, à bientôt !

Description

Avant de faire Science Po et de s’envoler aux États-Unis, Claudia a longtemps été “la fille de la femme de ménage”. Et même si ses parents sont de ceux qui sont vus comme les “bons immigrés” : blancs, européens, catholiques, travailleurs, elle a connu très tôt le mépris de classe… C’est aux États-Unis que son éveil politique est né : depuis, elle sait que sa colère est légitime. 


Claudia a aussi déménagé, en pleine adolescence, des beaux quartiers à la banlieue : comment grandir entre deux cultures et trouver sa place dans une société marquée par les inégalités sociales et les stéréotypes culturels ? Dans cet épisode, nous recevons Claudia Da Cruz, fille d’immigrés portugais et aujourd’hui consultante en diversité et inclusion.


Nous espérons que cet épisode vous plaira ! Bonne écoute.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Le bazar.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Je suis Alexia Sena et je suis chanceuse, honorée même, d'avancer avec vous dans la cinquième saison déjà de ces conversations délicieuses et périlleuses autour des vécus multiculturels. Joyeux Bazar, c'est aussi une newsletter, des rencontres, des ateliers et des conférences en entreprise. Mais pour l'instant, c'est dans vos oreilles que ça se passe. C'est parti ! Bonne rentrée, bonne reprise à vous qui nous écoutez aujourd'hui. Alors j'ai conté tout à l'heure et j'ai réalisé que c'est la cinquième saison de Joyeux Bazar qui démarre. Ça m'a fait tout drôle. Ça m'a fait drôle de penser qu'épisode après épisode, depuis février 2020, vous êtes encore au rendez-vous pour explorer, chercher, douter, questionner, rire, pleurer aussi parfois, autour de ce sujet qu'est la double culture. Donc évidemment, je vous remercie profondément, infiniment. C'est le temps de cerveau disponible et le temps de cœur aussi disponible que vous consacrez à Joyeux Bazar qui donne tout son sens. à ce projet donc un immense merci vraiment je m'en vais vous présenter l'invité du jour j'ai connu claudia dacrouse par le travail parce qu'elle est comme moi consultante et formatrice en diversité et inclusion et là vous vous dites mais qu'est ce que c'est que ce métier de quoi ça parle ne vous inquiétez pas on va en parler on va vous expliquer tout ça mais en tout cas tout ça pour dire qu'avec claudia on s'était prévu une visio pour parler boulot à la base et elle m'en a un peu dit sur son parcours perso sur cette double culture donc juste ce qu'il faut pour que Illico, je la mette sur la liste des potentiels invités du podcast. Bonjour Claudia.

  • Speaker #0

    Bonjour Alexia.

  • Speaker #1

    En te présentant, tu m'as dit je suis fille d'immigrés portugais et je suis transfuge de classe aussi Qu'est-ce que c'est l'histoire de tes parents, en tout cas l'histoire d'immigration de tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents sont nés au début des années 60 au nord du Portugal. Le Portugal des années 60, en général, je dis aux gens, c'est la France des années 20. Ils se souviennent très bien quand l'eau courante est arrivée, quand l'électrice est arrivée. Ils se souviennent du premier téléphone du village. Mes parents sont nés dans des grandes fratries de 7 et 8 enfants et leurs propres parents étaient paysans. C'était seulement l'école primaire obligatoire. Et puis après ça, comme leurs parents avant eux, leurs grands-parents avant eux, ils sont allés dans les champs, ils sont allés s'occuper des animaux. Et très vite, autour des 13-14 ans, quand ils ont commencé à avoir un peu plus de force physique et d'autonomie, ils ont commencé à travailler. au-delà de ce cercle familial. Donc, mon papa, je pense que 13-14 ans, il a été sur ses premiers chantiers de construction au Portugal, pour le coup. Et ma maman, à 15 ans, elle est partie à Porto en tant que jeune fille au père. Donc, voilà, ils ont commencé à travailler très très jeune. Ils ont comme point commun d'être parmi les plus jeunes de leur fratrie. Donc, ils avaient tous les deux des grands frères et sœurs assez... Enfin, avec 15 ans de plus qu'eux, quoi, qui étaient à peu près tous en France. Et donc, quand ils ont eu 20 et quelques années, ils se sont dit, cette vie ne va pas nous suffire à un jour avoir une maison et à finir nos fins de mois en étant à peu près tranquille. Puisque même en ayant trouvé un job, c'était quand même très, très limité financièrement. Donc, ils ont émigré. Mes parents sont arrivés en milieu des années 80 en France, en Ile-de-France.

  • Speaker #1

    Donc, quand ils arrivent, la France n'est pas... totalement inconnue, c'est-à-dire que c'est la première fois techniquement, mais comme ils ont des grands frères et des grandes sœurs qui y sont déjà, est-ce que tu sais ce que ça représentait pour eux ?

  • Speaker #0

    Alors, ils ont une vision différente l'un et l'autre. Mon père, ce n'était pas son objectif dans la vie, et je pense que comme beaucoup d'immigrés, il avait envie de venir quelques années et repartir, et après faire sa vie au Portugal. Et ma mère, elle voyait vraiment la France comme une échappatoire de son petit village au fin fond de la campagne, et notamment Paris, il y avait vraiment le côté... Paris, la grande ville pleine de possibilités et qui veut dire aussi liberté. Ma mère, elle est arrivée en France, dans les beaux quartiers de Paris, pour faire du ménage, pour s'occuper d'enfants, etc. Elle a appris le français très vite. Elle a un tout petit accent portugais et elle est extrêmement fière d'avoir juste ce tout petit accent. Et elle avait une hantise, c'est qu'on arrive en maternelle sans savoir parler français. Donc ma mère, elle nous parlait français. Et en fait, de facto, voilà, il n'y a pas eu... Moi, je n'ai jamais été élevée dans ce fantasme du retour au pays parce qu'elle, je pense qu'elle était très contente d'être partie. Elle est vraiment dans le modèle de... Moi je suis venue ici donc je me suis adaptée, je travaille dur, je suis discret, je fais pas de vagues. Mes enfants sont français, moi je suis devenue française à 14 ans puisque je suis née en France mais de deux parents étrangers. Et tu sais quand on doit remplir des fiches au collège, la première semaine, on me demandait souvent la nationalité et là ma mère disait tu mec t'es française.

  • Speaker #1

    Ah oui, alors que ce n'était pas encore officiellement le cas, d'accord. Et alors, la place que prenait, qu'avait le Portugal dans ton enfance, donc il y a cette question de la langue, est-ce qu'il était présent sous d'autres formes ?

  • Speaker #0

    Alors, le Portugal était très présent, déjà, tous les mois d'août. Le mois d'août, c'est le mois...

  • Speaker #1

    Ok, d'accord, tu ne te poses pas la question.

  • Speaker #0

    Quasiment tous les Portugais que je connais qui habitent en France, c'est au mois d'août qu'ils rentrent au pays. En fait, ce n'est pas en juillet, c'est en août. Et du coup, le village devient le lieu de réunion de tous les gens qui sont éclatés dans plein de lieux différents. Donc ça, déjà, c'était hyper important. Le dimanche, la messe en portugais, je te disais. Donc déjà, une fois par semaine, voilà. Et puis après, c'est des moments de tradition. Noël. Moi, je n'ai pas eu de dinde à Noël pendant pas mal d'années. Je pense que petit à petit, ma mère l'a intégrée. Et donc maintenant, on est à la dinde. Mais sinon, c'était le poulpe et la morue à Noël. plus des pacheteiges de bacaliao donc des petits acras de morue plus enfin bref différents trucs différentes spécialités puis après t'as Pâques aussi avec en fait la nourriture je pense que c'est un truc qui doit revenir peut-être aussi dans ton podcast carrément un

  • Speaker #1

    peu la base pour les personnes qui nous écoutent et qui ne connaissent pas Paris ou la région parisienne Paris 16ème c'est un arrondissement qui est à l'ouest de Paris et c'est vraiment les quartiers cossus en fait donc comment est-ce que tu es passée de Paris 16 à Paris 16 à Villejuif, qui est cette banlieue populaire, collée à Paris, tout près, mais qui n'est pas le même environnement.

  • Speaker #0

    Entre ma troisième et ma seconde, on a déménagé parce que mes parents, je pense, au début de mon collège, ils ont acheté une maison qui était toute petite et très ancienne. Et pendant quatre ans, le soir après le chantier, mon père allait faire des travaux dedans. Et le week-end, pendant quelques années, on y allait tous les week-ends faire des travaux dedans. pour en faire un pavillon de banlieue un peu plus cossu, un peu plus spacieux. Et donc, il a été prêt pour qu'on emménage dedans entre la troisième, l'été entre ma troisième et ma seconde. Ce qui était nickel parce que stratégie scolaire, j'avais le dossier d'une collégienne parisienne intramuros. Donc, j'ai demandé un lycée hors secteur, mais dans Paris. Donc, tu vois, je suis allée au lycée dans le 13e, à

  • Speaker #1

    Claude Monet.

  • Speaker #0

    plutôt bien classé, etc. Mes parents étaient très contents, ils étaient très rassurés. Et c'est marrant parce que ma sœur, elle a commencé sa sixième cette année-là, ils l'ont tout de suite mis dans le privé à côté de la maison, au crème l'imbicêtre qui est collé avec. Je suis passée de l'un à l'autre parce que j'étais mineure et que je vivais avec mes parents, que je n'avais pas le choix. Puis comment je l'ai vécu, par contre, c'est peut-être la question sous-jacente. D'un côté, très bien. Parce que j'ai très mal vécu mes années collège dans le 16e, à coup de remarques et de vannes quotidiennes sur mes origines portugaises, sur le fait que... Donc des blagues dans tous les sens sur les poils, le ménage...

  • Speaker #1

    Oui, tous les stéréotypes en fait.

  • Speaker #0

    Le chantier. Et blague qui n'était compréhensible que dans le 16e, c'est t'habites à quel étage ?

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #0

    Parce que si tu es enfant de gardienne... Si t'es portugais, il y a 99% de chances que tu sois enfant de gardienne, donc t'habiterais de chaussée. Donc les vannes quotidiennes. J'étais très contente de partir de là parce que j'avais conscience que j'allais aller dans un milieu où je ne serais plus dans une minorité défavorisée. Les gamins de 13-14 ans, en fait, ils ont déjà bien conscience que toi, ta mère, elle est femme de ménage, ton père, il est ouvrier dans le bâtiment et eux, leurs parents, ils sont avocats et médecins. J'étais vraiment consciente. que j'allais quitter cette condition d'infériorité. Et en même temps, j'avais passé quasiment toute ma vie dans le 16e. Et là, je débarque dans un autre monde. Et pour dire les choses de façon extrêmement cash, pour la première fois de ma vie, j'ai pris le métro avec une majorité de non-blancs, des Noirs, des Arabes, des Indiens. Et en fait, quand tu es une gamine de 15 ans qui a connu que... Un quartier où les trottoirs sont larges, sont propres, des bâtiments haussmanniens, jolis, cossus, propres, il n'y a pas de bruit dans la rue, il n'y a pas de personnes qui traînent le soir, etc. Tu vas dans un autre monde. Moi, j'étais très déstabilisée. Et en même temps, j'entendais parfois parler portugais dans la rue. Il y avait des magasins portugais, un magasin d'alimentation portugais juste en bas.

  • Speaker #1

    Tu étais plus à ta place, en tout cas une place plus sympa. Mais ça restait l'inconnu. Ça restait l'inconnu. Ça me rappelle, on parlait de gentrification, dans tous ces quartiers historiquement populaires, et puis dans les classes moyennes, voire supérieures, s'installent de plus en plus, parce que c'est à côté de Paris, et donc un petit peu moins cher. C'est des réflexions que je me fais souvent. Moi, j'habite à Montreuil, donc banlieue proche aussi. Et j'y suis depuis huit ans après avoir vécu toute ma vie parisienne. C'est passé à Paris, Intramuros, y compris Rive-Gauche et Marais. Régulièrement, je me fais cette réflexion. Je me dis, je suis contente que mes enfants vivent dans une ville où il y a des gens qui leur ressemblent. Et en même temps, quand je vais à Vincennes, qui est juste à côté, c'est vrai que les trottoirs sont quand même plus nets. J'hocie entre les deux. En tout cas, ça me faisait penser à ça. Ce que tu décris là, les deux décalages que tu décris, suis dans le 16e d'être la fille de la concierge et suis arrivée à Villejuif, est-ce que c'est des sujets dont vous parliez avec tes parents ?

  • Speaker #0

    Ils avaient fortement conscience de ce que je vivais, ce qui leur faisait beaucoup de peine évidemment. Mon père, oui, c'était vraiment ce discours de fais-toi une carapace, fais en sorte que ça te glisse dessus, on s'en fout d'eux, ils sont jaloux. Et ma mère, je la sentais plus affectée. Après, ma mère, elle bossait dans le 16e aussi. Mon père, il quittait le 16e tous les matins. C'était le 16e dortoir pour lui. Les immigrés portugais en France sont vus comme les bons immigrés. On est blanc, on est européen, on est catho.

  • Speaker #1

    Chrétien, c'est clair.

  • Speaker #0

    Travailleurs, discrets, sérieux, de confiance. Il y a quand même une condescendance. Il y a quand même... notamment quand tu vis dans les beaux quartiers encore plus et donc ma mère elle le vivait au quotidien en tant que femme de ménage et concierge d'immeuble et je pense qu'elle était tiraillée entre le merde j'ai choisi ce quartier parce qu'il y avait une vraie stratégie dans la sélection de ce quartier mes enfants sont dans des bonnes écoles dans un environnement safe je suis pas inquiète quand elles sortent et le, il y a un prix à payer comme tu dis très bien qui est il faut qu'elle elle est confronté dès son plus jeune âge aux inégalités sociales, aux mépris de classe.

  • Speaker #1

    Je pense à Graphie, un épisode avant l'été, et qui disait en fait chaque génération cherche un type différent de sécurité. Donc ses parents ont fui le Sri Lanka parce qu'ils cherchaient de la sécurité physique, en fait ne pas se faire tuer tout simplement, pendant la guerre civile. Puis pour leurs enfants ils voulaient une sécurité financière, donc il fallait être premier ou première de la classe pour faire de bonnes études. Et elle dit, et puis là, nous, notre génération, on a tout ça et maintenant, on cherche un épanouissement. C'est-à-dire que oui, j'ai le diplôme, j'ai fait les bonnes études, mais est-ce que je suis heureux ou heureuse dans ma vie ? Ce sont des questions que nos parents ne se posaient absolument pas.

  • Speaker #0

    Et c'est très juste. Et ça me fait penser, c'est marrant, mon mémoire de master en sociaux à Sciences Po. Je suis en train de réfléchir à ton montage, ça va partir de tous les sens.

  • Speaker #1

    Excuse-toi auprès de Simon, c'est Simon qui fait le montage.

  • Speaker #0

    Excuse-moi Simon, j'en suis vraiment navrée. Donne-moi ton adresse, je t'envoie des chocolats. Et du coup... J'ai, pour mon mémoire de fin d'études, interviewé une quinzaine de familles portugaises. Et tu avais ceux qui te disaient, pour nous, la réussite, c'est l'indépendance matérielle et financière. Et dans ces familles-là, en général, les enfants avaient plutôt fait des études courtes, mais des études qui leur permettaient de rentrer très tôt sur le marché du travail, avec des métiers manuels, plombier, électricien, etc. Mais qui étaient plutôt bien payés. et qui leur permettaient très jeunes de s'acheter une maison, un appart, une voiture, etc. Versus ceux qui te disaient, pour moi, la réussite, c'est être respecté, avoir un statut et ne pas être regardé de haut, être intégré. Et ces familles-là, les enfants ont plutôt fait des études longues. Longues,

  • Speaker #1

    ben oui. C'était quoi le projet de rentrer à Sciences Po pour faire un master de recherche en sociologie ?

  • Speaker #0

    Attends, je t'ai dit que ma mère voulait que je devienne Claire Chazal. Moi, gamine, je connais rien aux études. Ayant grandi dans le 16e, on m'avait quand même parlé. Je savais ce que c'était qu'une prépa. Contrairement à certains cousins, cousines à bras qui ont grandi plutôt en banlieue, qui n'avaient jamais entendu parler de prépa alors qu'ils étaient en tête de classe. Au moment de choisir mon orientation, je vais voir des cousins, cousines plus âgés que moi. J'en ai deux, trois qui ont fait des études longues. Et donc là, à l'une d'elles, je dis je veux être journaliste. Elle me dit il faut que tu fasses Sciences Po. Ok, très bien. Et assez rapidement, je me rends compte que je n'ai pas envie d'être journaliste. Et donc, et très vite en fait à Sciences Po, j'ai des cours de sociologie, j'ai des cours de relations internationales. Ma troisième année, je pars aux Etats-Unis. Et là, j'ai des cours sur le mouvement des droits civiques, sur l'immigration dans la littérature. Donc en fait, très vite, je plonge sur les thématiques qui m'animent encore aujourd'hui autour de la diversité et de l'inclusion, de l'égalité des chances ou de l'inégalité des chances, et qui résonnaient évidemment très fort en moi au vu de mon parcours. Et c'est pour ça, c'est pendant cette année aux Etats-Unis que j'ai décidé, quand je reviendrai pour le master en France, de faire de la socio. Et je savais que tout ce qui était autour de l'éducation et de l'immigration, ça m'intéressait bien.

  • Speaker #1

    Ce dont j'ai l'impression, c'est que... C'est les cours, en fait. C'est les cours. Il y a la découverte de la socio en cours qui t'a passionnée. Et après seulement, tu as fait des liens un peu avec ton propre vécu éventuellement. Mais ça donne l'impression que c'est d'abord une curiosité intellectuelle.

  • Speaker #0

    En fait, c'est marrant. Je viens de réaliser que j'ai été attirée par ces cours parce que j'avais quand même un intérêt sur ces thématiques par rapport à ma propre histoire. Mais je pense que ce qui m'a décidée derrière, c'est parce qu'il y avait des profs à Sciences Po qui en faisaient des cours.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et là, j'arrive à Sciences Po, et il y a des cours qui parlent d'immigration, qui parlent d'inégalité.

  • Speaker #1

    Ça peut être une matière d'études, un truc...

  • Speaker #0

    C'est un truc légitime. Il y a des grands chercheurs et des grandes chercheuses qui publient des trucs là-dessus. Et donc là, je pense que je prends conscience de ça à ce moment-là. Tu vois ? Et que mon parcours, c'est pas juste un parcours de vie individuelle, mais c'est un truc où il y a... plein d'autres gens qui, de plein d'autres façons, ont vécu des trucs similaires.

  • Speaker #1

    Et que du coup, ça devient un truc collectif, systémique, étudiable.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et après, pendant mes études, j'ai pris conscience de plein de choses aussi. Par exemple, anecdote, je vais aux Etats-Unis, je rencontre... Donc je vais dans une fac qui est très à gauche. L'année de la première élection d'Obama,

  • Speaker #1

    2008.

  • Speaker #0

    C'était incroyable. Je pense que j'ai eu un éveil politique à ce moment-là, puisque moi, tu sais, je suis enfant d'immigrés qui sont très discrets,

  • Speaker #1

    qui n'ont pas de vagues.

  • Speaker #0

    Donc pas de politisation. Je rencontre une nana sri-lankaise qui a un nom de famille qui est Almeida. Qui a un nom de famille portugais. Et donc je lui dis, de façon très naïve, autour d'une bière, je pense, je dis, ah c'est marrant, t'as un nom portugais, c'est drôle. Et là, elle se renferme et elle me regarde. très durement, elle me dit de façon assez cash, elle me dit tu crois que c'est drôle d'avoir un nom qui vient du colonisateur qui est lié à mon histoire coloniale à ce moment là, face à elle j'étais la blanche dominante, ignorante de son histoire puisque je savais que le Portugal avait envahi l'Angola, le Mozambique, le Cap-Vert mais le Sri Lanka, le Frépac tout ça pour dire que c'est des moments aussi dans l'histoire dans mon histoire à moi où mon histoire Elle a fait le lien avec la grande histoire, tu vois.

  • Speaker #1

    Comment ça se passe à ce moment où tu as coché des cases de tes parents ? C'est-à-dire que tu as fait de grandes études, tu es à Sciences Po, et tu commences à t'orienter, comme tu dis, à te politiser petit à petit, et à t'orienter vers des trucs où tu vas faire des masters en sociaux.

  • Speaker #0

    Ils ne se rendaient pas compte, tu dis que tu vas faire un master en sociaux, à partir du moment où tu vas avoir un diplôme de Sciences Po, ça leur va très bien. Par contre, le fait de suivre ces cours, de me politiser un peu, je suis revenue en France.

  • Speaker #1

    Tu voyais plus le monde de la même manière.

  • Speaker #0

    J'étais très différente. Je disais quand je n'étais pas d'accord. Je râlais, je gueulais contre les classes dominantes et compagnie. Et donc là, mes parents, ils ont été très perturbés.

  • Speaker #1

    Oui, tu as changé la physionomie des repas dominicaux.

  • Speaker #0

    C'est ça. En fait, aux États-Unis, j'ai rencontré des gens qui se permettaient de dire ce qui ne leur allait pas, d'exprimer à voix haute la source de leur colère. Et ils ne se posaient pas la question de s'ils avaient le droit de le dire ou pas. Ils le disaient. J'ai rencontré des personnes qui se battaient pour la cause de la Palestine. J'ai rencontré des personnes noires, latinas, etc., latinos, qui parlaient de racisme, etc. Et en fait, écouter eux, leurs histoires et leurs combats a fait ressortir des trucs que j'avais vus. ressenti, qui m'avait fait ressentir de la colère ou de la tristesse, mais que j'avais jamais dit à voix haute quoi. Et surtout que mes parents n'avaient jamais exprimé. Avant de partir aux États-Unis, j'étais encore dans le modèle du bon petit portugais qui se tait, et en revenant je dis bah non mais en fait si ça va pas faut le dire quoi. Le sapin de Noël quand on habitait dans le 16e, on n'avait pas la place d'avoir un sapin de Noël dans la loge. Donc En fait, on mettait un grand sapin de Noël dans le hall de l'immeuble, ce qui servait de décoration aussi. Tous les gens de l'immeuble en profitaient. Et c'était ma maman qui achetait le sapin, et c'était ma maman qui achetait les décorations. quasiment tous les jours, on se rendait compte qu'il manquait des décorations. Un jour, ma mère me dit, j'ai vu Madame Machin, sa gamine avait dit, je trouve ça joli, et elle lui avait dit, vas-y, prends. Il y a des souvenirs comme ça un peu flash, de dire à ma mère, mais tu devrais lui dire, ou tu devrais juste mettre une affiche, si tu ne veux pas cibler quelqu'un, une affiche en disant, pour information, le sapin et les décorations sont la propriété de la famille d'Acrouse. Et elle me dit Mais je peux pas faire ça, t'es folle ! Par exemple, je t'ai dit que ma mère était femme de ménage dans une famille et l'un des enfants de cette famille était mon camarade de classe. À un moment donné, j'ai été invitée à participer au concours général. Et les meilleurs élèves, vraiment, de France, en gros, sont invitées à participer à ce truc-là. Ma mère le raconte à sa patronne, très fière.

  • Speaker #1

    Bah oui, comme une maman, quoi.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que quand t'es femme de ménage dans une famille et que ça se passe bien, tu papotes et tu parles de tes trucs perso. Avant que ma mère raconte ça, cette famille ne faisait que la couvrir des loges. A partir de ce jour-là, il y avait toujours un truc qui n'allait pas. Il y avait des tâches qui n'avaient pas bien été réalisées, de la saleté qui restait. Elle n'avait pas assez repassé de chemise dans le temps imparti, que sais-je. Du jour au lendemain. Et ça, elle me l'a raconté. Elle était très en colère, très triste, mais elle n'a jamais rien dit.

  • Speaker #1

    C'est hyper intéressant, cette question de la colère et de la légitimité de la colère. Il y a des catégories de populations qui sont plus légitimes à s'énerver que d'autres. Quand tu es une personne ou quand vous êtes une communauté de personnes noires, de personnes latino, de personnes immigrées, de personnes étrangères, de personnes femmes de ménage, etc., quels sont les espaces dans lesquels vous pouvez exprimer votre colère et être prise au sérieux ? Et comme cette colère n'est jamais légitime, elle n'est jamais suffisamment justifiée et qu'elle n'est pas écoutée, qu'est-ce qu'on fait ? On ne l'exprime pas. La question de la santé mentale, une génération qui... C'est dit, on ne va pas faire de vagues et c'est comme ça que nos enfants vont avoir de la place. Et puis en fait, les enfants ont potentiellement eu cette place-là. Pour autant, il y a quand même de la colère. Alors, est-ce qu'on l'exprime ou pas ? Qu'est-ce qu'on a à perdre à l'exprimer ? Ça ouvre des questions extrêmement intéressantes.

  • Speaker #0

    Et puis, ça ouvre aussi des questions sur le collectif et comment le collectif est indispensable pour pouvoir exprimer cette colère. Et quand tu es femme de ménage, tu es toute seule dans la famille qui t'emploie. Quand tu es concierge d'immeuble, oui, il y a d'autres concierges dans la rue et tu papotes. Mais il n'y a pas de syndicat des concierges d'immeubles.

  • Speaker #1

    Exactement. Donc tu peux avoir des espaces d'expression au sens de ce qu'on appellerait aujourd'hui des safe space en français, mais tu peux avoir du soutien d'une communauté. Ça n'est pas un mouvement organisé. On n'est pas encore dans l'organisation, l'autostructuration pour aller défendre des choses, combattre ou ne serait-ce que dénoncer.

  • Speaker #0

    Ça, ma mère, elle l'a tellement intériorisé. Mon père aussi. Mais si tu allumes le journal et que tu vois des gilets jaunes, des gens qui manifestent, des gens qui font grève... des émeutes dans les quartiers, etc. Le premier réflexe que mes parents vont avoir, c'est Qu'est-ce qu'ils font chier ? Il faudrait juste qu'ils aillent travailler et puis ils arrêtent d'embêter leur monde. Parce que pour eux, s'exprimer et se révolter, c'est pas être du bon côté.

  • Speaker #1

    Je vous conseille, je te conseille si tu le connais pas, de regarder ce que fait Bissai Media. Bissai, ça s'écrit B-I-S-S-A-I. Et donc il y a un média qui a vraiment pour volonté de porter ces voix-là, donc plutôt les voix des nouvelles générations, mais qui racontent finalement l'histoire de leurs parents et de leurs grands-parents, histoire qui n'ont jamais été racontées, parce que surtout il fallait les taire pour ne pas faire de vagues. Et je trouve hyper intéressant cet aspect générationnel et qui provoque beaucoup d'incompréhension dans les familles et dans les communautés, parce que le silence nous a permis de survivre, et toi du jour au lendemain tu arrives et tu dis on va briser le silence et c'est pas bien, mais qui es-tu donc, espèce d'ingrat ?

  • Speaker #0

    Quand les parents veulent que leurs enfants... appartiennent au pays où ils ont émigré, qu'ils aient un bon statut, etc., avoir une voix, ça va avec. Sauf que derrière, quand ils l'utilisent, ils veulent que ta voix compte. Ils veulent que t'aies une voix qui soit légitime.

  • Speaker #1

    Mais c'est pas une voix politisée. On vous aime, les parents. On ne sait pas assez, mais on vous aime. C'est dur, c'est dur. Vraiment, un gros cœur sur vous. On est arrivés ici parce que je te demandais ce qui t'avait frappé dans les résultats de ton mémoire. On a fait une pause pour boire de l'eau et on est parti sur autre chose.

  • Speaker #0

    Premier renseignement, je t'en ai déjà parlé, c'était les familles qui choisissaient les études courtes, c'était plutôt les familles qui valorisaient la réussite matérielle, financière, l'indépendance, l'autonomie, versus les familles où il y a eu des études longues, c'est plutôt des familles où on valorisait le côté statut, respect, une place dans la société. Ce qui aussi différencie énormément ces deux typologies de familles, c'était la géographie. Les familles où les enfants ont fait des études longues, c'était soit des familles qui habitaient dans les beaux quartiers, notamment parce que maman est en concierge, soit des familles qui n'habitaient pas forcément dans les beaux quartiers, mais la mère allait. Dans les beaux quartiers travaillés.

  • Speaker #1

    Et donc voyaient un peu...

  • Speaker #0

    Elles voyaient et elles avaient accès à de l'information, puisque comme je le disais tout à l'heure, les femmes de ménage, elles parlent beaucoup avec leurs employeurs. Et donc, au moment de l'orientation, c'est des familles, et notamment des femmes, des mères, qui se sont dit, j'y connais rien, mais moi j'ai des patrons et des patronnes qui peuvent être une source d'information pour moi. Bien sûr. Et donc... qui ont découvert l'existence des centres d'orientation, des bouquins de l'ONICEP ou de l'étudiant, à travers leur patron-patronne. Et qui faisaient lire leurs enfants aussi. C'est un truc vachement fort. Plusieurs mamans qui m'avaient dit, moi, mon gamin, même si moi je lisais pas, mon gamin, je lui offrais des livres, je voulais qu'il lise. Versus les familles où les enfants avaient fait des études très courtes. C'était, dans la majorité des cas, des familles où les parents disaient, Je ne suis pas intervenue dans le process d'orientation de mon enfant parce que je n'ai pas fait d'études,

  • Speaker #1

    encore moins en France.

  • Speaker #0

    Et je n'en sais rien. Donc, ils ont choisi tout seuls avec leurs copains, leurs frères et sœurs, leurs profs. C'est ça l'autre enseignement. Et ça, c'était, pour faire le lien, c'était plutôt géographiquement dans des quartiers plus populaires.

  • Speaker #1

    Tu aurais pu continuer tes travaux de recherche. Tu t'es dit non, mais je vais aller voir dans la vraie vie comment ça se passe ce truc-là. Et peut-être... tenté d'avoir un impact, une influence là-dessus. Donc, une de tes cousines dit qu'il y a une fonction qui est en train d'éclore en entreprise. Donc, on est en 2011. Et ça s'appelle diversité. Tu fais effectivement un master 2 en RH, en alternance dans une entreprise dans laquelle tu vas rester après sur un poste RH au départ. Puis, au bout de 4-5 ans, il y a un poste diversité, justement, qui se crée. Et là, tu dis, mais c'est pour moi ! Il n'attend que moi, ce poste. Donc, tu l'obtiens. Et tu vas y rester quasiment 4 ans dans ce poste-là, diversité. En quoi a consisté ton boulot pendant 4 ans ? Là, on est en 2015.

  • Speaker #0

    Je bossais chez Bouygues Construction, grand groupe de BTP. J'avais à la fois le pilotage de la politique diversité-inclusion, puisque grand groupe, international, plein de filiales dans tous les sens. Ils avaient formalisé quand même quelques grands objectifs. Il y avait un comité diversité, un comité handicap. Je pilotais un peu tout ça. L'idée, c'était de... Faire en sorte qu'on atteigne nos objectifs et qu'on en crée de nouveaux. Mettre en place des actions. Ça allait être, de façon hyper concrète, mettre en place un programme de mentoring pour des femmes dans l'entreprise pour faire en sorte qu'à un moment critique de la carrière, où il y avait beaucoup de femmes qui partaient, elles restent dans l'entreprise. Organiser des visites pour des jeunes de quartier dans nos bureaux, qui étaient des... Donc le siège de boue de construction, c'était des grands bureaux assez prestigieux, assez impressionnants. Et donc on faisait venir des jeunes de quartier pour leur montrer, oui c'est possible. Et on faisait témoigner des collaborateurs et collaboratrices qui eux-mêmes étaient issus des mêmes quartiers pour leur dire, regardez, moi maintenant je fais ça comme métier, pour vous c'est possible aussi. Je créais ou je refondais des formations et après je les animais ou je les co-animais. Voilà, je faisais plein de choses. Mon quotidien n'était pas du tout ennuyeux. Et donc, je bossais beaucoup sur le sujet du handicap, sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes, un peu sur le sujet des parcours et des diplômes, diversité des parcours et des diplômes, et un peu sur la diversité des origines et l'insertion de publics en difficulté.

  • Speaker #1

    OK. J'espère que c'est plus clair pour les personnes qui nous écoutent. La diversité, c'est le fait d'être différent au sein d'un collectif qui n'est pas que des gens qui se ressemblent tous, pas que des personnes blanches, pas que des gens qui ont tous fait le même parcours. scolaire, académique, etc. Et l'inclusion, c'est une fois qu'on a fait rentrer ces personnes qui sont un peu différentes et qu'on a un effectif divers, comment est-ce qu'on fait pour que les personnes qui ne sont pas dans le schéma dominant, dans la norme, se sentent elles aussi à leur place en fait ?

  • Speaker #0

    Comment on fait un collectif avec toutes ces disciplines ? Comment on fait que chacun soit bien dans ses baskets ? Donne le meilleur de soi-même ?

  • Speaker #1

    Alors au bout de 4 ans, pour plein de raisons, Tu décides d'abord de changer de fonction, puis finalement de quitter le groupe et même de quitter le salariat. Allez, soyons folles. Avant qu'on parle de ça, il se trouve donc que pendant les études à Sciences Po, tu l'as dit, tu es allée étudier aux États-Unis pendant un an. Oui. Ce qui a eu deux grandes conséquences, enfin mille conséquences j'imagine, mais sur notre sujet du jour, deux grandes en tout cas que moi j'ai identifiées. La première, c'est donc ces cours sur plein de sujets sociétaux. Légitimité aussi de la colère que tu découvrais. Et un deuxième impact plus personnel qui est que ça t'a rapproché de ta famille américaine, car oui, tu avais plein de cousins et de cousines aux États-Unis. Et alors, j'aimerais que tu nous parles de ces cousins de culture américaine, parce que tu m'as dit...

  • Speaker #0

    En fait, c'est hallucinant de voir comment juste le fait que nos deux papas, donc les deux frères, aient choisi et quitté le Portugal, l'un pour aller en France et l'autre pour aller aux Etats-Unis, c'est hallucinant de voir à quel point ça fait de nous aujourd'hui des cousins, cousines, qui sommes sur des planètes différentes.

  • Speaker #1

    Absolument. Donc l'histoire, c'est que mon père a six frères et soeurs. Le plus jeune d'entre eux est marié avec une dame du village portugaise. Et toute la famille de cette dame, tout le monde a émigré aux Etats-Unis. Donc mon oncle, bam, il est parti émigrer aux Etats-Unis. C'était le seul de tous les frères et sœurs à vivre aux Etats-Unis parce que tout le monde avait émigré en France sinon. Tout ça fait que ce tonton est parti aux Etats-Unis avec sa femme. Il a eu deux enfants là-bas, il se met deux cousins germains qui habitent dans le Connecticut à Bridgeport.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Et en fait, lorsque je pars aux Etats-Unis, je les connaissais un petit peu du mois d'août, des vacances au mois d'août. Mais je... ne soupçonner rien de leur vie quotidienne aux Etats-Unis.

  • Speaker #0

    Oui, toi, tu les connaissais des mois passés au Portugal, en fait, au mois d'août, quand toute la famille se réunit.

  • Speaker #1

    Et là, je me retrouve plongée dans leur vie. Déjà, je découvre leur ville, leur quartier. Mon oncle et ma tante parlent très, très mal anglais, alors qu'ils sont aux Etats-Unis depuis aussi longtemps que mes parents sont en France. Pourquoi ? Parce qu'ils vivent entre Portugais, dans leur quartier, en fait, dans leur rue. Il y a le drapeau américain devant les maisons, mais il y a aussi le drapeau du Portugal. Et parfois, il y a un troisième drapeau qui est celui de Porto, du Sporting ou de Benfica, qui est donc l'un des trois grands clubs de foot.

  • Speaker #0

    Le club de foot portugais, d'accord.

  • Speaker #1

    Mais donc, leur quartier, il y a une énorme majorité de Portugais. Ils font leurs courses dans des commerces portugais. Ils vont, comme nous, à l'église portugaise. Ils ont la télé allumée en portugais. Ils ne parlent entre eux qu'en portugais. Mes cousins. qui sont nés là-bas, ont grandi avec quasiment que des potes portugais et latinos, puisque là-bas, la communauté portugaise et latina, notamment brésilienne, tu vois, avec la langue, etc., se mélangent. Et lorsque je suis arrivée là-bas, donc t'imagines, moi, je venais de traverser l'Atlantique, j'avais 19 ans, je leur dis, et sinon, on va aller à New York.

  • Speaker #0

    Ils ont jamais mis les pieds.

  • Speaker #1

    Et ils ont jamais mis les pieds à New York. Alors qu'ils sont à une heure de train de banlieue de New York. Et là, c'est comme si tu me disais... En fait, à Postéry, je pense que ça existe. Mais quelqu'un qui habite à Marne-la-Vallée ou à Meaux, qui n'a jamais mis les pieds dans Paris et qui n'a jamais vu la Tour Eiffel, c'est sûr que ça existe. Mais moi, ça me paraissait fou. Et ça ne leur manque pas, ils sont très heureux. Il n'y a pas de jugement de valeur dans ce que je raconte. Mais finalement, moi, j'ai été élevée dans un projet d'ascension sociale. de m'intégrer à la France, d'être française. Et d'ailleurs, on a eu cette conversation avec l'un de ses cousins-là, cet été, en vacances. Parce que je pense que lui aussi, ça le fait cogiter. Il m'a demandé, Claudia, est-ce que tu te sens plus française ou portugaise ? Et là, je lui ai dit, écoute, je suis incapable de choisir entre les deux. Par contre, si vraiment tu dois me demander c'est quoi mon pays, c'est la France. Je suis née là, j'ai grandi là, je fais toute ma vie là quasiment. Et là, il me regarde et me dit Mais tu vois, ça c'est fou pour moi, parce que moi et mon frère et toute notre communauté, on a été élevés en étant portugais avant tout. Et ça te montre bien en fait comment le modèle d'intégration de l'immigration entre la France et les Etats-Unis est extrêmement différent. Parce qu'en France, si tu veux t'intégrer... Tu te fonds dans la masse et tu enlèves ta singularité. Aux Etats-Unis, si tu veux t'intégrer, tu rentres dans une communauté. Et le mot communauté aux Etats-Unis n'est absolument pas négatif. Alors qu'en France, il est vu comme tu rentres dans une communauté, donc tu t'isoles, tu ne veux pas faire l'effort, tu te sépares de la République, etc. Et donc, ça fait qu'on a un rapport à nos origines, à notre identité et au pays dans lequel on vit qui n'a rien à voir. Il a fait des études, il est allé à la fac. Mais il est allé à la fac à côté de chez lui. D'ailleurs, il avait eu, parce qu'il était très, très bon en foot, l'opportunité d'avoir une bourse pour aller dans une fac prestigieuse un peu plus loin. Et il n'a pas voulu partir parce qu'il y a sa communauté qui est là. Il est ancré là. Alors que moi, j'aurais eu l'opportunité de faire une grande école dans une autre ville. Je n'aurais pas été prise à Paris. Je serais allée vivre à Bordeaux. Ça fait partie du... C'est le deal, quoi, tu vois. Donc, ouais, c'est... Effectivement, ce que je t'avais raconté... Quand on avait eu cette première discussion, c'était deuxième, il y a eu un truc différent dans le parcours de nos papas. Ils sont nés à deux ans d'écart, dans la même maison en pierre, dans le même village du fin fond de la campagne portugaise.

  • Speaker #0

    Et dans la même famille où tout le monde allait en France.

  • Speaker #1

    Voilà. Il y a un petit virage qui a été pris par mon oncle qui est allé aux Etats-Unis plutôt qu'en France. Et aujourd'hui, on se retrouve avec des vies qui n'ont rien à voir et derrière, des convictions politiques qui sont très différentes. Un lien à l'identité, à la langue, à la culture, à l'appartenance qui n'a rien à voir. C'est fou.

  • Speaker #0

    C'est fou, effectivement. Et ça tient à peu de choses. Les trajectoires de vie tiennent à peu de choses. J'aimerais qu'on parle de traits d'union. Parmi les cours que tu as pris aux États-Unis, tu as pris un cours sur l'immigration dans la littérature américaine. Tu découvres l'écrivain Junot Diaz. Oui. Je le prononce donc à la française. Mais il faut savoir que Junot s'écrit J-U-N-O-T et Diaz. Diaz, je ne sais pas. D-I-A-Z. Voilà. Donc, écrivain américain d'origine dominicaine qui écrit beaucoup sur la condition d'immigrer et qui utilise notamment cette notion de, si vous le cherchez sur Google, on retrouve beaucoup ce terme de living on the hyphen qui littéralement signifie vivre sur le trait d'union Et en fait, c'est une notion, ce n'est pas lui qui l'a inventée, c'est une notion qu'il a empruntée à Ilan Stavans, qui est un écrivain américain aussi d'origine juive mexicaine. plein de traits d'union. Et donc, il est souvent présenté comme le roi du Spanglish, c'est-à-dire que dans ses bouquins et dans sa propre expression, il utilise beaucoup le Spanglish, qui est donc pas juste une juxtaposition de termes espagnols et de termes anglais, enfin américains, mais qui est vraiment comment les deux fusionnent, à la fois dans les termes, mais même dans les structures de phrases, dans la grammaire, dans la syntaxe, etc. Est-ce que toi, tu te rappelles comment tu as connu et comment tu as compris aussi, à l'époque ? cette histoire de trait d'union. Living on the hyphen.

  • Speaker #1

    Donc je suis dans ce cours de littérature et pendant la discussion, quelqu'un, soit le prof, soit nous tous ensemble, les élèves en se parlant, on met vraiment le doigt sur ce trait d'union. Donc aux Etats-Unis, il y a beaucoup le Dominican American, African American, etc.

  • Speaker #0

    Asian American.

  • Speaker #1

    Et donc... Moi, quand je me présentais là-bas, j'étais Portuguese-French, tu vois, avec un trait d'union au milieu. Et en fait, on a expliqué que ce trait d'union, lorsque tu es immigré deuxième génération, enfant d'immigré, ta réalité, c'est ce trait d'union qui n'est pas une simple addition, une simple superposition de ce qu'il y a de chaque côté du trait d'union, mais c'est une troisième réalité. qui est propre, qui a ses propres codes, sa propre culture, sa propre histoire. Et ça m'a foutu une claque, ce cours, parce que ça venait mettre un mot et matérialiser ce que depuis toujours j'avais en intuition. Et je me disais, moi je ne suis pas française comme les autres Français, je ne suis pas portugaise comme ceux qui ne sont jamais partis. Je suis ce troisième truc où on a nos codes, on a nos private jokes, tu vois. Entre enfants d'immigrés portugais, tu fais tes blagues que personne d'autre comprend. Et donc le fait de dire, bah oui, il y a une troisième entité, une troisième réalité, elle est là, elle est vraie, elle est légitime, elle n'est pas juste dans ta tête. Elle est partagée par plein de gens.

  • Speaker #0

    Super intéressant, ça me fait penser à un épisode de Joli Bazar avec Marion. Alors je crois que c'est le 34, mais je ne me retiens pas des numéros d'épisode. donc Marion a une maman juive et très engagée dans la communauté juive avec des parents d'un côté qui sont tous morts pendant la Shoah et puis Séfarad de l'autre qu'on faisait la fête tout le temps et puis ça c'est la maman de Marion et puis son papa est catholique d'une famille catho assez tradie autant dire que l'union entre les deux n'a pas été très bien vécue et donc Marion raconte plein de choses hyper intéressantes. Elle dit à un moment, j'ai tellement fréquenté la frontière qu'à un moment, je l'habitais et c'était ça chez moi. Cette définition de la frontière, pas seulement en tant que trait entre deux trucs, mais en tant que lieu en soi. Crée ta boîte qui s'appelle Hyphen Up. Tu reprends ce hyphen qui signifie trait d'union. Je me demandais, on a parlé de ta politisation progressive quand tu es allée aux Etats-Unis, là de... la prise de conscience, mais à la fois individuelle et effectivement collective, politique, de ce trait d'union, en fait, et donc de toutes ces questions d'identité, qui suis-je, etc. Qu'en pensent tes parents ?

  • Speaker #1

    C'est très loin d'eux. Eux, ils ont finalement eu un mode de vie assez individualiste, où tu travailles, tu fais ton argent, t'achètes ta maison, t'achètes ta voiture, tu fais tes vacances au Portugal le mois d'août. Et puis, finalement, il y a moins le sens du collectif, et donc d'enjeux. de cohésion, de collaboration, de bien vivre ensemble. Eux, ils font leur truc un peu dans leur coin et ils ne se prennent pas trop la tête. C'est pour ça, je pense, qu'ils ne comprennent pas trop les enjeux derrière en entreprise. Et très clairement, je suis à peu près sûre que si mes parents, un jour, je les avais dans un atelier de sensibilisation, ils feraient partie des gens chiants qui me diraient Franchement, ça va trop loin, c'est extrémiste, on ne peut plus rien dire aujourd'hui, il ne faut pas être trop sensible sur tout, vous êtes trop susceptibles. Et puis, il faut avoir en tête aussi un truc hyper important, dont j'aurais pu parler depuis le début de l'entretien, c'est que mes parents ont été élevés dans une... dans un petit village au nord du Portugal, au fond de la campagne. Quand ils sont nés, le pays était un pays colonisateur encore. C'était le dernier pays à décoloniser le Portugal. Donc ils ont été élevés, les quelques années d'école qu'ils ont fait, on leur a dit, en gros, l'Africain doit être civilisé par l'Européen blanc. où ils n'ont jamais vu de Noirs ou d'Arabes ou d'Asiatiques de leur vie avant d'être arrivés. Exception fait que ma mère avait sa prof qui était métisse, parce qu'elle venait d'Angola et que son père blanc l'avait ramenée. Mais comme c'était la prof, elle n'était pas Noire. Tu vois ce que je veux dire ? Ce n'était pas une vraie Noire, c'était la prof.

  • Speaker #0

    Complètement.

  • Speaker #1

    Le poids. Donc en fait, moi j'ai été élevée dans une famille où... Le discours banal, c'était les Noirs et les Arabes, c'est des racailles. L'homosexualité, c'est une déviance, c'est une maladie, c'est un vice. Les Juifs et les musulmans, ils ne sont pas dans le vrai et c'est nous qui sommes dans le vrai. J'ai quand même une éducation pas du tout ouverte. Donc, de toute façon, au-delà du fait que mes parents ne comprennent rien au monde de l'entreprise, en tout cas pas grand-chose... Sur le fond des sujets, moi, je me suis vachement détachée d'eux. Et si j'essayais de les convaincre ou d'avoir des grands débats de fond là-dessus, ça partirait en clash. Finalement, aujourd'hui, ils savent que je fais des formations, que je fais des conférences, qu'il y a des grands groupes qui m'appellent, que je fais des conférences devant 600 personnes d'un coup. Ils sont trop fiers. Le reste,

  • Speaker #0

    non, c'est compliqué.

  • Speaker #1

    C'est très compliqué. parents qui sont finalement dans leurs conditions ultra privilégiées Parce qu'ils sont arrivés en France, ils avaient plein de frères et sœurs plus vieux qui leur ont trouvé un job. Ils avaient un job avant d'arriver en France. Parce que très bien vu, blanc, gna gna gna. Pour eux, ils ne se rendent pas compte qu'un Noir ou un Arabe immigré comme eux, la même année, avec la même motivation, la même niaque pour réussir dans la vie, le même sérieux, etc.

  • Speaker #0

    La même qualité intrinsèque ne va pas réussir pareil que eux.

  • Speaker #1

    Et pour eux... c'est qu'ils ne sont pas assez travailleurs, c'est qu'ils sont flémards, c'est qu'ils veulent prendre les allocations.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant, parce qu'on parle des immigrés, tu sais, parfois comme du mâle homogène, mais en fait, effectivement, en fonction de la nationalité, de la couleur de peau, évidemment, de la religion, etc. Mais de comment la société te perçoit, en fait, il y a à l'intérieur de cette masse des immigrés, aussi encore des hiérarchies qui se jouent. sur le regard de la société, et il y a du racisme intra, évidemment. Il y a une xénophobie,

  • Speaker #1

    un racisme extrêmement violent. Ce que tu racontes, ça me fait penser à ma première élection. Première fois que je reçois au courrier l'enveloppe avec tous les programmes sur le tract du Front National. Il y avait un nom portugais. Et franchement, on me dit, mais comment c'est possible ?

  • Speaker #0

    Maintenant je comprends comment c'est possible.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont intériorisé le discours qui dit que eux c'est les bons immigrés qui respectent et qu'il y en a qui faudrait dégager parce qu'ils méritent pas autant qu'eux. Mais à l'époque ?

  • Speaker #0

    On est en train d'avoir cette discussion en septembre 2024. On a un nouveau Premier ministre depuis quelques heures. On a eu les JO, magnifique, incroyable, grosse fierté après avoir râlé évidemment. Mais on a aussi eu la crise politique qu'on sait, avec la montée historique des extrêmes droites en Europe, en France aussi. Et donc tout ce que ça a créé de crispations, de libération de la parole aussi, dans la rue, dans les entreprises. Et avec des entreprises d'ailleurs, nos clients, qui sont parfois, mais pas toujours quand même, très bavards là-dessus. Justement, quand on parlait de prendre la parole et de dire ça ne va pas et de s'engager de ça. Une question qui m'a beaucoup hantée, qui m'a paralysée au mois de juin, maintenant ça va un peu mieux, mais en tout cas qui continue à me travailler. Et que je te pose en tant que consoeur. Est-ce que notre métier sert à quelque chose ?

  • Speaker #1

    Oui, notre métier sert à quelque chose. Comme beaucoup de monde qui a les... qui partagent les convictions que toi et moi on partage sur l'égalité, sur la lutte contre les discriminations. Et ça, j'étais très choquée par ce qui s'est passé cet été, politiquement. Mais je me suis tout de suite dit, en fait, même si moi je ne suis pas encartée ou que ce soit, je ne suis pas quelqu'un qu'on va appeler militant ou quoi, en fait je me dis, mon travail en lui-même, c'est du militantisme déjà. Avoir des discussions, créer des espaces de dialogue entre des gens, pouvoir mettre des mots sur des espèces de frustrations où les gens dans leur coin ou entre eux au coin café rongent leurs freins en disant ouais de toute façon on peut plus rien dire aujourd'hui, regarde ça va trop loin, les questions de genre franchement n'importe quoi bah notre job c'est d'aller mettre des mots dessus, expliquer d'où ça vient, expliquer pourquoi, accueillir le malaise et l'inconfort face à tous ces trucs-là. Et donc, on a besoin de gens qui vont aller à l'avant des manifs, qui vont aller parler sur les plateaux télé, qui vont publier des trucs sur les réseaux sociaux hyper engagés, machin. Et on a besoin aussi d'un terrain qui vient travailler au quotidien, que ce soit le tissu associatif, machin. Et en toute humilité, je nous vois comme un de ces acteurs de terrain-là, tu vois. Donc ouais, on sert, non ? T'en penses quoi, toi ? On sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Non, mais oui, dans le fond, évidemment que je me lève en me disant que ça a du sens. Ça m'a beaucoup ébranlée, moi, cet été. Vraiment. Ça m'a beaucoup ébranlée. Et je me suis toujours dit que je me lève pour les... C'est ce que tu disais, pour les participants, participantes. Et pour les 4, 5, 15 personnes dans l'Assemblée qui vont se dire... Soit, comme tu disais, tiens, je n'avais pas vu ça comme ça. Ah, je comprends mieux.

  • Speaker #1

    Et des gens qui sont peut-être pour la première fois vus et entendus, ils se sentent vus et entendus.

  • Speaker #0

    Ça, tu crois aussi. On a des gens qui viennent nous voir à la fin. C'est juste que, tu vois, on a eu trois élections en un mois. Et ça m'a découragée. Ça m'a découragée pendant un temps. C'est la rentrée, là, ça y est, je suis repartie. Mais je peux te dire qu'au mois de juin, j'étais complètement paralysée. J'étais... Ouais. J'arrivais pas à bosser, j'arrivais pas à parler, j'arrivais pas à poster.

  • Speaker #1

    Et après, je pense qu'on a un vécu aussi différent, tu vois. Moi, en tant que blanche, jamais dans la rue. Évidemment, on a eu plein de discussions avec nos entourages à ce moment-là. Et une collègue qui est en couple avec un maghrébin, qui a donc deux enfants en métisse, elle me dit Mais moi, j'ai peur pour mes gamins dans la rue. Moi, j'ai ce privilège-là de me dire Jamais j'aurais peur pour moi dans la rue. Donc évidemment, on ne le vit pas exactement pareil.

  • Speaker #0

    Merci pour tout ce que tu as partagé. tout ce que tu as livré aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'avoir offert cet espace, parce que finalement, même si c'est quelque chose sur lequel je cogite depuis longtemps et qui m'anime au quotidien parce que je donne des exemples de ma vraie vie tout le temps dans mes interventions, c'est rare qu'on ait quand même un espace pour tout balancer comme ça. C'est un peu thérapeutique ton votre histoire.

  • Speaker #0

    Faut pas le dire.

  • Speaker #1

    Venez parler à Alexia de vos origines. Ça fait un bien fou.

  • Speaker #0

    C'est un peu ça. Qui dirais-tu que tu es devenue au terme de tout ce que tu nous as raconté là ?

  • Speaker #1

    Je suis devenue moi.

  • Speaker #0

    Je sens qu'il y a un lien avec le trait d'union.

  • Speaker #1

    Et donc cet ensemble de traits d'union, France, Portugal, parents ouvriers, femmes de ménage, aujourd'hui, plutôt CSP+, mariée à un enfant de médecin, ingénieur. avec des potes plutôt français origines de CSP+, voilà, je suis à l'intersection de plein de choses, on n'a pas parlé de mon état de santé je suis à l'intersection de plein de choses voilà, maman de chat je peux parler de mes deux chats ? c'est pas que je vais le garder dans le mental final mais ça me fait très plaisir un immense merci bah merci à toi

  • Speaker #0

    C'était Joyeux Bazar, le podcast de la double culture. Si ce que vous avez entendu vous a plu, laissez des étoiles et des commentaires sur votre appli de podcast, suivez Joyeux Bazar sur les réseaux et surtout, parlez-en autour de vous. Parce que le bouche à oreille est le canal le plus efficace pour faire connaître un podcast. C'est fou, non ? Allez, à bientôt !

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