Speaker #0Je suis Delphine, la fondatrice de Maison Toinon, et je vous souhaite la bienvenue dans l'art du cheveu texturé, le podcast qui vous invite à voir les cheveux autrement. Parce qu'il est temps de redonner aux cheveux texturés toute la place qu'ils méritent, de comprendre leur histoire, de déconstruire les mythes, d'explorer leur lien avec la mode, la science, l'identité. Ici, nous ne parlerons pas simplement de produits ou de techniques de coiffage, même si ces sujets auront leur place. Nous irons plus loin. Nous mettrons en lumière les récits oubliés, les figures inspirantes, les enjeux actuels qui entourent les cheveux texturés dans nos sociétés. Dans ce second épisode, nous verrons que les cheveux texturés ne sont pas qu'une caractéristique physique, ils sont un héritage, un langage, un art qui traverse les époques et les cultures. Mais avant d'explorer leur histoire, prenons un instant pour nous interroger sur ce terme. Cheveux texturés, d'où vient-il ? Pourquoi l'utilise-t-on ? Le terme « textured hair » est apparu pour désigner une catégorie plus large de cheveux naturels incluant les cheveux crépus, bouclés et ondulés, sans utiliser des mots qui pouvaient être perçus comme trop spécifiques à une seule communauté. Pour être plus précise, le terme « textured hair » a commencé à apparaître plus fréquemment dans les années 90-2000 à mesure que la perception des cheveux naturels évoluait et que les conversations sur les diversités capillaires prenaient de l'ampleur. Il a été particulièrement adopté dans le mouvement Natural Hair des années 2000-2010, où il servait à casser la dichotomie entre cheveux dits « normaux » et les cheveux dits « ethniques » . Le terme s'est donc imposé progressivement pour englober la diversité des textures capillaires et pour éviter la hiérarchisation implicite entre les différents types de textures. Mizani, marque spécialisée dans le soin des cheveux bouclés, frisés et crépus, a joué un rôle majeur dans la normalisation et la diffusion du terme. notamment dans l'univers des salons de coiffure et des soins capillaires professionnels. En intégrant Textured Hair dans son positionnement marketing et ses produits, la marque a contribué à son adoption plus large par l'industrie et le grand public. Aujourd'hui, l'expression est utilisée dans un cadre plus inclusif, mettant en valeur la diversité des textures naturelles et l'idée que chaque type de cheveux a ses propres besoins spécifiques, sans qu'un modèle unique de beauté capillaire ne soit imposé. Ce terme permet ainsi d'éviter des distinctions parfois rigides et de célébrer la richesse des textures naturelles. Maintenant que la sémantique est posée, voyageons dans le temps et à travers les continents pour comprendre comment les cheveux texturés ont été perçus, valorisés, mais parfois réprimés. Si on remonte aux origines, les cheveux texturés ont longtemps été un marqueur d'identité en Afrique. Dans de nombreuses sociétés, la coiffure était bien plus qu'un choix esthétique, elle était un moyen de communication. Chez les Yorubas du Nigeria, les coiffures symbolisaient le statut social, l'âge ou même l'appartenance à un groupe familial. Chez les Wolofs du Sénégal, des tresses spécifiques indiquaient si une femme était mariée, célibataire ou en deuil. Dans l'Empire du Mali, certaines coiffures étaient réservées à la royauté et portaient des motifs en hommage aux ancêtres. Les cheveux étaient donc un support de narration, une carte d'identité vivante. On les coiffait avec soin, souvent en groupe, ce qui renforçait les liens intergénérationnels et communautaires. L'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie évoquait dans Americana la manière dont, en Afrique, les cheveux ne sont jamais anodins. Ils reflètent une connexion au passé et à l'identité. Mais cette richesse culturelle va être bouleversée par l'arrivée de la colonisation. L'histoire des cheveux texturés est aussi celle d'une lutte contre les normes dominantes. Pendant la période coloniale, les cheveux crépus et bouclés sont dévalorisés, jugés, désordonnés ou non civilisés par les standards occidentaux. En Louisiane, aux Etats-Unis, les lois de Tignon imposaient aux femmes noires de couvrir leurs cheveux pour en réduire la visibilité. En Afrique et dans les Caraïbes, la colonisation a imposé de nouveaux canons esthétiques où la raideur du cheveu devenait un idéal imposé, reflétant une hiérarchie raciale et sociale. Au début des années 1900, les cheveux crépus et bouclés sont considérés comme inférieurs. Le lissage devient alors un moyen d'ascension sociale. A la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, Madame C.J. Walker, première femme afro-américaine millionnaire, bâtit un empire en proposant des produits de soins et de défrisage pour les cheveux afros. Une innovation qui à l'époque donne aux femmes noires une forme nouvelle de liberté, celle de choisir. L'oppression capillaire ne concerne pas uniquement les cheveux crépus. En effet, le contrôle du cheveu sous toutes ses formes a souvent servi à structurer les sociétés et à imposer des idéaux normatifs. En Europe, dès la fin du XIXe siècle, l'invention de la permanente, une technique chimique permettant de boucler ou onduler les cheveux raides, a révélé un autre aspect de cette obsession capillaire, la standardisation de la beauté et l'industrialisation du cheveu. Dans les années 1920-1930, la permanente chaude, qui utilisait des rouleaux chauffés et de la soude, était particulièrement prisée par les européennes en donnant une texture à leurs cheveux lisses. Plus tard, avec la permanente froide, la technique s'est démocratisée, offrant la possibilité de créer des boucles artificielles en opposition aux cheveux raides qui dominaient l'imaginaire collectif depuis le XVIIIe siècle. Ce qui est frappant ici, C'est que dans un monde où les cheveux crépus étaient défrisés pour correspondre aux standards occidentaux, d'autres personnes cherchaient, elles, à ajouter du volume, des boucles, du mouvement, une manière de recréer artificiellement une texture sur des cheveux qui en manquaient. Le paradoxe est saisissant. Alors que certains tentaient de gommer leur volume de leur texture naturelle, d'autres cherchaient à en obtenir. Cela montre bien que les cheveux ne sont pas simplement une question de mode, mais un langage social. Un territoire où se jouent les tensions entre identité, conformité et rébellion. Dans les années 60-70, les cheveux crépus deviennent un symbole politique. L'afro, arboré par Angela Davis et les Black Panthers, devient un cri de révolte contre les normes imposées par la société blanche. C'est une affirmation identitaire, une fierté retrouvée. James Brown chante « Say it loud » . I'm black and I'm proud. Les cheveux crépus ne sont plus cachés, ils sont affichés avec fierté. Mais cette libération ne concerne pas tous les cheveux texturés de la même manière. Les cheveux bouclés, plus proches des standards européens, sont souvent mieux acceptés. Dans les médias, on valorise les boucles définies, maîtrisées, tandis que les cheveux crépus restent largement invisibilisés ou considérés comme moins professionnels. Une étude de 2016 menée par le Perception Institute aux Etats-Unis révèle que les cheveux crépus sont perçus comme moins propres, moins soignés par rapport à des cheveux lisses ou ondulés. Cette discrimination capillaire perdure encore aujourd'hui. Avec l'essor du mouvement NAPI dans les années 2000, le retour au naturel devient un véritable phénomène. Des femmes et des hommes du monde entier redécouvrent la beauté de leurs cheveux sans artifice. Des célébrités comme Lupita Nyong'o, Solange Knowles ou Zendaya célèbrent la diversité capillaire sur les tapis rouges. Mais malgré cette évolution, le combat continue. En 2019, la Californie adopte le Crown Act, interdisant la discrimination capillaire dans le monde du travail et à l'école. L'histoire des cheveux texturés est donc une histoire de lutte, de résilience et de réinvention. Aujourd'hui, nous sommes à une période charnière où les textures naturelles reprennent leur place dans toute leur diversité. Que ce soit à travers le mouvement naturel air ou la réhabilitation des coiffures traditionnelles, on assiste à un retour de l'authenticité. De plus en plus, nous saisissons la clé pour comprendre pourquoi certaines normes persistent et comment on peut, chacun à notre échelle, déconstruire ses biais et célébrer pleinement la diversité capillaire. Ce chemin vers l'acceptation des cheveux texturés, qu'ils soient crépus, bouclés ou ondulés, est un processus à la fois historique, politique et artistique. Porter ses cheveux au naturel, choisir de les boucler ou de les lisser devient un choix conscient, qui s'inscrit dans une culture, une histoire et une esthétique qui se réinventent. A très bientôt dans un nouvel épisode, mais avant de partir, et si l'épisode t'a plu, Je t'invite à laisser une note de 5 étoiles sur ta plateforme de podcast préférée. Cela m'aidera énormément à faire connaître le podcast et surtout n'hésite pas à en parler autour de toi ou sur tes réseaux sociaux.