undefined cover
undefined cover
Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire cover
Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire cover
L'envers du récit

Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire

Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire

20min |07/05/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire cover
Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire cover
L'envers du récit

Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire

Un an à la maison de retraite, avec la photographe Florence Brochoire

20min |07/05/2024
Play

Description

L’envers du récit, saison spéciale "Dans l’œil des photographes de La Croix", épisode 2 sur 4.


La photographe Florence Brochoire travaille avec "La Croix" depuis plus de dix ans. En 2017, elle s’est rendue, pendant une année, à la Résidence de l’Abbaye, une maison de retraite à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne. Aux côtés du journaliste Pierre Bienvault, elle raconte, en images, le quotidien des résidents : leurs petites joies, leurs grands doutes et la vie qui passe.


Dans cette saison spéciale du podcast "L’envers du récit", des photographes reviennent sur les coulisses de reportages, réalisés pour le journal "La Croix". À bord du RER B, auprès des migrants à Calais, sur les traces du loup... Ils nous racontent leur travail de terrain et les choix qu’ils ont faits pour traduire ces histoires en images.


► Retrouvez le reportage de Pierre Bienvault et les photographies de Florence Brochoire :

https://www.la-croix.com/France/maison-retraite-lAbbaye-2017-06-05-1200852634


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mai 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique. Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle.

  • Speaker #1

    La photographe Florence Brochevoir travaille avec Lacroix depuis 2013. Pour le journal, elle a suivi pendant un an le quotidien d'une maison de retraite en région parisienne. À travers ces photos, elle montre la vie des résidents avec pudeur et sensibilité. Dans ce podcast, un photographe revient sur les coulisses d'un reportage réalisé pour le journal La Croix. Il nous explique son travail de terrain et les choix qu'il a fait pour raconter cette histoire en images. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Florence Brochoir, je suis photographe documentaire, donc je travaille sur des sujets société et je fais aussi beaucoup de portraits pour la presse mais aussi pour des institutions, pour plein de gens différents mais c'est vrai que la presse c'est mon cœur de métier. La Croix fait partie des rédactions que je suis venue voir avec mes travaux personnels très tôt, au début. Donc la première personne que j'ai rencontrée c'est Ramel Canitro, qui était chef photo à La Croix. Je ne savais tellement pas comment ça marchait, ce métier, que la première fois que je suis arrivée, je suis arrivée avec un CV. Quand je suis photographe, le CV, j'ai très vite compris que ça ne servait à rien du tout, parce que c'était les images qui primaient. Et comme elle était très gentille, elle m'a dit non, je n'ai pas besoin de ton CV, juste de voir tes images. Et la première commande, c'est Fabien Vernoy, qui travaille au service photo également, qui me l'a passée en 2013 sur le monastère de Beaufort. et depuis, j'ai collaboré régulièrement avec La Croix. Cette série a commencé en février 2017, donc je pense qu'Isabelle Delaganerie, qui est la chef actuelle du service photo de La Croix, m'a appelée, je pense, en janvier, un mois avant. L'idée était de rester un an dans le même EHPAD et de faire des sujets tous les mois, dans La Croix. Une page par mois qui raconterait les saisons, qui raconterait la vie quotidienne, qui raconterait un peu la vie d'un établissement au long cours. Quand on est photographe, on a tendance à passer beaucoup d'un sujet à l'autre. On est appelé parfois la veille pour le lendemain, parfois le jour même. Parfois, ce sont des sujets très différents. Ça fait la richesse du métier, mais parfois, ça peut créer aussi un peu une frustration parce qu'on se dit qu'on pourrait rester plus longtemps et qu'on pourrait développer l'histoire des gens, créer d'autres relations. Donc, faire un travail comme ça au long cours, c'est un énorme cadeau. Donc, elle m'appelle, elle me demande si je peux le faire, si ça m'intéresse. Évidemment, moi, je trouve ça génial. Je dis tout de suite oui. La difficulté après, c'était de se caler avec le rédacteur. Donc, le rédacteur, le journaliste qui a fait ce travail-là s'appelle Pierre Bienveau. Lui, il travaille sur ces sujets-là très régulièrement à la Croix. Il travaille au sein de la rédaction. Faire coller le texte et la photo, ce n'est pas toujours simple. C'est souvent un travail d'équilibriste parce qu'il y a parfois des choses très visuelles qui ne marchent pas du tout en texte. et des choses super à raconter qui visuellement ne donnent rien. Ça veut dire que déjà, même quand on est ensemble sur un sujet avec le ou la journaliste, ce n'est pas toujours évident de bien faire correspondre le texte et la photo. Là, en plus, ça se passait sur un nom, ce n'était pas tout près. Ça se passe à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, à Saint-Mort-des-Fossés. Donc, il y avait quand même de la route. Et avec Pierre, du coup, on a été très peu ensemble. Il y passait quand moi, je n'y étais pas et vice-versa. Ça, ça a été un peu compliqué à mettre en place. Surtout qu'on a instauré un travail qui raisonnait avec les saisons et avec les événements qu'il pouvait y avoir dans chaque saison, mais aussi avec l'actualité. Alors, comment on a travaillé au niveau des saisons ? Parce que moi, mon grand questionnement... C'était comment faire pour ne pas être redondante dans les images. Parce que la vie en Ehpad, c'est quand même rythmé par un quotidien qui est très souvent le même. Et moi, je ne pouvais pas faire 12 épisodes avec des scènes de vie quotidienne qu'on aurait retrouvées d'un épisode à l'autre. Il fallait que visuellement, j'ai des choses différentes, que le récit soit différent. Donc tous les mois, il publiait un calendrier dans cet EHPAD. Il publiait un calendrier déjà avec les activités, les événements dans le mois à venir. Donc moi déjà, j'étais beaucoup en lien avec la personne de l'animation, avec les personnes de l'organisation de l'EHPAD, pour savoir ce qu'il allait se passer. Parce que je pouvais rebondir comme ça sur la fête de Noël, sur le fait qu'ils sont partis en vacances. Je pouvais choisir un peu comme ça des moments, des activités ou des événements qui collaient avec ce qu'allait raconter Pierre. Je me mettais en contact avec Pierre pour savoir si lui avait une idée du prochain sujet dont il allait parler. Et c'est comme ça qu'on a construit les 12 épisodes. Merci. Sur ce type de sujet, il faut être très vigilant au niveau des autorisations. C'est très compliqué au niveau des droits à l'image. Alors les soignants, il suffit de poser la question et de faire signer les autorisations. Là c'est assez clair, c'est assez simple. Pour les résidents en EHPAD, la difficulté c'est que parfois ils sont sous tutelle. C'est-à-dire qu'ils perdent même la possibilité de dire oui ou non pour leurs droits à l'image. Ça paraît incroyable parce qu'on a envie de dire, même les personnes âgées ont le droit de dire elles-mêmes si elles veulent ou pas être sur les images. Mais certaines, à partir du moment où elles sont sous tutelle, il faut demander l'accord du tuteur ou de la tutrice. Et ça, c'est très compliqué, parce qu'il y a des tuteurs qui répondent très rapidement. Il y en a qui disent toujours non, il y en a qui disent toujours oui, et puis il y a ceux qui ne répondent pas. Et après, être vigilant pour ne pas que ces personnes apparaissent à l'image. Donc déjà, la première partie repérage, elle est là. Elle est de repérer un peu des personnages clés qui sont partie prenante du projet, et dont je sais que je vais pouvoir les suivre de moi en moi. Alors c'est un EHPAD qui est un peu particulier parce que le directeur Pascal Chanvert a une façon d'envisager ces établissements qui est un peu novatrice. Par exemple le fait que les résidents puissent emmener leur animal de compagnie, ça ne se voit pas dans tous les EHPAD. Les gens viennent avec leurs meubles, avec leurs affaires personnelles. Évidemment c'est une chambre, il faut qu'ils réduisent le nombre d'affaires qu'ils emmènent. Mais en fait il essaye de faire vraiment comme si les résidents et résidentes se sentaient chez eux. chez elle. Donc, il met tout en place pour qu'il y ait de l'intergénérationnel aussi. Il y a une crèche dans le même établissement. Il y a un salon de coiffure ouvert au public. C'est-à-dire que les gens de l'extérieur viennent se faire coiffer. On n'est pas dans un lieu fermé à l'extérieur. Je pense que ça fait partie aussi du fait que Pascal Chanvert ait accepté que l'équipe de Lacroix vienne pendant un an. Parce que ce n'est pas évident de se dire qu'il y a des journalistes qui vont venir pendant un an comme ça, un peu, même parfois à l'improviste. D'emblée déjà on me présente André Tess qui va devenir Un des personnages clés de cette série. Alors, ce n'est pas un hasard si on me la présente. Le personnel de l'EHPAD sait très bien que c'est une dame qui est ouverte sur le monde, qui est en forme, qui est drôle, qui a envie de tout, qui est super. Et donc, elle est ravie de me rencontrer, elle a envie de discuter. Très vite, elle plaisante parce qu'elle me montre une robe qu'elle voudra mettre pour l'anniversaire de ses 100 ans, quand toute sa famille viendra fêter son anniversaire. Elle me montre cette robe, elle dit j'avais commencé à un régime, mais le problème c'est que ça ne marche pas. Du coup, cette robe, pour l'instant, je ne peux pas rentrer dedans. Alors je suis bien embêtée parce que déjà, je n'ai plus de tenue pour mon anniversaire. Et je sens très vite qu'elle va devenir un des personnages clés de la série. Ils sont très présents aussi dans la série Bernard et Simone. On travaille toujours très en lien avec le personnel de l'EPAD, avec l'animatrice, mais aussi avec les aides-soignantes, avec les infirmières. Donc, eux savent très bien qu'il ne faut pas aller voir pour ne pas les déranger parce qu'ils n'ont pas envie de ça. Et qui serait plutôt partant pour participer au projet ? Et donc, Simone et Bernard, c'est un couple, ils sont dans la même chambre. Ils sont arrivés récemment. Simone est atteinte de la maladie d'Alzheimer et Bernard a demandé à venir dans un établissement parce qu'il n'arrivait plus à bien s'occuper de sa femme. Trop fatiguée, dans une maison à étage... Donc il demande à rentrer dans cet établissement, mais du coup lui est encore très actif. Donc il fait partie des délégués dans cet EHPAD. Il y a un comité délégué résident qui intervient sur les décisions, qui donne son avis. Donc il fait partie de ce comité de délégués de résidents. Il connaît tout le monde à la cantine, il salue tout le monde. Ils font partie de ceux qui mangent avec les enfants de la crèche parce qu'ils aiment les interactions avec l'extérieur. Et pareil, je sens très vite qu'ils vont devenir des personnages importants de la série. Donc ils apparaissent dans l'épisode sur les couples en Ehpad. Ils apparaissent aussi quand ils mangent avec les enfants de la crèche. Ils apparaissent à Pâques quand les enfants viennent chercher des œufs dans les chambres des résidents. Ils apparaissent régulièrement. Mon épisode préféré, c'est l'épisode où on parle des vacances. Je suis partie avec eux au Croisic. Donc il y a, je crois, une quinzaine de résidents qui sont partis avec une partie du personnel soignant quelques jours au Croisic. Et c'était vraiment super parce que j'ai pu vraiment travailler en immersion. J'ai partagé leur séjour du début jusqu'à la fin. Et du coup, ça crée forcément d'autres sortes de relations et avec les résidentes. Dans mon souvenir, il n'y avait que des femmes. et aussi avec les soignantes. Visuellement, en plus, moi, ça me permettait de sortir un peu de l'EHPAD, d'avoir des paysages de front de mer, d'avoir des moments le soir avant de se coucher, d'avoir des moments au petit-déjeuner, d'avoir d'autres moments à l'image qui n'apparaissaient pas forcément depuis le début de la série. Et puis, dans ce voyage, il y avait Maria, que tu es responsable de l'animation à l'EHPAD, et Catherine, aussi aide-soignante. Pareil, qui était très partie prenante du projet et qui m'ont aidée, qui m'ont facilité la tâche auprès de certains résidents et vraiment qui avait un regard très bienveillant sur les résidentes. Il y a des femmes très courageuses parce que c'est très compliqué d'emmener des personnes à mobilité réduite à la plage. Chaque transport est compliqué. Il faut monter dans le camion, il faut transporter les personnes qui ne marchent pas dans le véhicule. Ensuite, il faut s'imaginer un peu la complexité de chaque déplacement dans ce genre de voyage. Donc, ce sont des personnes très volontaires. Et quand on voit le visage des résidentes face à la mer, On se dit que vraiment ça vaut le coup, parce que ça les change de leur univers quotidien. Et ça, je pense que c'est vraiment nécessaire pour leur bien-être. Donc ça, ça fait partie des images qui vraiment m'ont marquée. Le selfie aussi, avec Catherine, la super aide-soignante avec laquelle je m'entendais très bien. Catherine propose à trois résidentes de sortir un peu sur le front de mer, sur la plage. Donc elles partent, toutes les quatre, et je les suis. Alors en fauteuil roulant dans le sable, ce n'est pas évident, on a du mal un peu à avancer. Et Catherine aimait beaucoup faire des photos. Elle a un portable, elle a une perche à selfie, elle a tout ce qu'il faut pour faire des photos. Au bout d'un moment, on arrive donc le long de la mer, là, on voit le paysage derrière. Et elle fait une photo des résidentes et d'elle sur ce front de mer. Et avec la lumière qui tombait, avec le paysage, avec ce côté un peu décalé, moderne du selfie, j'aimais beaucoup cette image. Je suis très contente qu'elle ait été publiée parce que je la trouvais à la fois souriante et esthétique. L'épisode le plus compliqué à illustrer, les images qui ont été les plus difficiles à faire, difficiles pas humainement mais d'un point de vue visuel, je pense que c'est l'épisode sur la mort. Parce que Pierre décide de faire un épisode sur la mort, qui est un sujet évidemment important. mais visuellement, ce n'est pas facile de parler de ce sujet parce qu'il ne s'agit pas de faire des images trop dures. Et en même temps, il s'agit quand même d'évoquer le sujet sans faire du théorique. C'est-à-dire que moi, je photographie des gens, donc il faut que j'arrive à montrer des personnes et sans que ce soit violent. Donc ce qu'on a trouvé comme alternative, c'est que j'ai photographié dans l'oratoire de la résidence. Il y a eu un moment... pour évoquer les temps de prière qui pouvaient être mis en place quand quelqu'un décédait à la résidence de l'abbaye. Donc j'ai photographié cette réunion, mais il n'y a rien de moins visuel qu'une réunion. C'est vraiment très compliqué, il y a des gens autour d'une table, c'est statique, donc on a vite fait le tour de la question. On retombe souvent sur les mêmes images. Humainement, ce n'est pas là où il y a les émotions les plus fortes. J'ai essayé en accent sur les mains de la personne qui parle, sur quelques éléments visuels, il y avait une croix, il y avait de parler de ça. Si on enlève les légendes de cet épisode-là, je ne sais pas par exemple si on comprend bien le sujet. Et ça, ça veut dire que si quand vous enlevez les légendes, on ne comprend pas bien le sujet, c'est que visuellement, ça ne fonctionne pas tout à fait. Alors parmi les photos d'André Tess que j'ai suivies sur cette année, il y a l'épisode de son anniversaire de ses 100 ans. Sa famille est venue, ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants. Elle avait un rapport avec sa famille très jovial, très convivial. Donc ils sont tous venus et on sentait qu'ils ne se forçaient pas du tout. Ils lui avaient préparé des diaporamas, ils lui avaient préparé des surprises. Donc c'est un anniversaire qui se passe au sein de l'EPAD. Moi j'ai passé toute l'après-midi avec eux. Et elle est incroyable parce qu'elle arrive avec sa bonne humeur toujours. Et puis, en cadeau, elle reçoit une tablette numérique. On se dit, à 100 ans, recevoir une tablette, c'est assez original comme cadeau. Et elle est, sur la photo, on la voit ouvrir son cadeau et dire à son arrière-petite-fille Exactement ce que je voulais, une tablette numérique. La complicité qu'il y a entre cette femme et sa famille, elle était extraordinaire. Et ça, on le sent bien, je pense, dans les trois photos qui ont été choisies, qu'il y a un rapport très doux entre les générations et très bienveillant. Alors une fois que les images sont faites et que je rentre de prise de vue, il y a toute une partie qu'on appelle editing, c'est-à-dire c'est le choix des images. C'est le photographe seul devant son ordinateur qui fait déjà une première sélection. Alors il y a plus ou moins de matière. Je parlais de l'épisode sur la mort, en l'occurrence je n'avais pas beaucoup d'images, donc là le choix est vite fait, il n'y a pas trop d'hésitation. Et puis il y a eu des épisodes sur lesquels j'avais beaucoup plus d'images et dans ce cas-là le choix est beaucoup plus compliqué. Parfois, on est très attaché à des images qui, finalement, vu de l'extérieur, présentent peu d'intérêt. À l'inverse, il y en a qu'on aime moins, mais qu'on sait fondamental pour le récit. Parfois, on voudrait les enlever, parfois on les laisse parce qu'on se dit que ça va peut-être manquer. Il faut à la fois se mettre dans la tête du service photo qui va recevoir le reportage et qui va devoir construire une maquette, un récit. et à la fois ne pas faire trop de compromis avec les images qu'on aime le plus et réussir à bien les mettre en valeur en espérant qu'elles soient choisies parce qu'après il y a toute une partie qui nous échappe. Une fois que le choix est envoyé, nous on ne maîtrise pas ce qui va être publié et ce qui ne va pas l'être. Donc en termes de choix, il faut qu'on ait plusieurs échelles de plans. C'est important d'avoir des vues d'ensemble, mais aussi des gros plans pour varier le récit. Surtout quand au final, dans la publication, il y aura plusieurs images. Il ne faut pas que ce soit des images trop similaires. Donc on fait un premier choix. Moi, souvent, j'y reviens. Après on a toute la partie post-production. Systématiquement mes images je les retravaille. Des fois on a des soucis d'éclairage de néon très jaune qu'il faut un peu rectifier. On a quelqu'un qui apparaît dans le coin du champ qu'il faut faire disparaître donc il faut modifier le cadrage. Et après j'envoie cet editing à la rédaction. Je ne peux pas dire que quand je fais un reportage et quand je fais les choix, je n'ai pas la rédaction pour laquelle je fais ce travail-là dans la tête. Je sais très bien pour qui je travaille au moment où je fais mes prises de vue. Je sais très bien que le sujet ne sera pas traité exactement de la même façon. Après, moi, ma manière de travailler, elle est constante. Donc, je ne m'interdis pas à certaines images, sachant que de toute façon, je ne suis pas une photographe qui va faire des images... violente ou dégradante pour les personnes. J'essaye de m'imposer des limites, mais ces limites sont constantes sur l'ensemble des rédactions pour lesquelles je travaille. Parfois, ça peut m'arriver de faire des images plus irrévérencieuses ou plus décalées, où il peut y avoir de l'humour, et ça, je ne m'interdis pas de les faire. J'ai à la fois bien en tête pour qui je fais ce travail-là. Et à la fois, je travaille comme... Moi, je l'entends avec ma manière de procéder habituelle et qui n'est pas liée à une rédaction en particulier. On m'appelle pour certains types de travaux, donc je pense que c'est parce qu'on sait que je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique à la... Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle. Après, je vous dis, les choix, par contre, peuvent être très différents. C'est-à-dire que ce que garde un service photo, au final, ça change beaucoup d'une rédaction à l'autre. Quand ça s'est terminé, le plus difficile, c'est de quitter les gens avec lesquels on a créé des liens. J'y suis jamais retournée, à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, parce que j'ai peur de savoir que Madame Tess est décédée, donc je suis dans le déni, je préfère pas savoir. J'ai appris par contre que dans le couple de Bernard et Simone, c'était Bernard qui était parti en premier, alors qu'il était très en forme et qui venait dans cet établissement pour préserver la santé de sa femme. Finalement, il est décédé peu de temps après la fin de la série. Et quelque part, j'ai envie de garder cette image-là de... Je n'ai pas à redemander de nouvelles, mais c'est vrai qu'il y a des personnes... Je parlais de Catherine, l'aide-soignante. Elle a continué à me souhaiter une bonne année tous les ans pendant plusieurs années. Après, il y a vraiment des liens, ou Maria, la responsable de l'animation. Il y a vraiment des liens qui se sont créés. Et ça, c'est toujours un petit déchirement de se dire qu'on ne reviendra plus et qu'en ce qui concerne les personnes très âgées, peut-être qu'on ne les reverra plus. Ce reportage au long cours, il a eu une vie après. Il a été présenté au Festival Visa pour l'image à Perpignan, qui est un festival dédié au photojournalisme. Il a été nominé pour le prix de la presse quotidienne. Et j'étais très fière de montrer ce travail. Et Isabelle Delaguerne m'a appelée pour plusieurs sujets. difficile humainement ou dans des structures avec des publics fragiles et j'aime beaucoup faire ce genre de travail. C'est vraiment une collaboration qui me tient à cœur parce que souvent on me confie des portraits et des sujets très humains et c'est vraiment ce que j'aime faire.

Description

L’envers du récit, saison spéciale "Dans l’œil des photographes de La Croix", épisode 2 sur 4.


La photographe Florence Brochoire travaille avec "La Croix" depuis plus de dix ans. En 2017, elle s’est rendue, pendant une année, à la Résidence de l’Abbaye, une maison de retraite à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne. Aux côtés du journaliste Pierre Bienvault, elle raconte, en images, le quotidien des résidents : leurs petites joies, leurs grands doutes et la vie qui passe.


Dans cette saison spéciale du podcast "L’envers du récit", des photographes reviennent sur les coulisses de reportages, réalisés pour le journal "La Croix". À bord du RER B, auprès des migrants à Calais, sur les traces du loup... Ils nous racontent leur travail de terrain et les choix qu’ils ont faits pour traduire ces histoires en images.


► Retrouvez le reportage de Pierre Bienvault et les photographies de Florence Brochoire :

https://www.la-croix.com/France/maison-retraite-lAbbaye-2017-06-05-1200852634


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mai 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique. Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle.

  • Speaker #1

    La photographe Florence Brochevoir travaille avec Lacroix depuis 2013. Pour le journal, elle a suivi pendant un an le quotidien d'une maison de retraite en région parisienne. À travers ces photos, elle montre la vie des résidents avec pudeur et sensibilité. Dans ce podcast, un photographe revient sur les coulisses d'un reportage réalisé pour le journal La Croix. Il nous explique son travail de terrain et les choix qu'il a fait pour raconter cette histoire en images. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Florence Brochoir, je suis photographe documentaire, donc je travaille sur des sujets société et je fais aussi beaucoup de portraits pour la presse mais aussi pour des institutions, pour plein de gens différents mais c'est vrai que la presse c'est mon cœur de métier. La Croix fait partie des rédactions que je suis venue voir avec mes travaux personnels très tôt, au début. Donc la première personne que j'ai rencontrée c'est Ramel Canitro, qui était chef photo à La Croix. Je ne savais tellement pas comment ça marchait, ce métier, que la première fois que je suis arrivée, je suis arrivée avec un CV. Quand je suis photographe, le CV, j'ai très vite compris que ça ne servait à rien du tout, parce que c'était les images qui primaient. Et comme elle était très gentille, elle m'a dit non, je n'ai pas besoin de ton CV, juste de voir tes images. Et la première commande, c'est Fabien Vernoy, qui travaille au service photo également, qui me l'a passée en 2013 sur le monastère de Beaufort. et depuis, j'ai collaboré régulièrement avec La Croix. Cette série a commencé en février 2017, donc je pense qu'Isabelle Delaganerie, qui est la chef actuelle du service photo de La Croix, m'a appelée, je pense, en janvier, un mois avant. L'idée était de rester un an dans le même EHPAD et de faire des sujets tous les mois, dans La Croix. Une page par mois qui raconterait les saisons, qui raconterait la vie quotidienne, qui raconterait un peu la vie d'un établissement au long cours. Quand on est photographe, on a tendance à passer beaucoup d'un sujet à l'autre. On est appelé parfois la veille pour le lendemain, parfois le jour même. Parfois, ce sont des sujets très différents. Ça fait la richesse du métier, mais parfois, ça peut créer aussi un peu une frustration parce qu'on se dit qu'on pourrait rester plus longtemps et qu'on pourrait développer l'histoire des gens, créer d'autres relations. Donc, faire un travail comme ça au long cours, c'est un énorme cadeau. Donc, elle m'appelle, elle me demande si je peux le faire, si ça m'intéresse. Évidemment, moi, je trouve ça génial. Je dis tout de suite oui. La difficulté après, c'était de se caler avec le rédacteur. Donc, le rédacteur, le journaliste qui a fait ce travail-là s'appelle Pierre Bienveau. Lui, il travaille sur ces sujets-là très régulièrement à la Croix. Il travaille au sein de la rédaction. Faire coller le texte et la photo, ce n'est pas toujours simple. C'est souvent un travail d'équilibriste parce qu'il y a parfois des choses très visuelles qui ne marchent pas du tout en texte. et des choses super à raconter qui visuellement ne donnent rien. Ça veut dire que déjà, même quand on est ensemble sur un sujet avec le ou la journaliste, ce n'est pas toujours évident de bien faire correspondre le texte et la photo. Là, en plus, ça se passait sur un nom, ce n'était pas tout près. Ça se passe à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, à Saint-Mort-des-Fossés. Donc, il y avait quand même de la route. Et avec Pierre, du coup, on a été très peu ensemble. Il y passait quand moi, je n'y étais pas et vice-versa. Ça, ça a été un peu compliqué à mettre en place. Surtout qu'on a instauré un travail qui raisonnait avec les saisons et avec les événements qu'il pouvait y avoir dans chaque saison, mais aussi avec l'actualité. Alors, comment on a travaillé au niveau des saisons ? Parce que moi, mon grand questionnement... C'était comment faire pour ne pas être redondante dans les images. Parce que la vie en Ehpad, c'est quand même rythmé par un quotidien qui est très souvent le même. Et moi, je ne pouvais pas faire 12 épisodes avec des scènes de vie quotidienne qu'on aurait retrouvées d'un épisode à l'autre. Il fallait que visuellement, j'ai des choses différentes, que le récit soit différent. Donc tous les mois, il publiait un calendrier dans cet EHPAD. Il publiait un calendrier déjà avec les activités, les événements dans le mois à venir. Donc moi déjà, j'étais beaucoup en lien avec la personne de l'animation, avec les personnes de l'organisation de l'EHPAD, pour savoir ce qu'il allait se passer. Parce que je pouvais rebondir comme ça sur la fête de Noël, sur le fait qu'ils sont partis en vacances. Je pouvais choisir un peu comme ça des moments, des activités ou des événements qui collaient avec ce qu'allait raconter Pierre. Je me mettais en contact avec Pierre pour savoir si lui avait une idée du prochain sujet dont il allait parler. Et c'est comme ça qu'on a construit les 12 épisodes. Merci. Sur ce type de sujet, il faut être très vigilant au niveau des autorisations. C'est très compliqué au niveau des droits à l'image. Alors les soignants, il suffit de poser la question et de faire signer les autorisations. Là c'est assez clair, c'est assez simple. Pour les résidents en EHPAD, la difficulté c'est que parfois ils sont sous tutelle. C'est-à-dire qu'ils perdent même la possibilité de dire oui ou non pour leurs droits à l'image. Ça paraît incroyable parce qu'on a envie de dire, même les personnes âgées ont le droit de dire elles-mêmes si elles veulent ou pas être sur les images. Mais certaines, à partir du moment où elles sont sous tutelle, il faut demander l'accord du tuteur ou de la tutrice. Et ça, c'est très compliqué, parce qu'il y a des tuteurs qui répondent très rapidement. Il y en a qui disent toujours non, il y en a qui disent toujours oui, et puis il y a ceux qui ne répondent pas. Et après, être vigilant pour ne pas que ces personnes apparaissent à l'image. Donc déjà, la première partie repérage, elle est là. Elle est de repérer un peu des personnages clés qui sont partie prenante du projet, et dont je sais que je vais pouvoir les suivre de moi en moi. Alors c'est un EHPAD qui est un peu particulier parce que le directeur Pascal Chanvert a une façon d'envisager ces établissements qui est un peu novatrice. Par exemple le fait que les résidents puissent emmener leur animal de compagnie, ça ne se voit pas dans tous les EHPAD. Les gens viennent avec leurs meubles, avec leurs affaires personnelles. Évidemment c'est une chambre, il faut qu'ils réduisent le nombre d'affaires qu'ils emmènent. Mais en fait il essaye de faire vraiment comme si les résidents et résidentes se sentaient chez eux. chez elle. Donc, il met tout en place pour qu'il y ait de l'intergénérationnel aussi. Il y a une crèche dans le même établissement. Il y a un salon de coiffure ouvert au public. C'est-à-dire que les gens de l'extérieur viennent se faire coiffer. On n'est pas dans un lieu fermé à l'extérieur. Je pense que ça fait partie aussi du fait que Pascal Chanvert ait accepté que l'équipe de Lacroix vienne pendant un an. Parce que ce n'est pas évident de se dire qu'il y a des journalistes qui vont venir pendant un an comme ça, un peu, même parfois à l'improviste. D'emblée déjà on me présente André Tess qui va devenir Un des personnages clés de cette série. Alors, ce n'est pas un hasard si on me la présente. Le personnel de l'EHPAD sait très bien que c'est une dame qui est ouverte sur le monde, qui est en forme, qui est drôle, qui a envie de tout, qui est super. Et donc, elle est ravie de me rencontrer, elle a envie de discuter. Très vite, elle plaisante parce qu'elle me montre une robe qu'elle voudra mettre pour l'anniversaire de ses 100 ans, quand toute sa famille viendra fêter son anniversaire. Elle me montre cette robe, elle dit j'avais commencé à un régime, mais le problème c'est que ça ne marche pas. Du coup, cette robe, pour l'instant, je ne peux pas rentrer dedans. Alors je suis bien embêtée parce que déjà, je n'ai plus de tenue pour mon anniversaire. Et je sens très vite qu'elle va devenir un des personnages clés de la série. Ils sont très présents aussi dans la série Bernard et Simone. On travaille toujours très en lien avec le personnel de l'EPAD, avec l'animatrice, mais aussi avec les aides-soignantes, avec les infirmières. Donc, eux savent très bien qu'il ne faut pas aller voir pour ne pas les déranger parce qu'ils n'ont pas envie de ça. Et qui serait plutôt partant pour participer au projet ? Et donc, Simone et Bernard, c'est un couple, ils sont dans la même chambre. Ils sont arrivés récemment. Simone est atteinte de la maladie d'Alzheimer et Bernard a demandé à venir dans un établissement parce qu'il n'arrivait plus à bien s'occuper de sa femme. Trop fatiguée, dans une maison à étage... Donc il demande à rentrer dans cet établissement, mais du coup lui est encore très actif. Donc il fait partie des délégués dans cet EHPAD. Il y a un comité délégué résident qui intervient sur les décisions, qui donne son avis. Donc il fait partie de ce comité de délégués de résidents. Il connaît tout le monde à la cantine, il salue tout le monde. Ils font partie de ceux qui mangent avec les enfants de la crèche parce qu'ils aiment les interactions avec l'extérieur. Et pareil, je sens très vite qu'ils vont devenir des personnages importants de la série. Donc ils apparaissent dans l'épisode sur les couples en Ehpad. Ils apparaissent aussi quand ils mangent avec les enfants de la crèche. Ils apparaissent à Pâques quand les enfants viennent chercher des œufs dans les chambres des résidents. Ils apparaissent régulièrement. Mon épisode préféré, c'est l'épisode où on parle des vacances. Je suis partie avec eux au Croisic. Donc il y a, je crois, une quinzaine de résidents qui sont partis avec une partie du personnel soignant quelques jours au Croisic. Et c'était vraiment super parce que j'ai pu vraiment travailler en immersion. J'ai partagé leur séjour du début jusqu'à la fin. Et du coup, ça crée forcément d'autres sortes de relations et avec les résidentes. Dans mon souvenir, il n'y avait que des femmes. et aussi avec les soignantes. Visuellement, en plus, moi, ça me permettait de sortir un peu de l'EHPAD, d'avoir des paysages de front de mer, d'avoir des moments le soir avant de se coucher, d'avoir des moments au petit-déjeuner, d'avoir d'autres moments à l'image qui n'apparaissaient pas forcément depuis le début de la série. Et puis, dans ce voyage, il y avait Maria, que tu es responsable de l'animation à l'EHPAD, et Catherine, aussi aide-soignante. Pareil, qui était très partie prenante du projet et qui m'ont aidée, qui m'ont facilité la tâche auprès de certains résidents et vraiment qui avait un regard très bienveillant sur les résidentes. Il y a des femmes très courageuses parce que c'est très compliqué d'emmener des personnes à mobilité réduite à la plage. Chaque transport est compliqué. Il faut monter dans le camion, il faut transporter les personnes qui ne marchent pas dans le véhicule. Ensuite, il faut s'imaginer un peu la complexité de chaque déplacement dans ce genre de voyage. Donc, ce sont des personnes très volontaires. Et quand on voit le visage des résidentes face à la mer, On se dit que vraiment ça vaut le coup, parce que ça les change de leur univers quotidien. Et ça, je pense que c'est vraiment nécessaire pour leur bien-être. Donc ça, ça fait partie des images qui vraiment m'ont marquée. Le selfie aussi, avec Catherine, la super aide-soignante avec laquelle je m'entendais très bien. Catherine propose à trois résidentes de sortir un peu sur le front de mer, sur la plage. Donc elles partent, toutes les quatre, et je les suis. Alors en fauteuil roulant dans le sable, ce n'est pas évident, on a du mal un peu à avancer. Et Catherine aimait beaucoup faire des photos. Elle a un portable, elle a une perche à selfie, elle a tout ce qu'il faut pour faire des photos. Au bout d'un moment, on arrive donc le long de la mer, là, on voit le paysage derrière. Et elle fait une photo des résidentes et d'elle sur ce front de mer. Et avec la lumière qui tombait, avec le paysage, avec ce côté un peu décalé, moderne du selfie, j'aimais beaucoup cette image. Je suis très contente qu'elle ait été publiée parce que je la trouvais à la fois souriante et esthétique. L'épisode le plus compliqué à illustrer, les images qui ont été les plus difficiles à faire, difficiles pas humainement mais d'un point de vue visuel, je pense que c'est l'épisode sur la mort. Parce que Pierre décide de faire un épisode sur la mort, qui est un sujet évidemment important. mais visuellement, ce n'est pas facile de parler de ce sujet parce qu'il ne s'agit pas de faire des images trop dures. Et en même temps, il s'agit quand même d'évoquer le sujet sans faire du théorique. C'est-à-dire que moi, je photographie des gens, donc il faut que j'arrive à montrer des personnes et sans que ce soit violent. Donc ce qu'on a trouvé comme alternative, c'est que j'ai photographié dans l'oratoire de la résidence. Il y a eu un moment... pour évoquer les temps de prière qui pouvaient être mis en place quand quelqu'un décédait à la résidence de l'abbaye. Donc j'ai photographié cette réunion, mais il n'y a rien de moins visuel qu'une réunion. C'est vraiment très compliqué, il y a des gens autour d'une table, c'est statique, donc on a vite fait le tour de la question. On retombe souvent sur les mêmes images. Humainement, ce n'est pas là où il y a les émotions les plus fortes. J'ai essayé en accent sur les mains de la personne qui parle, sur quelques éléments visuels, il y avait une croix, il y avait de parler de ça. Si on enlève les légendes de cet épisode-là, je ne sais pas par exemple si on comprend bien le sujet. Et ça, ça veut dire que si quand vous enlevez les légendes, on ne comprend pas bien le sujet, c'est que visuellement, ça ne fonctionne pas tout à fait. Alors parmi les photos d'André Tess que j'ai suivies sur cette année, il y a l'épisode de son anniversaire de ses 100 ans. Sa famille est venue, ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants. Elle avait un rapport avec sa famille très jovial, très convivial. Donc ils sont tous venus et on sentait qu'ils ne se forçaient pas du tout. Ils lui avaient préparé des diaporamas, ils lui avaient préparé des surprises. Donc c'est un anniversaire qui se passe au sein de l'EPAD. Moi j'ai passé toute l'après-midi avec eux. Et elle est incroyable parce qu'elle arrive avec sa bonne humeur toujours. Et puis, en cadeau, elle reçoit une tablette numérique. On se dit, à 100 ans, recevoir une tablette, c'est assez original comme cadeau. Et elle est, sur la photo, on la voit ouvrir son cadeau et dire à son arrière-petite-fille Exactement ce que je voulais, une tablette numérique. La complicité qu'il y a entre cette femme et sa famille, elle était extraordinaire. Et ça, on le sent bien, je pense, dans les trois photos qui ont été choisies, qu'il y a un rapport très doux entre les générations et très bienveillant. Alors une fois que les images sont faites et que je rentre de prise de vue, il y a toute une partie qu'on appelle editing, c'est-à-dire c'est le choix des images. C'est le photographe seul devant son ordinateur qui fait déjà une première sélection. Alors il y a plus ou moins de matière. Je parlais de l'épisode sur la mort, en l'occurrence je n'avais pas beaucoup d'images, donc là le choix est vite fait, il n'y a pas trop d'hésitation. Et puis il y a eu des épisodes sur lesquels j'avais beaucoup plus d'images et dans ce cas-là le choix est beaucoup plus compliqué. Parfois, on est très attaché à des images qui, finalement, vu de l'extérieur, présentent peu d'intérêt. À l'inverse, il y en a qu'on aime moins, mais qu'on sait fondamental pour le récit. Parfois, on voudrait les enlever, parfois on les laisse parce qu'on se dit que ça va peut-être manquer. Il faut à la fois se mettre dans la tête du service photo qui va recevoir le reportage et qui va devoir construire une maquette, un récit. et à la fois ne pas faire trop de compromis avec les images qu'on aime le plus et réussir à bien les mettre en valeur en espérant qu'elles soient choisies parce qu'après il y a toute une partie qui nous échappe. Une fois que le choix est envoyé, nous on ne maîtrise pas ce qui va être publié et ce qui ne va pas l'être. Donc en termes de choix, il faut qu'on ait plusieurs échelles de plans. C'est important d'avoir des vues d'ensemble, mais aussi des gros plans pour varier le récit. Surtout quand au final, dans la publication, il y aura plusieurs images. Il ne faut pas que ce soit des images trop similaires. Donc on fait un premier choix. Moi, souvent, j'y reviens. Après on a toute la partie post-production. Systématiquement mes images je les retravaille. Des fois on a des soucis d'éclairage de néon très jaune qu'il faut un peu rectifier. On a quelqu'un qui apparaît dans le coin du champ qu'il faut faire disparaître donc il faut modifier le cadrage. Et après j'envoie cet editing à la rédaction. Je ne peux pas dire que quand je fais un reportage et quand je fais les choix, je n'ai pas la rédaction pour laquelle je fais ce travail-là dans la tête. Je sais très bien pour qui je travaille au moment où je fais mes prises de vue. Je sais très bien que le sujet ne sera pas traité exactement de la même façon. Après, moi, ma manière de travailler, elle est constante. Donc, je ne m'interdis pas à certaines images, sachant que de toute façon, je ne suis pas une photographe qui va faire des images... violente ou dégradante pour les personnes. J'essaye de m'imposer des limites, mais ces limites sont constantes sur l'ensemble des rédactions pour lesquelles je travaille. Parfois, ça peut m'arriver de faire des images plus irrévérencieuses ou plus décalées, où il peut y avoir de l'humour, et ça, je ne m'interdis pas de les faire. J'ai à la fois bien en tête pour qui je fais ce travail-là. Et à la fois, je travaille comme... Moi, je l'entends avec ma manière de procéder habituelle et qui n'est pas liée à une rédaction en particulier. On m'appelle pour certains types de travaux, donc je pense que c'est parce qu'on sait que je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique à la... Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle. Après, je vous dis, les choix, par contre, peuvent être très différents. C'est-à-dire que ce que garde un service photo, au final, ça change beaucoup d'une rédaction à l'autre. Quand ça s'est terminé, le plus difficile, c'est de quitter les gens avec lesquels on a créé des liens. J'y suis jamais retournée, à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, parce que j'ai peur de savoir que Madame Tess est décédée, donc je suis dans le déni, je préfère pas savoir. J'ai appris par contre que dans le couple de Bernard et Simone, c'était Bernard qui était parti en premier, alors qu'il était très en forme et qui venait dans cet établissement pour préserver la santé de sa femme. Finalement, il est décédé peu de temps après la fin de la série. Et quelque part, j'ai envie de garder cette image-là de... Je n'ai pas à redemander de nouvelles, mais c'est vrai qu'il y a des personnes... Je parlais de Catherine, l'aide-soignante. Elle a continué à me souhaiter une bonne année tous les ans pendant plusieurs années. Après, il y a vraiment des liens, ou Maria, la responsable de l'animation. Il y a vraiment des liens qui se sont créés. Et ça, c'est toujours un petit déchirement de se dire qu'on ne reviendra plus et qu'en ce qui concerne les personnes très âgées, peut-être qu'on ne les reverra plus. Ce reportage au long cours, il a eu une vie après. Il a été présenté au Festival Visa pour l'image à Perpignan, qui est un festival dédié au photojournalisme. Il a été nominé pour le prix de la presse quotidienne. Et j'étais très fière de montrer ce travail. Et Isabelle Delaguerne m'a appelée pour plusieurs sujets. difficile humainement ou dans des structures avec des publics fragiles et j'aime beaucoup faire ce genre de travail. C'est vraiment une collaboration qui me tient à cœur parce que souvent on me confie des portraits et des sujets très humains et c'est vraiment ce que j'aime faire.

Share

Embed

You may also like

Description

L’envers du récit, saison spéciale "Dans l’œil des photographes de La Croix", épisode 2 sur 4.


La photographe Florence Brochoire travaille avec "La Croix" depuis plus de dix ans. En 2017, elle s’est rendue, pendant une année, à la Résidence de l’Abbaye, une maison de retraite à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne. Aux côtés du journaliste Pierre Bienvault, elle raconte, en images, le quotidien des résidents : leurs petites joies, leurs grands doutes et la vie qui passe.


Dans cette saison spéciale du podcast "L’envers du récit", des photographes reviennent sur les coulisses de reportages, réalisés pour le journal "La Croix". À bord du RER B, auprès des migrants à Calais, sur les traces du loup... Ils nous racontent leur travail de terrain et les choix qu’ils ont faits pour traduire ces histoires en images.


► Retrouvez le reportage de Pierre Bienvault et les photographies de Florence Brochoire :

https://www.la-croix.com/France/maison-retraite-lAbbaye-2017-06-05-1200852634


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mai 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique. Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle.

  • Speaker #1

    La photographe Florence Brochevoir travaille avec Lacroix depuis 2013. Pour le journal, elle a suivi pendant un an le quotidien d'une maison de retraite en région parisienne. À travers ces photos, elle montre la vie des résidents avec pudeur et sensibilité. Dans ce podcast, un photographe revient sur les coulisses d'un reportage réalisé pour le journal La Croix. Il nous explique son travail de terrain et les choix qu'il a fait pour raconter cette histoire en images. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Florence Brochoir, je suis photographe documentaire, donc je travaille sur des sujets société et je fais aussi beaucoup de portraits pour la presse mais aussi pour des institutions, pour plein de gens différents mais c'est vrai que la presse c'est mon cœur de métier. La Croix fait partie des rédactions que je suis venue voir avec mes travaux personnels très tôt, au début. Donc la première personne que j'ai rencontrée c'est Ramel Canitro, qui était chef photo à La Croix. Je ne savais tellement pas comment ça marchait, ce métier, que la première fois que je suis arrivée, je suis arrivée avec un CV. Quand je suis photographe, le CV, j'ai très vite compris que ça ne servait à rien du tout, parce que c'était les images qui primaient. Et comme elle était très gentille, elle m'a dit non, je n'ai pas besoin de ton CV, juste de voir tes images. Et la première commande, c'est Fabien Vernoy, qui travaille au service photo également, qui me l'a passée en 2013 sur le monastère de Beaufort. et depuis, j'ai collaboré régulièrement avec La Croix. Cette série a commencé en février 2017, donc je pense qu'Isabelle Delaganerie, qui est la chef actuelle du service photo de La Croix, m'a appelée, je pense, en janvier, un mois avant. L'idée était de rester un an dans le même EHPAD et de faire des sujets tous les mois, dans La Croix. Une page par mois qui raconterait les saisons, qui raconterait la vie quotidienne, qui raconterait un peu la vie d'un établissement au long cours. Quand on est photographe, on a tendance à passer beaucoup d'un sujet à l'autre. On est appelé parfois la veille pour le lendemain, parfois le jour même. Parfois, ce sont des sujets très différents. Ça fait la richesse du métier, mais parfois, ça peut créer aussi un peu une frustration parce qu'on se dit qu'on pourrait rester plus longtemps et qu'on pourrait développer l'histoire des gens, créer d'autres relations. Donc, faire un travail comme ça au long cours, c'est un énorme cadeau. Donc, elle m'appelle, elle me demande si je peux le faire, si ça m'intéresse. Évidemment, moi, je trouve ça génial. Je dis tout de suite oui. La difficulté après, c'était de se caler avec le rédacteur. Donc, le rédacteur, le journaliste qui a fait ce travail-là s'appelle Pierre Bienveau. Lui, il travaille sur ces sujets-là très régulièrement à la Croix. Il travaille au sein de la rédaction. Faire coller le texte et la photo, ce n'est pas toujours simple. C'est souvent un travail d'équilibriste parce qu'il y a parfois des choses très visuelles qui ne marchent pas du tout en texte. et des choses super à raconter qui visuellement ne donnent rien. Ça veut dire que déjà, même quand on est ensemble sur un sujet avec le ou la journaliste, ce n'est pas toujours évident de bien faire correspondre le texte et la photo. Là, en plus, ça se passait sur un nom, ce n'était pas tout près. Ça se passe à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, à Saint-Mort-des-Fossés. Donc, il y avait quand même de la route. Et avec Pierre, du coup, on a été très peu ensemble. Il y passait quand moi, je n'y étais pas et vice-versa. Ça, ça a été un peu compliqué à mettre en place. Surtout qu'on a instauré un travail qui raisonnait avec les saisons et avec les événements qu'il pouvait y avoir dans chaque saison, mais aussi avec l'actualité. Alors, comment on a travaillé au niveau des saisons ? Parce que moi, mon grand questionnement... C'était comment faire pour ne pas être redondante dans les images. Parce que la vie en Ehpad, c'est quand même rythmé par un quotidien qui est très souvent le même. Et moi, je ne pouvais pas faire 12 épisodes avec des scènes de vie quotidienne qu'on aurait retrouvées d'un épisode à l'autre. Il fallait que visuellement, j'ai des choses différentes, que le récit soit différent. Donc tous les mois, il publiait un calendrier dans cet EHPAD. Il publiait un calendrier déjà avec les activités, les événements dans le mois à venir. Donc moi déjà, j'étais beaucoup en lien avec la personne de l'animation, avec les personnes de l'organisation de l'EHPAD, pour savoir ce qu'il allait se passer. Parce que je pouvais rebondir comme ça sur la fête de Noël, sur le fait qu'ils sont partis en vacances. Je pouvais choisir un peu comme ça des moments, des activités ou des événements qui collaient avec ce qu'allait raconter Pierre. Je me mettais en contact avec Pierre pour savoir si lui avait une idée du prochain sujet dont il allait parler. Et c'est comme ça qu'on a construit les 12 épisodes. Merci. Sur ce type de sujet, il faut être très vigilant au niveau des autorisations. C'est très compliqué au niveau des droits à l'image. Alors les soignants, il suffit de poser la question et de faire signer les autorisations. Là c'est assez clair, c'est assez simple. Pour les résidents en EHPAD, la difficulté c'est que parfois ils sont sous tutelle. C'est-à-dire qu'ils perdent même la possibilité de dire oui ou non pour leurs droits à l'image. Ça paraît incroyable parce qu'on a envie de dire, même les personnes âgées ont le droit de dire elles-mêmes si elles veulent ou pas être sur les images. Mais certaines, à partir du moment où elles sont sous tutelle, il faut demander l'accord du tuteur ou de la tutrice. Et ça, c'est très compliqué, parce qu'il y a des tuteurs qui répondent très rapidement. Il y en a qui disent toujours non, il y en a qui disent toujours oui, et puis il y a ceux qui ne répondent pas. Et après, être vigilant pour ne pas que ces personnes apparaissent à l'image. Donc déjà, la première partie repérage, elle est là. Elle est de repérer un peu des personnages clés qui sont partie prenante du projet, et dont je sais que je vais pouvoir les suivre de moi en moi. Alors c'est un EHPAD qui est un peu particulier parce que le directeur Pascal Chanvert a une façon d'envisager ces établissements qui est un peu novatrice. Par exemple le fait que les résidents puissent emmener leur animal de compagnie, ça ne se voit pas dans tous les EHPAD. Les gens viennent avec leurs meubles, avec leurs affaires personnelles. Évidemment c'est une chambre, il faut qu'ils réduisent le nombre d'affaires qu'ils emmènent. Mais en fait il essaye de faire vraiment comme si les résidents et résidentes se sentaient chez eux. chez elle. Donc, il met tout en place pour qu'il y ait de l'intergénérationnel aussi. Il y a une crèche dans le même établissement. Il y a un salon de coiffure ouvert au public. C'est-à-dire que les gens de l'extérieur viennent se faire coiffer. On n'est pas dans un lieu fermé à l'extérieur. Je pense que ça fait partie aussi du fait que Pascal Chanvert ait accepté que l'équipe de Lacroix vienne pendant un an. Parce que ce n'est pas évident de se dire qu'il y a des journalistes qui vont venir pendant un an comme ça, un peu, même parfois à l'improviste. D'emblée déjà on me présente André Tess qui va devenir Un des personnages clés de cette série. Alors, ce n'est pas un hasard si on me la présente. Le personnel de l'EHPAD sait très bien que c'est une dame qui est ouverte sur le monde, qui est en forme, qui est drôle, qui a envie de tout, qui est super. Et donc, elle est ravie de me rencontrer, elle a envie de discuter. Très vite, elle plaisante parce qu'elle me montre une robe qu'elle voudra mettre pour l'anniversaire de ses 100 ans, quand toute sa famille viendra fêter son anniversaire. Elle me montre cette robe, elle dit j'avais commencé à un régime, mais le problème c'est que ça ne marche pas. Du coup, cette robe, pour l'instant, je ne peux pas rentrer dedans. Alors je suis bien embêtée parce que déjà, je n'ai plus de tenue pour mon anniversaire. Et je sens très vite qu'elle va devenir un des personnages clés de la série. Ils sont très présents aussi dans la série Bernard et Simone. On travaille toujours très en lien avec le personnel de l'EPAD, avec l'animatrice, mais aussi avec les aides-soignantes, avec les infirmières. Donc, eux savent très bien qu'il ne faut pas aller voir pour ne pas les déranger parce qu'ils n'ont pas envie de ça. Et qui serait plutôt partant pour participer au projet ? Et donc, Simone et Bernard, c'est un couple, ils sont dans la même chambre. Ils sont arrivés récemment. Simone est atteinte de la maladie d'Alzheimer et Bernard a demandé à venir dans un établissement parce qu'il n'arrivait plus à bien s'occuper de sa femme. Trop fatiguée, dans une maison à étage... Donc il demande à rentrer dans cet établissement, mais du coup lui est encore très actif. Donc il fait partie des délégués dans cet EHPAD. Il y a un comité délégué résident qui intervient sur les décisions, qui donne son avis. Donc il fait partie de ce comité de délégués de résidents. Il connaît tout le monde à la cantine, il salue tout le monde. Ils font partie de ceux qui mangent avec les enfants de la crèche parce qu'ils aiment les interactions avec l'extérieur. Et pareil, je sens très vite qu'ils vont devenir des personnages importants de la série. Donc ils apparaissent dans l'épisode sur les couples en Ehpad. Ils apparaissent aussi quand ils mangent avec les enfants de la crèche. Ils apparaissent à Pâques quand les enfants viennent chercher des œufs dans les chambres des résidents. Ils apparaissent régulièrement. Mon épisode préféré, c'est l'épisode où on parle des vacances. Je suis partie avec eux au Croisic. Donc il y a, je crois, une quinzaine de résidents qui sont partis avec une partie du personnel soignant quelques jours au Croisic. Et c'était vraiment super parce que j'ai pu vraiment travailler en immersion. J'ai partagé leur séjour du début jusqu'à la fin. Et du coup, ça crée forcément d'autres sortes de relations et avec les résidentes. Dans mon souvenir, il n'y avait que des femmes. et aussi avec les soignantes. Visuellement, en plus, moi, ça me permettait de sortir un peu de l'EHPAD, d'avoir des paysages de front de mer, d'avoir des moments le soir avant de se coucher, d'avoir des moments au petit-déjeuner, d'avoir d'autres moments à l'image qui n'apparaissaient pas forcément depuis le début de la série. Et puis, dans ce voyage, il y avait Maria, que tu es responsable de l'animation à l'EHPAD, et Catherine, aussi aide-soignante. Pareil, qui était très partie prenante du projet et qui m'ont aidée, qui m'ont facilité la tâche auprès de certains résidents et vraiment qui avait un regard très bienveillant sur les résidentes. Il y a des femmes très courageuses parce que c'est très compliqué d'emmener des personnes à mobilité réduite à la plage. Chaque transport est compliqué. Il faut monter dans le camion, il faut transporter les personnes qui ne marchent pas dans le véhicule. Ensuite, il faut s'imaginer un peu la complexité de chaque déplacement dans ce genre de voyage. Donc, ce sont des personnes très volontaires. Et quand on voit le visage des résidentes face à la mer, On se dit que vraiment ça vaut le coup, parce que ça les change de leur univers quotidien. Et ça, je pense que c'est vraiment nécessaire pour leur bien-être. Donc ça, ça fait partie des images qui vraiment m'ont marquée. Le selfie aussi, avec Catherine, la super aide-soignante avec laquelle je m'entendais très bien. Catherine propose à trois résidentes de sortir un peu sur le front de mer, sur la plage. Donc elles partent, toutes les quatre, et je les suis. Alors en fauteuil roulant dans le sable, ce n'est pas évident, on a du mal un peu à avancer. Et Catherine aimait beaucoup faire des photos. Elle a un portable, elle a une perche à selfie, elle a tout ce qu'il faut pour faire des photos. Au bout d'un moment, on arrive donc le long de la mer, là, on voit le paysage derrière. Et elle fait une photo des résidentes et d'elle sur ce front de mer. Et avec la lumière qui tombait, avec le paysage, avec ce côté un peu décalé, moderne du selfie, j'aimais beaucoup cette image. Je suis très contente qu'elle ait été publiée parce que je la trouvais à la fois souriante et esthétique. L'épisode le plus compliqué à illustrer, les images qui ont été les plus difficiles à faire, difficiles pas humainement mais d'un point de vue visuel, je pense que c'est l'épisode sur la mort. Parce que Pierre décide de faire un épisode sur la mort, qui est un sujet évidemment important. mais visuellement, ce n'est pas facile de parler de ce sujet parce qu'il ne s'agit pas de faire des images trop dures. Et en même temps, il s'agit quand même d'évoquer le sujet sans faire du théorique. C'est-à-dire que moi, je photographie des gens, donc il faut que j'arrive à montrer des personnes et sans que ce soit violent. Donc ce qu'on a trouvé comme alternative, c'est que j'ai photographié dans l'oratoire de la résidence. Il y a eu un moment... pour évoquer les temps de prière qui pouvaient être mis en place quand quelqu'un décédait à la résidence de l'abbaye. Donc j'ai photographié cette réunion, mais il n'y a rien de moins visuel qu'une réunion. C'est vraiment très compliqué, il y a des gens autour d'une table, c'est statique, donc on a vite fait le tour de la question. On retombe souvent sur les mêmes images. Humainement, ce n'est pas là où il y a les émotions les plus fortes. J'ai essayé en accent sur les mains de la personne qui parle, sur quelques éléments visuels, il y avait une croix, il y avait de parler de ça. Si on enlève les légendes de cet épisode-là, je ne sais pas par exemple si on comprend bien le sujet. Et ça, ça veut dire que si quand vous enlevez les légendes, on ne comprend pas bien le sujet, c'est que visuellement, ça ne fonctionne pas tout à fait. Alors parmi les photos d'André Tess que j'ai suivies sur cette année, il y a l'épisode de son anniversaire de ses 100 ans. Sa famille est venue, ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants. Elle avait un rapport avec sa famille très jovial, très convivial. Donc ils sont tous venus et on sentait qu'ils ne se forçaient pas du tout. Ils lui avaient préparé des diaporamas, ils lui avaient préparé des surprises. Donc c'est un anniversaire qui se passe au sein de l'EPAD. Moi j'ai passé toute l'après-midi avec eux. Et elle est incroyable parce qu'elle arrive avec sa bonne humeur toujours. Et puis, en cadeau, elle reçoit une tablette numérique. On se dit, à 100 ans, recevoir une tablette, c'est assez original comme cadeau. Et elle est, sur la photo, on la voit ouvrir son cadeau et dire à son arrière-petite-fille Exactement ce que je voulais, une tablette numérique. La complicité qu'il y a entre cette femme et sa famille, elle était extraordinaire. Et ça, on le sent bien, je pense, dans les trois photos qui ont été choisies, qu'il y a un rapport très doux entre les générations et très bienveillant. Alors une fois que les images sont faites et que je rentre de prise de vue, il y a toute une partie qu'on appelle editing, c'est-à-dire c'est le choix des images. C'est le photographe seul devant son ordinateur qui fait déjà une première sélection. Alors il y a plus ou moins de matière. Je parlais de l'épisode sur la mort, en l'occurrence je n'avais pas beaucoup d'images, donc là le choix est vite fait, il n'y a pas trop d'hésitation. Et puis il y a eu des épisodes sur lesquels j'avais beaucoup plus d'images et dans ce cas-là le choix est beaucoup plus compliqué. Parfois, on est très attaché à des images qui, finalement, vu de l'extérieur, présentent peu d'intérêt. À l'inverse, il y en a qu'on aime moins, mais qu'on sait fondamental pour le récit. Parfois, on voudrait les enlever, parfois on les laisse parce qu'on se dit que ça va peut-être manquer. Il faut à la fois se mettre dans la tête du service photo qui va recevoir le reportage et qui va devoir construire une maquette, un récit. et à la fois ne pas faire trop de compromis avec les images qu'on aime le plus et réussir à bien les mettre en valeur en espérant qu'elles soient choisies parce qu'après il y a toute une partie qui nous échappe. Une fois que le choix est envoyé, nous on ne maîtrise pas ce qui va être publié et ce qui ne va pas l'être. Donc en termes de choix, il faut qu'on ait plusieurs échelles de plans. C'est important d'avoir des vues d'ensemble, mais aussi des gros plans pour varier le récit. Surtout quand au final, dans la publication, il y aura plusieurs images. Il ne faut pas que ce soit des images trop similaires. Donc on fait un premier choix. Moi, souvent, j'y reviens. Après on a toute la partie post-production. Systématiquement mes images je les retravaille. Des fois on a des soucis d'éclairage de néon très jaune qu'il faut un peu rectifier. On a quelqu'un qui apparaît dans le coin du champ qu'il faut faire disparaître donc il faut modifier le cadrage. Et après j'envoie cet editing à la rédaction. Je ne peux pas dire que quand je fais un reportage et quand je fais les choix, je n'ai pas la rédaction pour laquelle je fais ce travail-là dans la tête. Je sais très bien pour qui je travaille au moment où je fais mes prises de vue. Je sais très bien que le sujet ne sera pas traité exactement de la même façon. Après, moi, ma manière de travailler, elle est constante. Donc, je ne m'interdis pas à certaines images, sachant que de toute façon, je ne suis pas une photographe qui va faire des images... violente ou dégradante pour les personnes. J'essaye de m'imposer des limites, mais ces limites sont constantes sur l'ensemble des rédactions pour lesquelles je travaille. Parfois, ça peut m'arriver de faire des images plus irrévérencieuses ou plus décalées, où il peut y avoir de l'humour, et ça, je ne m'interdis pas de les faire. J'ai à la fois bien en tête pour qui je fais ce travail-là. Et à la fois, je travaille comme... Moi, je l'entends avec ma manière de procéder habituelle et qui n'est pas liée à une rédaction en particulier. On m'appelle pour certains types de travaux, donc je pense que c'est parce qu'on sait que je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique à la... Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle. Après, je vous dis, les choix, par contre, peuvent être très différents. C'est-à-dire que ce que garde un service photo, au final, ça change beaucoup d'une rédaction à l'autre. Quand ça s'est terminé, le plus difficile, c'est de quitter les gens avec lesquels on a créé des liens. J'y suis jamais retournée, à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, parce que j'ai peur de savoir que Madame Tess est décédée, donc je suis dans le déni, je préfère pas savoir. J'ai appris par contre que dans le couple de Bernard et Simone, c'était Bernard qui était parti en premier, alors qu'il était très en forme et qui venait dans cet établissement pour préserver la santé de sa femme. Finalement, il est décédé peu de temps après la fin de la série. Et quelque part, j'ai envie de garder cette image-là de... Je n'ai pas à redemander de nouvelles, mais c'est vrai qu'il y a des personnes... Je parlais de Catherine, l'aide-soignante. Elle a continué à me souhaiter une bonne année tous les ans pendant plusieurs années. Après, il y a vraiment des liens, ou Maria, la responsable de l'animation. Il y a vraiment des liens qui se sont créés. Et ça, c'est toujours un petit déchirement de se dire qu'on ne reviendra plus et qu'en ce qui concerne les personnes très âgées, peut-être qu'on ne les reverra plus. Ce reportage au long cours, il a eu une vie après. Il a été présenté au Festival Visa pour l'image à Perpignan, qui est un festival dédié au photojournalisme. Il a été nominé pour le prix de la presse quotidienne. Et j'étais très fière de montrer ce travail. Et Isabelle Delaguerne m'a appelée pour plusieurs sujets. difficile humainement ou dans des structures avec des publics fragiles et j'aime beaucoup faire ce genre de travail. C'est vraiment une collaboration qui me tient à cœur parce que souvent on me confie des portraits et des sujets très humains et c'est vraiment ce que j'aime faire.

Description

L’envers du récit, saison spéciale "Dans l’œil des photographes de La Croix", épisode 2 sur 4.


La photographe Florence Brochoire travaille avec "La Croix" depuis plus de dix ans. En 2017, elle s’est rendue, pendant une année, à la Résidence de l’Abbaye, une maison de retraite à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne. Aux côtés du journaliste Pierre Bienvault, elle raconte, en images, le quotidien des résidents : leurs petites joies, leurs grands doutes et la vie qui passe.


Dans cette saison spéciale du podcast "L’envers du récit", des photographes reviennent sur les coulisses de reportages, réalisés pour le journal "La Croix". À bord du RER B, auprès des migrants à Calais, sur les traces du loup... Ils nous racontent leur travail de terrain et les choix qu’ils ont faits pour traduire ces histoires en images.


► Retrouvez le reportage de Pierre Bienvault et les photographies de Florence Brochoire :

https://www.la-croix.com/France/maison-retraite-lAbbaye-2017-06-05-1200852634


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mai 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique. Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle.

  • Speaker #1

    La photographe Florence Brochevoir travaille avec Lacroix depuis 2013. Pour le journal, elle a suivi pendant un an le quotidien d'une maison de retraite en région parisienne. À travers ces photos, elle montre la vie des résidents avec pudeur et sensibilité. Dans ce podcast, un photographe revient sur les coulisses d'un reportage réalisé pour le journal La Croix. Il nous explique son travail de terrain et les choix qu'il a fait pour raconter cette histoire en images. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Florence Brochoir, je suis photographe documentaire, donc je travaille sur des sujets société et je fais aussi beaucoup de portraits pour la presse mais aussi pour des institutions, pour plein de gens différents mais c'est vrai que la presse c'est mon cœur de métier. La Croix fait partie des rédactions que je suis venue voir avec mes travaux personnels très tôt, au début. Donc la première personne que j'ai rencontrée c'est Ramel Canitro, qui était chef photo à La Croix. Je ne savais tellement pas comment ça marchait, ce métier, que la première fois que je suis arrivée, je suis arrivée avec un CV. Quand je suis photographe, le CV, j'ai très vite compris que ça ne servait à rien du tout, parce que c'était les images qui primaient. Et comme elle était très gentille, elle m'a dit non, je n'ai pas besoin de ton CV, juste de voir tes images. Et la première commande, c'est Fabien Vernoy, qui travaille au service photo également, qui me l'a passée en 2013 sur le monastère de Beaufort. et depuis, j'ai collaboré régulièrement avec La Croix. Cette série a commencé en février 2017, donc je pense qu'Isabelle Delaganerie, qui est la chef actuelle du service photo de La Croix, m'a appelée, je pense, en janvier, un mois avant. L'idée était de rester un an dans le même EHPAD et de faire des sujets tous les mois, dans La Croix. Une page par mois qui raconterait les saisons, qui raconterait la vie quotidienne, qui raconterait un peu la vie d'un établissement au long cours. Quand on est photographe, on a tendance à passer beaucoup d'un sujet à l'autre. On est appelé parfois la veille pour le lendemain, parfois le jour même. Parfois, ce sont des sujets très différents. Ça fait la richesse du métier, mais parfois, ça peut créer aussi un peu une frustration parce qu'on se dit qu'on pourrait rester plus longtemps et qu'on pourrait développer l'histoire des gens, créer d'autres relations. Donc, faire un travail comme ça au long cours, c'est un énorme cadeau. Donc, elle m'appelle, elle me demande si je peux le faire, si ça m'intéresse. Évidemment, moi, je trouve ça génial. Je dis tout de suite oui. La difficulté après, c'était de se caler avec le rédacteur. Donc, le rédacteur, le journaliste qui a fait ce travail-là s'appelle Pierre Bienveau. Lui, il travaille sur ces sujets-là très régulièrement à la Croix. Il travaille au sein de la rédaction. Faire coller le texte et la photo, ce n'est pas toujours simple. C'est souvent un travail d'équilibriste parce qu'il y a parfois des choses très visuelles qui ne marchent pas du tout en texte. et des choses super à raconter qui visuellement ne donnent rien. Ça veut dire que déjà, même quand on est ensemble sur un sujet avec le ou la journaliste, ce n'est pas toujours évident de bien faire correspondre le texte et la photo. Là, en plus, ça se passait sur un nom, ce n'était pas tout près. Ça se passe à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, à Saint-Mort-des-Fossés. Donc, il y avait quand même de la route. Et avec Pierre, du coup, on a été très peu ensemble. Il y passait quand moi, je n'y étais pas et vice-versa. Ça, ça a été un peu compliqué à mettre en place. Surtout qu'on a instauré un travail qui raisonnait avec les saisons et avec les événements qu'il pouvait y avoir dans chaque saison, mais aussi avec l'actualité. Alors, comment on a travaillé au niveau des saisons ? Parce que moi, mon grand questionnement... C'était comment faire pour ne pas être redondante dans les images. Parce que la vie en Ehpad, c'est quand même rythmé par un quotidien qui est très souvent le même. Et moi, je ne pouvais pas faire 12 épisodes avec des scènes de vie quotidienne qu'on aurait retrouvées d'un épisode à l'autre. Il fallait que visuellement, j'ai des choses différentes, que le récit soit différent. Donc tous les mois, il publiait un calendrier dans cet EHPAD. Il publiait un calendrier déjà avec les activités, les événements dans le mois à venir. Donc moi déjà, j'étais beaucoup en lien avec la personne de l'animation, avec les personnes de l'organisation de l'EHPAD, pour savoir ce qu'il allait se passer. Parce que je pouvais rebondir comme ça sur la fête de Noël, sur le fait qu'ils sont partis en vacances. Je pouvais choisir un peu comme ça des moments, des activités ou des événements qui collaient avec ce qu'allait raconter Pierre. Je me mettais en contact avec Pierre pour savoir si lui avait une idée du prochain sujet dont il allait parler. Et c'est comme ça qu'on a construit les 12 épisodes. Merci. Sur ce type de sujet, il faut être très vigilant au niveau des autorisations. C'est très compliqué au niveau des droits à l'image. Alors les soignants, il suffit de poser la question et de faire signer les autorisations. Là c'est assez clair, c'est assez simple. Pour les résidents en EHPAD, la difficulté c'est que parfois ils sont sous tutelle. C'est-à-dire qu'ils perdent même la possibilité de dire oui ou non pour leurs droits à l'image. Ça paraît incroyable parce qu'on a envie de dire, même les personnes âgées ont le droit de dire elles-mêmes si elles veulent ou pas être sur les images. Mais certaines, à partir du moment où elles sont sous tutelle, il faut demander l'accord du tuteur ou de la tutrice. Et ça, c'est très compliqué, parce qu'il y a des tuteurs qui répondent très rapidement. Il y en a qui disent toujours non, il y en a qui disent toujours oui, et puis il y a ceux qui ne répondent pas. Et après, être vigilant pour ne pas que ces personnes apparaissent à l'image. Donc déjà, la première partie repérage, elle est là. Elle est de repérer un peu des personnages clés qui sont partie prenante du projet, et dont je sais que je vais pouvoir les suivre de moi en moi. Alors c'est un EHPAD qui est un peu particulier parce que le directeur Pascal Chanvert a une façon d'envisager ces établissements qui est un peu novatrice. Par exemple le fait que les résidents puissent emmener leur animal de compagnie, ça ne se voit pas dans tous les EHPAD. Les gens viennent avec leurs meubles, avec leurs affaires personnelles. Évidemment c'est une chambre, il faut qu'ils réduisent le nombre d'affaires qu'ils emmènent. Mais en fait il essaye de faire vraiment comme si les résidents et résidentes se sentaient chez eux. chez elle. Donc, il met tout en place pour qu'il y ait de l'intergénérationnel aussi. Il y a une crèche dans le même établissement. Il y a un salon de coiffure ouvert au public. C'est-à-dire que les gens de l'extérieur viennent se faire coiffer. On n'est pas dans un lieu fermé à l'extérieur. Je pense que ça fait partie aussi du fait que Pascal Chanvert ait accepté que l'équipe de Lacroix vienne pendant un an. Parce que ce n'est pas évident de se dire qu'il y a des journalistes qui vont venir pendant un an comme ça, un peu, même parfois à l'improviste. D'emblée déjà on me présente André Tess qui va devenir Un des personnages clés de cette série. Alors, ce n'est pas un hasard si on me la présente. Le personnel de l'EHPAD sait très bien que c'est une dame qui est ouverte sur le monde, qui est en forme, qui est drôle, qui a envie de tout, qui est super. Et donc, elle est ravie de me rencontrer, elle a envie de discuter. Très vite, elle plaisante parce qu'elle me montre une robe qu'elle voudra mettre pour l'anniversaire de ses 100 ans, quand toute sa famille viendra fêter son anniversaire. Elle me montre cette robe, elle dit j'avais commencé à un régime, mais le problème c'est que ça ne marche pas. Du coup, cette robe, pour l'instant, je ne peux pas rentrer dedans. Alors je suis bien embêtée parce que déjà, je n'ai plus de tenue pour mon anniversaire. Et je sens très vite qu'elle va devenir un des personnages clés de la série. Ils sont très présents aussi dans la série Bernard et Simone. On travaille toujours très en lien avec le personnel de l'EPAD, avec l'animatrice, mais aussi avec les aides-soignantes, avec les infirmières. Donc, eux savent très bien qu'il ne faut pas aller voir pour ne pas les déranger parce qu'ils n'ont pas envie de ça. Et qui serait plutôt partant pour participer au projet ? Et donc, Simone et Bernard, c'est un couple, ils sont dans la même chambre. Ils sont arrivés récemment. Simone est atteinte de la maladie d'Alzheimer et Bernard a demandé à venir dans un établissement parce qu'il n'arrivait plus à bien s'occuper de sa femme. Trop fatiguée, dans une maison à étage... Donc il demande à rentrer dans cet établissement, mais du coup lui est encore très actif. Donc il fait partie des délégués dans cet EHPAD. Il y a un comité délégué résident qui intervient sur les décisions, qui donne son avis. Donc il fait partie de ce comité de délégués de résidents. Il connaît tout le monde à la cantine, il salue tout le monde. Ils font partie de ceux qui mangent avec les enfants de la crèche parce qu'ils aiment les interactions avec l'extérieur. Et pareil, je sens très vite qu'ils vont devenir des personnages importants de la série. Donc ils apparaissent dans l'épisode sur les couples en Ehpad. Ils apparaissent aussi quand ils mangent avec les enfants de la crèche. Ils apparaissent à Pâques quand les enfants viennent chercher des œufs dans les chambres des résidents. Ils apparaissent régulièrement. Mon épisode préféré, c'est l'épisode où on parle des vacances. Je suis partie avec eux au Croisic. Donc il y a, je crois, une quinzaine de résidents qui sont partis avec une partie du personnel soignant quelques jours au Croisic. Et c'était vraiment super parce que j'ai pu vraiment travailler en immersion. J'ai partagé leur séjour du début jusqu'à la fin. Et du coup, ça crée forcément d'autres sortes de relations et avec les résidentes. Dans mon souvenir, il n'y avait que des femmes. et aussi avec les soignantes. Visuellement, en plus, moi, ça me permettait de sortir un peu de l'EHPAD, d'avoir des paysages de front de mer, d'avoir des moments le soir avant de se coucher, d'avoir des moments au petit-déjeuner, d'avoir d'autres moments à l'image qui n'apparaissaient pas forcément depuis le début de la série. Et puis, dans ce voyage, il y avait Maria, que tu es responsable de l'animation à l'EHPAD, et Catherine, aussi aide-soignante. Pareil, qui était très partie prenante du projet et qui m'ont aidée, qui m'ont facilité la tâche auprès de certains résidents et vraiment qui avait un regard très bienveillant sur les résidentes. Il y a des femmes très courageuses parce que c'est très compliqué d'emmener des personnes à mobilité réduite à la plage. Chaque transport est compliqué. Il faut monter dans le camion, il faut transporter les personnes qui ne marchent pas dans le véhicule. Ensuite, il faut s'imaginer un peu la complexité de chaque déplacement dans ce genre de voyage. Donc, ce sont des personnes très volontaires. Et quand on voit le visage des résidentes face à la mer, On se dit que vraiment ça vaut le coup, parce que ça les change de leur univers quotidien. Et ça, je pense que c'est vraiment nécessaire pour leur bien-être. Donc ça, ça fait partie des images qui vraiment m'ont marquée. Le selfie aussi, avec Catherine, la super aide-soignante avec laquelle je m'entendais très bien. Catherine propose à trois résidentes de sortir un peu sur le front de mer, sur la plage. Donc elles partent, toutes les quatre, et je les suis. Alors en fauteuil roulant dans le sable, ce n'est pas évident, on a du mal un peu à avancer. Et Catherine aimait beaucoup faire des photos. Elle a un portable, elle a une perche à selfie, elle a tout ce qu'il faut pour faire des photos. Au bout d'un moment, on arrive donc le long de la mer, là, on voit le paysage derrière. Et elle fait une photo des résidentes et d'elle sur ce front de mer. Et avec la lumière qui tombait, avec le paysage, avec ce côté un peu décalé, moderne du selfie, j'aimais beaucoup cette image. Je suis très contente qu'elle ait été publiée parce que je la trouvais à la fois souriante et esthétique. L'épisode le plus compliqué à illustrer, les images qui ont été les plus difficiles à faire, difficiles pas humainement mais d'un point de vue visuel, je pense que c'est l'épisode sur la mort. Parce que Pierre décide de faire un épisode sur la mort, qui est un sujet évidemment important. mais visuellement, ce n'est pas facile de parler de ce sujet parce qu'il ne s'agit pas de faire des images trop dures. Et en même temps, il s'agit quand même d'évoquer le sujet sans faire du théorique. C'est-à-dire que moi, je photographie des gens, donc il faut que j'arrive à montrer des personnes et sans que ce soit violent. Donc ce qu'on a trouvé comme alternative, c'est que j'ai photographié dans l'oratoire de la résidence. Il y a eu un moment... pour évoquer les temps de prière qui pouvaient être mis en place quand quelqu'un décédait à la résidence de l'abbaye. Donc j'ai photographié cette réunion, mais il n'y a rien de moins visuel qu'une réunion. C'est vraiment très compliqué, il y a des gens autour d'une table, c'est statique, donc on a vite fait le tour de la question. On retombe souvent sur les mêmes images. Humainement, ce n'est pas là où il y a les émotions les plus fortes. J'ai essayé en accent sur les mains de la personne qui parle, sur quelques éléments visuels, il y avait une croix, il y avait de parler de ça. Si on enlève les légendes de cet épisode-là, je ne sais pas par exemple si on comprend bien le sujet. Et ça, ça veut dire que si quand vous enlevez les légendes, on ne comprend pas bien le sujet, c'est que visuellement, ça ne fonctionne pas tout à fait. Alors parmi les photos d'André Tess que j'ai suivies sur cette année, il y a l'épisode de son anniversaire de ses 100 ans. Sa famille est venue, ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants. Elle avait un rapport avec sa famille très jovial, très convivial. Donc ils sont tous venus et on sentait qu'ils ne se forçaient pas du tout. Ils lui avaient préparé des diaporamas, ils lui avaient préparé des surprises. Donc c'est un anniversaire qui se passe au sein de l'EPAD. Moi j'ai passé toute l'après-midi avec eux. Et elle est incroyable parce qu'elle arrive avec sa bonne humeur toujours. Et puis, en cadeau, elle reçoit une tablette numérique. On se dit, à 100 ans, recevoir une tablette, c'est assez original comme cadeau. Et elle est, sur la photo, on la voit ouvrir son cadeau et dire à son arrière-petite-fille Exactement ce que je voulais, une tablette numérique. La complicité qu'il y a entre cette femme et sa famille, elle était extraordinaire. Et ça, on le sent bien, je pense, dans les trois photos qui ont été choisies, qu'il y a un rapport très doux entre les générations et très bienveillant. Alors une fois que les images sont faites et que je rentre de prise de vue, il y a toute une partie qu'on appelle editing, c'est-à-dire c'est le choix des images. C'est le photographe seul devant son ordinateur qui fait déjà une première sélection. Alors il y a plus ou moins de matière. Je parlais de l'épisode sur la mort, en l'occurrence je n'avais pas beaucoup d'images, donc là le choix est vite fait, il n'y a pas trop d'hésitation. Et puis il y a eu des épisodes sur lesquels j'avais beaucoup plus d'images et dans ce cas-là le choix est beaucoup plus compliqué. Parfois, on est très attaché à des images qui, finalement, vu de l'extérieur, présentent peu d'intérêt. À l'inverse, il y en a qu'on aime moins, mais qu'on sait fondamental pour le récit. Parfois, on voudrait les enlever, parfois on les laisse parce qu'on se dit que ça va peut-être manquer. Il faut à la fois se mettre dans la tête du service photo qui va recevoir le reportage et qui va devoir construire une maquette, un récit. et à la fois ne pas faire trop de compromis avec les images qu'on aime le plus et réussir à bien les mettre en valeur en espérant qu'elles soient choisies parce qu'après il y a toute une partie qui nous échappe. Une fois que le choix est envoyé, nous on ne maîtrise pas ce qui va être publié et ce qui ne va pas l'être. Donc en termes de choix, il faut qu'on ait plusieurs échelles de plans. C'est important d'avoir des vues d'ensemble, mais aussi des gros plans pour varier le récit. Surtout quand au final, dans la publication, il y aura plusieurs images. Il ne faut pas que ce soit des images trop similaires. Donc on fait un premier choix. Moi, souvent, j'y reviens. Après on a toute la partie post-production. Systématiquement mes images je les retravaille. Des fois on a des soucis d'éclairage de néon très jaune qu'il faut un peu rectifier. On a quelqu'un qui apparaît dans le coin du champ qu'il faut faire disparaître donc il faut modifier le cadrage. Et après j'envoie cet editing à la rédaction. Je ne peux pas dire que quand je fais un reportage et quand je fais les choix, je n'ai pas la rédaction pour laquelle je fais ce travail-là dans la tête. Je sais très bien pour qui je travaille au moment où je fais mes prises de vue. Je sais très bien que le sujet ne sera pas traité exactement de la même façon. Après, moi, ma manière de travailler, elle est constante. Donc, je ne m'interdis pas à certaines images, sachant que de toute façon, je ne suis pas une photographe qui va faire des images... violente ou dégradante pour les personnes. J'essaye de m'imposer des limites, mais ces limites sont constantes sur l'ensemble des rédactions pour lesquelles je travaille. Parfois, ça peut m'arriver de faire des images plus irrévérencieuses ou plus décalées, où il peut y avoir de l'humour, et ça, je ne m'interdis pas de les faire. J'ai à la fois bien en tête pour qui je fais ce travail-là. Et à la fois, je travaille comme... Moi, je l'entends avec ma manière de procéder habituelle et qui n'est pas liée à une rédaction en particulier. On m'appelle pour certains types de travaux, donc je pense que c'est parce qu'on sait que je ne fais pas, par exemple, des images extrêmement noires, extrêmement morbides quand je photographie des personnes âgées. Mais je n'en fais pas non plus un tableau idyllique à la... Je ne cherche pas non plus à cacher la réalité. Moi, je suis vraiment dans la vie réelle. Après, je vous dis, les choix, par contre, peuvent être très différents. C'est-à-dire que ce que garde un service photo, au final, ça change beaucoup d'une rédaction à l'autre. Quand ça s'est terminé, le plus difficile, c'est de quitter les gens avec lesquels on a créé des liens. J'y suis jamais retournée, à la résidence de l'abbaye dans le Val-de-Marne, parce que j'ai peur de savoir que Madame Tess est décédée, donc je suis dans le déni, je préfère pas savoir. J'ai appris par contre que dans le couple de Bernard et Simone, c'était Bernard qui était parti en premier, alors qu'il était très en forme et qui venait dans cet établissement pour préserver la santé de sa femme. Finalement, il est décédé peu de temps après la fin de la série. Et quelque part, j'ai envie de garder cette image-là de... Je n'ai pas à redemander de nouvelles, mais c'est vrai qu'il y a des personnes... Je parlais de Catherine, l'aide-soignante. Elle a continué à me souhaiter une bonne année tous les ans pendant plusieurs années. Après, il y a vraiment des liens, ou Maria, la responsable de l'animation. Il y a vraiment des liens qui se sont créés. Et ça, c'est toujours un petit déchirement de se dire qu'on ne reviendra plus et qu'en ce qui concerne les personnes très âgées, peut-être qu'on ne les reverra plus. Ce reportage au long cours, il a eu une vie après. Il a été présenté au Festival Visa pour l'image à Perpignan, qui est un festival dédié au photojournalisme. Il a été nominé pour le prix de la presse quotidienne. Et j'étais très fière de montrer ce travail. Et Isabelle Delaguerne m'a appelée pour plusieurs sujets. difficile humainement ou dans des structures avec des publics fragiles et j'aime beaucoup faire ce genre de travail. C'est vraiment une collaboration qui me tient à cœur parce que souvent on me confie des portraits et des sujets très humains et c'est vraiment ce que j'aime faire.

Share

Embed

You may also like