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L'envers du récit

De Strasbourg à Bordeaux, notre traversée de la France après les législatives

De Strasbourg à Bordeaux, notre traversée de la France après les législatives

28min |03/09/2024
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Description

Au lendemain du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault, journalistes à "La Croix", ont entrepris un voyage d’est en ouest à travers la France. Pendant une semaine, elles ont cherché à prendre le pouls des Français, après cette séquence politique inédite.


Au cœur d’une période politique hors du commun, le souhait de la rédaction de "La Croix", et du service France en particulier, était de donner une large place au récit sur le terrain, et aux témoignages. À chaque étape de leur reportage, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault ont cherché à comprendre les attentes, les espoirs et les frustrations des Français lors de ces élections.


Ce dossier sur "La France d’après" les a conduites dans cinq villes chacune, à la rencontre de citoyens de tous bords politiques. Le dialogue, souvent nourri de préoccupations locales, mais aussi des grandes questions nationales, leur a offert un aperçu précieux de l’état du pays. Entre inquiétudes sur l’avenir, réflexions sur les nouveaux équilibres politiques, et volonté de changement.


► Retrouvez tous les articles de Esther et Maud réalisés pour la série "Législatives : la France d’après, de Strasbourg à Bordeaux" : https://www.la-croix.com/france/legislatives-la-france-d-apres-de-strasbourg-a-bordeaux


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent non, non, la politique, moi j'en parle pas Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, sont purement de la politique. Ça, c'est super intéressant. Quand les gens te disent non, moi j'ai pas envie de parler politique, ça m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage, et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup, elle a dû prendre un boulot en plus pour payer sa nourriture à la maison, et c'est chère, je sais pas quoi, bah c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Maude Guilbeault et Esther Serra-Jordia sont journalistes à la Croix. Au lendemain du second tour des élections législatives, qui a eu lieu le 7 juillet, elles ont décidé de traverser la France, d'est en ouest. Un périple d'une semaine, pendant lequel elles ont cherché à savoir de quoi parler les Français après cette séquence politique inédite. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre. Ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Esther Serra-Gordia, je suis journaliste au service France de la Croix.

  • Speaker #2

    Bonjour, je m'appelle Maud Guilbeault, je suis journaliste pour la Croix depuis un an et demi.

  • Speaker #0

    Dans cet épisode, je vais vous raconter ma série de reportages sur la France d'après, que j'ai réalisé avec ma collègue Maud au lendemain des élections législatives. Il faut savoir que Maud et moi, on n'est pas du tout journalistes politiques normalement. Moi, je fais de la santé et elle, elle est au service culture. on vient renforcer le service politique puisque après qu'Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale, évidemment, actualité exceptionnelle, donc situation exceptionnelle, donc on vient se mettre en renfort du service politique et se créer une espèce de bulle, un nouveau service où on double le service politique. Donc ça fait à ce moment-là presque un mois qu'Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée, donc à l'issue du scrutin des élections européennes. où, pour rappel, le Rassemblement national était arrivé en tête avec 31% des voix. Et donc, à ce moment-là, dans la rédaction, on se dit, qu'est-ce qu'on va faire après ? Parce qu'on a beaucoup réfléchi sur l'avant, les candidats, les électeurs, comment ils vont, comment est-ce qu'ils se sentent, comment faire campagne face à un candidat RN et tout ça. Mais sur le lendemain, on se dit un peu, possiblement le RN arrive au pouvoir, enfin, on est même carrément sur cette hypothèse-là. Qu'est-ce qu'on fait du coup ?

  • Speaker #2

    Très rapidement, on a essayé de regarder un peu sur notre petite carte au Service France où on n'avait pas été. C'est une carte sur laquelle on avait déjà pointé avec des petites punaises rouges toutes les villes où on était passé dans les trois semaines précédentes. On a déjà été en Bretagne, on a fait Paris et sa banlieue, on a fait Amiens, on a fait le Nord, on a fait Montpellier, Lyon, mais on a deux zones autour de Strasbourg et autour de Bordeaux, globalement cette grande diagonale entre les deux qu'on n'a pas du tout... exploité. Et donc avec Esther, on se propose de partir l'une à Bordeaux, l'autre à Strasbourg, et puis de faire un reportage itinérant entre les deux pour se retrouver à la fin de la semaine dans l'Allier. Cette idée, on l'a construit avec notre chef de service et très très vite, il faut qu'on la clarifie un peu pour pouvoir aller la présenter à la rédaction en chef et avoir le feu vert pour partir dès le lundi matin, donc quatre jours plus tard sur les routes.

  • Speaker #0

    On ne part pas avec une envie de montrer quelque chose ou une envie d'analyser quelque chose. Là, l'idée, c'est vraiment d'aller demander aux gens comment ils ont vécu cette séquence politique. Est-ce qu'ils en ont parlé ? Est-ce qu'ils en parlent encore ? Avec qui ? Comment ? Et qui nous raconte, en fait ?

  • Speaker #2

    La rédaction en chef à qui le sujet est proposé dans les 20 minutes qui suivent est très emballée, donc c'est acté. Et là, on est mercredi, donc il nous reste... Quatre jours en comprenant le week-end pour déterminer un peu ce qu'on va faire, où est-ce qu'on va. C'est bien beau de dire qu'on est en diagonale, mais après il faut aussi trouver des gens à qui parler, il faut savoir ce qu'on va leur demander, qu'est-ce qu'on attend de leur récit et de leur expérience.

  • Speaker #0

    Donc il faut trouver à chaque fois un lieu de sociabilité, dans un endroit qui rentre dans la diagonale, et faire une étape et donc un papier par jour. Ce qui demande quand même un travail en amont assez conséquent. Le programme pour moi, c'était de commencer le dimanche, le jour du deuxième tour, à la fête de la bière de Schiltigheim, qui est une petite ville en banlieue de Strasbourg. D'y aller le dimanche soir pour voir un peu comment les gens réagissent à 20h au résultat, puis le lundi matin. Ensuite, j'allais le lendemain dans les Vosges pour un concours de pétanque. Ensuite, en Haute-Saône pour un déjeuner dans une colocation de seniors. Et ensuite, dans le Jura pour un barbecue paysan.

  • Speaker #2

    On veut partir en se disant, on va aller voir les gens et on va essayer de savoir de quoi ils parlent. Est-ce qu'ils parlent de politique ou est-ce qu'ils parlent de complètement autre chose ? Et dans les deux cas, qu'est-ce qu'ils en disent ? Nous, on se dit un peu avec notre prisme parisien journaliste que les gens vont forcément en parler, que ce sera dans toutes les conversations. D'autant plus si le RN passe, forcément, c'est certain que ça va être un sujet de débat partout. Moi, j'ai quelques doutes à ce moment-là parce que je ne viens pas de Paris. Je viens d'une famille dans laquelle on ne parle pas du tout de politique. Et je crains un peu que, même si le RN arrive en tête, il y a des chances que, dans certains endroits, ce ne soit pas un sujet de conversation, ou en tout cas que les gens ne l'abordent pas entre eux. Mais bon, on se dit que ce n'est pas grave et qu'au pire, s'ils n'en parlent pas, ça dit quelque chose aussi. Et que c'est intéressant de savoir de quoi ils parlent et quelles sont les préoccupations qui surpassent la politique à ce moment-là, alors que c'est un moment d'ébullition pour l'Assemblée nationale qui est absolument inédit, historique. Donc, est-ce qu'ils parlent d'autre chose ? Et s'ils parlent d'autre chose, bah... On a envie de savoir de quoi ils parlent.

  • Speaker #0

    Donc j'arrive le dimanche à Chitly Games, c'est une des situations qui m'a vraiment marquée. J'arrive vers 18h30 à la fête de la bière et je vois les gens qui sont là, qui boivent des coups. Pour beaucoup, c'est le début des vacances. Et à 20h, je vois les gens commencer à regarder leur téléphone, à être contents, à s'enlacer, à faire la fête, à s'appeler, à mettre BFM sur les replays. lâcher complètement la bière et la tarte flambée et en parler entre eux en disant ça vu c'est super mais c'est un truc de fou il y a une espèce de ferveur quand même à ce moment là où je me dis j'assiste à un truc assez historique et en même temps je fais mon métier donc je leur pose des questions donc ils me disent mais vous vous avez combien ils ont fait finalement donc c'est très participatif et c'est super chouette c'est un moment vraiment sympa mais voilà à 20h30 ensuite ça retombe un peu et puis c'est la fête et tout et c'est super

  • Speaker #2

    Donc les résultats tombent le dimanche 7 juillet au soir Moi je suis en famille à Nantes, Esther elle est déjà à Strasbourg Elle commençait déjà son reportage à ce moment-là à la fête de la bière à Chétigale Et en fait les résultats tombent et on est évidemment tous un peu surpris La gauche arrive en tête et on échange avec Esther à ce moment-là Et on se demande si le sujet tient toujours Est-ce que le soufflé ne risque pas de retomber complètement ? Et puis... Ça y est, le soulagement pour une partie de la population. Et donc, peut-être qu'il n'y a plus grand-chose à dire.

  • Speaker #0

    Dès le lundi matin où je reviens, je sens que ça va être plus compliqué. Parce que du coup, j'ai ma chef le lundi matin. Je dis qu'est-ce qu'on fait ? On devait faire la France RN. Finalement, le RN n'a pas gagné. Et elle me dit, on continue, ce n'est pas grave, on va faire la France d'après. Comment les gens parlent politique entre eux ? Comment ils se sentent ? Etc. Et en fait, très rapidement, je comprends que les gens qui sont rassurés ne veulent plus en entendre parler.

  • Speaker #2

    Moi, je pars le lundi matin à Bordeaux. Je prends un blabla car, donc un covoiturage. Et je crains un peu parce qu'on en parle cinq minutes. On dit, c'est bon, on est soulagé et c'est tout. On est quatre dans la voiture et c'est pas du tout... Je veux pas pousser le sujet parce que j'ai pas envie de... Pour l'instant, en tout cas, j'ai envie d'écouter un peu aux portes et juste d'être attentive. Et je m'inquiète un peu quand même. Je me dis, bon, il est tôt, il est 7h du matin. C'est peut-être normal que ce ne soit pas encore un sujet de conversation prégnant. Et donc j'arrive à Bordeaux, j'avais déjà repéré une guinguette, qui était un événement qui se tenait un peu en périphérie de Bordeaux, en fait derrière une zone commerciale. Je me dis que ça peut être un lieu d'échange, en tout cas un lieu avec des groupes, il peut y avoir un peu de discussion, donc j'y vais dès le lundi après-midi. Je n'ai pas vraiment le temps de juste me poser et d'écouter, parce qu'il faut qu'à 16h j'aie écrit et envoyé cet article. Donc je regarde un peu autour de moi, je vois des petits groupes de personnes, je commence à aller les voir un peu naïvement. J'arrive et puis je me dis, je ne vais pas mettre la question politique tout de suite dans la conversation, je vais juste leur demander de quoi ils parlent. Et donc je tombe surtout sur des gens qui sont des petits groupes de trois ou quatre qui sont là, ils profitent du soleil, c'est les premiers jours de beau temps, ils sont dans les transats. Personne n'a l'air tendu. C'est majoritairement des gens qui sont en pause déjeuner, qui travaillent à proximité ou dans le centre commercial et qui sont là entre collègues. Donc je vais les voir, je leur demande juste... Je suis journaliste pour La Croix, je viens d'avoir des élections, donc je me promène un peu, pour savoir quelle est l'ambiance, quels sont les sujets de conversation. Et en fait, on me regarde un peu, on me dit, on parle du travail, de tout et de rien. Donc j'insiste un petit peu et je dis... Les résultats d'hier, ce n'est pas dans les sujets de conversation, pas encore. Et là, je tombe sur le premier groupe auquel je parle. En fait, c'est trois personnes qui travaillent dans une école de commerce qui est juste à côté. Il y a deux personnes, un monsieur qui avait une cinquantaine d'années, une dame, pareil, dans la cinquantaine, et puis un jeune qui avait autour de 23 ans, je crois. Et en fait, ils se regardent un peu tous quand je leur dis ça, l'air de dire est-ce qu'on en parle ou pas ? On n'en a pas encore parlé. Donc le premier à répondre, c'est ce monsieur de 50 ans qui me dit on n'a pas encore crevé l'abcès. Et en fait, je leur demande, je fais mais vous n'en parliez pas avant pendant la campagne ? Est-ce que ça a été un sujet au post-café ? Est-ce que vous avez partagé vos opinions ? Et ils me disent non, pas du tout. C'est pas que c'est tabou, mais... On sait que c'est un sujet qui peut provoquer des tensions et donc on préfère pas en parler au travail. Ils acceptent quand même de me dire un petit peu leur relation avec la politique à ce moment-là. Ils me disent que c'est surtout des sujets de conversation qui sont cantonnés à la sphère familiale. Et donc là, c'est la première fois que, pour répondre à mes questions, ils dévoilent un peu, pas forcément leur positionnement politique, mais en tout cas leur vision de la politique. Les deux personnes les plus âgées me disent qu'elles sont très soulagées du résultat, sans me dévoiler leur vote. Globalement, elles me disent que ça les a beaucoup apaisées. Et puis, le troisième, qui a la vingtaine, me dit Moi, je trouve que c'est juste un épisode politique inutile de plus. Franchement, je n'ai pas été votée, mais de toute façon, ça ne changera rien. Donc, ils échangent un petit peu là-dessus, mais ça ne rebondit pas beaucoup. En fait, vraiment, ils me donnent ces informations-là, mais je sens bien qu'ils ne se laisseraient pas donner entre eux si je n'avais pas été là. Donc, c'est ce que je raconte un peu. Je raconte les différentes positions, le fait que... C'est des sujets qui restent cantonnés à la famille, dont on ne parle pas entre collègues, même au lendemain du scrutin. J'écris ça très rapidement, je l'envoie. L'idée, c'est de toute façon pas de faire un portrait politique de la ville où je suis, mais vraiment de faire une photographie à un instant T, le lendemain des élections, qu'est-ce qui se passe, de quoi on parle. C'est très factuel, ce n'est pas un article qui est très long, donc on ne rentre pas forcément beaucoup dans le détail, mais on fait parler un peu les gens. Je commence un peu quand même pas à m'inquiéter, mais à me dire j'espère que ce ne sera pas redondant au fil des jours.

  • Speaker #0

    Lundi soir, j'arrive dans les Vosges, où là, je vais à un concours de pétanque dans les Vosges, donc à la Bresse. Et je suis confrontée à un groupe d'électeurs RN, très décomplexé. Et ce n'est pas la première fois pendant mes reportages que je suis confrontée à ça. On doit absolument pas me montrer que ce qu'ils disent est très choquant, même si on n'est pas d'accord. Et on doit évidemment leur donner la parole. Par ailleurs, ils m'alpaguent beaucoup en me disant où est mon mari, que je suis très mignonne. Il y a un climat qui est assez particulier, mais en fait, je ne peux pas partir. Je n'ai pas le choix, il faut que je fasse mon reportage. Et donc, il faut pareil que ces remarques me passent complètement dessus. Et ça, c'est assez compliqué. Et donc là, pour le coup, ce que j'ai compris, c'est qu'ils avaient tous voté RN et que pour eux, c'était la norme. Et donc ça, c'est une vraie leçon de ce reportage. C'est-à-dire que tu le sais avant d'y aller. Enfin, on le savait avec Maud. qu'on est dans une rédaction parisienne, entourée d'amis qui habitent à Paris quand même, et que c'est vraiment pas la vraie vie quoi. Et que pour nous, l'électeur RN c'est vraiment l'exception, et pour eux c'est la norme. Et donc c'est l'électeur qui va voter à gauche qui est l'exception. Et donc ça nous sort complètement de cette pensée où nous on tente à la rédaction, les journalistes politiques tentent de contrer leurs arguments, de montrer que derrière c'est des fausses promesses, etc. Et en fait, quand toi t'arrives dans un endroit où tout le monde vote RN, Et pour qui il n'y a pas de question de est-ce qu'on vote RN ? Est-ce que RN c'est pas bien ? Non, le R à la Rassemblement nationale, pour eux, c'est le parti de référence. Ça remet un peu en question.

  • Speaker #2

    Je m'en vais à Poutras, en Gironde. Je farfouille un peu sur Facebook notamment, où je sais qu'il y a beaucoup d'événements qui sont annoncés, surtout dans des villes un peu moyennes comme ça. C'est une ville qui a à peine 8000 habitants, enfin c'est pas très très grand. Et je tombe sur l'annonce d'un café compost par une association qui a des jardins partagés. C'est un truc un peu récurrent, donc je me dis que ça doit être des gens qui se connaissent bien et qui font partie de la même asso, donc si ça se trouve, ils parlent de politique. Peut-être que là, c'est quelque chose qui est plus un sujet de conversation, c'est un milieu associatif, donc je me dis que c'est pas impossible. Je circule un petit peu dans la ville, il se passe pas grand-chose, on est au début des vacances. Je finis quand même par atterrir dans ces jardins partagés. Quand je me présente, je ne suis pas annoncée, personne ne sait que je viens, donc je me présente aux premières personnes que je croise. Je m'appelle Maudilbo, je suis journaliste pour La Croix. Je viens un peu discuter avec les gens après la séquence politique qu'on a connue. Et là, je suis accueillie très vite par un monsieur qui est assis... devant le jardin partagé, à peu près 70 ans, avec sa canne, et qui, quand je dis le mot politique, séquence politique, sans même lui avoir posé de questions, détourne le regard et me dit on est antipolitique. Il n'a pas l'air de vouloir engager la conversation plus que ça, je ne me sens pas vraiment bienvenue, pas non plus chassée, mais en tout cas, on me regarde un peu en fronçant les sourcils, on passe un bon moment et elle vient nous parler de politique. Je m'avance quand même, je ne rebondis pas tout de suite avec ce monsieur-là parce que je sens bien que j'ai peut-être été un peu trop frontalement et qu'il faut un peu détendre l'atmosphère, savoir un peu pourquoi ils sont là, comprendre l'association, etc. Donc on me dirige vers Céline qui est une des employées de l'association. Elle me demande un peu pourquoi je suis venue, donc je lui explique et puis elle me demande ce que c'est la croix. Donc je lui dis qu'on a un journal quotidien national, généraliste et catholique. Alors là, je me prends un deuxième... C'est la deuxième fois que je ne suis pas très bien accueillie, où elle me dit on est laïque ici Je dis oui, je ne suis pas venue parler de religion, moi je veux juste savoir de quoi vous discutez en fait Elle me dit de toute façon, ce n'est pas compliqué, on parle de tout, sauf de politique et de religion Je comprends, elle me dit non, mais ce n'est pas que c'est des sujets tabous, mais on est là pour créer du lien social, on n'est pas là pour exclure, et ces sujets-là, ils excluent, ça crée trop de tensions J'ai pas envie que des gens se sentent discriminés ou n'osent pas venir parce qu'on aurait des conversations politiques dans lesquelles ils seraient pas à l'aise, ou sur la religion, et donc c'est des choses dont on ne parle pas. Donc il faut bien que j'écrive quelque chose quand même, donc je m'intéresse à ce que fait l'association et pourquoi ils sont réunis aujourd'hui. Céline m'explique en montrant un peu tous les gens qui sont là, ils sont une dizaine. des personnes assez âgées, le plus jeune à six mois. On sent qu'ils se connaissent tous très bien. C'est un peu un genre de famille qui se retrouve très régulièrement. Ils profitent du jardin. C'est très convivial. Ça sent que c'est un moment qu'ils partagent régulièrement. Donc, je demande un peu à Céline pourquoi ils sont réunis et ce qu'ils font d'habitude. Comment ça se fait qu'ils se connaissent aussi bien ? Elle m'explique. Elle me dit que l'association, elle gère un nombre de choses énormes. Elle fait à la fois de l'accompagnement vers le logement. vers l'emploi, dans la maternité aussi, il y a donc ces jardins partagés, ils ont une épicerie solidaire, un café associatif. Et en fait, elle me dit que c'est de ces sujets-là dont on parle. C'est le logement, parce qu'il n'y en a pas assez ici de logements sociaux. On parle de l'emploi parce qu'on a des jeunes qui n'arrivent pas à se former ou qui n'arrivent pas à se déplacer pour aller à des formations. Et je ne répondis pas parce que je ne veux pas revenir sur la question politique, mais je sens bien que les sujets dont ils parlent, c'est leur préoccupation quotidienne, mais en fait ils sont. extrêmement politiques, ces sujets-là. Ceux dont ils ne parlent pas, ce n'est pas la politique, c'est de la politique politicienne, c'est de ce qui se joue à Paris, dans les cercles politiques, des politiciens. Mais en fait, leurs préoccupations, elles sont très politiques. Mais ils ne les raccrochent pas à l'Assemblée nationale ou à l'Élysée. C'est des problèmes qui existent, dont on parle, et qu'il faut résoudre d'une façon ou d'une autre. Et donc c'est le tissu associatif qui s'empare de ces questions-là.

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent Non, non, la politique, moi, j'en parle pas. Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, est purement de la politique. Par exemple, quand j'arrive dans ma colocation de senior à Lure, en Haute-Saône, c'est comme un Ehpad en plus cool. Il n'y a pas de médecin, et là, pour le coup, c'était que des dames âgées qui vivaient ensemble. Moi, je partageais un déjeuner avec elles, et puis j'étais allée un peu dans leur chambre pour discuter avec elles, et elles me disent toutes Non, non, mais la politique, c'est plus de mon âge, je ne veux pas en parler, etc. Mais elles m'ont quasiment toutes dit. Je suis ici, dans cette colocation pour seniors, parce que je ne voulais pas être un poids pour ma famille. C'est la vie, on vieillit et mon mari est mort et il faut que je sois là parce que sinon je ne peux pas trop peser pour mes enfants. Il n'y a pas plus politique que ce propos-là en fait. Et ça c'est super intéressant. Quand les gens te disent non moi j'ai pas envie de parler politique, ça ne m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup elle a dû prendre un boulot en plus pour... payer sa nourriture à la maison et ses frais, je ne sais pas quoi, c'est de la politique.

  • Speaker #2

    Ma dernière étape avant de rejoindre Esther, c'est Carmon-Ferrand. Je retourne dans un endroit un peu plus citadin. Je me dis que j'aurai peut-être des résultats un peu différents. Je me dis que je vais faire du micro-trottoir, je vais aller un peu aux terrasses des cafés, il fait beau. Je ne devrais pas avoir trop de mal à trouver des gens avec qui discuter. Je rencontre un problème quand même, c'est pas la première fois de la semaine, mais c'est la première fois où ça m'handicap dans mon travail, c'est que, étant donné que je suis une jeune femme qui se promène dans Clermont-Ferrand, dans une ville moyenne, mais où il y a un peu de monde, j'ai pas d'écouteurs, je suis en débardeur parce qu'il fait chaud, et bien parfois je m'approche de groupes de personnes, souvent des groupes d'hommes, où je me dis que ça peut être intéressant de discuter avec eux, mais je suis confrontée à des regards qui me mettent mal à l'aise, et qui me font dire surtout... que je ne vais pas réussir à avoir une matière journalistique intéressante. Donc malheureusement, il y a certains groupes que je ne vais pas voir pour ces raisons-là, qui auraient pu être très intéressants. Je passe devant un bar qui a l'air très animé. Ça sent que c'est vraiment le bar du coin, avec des habitués au comptoir. Le barman discute avec eux. Ils ont l'air de tous se connaître un petit peu. Tout le monde est très joyeux. Mais c'est que des hommes. Donc j'hésite un petit peu avant de rentrer. Finalement, je me dis, de toute façon, il faut bien que je trouve quelque chose. Il faut que je parle avec des gens. Donc je finis par rentrer. Et j'ai bien fait parce que c'est vraiment très convivial. Et je commence à échanger un peu avec ces messieurs qui sont de mon côté du bar et puis avec le tenancier du lieu juste à côté. Et je me dis, s'il y a bien un endroit dans lequel on doit parler de politique, c'est ce genre d'endroit, forcément. Et bien en fait, non, pas du tout. Je leur demande de quoi ils parlent. Ils me répondent qu'ils parlent de mécanique quantique, de peinture. Je pense que c'était aussi un petit peu pour me titiller, mais finalement, on arrive quand même à en parler. Et puis, ils sont très ouverts à la discussion. Ils me disent... Là, on n'en parle pas. Et c'est vrai que maintenant que vous le dites, c'est assez étonnant, mais on en a assez peu parlé, même dans les précédentes semaines. Donc, je demande un peu au barman ce qu'il en pense. Est-ce qu'il s'attendait à plus ? Est-ce que lui, il est là tous les jours, il voit les sujets de conversation changer en fonction de l'actualité ? Il m'a dit, je m'attendais un peu à ce qu'on en parle davantage. Mais en fait, j'ai l'impression que c'était tellement omniprésent partout qu'il fallait que cet endroit-là, ça reste en dehors de ça. Alors c'est venu sur la table de temps en temps, il me dit qu'il a des clients qui passaient de temps en temps, qu'il n'avait aucun mal à dire qu'il votait pour le Rassemblement National. Lui ça l'étonna un peu que ce soit aussi décomplexé. Mais dans l'ensemble, avec les habitués, c'était pas vraiment un sujet récurrent. Donc ils me disent quand même un peu... Il y a notamment Jean qui est de mon côté du bar, qui est très très bavard, qui a plein de choses à dire et qui lui accepte de me parler un peu de son rapport à la politique. Il me dit justement qu'il ne vient pas ici dans ce bar pour parler de ça. Il vient pour parler d'autre chose et pour se vider la tête. Mais, par ailleurs, il est très passionné de politique. Il a arrêté de voter parce qu'il me dit on a déjà tout essayé, ça marche pas et en parler des heures et des heures, ça fait pas avancer le chemin de blic. Mais par contre, je suis ça de très près de chez moi, je regarde la télé, je lis les journaux, j'écoute la radio. Je trouve ça passionnant, mais par contre, c'est un spectacle que je regarde de loin. Je veux plus prendre part à ça parce que... j'ai pas l'impression que ma voix change quoi que ce soit. Donc je préfère m'en tenir à observer ça, et à être dans une démarche d'essayer de comprendre, mais sans vraiment que ça me concerne directement. Pareil, j'envoie mon article à ma chef de service, où je raconte un peu cette lassitude, cette déception, et puis le fait que même au bar, le sujet s'est un peu essoufflé. Ça a été tellement présent dans tous les médias qu'on n'a plus besoin d'en rajouter une couche.

  • Speaker #0

    Donc l'écriture de cette semaine de reportage, c'est compliqué parce que normalement, tu pars en reportage, disons le lundi et le mardi, tu reviens à la rédaction le mercredi, tu le rends le jeudi. Tu as deux jours pour prendre un peu de recul sur ce que tu as vu, compléter, écrire, voir parfois beaucoup plus de temps, mais enfin globalement, c'était plutôt ça. Et là, comme on doit rendre un article par jour et qu'on est à chaque jour à un endroit, ça se passait toujours systématiquement. De la même manière, c'est-à-dire qu'on se rendait au lieu de reportage, on faisait le reportage et on l'écrivait, mais dans la foulée. C'est intéressant journalistiquement parce que ça n'a même pas tellement le temps d'infuser en toi. C'est comme une photo. Tu arrives, tu es avec les gens et puis ensuite tu repars et le reportage est déjà écrit.

  • Speaker #2

    Quand on sort de cette semaine de reportage, quand j'y repense, moi je me dis que c'est vrai qu'il manquait un lien. Et en fait... Les articles sont très bien reçus et là où j'avais peur d'une certaine redondance dans les articles, que ce qui ressorte c'est que personne ne parle de politique ou très peu, avec le recul je me rends compte en fait que ce qui ressort c'est certes une certaine uniformité dans ce qu'on a retrouvé, mais qui est très intéressante, qui est très parlante. Bah oui, on ne parle pas forcément de politique même après les élections, mais en fait on parle de sujet et de la chose politique. C'est ça qui traverse toutes les conversations. Seulement la responsabilité, la plupart du temps, et surtout dans les toutes petites villes où j'ai pu aller, elle n'est pas attribuée à l'État, à nos responsables politiques nationaux. On va la mettre sur la mer du village et on va se reposer sur le tissu associatif pour essayer de résoudre autant que possible par... Par un travail de colibri, les petites choses qui ne vont pas dans le quotidien et qui nous affectent directement.

  • Speaker #0

    Ce que je retiens de ce reportage, alors que nous, ça faisait un mois, parce qu'en fait, ça a marqué la fin de la séquence législative, puisqu'en plus, le Rassemblement national n'avait pas gagné. Peut-être que s'il avait gagné, on aurait continué à tous être très mobilisés. Mais là, du coup, ça ralentit un peu les choses. Mais ça faisait un mois qu'on était dessus. Ça faisait partie entièrement de notre quotidien. Et... C'était assez frappant pendant cette semaine de voir qu'en fait, ailleurs, on le savait, mais c'est une chose de le savoir et c'est une autre chose de le voir. Ailleurs, la vie continue, mais tout à fait normalement. C'est-à-dire que pour nous, c'est un tsunami, en fait. Et pour les autres, c'est une petite vague. Et c'est intéressant journalistiquement parce qu'on travaille quand même pour ces gens-là, ces gens à qui on parle et à qui moi j'ai parlé pendant une semaine. Et on ne travaille pas pour nous-mêmes. Ça remet les idées en place quand même de se dire... Peut-être qu'il faudrait plus aller sur ce terrain-là et plus parler aux gens.

  • Speaker #2

    Quand on rentre à Paris, on clôt, en fait, avec cette série de reportages, on clôt une séquence politique en entier. Moi, j'ai passé un mois au service politique à ce moment-là. C'est très court, en fait. Je n'étais pas dans le service avant, donc c'était très intense pendant un mois. Et il y a toute la fatigue qui retombe. Cette semaine, elle a été extrêmement intense entre les déplacements. On travaillait 24h sur 24, ça ne nous quitte jamais, il faut écrire tous les jours, il faut anticiper le lendemain. Donc à la fin de la semaine, c'est vraiment une grosse retombée de fatigue qui arrive. Et puis une forme de satisfaction d'avoir réussi à faire tous ces reportages, parce que la politique c'est très dur de l'humaniser. Et moi c'est pour ça que je fais ce travail. J'étais assez fière d'avoir pu donner la parole à ces gens-là tout au long de la semaine. et que, par le prétexte de la politique et de la séquence, ils puissent me parler de tout le reste, de tout ce qui les occupe au quotidien et d'être un peu un porte-voix malgré moi, parce que je n'étais pas forcément venue parler de ça, mais des problèmes de logement à Coutras, du désert médical à Vincennes, de la lassitude et de la déception de certains électeurs à Clermont. Donc tout ça, au final... C'était assez satisfaisant. On se dit qu'on avait une série de photographies, comme ça, de toute la semaine, dans cette diagonale qu'on n'avait pas exploitée jusque-là, qui étaient sans être représentatives, qui, en tout cas, disaient quelque chose. Et puis, ça donne aussi beaucoup d'idées de sujets où on se dit, il faut absolument parler de ces choses-là, en fait. Il faut absolument parler de Vang-Saint. Pourquoi on n'y a pas été avant ? Ça permet d'avoir des contacts, ça permet que les gens aussi se sentent représentés. Même si les articles ne vont pas faire le tour du monde, mine de rien, quand Françoise me parle du désert médical et de la galère que c'est de devoir faire 300 kilomètres pour trouver un médecin, le fait seulement de me l'avoir dit, déjà, elle se disait, je l'ai dit à une journaliste d'un quotidien national. Donc, ça libère quelque chose. Et ça, c'est toujours très satisfaisant. Donc, cette fatigue de fin de reportage, elle est très... C'est une fatigue physique, mais il y a beaucoup de satisfaction dans le travail qu'on a fait à ce moment-là. Et je pense que c'était très nécessaire aussi d'avoir ce regard humain en parallèle des analyses politiques qu'on avait dans le journal.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Les reportages de Maude Guilbeault et Esther Serra-Gordia sont à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de Lacroix.

Description

Au lendemain du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault, journalistes à "La Croix", ont entrepris un voyage d’est en ouest à travers la France. Pendant une semaine, elles ont cherché à prendre le pouls des Français, après cette séquence politique inédite.


Au cœur d’une période politique hors du commun, le souhait de la rédaction de "La Croix", et du service France en particulier, était de donner une large place au récit sur le terrain, et aux témoignages. À chaque étape de leur reportage, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault ont cherché à comprendre les attentes, les espoirs et les frustrations des Français lors de ces élections.


Ce dossier sur "La France d’après" les a conduites dans cinq villes chacune, à la rencontre de citoyens de tous bords politiques. Le dialogue, souvent nourri de préoccupations locales, mais aussi des grandes questions nationales, leur a offert un aperçu précieux de l’état du pays. Entre inquiétudes sur l’avenir, réflexions sur les nouveaux équilibres politiques, et volonté de changement.


► Retrouvez tous les articles de Esther et Maud réalisés pour la série "Législatives : la France d’après, de Strasbourg à Bordeaux" : https://www.la-croix.com/france/legislatives-la-france-d-apres-de-strasbourg-a-bordeaux


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent non, non, la politique, moi j'en parle pas Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, sont purement de la politique. Ça, c'est super intéressant. Quand les gens te disent non, moi j'ai pas envie de parler politique, ça m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage, et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup, elle a dû prendre un boulot en plus pour payer sa nourriture à la maison, et c'est chère, je sais pas quoi, bah c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Maude Guilbeault et Esther Serra-Jordia sont journalistes à la Croix. Au lendemain du second tour des élections législatives, qui a eu lieu le 7 juillet, elles ont décidé de traverser la France, d'est en ouest. Un périple d'une semaine, pendant lequel elles ont cherché à savoir de quoi parler les Français après cette séquence politique inédite. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre. Ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Esther Serra-Gordia, je suis journaliste au service France de la Croix.

  • Speaker #2

    Bonjour, je m'appelle Maud Guilbeault, je suis journaliste pour la Croix depuis un an et demi.

  • Speaker #0

    Dans cet épisode, je vais vous raconter ma série de reportages sur la France d'après, que j'ai réalisé avec ma collègue Maud au lendemain des élections législatives. Il faut savoir que Maud et moi, on n'est pas du tout journalistes politiques normalement. Moi, je fais de la santé et elle, elle est au service culture. on vient renforcer le service politique puisque après qu'Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale, évidemment, actualité exceptionnelle, donc situation exceptionnelle, donc on vient se mettre en renfort du service politique et se créer une espèce de bulle, un nouveau service où on double le service politique. Donc ça fait à ce moment-là presque un mois qu'Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée, donc à l'issue du scrutin des élections européennes. où, pour rappel, le Rassemblement national était arrivé en tête avec 31% des voix. Et donc, à ce moment-là, dans la rédaction, on se dit, qu'est-ce qu'on va faire après ? Parce qu'on a beaucoup réfléchi sur l'avant, les candidats, les électeurs, comment ils vont, comment est-ce qu'ils se sentent, comment faire campagne face à un candidat RN et tout ça. Mais sur le lendemain, on se dit un peu, possiblement le RN arrive au pouvoir, enfin, on est même carrément sur cette hypothèse-là. Qu'est-ce qu'on fait du coup ?

  • Speaker #2

    Très rapidement, on a essayé de regarder un peu sur notre petite carte au Service France où on n'avait pas été. C'est une carte sur laquelle on avait déjà pointé avec des petites punaises rouges toutes les villes où on était passé dans les trois semaines précédentes. On a déjà été en Bretagne, on a fait Paris et sa banlieue, on a fait Amiens, on a fait le Nord, on a fait Montpellier, Lyon, mais on a deux zones autour de Strasbourg et autour de Bordeaux, globalement cette grande diagonale entre les deux qu'on n'a pas du tout... exploité. Et donc avec Esther, on se propose de partir l'une à Bordeaux, l'autre à Strasbourg, et puis de faire un reportage itinérant entre les deux pour se retrouver à la fin de la semaine dans l'Allier. Cette idée, on l'a construit avec notre chef de service et très très vite, il faut qu'on la clarifie un peu pour pouvoir aller la présenter à la rédaction en chef et avoir le feu vert pour partir dès le lundi matin, donc quatre jours plus tard sur les routes.

  • Speaker #0

    On ne part pas avec une envie de montrer quelque chose ou une envie d'analyser quelque chose. Là, l'idée, c'est vraiment d'aller demander aux gens comment ils ont vécu cette séquence politique. Est-ce qu'ils en ont parlé ? Est-ce qu'ils en parlent encore ? Avec qui ? Comment ? Et qui nous raconte, en fait ?

  • Speaker #2

    La rédaction en chef à qui le sujet est proposé dans les 20 minutes qui suivent est très emballée, donc c'est acté. Et là, on est mercredi, donc il nous reste... Quatre jours en comprenant le week-end pour déterminer un peu ce qu'on va faire, où est-ce qu'on va. C'est bien beau de dire qu'on est en diagonale, mais après il faut aussi trouver des gens à qui parler, il faut savoir ce qu'on va leur demander, qu'est-ce qu'on attend de leur récit et de leur expérience.

  • Speaker #0

    Donc il faut trouver à chaque fois un lieu de sociabilité, dans un endroit qui rentre dans la diagonale, et faire une étape et donc un papier par jour. Ce qui demande quand même un travail en amont assez conséquent. Le programme pour moi, c'était de commencer le dimanche, le jour du deuxième tour, à la fête de la bière de Schiltigheim, qui est une petite ville en banlieue de Strasbourg. D'y aller le dimanche soir pour voir un peu comment les gens réagissent à 20h au résultat, puis le lundi matin. Ensuite, j'allais le lendemain dans les Vosges pour un concours de pétanque. Ensuite, en Haute-Saône pour un déjeuner dans une colocation de seniors. Et ensuite, dans le Jura pour un barbecue paysan.

  • Speaker #2

    On veut partir en se disant, on va aller voir les gens et on va essayer de savoir de quoi ils parlent. Est-ce qu'ils parlent de politique ou est-ce qu'ils parlent de complètement autre chose ? Et dans les deux cas, qu'est-ce qu'ils en disent ? Nous, on se dit un peu avec notre prisme parisien journaliste que les gens vont forcément en parler, que ce sera dans toutes les conversations. D'autant plus si le RN passe, forcément, c'est certain que ça va être un sujet de débat partout. Moi, j'ai quelques doutes à ce moment-là parce que je ne viens pas de Paris. Je viens d'une famille dans laquelle on ne parle pas du tout de politique. Et je crains un peu que, même si le RN arrive en tête, il y a des chances que, dans certains endroits, ce ne soit pas un sujet de conversation, ou en tout cas que les gens ne l'abordent pas entre eux. Mais bon, on se dit que ce n'est pas grave et qu'au pire, s'ils n'en parlent pas, ça dit quelque chose aussi. Et que c'est intéressant de savoir de quoi ils parlent et quelles sont les préoccupations qui surpassent la politique à ce moment-là, alors que c'est un moment d'ébullition pour l'Assemblée nationale qui est absolument inédit, historique. Donc, est-ce qu'ils parlent d'autre chose ? Et s'ils parlent d'autre chose, bah... On a envie de savoir de quoi ils parlent.

  • Speaker #0

    Donc j'arrive le dimanche à Chitly Games, c'est une des situations qui m'a vraiment marquée. J'arrive vers 18h30 à la fête de la bière et je vois les gens qui sont là, qui boivent des coups. Pour beaucoup, c'est le début des vacances. Et à 20h, je vois les gens commencer à regarder leur téléphone, à être contents, à s'enlacer, à faire la fête, à s'appeler, à mettre BFM sur les replays. lâcher complètement la bière et la tarte flambée et en parler entre eux en disant ça vu c'est super mais c'est un truc de fou il y a une espèce de ferveur quand même à ce moment là où je me dis j'assiste à un truc assez historique et en même temps je fais mon métier donc je leur pose des questions donc ils me disent mais vous vous avez combien ils ont fait finalement donc c'est très participatif et c'est super chouette c'est un moment vraiment sympa mais voilà à 20h30 ensuite ça retombe un peu et puis c'est la fête et tout et c'est super

  • Speaker #2

    Donc les résultats tombent le dimanche 7 juillet au soir Moi je suis en famille à Nantes, Esther elle est déjà à Strasbourg Elle commençait déjà son reportage à ce moment-là à la fête de la bière à Chétigale Et en fait les résultats tombent et on est évidemment tous un peu surpris La gauche arrive en tête et on échange avec Esther à ce moment-là Et on se demande si le sujet tient toujours Est-ce que le soufflé ne risque pas de retomber complètement ? Et puis... Ça y est, le soulagement pour une partie de la population. Et donc, peut-être qu'il n'y a plus grand-chose à dire.

  • Speaker #0

    Dès le lundi matin où je reviens, je sens que ça va être plus compliqué. Parce que du coup, j'ai ma chef le lundi matin. Je dis qu'est-ce qu'on fait ? On devait faire la France RN. Finalement, le RN n'a pas gagné. Et elle me dit, on continue, ce n'est pas grave, on va faire la France d'après. Comment les gens parlent politique entre eux ? Comment ils se sentent ? Etc. Et en fait, très rapidement, je comprends que les gens qui sont rassurés ne veulent plus en entendre parler.

  • Speaker #2

    Moi, je pars le lundi matin à Bordeaux. Je prends un blabla car, donc un covoiturage. Et je crains un peu parce qu'on en parle cinq minutes. On dit, c'est bon, on est soulagé et c'est tout. On est quatre dans la voiture et c'est pas du tout... Je veux pas pousser le sujet parce que j'ai pas envie de... Pour l'instant, en tout cas, j'ai envie d'écouter un peu aux portes et juste d'être attentive. Et je m'inquiète un peu quand même. Je me dis, bon, il est tôt, il est 7h du matin. C'est peut-être normal que ce ne soit pas encore un sujet de conversation prégnant. Et donc j'arrive à Bordeaux, j'avais déjà repéré une guinguette, qui était un événement qui se tenait un peu en périphérie de Bordeaux, en fait derrière une zone commerciale. Je me dis que ça peut être un lieu d'échange, en tout cas un lieu avec des groupes, il peut y avoir un peu de discussion, donc j'y vais dès le lundi après-midi. Je n'ai pas vraiment le temps de juste me poser et d'écouter, parce qu'il faut qu'à 16h j'aie écrit et envoyé cet article. Donc je regarde un peu autour de moi, je vois des petits groupes de personnes, je commence à aller les voir un peu naïvement. J'arrive et puis je me dis, je ne vais pas mettre la question politique tout de suite dans la conversation, je vais juste leur demander de quoi ils parlent. Et donc je tombe surtout sur des gens qui sont des petits groupes de trois ou quatre qui sont là, ils profitent du soleil, c'est les premiers jours de beau temps, ils sont dans les transats. Personne n'a l'air tendu. C'est majoritairement des gens qui sont en pause déjeuner, qui travaillent à proximité ou dans le centre commercial et qui sont là entre collègues. Donc je vais les voir, je leur demande juste... Je suis journaliste pour La Croix, je viens d'avoir des élections, donc je me promène un peu, pour savoir quelle est l'ambiance, quels sont les sujets de conversation. Et en fait, on me regarde un peu, on me dit, on parle du travail, de tout et de rien. Donc j'insiste un petit peu et je dis... Les résultats d'hier, ce n'est pas dans les sujets de conversation, pas encore. Et là, je tombe sur le premier groupe auquel je parle. En fait, c'est trois personnes qui travaillent dans une école de commerce qui est juste à côté. Il y a deux personnes, un monsieur qui avait une cinquantaine d'années, une dame, pareil, dans la cinquantaine, et puis un jeune qui avait autour de 23 ans, je crois. Et en fait, ils se regardent un peu tous quand je leur dis ça, l'air de dire est-ce qu'on en parle ou pas ? On n'en a pas encore parlé. Donc le premier à répondre, c'est ce monsieur de 50 ans qui me dit on n'a pas encore crevé l'abcès. Et en fait, je leur demande, je fais mais vous n'en parliez pas avant pendant la campagne ? Est-ce que ça a été un sujet au post-café ? Est-ce que vous avez partagé vos opinions ? Et ils me disent non, pas du tout. C'est pas que c'est tabou, mais... On sait que c'est un sujet qui peut provoquer des tensions et donc on préfère pas en parler au travail. Ils acceptent quand même de me dire un petit peu leur relation avec la politique à ce moment-là. Ils me disent que c'est surtout des sujets de conversation qui sont cantonnés à la sphère familiale. Et donc là, c'est la première fois que, pour répondre à mes questions, ils dévoilent un peu, pas forcément leur positionnement politique, mais en tout cas leur vision de la politique. Les deux personnes les plus âgées me disent qu'elles sont très soulagées du résultat, sans me dévoiler leur vote. Globalement, elles me disent que ça les a beaucoup apaisées. Et puis, le troisième, qui a la vingtaine, me dit Moi, je trouve que c'est juste un épisode politique inutile de plus. Franchement, je n'ai pas été votée, mais de toute façon, ça ne changera rien. Donc, ils échangent un petit peu là-dessus, mais ça ne rebondit pas beaucoup. En fait, vraiment, ils me donnent ces informations-là, mais je sens bien qu'ils ne se laisseraient pas donner entre eux si je n'avais pas été là. Donc, c'est ce que je raconte un peu. Je raconte les différentes positions, le fait que... C'est des sujets qui restent cantonnés à la famille, dont on ne parle pas entre collègues, même au lendemain du scrutin. J'écris ça très rapidement, je l'envoie. L'idée, c'est de toute façon pas de faire un portrait politique de la ville où je suis, mais vraiment de faire une photographie à un instant T, le lendemain des élections, qu'est-ce qui se passe, de quoi on parle. C'est très factuel, ce n'est pas un article qui est très long, donc on ne rentre pas forcément beaucoup dans le détail, mais on fait parler un peu les gens. Je commence un peu quand même pas à m'inquiéter, mais à me dire j'espère que ce ne sera pas redondant au fil des jours.

  • Speaker #0

    Lundi soir, j'arrive dans les Vosges, où là, je vais à un concours de pétanque dans les Vosges, donc à la Bresse. Et je suis confrontée à un groupe d'électeurs RN, très décomplexé. Et ce n'est pas la première fois pendant mes reportages que je suis confrontée à ça. On doit absolument pas me montrer que ce qu'ils disent est très choquant, même si on n'est pas d'accord. Et on doit évidemment leur donner la parole. Par ailleurs, ils m'alpaguent beaucoup en me disant où est mon mari, que je suis très mignonne. Il y a un climat qui est assez particulier, mais en fait, je ne peux pas partir. Je n'ai pas le choix, il faut que je fasse mon reportage. Et donc, il faut pareil que ces remarques me passent complètement dessus. Et ça, c'est assez compliqué. Et donc là, pour le coup, ce que j'ai compris, c'est qu'ils avaient tous voté RN et que pour eux, c'était la norme. Et donc ça, c'est une vraie leçon de ce reportage. C'est-à-dire que tu le sais avant d'y aller. Enfin, on le savait avec Maud. qu'on est dans une rédaction parisienne, entourée d'amis qui habitent à Paris quand même, et que c'est vraiment pas la vraie vie quoi. Et que pour nous, l'électeur RN c'est vraiment l'exception, et pour eux c'est la norme. Et donc c'est l'électeur qui va voter à gauche qui est l'exception. Et donc ça nous sort complètement de cette pensée où nous on tente à la rédaction, les journalistes politiques tentent de contrer leurs arguments, de montrer que derrière c'est des fausses promesses, etc. Et en fait, quand toi t'arrives dans un endroit où tout le monde vote RN, Et pour qui il n'y a pas de question de est-ce qu'on vote RN ? Est-ce que RN c'est pas bien ? Non, le R à la Rassemblement nationale, pour eux, c'est le parti de référence. Ça remet un peu en question.

  • Speaker #2

    Je m'en vais à Poutras, en Gironde. Je farfouille un peu sur Facebook notamment, où je sais qu'il y a beaucoup d'événements qui sont annoncés, surtout dans des villes un peu moyennes comme ça. C'est une ville qui a à peine 8000 habitants, enfin c'est pas très très grand. Et je tombe sur l'annonce d'un café compost par une association qui a des jardins partagés. C'est un truc un peu récurrent, donc je me dis que ça doit être des gens qui se connaissent bien et qui font partie de la même asso, donc si ça se trouve, ils parlent de politique. Peut-être que là, c'est quelque chose qui est plus un sujet de conversation, c'est un milieu associatif, donc je me dis que c'est pas impossible. Je circule un petit peu dans la ville, il se passe pas grand-chose, on est au début des vacances. Je finis quand même par atterrir dans ces jardins partagés. Quand je me présente, je ne suis pas annoncée, personne ne sait que je viens, donc je me présente aux premières personnes que je croise. Je m'appelle Maudilbo, je suis journaliste pour La Croix. Je viens un peu discuter avec les gens après la séquence politique qu'on a connue. Et là, je suis accueillie très vite par un monsieur qui est assis... devant le jardin partagé, à peu près 70 ans, avec sa canne, et qui, quand je dis le mot politique, séquence politique, sans même lui avoir posé de questions, détourne le regard et me dit on est antipolitique. Il n'a pas l'air de vouloir engager la conversation plus que ça, je ne me sens pas vraiment bienvenue, pas non plus chassée, mais en tout cas, on me regarde un peu en fronçant les sourcils, on passe un bon moment et elle vient nous parler de politique. Je m'avance quand même, je ne rebondis pas tout de suite avec ce monsieur-là parce que je sens bien que j'ai peut-être été un peu trop frontalement et qu'il faut un peu détendre l'atmosphère, savoir un peu pourquoi ils sont là, comprendre l'association, etc. Donc on me dirige vers Céline qui est une des employées de l'association. Elle me demande un peu pourquoi je suis venue, donc je lui explique et puis elle me demande ce que c'est la croix. Donc je lui dis qu'on a un journal quotidien national, généraliste et catholique. Alors là, je me prends un deuxième... C'est la deuxième fois que je ne suis pas très bien accueillie, où elle me dit on est laïque ici Je dis oui, je ne suis pas venue parler de religion, moi je veux juste savoir de quoi vous discutez en fait Elle me dit de toute façon, ce n'est pas compliqué, on parle de tout, sauf de politique et de religion Je comprends, elle me dit non, mais ce n'est pas que c'est des sujets tabous, mais on est là pour créer du lien social, on n'est pas là pour exclure, et ces sujets-là, ils excluent, ça crée trop de tensions J'ai pas envie que des gens se sentent discriminés ou n'osent pas venir parce qu'on aurait des conversations politiques dans lesquelles ils seraient pas à l'aise, ou sur la religion, et donc c'est des choses dont on ne parle pas. Donc il faut bien que j'écrive quelque chose quand même, donc je m'intéresse à ce que fait l'association et pourquoi ils sont réunis aujourd'hui. Céline m'explique en montrant un peu tous les gens qui sont là, ils sont une dizaine. des personnes assez âgées, le plus jeune à six mois. On sent qu'ils se connaissent tous très bien. C'est un peu un genre de famille qui se retrouve très régulièrement. Ils profitent du jardin. C'est très convivial. Ça sent que c'est un moment qu'ils partagent régulièrement. Donc, je demande un peu à Céline pourquoi ils sont réunis et ce qu'ils font d'habitude. Comment ça se fait qu'ils se connaissent aussi bien ? Elle m'explique. Elle me dit que l'association, elle gère un nombre de choses énormes. Elle fait à la fois de l'accompagnement vers le logement. vers l'emploi, dans la maternité aussi, il y a donc ces jardins partagés, ils ont une épicerie solidaire, un café associatif. Et en fait, elle me dit que c'est de ces sujets-là dont on parle. C'est le logement, parce qu'il n'y en a pas assez ici de logements sociaux. On parle de l'emploi parce qu'on a des jeunes qui n'arrivent pas à se former ou qui n'arrivent pas à se déplacer pour aller à des formations. Et je ne répondis pas parce que je ne veux pas revenir sur la question politique, mais je sens bien que les sujets dont ils parlent, c'est leur préoccupation quotidienne, mais en fait ils sont. extrêmement politiques, ces sujets-là. Ceux dont ils ne parlent pas, ce n'est pas la politique, c'est de la politique politicienne, c'est de ce qui se joue à Paris, dans les cercles politiques, des politiciens. Mais en fait, leurs préoccupations, elles sont très politiques. Mais ils ne les raccrochent pas à l'Assemblée nationale ou à l'Élysée. C'est des problèmes qui existent, dont on parle, et qu'il faut résoudre d'une façon ou d'une autre. Et donc c'est le tissu associatif qui s'empare de ces questions-là.

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent Non, non, la politique, moi, j'en parle pas. Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, est purement de la politique. Par exemple, quand j'arrive dans ma colocation de senior à Lure, en Haute-Saône, c'est comme un Ehpad en plus cool. Il n'y a pas de médecin, et là, pour le coup, c'était que des dames âgées qui vivaient ensemble. Moi, je partageais un déjeuner avec elles, et puis j'étais allée un peu dans leur chambre pour discuter avec elles, et elles me disent toutes Non, non, mais la politique, c'est plus de mon âge, je ne veux pas en parler, etc. Mais elles m'ont quasiment toutes dit. Je suis ici, dans cette colocation pour seniors, parce que je ne voulais pas être un poids pour ma famille. C'est la vie, on vieillit et mon mari est mort et il faut que je sois là parce que sinon je ne peux pas trop peser pour mes enfants. Il n'y a pas plus politique que ce propos-là en fait. Et ça c'est super intéressant. Quand les gens te disent non moi j'ai pas envie de parler politique, ça ne m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup elle a dû prendre un boulot en plus pour... payer sa nourriture à la maison et ses frais, je ne sais pas quoi, c'est de la politique.

  • Speaker #2

    Ma dernière étape avant de rejoindre Esther, c'est Carmon-Ferrand. Je retourne dans un endroit un peu plus citadin. Je me dis que j'aurai peut-être des résultats un peu différents. Je me dis que je vais faire du micro-trottoir, je vais aller un peu aux terrasses des cafés, il fait beau. Je ne devrais pas avoir trop de mal à trouver des gens avec qui discuter. Je rencontre un problème quand même, c'est pas la première fois de la semaine, mais c'est la première fois où ça m'handicap dans mon travail, c'est que, étant donné que je suis une jeune femme qui se promène dans Clermont-Ferrand, dans une ville moyenne, mais où il y a un peu de monde, j'ai pas d'écouteurs, je suis en débardeur parce qu'il fait chaud, et bien parfois je m'approche de groupes de personnes, souvent des groupes d'hommes, où je me dis que ça peut être intéressant de discuter avec eux, mais je suis confrontée à des regards qui me mettent mal à l'aise, et qui me font dire surtout... que je ne vais pas réussir à avoir une matière journalistique intéressante. Donc malheureusement, il y a certains groupes que je ne vais pas voir pour ces raisons-là, qui auraient pu être très intéressants. Je passe devant un bar qui a l'air très animé. Ça sent que c'est vraiment le bar du coin, avec des habitués au comptoir. Le barman discute avec eux. Ils ont l'air de tous se connaître un petit peu. Tout le monde est très joyeux. Mais c'est que des hommes. Donc j'hésite un petit peu avant de rentrer. Finalement, je me dis, de toute façon, il faut bien que je trouve quelque chose. Il faut que je parle avec des gens. Donc je finis par rentrer. Et j'ai bien fait parce que c'est vraiment très convivial. Et je commence à échanger un peu avec ces messieurs qui sont de mon côté du bar et puis avec le tenancier du lieu juste à côté. Et je me dis, s'il y a bien un endroit dans lequel on doit parler de politique, c'est ce genre d'endroit, forcément. Et bien en fait, non, pas du tout. Je leur demande de quoi ils parlent. Ils me répondent qu'ils parlent de mécanique quantique, de peinture. Je pense que c'était aussi un petit peu pour me titiller, mais finalement, on arrive quand même à en parler. Et puis, ils sont très ouverts à la discussion. Ils me disent... Là, on n'en parle pas. Et c'est vrai que maintenant que vous le dites, c'est assez étonnant, mais on en a assez peu parlé, même dans les précédentes semaines. Donc, je demande un peu au barman ce qu'il en pense. Est-ce qu'il s'attendait à plus ? Est-ce que lui, il est là tous les jours, il voit les sujets de conversation changer en fonction de l'actualité ? Il m'a dit, je m'attendais un peu à ce qu'on en parle davantage. Mais en fait, j'ai l'impression que c'était tellement omniprésent partout qu'il fallait que cet endroit-là, ça reste en dehors de ça. Alors c'est venu sur la table de temps en temps, il me dit qu'il a des clients qui passaient de temps en temps, qu'il n'avait aucun mal à dire qu'il votait pour le Rassemblement National. Lui ça l'étonna un peu que ce soit aussi décomplexé. Mais dans l'ensemble, avec les habitués, c'était pas vraiment un sujet récurrent. Donc ils me disent quand même un peu... Il y a notamment Jean qui est de mon côté du bar, qui est très très bavard, qui a plein de choses à dire et qui lui accepte de me parler un peu de son rapport à la politique. Il me dit justement qu'il ne vient pas ici dans ce bar pour parler de ça. Il vient pour parler d'autre chose et pour se vider la tête. Mais, par ailleurs, il est très passionné de politique. Il a arrêté de voter parce qu'il me dit on a déjà tout essayé, ça marche pas et en parler des heures et des heures, ça fait pas avancer le chemin de blic. Mais par contre, je suis ça de très près de chez moi, je regarde la télé, je lis les journaux, j'écoute la radio. Je trouve ça passionnant, mais par contre, c'est un spectacle que je regarde de loin. Je veux plus prendre part à ça parce que... j'ai pas l'impression que ma voix change quoi que ce soit. Donc je préfère m'en tenir à observer ça, et à être dans une démarche d'essayer de comprendre, mais sans vraiment que ça me concerne directement. Pareil, j'envoie mon article à ma chef de service, où je raconte un peu cette lassitude, cette déception, et puis le fait que même au bar, le sujet s'est un peu essoufflé. Ça a été tellement présent dans tous les médias qu'on n'a plus besoin d'en rajouter une couche.

  • Speaker #0

    Donc l'écriture de cette semaine de reportage, c'est compliqué parce que normalement, tu pars en reportage, disons le lundi et le mardi, tu reviens à la rédaction le mercredi, tu le rends le jeudi. Tu as deux jours pour prendre un peu de recul sur ce que tu as vu, compléter, écrire, voir parfois beaucoup plus de temps, mais enfin globalement, c'était plutôt ça. Et là, comme on doit rendre un article par jour et qu'on est à chaque jour à un endroit, ça se passait toujours systématiquement. De la même manière, c'est-à-dire qu'on se rendait au lieu de reportage, on faisait le reportage et on l'écrivait, mais dans la foulée. C'est intéressant journalistiquement parce que ça n'a même pas tellement le temps d'infuser en toi. C'est comme une photo. Tu arrives, tu es avec les gens et puis ensuite tu repars et le reportage est déjà écrit.

  • Speaker #2

    Quand on sort de cette semaine de reportage, quand j'y repense, moi je me dis que c'est vrai qu'il manquait un lien. Et en fait... Les articles sont très bien reçus et là où j'avais peur d'une certaine redondance dans les articles, que ce qui ressorte c'est que personne ne parle de politique ou très peu, avec le recul je me rends compte en fait que ce qui ressort c'est certes une certaine uniformité dans ce qu'on a retrouvé, mais qui est très intéressante, qui est très parlante. Bah oui, on ne parle pas forcément de politique même après les élections, mais en fait on parle de sujet et de la chose politique. C'est ça qui traverse toutes les conversations. Seulement la responsabilité, la plupart du temps, et surtout dans les toutes petites villes où j'ai pu aller, elle n'est pas attribuée à l'État, à nos responsables politiques nationaux. On va la mettre sur la mer du village et on va se reposer sur le tissu associatif pour essayer de résoudre autant que possible par... Par un travail de colibri, les petites choses qui ne vont pas dans le quotidien et qui nous affectent directement.

  • Speaker #0

    Ce que je retiens de ce reportage, alors que nous, ça faisait un mois, parce qu'en fait, ça a marqué la fin de la séquence législative, puisqu'en plus, le Rassemblement national n'avait pas gagné. Peut-être que s'il avait gagné, on aurait continué à tous être très mobilisés. Mais là, du coup, ça ralentit un peu les choses. Mais ça faisait un mois qu'on était dessus. Ça faisait partie entièrement de notre quotidien. Et... C'était assez frappant pendant cette semaine de voir qu'en fait, ailleurs, on le savait, mais c'est une chose de le savoir et c'est une autre chose de le voir. Ailleurs, la vie continue, mais tout à fait normalement. C'est-à-dire que pour nous, c'est un tsunami, en fait. Et pour les autres, c'est une petite vague. Et c'est intéressant journalistiquement parce qu'on travaille quand même pour ces gens-là, ces gens à qui on parle et à qui moi j'ai parlé pendant une semaine. Et on ne travaille pas pour nous-mêmes. Ça remet les idées en place quand même de se dire... Peut-être qu'il faudrait plus aller sur ce terrain-là et plus parler aux gens.

  • Speaker #2

    Quand on rentre à Paris, on clôt, en fait, avec cette série de reportages, on clôt une séquence politique en entier. Moi, j'ai passé un mois au service politique à ce moment-là. C'est très court, en fait. Je n'étais pas dans le service avant, donc c'était très intense pendant un mois. Et il y a toute la fatigue qui retombe. Cette semaine, elle a été extrêmement intense entre les déplacements. On travaillait 24h sur 24, ça ne nous quitte jamais, il faut écrire tous les jours, il faut anticiper le lendemain. Donc à la fin de la semaine, c'est vraiment une grosse retombée de fatigue qui arrive. Et puis une forme de satisfaction d'avoir réussi à faire tous ces reportages, parce que la politique c'est très dur de l'humaniser. Et moi c'est pour ça que je fais ce travail. J'étais assez fière d'avoir pu donner la parole à ces gens-là tout au long de la semaine. et que, par le prétexte de la politique et de la séquence, ils puissent me parler de tout le reste, de tout ce qui les occupe au quotidien et d'être un peu un porte-voix malgré moi, parce que je n'étais pas forcément venue parler de ça, mais des problèmes de logement à Coutras, du désert médical à Vincennes, de la lassitude et de la déception de certains électeurs à Clermont. Donc tout ça, au final... C'était assez satisfaisant. On se dit qu'on avait une série de photographies, comme ça, de toute la semaine, dans cette diagonale qu'on n'avait pas exploitée jusque-là, qui étaient sans être représentatives, qui, en tout cas, disaient quelque chose. Et puis, ça donne aussi beaucoup d'idées de sujets où on se dit, il faut absolument parler de ces choses-là, en fait. Il faut absolument parler de Vang-Saint. Pourquoi on n'y a pas été avant ? Ça permet d'avoir des contacts, ça permet que les gens aussi se sentent représentés. Même si les articles ne vont pas faire le tour du monde, mine de rien, quand Françoise me parle du désert médical et de la galère que c'est de devoir faire 300 kilomètres pour trouver un médecin, le fait seulement de me l'avoir dit, déjà, elle se disait, je l'ai dit à une journaliste d'un quotidien national. Donc, ça libère quelque chose. Et ça, c'est toujours très satisfaisant. Donc, cette fatigue de fin de reportage, elle est très... C'est une fatigue physique, mais il y a beaucoup de satisfaction dans le travail qu'on a fait à ce moment-là. Et je pense que c'était très nécessaire aussi d'avoir ce regard humain en parallèle des analyses politiques qu'on avait dans le journal.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Les reportages de Maude Guilbeault et Esther Serra-Gordia sont à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de Lacroix.

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Description

Au lendemain du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault, journalistes à "La Croix", ont entrepris un voyage d’est en ouest à travers la France. Pendant une semaine, elles ont cherché à prendre le pouls des Français, après cette séquence politique inédite.


Au cœur d’une période politique hors du commun, le souhait de la rédaction de "La Croix", et du service France en particulier, était de donner une large place au récit sur le terrain, et aux témoignages. À chaque étape de leur reportage, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault ont cherché à comprendre les attentes, les espoirs et les frustrations des Français lors de ces élections.


Ce dossier sur "La France d’après" les a conduites dans cinq villes chacune, à la rencontre de citoyens de tous bords politiques. Le dialogue, souvent nourri de préoccupations locales, mais aussi des grandes questions nationales, leur a offert un aperçu précieux de l’état du pays. Entre inquiétudes sur l’avenir, réflexions sur les nouveaux équilibres politiques, et volonté de changement.


► Retrouvez tous les articles de Esther et Maud réalisés pour la série "Législatives : la France d’après, de Strasbourg à Bordeaux" : https://www.la-croix.com/france/legislatives-la-france-d-apres-de-strasbourg-a-bordeaux


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent non, non, la politique, moi j'en parle pas Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, sont purement de la politique. Ça, c'est super intéressant. Quand les gens te disent non, moi j'ai pas envie de parler politique, ça m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage, et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup, elle a dû prendre un boulot en plus pour payer sa nourriture à la maison, et c'est chère, je sais pas quoi, bah c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Maude Guilbeault et Esther Serra-Jordia sont journalistes à la Croix. Au lendemain du second tour des élections législatives, qui a eu lieu le 7 juillet, elles ont décidé de traverser la France, d'est en ouest. Un périple d'une semaine, pendant lequel elles ont cherché à savoir de quoi parler les Français après cette séquence politique inédite. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre. Ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Esther Serra-Gordia, je suis journaliste au service France de la Croix.

  • Speaker #2

    Bonjour, je m'appelle Maud Guilbeault, je suis journaliste pour la Croix depuis un an et demi.

  • Speaker #0

    Dans cet épisode, je vais vous raconter ma série de reportages sur la France d'après, que j'ai réalisé avec ma collègue Maud au lendemain des élections législatives. Il faut savoir que Maud et moi, on n'est pas du tout journalistes politiques normalement. Moi, je fais de la santé et elle, elle est au service culture. on vient renforcer le service politique puisque après qu'Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale, évidemment, actualité exceptionnelle, donc situation exceptionnelle, donc on vient se mettre en renfort du service politique et se créer une espèce de bulle, un nouveau service où on double le service politique. Donc ça fait à ce moment-là presque un mois qu'Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée, donc à l'issue du scrutin des élections européennes. où, pour rappel, le Rassemblement national était arrivé en tête avec 31% des voix. Et donc, à ce moment-là, dans la rédaction, on se dit, qu'est-ce qu'on va faire après ? Parce qu'on a beaucoup réfléchi sur l'avant, les candidats, les électeurs, comment ils vont, comment est-ce qu'ils se sentent, comment faire campagne face à un candidat RN et tout ça. Mais sur le lendemain, on se dit un peu, possiblement le RN arrive au pouvoir, enfin, on est même carrément sur cette hypothèse-là. Qu'est-ce qu'on fait du coup ?

  • Speaker #2

    Très rapidement, on a essayé de regarder un peu sur notre petite carte au Service France où on n'avait pas été. C'est une carte sur laquelle on avait déjà pointé avec des petites punaises rouges toutes les villes où on était passé dans les trois semaines précédentes. On a déjà été en Bretagne, on a fait Paris et sa banlieue, on a fait Amiens, on a fait le Nord, on a fait Montpellier, Lyon, mais on a deux zones autour de Strasbourg et autour de Bordeaux, globalement cette grande diagonale entre les deux qu'on n'a pas du tout... exploité. Et donc avec Esther, on se propose de partir l'une à Bordeaux, l'autre à Strasbourg, et puis de faire un reportage itinérant entre les deux pour se retrouver à la fin de la semaine dans l'Allier. Cette idée, on l'a construit avec notre chef de service et très très vite, il faut qu'on la clarifie un peu pour pouvoir aller la présenter à la rédaction en chef et avoir le feu vert pour partir dès le lundi matin, donc quatre jours plus tard sur les routes.

  • Speaker #0

    On ne part pas avec une envie de montrer quelque chose ou une envie d'analyser quelque chose. Là, l'idée, c'est vraiment d'aller demander aux gens comment ils ont vécu cette séquence politique. Est-ce qu'ils en ont parlé ? Est-ce qu'ils en parlent encore ? Avec qui ? Comment ? Et qui nous raconte, en fait ?

  • Speaker #2

    La rédaction en chef à qui le sujet est proposé dans les 20 minutes qui suivent est très emballée, donc c'est acté. Et là, on est mercredi, donc il nous reste... Quatre jours en comprenant le week-end pour déterminer un peu ce qu'on va faire, où est-ce qu'on va. C'est bien beau de dire qu'on est en diagonale, mais après il faut aussi trouver des gens à qui parler, il faut savoir ce qu'on va leur demander, qu'est-ce qu'on attend de leur récit et de leur expérience.

  • Speaker #0

    Donc il faut trouver à chaque fois un lieu de sociabilité, dans un endroit qui rentre dans la diagonale, et faire une étape et donc un papier par jour. Ce qui demande quand même un travail en amont assez conséquent. Le programme pour moi, c'était de commencer le dimanche, le jour du deuxième tour, à la fête de la bière de Schiltigheim, qui est une petite ville en banlieue de Strasbourg. D'y aller le dimanche soir pour voir un peu comment les gens réagissent à 20h au résultat, puis le lundi matin. Ensuite, j'allais le lendemain dans les Vosges pour un concours de pétanque. Ensuite, en Haute-Saône pour un déjeuner dans une colocation de seniors. Et ensuite, dans le Jura pour un barbecue paysan.

  • Speaker #2

    On veut partir en se disant, on va aller voir les gens et on va essayer de savoir de quoi ils parlent. Est-ce qu'ils parlent de politique ou est-ce qu'ils parlent de complètement autre chose ? Et dans les deux cas, qu'est-ce qu'ils en disent ? Nous, on se dit un peu avec notre prisme parisien journaliste que les gens vont forcément en parler, que ce sera dans toutes les conversations. D'autant plus si le RN passe, forcément, c'est certain que ça va être un sujet de débat partout. Moi, j'ai quelques doutes à ce moment-là parce que je ne viens pas de Paris. Je viens d'une famille dans laquelle on ne parle pas du tout de politique. Et je crains un peu que, même si le RN arrive en tête, il y a des chances que, dans certains endroits, ce ne soit pas un sujet de conversation, ou en tout cas que les gens ne l'abordent pas entre eux. Mais bon, on se dit que ce n'est pas grave et qu'au pire, s'ils n'en parlent pas, ça dit quelque chose aussi. Et que c'est intéressant de savoir de quoi ils parlent et quelles sont les préoccupations qui surpassent la politique à ce moment-là, alors que c'est un moment d'ébullition pour l'Assemblée nationale qui est absolument inédit, historique. Donc, est-ce qu'ils parlent d'autre chose ? Et s'ils parlent d'autre chose, bah... On a envie de savoir de quoi ils parlent.

  • Speaker #0

    Donc j'arrive le dimanche à Chitly Games, c'est une des situations qui m'a vraiment marquée. J'arrive vers 18h30 à la fête de la bière et je vois les gens qui sont là, qui boivent des coups. Pour beaucoup, c'est le début des vacances. Et à 20h, je vois les gens commencer à regarder leur téléphone, à être contents, à s'enlacer, à faire la fête, à s'appeler, à mettre BFM sur les replays. lâcher complètement la bière et la tarte flambée et en parler entre eux en disant ça vu c'est super mais c'est un truc de fou il y a une espèce de ferveur quand même à ce moment là où je me dis j'assiste à un truc assez historique et en même temps je fais mon métier donc je leur pose des questions donc ils me disent mais vous vous avez combien ils ont fait finalement donc c'est très participatif et c'est super chouette c'est un moment vraiment sympa mais voilà à 20h30 ensuite ça retombe un peu et puis c'est la fête et tout et c'est super

  • Speaker #2

    Donc les résultats tombent le dimanche 7 juillet au soir Moi je suis en famille à Nantes, Esther elle est déjà à Strasbourg Elle commençait déjà son reportage à ce moment-là à la fête de la bière à Chétigale Et en fait les résultats tombent et on est évidemment tous un peu surpris La gauche arrive en tête et on échange avec Esther à ce moment-là Et on se demande si le sujet tient toujours Est-ce que le soufflé ne risque pas de retomber complètement ? Et puis... Ça y est, le soulagement pour une partie de la population. Et donc, peut-être qu'il n'y a plus grand-chose à dire.

  • Speaker #0

    Dès le lundi matin où je reviens, je sens que ça va être plus compliqué. Parce que du coup, j'ai ma chef le lundi matin. Je dis qu'est-ce qu'on fait ? On devait faire la France RN. Finalement, le RN n'a pas gagné. Et elle me dit, on continue, ce n'est pas grave, on va faire la France d'après. Comment les gens parlent politique entre eux ? Comment ils se sentent ? Etc. Et en fait, très rapidement, je comprends que les gens qui sont rassurés ne veulent plus en entendre parler.

  • Speaker #2

    Moi, je pars le lundi matin à Bordeaux. Je prends un blabla car, donc un covoiturage. Et je crains un peu parce qu'on en parle cinq minutes. On dit, c'est bon, on est soulagé et c'est tout. On est quatre dans la voiture et c'est pas du tout... Je veux pas pousser le sujet parce que j'ai pas envie de... Pour l'instant, en tout cas, j'ai envie d'écouter un peu aux portes et juste d'être attentive. Et je m'inquiète un peu quand même. Je me dis, bon, il est tôt, il est 7h du matin. C'est peut-être normal que ce ne soit pas encore un sujet de conversation prégnant. Et donc j'arrive à Bordeaux, j'avais déjà repéré une guinguette, qui était un événement qui se tenait un peu en périphérie de Bordeaux, en fait derrière une zone commerciale. Je me dis que ça peut être un lieu d'échange, en tout cas un lieu avec des groupes, il peut y avoir un peu de discussion, donc j'y vais dès le lundi après-midi. Je n'ai pas vraiment le temps de juste me poser et d'écouter, parce qu'il faut qu'à 16h j'aie écrit et envoyé cet article. Donc je regarde un peu autour de moi, je vois des petits groupes de personnes, je commence à aller les voir un peu naïvement. J'arrive et puis je me dis, je ne vais pas mettre la question politique tout de suite dans la conversation, je vais juste leur demander de quoi ils parlent. Et donc je tombe surtout sur des gens qui sont des petits groupes de trois ou quatre qui sont là, ils profitent du soleil, c'est les premiers jours de beau temps, ils sont dans les transats. Personne n'a l'air tendu. C'est majoritairement des gens qui sont en pause déjeuner, qui travaillent à proximité ou dans le centre commercial et qui sont là entre collègues. Donc je vais les voir, je leur demande juste... Je suis journaliste pour La Croix, je viens d'avoir des élections, donc je me promène un peu, pour savoir quelle est l'ambiance, quels sont les sujets de conversation. Et en fait, on me regarde un peu, on me dit, on parle du travail, de tout et de rien. Donc j'insiste un petit peu et je dis... Les résultats d'hier, ce n'est pas dans les sujets de conversation, pas encore. Et là, je tombe sur le premier groupe auquel je parle. En fait, c'est trois personnes qui travaillent dans une école de commerce qui est juste à côté. Il y a deux personnes, un monsieur qui avait une cinquantaine d'années, une dame, pareil, dans la cinquantaine, et puis un jeune qui avait autour de 23 ans, je crois. Et en fait, ils se regardent un peu tous quand je leur dis ça, l'air de dire est-ce qu'on en parle ou pas ? On n'en a pas encore parlé. Donc le premier à répondre, c'est ce monsieur de 50 ans qui me dit on n'a pas encore crevé l'abcès. Et en fait, je leur demande, je fais mais vous n'en parliez pas avant pendant la campagne ? Est-ce que ça a été un sujet au post-café ? Est-ce que vous avez partagé vos opinions ? Et ils me disent non, pas du tout. C'est pas que c'est tabou, mais... On sait que c'est un sujet qui peut provoquer des tensions et donc on préfère pas en parler au travail. Ils acceptent quand même de me dire un petit peu leur relation avec la politique à ce moment-là. Ils me disent que c'est surtout des sujets de conversation qui sont cantonnés à la sphère familiale. Et donc là, c'est la première fois que, pour répondre à mes questions, ils dévoilent un peu, pas forcément leur positionnement politique, mais en tout cas leur vision de la politique. Les deux personnes les plus âgées me disent qu'elles sont très soulagées du résultat, sans me dévoiler leur vote. Globalement, elles me disent que ça les a beaucoup apaisées. Et puis, le troisième, qui a la vingtaine, me dit Moi, je trouve que c'est juste un épisode politique inutile de plus. Franchement, je n'ai pas été votée, mais de toute façon, ça ne changera rien. Donc, ils échangent un petit peu là-dessus, mais ça ne rebondit pas beaucoup. En fait, vraiment, ils me donnent ces informations-là, mais je sens bien qu'ils ne se laisseraient pas donner entre eux si je n'avais pas été là. Donc, c'est ce que je raconte un peu. Je raconte les différentes positions, le fait que... C'est des sujets qui restent cantonnés à la famille, dont on ne parle pas entre collègues, même au lendemain du scrutin. J'écris ça très rapidement, je l'envoie. L'idée, c'est de toute façon pas de faire un portrait politique de la ville où je suis, mais vraiment de faire une photographie à un instant T, le lendemain des élections, qu'est-ce qui se passe, de quoi on parle. C'est très factuel, ce n'est pas un article qui est très long, donc on ne rentre pas forcément beaucoup dans le détail, mais on fait parler un peu les gens. Je commence un peu quand même pas à m'inquiéter, mais à me dire j'espère que ce ne sera pas redondant au fil des jours.

  • Speaker #0

    Lundi soir, j'arrive dans les Vosges, où là, je vais à un concours de pétanque dans les Vosges, donc à la Bresse. Et je suis confrontée à un groupe d'électeurs RN, très décomplexé. Et ce n'est pas la première fois pendant mes reportages que je suis confrontée à ça. On doit absolument pas me montrer que ce qu'ils disent est très choquant, même si on n'est pas d'accord. Et on doit évidemment leur donner la parole. Par ailleurs, ils m'alpaguent beaucoup en me disant où est mon mari, que je suis très mignonne. Il y a un climat qui est assez particulier, mais en fait, je ne peux pas partir. Je n'ai pas le choix, il faut que je fasse mon reportage. Et donc, il faut pareil que ces remarques me passent complètement dessus. Et ça, c'est assez compliqué. Et donc là, pour le coup, ce que j'ai compris, c'est qu'ils avaient tous voté RN et que pour eux, c'était la norme. Et donc ça, c'est une vraie leçon de ce reportage. C'est-à-dire que tu le sais avant d'y aller. Enfin, on le savait avec Maud. qu'on est dans une rédaction parisienne, entourée d'amis qui habitent à Paris quand même, et que c'est vraiment pas la vraie vie quoi. Et que pour nous, l'électeur RN c'est vraiment l'exception, et pour eux c'est la norme. Et donc c'est l'électeur qui va voter à gauche qui est l'exception. Et donc ça nous sort complètement de cette pensée où nous on tente à la rédaction, les journalistes politiques tentent de contrer leurs arguments, de montrer que derrière c'est des fausses promesses, etc. Et en fait, quand toi t'arrives dans un endroit où tout le monde vote RN, Et pour qui il n'y a pas de question de est-ce qu'on vote RN ? Est-ce que RN c'est pas bien ? Non, le R à la Rassemblement nationale, pour eux, c'est le parti de référence. Ça remet un peu en question.

  • Speaker #2

    Je m'en vais à Poutras, en Gironde. Je farfouille un peu sur Facebook notamment, où je sais qu'il y a beaucoup d'événements qui sont annoncés, surtout dans des villes un peu moyennes comme ça. C'est une ville qui a à peine 8000 habitants, enfin c'est pas très très grand. Et je tombe sur l'annonce d'un café compost par une association qui a des jardins partagés. C'est un truc un peu récurrent, donc je me dis que ça doit être des gens qui se connaissent bien et qui font partie de la même asso, donc si ça se trouve, ils parlent de politique. Peut-être que là, c'est quelque chose qui est plus un sujet de conversation, c'est un milieu associatif, donc je me dis que c'est pas impossible. Je circule un petit peu dans la ville, il se passe pas grand-chose, on est au début des vacances. Je finis quand même par atterrir dans ces jardins partagés. Quand je me présente, je ne suis pas annoncée, personne ne sait que je viens, donc je me présente aux premières personnes que je croise. Je m'appelle Maudilbo, je suis journaliste pour La Croix. Je viens un peu discuter avec les gens après la séquence politique qu'on a connue. Et là, je suis accueillie très vite par un monsieur qui est assis... devant le jardin partagé, à peu près 70 ans, avec sa canne, et qui, quand je dis le mot politique, séquence politique, sans même lui avoir posé de questions, détourne le regard et me dit on est antipolitique. Il n'a pas l'air de vouloir engager la conversation plus que ça, je ne me sens pas vraiment bienvenue, pas non plus chassée, mais en tout cas, on me regarde un peu en fronçant les sourcils, on passe un bon moment et elle vient nous parler de politique. Je m'avance quand même, je ne rebondis pas tout de suite avec ce monsieur-là parce que je sens bien que j'ai peut-être été un peu trop frontalement et qu'il faut un peu détendre l'atmosphère, savoir un peu pourquoi ils sont là, comprendre l'association, etc. Donc on me dirige vers Céline qui est une des employées de l'association. Elle me demande un peu pourquoi je suis venue, donc je lui explique et puis elle me demande ce que c'est la croix. Donc je lui dis qu'on a un journal quotidien national, généraliste et catholique. Alors là, je me prends un deuxième... C'est la deuxième fois que je ne suis pas très bien accueillie, où elle me dit on est laïque ici Je dis oui, je ne suis pas venue parler de religion, moi je veux juste savoir de quoi vous discutez en fait Elle me dit de toute façon, ce n'est pas compliqué, on parle de tout, sauf de politique et de religion Je comprends, elle me dit non, mais ce n'est pas que c'est des sujets tabous, mais on est là pour créer du lien social, on n'est pas là pour exclure, et ces sujets-là, ils excluent, ça crée trop de tensions J'ai pas envie que des gens se sentent discriminés ou n'osent pas venir parce qu'on aurait des conversations politiques dans lesquelles ils seraient pas à l'aise, ou sur la religion, et donc c'est des choses dont on ne parle pas. Donc il faut bien que j'écrive quelque chose quand même, donc je m'intéresse à ce que fait l'association et pourquoi ils sont réunis aujourd'hui. Céline m'explique en montrant un peu tous les gens qui sont là, ils sont une dizaine. des personnes assez âgées, le plus jeune à six mois. On sent qu'ils se connaissent tous très bien. C'est un peu un genre de famille qui se retrouve très régulièrement. Ils profitent du jardin. C'est très convivial. Ça sent que c'est un moment qu'ils partagent régulièrement. Donc, je demande un peu à Céline pourquoi ils sont réunis et ce qu'ils font d'habitude. Comment ça se fait qu'ils se connaissent aussi bien ? Elle m'explique. Elle me dit que l'association, elle gère un nombre de choses énormes. Elle fait à la fois de l'accompagnement vers le logement. vers l'emploi, dans la maternité aussi, il y a donc ces jardins partagés, ils ont une épicerie solidaire, un café associatif. Et en fait, elle me dit que c'est de ces sujets-là dont on parle. C'est le logement, parce qu'il n'y en a pas assez ici de logements sociaux. On parle de l'emploi parce qu'on a des jeunes qui n'arrivent pas à se former ou qui n'arrivent pas à se déplacer pour aller à des formations. Et je ne répondis pas parce que je ne veux pas revenir sur la question politique, mais je sens bien que les sujets dont ils parlent, c'est leur préoccupation quotidienne, mais en fait ils sont. extrêmement politiques, ces sujets-là. Ceux dont ils ne parlent pas, ce n'est pas la politique, c'est de la politique politicienne, c'est de ce qui se joue à Paris, dans les cercles politiques, des politiciens. Mais en fait, leurs préoccupations, elles sont très politiques. Mais ils ne les raccrochent pas à l'Assemblée nationale ou à l'Élysée. C'est des problèmes qui existent, dont on parle, et qu'il faut résoudre d'une façon ou d'une autre. Et donc c'est le tissu associatif qui s'empare de ces questions-là.

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent Non, non, la politique, moi, j'en parle pas. Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, est purement de la politique. Par exemple, quand j'arrive dans ma colocation de senior à Lure, en Haute-Saône, c'est comme un Ehpad en plus cool. Il n'y a pas de médecin, et là, pour le coup, c'était que des dames âgées qui vivaient ensemble. Moi, je partageais un déjeuner avec elles, et puis j'étais allée un peu dans leur chambre pour discuter avec elles, et elles me disent toutes Non, non, mais la politique, c'est plus de mon âge, je ne veux pas en parler, etc. Mais elles m'ont quasiment toutes dit. Je suis ici, dans cette colocation pour seniors, parce que je ne voulais pas être un poids pour ma famille. C'est la vie, on vieillit et mon mari est mort et il faut que je sois là parce que sinon je ne peux pas trop peser pour mes enfants. Il n'y a pas plus politique que ce propos-là en fait. Et ça c'est super intéressant. Quand les gens te disent non moi j'ai pas envie de parler politique, ça ne m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup elle a dû prendre un boulot en plus pour... payer sa nourriture à la maison et ses frais, je ne sais pas quoi, c'est de la politique.

  • Speaker #2

    Ma dernière étape avant de rejoindre Esther, c'est Carmon-Ferrand. Je retourne dans un endroit un peu plus citadin. Je me dis que j'aurai peut-être des résultats un peu différents. Je me dis que je vais faire du micro-trottoir, je vais aller un peu aux terrasses des cafés, il fait beau. Je ne devrais pas avoir trop de mal à trouver des gens avec qui discuter. Je rencontre un problème quand même, c'est pas la première fois de la semaine, mais c'est la première fois où ça m'handicap dans mon travail, c'est que, étant donné que je suis une jeune femme qui se promène dans Clermont-Ferrand, dans une ville moyenne, mais où il y a un peu de monde, j'ai pas d'écouteurs, je suis en débardeur parce qu'il fait chaud, et bien parfois je m'approche de groupes de personnes, souvent des groupes d'hommes, où je me dis que ça peut être intéressant de discuter avec eux, mais je suis confrontée à des regards qui me mettent mal à l'aise, et qui me font dire surtout... que je ne vais pas réussir à avoir une matière journalistique intéressante. Donc malheureusement, il y a certains groupes que je ne vais pas voir pour ces raisons-là, qui auraient pu être très intéressants. Je passe devant un bar qui a l'air très animé. Ça sent que c'est vraiment le bar du coin, avec des habitués au comptoir. Le barman discute avec eux. Ils ont l'air de tous se connaître un petit peu. Tout le monde est très joyeux. Mais c'est que des hommes. Donc j'hésite un petit peu avant de rentrer. Finalement, je me dis, de toute façon, il faut bien que je trouve quelque chose. Il faut que je parle avec des gens. Donc je finis par rentrer. Et j'ai bien fait parce que c'est vraiment très convivial. Et je commence à échanger un peu avec ces messieurs qui sont de mon côté du bar et puis avec le tenancier du lieu juste à côté. Et je me dis, s'il y a bien un endroit dans lequel on doit parler de politique, c'est ce genre d'endroit, forcément. Et bien en fait, non, pas du tout. Je leur demande de quoi ils parlent. Ils me répondent qu'ils parlent de mécanique quantique, de peinture. Je pense que c'était aussi un petit peu pour me titiller, mais finalement, on arrive quand même à en parler. Et puis, ils sont très ouverts à la discussion. Ils me disent... Là, on n'en parle pas. Et c'est vrai que maintenant que vous le dites, c'est assez étonnant, mais on en a assez peu parlé, même dans les précédentes semaines. Donc, je demande un peu au barman ce qu'il en pense. Est-ce qu'il s'attendait à plus ? Est-ce que lui, il est là tous les jours, il voit les sujets de conversation changer en fonction de l'actualité ? Il m'a dit, je m'attendais un peu à ce qu'on en parle davantage. Mais en fait, j'ai l'impression que c'était tellement omniprésent partout qu'il fallait que cet endroit-là, ça reste en dehors de ça. Alors c'est venu sur la table de temps en temps, il me dit qu'il a des clients qui passaient de temps en temps, qu'il n'avait aucun mal à dire qu'il votait pour le Rassemblement National. Lui ça l'étonna un peu que ce soit aussi décomplexé. Mais dans l'ensemble, avec les habitués, c'était pas vraiment un sujet récurrent. Donc ils me disent quand même un peu... Il y a notamment Jean qui est de mon côté du bar, qui est très très bavard, qui a plein de choses à dire et qui lui accepte de me parler un peu de son rapport à la politique. Il me dit justement qu'il ne vient pas ici dans ce bar pour parler de ça. Il vient pour parler d'autre chose et pour se vider la tête. Mais, par ailleurs, il est très passionné de politique. Il a arrêté de voter parce qu'il me dit on a déjà tout essayé, ça marche pas et en parler des heures et des heures, ça fait pas avancer le chemin de blic. Mais par contre, je suis ça de très près de chez moi, je regarde la télé, je lis les journaux, j'écoute la radio. Je trouve ça passionnant, mais par contre, c'est un spectacle que je regarde de loin. Je veux plus prendre part à ça parce que... j'ai pas l'impression que ma voix change quoi que ce soit. Donc je préfère m'en tenir à observer ça, et à être dans une démarche d'essayer de comprendre, mais sans vraiment que ça me concerne directement. Pareil, j'envoie mon article à ma chef de service, où je raconte un peu cette lassitude, cette déception, et puis le fait que même au bar, le sujet s'est un peu essoufflé. Ça a été tellement présent dans tous les médias qu'on n'a plus besoin d'en rajouter une couche.

  • Speaker #0

    Donc l'écriture de cette semaine de reportage, c'est compliqué parce que normalement, tu pars en reportage, disons le lundi et le mardi, tu reviens à la rédaction le mercredi, tu le rends le jeudi. Tu as deux jours pour prendre un peu de recul sur ce que tu as vu, compléter, écrire, voir parfois beaucoup plus de temps, mais enfin globalement, c'était plutôt ça. Et là, comme on doit rendre un article par jour et qu'on est à chaque jour à un endroit, ça se passait toujours systématiquement. De la même manière, c'est-à-dire qu'on se rendait au lieu de reportage, on faisait le reportage et on l'écrivait, mais dans la foulée. C'est intéressant journalistiquement parce que ça n'a même pas tellement le temps d'infuser en toi. C'est comme une photo. Tu arrives, tu es avec les gens et puis ensuite tu repars et le reportage est déjà écrit.

  • Speaker #2

    Quand on sort de cette semaine de reportage, quand j'y repense, moi je me dis que c'est vrai qu'il manquait un lien. Et en fait... Les articles sont très bien reçus et là où j'avais peur d'une certaine redondance dans les articles, que ce qui ressorte c'est que personne ne parle de politique ou très peu, avec le recul je me rends compte en fait que ce qui ressort c'est certes une certaine uniformité dans ce qu'on a retrouvé, mais qui est très intéressante, qui est très parlante. Bah oui, on ne parle pas forcément de politique même après les élections, mais en fait on parle de sujet et de la chose politique. C'est ça qui traverse toutes les conversations. Seulement la responsabilité, la plupart du temps, et surtout dans les toutes petites villes où j'ai pu aller, elle n'est pas attribuée à l'État, à nos responsables politiques nationaux. On va la mettre sur la mer du village et on va se reposer sur le tissu associatif pour essayer de résoudre autant que possible par... Par un travail de colibri, les petites choses qui ne vont pas dans le quotidien et qui nous affectent directement.

  • Speaker #0

    Ce que je retiens de ce reportage, alors que nous, ça faisait un mois, parce qu'en fait, ça a marqué la fin de la séquence législative, puisqu'en plus, le Rassemblement national n'avait pas gagné. Peut-être que s'il avait gagné, on aurait continué à tous être très mobilisés. Mais là, du coup, ça ralentit un peu les choses. Mais ça faisait un mois qu'on était dessus. Ça faisait partie entièrement de notre quotidien. Et... C'était assez frappant pendant cette semaine de voir qu'en fait, ailleurs, on le savait, mais c'est une chose de le savoir et c'est une autre chose de le voir. Ailleurs, la vie continue, mais tout à fait normalement. C'est-à-dire que pour nous, c'est un tsunami, en fait. Et pour les autres, c'est une petite vague. Et c'est intéressant journalistiquement parce qu'on travaille quand même pour ces gens-là, ces gens à qui on parle et à qui moi j'ai parlé pendant une semaine. Et on ne travaille pas pour nous-mêmes. Ça remet les idées en place quand même de se dire... Peut-être qu'il faudrait plus aller sur ce terrain-là et plus parler aux gens.

  • Speaker #2

    Quand on rentre à Paris, on clôt, en fait, avec cette série de reportages, on clôt une séquence politique en entier. Moi, j'ai passé un mois au service politique à ce moment-là. C'est très court, en fait. Je n'étais pas dans le service avant, donc c'était très intense pendant un mois. Et il y a toute la fatigue qui retombe. Cette semaine, elle a été extrêmement intense entre les déplacements. On travaillait 24h sur 24, ça ne nous quitte jamais, il faut écrire tous les jours, il faut anticiper le lendemain. Donc à la fin de la semaine, c'est vraiment une grosse retombée de fatigue qui arrive. Et puis une forme de satisfaction d'avoir réussi à faire tous ces reportages, parce que la politique c'est très dur de l'humaniser. Et moi c'est pour ça que je fais ce travail. J'étais assez fière d'avoir pu donner la parole à ces gens-là tout au long de la semaine. et que, par le prétexte de la politique et de la séquence, ils puissent me parler de tout le reste, de tout ce qui les occupe au quotidien et d'être un peu un porte-voix malgré moi, parce que je n'étais pas forcément venue parler de ça, mais des problèmes de logement à Coutras, du désert médical à Vincennes, de la lassitude et de la déception de certains électeurs à Clermont. Donc tout ça, au final... C'était assez satisfaisant. On se dit qu'on avait une série de photographies, comme ça, de toute la semaine, dans cette diagonale qu'on n'avait pas exploitée jusque-là, qui étaient sans être représentatives, qui, en tout cas, disaient quelque chose. Et puis, ça donne aussi beaucoup d'idées de sujets où on se dit, il faut absolument parler de ces choses-là, en fait. Il faut absolument parler de Vang-Saint. Pourquoi on n'y a pas été avant ? Ça permet d'avoir des contacts, ça permet que les gens aussi se sentent représentés. Même si les articles ne vont pas faire le tour du monde, mine de rien, quand Françoise me parle du désert médical et de la galère que c'est de devoir faire 300 kilomètres pour trouver un médecin, le fait seulement de me l'avoir dit, déjà, elle se disait, je l'ai dit à une journaliste d'un quotidien national. Donc, ça libère quelque chose. Et ça, c'est toujours très satisfaisant. Donc, cette fatigue de fin de reportage, elle est très... C'est une fatigue physique, mais il y a beaucoup de satisfaction dans le travail qu'on a fait à ce moment-là. Et je pense que c'était très nécessaire aussi d'avoir ce regard humain en parallèle des analyses politiques qu'on avait dans le journal.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Les reportages de Maude Guilbeault et Esther Serra-Gordia sont à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de Lacroix.

Description

Au lendemain du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault, journalistes à "La Croix", ont entrepris un voyage d’est en ouest à travers la France. Pendant une semaine, elles ont cherché à prendre le pouls des Français, après cette séquence politique inédite.


Au cœur d’une période politique hors du commun, le souhait de la rédaction de "La Croix", et du service France en particulier, était de donner une large place au récit sur le terrain, et aux témoignages. À chaque étape de leur reportage, Esther Serrajordia et Maud Guilbeault ont cherché à comprendre les attentes, les espoirs et les frustrations des Français lors de ces élections.


Ce dossier sur "La France d’après" les a conduites dans cinq villes chacune, à la rencontre de citoyens de tous bords politiques. Le dialogue, souvent nourri de préoccupations locales, mais aussi des grandes questions nationales, leur a offert un aperçu précieux de l’état du pays. Entre inquiétudes sur l’avenir, réflexions sur les nouveaux équilibres politiques, et volonté de changement.


► Retrouvez tous les articles de Esther et Maud réalisés pour la série "Législatives : la France d’après, de Strasbourg à Bordeaux" : https://www.la-croix.com/france/legislatives-la-france-d-apres-de-strasbourg-a-bordeaux


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent non, non, la politique, moi j'en parle pas Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, sont purement de la politique. Ça, c'est super intéressant. Quand les gens te disent non, moi j'ai pas envie de parler politique, ça m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage, et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup, elle a dû prendre un boulot en plus pour payer sa nourriture à la maison, et c'est chère, je sais pas quoi, bah c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Maude Guilbeault et Esther Serra-Jordia sont journalistes à la Croix. Au lendemain du second tour des élections législatives, qui a eu lieu le 7 juillet, elles ont décidé de traverser la France, d'est en ouest. Un périple d'une semaine, pendant lequel elles ont cherché à savoir de quoi parler les Français après cette séquence politique inédite. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre. Ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Esther Serra-Gordia, je suis journaliste au service France de la Croix.

  • Speaker #2

    Bonjour, je m'appelle Maud Guilbeault, je suis journaliste pour la Croix depuis un an et demi.

  • Speaker #0

    Dans cet épisode, je vais vous raconter ma série de reportages sur la France d'après, que j'ai réalisé avec ma collègue Maud au lendemain des élections législatives. Il faut savoir que Maud et moi, on n'est pas du tout journalistes politiques normalement. Moi, je fais de la santé et elle, elle est au service culture. on vient renforcer le service politique puisque après qu'Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale, évidemment, actualité exceptionnelle, donc situation exceptionnelle, donc on vient se mettre en renfort du service politique et se créer une espèce de bulle, un nouveau service où on double le service politique. Donc ça fait à ce moment-là presque un mois qu'Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée, donc à l'issue du scrutin des élections européennes. où, pour rappel, le Rassemblement national était arrivé en tête avec 31% des voix. Et donc, à ce moment-là, dans la rédaction, on se dit, qu'est-ce qu'on va faire après ? Parce qu'on a beaucoup réfléchi sur l'avant, les candidats, les électeurs, comment ils vont, comment est-ce qu'ils se sentent, comment faire campagne face à un candidat RN et tout ça. Mais sur le lendemain, on se dit un peu, possiblement le RN arrive au pouvoir, enfin, on est même carrément sur cette hypothèse-là. Qu'est-ce qu'on fait du coup ?

  • Speaker #2

    Très rapidement, on a essayé de regarder un peu sur notre petite carte au Service France où on n'avait pas été. C'est une carte sur laquelle on avait déjà pointé avec des petites punaises rouges toutes les villes où on était passé dans les trois semaines précédentes. On a déjà été en Bretagne, on a fait Paris et sa banlieue, on a fait Amiens, on a fait le Nord, on a fait Montpellier, Lyon, mais on a deux zones autour de Strasbourg et autour de Bordeaux, globalement cette grande diagonale entre les deux qu'on n'a pas du tout... exploité. Et donc avec Esther, on se propose de partir l'une à Bordeaux, l'autre à Strasbourg, et puis de faire un reportage itinérant entre les deux pour se retrouver à la fin de la semaine dans l'Allier. Cette idée, on l'a construit avec notre chef de service et très très vite, il faut qu'on la clarifie un peu pour pouvoir aller la présenter à la rédaction en chef et avoir le feu vert pour partir dès le lundi matin, donc quatre jours plus tard sur les routes.

  • Speaker #0

    On ne part pas avec une envie de montrer quelque chose ou une envie d'analyser quelque chose. Là, l'idée, c'est vraiment d'aller demander aux gens comment ils ont vécu cette séquence politique. Est-ce qu'ils en ont parlé ? Est-ce qu'ils en parlent encore ? Avec qui ? Comment ? Et qui nous raconte, en fait ?

  • Speaker #2

    La rédaction en chef à qui le sujet est proposé dans les 20 minutes qui suivent est très emballée, donc c'est acté. Et là, on est mercredi, donc il nous reste... Quatre jours en comprenant le week-end pour déterminer un peu ce qu'on va faire, où est-ce qu'on va. C'est bien beau de dire qu'on est en diagonale, mais après il faut aussi trouver des gens à qui parler, il faut savoir ce qu'on va leur demander, qu'est-ce qu'on attend de leur récit et de leur expérience.

  • Speaker #0

    Donc il faut trouver à chaque fois un lieu de sociabilité, dans un endroit qui rentre dans la diagonale, et faire une étape et donc un papier par jour. Ce qui demande quand même un travail en amont assez conséquent. Le programme pour moi, c'était de commencer le dimanche, le jour du deuxième tour, à la fête de la bière de Schiltigheim, qui est une petite ville en banlieue de Strasbourg. D'y aller le dimanche soir pour voir un peu comment les gens réagissent à 20h au résultat, puis le lundi matin. Ensuite, j'allais le lendemain dans les Vosges pour un concours de pétanque. Ensuite, en Haute-Saône pour un déjeuner dans une colocation de seniors. Et ensuite, dans le Jura pour un barbecue paysan.

  • Speaker #2

    On veut partir en se disant, on va aller voir les gens et on va essayer de savoir de quoi ils parlent. Est-ce qu'ils parlent de politique ou est-ce qu'ils parlent de complètement autre chose ? Et dans les deux cas, qu'est-ce qu'ils en disent ? Nous, on se dit un peu avec notre prisme parisien journaliste que les gens vont forcément en parler, que ce sera dans toutes les conversations. D'autant plus si le RN passe, forcément, c'est certain que ça va être un sujet de débat partout. Moi, j'ai quelques doutes à ce moment-là parce que je ne viens pas de Paris. Je viens d'une famille dans laquelle on ne parle pas du tout de politique. Et je crains un peu que, même si le RN arrive en tête, il y a des chances que, dans certains endroits, ce ne soit pas un sujet de conversation, ou en tout cas que les gens ne l'abordent pas entre eux. Mais bon, on se dit que ce n'est pas grave et qu'au pire, s'ils n'en parlent pas, ça dit quelque chose aussi. Et que c'est intéressant de savoir de quoi ils parlent et quelles sont les préoccupations qui surpassent la politique à ce moment-là, alors que c'est un moment d'ébullition pour l'Assemblée nationale qui est absolument inédit, historique. Donc, est-ce qu'ils parlent d'autre chose ? Et s'ils parlent d'autre chose, bah... On a envie de savoir de quoi ils parlent.

  • Speaker #0

    Donc j'arrive le dimanche à Chitly Games, c'est une des situations qui m'a vraiment marquée. J'arrive vers 18h30 à la fête de la bière et je vois les gens qui sont là, qui boivent des coups. Pour beaucoup, c'est le début des vacances. Et à 20h, je vois les gens commencer à regarder leur téléphone, à être contents, à s'enlacer, à faire la fête, à s'appeler, à mettre BFM sur les replays. lâcher complètement la bière et la tarte flambée et en parler entre eux en disant ça vu c'est super mais c'est un truc de fou il y a une espèce de ferveur quand même à ce moment là où je me dis j'assiste à un truc assez historique et en même temps je fais mon métier donc je leur pose des questions donc ils me disent mais vous vous avez combien ils ont fait finalement donc c'est très participatif et c'est super chouette c'est un moment vraiment sympa mais voilà à 20h30 ensuite ça retombe un peu et puis c'est la fête et tout et c'est super

  • Speaker #2

    Donc les résultats tombent le dimanche 7 juillet au soir Moi je suis en famille à Nantes, Esther elle est déjà à Strasbourg Elle commençait déjà son reportage à ce moment-là à la fête de la bière à Chétigale Et en fait les résultats tombent et on est évidemment tous un peu surpris La gauche arrive en tête et on échange avec Esther à ce moment-là Et on se demande si le sujet tient toujours Est-ce que le soufflé ne risque pas de retomber complètement ? Et puis... Ça y est, le soulagement pour une partie de la population. Et donc, peut-être qu'il n'y a plus grand-chose à dire.

  • Speaker #0

    Dès le lundi matin où je reviens, je sens que ça va être plus compliqué. Parce que du coup, j'ai ma chef le lundi matin. Je dis qu'est-ce qu'on fait ? On devait faire la France RN. Finalement, le RN n'a pas gagné. Et elle me dit, on continue, ce n'est pas grave, on va faire la France d'après. Comment les gens parlent politique entre eux ? Comment ils se sentent ? Etc. Et en fait, très rapidement, je comprends que les gens qui sont rassurés ne veulent plus en entendre parler.

  • Speaker #2

    Moi, je pars le lundi matin à Bordeaux. Je prends un blabla car, donc un covoiturage. Et je crains un peu parce qu'on en parle cinq minutes. On dit, c'est bon, on est soulagé et c'est tout. On est quatre dans la voiture et c'est pas du tout... Je veux pas pousser le sujet parce que j'ai pas envie de... Pour l'instant, en tout cas, j'ai envie d'écouter un peu aux portes et juste d'être attentive. Et je m'inquiète un peu quand même. Je me dis, bon, il est tôt, il est 7h du matin. C'est peut-être normal que ce ne soit pas encore un sujet de conversation prégnant. Et donc j'arrive à Bordeaux, j'avais déjà repéré une guinguette, qui était un événement qui se tenait un peu en périphérie de Bordeaux, en fait derrière une zone commerciale. Je me dis que ça peut être un lieu d'échange, en tout cas un lieu avec des groupes, il peut y avoir un peu de discussion, donc j'y vais dès le lundi après-midi. Je n'ai pas vraiment le temps de juste me poser et d'écouter, parce qu'il faut qu'à 16h j'aie écrit et envoyé cet article. Donc je regarde un peu autour de moi, je vois des petits groupes de personnes, je commence à aller les voir un peu naïvement. J'arrive et puis je me dis, je ne vais pas mettre la question politique tout de suite dans la conversation, je vais juste leur demander de quoi ils parlent. Et donc je tombe surtout sur des gens qui sont des petits groupes de trois ou quatre qui sont là, ils profitent du soleil, c'est les premiers jours de beau temps, ils sont dans les transats. Personne n'a l'air tendu. C'est majoritairement des gens qui sont en pause déjeuner, qui travaillent à proximité ou dans le centre commercial et qui sont là entre collègues. Donc je vais les voir, je leur demande juste... Je suis journaliste pour La Croix, je viens d'avoir des élections, donc je me promène un peu, pour savoir quelle est l'ambiance, quels sont les sujets de conversation. Et en fait, on me regarde un peu, on me dit, on parle du travail, de tout et de rien. Donc j'insiste un petit peu et je dis... Les résultats d'hier, ce n'est pas dans les sujets de conversation, pas encore. Et là, je tombe sur le premier groupe auquel je parle. En fait, c'est trois personnes qui travaillent dans une école de commerce qui est juste à côté. Il y a deux personnes, un monsieur qui avait une cinquantaine d'années, une dame, pareil, dans la cinquantaine, et puis un jeune qui avait autour de 23 ans, je crois. Et en fait, ils se regardent un peu tous quand je leur dis ça, l'air de dire est-ce qu'on en parle ou pas ? On n'en a pas encore parlé. Donc le premier à répondre, c'est ce monsieur de 50 ans qui me dit on n'a pas encore crevé l'abcès. Et en fait, je leur demande, je fais mais vous n'en parliez pas avant pendant la campagne ? Est-ce que ça a été un sujet au post-café ? Est-ce que vous avez partagé vos opinions ? Et ils me disent non, pas du tout. C'est pas que c'est tabou, mais... On sait que c'est un sujet qui peut provoquer des tensions et donc on préfère pas en parler au travail. Ils acceptent quand même de me dire un petit peu leur relation avec la politique à ce moment-là. Ils me disent que c'est surtout des sujets de conversation qui sont cantonnés à la sphère familiale. Et donc là, c'est la première fois que, pour répondre à mes questions, ils dévoilent un peu, pas forcément leur positionnement politique, mais en tout cas leur vision de la politique. Les deux personnes les plus âgées me disent qu'elles sont très soulagées du résultat, sans me dévoiler leur vote. Globalement, elles me disent que ça les a beaucoup apaisées. Et puis, le troisième, qui a la vingtaine, me dit Moi, je trouve que c'est juste un épisode politique inutile de plus. Franchement, je n'ai pas été votée, mais de toute façon, ça ne changera rien. Donc, ils échangent un petit peu là-dessus, mais ça ne rebondit pas beaucoup. En fait, vraiment, ils me donnent ces informations-là, mais je sens bien qu'ils ne se laisseraient pas donner entre eux si je n'avais pas été là. Donc, c'est ce que je raconte un peu. Je raconte les différentes positions, le fait que... C'est des sujets qui restent cantonnés à la famille, dont on ne parle pas entre collègues, même au lendemain du scrutin. J'écris ça très rapidement, je l'envoie. L'idée, c'est de toute façon pas de faire un portrait politique de la ville où je suis, mais vraiment de faire une photographie à un instant T, le lendemain des élections, qu'est-ce qui se passe, de quoi on parle. C'est très factuel, ce n'est pas un article qui est très long, donc on ne rentre pas forcément beaucoup dans le détail, mais on fait parler un peu les gens. Je commence un peu quand même pas à m'inquiéter, mais à me dire j'espère que ce ne sera pas redondant au fil des jours.

  • Speaker #0

    Lundi soir, j'arrive dans les Vosges, où là, je vais à un concours de pétanque dans les Vosges, donc à la Bresse. Et je suis confrontée à un groupe d'électeurs RN, très décomplexé. Et ce n'est pas la première fois pendant mes reportages que je suis confrontée à ça. On doit absolument pas me montrer que ce qu'ils disent est très choquant, même si on n'est pas d'accord. Et on doit évidemment leur donner la parole. Par ailleurs, ils m'alpaguent beaucoup en me disant où est mon mari, que je suis très mignonne. Il y a un climat qui est assez particulier, mais en fait, je ne peux pas partir. Je n'ai pas le choix, il faut que je fasse mon reportage. Et donc, il faut pareil que ces remarques me passent complètement dessus. Et ça, c'est assez compliqué. Et donc là, pour le coup, ce que j'ai compris, c'est qu'ils avaient tous voté RN et que pour eux, c'était la norme. Et donc ça, c'est une vraie leçon de ce reportage. C'est-à-dire que tu le sais avant d'y aller. Enfin, on le savait avec Maud. qu'on est dans une rédaction parisienne, entourée d'amis qui habitent à Paris quand même, et que c'est vraiment pas la vraie vie quoi. Et que pour nous, l'électeur RN c'est vraiment l'exception, et pour eux c'est la norme. Et donc c'est l'électeur qui va voter à gauche qui est l'exception. Et donc ça nous sort complètement de cette pensée où nous on tente à la rédaction, les journalistes politiques tentent de contrer leurs arguments, de montrer que derrière c'est des fausses promesses, etc. Et en fait, quand toi t'arrives dans un endroit où tout le monde vote RN, Et pour qui il n'y a pas de question de est-ce qu'on vote RN ? Est-ce que RN c'est pas bien ? Non, le R à la Rassemblement nationale, pour eux, c'est le parti de référence. Ça remet un peu en question.

  • Speaker #2

    Je m'en vais à Poutras, en Gironde. Je farfouille un peu sur Facebook notamment, où je sais qu'il y a beaucoup d'événements qui sont annoncés, surtout dans des villes un peu moyennes comme ça. C'est une ville qui a à peine 8000 habitants, enfin c'est pas très très grand. Et je tombe sur l'annonce d'un café compost par une association qui a des jardins partagés. C'est un truc un peu récurrent, donc je me dis que ça doit être des gens qui se connaissent bien et qui font partie de la même asso, donc si ça se trouve, ils parlent de politique. Peut-être que là, c'est quelque chose qui est plus un sujet de conversation, c'est un milieu associatif, donc je me dis que c'est pas impossible. Je circule un petit peu dans la ville, il se passe pas grand-chose, on est au début des vacances. Je finis quand même par atterrir dans ces jardins partagés. Quand je me présente, je ne suis pas annoncée, personne ne sait que je viens, donc je me présente aux premières personnes que je croise. Je m'appelle Maudilbo, je suis journaliste pour La Croix. Je viens un peu discuter avec les gens après la séquence politique qu'on a connue. Et là, je suis accueillie très vite par un monsieur qui est assis... devant le jardin partagé, à peu près 70 ans, avec sa canne, et qui, quand je dis le mot politique, séquence politique, sans même lui avoir posé de questions, détourne le regard et me dit on est antipolitique. Il n'a pas l'air de vouloir engager la conversation plus que ça, je ne me sens pas vraiment bienvenue, pas non plus chassée, mais en tout cas, on me regarde un peu en fronçant les sourcils, on passe un bon moment et elle vient nous parler de politique. Je m'avance quand même, je ne rebondis pas tout de suite avec ce monsieur-là parce que je sens bien que j'ai peut-être été un peu trop frontalement et qu'il faut un peu détendre l'atmosphère, savoir un peu pourquoi ils sont là, comprendre l'association, etc. Donc on me dirige vers Céline qui est une des employées de l'association. Elle me demande un peu pourquoi je suis venue, donc je lui explique et puis elle me demande ce que c'est la croix. Donc je lui dis qu'on a un journal quotidien national, généraliste et catholique. Alors là, je me prends un deuxième... C'est la deuxième fois que je ne suis pas très bien accueillie, où elle me dit on est laïque ici Je dis oui, je ne suis pas venue parler de religion, moi je veux juste savoir de quoi vous discutez en fait Elle me dit de toute façon, ce n'est pas compliqué, on parle de tout, sauf de politique et de religion Je comprends, elle me dit non, mais ce n'est pas que c'est des sujets tabous, mais on est là pour créer du lien social, on n'est pas là pour exclure, et ces sujets-là, ils excluent, ça crée trop de tensions J'ai pas envie que des gens se sentent discriminés ou n'osent pas venir parce qu'on aurait des conversations politiques dans lesquelles ils seraient pas à l'aise, ou sur la religion, et donc c'est des choses dont on ne parle pas. Donc il faut bien que j'écrive quelque chose quand même, donc je m'intéresse à ce que fait l'association et pourquoi ils sont réunis aujourd'hui. Céline m'explique en montrant un peu tous les gens qui sont là, ils sont une dizaine. des personnes assez âgées, le plus jeune à six mois. On sent qu'ils se connaissent tous très bien. C'est un peu un genre de famille qui se retrouve très régulièrement. Ils profitent du jardin. C'est très convivial. Ça sent que c'est un moment qu'ils partagent régulièrement. Donc, je demande un peu à Céline pourquoi ils sont réunis et ce qu'ils font d'habitude. Comment ça se fait qu'ils se connaissent aussi bien ? Elle m'explique. Elle me dit que l'association, elle gère un nombre de choses énormes. Elle fait à la fois de l'accompagnement vers le logement. vers l'emploi, dans la maternité aussi, il y a donc ces jardins partagés, ils ont une épicerie solidaire, un café associatif. Et en fait, elle me dit que c'est de ces sujets-là dont on parle. C'est le logement, parce qu'il n'y en a pas assez ici de logements sociaux. On parle de l'emploi parce qu'on a des jeunes qui n'arrivent pas à se former ou qui n'arrivent pas à se déplacer pour aller à des formations. Et je ne répondis pas parce que je ne veux pas revenir sur la question politique, mais je sens bien que les sujets dont ils parlent, c'est leur préoccupation quotidienne, mais en fait ils sont. extrêmement politiques, ces sujets-là. Ceux dont ils ne parlent pas, ce n'est pas la politique, c'est de la politique politicienne, c'est de ce qui se joue à Paris, dans les cercles politiques, des politiciens. Mais en fait, leurs préoccupations, elles sont très politiques. Mais ils ne les raccrochent pas à l'Assemblée nationale ou à l'Élysée. C'est des problèmes qui existent, dont on parle, et qu'il faut résoudre d'une façon ou d'une autre. Et donc c'est le tissu associatif qui s'empare de ces questions-là.

  • Speaker #0

    Beaucoup, au départ, te disent Non, non, la politique, moi, j'en parle pas. Et après, ils te parlent d'autres choses qui, en fait, est purement de la politique. Par exemple, quand j'arrive dans ma colocation de senior à Lure, en Haute-Saône, c'est comme un Ehpad en plus cool. Il n'y a pas de médecin, et là, pour le coup, c'était que des dames âgées qui vivaient ensemble. Moi, je partageais un déjeuner avec elles, et puis j'étais allée un peu dans leur chambre pour discuter avec elles, et elles me disent toutes Non, non, mais la politique, c'est plus de mon âge, je ne veux pas en parler, etc. Mais elles m'ont quasiment toutes dit. Je suis ici, dans cette colocation pour seniors, parce que je ne voulais pas être un poids pour ma famille. C'est la vie, on vieillit et mon mari est mort et il faut que je sois là parce que sinon je ne peux pas trop peser pour mes enfants. Il n'y a pas plus politique que ce propos-là en fait. Et ça c'est super intéressant. Quand les gens te disent non moi j'ai pas envie de parler politique, ça ne m'intéresse pas et qu'ils te racontent que leur fils est au chômage et que c'est très compliqué pour eux parce que du coup elle a dû prendre un boulot en plus pour... payer sa nourriture à la maison et ses frais, je ne sais pas quoi, c'est de la politique.

  • Speaker #2

    Ma dernière étape avant de rejoindre Esther, c'est Carmon-Ferrand. Je retourne dans un endroit un peu plus citadin. Je me dis que j'aurai peut-être des résultats un peu différents. Je me dis que je vais faire du micro-trottoir, je vais aller un peu aux terrasses des cafés, il fait beau. Je ne devrais pas avoir trop de mal à trouver des gens avec qui discuter. Je rencontre un problème quand même, c'est pas la première fois de la semaine, mais c'est la première fois où ça m'handicap dans mon travail, c'est que, étant donné que je suis une jeune femme qui se promène dans Clermont-Ferrand, dans une ville moyenne, mais où il y a un peu de monde, j'ai pas d'écouteurs, je suis en débardeur parce qu'il fait chaud, et bien parfois je m'approche de groupes de personnes, souvent des groupes d'hommes, où je me dis que ça peut être intéressant de discuter avec eux, mais je suis confrontée à des regards qui me mettent mal à l'aise, et qui me font dire surtout... que je ne vais pas réussir à avoir une matière journalistique intéressante. Donc malheureusement, il y a certains groupes que je ne vais pas voir pour ces raisons-là, qui auraient pu être très intéressants. Je passe devant un bar qui a l'air très animé. Ça sent que c'est vraiment le bar du coin, avec des habitués au comptoir. Le barman discute avec eux. Ils ont l'air de tous se connaître un petit peu. Tout le monde est très joyeux. Mais c'est que des hommes. Donc j'hésite un petit peu avant de rentrer. Finalement, je me dis, de toute façon, il faut bien que je trouve quelque chose. Il faut que je parle avec des gens. Donc je finis par rentrer. Et j'ai bien fait parce que c'est vraiment très convivial. Et je commence à échanger un peu avec ces messieurs qui sont de mon côté du bar et puis avec le tenancier du lieu juste à côté. Et je me dis, s'il y a bien un endroit dans lequel on doit parler de politique, c'est ce genre d'endroit, forcément. Et bien en fait, non, pas du tout. Je leur demande de quoi ils parlent. Ils me répondent qu'ils parlent de mécanique quantique, de peinture. Je pense que c'était aussi un petit peu pour me titiller, mais finalement, on arrive quand même à en parler. Et puis, ils sont très ouverts à la discussion. Ils me disent... Là, on n'en parle pas. Et c'est vrai que maintenant que vous le dites, c'est assez étonnant, mais on en a assez peu parlé, même dans les précédentes semaines. Donc, je demande un peu au barman ce qu'il en pense. Est-ce qu'il s'attendait à plus ? Est-ce que lui, il est là tous les jours, il voit les sujets de conversation changer en fonction de l'actualité ? Il m'a dit, je m'attendais un peu à ce qu'on en parle davantage. Mais en fait, j'ai l'impression que c'était tellement omniprésent partout qu'il fallait que cet endroit-là, ça reste en dehors de ça. Alors c'est venu sur la table de temps en temps, il me dit qu'il a des clients qui passaient de temps en temps, qu'il n'avait aucun mal à dire qu'il votait pour le Rassemblement National. Lui ça l'étonna un peu que ce soit aussi décomplexé. Mais dans l'ensemble, avec les habitués, c'était pas vraiment un sujet récurrent. Donc ils me disent quand même un peu... Il y a notamment Jean qui est de mon côté du bar, qui est très très bavard, qui a plein de choses à dire et qui lui accepte de me parler un peu de son rapport à la politique. Il me dit justement qu'il ne vient pas ici dans ce bar pour parler de ça. Il vient pour parler d'autre chose et pour se vider la tête. Mais, par ailleurs, il est très passionné de politique. Il a arrêté de voter parce qu'il me dit on a déjà tout essayé, ça marche pas et en parler des heures et des heures, ça fait pas avancer le chemin de blic. Mais par contre, je suis ça de très près de chez moi, je regarde la télé, je lis les journaux, j'écoute la radio. Je trouve ça passionnant, mais par contre, c'est un spectacle que je regarde de loin. Je veux plus prendre part à ça parce que... j'ai pas l'impression que ma voix change quoi que ce soit. Donc je préfère m'en tenir à observer ça, et à être dans une démarche d'essayer de comprendre, mais sans vraiment que ça me concerne directement. Pareil, j'envoie mon article à ma chef de service, où je raconte un peu cette lassitude, cette déception, et puis le fait que même au bar, le sujet s'est un peu essoufflé. Ça a été tellement présent dans tous les médias qu'on n'a plus besoin d'en rajouter une couche.

  • Speaker #0

    Donc l'écriture de cette semaine de reportage, c'est compliqué parce que normalement, tu pars en reportage, disons le lundi et le mardi, tu reviens à la rédaction le mercredi, tu le rends le jeudi. Tu as deux jours pour prendre un peu de recul sur ce que tu as vu, compléter, écrire, voir parfois beaucoup plus de temps, mais enfin globalement, c'était plutôt ça. Et là, comme on doit rendre un article par jour et qu'on est à chaque jour à un endroit, ça se passait toujours systématiquement. De la même manière, c'est-à-dire qu'on se rendait au lieu de reportage, on faisait le reportage et on l'écrivait, mais dans la foulée. C'est intéressant journalistiquement parce que ça n'a même pas tellement le temps d'infuser en toi. C'est comme une photo. Tu arrives, tu es avec les gens et puis ensuite tu repars et le reportage est déjà écrit.

  • Speaker #2

    Quand on sort de cette semaine de reportage, quand j'y repense, moi je me dis que c'est vrai qu'il manquait un lien. Et en fait... Les articles sont très bien reçus et là où j'avais peur d'une certaine redondance dans les articles, que ce qui ressorte c'est que personne ne parle de politique ou très peu, avec le recul je me rends compte en fait que ce qui ressort c'est certes une certaine uniformité dans ce qu'on a retrouvé, mais qui est très intéressante, qui est très parlante. Bah oui, on ne parle pas forcément de politique même après les élections, mais en fait on parle de sujet et de la chose politique. C'est ça qui traverse toutes les conversations. Seulement la responsabilité, la plupart du temps, et surtout dans les toutes petites villes où j'ai pu aller, elle n'est pas attribuée à l'État, à nos responsables politiques nationaux. On va la mettre sur la mer du village et on va se reposer sur le tissu associatif pour essayer de résoudre autant que possible par... Par un travail de colibri, les petites choses qui ne vont pas dans le quotidien et qui nous affectent directement.

  • Speaker #0

    Ce que je retiens de ce reportage, alors que nous, ça faisait un mois, parce qu'en fait, ça a marqué la fin de la séquence législative, puisqu'en plus, le Rassemblement national n'avait pas gagné. Peut-être que s'il avait gagné, on aurait continué à tous être très mobilisés. Mais là, du coup, ça ralentit un peu les choses. Mais ça faisait un mois qu'on était dessus. Ça faisait partie entièrement de notre quotidien. Et... C'était assez frappant pendant cette semaine de voir qu'en fait, ailleurs, on le savait, mais c'est une chose de le savoir et c'est une autre chose de le voir. Ailleurs, la vie continue, mais tout à fait normalement. C'est-à-dire que pour nous, c'est un tsunami, en fait. Et pour les autres, c'est une petite vague. Et c'est intéressant journalistiquement parce qu'on travaille quand même pour ces gens-là, ces gens à qui on parle et à qui moi j'ai parlé pendant une semaine. Et on ne travaille pas pour nous-mêmes. Ça remet les idées en place quand même de se dire... Peut-être qu'il faudrait plus aller sur ce terrain-là et plus parler aux gens.

  • Speaker #2

    Quand on rentre à Paris, on clôt, en fait, avec cette série de reportages, on clôt une séquence politique en entier. Moi, j'ai passé un mois au service politique à ce moment-là. C'est très court, en fait. Je n'étais pas dans le service avant, donc c'était très intense pendant un mois. Et il y a toute la fatigue qui retombe. Cette semaine, elle a été extrêmement intense entre les déplacements. On travaillait 24h sur 24, ça ne nous quitte jamais, il faut écrire tous les jours, il faut anticiper le lendemain. Donc à la fin de la semaine, c'est vraiment une grosse retombée de fatigue qui arrive. Et puis une forme de satisfaction d'avoir réussi à faire tous ces reportages, parce que la politique c'est très dur de l'humaniser. Et moi c'est pour ça que je fais ce travail. J'étais assez fière d'avoir pu donner la parole à ces gens-là tout au long de la semaine. et que, par le prétexte de la politique et de la séquence, ils puissent me parler de tout le reste, de tout ce qui les occupe au quotidien et d'être un peu un porte-voix malgré moi, parce que je n'étais pas forcément venue parler de ça, mais des problèmes de logement à Coutras, du désert médical à Vincennes, de la lassitude et de la déception de certains électeurs à Clermont. Donc tout ça, au final... C'était assez satisfaisant. On se dit qu'on avait une série de photographies, comme ça, de toute la semaine, dans cette diagonale qu'on n'avait pas exploitée jusque-là, qui étaient sans être représentatives, qui, en tout cas, disaient quelque chose. Et puis, ça donne aussi beaucoup d'idées de sujets où on se dit, il faut absolument parler de ces choses-là, en fait. Il faut absolument parler de Vang-Saint. Pourquoi on n'y a pas été avant ? Ça permet d'avoir des contacts, ça permet que les gens aussi se sentent représentés. Même si les articles ne vont pas faire le tour du monde, mine de rien, quand Françoise me parle du désert médical et de la galère que c'est de devoir faire 300 kilomètres pour trouver un médecin, le fait seulement de me l'avoir dit, déjà, elle se disait, je l'ai dit à une journaliste d'un quotidien national. Donc, ça libère quelque chose. Et ça, c'est toujours très satisfaisant. Donc, cette fatigue de fin de reportage, elle est très... C'est une fatigue physique, mais il y a beaucoup de satisfaction dans le travail qu'on a fait à ce moment-là. Et je pense que c'était très nécessaire aussi d'avoir ce regard humain en parallèle des analyses politiques qu'on avait dans le journal.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Les reportages de Maude Guilbeault et Esther Serra-Gordia sont à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de Lacroix.

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