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En coulisses, avec les maquilleurs de l’Opéra Bastille cover
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L'envers du récit

En coulisses, avec les maquilleurs de l’Opéra Bastille

En coulisses, avec les maquilleurs de l’Opéra Bastille

18min |22/10/2024
Play
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18min |22/10/2024
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Description

À l’automne 2023, Emmanuelle Giuliani, spécialiste de la musique classique et lyrique à "La Croix", s’est glissée dans les coulisses de l’Opéra Bastille, lors d’une répétition générale des "Contes d’Hoffmann", œuvre de Jacques Offenbach créée en 1881.


Emmanuelle Giuliani a, plus particulièrement, choisi de se rendre dans les loges des maquilleurs, qui préparent solistes, choristes et figurants avant leur entrée en scène.


Dans cet épisode, elle nous raconte comment ils s’y prennent pour préparer les artistes physiquement, mais aussi psychologiquement.


► Retrouvez le reportage d'Emmanuelle Giuliani paru dans La Croix L’Hebdo : https://www.la-croix.com/culture/a-l-opera-bastille-les-maquilleurs-magiciens-au-plus-pres-des-artistes-20241021


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quand on aborde ce domaine de l'opéra à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste.

  • Speaker #1

    Emmanuelle Giuliani est journaliste au service Culture de la Croix. Fin 2023, elle a suivi le travail des maquilleurs de l'Opéra Bastille. qui prépare soliste et choriste avant leur entrée en scène. Un moment crucial pendant lequel les maquilleurs allient technique, psychologie. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Emmanuelle Giuliani et je suis journaliste au Quotidien Lacroix, plus particulièrement au service culture où je m'occupe entre autres, en large partie, de la musique classique et lyrique. Et c'est à ce titre que je suis très contente aujourd'hui de vous raconter comment, à l'automne 2023, j'ai eu la chance de me glisser dans les coulisses de l'Opéra Bastille et plus particulièrement dans les loges où officient les maquilleurs et maquilleuses qui prépare les artistes pour les spectacles, donc les ballets et l'opéra, en l'occurrence à l'Opéra Bastille. Alors là, il s'agissait d'une répétition, une répétition avec décors et costumes des contes d'Hoffmann. Dans une production qui est une des plus réussies qu'on peut voir depuis de longues années, mais qu'ils reprennent, et ils ont bien raison, à l'Opéra Bastille, signée par Jean-Marie de Gaulle. du metteur en scène canadien Robert Carson qui vraiment l'a signé un chef-d'oeuvre. Il met les personnages en scène dans les décors de l'opéra, dans différents lieux de l'opéra, la fosse, le bar, la scène. Ça marche merveilleusement et vraiment c'est un spectacle que l'opéra reprend régulièrement. Il ne faut pas manquer une occasion d'y aller. Peut-être que ça vaut la peine de rappeler que Les Contes d'Hoffmann est un opéra qui a été créé en 1881, après le décès de son compositeur qui n'est autre que Jacques Offenbach. Alors Offenbach, on le connaît surtout pour ses œuvres légères, pour La Belle Hélène, pour La Vie parisienne, pour La Péricole et j'en passe, qui sont des opéras comiques et des opérettes pleines d'humour et de fantaisie. Avec Les Contes d'Hoffmann, c'est une œuvre assez différente, plus ambitieuse, même s'il y a aussi des passages... Cocasse et très amusant, mais une œuvre passionnée sur les amours malheureuses du poète Hoffman, qui va de femme en femme et qui connaît des échecs sentimentaux cuisants. Il est amoureux successivement de quatre femmes, une diva, Stella, qui en fait cristallise en elle-même les trois autres qu'il va évoquer au cours de l'opéra, Olympia, une charmante jeune fille mais qui se révélera en réalité être un automate, donc il tombe amoureux d'une poupée. La deuxième c'est Antonia, une magnifique chanteuse mais qui est malade et qui meurt de son art, a trop chanté, c'est une terrible métaphore quand on pense qu'on est dans le monde de l'opéra. Et la troisième et dernière, c'est Giulietta, sublime courtisane vénitienne, mais qui passe d'homme en homme et qui le rend très malheureux, et va jusqu'à lui voler son reflet. Donc on voit la dimension fantastique aussi de l'opéra. Et là, à l'Opéra Bastille, j'ai plus particulièrement assisté au maquillage d'Olympia, la poupée. Donc on maquillait une chanteuse, donc une vraie femme, on la déguisait en poupée. qui elle-même se faisait passer pour une vraie femme. Donc il y avait déjà une mise en abyme très amusante et très intéressante. Et puis après, j'ai pu me glisser dans la loge de maquillage des choristes et des figurants. Et après, la dernière étape a été dans la loge de la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Gruposo, qui elle, incarne un spectre. Donc là aussi, un personnage non réel qui vient hanter. Antonia, donc le personnage de la chanteuse, et l'inciter à chanter et chanter encore, et donc à mourir. C'était l'automne, il ne faisait pas très beau et quand on sort du métro, rue de Lyon, la circulation, la pluie, l'entrée des artistes de l'Opéra Bastille qui est tout sauf magique, un bâtiment pas très engageant, des escaliers qui mènent à des couloirs en béton qui se ressemblent tous. Et heureusement, et ça c'est toujours très précieux, on a la chance dans nos métiers d'être guidés par des responsables de presse. En l'occurrence, je tiens à le citer parce que c'est vraiment quelqu'un d'aussi efficace que charmant et disponible, Raphaël Dor, le patron du service de presse de l'Opéra, et qui a pu donner accès à ces loges où maquilleurs, maquilleuses et chanteurs vivent ensemble les derniers moments avant l'entrée sur scène. Donc c'est vraiment des moments très cruciaux artistiquement mais aussi psychologiquement. Et là donc j'ai pu voir d'abord Cécile Païs qui est responsable des perruques et des maquillages et également Amélie Lordel qui était aussi sur cette production. Et donc une fois pénétrée dans ces loges, évidemment l'ambiance est tout autre. Et là, avec Cécile Païs, il y avait la soprano Pretty Yende, c'est une jeune femme sud-africaine qui, après des débuts comme chanteuse, séries de rencontres qui lui ont permis, dans un pays où la formation lyrique n'est pas forcément très développée, de commencer une belle carrière, et maintenant c'est vraiment une des stars internationales du chant. Et donc Pretty Yende, ce jour-là, elle se faisait maquiller en Olympia, donc en poupée. Et quand je suis entrée, elle était devant ces miroirs entourés de toutes ces petites lampes qui donnent un éclairage à la fois très magique et très violent. Et elle était donc dans son peignoir, assise sagement et elle en avait pour deux heures à se faire maquiller et coiffer pour que son beau visage, son teint allé, ses cheveux très opulents soient complètement domestiqués par la maquilleuse pour devenir cette poupée perruque.... de blond peroxydé avec des faux cils qui arrivaient jusqu'au cinquième rang du troisième balcon tellement ils sont immenses, des paillettes partout. Donc cette jeune femme toute naturelle devenait cette poupée absolument incroyable. Et alors ce qui était vraiment très intéressant c'était que pour que ces deux heures de grande patience puissent se vivre le plus harmonieusement du monde, et bien la chanteuse et la maquilleuse échangeaient sur les... paradoxe justement de transformer une jeune femme noire de chair et de sang en poupée blonde artificielle. Ce que ça peut représenter de fantastique, c'est ça les métiers du spectacle et de l'opéra, mais aussi c'est pas facile de se faire tirer et aplatir les cheveux pour mettre dessus un faux crâne. Ce faux crâne devant être maquillé de la même couleur de la peau de la chanteuse et après installer une perruque, sachant que c'est Cette perruque, à un moment, elle tombera au moment où la poupée se casse et se désarticule. Et elle se retrouvera devant les milliers de spectateurs avec ce faux crâne complètement à nu, d'une certaine manière. Donc, pour nous, spectateurs, ça peut paraître un effet de théâtre comme un autre. Pour la personne qui doit subir ces deux heures de transformation, c'est une forme d'épreuve. Même si après, elle va recueillir les applaudissements, les vivates. Mais c'est quand même quelque chose qui n'est pas anodin. Et c'était vraiment très émouvant de voir la manière dont chacune apprivoisait l'autre pour que ce moment soit juste un moment de paillettes et de rires et pas aussi profond existentiellement qu'il pourrait l'être. Après avoir passé à peu près un quart d'heure, 20 minutes, à voir la transformation de Pretiende, j'ai pu faire un passage dans une ambiance de brouhaha, voire de chahut un peu potache, où les choristes se faisaient habiller. C'était pour un moment où les femmes seraient déguisées en espagnol un peu à la Carmen. Et là, c'était se faire faire des yeux de biche, poser des perruques brunes avec ces petites bouclettes en petits ressorts comme ça sur les tempes. Et là, on voit que c'est un moment vraiment très joyeux où la pression existe, parce que chaque choriste doit chanter le mieux possible, bien sûr, mais qui n'est pas la même, évidemment, que sur la soliste. Et même si là, c'est pour un passage très fugitif, quand même, c'est 20 à 25 minutes par personne. Donc on voit à quel point c'est une très grosse machine et qu'il faut un professionnalisme et vraiment une virtuosité pour les maquilleurs pour faire très vite et préparer vraiment beaucoup de personnes à la fois. Sachant que quand il y a aussi les entrées et les sorties de scène, il y aura toujours des retouches parce que sous le feu des projecteurs, parce qu'un geste, une main sur le visage, etc. aura pu altérer tel ou tel détail du maquillage et qu'il faudra le retoucher. Et puis après, je suis donc arrivée auprès de Amélie Lordel et Sylvie Brunet-Gruposo pour ce déguisement en spectre. Là, c'était les fards blancs, la poudre, une perruque là aussi toute blanche et un peu inquiétante qui était mise en jeu. Et Sylvie Brunet-Gruposo, elle a déjà une très belle carrière derrière elle, beaucoup d'expérience. Et elle dit des choses belles et sur l'importance du maquillage qui est vraiment le moment, plus encore que le costume, où elle devient le personnage et où elle quitte son identité de chanteuse pour devenir ce fantôme qui est un personnage malfaisant puisqu'elle va inciter sa propre fille à aller au-delà de ses possibilités physiques et à mourir et à la rejoindre dans le monde des ombres. Donc c'est vraiment un rôle, là encore, qui dure peu de temps. tout peut-être une dizaine de minutes, un duo et un magnifique trio, un des plus beaux moments de l'œuvre, mais qui est d'une très grande intensité dramatique. Et donc, pour entrer dans ce personnage mauvais, en quelque sorte, mais qui est essentiel à l'action, elle doit non seulement devenir physiquement un spectre, mais aussi, bien sûr, vocalement, mais aussi psychologiquement. Sylvie Brunet-Groposo dit vraiment que c'est très, très essentiel pour elle ce moment où son visage se transforme, où elle se regarde de... près dans la glace et où entre tentations du narcissisme mais distances nécessaires à garder avec le personnage, elle en retrouve tous les ressorts et toutes les ficelles. Il y a certains rôles où elle demande, et les maquilleurs ou maquilleuses s'exécutent tout à fait, à se retrouver seule parce que le rôle est tellement intense et tellement fort, elle a besoin de solitude face à elle-même et à son miroir pour se dire bon ben ça y est, on y va Ça ressemble certainement à ce que vivent les sportifs et ce dont ont besoin les sportifs avant de se lancer dans l'arène. On est vraiment là aussi dans le domaine d'une performance humaine et physique. et artistique extrêmement puissante. Donc l'ambiance dans la loge de Sylvie Brunet était très différente, était plutôt d'échanges à voix très douce, et une réflexion aussi de la part de sa maquilleuse Amélie Lordel, justement dans cette fonction qui est technique. Il y a des quantités de phares, des pinceaux, des éponges différentes. Il faut penser que la lumière des projecteurs ne sera pas la même que celle de la loge, que la chaleur, la transpiration, enfin il y a toute une série de paramètres techniques. Mais aussi, ça se double d'un rapport vraiment très intime avec la personne. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à se faire toucher le visage, parfois le cou, parfois le maquillage peut s'étendre sur les épaules, le dos, la gorge. Donc, il y a vraiment un rapport physique très proche entre l'artiste et son ou sa maquilleuse. Et parfois, c'est ce que disait Amélie Lordel, on sent que l'artiste n'en a pas forcément envie, n'est pas de bonne humeur ce jour-là, a une journée difficile. pas envie qu'on le touche. Et donc, c'est un rôle de négociation, de conciliation, pour lui dire à la fois c'est ton boulot, mais on comprend bien ce que ça représente et on doit naviguer entre les deux. C'est au moment après être sortie de l'Opéra Bastille et où j'ai commencé à réfléchir sur la manière dont parler de ce sujet et d'essayer de le faire vivre le mieux possible dans les pages de l'hebdo de la Croix pour les lecteurs, où je me suis dit qu'il ne faut que le côté vivant, spectaculaire et léger, parce qu'on est quand même, même si l'opéra est grave, on l'a dit tout à l'heure, mais on est quand même dans un univers où c'est l'émerveillement, le bonheur et le plaisir qui sont au rendez-vous. pour les spectateurs, mais où on touche aussi des choses vraiment assez profondes, assez intimes, assez fragiles de l'identité des artistes et il fallait essayer, c'était ça le défi d'écriture ce jour-là, d'essayer de rendre le brouhaha des cœurs, la beauté du visage de Prétty Yendel, la technique des maquilleuses présentes, mais aussi ce rôle de psy, on peut le dire, qu'ont les maquilleurs et maquilleuses. qui ne fait pas forcément partie de leur fiche de poste, mais qu'ils apprennent peu à peu, et qui, quand on discute avec eux, est la partie, sinon la plus intéressante, du moins très intéressante de leur travail, parce qu'ils sont un relais entre les exigences artistiques du metteur en scène, puisque là, c'est sur l'aspect visuel, et l'identité propre et l'intimité des artistes. Et c'est ce que j'ai essayé, en réussissant ou pas, ça c'est une autre question. à rendre dans ce reportage qui, comme toujours les reportages sur les métiers de l'ombre dans le domaine de la culture, mais c'est vrai dans d'autres domaines, sont toujours extrêmement intéressants parce qu'on se rend compte à quel point c'est des gens passionnés, qui ont un bagage de départ très important et qui ne cessent évidemment de l'affiner, de le perfectionner sur le tas, de le faire évoluer. Parce que, par exemple, le maquillage de théâtre et d'opéra qui, avant, étaient faits pour être vus, De loin, voire de très loin, maintenant avec les captations pour le cinéma, pour la télévision, pour les plateformes, les gros plans se multiplient. Donc il faut que ce maquillage ne soit pas ridicule et qu'on ne se dise pas qu'elle est maquillée comme un camion volé au troisième rang d'orchestre. Déjà on ne s'en rend plus compte, mais quand on a un gros plan sur son écran, on s'en rend compte. Donc il faut adapter aussi entre le maquillage de rue et le maquillage de scène. Donc ça c'est toute une série de nouvelles techniques et de nouvelles réflexions. qui sont à l'œuvre dans le monde du spectacle et c'est tout à fait intéressant. Et puis, selon que l'artiste vient de débarquer de son avion et est fatigué, ou au contraire a eu un temps de répétition et d'apprivoisement de ses partenaires et de tout le plateau est beaucoup plus détendu, il n'aura pas les mêmes réactions et il ne s'agira pas de travailler avec lui de la même façon. Donc, quand on aborde... ce domaine de l'opéra, à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau sur certains aspects dont on se disait qu'ils existent, mais sans les approfondir. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste. Et véritablement, je pense qu'on pourrait le faire avec tous les métiers. L'aventure n'est pas finie, donc.

  • Speaker #1

    Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de La Croix.

Description

À l’automne 2023, Emmanuelle Giuliani, spécialiste de la musique classique et lyrique à "La Croix", s’est glissée dans les coulisses de l’Opéra Bastille, lors d’une répétition générale des "Contes d’Hoffmann", œuvre de Jacques Offenbach créée en 1881.


Emmanuelle Giuliani a, plus particulièrement, choisi de se rendre dans les loges des maquilleurs, qui préparent solistes, choristes et figurants avant leur entrée en scène.


Dans cet épisode, elle nous raconte comment ils s’y prennent pour préparer les artistes physiquement, mais aussi psychologiquement.


► Retrouvez le reportage d'Emmanuelle Giuliani paru dans La Croix L’Hebdo : https://www.la-croix.com/culture/a-l-opera-bastille-les-maquilleurs-magiciens-au-plus-pres-des-artistes-20241021


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quand on aborde ce domaine de l'opéra à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste.

  • Speaker #1

    Emmanuelle Giuliani est journaliste au service Culture de la Croix. Fin 2023, elle a suivi le travail des maquilleurs de l'Opéra Bastille. qui prépare soliste et choriste avant leur entrée en scène. Un moment crucial pendant lequel les maquilleurs allient technique, psychologie. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Emmanuelle Giuliani et je suis journaliste au Quotidien Lacroix, plus particulièrement au service culture où je m'occupe entre autres, en large partie, de la musique classique et lyrique. Et c'est à ce titre que je suis très contente aujourd'hui de vous raconter comment, à l'automne 2023, j'ai eu la chance de me glisser dans les coulisses de l'Opéra Bastille et plus particulièrement dans les loges où officient les maquilleurs et maquilleuses qui prépare les artistes pour les spectacles, donc les ballets et l'opéra, en l'occurrence à l'Opéra Bastille. Alors là, il s'agissait d'une répétition, une répétition avec décors et costumes des contes d'Hoffmann. Dans une production qui est une des plus réussies qu'on peut voir depuis de longues années, mais qu'ils reprennent, et ils ont bien raison, à l'Opéra Bastille, signée par Jean-Marie de Gaulle. du metteur en scène canadien Robert Carson qui vraiment l'a signé un chef-d'oeuvre. Il met les personnages en scène dans les décors de l'opéra, dans différents lieux de l'opéra, la fosse, le bar, la scène. Ça marche merveilleusement et vraiment c'est un spectacle que l'opéra reprend régulièrement. Il ne faut pas manquer une occasion d'y aller. Peut-être que ça vaut la peine de rappeler que Les Contes d'Hoffmann est un opéra qui a été créé en 1881, après le décès de son compositeur qui n'est autre que Jacques Offenbach. Alors Offenbach, on le connaît surtout pour ses œuvres légères, pour La Belle Hélène, pour La Vie parisienne, pour La Péricole et j'en passe, qui sont des opéras comiques et des opérettes pleines d'humour et de fantaisie. Avec Les Contes d'Hoffmann, c'est une œuvre assez différente, plus ambitieuse, même s'il y a aussi des passages... Cocasse et très amusant, mais une œuvre passionnée sur les amours malheureuses du poète Hoffman, qui va de femme en femme et qui connaît des échecs sentimentaux cuisants. Il est amoureux successivement de quatre femmes, une diva, Stella, qui en fait cristallise en elle-même les trois autres qu'il va évoquer au cours de l'opéra, Olympia, une charmante jeune fille mais qui se révélera en réalité être un automate, donc il tombe amoureux d'une poupée. La deuxième c'est Antonia, une magnifique chanteuse mais qui est malade et qui meurt de son art, a trop chanté, c'est une terrible métaphore quand on pense qu'on est dans le monde de l'opéra. Et la troisième et dernière, c'est Giulietta, sublime courtisane vénitienne, mais qui passe d'homme en homme et qui le rend très malheureux, et va jusqu'à lui voler son reflet. Donc on voit la dimension fantastique aussi de l'opéra. Et là, à l'Opéra Bastille, j'ai plus particulièrement assisté au maquillage d'Olympia, la poupée. Donc on maquillait une chanteuse, donc une vraie femme, on la déguisait en poupée. qui elle-même se faisait passer pour une vraie femme. Donc il y avait déjà une mise en abyme très amusante et très intéressante. Et puis après, j'ai pu me glisser dans la loge de maquillage des choristes et des figurants. Et après, la dernière étape a été dans la loge de la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Gruposo, qui elle, incarne un spectre. Donc là aussi, un personnage non réel qui vient hanter. Antonia, donc le personnage de la chanteuse, et l'inciter à chanter et chanter encore, et donc à mourir. C'était l'automne, il ne faisait pas très beau et quand on sort du métro, rue de Lyon, la circulation, la pluie, l'entrée des artistes de l'Opéra Bastille qui est tout sauf magique, un bâtiment pas très engageant, des escaliers qui mènent à des couloirs en béton qui se ressemblent tous. Et heureusement, et ça c'est toujours très précieux, on a la chance dans nos métiers d'être guidés par des responsables de presse. En l'occurrence, je tiens à le citer parce que c'est vraiment quelqu'un d'aussi efficace que charmant et disponible, Raphaël Dor, le patron du service de presse de l'Opéra, et qui a pu donner accès à ces loges où maquilleurs, maquilleuses et chanteurs vivent ensemble les derniers moments avant l'entrée sur scène. Donc c'est vraiment des moments très cruciaux artistiquement mais aussi psychologiquement. Et là donc j'ai pu voir d'abord Cécile Païs qui est responsable des perruques et des maquillages et également Amélie Lordel qui était aussi sur cette production. Et donc une fois pénétrée dans ces loges, évidemment l'ambiance est tout autre. Et là, avec Cécile Païs, il y avait la soprano Pretty Yende, c'est une jeune femme sud-africaine qui, après des débuts comme chanteuse, séries de rencontres qui lui ont permis, dans un pays où la formation lyrique n'est pas forcément très développée, de commencer une belle carrière, et maintenant c'est vraiment une des stars internationales du chant. Et donc Pretty Yende, ce jour-là, elle se faisait maquiller en Olympia, donc en poupée. Et quand je suis entrée, elle était devant ces miroirs entourés de toutes ces petites lampes qui donnent un éclairage à la fois très magique et très violent. Et elle était donc dans son peignoir, assise sagement et elle en avait pour deux heures à se faire maquiller et coiffer pour que son beau visage, son teint allé, ses cheveux très opulents soient complètement domestiqués par la maquilleuse pour devenir cette poupée perruque.... de blond peroxydé avec des faux cils qui arrivaient jusqu'au cinquième rang du troisième balcon tellement ils sont immenses, des paillettes partout. Donc cette jeune femme toute naturelle devenait cette poupée absolument incroyable. Et alors ce qui était vraiment très intéressant c'était que pour que ces deux heures de grande patience puissent se vivre le plus harmonieusement du monde, et bien la chanteuse et la maquilleuse échangeaient sur les... paradoxe justement de transformer une jeune femme noire de chair et de sang en poupée blonde artificielle. Ce que ça peut représenter de fantastique, c'est ça les métiers du spectacle et de l'opéra, mais aussi c'est pas facile de se faire tirer et aplatir les cheveux pour mettre dessus un faux crâne. Ce faux crâne devant être maquillé de la même couleur de la peau de la chanteuse et après installer une perruque, sachant que c'est Cette perruque, à un moment, elle tombera au moment où la poupée se casse et se désarticule. Et elle se retrouvera devant les milliers de spectateurs avec ce faux crâne complètement à nu, d'une certaine manière. Donc, pour nous, spectateurs, ça peut paraître un effet de théâtre comme un autre. Pour la personne qui doit subir ces deux heures de transformation, c'est une forme d'épreuve. Même si après, elle va recueillir les applaudissements, les vivates. Mais c'est quand même quelque chose qui n'est pas anodin. Et c'était vraiment très émouvant de voir la manière dont chacune apprivoisait l'autre pour que ce moment soit juste un moment de paillettes et de rires et pas aussi profond existentiellement qu'il pourrait l'être. Après avoir passé à peu près un quart d'heure, 20 minutes, à voir la transformation de Pretiende, j'ai pu faire un passage dans une ambiance de brouhaha, voire de chahut un peu potache, où les choristes se faisaient habiller. C'était pour un moment où les femmes seraient déguisées en espagnol un peu à la Carmen. Et là, c'était se faire faire des yeux de biche, poser des perruques brunes avec ces petites bouclettes en petits ressorts comme ça sur les tempes. Et là, on voit que c'est un moment vraiment très joyeux où la pression existe, parce que chaque choriste doit chanter le mieux possible, bien sûr, mais qui n'est pas la même, évidemment, que sur la soliste. Et même si là, c'est pour un passage très fugitif, quand même, c'est 20 à 25 minutes par personne. Donc on voit à quel point c'est une très grosse machine et qu'il faut un professionnalisme et vraiment une virtuosité pour les maquilleurs pour faire très vite et préparer vraiment beaucoup de personnes à la fois. Sachant que quand il y a aussi les entrées et les sorties de scène, il y aura toujours des retouches parce que sous le feu des projecteurs, parce qu'un geste, une main sur le visage, etc. aura pu altérer tel ou tel détail du maquillage et qu'il faudra le retoucher. Et puis après, je suis donc arrivée auprès de Amélie Lordel et Sylvie Brunet-Gruposo pour ce déguisement en spectre. Là, c'était les fards blancs, la poudre, une perruque là aussi toute blanche et un peu inquiétante qui était mise en jeu. Et Sylvie Brunet-Gruposo, elle a déjà une très belle carrière derrière elle, beaucoup d'expérience. Et elle dit des choses belles et sur l'importance du maquillage qui est vraiment le moment, plus encore que le costume, où elle devient le personnage et où elle quitte son identité de chanteuse pour devenir ce fantôme qui est un personnage malfaisant puisqu'elle va inciter sa propre fille à aller au-delà de ses possibilités physiques et à mourir et à la rejoindre dans le monde des ombres. Donc c'est vraiment un rôle, là encore, qui dure peu de temps. tout peut-être une dizaine de minutes, un duo et un magnifique trio, un des plus beaux moments de l'œuvre, mais qui est d'une très grande intensité dramatique. Et donc, pour entrer dans ce personnage mauvais, en quelque sorte, mais qui est essentiel à l'action, elle doit non seulement devenir physiquement un spectre, mais aussi, bien sûr, vocalement, mais aussi psychologiquement. Sylvie Brunet-Groposo dit vraiment que c'est très, très essentiel pour elle ce moment où son visage se transforme, où elle se regarde de... près dans la glace et où entre tentations du narcissisme mais distances nécessaires à garder avec le personnage, elle en retrouve tous les ressorts et toutes les ficelles. Il y a certains rôles où elle demande, et les maquilleurs ou maquilleuses s'exécutent tout à fait, à se retrouver seule parce que le rôle est tellement intense et tellement fort, elle a besoin de solitude face à elle-même et à son miroir pour se dire bon ben ça y est, on y va Ça ressemble certainement à ce que vivent les sportifs et ce dont ont besoin les sportifs avant de se lancer dans l'arène. On est vraiment là aussi dans le domaine d'une performance humaine et physique. et artistique extrêmement puissante. Donc l'ambiance dans la loge de Sylvie Brunet était très différente, était plutôt d'échanges à voix très douce, et une réflexion aussi de la part de sa maquilleuse Amélie Lordel, justement dans cette fonction qui est technique. Il y a des quantités de phares, des pinceaux, des éponges différentes. Il faut penser que la lumière des projecteurs ne sera pas la même que celle de la loge, que la chaleur, la transpiration, enfin il y a toute une série de paramètres techniques. Mais aussi, ça se double d'un rapport vraiment très intime avec la personne. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à se faire toucher le visage, parfois le cou, parfois le maquillage peut s'étendre sur les épaules, le dos, la gorge. Donc, il y a vraiment un rapport physique très proche entre l'artiste et son ou sa maquilleuse. Et parfois, c'est ce que disait Amélie Lordel, on sent que l'artiste n'en a pas forcément envie, n'est pas de bonne humeur ce jour-là, a une journée difficile. pas envie qu'on le touche. Et donc, c'est un rôle de négociation, de conciliation, pour lui dire à la fois c'est ton boulot, mais on comprend bien ce que ça représente et on doit naviguer entre les deux. C'est au moment après être sortie de l'Opéra Bastille et où j'ai commencé à réfléchir sur la manière dont parler de ce sujet et d'essayer de le faire vivre le mieux possible dans les pages de l'hebdo de la Croix pour les lecteurs, où je me suis dit qu'il ne faut que le côté vivant, spectaculaire et léger, parce qu'on est quand même, même si l'opéra est grave, on l'a dit tout à l'heure, mais on est quand même dans un univers où c'est l'émerveillement, le bonheur et le plaisir qui sont au rendez-vous. pour les spectateurs, mais où on touche aussi des choses vraiment assez profondes, assez intimes, assez fragiles de l'identité des artistes et il fallait essayer, c'était ça le défi d'écriture ce jour-là, d'essayer de rendre le brouhaha des cœurs, la beauté du visage de Prétty Yendel, la technique des maquilleuses présentes, mais aussi ce rôle de psy, on peut le dire, qu'ont les maquilleurs et maquilleuses. qui ne fait pas forcément partie de leur fiche de poste, mais qu'ils apprennent peu à peu, et qui, quand on discute avec eux, est la partie, sinon la plus intéressante, du moins très intéressante de leur travail, parce qu'ils sont un relais entre les exigences artistiques du metteur en scène, puisque là, c'est sur l'aspect visuel, et l'identité propre et l'intimité des artistes. Et c'est ce que j'ai essayé, en réussissant ou pas, ça c'est une autre question. à rendre dans ce reportage qui, comme toujours les reportages sur les métiers de l'ombre dans le domaine de la culture, mais c'est vrai dans d'autres domaines, sont toujours extrêmement intéressants parce qu'on se rend compte à quel point c'est des gens passionnés, qui ont un bagage de départ très important et qui ne cessent évidemment de l'affiner, de le perfectionner sur le tas, de le faire évoluer. Parce que, par exemple, le maquillage de théâtre et d'opéra qui, avant, étaient faits pour être vus, De loin, voire de très loin, maintenant avec les captations pour le cinéma, pour la télévision, pour les plateformes, les gros plans se multiplient. Donc il faut que ce maquillage ne soit pas ridicule et qu'on ne se dise pas qu'elle est maquillée comme un camion volé au troisième rang d'orchestre. Déjà on ne s'en rend plus compte, mais quand on a un gros plan sur son écran, on s'en rend compte. Donc il faut adapter aussi entre le maquillage de rue et le maquillage de scène. Donc ça c'est toute une série de nouvelles techniques et de nouvelles réflexions. qui sont à l'œuvre dans le monde du spectacle et c'est tout à fait intéressant. Et puis, selon que l'artiste vient de débarquer de son avion et est fatigué, ou au contraire a eu un temps de répétition et d'apprivoisement de ses partenaires et de tout le plateau est beaucoup plus détendu, il n'aura pas les mêmes réactions et il ne s'agira pas de travailler avec lui de la même façon. Donc, quand on aborde... ce domaine de l'opéra, à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau sur certains aspects dont on se disait qu'ils existent, mais sans les approfondir. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste. Et véritablement, je pense qu'on pourrait le faire avec tous les métiers. L'aventure n'est pas finie, donc.

  • Speaker #1

    Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de La Croix.

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Description

À l’automne 2023, Emmanuelle Giuliani, spécialiste de la musique classique et lyrique à "La Croix", s’est glissée dans les coulisses de l’Opéra Bastille, lors d’une répétition générale des "Contes d’Hoffmann", œuvre de Jacques Offenbach créée en 1881.


Emmanuelle Giuliani a, plus particulièrement, choisi de se rendre dans les loges des maquilleurs, qui préparent solistes, choristes et figurants avant leur entrée en scène.


Dans cet épisode, elle nous raconte comment ils s’y prennent pour préparer les artistes physiquement, mais aussi psychologiquement.


► Retrouvez le reportage d'Emmanuelle Giuliani paru dans La Croix L’Hebdo : https://www.la-croix.com/culture/a-l-opera-bastille-les-maquilleurs-magiciens-au-plus-pres-des-artistes-20241021


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quand on aborde ce domaine de l'opéra à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste.

  • Speaker #1

    Emmanuelle Giuliani est journaliste au service Culture de la Croix. Fin 2023, elle a suivi le travail des maquilleurs de l'Opéra Bastille. qui prépare soliste et choriste avant leur entrée en scène. Un moment crucial pendant lequel les maquilleurs allient technique, psychologie. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Emmanuelle Giuliani et je suis journaliste au Quotidien Lacroix, plus particulièrement au service culture où je m'occupe entre autres, en large partie, de la musique classique et lyrique. Et c'est à ce titre que je suis très contente aujourd'hui de vous raconter comment, à l'automne 2023, j'ai eu la chance de me glisser dans les coulisses de l'Opéra Bastille et plus particulièrement dans les loges où officient les maquilleurs et maquilleuses qui prépare les artistes pour les spectacles, donc les ballets et l'opéra, en l'occurrence à l'Opéra Bastille. Alors là, il s'agissait d'une répétition, une répétition avec décors et costumes des contes d'Hoffmann. Dans une production qui est une des plus réussies qu'on peut voir depuis de longues années, mais qu'ils reprennent, et ils ont bien raison, à l'Opéra Bastille, signée par Jean-Marie de Gaulle. du metteur en scène canadien Robert Carson qui vraiment l'a signé un chef-d'oeuvre. Il met les personnages en scène dans les décors de l'opéra, dans différents lieux de l'opéra, la fosse, le bar, la scène. Ça marche merveilleusement et vraiment c'est un spectacle que l'opéra reprend régulièrement. Il ne faut pas manquer une occasion d'y aller. Peut-être que ça vaut la peine de rappeler que Les Contes d'Hoffmann est un opéra qui a été créé en 1881, après le décès de son compositeur qui n'est autre que Jacques Offenbach. Alors Offenbach, on le connaît surtout pour ses œuvres légères, pour La Belle Hélène, pour La Vie parisienne, pour La Péricole et j'en passe, qui sont des opéras comiques et des opérettes pleines d'humour et de fantaisie. Avec Les Contes d'Hoffmann, c'est une œuvre assez différente, plus ambitieuse, même s'il y a aussi des passages... Cocasse et très amusant, mais une œuvre passionnée sur les amours malheureuses du poète Hoffman, qui va de femme en femme et qui connaît des échecs sentimentaux cuisants. Il est amoureux successivement de quatre femmes, une diva, Stella, qui en fait cristallise en elle-même les trois autres qu'il va évoquer au cours de l'opéra, Olympia, une charmante jeune fille mais qui se révélera en réalité être un automate, donc il tombe amoureux d'une poupée. La deuxième c'est Antonia, une magnifique chanteuse mais qui est malade et qui meurt de son art, a trop chanté, c'est une terrible métaphore quand on pense qu'on est dans le monde de l'opéra. Et la troisième et dernière, c'est Giulietta, sublime courtisane vénitienne, mais qui passe d'homme en homme et qui le rend très malheureux, et va jusqu'à lui voler son reflet. Donc on voit la dimension fantastique aussi de l'opéra. Et là, à l'Opéra Bastille, j'ai plus particulièrement assisté au maquillage d'Olympia, la poupée. Donc on maquillait une chanteuse, donc une vraie femme, on la déguisait en poupée. qui elle-même se faisait passer pour une vraie femme. Donc il y avait déjà une mise en abyme très amusante et très intéressante. Et puis après, j'ai pu me glisser dans la loge de maquillage des choristes et des figurants. Et après, la dernière étape a été dans la loge de la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Gruposo, qui elle, incarne un spectre. Donc là aussi, un personnage non réel qui vient hanter. Antonia, donc le personnage de la chanteuse, et l'inciter à chanter et chanter encore, et donc à mourir. C'était l'automne, il ne faisait pas très beau et quand on sort du métro, rue de Lyon, la circulation, la pluie, l'entrée des artistes de l'Opéra Bastille qui est tout sauf magique, un bâtiment pas très engageant, des escaliers qui mènent à des couloirs en béton qui se ressemblent tous. Et heureusement, et ça c'est toujours très précieux, on a la chance dans nos métiers d'être guidés par des responsables de presse. En l'occurrence, je tiens à le citer parce que c'est vraiment quelqu'un d'aussi efficace que charmant et disponible, Raphaël Dor, le patron du service de presse de l'Opéra, et qui a pu donner accès à ces loges où maquilleurs, maquilleuses et chanteurs vivent ensemble les derniers moments avant l'entrée sur scène. Donc c'est vraiment des moments très cruciaux artistiquement mais aussi psychologiquement. Et là donc j'ai pu voir d'abord Cécile Païs qui est responsable des perruques et des maquillages et également Amélie Lordel qui était aussi sur cette production. Et donc une fois pénétrée dans ces loges, évidemment l'ambiance est tout autre. Et là, avec Cécile Païs, il y avait la soprano Pretty Yende, c'est une jeune femme sud-africaine qui, après des débuts comme chanteuse, séries de rencontres qui lui ont permis, dans un pays où la formation lyrique n'est pas forcément très développée, de commencer une belle carrière, et maintenant c'est vraiment une des stars internationales du chant. Et donc Pretty Yende, ce jour-là, elle se faisait maquiller en Olympia, donc en poupée. Et quand je suis entrée, elle était devant ces miroirs entourés de toutes ces petites lampes qui donnent un éclairage à la fois très magique et très violent. Et elle était donc dans son peignoir, assise sagement et elle en avait pour deux heures à se faire maquiller et coiffer pour que son beau visage, son teint allé, ses cheveux très opulents soient complètement domestiqués par la maquilleuse pour devenir cette poupée perruque.... de blond peroxydé avec des faux cils qui arrivaient jusqu'au cinquième rang du troisième balcon tellement ils sont immenses, des paillettes partout. Donc cette jeune femme toute naturelle devenait cette poupée absolument incroyable. Et alors ce qui était vraiment très intéressant c'était que pour que ces deux heures de grande patience puissent se vivre le plus harmonieusement du monde, et bien la chanteuse et la maquilleuse échangeaient sur les... paradoxe justement de transformer une jeune femme noire de chair et de sang en poupée blonde artificielle. Ce que ça peut représenter de fantastique, c'est ça les métiers du spectacle et de l'opéra, mais aussi c'est pas facile de se faire tirer et aplatir les cheveux pour mettre dessus un faux crâne. Ce faux crâne devant être maquillé de la même couleur de la peau de la chanteuse et après installer une perruque, sachant que c'est Cette perruque, à un moment, elle tombera au moment où la poupée se casse et se désarticule. Et elle se retrouvera devant les milliers de spectateurs avec ce faux crâne complètement à nu, d'une certaine manière. Donc, pour nous, spectateurs, ça peut paraître un effet de théâtre comme un autre. Pour la personne qui doit subir ces deux heures de transformation, c'est une forme d'épreuve. Même si après, elle va recueillir les applaudissements, les vivates. Mais c'est quand même quelque chose qui n'est pas anodin. Et c'était vraiment très émouvant de voir la manière dont chacune apprivoisait l'autre pour que ce moment soit juste un moment de paillettes et de rires et pas aussi profond existentiellement qu'il pourrait l'être. Après avoir passé à peu près un quart d'heure, 20 minutes, à voir la transformation de Pretiende, j'ai pu faire un passage dans une ambiance de brouhaha, voire de chahut un peu potache, où les choristes se faisaient habiller. C'était pour un moment où les femmes seraient déguisées en espagnol un peu à la Carmen. Et là, c'était se faire faire des yeux de biche, poser des perruques brunes avec ces petites bouclettes en petits ressorts comme ça sur les tempes. Et là, on voit que c'est un moment vraiment très joyeux où la pression existe, parce que chaque choriste doit chanter le mieux possible, bien sûr, mais qui n'est pas la même, évidemment, que sur la soliste. Et même si là, c'est pour un passage très fugitif, quand même, c'est 20 à 25 minutes par personne. Donc on voit à quel point c'est une très grosse machine et qu'il faut un professionnalisme et vraiment une virtuosité pour les maquilleurs pour faire très vite et préparer vraiment beaucoup de personnes à la fois. Sachant que quand il y a aussi les entrées et les sorties de scène, il y aura toujours des retouches parce que sous le feu des projecteurs, parce qu'un geste, une main sur le visage, etc. aura pu altérer tel ou tel détail du maquillage et qu'il faudra le retoucher. Et puis après, je suis donc arrivée auprès de Amélie Lordel et Sylvie Brunet-Gruposo pour ce déguisement en spectre. Là, c'était les fards blancs, la poudre, une perruque là aussi toute blanche et un peu inquiétante qui était mise en jeu. Et Sylvie Brunet-Gruposo, elle a déjà une très belle carrière derrière elle, beaucoup d'expérience. Et elle dit des choses belles et sur l'importance du maquillage qui est vraiment le moment, plus encore que le costume, où elle devient le personnage et où elle quitte son identité de chanteuse pour devenir ce fantôme qui est un personnage malfaisant puisqu'elle va inciter sa propre fille à aller au-delà de ses possibilités physiques et à mourir et à la rejoindre dans le monde des ombres. Donc c'est vraiment un rôle, là encore, qui dure peu de temps. tout peut-être une dizaine de minutes, un duo et un magnifique trio, un des plus beaux moments de l'œuvre, mais qui est d'une très grande intensité dramatique. Et donc, pour entrer dans ce personnage mauvais, en quelque sorte, mais qui est essentiel à l'action, elle doit non seulement devenir physiquement un spectre, mais aussi, bien sûr, vocalement, mais aussi psychologiquement. Sylvie Brunet-Groposo dit vraiment que c'est très, très essentiel pour elle ce moment où son visage se transforme, où elle se regarde de... près dans la glace et où entre tentations du narcissisme mais distances nécessaires à garder avec le personnage, elle en retrouve tous les ressorts et toutes les ficelles. Il y a certains rôles où elle demande, et les maquilleurs ou maquilleuses s'exécutent tout à fait, à se retrouver seule parce que le rôle est tellement intense et tellement fort, elle a besoin de solitude face à elle-même et à son miroir pour se dire bon ben ça y est, on y va Ça ressemble certainement à ce que vivent les sportifs et ce dont ont besoin les sportifs avant de se lancer dans l'arène. On est vraiment là aussi dans le domaine d'une performance humaine et physique. et artistique extrêmement puissante. Donc l'ambiance dans la loge de Sylvie Brunet était très différente, était plutôt d'échanges à voix très douce, et une réflexion aussi de la part de sa maquilleuse Amélie Lordel, justement dans cette fonction qui est technique. Il y a des quantités de phares, des pinceaux, des éponges différentes. Il faut penser que la lumière des projecteurs ne sera pas la même que celle de la loge, que la chaleur, la transpiration, enfin il y a toute une série de paramètres techniques. Mais aussi, ça se double d'un rapport vraiment très intime avec la personne. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à se faire toucher le visage, parfois le cou, parfois le maquillage peut s'étendre sur les épaules, le dos, la gorge. Donc, il y a vraiment un rapport physique très proche entre l'artiste et son ou sa maquilleuse. Et parfois, c'est ce que disait Amélie Lordel, on sent que l'artiste n'en a pas forcément envie, n'est pas de bonne humeur ce jour-là, a une journée difficile. pas envie qu'on le touche. Et donc, c'est un rôle de négociation, de conciliation, pour lui dire à la fois c'est ton boulot, mais on comprend bien ce que ça représente et on doit naviguer entre les deux. C'est au moment après être sortie de l'Opéra Bastille et où j'ai commencé à réfléchir sur la manière dont parler de ce sujet et d'essayer de le faire vivre le mieux possible dans les pages de l'hebdo de la Croix pour les lecteurs, où je me suis dit qu'il ne faut que le côté vivant, spectaculaire et léger, parce qu'on est quand même, même si l'opéra est grave, on l'a dit tout à l'heure, mais on est quand même dans un univers où c'est l'émerveillement, le bonheur et le plaisir qui sont au rendez-vous. pour les spectateurs, mais où on touche aussi des choses vraiment assez profondes, assez intimes, assez fragiles de l'identité des artistes et il fallait essayer, c'était ça le défi d'écriture ce jour-là, d'essayer de rendre le brouhaha des cœurs, la beauté du visage de Prétty Yendel, la technique des maquilleuses présentes, mais aussi ce rôle de psy, on peut le dire, qu'ont les maquilleurs et maquilleuses. qui ne fait pas forcément partie de leur fiche de poste, mais qu'ils apprennent peu à peu, et qui, quand on discute avec eux, est la partie, sinon la plus intéressante, du moins très intéressante de leur travail, parce qu'ils sont un relais entre les exigences artistiques du metteur en scène, puisque là, c'est sur l'aspect visuel, et l'identité propre et l'intimité des artistes. Et c'est ce que j'ai essayé, en réussissant ou pas, ça c'est une autre question. à rendre dans ce reportage qui, comme toujours les reportages sur les métiers de l'ombre dans le domaine de la culture, mais c'est vrai dans d'autres domaines, sont toujours extrêmement intéressants parce qu'on se rend compte à quel point c'est des gens passionnés, qui ont un bagage de départ très important et qui ne cessent évidemment de l'affiner, de le perfectionner sur le tas, de le faire évoluer. Parce que, par exemple, le maquillage de théâtre et d'opéra qui, avant, étaient faits pour être vus, De loin, voire de très loin, maintenant avec les captations pour le cinéma, pour la télévision, pour les plateformes, les gros plans se multiplient. Donc il faut que ce maquillage ne soit pas ridicule et qu'on ne se dise pas qu'elle est maquillée comme un camion volé au troisième rang d'orchestre. Déjà on ne s'en rend plus compte, mais quand on a un gros plan sur son écran, on s'en rend compte. Donc il faut adapter aussi entre le maquillage de rue et le maquillage de scène. Donc ça c'est toute une série de nouvelles techniques et de nouvelles réflexions. qui sont à l'œuvre dans le monde du spectacle et c'est tout à fait intéressant. Et puis, selon que l'artiste vient de débarquer de son avion et est fatigué, ou au contraire a eu un temps de répétition et d'apprivoisement de ses partenaires et de tout le plateau est beaucoup plus détendu, il n'aura pas les mêmes réactions et il ne s'agira pas de travailler avec lui de la même façon. Donc, quand on aborde... ce domaine de l'opéra, à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau sur certains aspects dont on se disait qu'ils existent, mais sans les approfondir. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste. Et véritablement, je pense qu'on pourrait le faire avec tous les métiers. L'aventure n'est pas finie, donc.

  • Speaker #1

    Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de La Croix.

Description

À l’automne 2023, Emmanuelle Giuliani, spécialiste de la musique classique et lyrique à "La Croix", s’est glissée dans les coulisses de l’Opéra Bastille, lors d’une répétition générale des "Contes d’Hoffmann", œuvre de Jacques Offenbach créée en 1881.


Emmanuelle Giuliani a, plus particulièrement, choisi de se rendre dans les loges des maquilleurs, qui préparent solistes, choristes et figurants avant leur entrée en scène.


Dans cet épisode, elle nous raconte comment ils s’y prennent pour préparer les artistes physiquement, mais aussi psychologiquement.


► Retrouvez le reportage d'Emmanuelle Giuliani paru dans La Croix L’Hebdo : https://www.la-croix.com/culture/a-l-opera-bastille-les-maquilleurs-magiciens-au-plus-pres-des-artistes-20241021


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Paul de Coustin. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien : Clémence Maret. Textes : Célestine Albert-Steward. Captation et mixage : Flavien Edenne. Création musicale : Emmanuel Viau. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quand on aborde ce domaine de l'opéra à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste.

  • Speaker #1

    Emmanuelle Giuliani est journaliste au service Culture de la Croix. Fin 2023, elle a suivi le travail des maquilleurs de l'Opéra Bastille. qui prépare soliste et choriste avant leur entrée en scène. Un moment crucial pendant lequel les maquilleurs allient technique, psychologie. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • Speaker #0

    Bonjour, je m'appelle Emmanuelle Giuliani et je suis journaliste au Quotidien Lacroix, plus particulièrement au service culture où je m'occupe entre autres, en large partie, de la musique classique et lyrique. Et c'est à ce titre que je suis très contente aujourd'hui de vous raconter comment, à l'automne 2023, j'ai eu la chance de me glisser dans les coulisses de l'Opéra Bastille et plus particulièrement dans les loges où officient les maquilleurs et maquilleuses qui prépare les artistes pour les spectacles, donc les ballets et l'opéra, en l'occurrence à l'Opéra Bastille. Alors là, il s'agissait d'une répétition, une répétition avec décors et costumes des contes d'Hoffmann. Dans une production qui est une des plus réussies qu'on peut voir depuis de longues années, mais qu'ils reprennent, et ils ont bien raison, à l'Opéra Bastille, signée par Jean-Marie de Gaulle. du metteur en scène canadien Robert Carson qui vraiment l'a signé un chef-d'oeuvre. Il met les personnages en scène dans les décors de l'opéra, dans différents lieux de l'opéra, la fosse, le bar, la scène. Ça marche merveilleusement et vraiment c'est un spectacle que l'opéra reprend régulièrement. Il ne faut pas manquer une occasion d'y aller. Peut-être que ça vaut la peine de rappeler que Les Contes d'Hoffmann est un opéra qui a été créé en 1881, après le décès de son compositeur qui n'est autre que Jacques Offenbach. Alors Offenbach, on le connaît surtout pour ses œuvres légères, pour La Belle Hélène, pour La Vie parisienne, pour La Péricole et j'en passe, qui sont des opéras comiques et des opérettes pleines d'humour et de fantaisie. Avec Les Contes d'Hoffmann, c'est une œuvre assez différente, plus ambitieuse, même s'il y a aussi des passages... Cocasse et très amusant, mais une œuvre passionnée sur les amours malheureuses du poète Hoffman, qui va de femme en femme et qui connaît des échecs sentimentaux cuisants. Il est amoureux successivement de quatre femmes, une diva, Stella, qui en fait cristallise en elle-même les trois autres qu'il va évoquer au cours de l'opéra, Olympia, une charmante jeune fille mais qui se révélera en réalité être un automate, donc il tombe amoureux d'une poupée. La deuxième c'est Antonia, une magnifique chanteuse mais qui est malade et qui meurt de son art, a trop chanté, c'est une terrible métaphore quand on pense qu'on est dans le monde de l'opéra. Et la troisième et dernière, c'est Giulietta, sublime courtisane vénitienne, mais qui passe d'homme en homme et qui le rend très malheureux, et va jusqu'à lui voler son reflet. Donc on voit la dimension fantastique aussi de l'opéra. Et là, à l'Opéra Bastille, j'ai plus particulièrement assisté au maquillage d'Olympia, la poupée. Donc on maquillait une chanteuse, donc une vraie femme, on la déguisait en poupée. qui elle-même se faisait passer pour une vraie femme. Donc il y avait déjà une mise en abyme très amusante et très intéressante. Et puis après, j'ai pu me glisser dans la loge de maquillage des choristes et des figurants. Et après, la dernière étape a été dans la loge de la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Gruposo, qui elle, incarne un spectre. Donc là aussi, un personnage non réel qui vient hanter. Antonia, donc le personnage de la chanteuse, et l'inciter à chanter et chanter encore, et donc à mourir. C'était l'automne, il ne faisait pas très beau et quand on sort du métro, rue de Lyon, la circulation, la pluie, l'entrée des artistes de l'Opéra Bastille qui est tout sauf magique, un bâtiment pas très engageant, des escaliers qui mènent à des couloirs en béton qui se ressemblent tous. Et heureusement, et ça c'est toujours très précieux, on a la chance dans nos métiers d'être guidés par des responsables de presse. En l'occurrence, je tiens à le citer parce que c'est vraiment quelqu'un d'aussi efficace que charmant et disponible, Raphaël Dor, le patron du service de presse de l'Opéra, et qui a pu donner accès à ces loges où maquilleurs, maquilleuses et chanteurs vivent ensemble les derniers moments avant l'entrée sur scène. Donc c'est vraiment des moments très cruciaux artistiquement mais aussi psychologiquement. Et là donc j'ai pu voir d'abord Cécile Païs qui est responsable des perruques et des maquillages et également Amélie Lordel qui était aussi sur cette production. Et donc une fois pénétrée dans ces loges, évidemment l'ambiance est tout autre. Et là, avec Cécile Païs, il y avait la soprano Pretty Yende, c'est une jeune femme sud-africaine qui, après des débuts comme chanteuse, séries de rencontres qui lui ont permis, dans un pays où la formation lyrique n'est pas forcément très développée, de commencer une belle carrière, et maintenant c'est vraiment une des stars internationales du chant. Et donc Pretty Yende, ce jour-là, elle se faisait maquiller en Olympia, donc en poupée. Et quand je suis entrée, elle était devant ces miroirs entourés de toutes ces petites lampes qui donnent un éclairage à la fois très magique et très violent. Et elle était donc dans son peignoir, assise sagement et elle en avait pour deux heures à se faire maquiller et coiffer pour que son beau visage, son teint allé, ses cheveux très opulents soient complètement domestiqués par la maquilleuse pour devenir cette poupée perruque.... de blond peroxydé avec des faux cils qui arrivaient jusqu'au cinquième rang du troisième balcon tellement ils sont immenses, des paillettes partout. Donc cette jeune femme toute naturelle devenait cette poupée absolument incroyable. Et alors ce qui était vraiment très intéressant c'était que pour que ces deux heures de grande patience puissent se vivre le plus harmonieusement du monde, et bien la chanteuse et la maquilleuse échangeaient sur les... paradoxe justement de transformer une jeune femme noire de chair et de sang en poupée blonde artificielle. Ce que ça peut représenter de fantastique, c'est ça les métiers du spectacle et de l'opéra, mais aussi c'est pas facile de se faire tirer et aplatir les cheveux pour mettre dessus un faux crâne. Ce faux crâne devant être maquillé de la même couleur de la peau de la chanteuse et après installer une perruque, sachant que c'est Cette perruque, à un moment, elle tombera au moment où la poupée se casse et se désarticule. Et elle se retrouvera devant les milliers de spectateurs avec ce faux crâne complètement à nu, d'une certaine manière. Donc, pour nous, spectateurs, ça peut paraître un effet de théâtre comme un autre. Pour la personne qui doit subir ces deux heures de transformation, c'est une forme d'épreuve. Même si après, elle va recueillir les applaudissements, les vivates. Mais c'est quand même quelque chose qui n'est pas anodin. Et c'était vraiment très émouvant de voir la manière dont chacune apprivoisait l'autre pour que ce moment soit juste un moment de paillettes et de rires et pas aussi profond existentiellement qu'il pourrait l'être. Après avoir passé à peu près un quart d'heure, 20 minutes, à voir la transformation de Pretiende, j'ai pu faire un passage dans une ambiance de brouhaha, voire de chahut un peu potache, où les choristes se faisaient habiller. C'était pour un moment où les femmes seraient déguisées en espagnol un peu à la Carmen. Et là, c'était se faire faire des yeux de biche, poser des perruques brunes avec ces petites bouclettes en petits ressorts comme ça sur les tempes. Et là, on voit que c'est un moment vraiment très joyeux où la pression existe, parce que chaque choriste doit chanter le mieux possible, bien sûr, mais qui n'est pas la même, évidemment, que sur la soliste. Et même si là, c'est pour un passage très fugitif, quand même, c'est 20 à 25 minutes par personne. Donc on voit à quel point c'est une très grosse machine et qu'il faut un professionnalisme et vraiment une virtuosité pour les maquilleurs pour faire très vite et préparer vraiment beaucoup de personnes à la fois. Sachant que quand il y a aussi les entrées et les sorties de scène, il y aura toujours des retouches parce que sous le feu des projecteurs, parce qu'un geste, une main sur le visage, etc. aura pu altérer tel ou tel détail du maquillage et qu'il faudra le retoucher. Et puis après, je suis donc arrivée auprès de Amélie Lordel et Sylvie Brunet-Gruposo pour ce déguisement en spectre. Là, c'était les fards blancs, la poudre, une perruque là aussi toute blanche et un peu inquiétante qui était mise en jeu. Et Sylvie Brunet-Gruposo, elle a déjà une très belle carrière derrière elle, beaucoup d'expérience. Et elle dit des choses belles et sur l'importance du maquillage qui est vraiment le moment, plus encore que le costume, où elle devient le personnage et où elle quitte son identité de chanteuse pour devenir ce fantôme qui est un personnage malfaisant puisqu'elle va inciter sa propre fille à aller au-delà de ses possibilités physiques et à mourir et à la rejoindre dans le monde des ombres. Donc c'est vraiment un rôle, là encore, qui dure peu de temps. tout peut-être une dizaine de minutes, un duo et un magnifique trio, un des plus beaux moments de l'œuvre, mais qui est d'une très grande intensité dramatique. Et donc, pour entrer dans ce personnage mauvais, en quelque sorte, mais qui est essentiel à l'action, elle doit non seulement devenir physiquement un spectre, mais aussi, bien sûr, vocalement, mais aussi psychologiquement. Sylvie Brunet-Groposo dit vraiment que c'est très, très essentiel pour elle ce moment où son visage se transforme, où elle se regarde de... près dans la glace et où entre tentations du narcissisme mais distances nécessaires à garder avec le personnage, elle en retrouve tous les ressorts et toutes les ficelles. Il y a certains rôles où elle demande, et les maquilleurs ou maquilleuses s'exécutent tout à fait, à se retrouver seule parce que le rôle est tellement intense et tellement fort, elle a besoin de solitude face à elle-même et à son miroir pour se dire bon ben ça y est, on y va Ça ressemble certainement à ce que vivent les sportifs et ce dont ont besoin les sportifs avant de se lancer dans l'arène. On est vraiment là aussi dans le domaine d'une performance humaine et physique. et artistique extrêmement puissante. Donc l'ambiance dans la loge de Sylvie Brunet était très différente, était plutôt d'échanges à voix très douce, et une réflexion aussi de la part de sa maquilleuse Amélie Lordel, justement dans cette fonction qui est technique. Il y a des quantités de phares, des pinceaux, des éponges différentes. Il faut penser que la lumière des projecteurs ne sera pas la même que celle de la loge, que la chaleur, la transpiration, enfin il y a toute une série de paramètres techniques. Mais aussi, ça se double d'un rapport vraiment très intime avec la personne. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à se faire toucher le visage, parfois le cou, parfois le maquillage peut s'étendre sur les épaules, le dos, la gorge. Donc, il y a vraiment un rapport physique très proche entre l'artiste et son ou sa maquilleuse. Et parfois, c'est ce que disait Amélie Lordel, on sent que l'artiste n'en a pas forcément envie, n'est pas de bonne humeur ce jour-là, a une journée difficile. pas envie qu'on le touche. Et donc, c'est un rôle de négociation, de conciliation, pour lui dire à la fois c'est ton boulot, mais on comprend bien ce que ça représente et on doit naviguer entre les deux. C'est au moment après être sortie de l'Opéra Bastille et où j'ai commencé à réfléchir sur la manière dont parler de ce sujet et d'essayer de le faire vivre le mieux possible dans les pages de l'hebdo de la Croix pour les lecteurs, où je me suis dit qu'il ne faut que le côté vivant, spectaculaire et léger, parce qu'on est quand même, même si l'opéra est grave, on l'a dit tout à l'heure, mais on est quand même dans un univers où c'est l'émerveillement, le bonheur et le plaisir qui sont au rendez-vous. pour les spectateurs, mais où on touche aussi des choses vraiment assez profondes, assez intimes, assez fragiles de l'identité des artistes et il fallait essayer, c'était ça le défi d'écriture ce jour-là, d'essayer de rendre le brouhaha des cœurs, la beauté du visage de Prétty Yendel, la technique des maquilleuses présentes, mais aussi ce rôle de psy, on peut le dire, qu'ont les maquilleurs et maquilleuses. qui ne fait pas forcément partie de leur fiche de poste, mais qu'ils apprennent peu à peu, et qui, quand on discute avec eux, est la partie, sinon la plus intéressante, du moins très intéressante de leur travail, parce qu'ils sont un relais entre les exigences artistiques du metteur en scène, puisque là, c'est sur l'aspect visuel, et l'identité propre et l'intimité des artistes. Et c'est ce que j'ai essayé, en réussissant ou pas, ça c'est une autre question. à rendre dans ce reportage qui, comme toujours les reportages sur les métiers de l'ombre dans le domaine de la culture, mais c'est vrai dans d'autres domaines, sont toujours extrêmement intéressants parce qu'on se rend compte à quel point c'est des gens passionnés, qui ont un bagage de départ très important et qui ne cessent évidemment de l'affiner, de le perfectionner sur le tas, de le faire évoluer. Parce que, par exemple, le maquillage de théâtre et d'opéra qui, avant, étaient faits pour être vus, De loin, voire de très loin, maintenant avec les captations pour le cinéma, pour la télévision, pour les plateformes, les gros plans se multiplient. Donc il faut que ce maquillage ne soit pas ridicule et qu'on ne se dise pas qu'elle est maquillée comme un camion volé au troisième rang d'orchestre. Déjà on ne s'en rend plus compte, mais quand on a un gros plan sur son écran, on s'en rend compte. Donc il faut adapter aussi entre le maquillage de rue et le maquillage de scène. Donc ça c'est toute une série de nouvelles techniques et de nouvelles réflexions. qui sont à l'œuvre dans le monde du spectacle et c'est tout à fait intéressant. Et puis, selon que l'artiste vient de débarquer de son avion et est fatigué, ou au contraire a eu un temps de répétition et d'apprivoisement de ses partenaires et de tout le plateau est beaucoup plus détendu, il n'aura pas les mêmes réactions et il ne s'agira pas de travailler avec lui de la même façon. Donc, quand on aborde... ce domaine de l'opéra, à travers des métiers très spécifiques, ça vous ouvre de nouvelles portes, ça déchire le rideau sur certains aspects dont on se disait qu'ils existent, mais sans les approfondir. Et c'est ça qui est assez magique, c'est de pouvoir, parce qu'il pourrait paraître un détail ou un petit bout de la lornière, en fait, ça ouvre une dimension très très vaste. Et véritablement, je pense qu'on pourrait le faire avec tous les métiers. L'aventure n'est pas finie, donc.

  • Speaker #1

    Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original de La Croix.

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