Speaker #0Je m'appelle Stéphane Dreyfus, je travaille à la Croix depuis 2004, 20 ans cette année. Je couvre plusieurs rubriques au service culture, dont le cinéma d'animation. Et donc, je vais vous parler d'un film d'animation à l'occasion du festival du film d'animation d'Annecy, qui est un festival international, où va être projeté en compétition le nouveau film de Claude Barras, Sauvage. Et je vais vous parler moi plutôt de son premier long métrage, Ma vie de courgette, qui a connu un parcours exceptionnel en 2016 et 2017. L'occasion fait de l'arrond, Sauvage sortant bientôt en salle en novembre je crois. L'envie était de revenir sur ce premier long métrage de Claude Barras, Ma vie de courgette, qui a connu une carrière assez exceptionnelle. Donc un million de spectateurs, deux Césars. de nombreux autres prix et une nomination aux Oscars. Alors il n'a pas eu l'Oscar, mais quand même. Et il se trouve que j'ai pu suivre la fabrication de ce film assez en amont, ce qui n'a pas été le cas de tout le monde, donc j'étais assez heureux de pouvoir assister notamment au tournage. Tout commence dans cette histoire en mars 2015, à Lyon. Lors d'un rendez-vous professionnel qui s'appelle le Cartoon Movie, qui est un rendez-vous, une espèce de salon où se retrouvent les professionnels du long métrage d'animation, c'est assez pointu, et qui invite également la presse à assister à des présentations, en général destinées à... à recueillir des fonds pour des films qui sont en cours de montage. Claude Barras, réalisateur suisse de courts-métrages assez remarqués, présente son premier long-métrage, qui est une adaptation d'un ouvrage de Gilles Paris qui s'appelle Autobiographie d'une courgette. Le projet n'est pas simple et il demande pas mal de cran. L'histoire que raconte Gilles Paris et son histoire, c'est une histoire assez sombre, même très sombre. C'est l'histoire d'un enfant qui tue accidentellement sa mère, alcoolique. Mais Claude Barras veut adoucir le propos. qui, dans le livre, s'adressait plus aux jeunes adultes. Et là, il veut en faire un film tout public à partir de 7-8 ans qui raconte comment des gamins cabossés, abîmés par la vie, s'inventent une nouvelle famille dans un foyer d'accueil. Et il veut en faire une histoire d'amitié et de résilience. Une histoire pleine d'espoir en fait, qui aborde un sujet sensible mais de façon assez lumineuse.
Speaker #0Courget. Moi j'irais plutôt patate vu sa tête. Du calme, du calme les enfants. Il projette 15 minutes du film. Les 15 minutes du film sont vraiment un concentré d'émotions pures, de sensibilité, de sincérité, d'authenticité. Et à la fin de la projection, on entend des gens renifler. Vraiment, tout le monde était très ému. Moi-même, j'étais très ému. Il y a de longs applaudissements, ce qui n'est pas toujours le cas dans ce type de rendez-vous professionnel. Et en fait, tout le monde est très ému parce qu'il y a une symbiose, enfin une rencontre très harmonieuse entre la forme et le fond, dans le sens où la technique utilisée est une technique assez rare à l'époque, en tout cas en long métrage, qui s'appelle la stop motion, en bon français, animation en volume. qui consiste en fait à animer en général des marionnettes, des figurines. Alors on connaît bien ce procédé avec les films des studios Hardman, Chicken Run, Voilà c'est gros mythe, Chaune le mouton. On le connaît moins en Europe. Et donc cette technique qui consiste à filmer image par image comme s'il s'agissait de prendre des photos d'une pose d'un personnage et à les projeter ensuite à la vitesse classique de 24 images par seconde. Et donc en fait, la modification du mouvement, du geste du personnage, qui est une modification imperceptible parfois à l'œil nu, donne, une fois projetée 24 images par seconde, l'illusion du mouvement. Donc c'est une technique très minutieuse qui demande beaucoup de travail. Le résultat en est d'autant plus miraculeux. Donc, le tournage est en cours. Il est à Villeurbanne, à quelques kilomètres du lieu du salon où je me trouve. Et donc, je contacte l'attaché de presse, Monica Donati, qui est une grande attachée de presse spécialiste des films d'animation, pour lui proposer de me rendre sur le tournage et de mettre en boîte un reportage pour publication lors de... La sortie du film. Alors c'est pas possible tout de suite, mais ça s'organise assez vite. Et donc le rendez-vous est fixé fin mars, donc quelques semaines plus tard. On se retrouve au pôle Pixel, qui est à Villeurbanne, dans un ensemble de bâtiments assez quelconques, une zone d'activité industrieuse qui abrite donc plusieurs studios de cinéma. Alors on arrive là de Paris, excités comme des puces avec l'attachée de presse, parce qu'elle-même avait vu les quelques images et était très intriguée. Et aussi parce qu'un tournage d'animation en volume, c'est une maison de poupée. C'est assez prodigieux de rentrer dans les coulisses de la fabrication d'un film en stop-motion. C'est une maison de poupées, je l'ai dit, parce que les décors sont très jolis, tout est miniature. On a des nuages en laine de mouton, des plaques de verglas qui sont en fait de la cire, avec du bicarbonate dessous, des quelques paillettes. On a des couettes qui sont des petits draps dans lesquels on a glissé des fils d'aluminium pour avoir la souplesse de la couette. Enfin, tout est... Tout est vraiment adorable et on a envie de tout toucher, de jouer avec. Et c'est d'autant plus adorable que tout est fait main, même les marionnettes. Donc les marionnettes, c'est une technique très particulière. Elles sont fabriquées en Angleterre, qui sont les grands spécialistes. de ce type de technique d'animation. Elles sont constituées d'une armature métallique, qui est en fait le squelette de la marionnette. Et les expressions du visage sont données par des paupières et des sourcils qui varient selon l'émotion du personnage. Les bouches aussi varient en fonction du phonème qui va être prononcé. Voilà, donc c'est absolument fascinant. C'est absolument fascinant de voir les costumières, les responsables du décor. Je rencontre Christine Polis, qui est la responsable de la maintenance et qui dit qu'elle est un peu l'infirmière des marionnettes qui ont constamment besoin de retouches. Alors, elle part avec sa petite valise d'intervention. Dès qu'elle est appelée au Tokiwoki pour aller en plateau, elle le dit de façon légère, mais c'est vraiment une artisan de haute précision. Les retouches qui sont demandées sont parfois assez techniques. Et donc on se rend avec elle sur le tournage, sur les plateaux. Alors il y a, je crois qu'il y avait une quinzaine de plateaux. Il règne un grand silence sur ces plateaux, une grande concentration. Alors les sons ne sont pas enregistrés puisque toutes les voix sont enregistrées, avaient été enregistrées en amont. Donc on nous dit de ne pas taper dans les installations, de ne pas donner des coups de pied, de ne pas se prendre les pieds dans les câbles. Il y a tout un travail de lumière aussi qui est très minutieux. J'arrive sur un plateau où une jeune animatrice anglaise est en train de tourner une scène très émouvante du film. On voit un jeune garçon entouré d'autres enfants qui pose délicatement sa main sur le ventre d'une femme enceinte pour sentir le bébé bouger. Donc ces enfants ce sont les orphelins, ces courgettes et les autres orphelins du foyer où ils se trouvent. Et la scène est d'autant plus émouvante qu'ils sont orphelins et qu'ils voient une mère face à eux. Et elle est face à ces figurines et elle doit leur donner... leur investir les figurines d'une émotion. Donc ça demande un doigté infini, une minutie infinie, pour bouger imperceptiblement les personnages. Il ne s'agit pas seulement de lever le bras ou de changer une bouche, c'est aussi de donner une intention au geste, une émotion, comme le ferait un acteur d'ailleurs. Les animateurs qui travaillent sur cette technique d'animation en volume s'appellent des animacteurs parce qu'ils donnent beaucoup d'eux-mêmes dans l'interprétation des personnages. Voilà, c'est un travail de fourmi. Et on se dit, mais ça doit prendre un temps fou. Et ça prend un temps fou. Donc, chaque animateur réalise 40 à 50 images par jour. Donc, c'est deux à trois secondes de film. Donc, c'est vraiment... Ça prend un temps fou. Alors, il y a plusieurs plateaux en cours. Il y a plusieurs, d'ailleurs, marionnettes du même personnage pour aller plus vite. Mais même comme ça, ça ne suffit pas. C'est long. Ça demande beaucoup d'argent. Et donc on sent une ambiance un peu bizarre à la fois de concentration et puis un peu de tension. Et donc j'ai su après coup... qu'effectivement, il y avait pas mal de retard sur ce tournage qui avait demandé des rallonges budgétaires. Donc, il n'y a pas que sur les tournages de films à grand spectacle, de Coppola ou de je ne sais quel grand réalisateur américain dont on raconte les aventures et les tournages catastrophes. Parfois, même sur des tournages avec... des personnages inanimés, il peut y avoir beaucoup de tensions. Tu m'as parlé. Elle est comment ? Pas mal. T'es amoureux ? N'importe quoi. Mais bien sûr, mec, ça se voit à des kilomètres que t'es amoureux de Camille. On quitte le plateau, émerveillé, vraiment. Et puis, le film continue sa carrière. Donc, l'année suivante, il est sélectionné à Cannes. Et là, il y a un début de bouche à oreille, de buzz très favorable, avec beaucoup d'articles très élogieux qui commencent à sortir. Moi, je le vois... Avant le Festival d'Annecy, où il est en compétition, j'arrive au Festival d'Annecy et il se trouve que moi je publie le reportage à ce moment-là dans un dossier qui est publié dans le numéro du week-end Animation, la touche française c'était le titre je crois, et il se trouve qu'Isabelle Delaganerie, au service photo, choisit d'illustrer la couverture du journal avec Courgette. Et un de ses amis qui est sur une luge, donc c'est une image pleine de joie, pleine de vie, pleine de mouvement, et qui donne vraiment envie de voir le film, alors que le film n'est pas du tout sorti, il est juste en compétition à Annecy. Et donc le journal fait lui aussi un peu buzz, parce que c'est la première fois qu'un quotidien met Courgette à la une, je ne suis pas sûr que d'autres quotidiens l'aient fait par la suite d'ailleurs. Et tout le monde est un peu étonné que La Croix, qui n'est pas forcément attendue sur ces sujets-là, mette en avant aussi fortement le cinéma d'animation et ma vie de courgette. Et donc, le film obtient le succès attendu à Annecy. Il y a une longue standing ovation après la projection. Et le film gagne le cristal du long métrage, qui récompense le meilleur long métrage, et le prix du public. Donc, c'est vraiment le jackpot. Moi-même, j'enchaîne les papiers sur ce film. J'avais écrit ce dossier au moment du Festival d'Annecy. Et au moment de la sortie du film, avant la sortie du film, j'en parle au responsable des pages cinéma, Arnaud Schwartz, et je lui dis, il faut absolument faire une page sur ce film, y revenir, parce que c'est le moment où le film sort et tout le monde va en parler. Et il me dit, mais tu en as déjà assez parlé du film, ça va aller. Et je lui dis, non, non, non, il faut vraiment refaire une page. Donc j'insiste, j'obtiens la page en question, ce qui fait que le film devient... Il y a une espèce de running gag autour du film, au sein du service, ma chef me disant Ah tiens Stéphane, ça fait au moins dix minutes que tu ne m'as pas parlé de ma vie de courgette Et même quelques années plus tard, elle me reparle de ma vie de courgette. J'ai des collègues qui me dessinent des courgettes sur mon bureau. Enfin bon, bref, ça devient vraiment gaguesque. Ma fille, dans la rue, voit l'affiche et me dit Ah papa, c'est ton film ! Alors je lui explique bien que ce n'est pas moi qui réalisais le film, mais effectivement, je soutiens vraiment ce film de toutes mes forces. Le film connaît un succès inédit avec plus de 800 000 entrées. Il en a à terme enregistré plus d'un million. Voilà, donc c'est un film qui a eu une carrière extraordinaire, je l'ai dit, qui est très touchant, très émouvant, qui, au-delà de tout ça, m'a donné l'occasion d'aller sur un plateau de tournage, mais aussi de montrer les coulisses de ce film, de montrer tout le travail de l'artisan, de suivre le film en amont de sa sortie jusqu'à son tournage. Ça m'a permis de montrer toute la richesse de ce travail et ça m'a donné une raison de plus, une motivation de plus pour suivre le cinéma d'animation qui occupe encore aujourd'hui une place un peu à part dans le cinéma et je le regrette parce qu'il y a toujours cette idée que c'est un cinéma qui s'adresse. avant tout aux enfants, alors que justement, ma vie de courgette prouvait qu'il pouvait s'adresser à tous les publics. C'est quoi ton super pouvoir ? Tu peux pousser les légumes plus vite ? Et toi, t'es déguisé en quoi ? En débile ?