- Speaker #0
« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » , c'est Rabelais qui disait ça. Et ça pose bien le cadre, je trouve. Aujourd'hui, on se penche sur des notes de cours sur la philosophie de la technique. L'idée, c'est d'en extraire l'essentiel pour aider à construire une dissertation pour le bac.
- Speaker #1
Exactement. C'est un sujet dense. Ces notes couvrent pas mal de choses. La définition, l'histoire, le rapport à l'humain, les questions éthiques aussi. On va essayer de dégager les grandes lignes, les auteurs clés.
- Speaker #0
Parfait. Alors, commençons par la base. Qu'est-ce que c'est la technique ? Et est-ce que c'est vraiment que pour nous, les humains ?
- Speaker #1
Le mot vient du grec « techné » , « art » , « savoir-faire » . Oui, c'est ça. La langue la définit comme un ensemble de procédés transmis socialement pour transformer le réel, avec un but utile en principe. On distingue souvent l'outil, prolongement de la main, de la machine, plus autonome, et aussi de la science. La technique applique, la science connaît.
- Speaker #0
D'accord. Et cette spécificité humaine alors ?
- Speaker #1
Le mythe de Prométhée chez Platon est souvent cité.
- Speaker #0
Tout à fait. Prométhée nous donne la technique, le feu, les arts, parce qu'on était un peu démunis au départ. C'est une sorte de compensation. Mais Platon ajoute que ça ne suffit pas. Il faut ensuite l'intervention de Zeus avec la pudeur et la justice pour créer la vie politique. La technique seule ne garantit pas l'ordre social.
- Speaker #1
C'est intéressant cette ambivalence dès le départ. Et d'autres auteurs insistent là-dessus. Ah oui ! Aristote, par exemple, met en avant la main humaine, un outil incroyable, polyvalent au service de l'intelligence. Et puis Bergson, lui, va plus loin.
- Speaker #0
L'homophabèque.
- Speaker #1
Exactement. L'homme fabricant d'outils qui précèderait même l'homo sapiens. Pour Bergson, notre intelligence est fondamentalement pratique, orientée vers l'action et la fabrication.
- Speaker #0
Et Marx, il apporte quoi à cette définition ? Il compare l'architecte et l'abeille, je crois ?
- Speaker #1
C'est ça. La différence clé pour Marx... c'est la conscience. L'architecte a une idée, un plan, avant de construire. L'abeille agit par instinct. Cette capacité à se projeter, à concevoir un but avant de réaliser, c'est ça le propre du travail humain et donc de la technique humaine.
- Speaker #0
Même si, bon, on sait maintenant que des animaux utilisent des outils.
- Speaker #1
Oui, oui, l'éthologie a montré des choses fascinantes chez les champanzés, les corbeaux, il y a transmission de savoir-faire. Mais la différence reste sans doute dans la complexité. la conceptualisation, la capacité à créer des systèmes techniques, des outils pour faire d'autres outils, comme disait Bergson. C'est une bonne base pour une première partie, ça. Définir et questionner cette spécificité.
- Speaker #0
Très clair. Passons à un deuxième axe possible. Une tension classique. La technique, est-ce qu'elle nous libère ou est-ce qu'elle nous asservit ? Descartes semblait plutôt optimiste, non ? Avec son idée de se rendre comme maître et possesseur de la nature ?
- Speaker #1
Oui. Au XVIIe siècle, c'est la grande promesse. Le com' d'ailleurs est important chez Descartes. Il ne s'agit pas forcément d'une domination brutale, mais de comprendre les lois de la nature pour améliorer notre vie. La santé, le confort, réduire la pénibilité du travail. C'est l'aspect libérateur. Aux capacités physiques. Et puis, bien sûr, avec la révolution industrielle, la critique devient beaucoup plus forte.
- Speaker #0
On pense à Marx et à l'aliénation, évidemment. L'ouvrier qui devient un rouage de la machine.
- Speaker #1
Oui, l'image des temps modernes de Chaplin est parlante. L'homme au service de la machine et non l'invente. Hannah Arendt analyse très bien ce renversement. L'outil prolongeait le geste humain, la machine impose son rythme à l'homme.
- Speaker #0
Et certains craignent même un appauvrissement intellectuel, le roi Gourand par exemple.
- Speaker #1
Oui, si la machine remplace trop la main, qui est liée à l'intelligence selon lui. Ça rejoint un peu l'idée de Günther Anders et sa honte prométhéenne. On serait devenu honteux de notre propre imperfection face à la perfection de nos machines.
- Speaker #0
Et il y a Heidegger aussi, avec une critique encore plus... plus radical, non ? L'arraisonnement. Gestelle.
- Speaker #1
C'est une notion complexe mais essentielle chez lui. Pour Heidegger, la technique moderne n'est pas juste un ensemble d'outils. C'est devenu une façon de voir le monde entier. Y compris l'homme lui-même. Comme un simple stock disponible. Une ressource à exploiter, à arraisonner. Une vision purement utilitariste qui, selon lui, menace notre rapport au monde, notre capacité à penser autrement, et peut avoir des conséquences terribles.
- Speaker #0
Il fait un lien avec les camps d'extermination, c'est ça ?
- Speaker #1
Oui, il y voit une manifestation extrême de cette logique technicienne, appliquée à l'humain. C'est très controversé, mais ça souligne la radicalité de sa critique. Et dans une veine un peu différente, Jacques Ellul parle du système technicien.
- Speaker #0
C'est-à-dire ?
- Speaker #1
Une sorte de logique interne au développement technique qui s'auto-alimente, qui recherche l'efficacité pour l'efficacité, et qui échappe de plus en plus au contrôle humain. On passerait d'un environnement naturel à un environnement entièrement technique. Donc cette dialectique libération-asservissement, c'est vraiment un axe majeur pour une dissertation.
- Speaker #0
D'accord. Et ça nous mène logiquement à un troisième axe. peut-être le plus actuel, les enjeux éthiques. Faut-il limiter la technique ? On a l'impression que parfois ça va trop vite.
- Speaker #1
C'est exactement ça. La technique ouvre des possibilités immenses, bonnes ou mauvaises. Mais la réflexion sur les finalités, sur ce qui est souhaitable, elle peine à suivre. C'est un peu l'idée derrière la loi de Gabor. Tout ce qui est techniquement faisable sera fait.
- Speaker #0
Ça fait un peu peur, dit comme ça. Ça suggère qu'on ne se pose même plus la question du faut-il le faire ?
- Speaker #1
Disons que ça pointe un risque. Le risque d'une sorte fuite en avant technologique où la possibilité technique devient la seule justification. On le voit bien dans les débats sur l'intelligence artificielle, les GAFAM ou le transhumanisme.
- Speaker #0
Justement le transhumanisme, avec cette idée d'augmenter l'homme.
- Speaker #1
Oui, par la pharmacologie, la génétique, les implants. Ça soulève d'énormes questions éthiques. Le risque de créer de nouvelles inégalités, de dérives eugénistes, le film Gataca l'illustrait bien. Et puis, comme le remarque le philosophe Janet Courany, on se focalise sur l'augmentation des capacités, mais très peu sur l'amélioration morale.
- Speaker #0
Alors face à ça, que proposent les philosophes ? Il y a des appels à la responsabilité.
- Speaker #1
Heureusement, oui. Bergson, déjà dans les années 30, sentait un déséquilibre. Il disait que notre corps, agrandi par la technique, était devenu trop grand pour notre âme. Il fallait un supplément d'âme.
- Speaker #0
Un supplément d'âme, c'est une belle formule.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et plus récemment, Hans Jonas… a développé ce qu'il appelle le « principe responsabilité » . C'est une éthique tournée vers l'avenir. L'idée, c'est qu'on a une nouvelle responsabilité, celle de préserver les conditions d'une vie authentiquement humaine sur Terre pour les générations futures.
- Speaker #1
Donc un nouvel impératif moral.
- Speaker #0
Exactement. Il le formule ainsi « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur Terre » . C'est une éthique qui prend en compte la puissance inédite de notre technique et ses conséquences potentiellement irréversibles sur la nature et l'humanité. C'est une piste très forte pour une troisième partie, la question des fins, des limites, de la responsabilité. Parfait. Donc si on récapitule, pour structurer une dissertation, on a la définition et la nature de la technique, est-ce spécifiquement humain, puis la grande tension entre libération et aliénation, et enfin les enjeux. éthique et la question de la responsabilité face à notre propre puissance. C'est ça ?
- Speaker #1
C'est tout à fait ça. Ces trois axes permettent de problématiser la question et de montrer l'ambivalence fondamentale de la technique. Elle n'est ni neutre, ni juste un outil. Elle nous transforme.
- Speaker #0
Elle révèle ce que nous sommes et ce que nous choisissons d'être.
- Speaker #1
Précisément.
- Speaker #0
Et pour finir, une dernière pensée, peut-être pour ouvrir la réflexion. Si cette loi de Gabor est juste, si tout ce qui est faisable finit par être fait, alors la question la plus pressante... n'est plus « que peut-on faire ? » mais plutôt « que doit-on faire ? » Et comment on cultive ce fameux supplément d'âme dont parlait Bergson pour guider cette puissance ?
- Speaker #1
C'est la question essentielle en effet. Une question qui reste largement ouverte.