- Speaker #0
Bonjour. Alors aujourd'hui, on se penche sur les tout premiers poèmes d'Arthur Rimbaud. On a comme base une série de fiches d'analyse, très synthétiques. Oui,
- Speaker #1
bonjour. Elles couvrent quand même 22 poèmes de jeunesse, c'est assez riche.
- Speaker #0
Exactement. Et notre but, c'est un peu de, disons, de capter l'énergie de cette période, voir comment ces thèmes fétiches émergent, son style aussi, et surtout cette fameuse quête d'émancipation qui semble travailler dès le départ.
- Speaker #1
C'est ça. Et ces notes, elles nous offrent vraiment une... plongée fascinante dans l'atelier du jeune Rimbaud. Ce qui frappe tout de suite, je trouve, c'est une sorte de tension.
- Speaker #0
Ah oui ? Laquelle ?
- Speaker #1
Il explore les désirs adolescents, on le voit bien dans Première soirée ou Roman, mais les notes insistent sur une ironie déjà là, une distance.
- Speaker #0
D'accord, donc ce n'est pas juste de la romance un peu naïve. Non,
- Speaker #1
pas seulement. Il y a déjà autre chose, une forme de regard critique peut-être.
- Speaker #0
Intéressant, cette ironie sitôt. Mais… Ce qui ressort aussi très fort, c'est l'importance de la nature, de l'évasion, de la fugue.
- Speaker #1
Ah oui, complètement.
- Speaker #0
Dans « Sensation » ou « Ma Bohème » , c'est plus qu'un simple décor, non ? On a l'impression que c'est une vraie recherche de liberté, très physique même.
- Speaker #1
Exactement. La nature, l'errance, ce sont ces premiers espaces de liberté, un moyen d'échapper au carcan de Charleville, j'imagine. « Ma Bohème » , c'est vraiment l'image de l'antipoète, pieds nus, créatif, mais dans le dénuement le plus total. Et puis les haltes. comme au cabaret vert ou la maligne. Elle montre cette même recherche d'une vie plus simple, plus authentique, loin des conventions bourgeoises. C'est une émancipation par le corps, par le mouvement en fait.
- Speaker #0
Sonel, elle glisse assez vite vers une critique sociale assez féroce. Les notes insistent là-dessus.
- Speaker #1
Oui, la critique devient même virulente. À la musique par exemple, c'est une charge contre les bourgeois de sa ville. C'est presque une caricature. Balle dépendue, il utilise le macabre pour se moquer. C'est vraiment une attaque systématique contre ce milieu qui trouve étriqué, hypocrite.
- Speaker #0
Et ça ne vise pas que la bourgeoisie, si je lis bien.
- Speaker #1
Non, loin de là. La religion et le pouvoir en prennent aussi pour leur grade. Le châtiment de Tartuffe, rien que le titre.
- Speaker #0
Oui, ça annonce la couleur.
- Speaker #1
C'est une charge terrible. Un sonnet qui dénonce l'imposture religieuse avec une image finale très, très crue. Ça défie vraiment la morale de l'époque.
- Speaker #0
Et les effarés aussi, ce poème est terrible.
- Speaker #1
Oui, avec ses enfants pauvres devant le soupirail du boulanger. Ça lie la misère sociale et l'indifférence, peut-être même l'hypocrisie religieuse. Et puis la critique s'étend aux politiques, mort de 92.
- Speaker #0
Il questionne la révolution, c'est ça ?
- Speaker #1
Oui, ou plutôt la récupération des idéaux révolutionnaires. Et rage de César, qui ridiculise Napoléon III.
- Speaker #0
Et la guerre, évidemment. Un thème tragiquement présent pour lui à ce moment-là.
- Speaker #1
Absolument. L'horreur, l'absurdité de la guerre éclate dans l'éclatante victoire de sa rebruque, qui est très ironique, ou le mal, et bien sûr la chute. terrible du Dormeur du Val.
- Speaker #0
Ah oui, ce poème est saisissant.
- Speaker #1
Très marquant. Un tableau presque idyllique, comme ça, et puis hop, le dernier vers révèle la mort brutale. C'est une dénonciation très forte de la réalité cachée derrière les discours héroïques.
- Speaker #0
On voit donc se dessiner une posture de révolte quasi totale. Et comment ça se traduit dans sa vision du poète lui-même ?
- Speaker #1
Les notes parlent du forgeron d'Ophélie.
- Speaker #0
Le forgeron, c'est presque un manifeste en fait. Il donne la parole au peuple révolté, il rejette l'ordre établi. C'est une figure de poète quasi-prométhéen qui veut changer le monde par le verbe. Même Ophélie, qui est une figure romantique par excellence, elle devient chez lui une image de cette quête éperdue de liberté, mais avec une inquiétude face à l'inconnu. Et cette révolte, elle infuse aussi sa manière même d'écrire.
- Speaker #1
C'est-à-dire ?
- Speaker #0
Il ne se contente pas de critiquer par les thèmes, il s'attaque aussi à la poésie elle-même.
- Speaker #1
Tout à fait. C'est ça qui est fort. Il rejette les conventions morales d'En soleil et chair, où il rêve d'un paganisme sensuel presque antique. Oui. Il dynamite les canons esthétiques avec Vénus anadiomène. C'est ce qu'on appelle un contre-blason. Au lieu de faire l'éloge de la beauté, il décrit une Vénus, triviale, presque laide, qui sort de sa baignoire. C'est une provocation, anti-bourgeois jusque dans l'image.
- Speaker #0
Provocateur, oui, le mot est juste.
- Speaker #1
Et formellement, il joue avec le sonnet. Il le tord un peu dans tous les sens. Il utilise un langage parlé, parfois cru, comme dans Au cabaret vert.
- Speaker #0
Bon, alors, si on essaye de faire une petite synthèse. Ses premiers poèmes montrent déjà une énergie assez folle, une tension constante entre un certain lyrisme, parfois, et une ironie corrosive.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
Et partout, cette obsession de l'émancipation. Fuir, critiquer, provoquer.
- Speaker #1
Oui, émancipation sous... toutes ses formes, sensuelles, politiques, spirituelles et bien sûr, poétiques.
- Speaker #0
Il attaque les institutions, l'église, l'État, l'armée, la bourgeoisie, mais aussi les codes de la poésie de son temps.
- Speaker #1
Les notes montrent bien cette diversité incroyable des formes, des tons.
- Speaker #0
Ça va du badinage à la satire la plus féroce.
- Speaker #1
C'est comme un laboratoire en fait. Ils testent toutes les formes de rébellion possibles.
- Speaker #0
Le fil conducteur finalement, c'est ce rejet radical des normes. Et ce qui est fou, c'est la maîtrise technique qu'il a déjà, si jeune.
- Speaker #1
Précisément, c'est cette précocité dans la rupture, dans la maîtrise, qui continue de nous fasciner aujourd'hui.
- Speaker #0
Alors, pour finir, une question qui me vient là, si ces tout débuts montrent une telle volonté de... de tout casser, les limites sociales, morales, poétiques. Comment ça annonce la suite de son parcours, si bref mais si intense ? Et qu'est-ce que cette fulgurance nous dit sur ce que c'était, pour lui, l'acte d'écrire à ce moment précis de sa vie ? Vaste question, hein ? Oui.
- Speaker #1
De quoi continuer à y réfléchir longtemps.