Speaker #0Il y a des histoires qui s'installent en nous, comme des ombres discrètes, confortables, qui ne cherchent pas à déranger. Et il y a d'autres histoires, comme celles des biens qui s'enracinent dans la terre, dans le vin et dans les promesses anciennes. Ces histoires-là ne meurent jamais. Elles s'accrochent à ceux qui les portent et aux générations suivantes qui, souvent malgré elles, doivent dénouer leur fil en mêlée. Ce soir, en ouvrant le journal de leur arrière-grand-mère, Clélia et Julia s'apprêtent à réveiller un passé qui refuse de rester enterré. La nuit est tombée sur le domaine. Une lampe éclaire l'ancienne chambre de Marco, où Julia, sa fille, tourne délicatement les pages du lieu journal de sa grand-mère. traduisant à mi-voix, tandis que Clélia examine la clé ancienne, laissée par leur père, cherchant un indice sur ce qu'elle pourrait ouvrir. Tu crois qu'on va trouver des réponses ici ? demande Clélia, faisant tourner la clé entre ses doigts. Des réponses, peut-être, mais surtout des questions qu'on ne se posait pas, murmure Julia, absorbée par l'écriture cursive sur le papier jaunie. Elle s'arrête soudain. Sur une page, datée de 1916. Écoute ça. Les Dolomites sont impitoyables en hiver. La guerre les rend plus cruelles encore. Elles ne pardonnent ni les hommes, ni leur folie. Cette nuit, mon Giancarlo a failli mourir dans ces montagnes. Un mara breton l'a trouvé, à moitié gelé, alors que sa patrouille avait été décimée. Yann, c'est son nom. Yann, murmure Clélia. Ce prénom me dit quelque chose. Yulia poursuit sa lecture. Pendant deux jours, ils sont restés cachés dans une cabane de bergers. L'ennemi n'était plus les hommes, mais le froid et la mort. Yann portait sur lui quelque chose d'étrange. Une algue ramenée de sa terre bretonne. Il disait que sa femme lui avait confié avant son départ que c'était un remède plus ancien que la guerre elle-même. Je ne comprenais pas, écrit Clélia Antonia, comment une plante de mer pouvait survivre dans ces montagnes. Mais j'ai vu la blessure de Giancarlo guérir. J'ai vu la vie revenir. Avant de partir, Yann lui a laissé un peu de cette algue. C'est une dette que je te paie, a-t-il dit. Mais c'est toi qui portera son poids. Julia tourne la page. Un dessin délicat d'algues est entrelacé avec une branche de vines. Regarde les notes ici dit-elle en montrant des annotations dans la marge. Elles parlent d'expérience dans le ché. Ils ont commencé à mélanger l'algue avec certains cépages. Les deux sœurs se figent. Julia continue plus bas. Le vin réagissait étrangement, comme s'il gagnait en force vitale. Mais l'équilibre était crucial. Trop concentré, il devenait poison. Trop dilué, il perdait ses vertus. Clelia chuchote. Il remet Diodelmar et... Ce n'est pas une légende. Il y a d'autres notes, murmure Julia, ses doigts suivant des lignes à l'encre délavées. Mais il y avait un prix impayé. Dans le village, nos voisins ont commencé à parler. Ils voyaient les visites nocturnes dans le chai, entendaient les rumeurs sur mes plantes. Bientôt, ils ne m'appelaient plus que Strega, sorcière. Elia remarque des annotations plus récentes dans les marges, une écriture nerveuse à l'encre rouge. Contre nature, hérésie, le mal s'infiltre dans les vignes. Qui a écrit ça ? Julia tourne encore quelques pages. Attends, écoute. Mais quand leurs enfants tombaient malades, ils venaient quand même. Ils frappaient à notre porte la nuit, honteux mais désespérés. Le vin les guérissait. Pourtant leur peur grandissait avec chaque guérison. Julia reprend. Elle parle d'une attaque, d'un incendie. Une nuit, ils sont venus. Ils avaient peur de ce qu'ils ne comprenaient pas. Ils ont dit que mes plantes empoisonnaient les terres, que notre vin portait un maléfice. Ils ont incendié une partie du chai. Jeanne Carnot a voulu se battre, mais je l'en ai empêchée. Je lui ai dit, ce n'est pas le moment de nous battre avec eux, il faut protéger ce que nous avons créé. Lélia murmure. Elle a tout perdu cette nuit-là. Julia lui répond. Non. Elle a caché leurs recherches, leurs carnets, tout ce qu'ils avaient trouvé. C'est ce qu'elle écrit ici. Nous avons enterré les bouteilles dans la cave et scellé le laboratoire. J'ai juré que cet héritage ne tomberait pas entre de mauvaises mains. C'est une promesse que j'ai faite à mes enfants et à ceux qui viendront après eux. Les deux jeunes femmes se regardent. Il manque des pages, remarque Lélia. Comme si quelqu'un les avait... Roberto entre brusquement dans la chambre. Vous cherchez quoi exactement ? Lélia et Julia se figent, refermant précipitamment le journal. Roberto et Alberto avancent, leur regard emprunt de tension. Ce journal ne vous apportera rien de bon. Refermez-le et oubliez tout ça. leur intime Roberto. Clelia le défie du regard. Nous voulons comprendre pourquoi papa est parti. Et vous deux, pourquoi avez-vous si peur de ce que contient ce journal ? Vous savez certainement quelque chose que nous ignorons. Alberto lui répond d'un ton là. Ce journal est une clé. Mais une clé qui ouvre une boîte de Pandore. Ses secrets ont détruit notre famille plusieurs fois. Ne les laissez pas recommencer. Elena nous attend pour dîner, ou Proberto. Puis, après une hésitation, il leur annonce. D'ailleurs, elle a invité Gabrielle ce soir. Gabrielle ? demande Julia. Oui, Gabrielle est un vieil ami de Marco, répond Roberto. Ils étaient inséparables, à l'époque, avant tout ça. Il pourra vous parler de lui certainement mieux que nous. Dans cette chambre baignée d'ombre, Clélia et Julia ont commencé à lever le voile sur une histoire qui les dépasse. Mais les secrets ne se contentent pas d'être révélés. Ils réclament qu'on les porte, qu'on les accepte, qu'on les combatte. Tandis que le vent hurle dehors, les sœurs prennent conscience qu'elles ont une verre, une berriche dans le passé. Et le passé, quand il surgit, ne repart jamais les mains vides. Alors... La peur de l'inconnu est-elle plus dangereuse que l'inconnu lui-même ?