Speaker #0Dans les histoires, il y a toujours un moment où les pièces du puzzle commencent enfin à s'assembler. Non pas parce qu'on découvre de nouvelles informations, mais parce qu'on apprend enfin à regarder différemment ce qu'on avait sous les yeux depuis le début. Il y a quelque chose qui ne colle pas dit soudain Clélia, levant les yeux décarnés. On a toutes les pièces, mais l'image reste floue. Ou, disons plutôt qu'il manque des éléments. Elena. Maman. Vous n'avez pas encore tout dit. Pourquoi ne parlez-vous pas d'Alberto ? Quel est son lien avec le vin ? Et avec Maria ? Et papa ? Fuir ? Cela ne lui ressemble vraiment pas. Elena se dirige vers un buffet en bois sombre et en sort une bouteille de grappa et quatre petits verres. Ses gestes sont précis, presque rituels. Si vous voulez tout savoir, dit-elle en servant quatre verres, alors on va avoir besoin d'un remontant. Plus de secret insiste Clélia, acceptant son verre. Ses doigts tremblent, légèrement, comme ceux de son père quand il est nerveux, pense Hélène. Plus de demi-vérité. L'histoire complète ajoute Julia, même si elle fait mal Hélène apprend une profonde inspiration. Alors complétons le tableau. Maria, comme je vous l'ai dit plus tôt, était la sœur cadette de votre arrière-grand-père Giancarlo. Il faut que vous compreniez que l'histoire de cette famille n'est pas linéaire. Maria, la petite sœur de Giancarlo, avait 20 ans de moins que lui. Elle était, disons, un esprit libre pour l'époque. Et cela ne plaisait pas par ici. Alors qu'elle avait 20 ans, elle est tombée amoureuse. Et elle a fait le choix interdit. C'est ce qui arrive d'ailleurs quand on cache des secrets. Elle est tombée amoureuse de Luigi, le fils d'Edouardo, le même homme. qui avait dénoncé Giancarlo pendant la Première Guerre mondiale. Ils étaient fous amoureux, et ils ne savaient pas encore que c'était une histoire d'amour impossible entre deux familles et ennemies. Et un enfant est arrivé plaît Helena. Alberto, votre grand-père. Quoi ? Clea s'agrippe au bord de la table. Le choc la fait vaciller. Yulia porte une main à sa bouche, ses yeux s'écarquillant sous la révélation. Notre grand-père est le fils de Maria ? souffle Yulia, stupéfaite. Elena hoche la tête. Quand Maria a su qu'elle était enceinte, elle s'est confiée à Giancarlo. Et là, il lui a dit pour Eduardo. Et quand Maria a appris pour la trahison, elle a décidé de quitter Luigi. Elle était inconsolable. Elle a demandé à Giancarlo d'adapter l'enfant, de le chérir, de le protéger, pour éviter absolument de remettre le fait aux poudres entre les deux familles. Et elle s'est infligée sa propre punition. Elle est partie dans un couvent et elle a consacré sa vie à s'occuper des orphelins et des enfants abandonnés. Mais, dit Clélia, alors... Il y a encore une pièce qui lui échappe. Elena ne lui laisse pas le temps de réfléchir. Votre grand-père Alberto n'a jamais vraiment trouvé sa place, exactement comme votre père plus tard avec lui. Les mêmes schémas, les mêmes blessures qui se répètent de génération en génération. Ses parents adoptifs, nos grands-parents, Giancarlo et Antonia Clella, étaient obsédés par leur recherche, le domaine, les secrets du vin médicinal. Elle marqua une pause, son regard se perdant dans les flammes. Après l'adoption, Giancarlo et Clelia Antonia ont eu trois filles. Ils ont continué leur recherche, discrètement. Et là, la seconde guerre mondiale est arrivée. Ça a tout ravivé, tout réaccéléré. Ils ont tout fait pour sauver un maximum de gens, certainement au détriment du temps passé avec leurs enfants. Et puis un soir, les villageois, ils ont mis le feu au ché quand Giancarlo a refusé de soigner certaines personnes. Une des sœurs d'Alberto est morte dans les flammes. Alberto et ses deux autres sœurs ont été traumatisés. À partir de ce moment-là, Alberto a toujours refusé de reprendre le flambeau. Pour lui, c'était une malédiction. Et ses deux sœurs, celles qui ont survécu, elles ont quitté le village dès qu'elles ont été en âge de se marier, et elles ne sont jamais revenues. Et puis il y a eu ce que Marco a fait, ajoute Nolwenn doucement. Oui, parce qu'après la guerre, en souterrain, les recherches ont continué. Personne n'était au courant, à part vos arrière-grands-parents. Et puis, Marco, il y a été introduit, car il passait tout son temps avec eux, délaissé par ses propres parents, et il a gardé le secret jusqu'à ce fameux jour, en 1975. Le vin médicinal, reprend Elena, il faut que vous compreniez exactement son fonctionnement et son prix. L'algue bretonne possède un pouvoir naturel de régénération, lié à sa capacité de survie dans des conditions extrêmes. Les vignes des biens inqui, elles, concentrent la force vitale du terroir. Mais pour que la guérison opère, le guérisseur doit donner sa propre force vitale. Elle pose son verre, son visage soudain grave. Chaque fois qu'on utilise le vin, une partie de notre énergie vitale est consommée. C'est comme donner son propre sang. Trop donner peut être fatal. Mais il y a plus grave encore, continue le Luen. La maladie héréditaire, qui court dans la famille de Maria, votre famille, crée comme un réservoir qui fuit. La force vitale s'échappe naturellement plus vite. Et quand on utilise le vin sur quelqu'un qui porte cette maladie, ça crée un effet de court-circuit, complète Elena. Le remède tente d'insuffler de la force vitale, mais leur sang défectueux ne peut pas la retenir. Cela crée une réaction en chaîne qui accélère la perte de la propre force vitale et épuise dangereusement le guérisseur. C'est comme verser de l'eau dans un vase percé. Non seulement l'eau s'échappe, mais elle fragilise encore plus le vase. C'est ce qui s'est passé avec papa quand il a voulu sauver Maria, murmure Clélia. Les pièces s'assemblent enfin dans son esprit. Elle reconnaît maintenant dans les actes de son père, le même désir désespéré de prouver sa valeur, de se racheter. Désir qu'elle a toujours ressenti elle-même. Oui, confirme Nolwenn, quand il a découvert que Maria, qu'il adorait, diminuait de plus en plus, il a voulu la sauver. Contre tous les avertissements de Giancarlo, il pensait pouvoir réussir là où les autres avaient échoué. Après la mort de Giancarlo, le départ de Marco et le refus d'Alberto de continuer, il a fallu penser à la relève, continue Elena. Clélia Antonia a poursuivi les recherches. Elle m'a trouvée, elle est venue me voir, elle m'a formée. C'est la même chose chez les Lebrases. Le secret de guérison s'est perpétué via les femmes. Nous attendions juste le bon moment, la bonne génération. Votre père ne s'est pas enfui. Il ne se cache pas. Poursuit Nolwenn, sa voix tremblante. Depuis des années, depuis toujours, il cherche à comprendre. Et il s'est juré qu'il ne reviendrait que quand il aurait trouvé la solution. Mais maintenant, il est revenu, dit Clelia. Pour essayer encore ? Non, répond Elena fermement. Il est revenu parce qu'il a enfin compris qu'il y avait encore un mystère à découvrir, que le problème n'était pas le vin, mais qui est la manière dont on l'utilisait. Il cherche, il cherche pour sauver Alberto, et pour mettre fin à cette guerre intestine. Clélia se lève brusquement. Les yeux brillants de compréhension. Les carnets, les lettres, les indices dans le laboratoire secret. Tout converge vers un point. Papa est au ché, à l'ancien ché, le ché secret, n'est-ce pas ? C'est là qu'il cherche des réponses. Elena et Nolwenn échangent un regard. Oui, confirme-t-elle. On doit le rejoindre. Maintenant, dit Clélia avec une certitude nouvelle. Je pense que j'ai compris ce qui manquait jusqu'à présent. Alors, quand la vérité se révèle fragment par fragment, comment savoir si nous sommes prêts à emporter le poids ? Je te retrouve dans la newsletter du jour et je te dis à demain pour la suite de la saga.