Speaker #2Bonjour. Ce que vous entendez là, c'est le doux bruit d'une motion de rejet préalable, une MRP. Précisément, celle votée le 26 mai dernier à l'Assemblée nationale sur le texte dit « loi Duplon » . texte qui vise à réautoriser les néonicotinoïdes, à faciliter la construction de fermusines et de mégabacines ou encore à réduire les pouvoirs de l'Office français de la biodiversité. L'Assemblée a donc rejeté avant l'examen en séance cette loi du plomb. Mais là, ce qui est insolite, c'est que cette motion de rejet préalable a été déposée par le rapporteur même du texte. Le socle commun, c'est-à-dire les soutiens du gouvernement favorables à la proposition de loi, a donc fini par décider de rejeter son propre texte. Il s'agit, en apparence, d'un sabordage. C'est en fait un détournement de procédure flagrant, un acte antiparlementaire, quelque chose qui vise fondamentalement à escamoter le débat à l'Assemblée nationale. Pour bien comprendre, repartons du début. Lorsqu'une loi est proposée, qu'elle soit d'initiative gouvernementale ou parlementaire, elle commence son parcours devant l'une des deux chambres, le Sénat ou l'Assemblée nationale. qui va examiner, amender, débattre et adopter ou non le texte, d'abord en commission, puis en séance. Le texte part ensuite dans l'autre chambre, laquelle recommence le même travail, c'est ce que l'on appelle la navette parlementaire. Ce ping-pong législatif peut durer un certain temps, et au bout de deux allers-retours, une commission mixte paritaire, une CMP, peut être réunie. Ce sont sept sénateurs et sept députés qui se retrouvent à huis clos pour essayer de dégager un compromis. Si les parlementaires se mettent d'accord sur un texte, celui-ci doit encore être voté conforme dans les deux chambres. En cas de désaccord, c'est l'Assemblée nationale qui a le dernier mot. Voilà pour la procédure classique. Mais avec l'article 45 alinéa 2 de la Constitution, le gouvernement peut décider d'engager une procédure accélérée pour adopter une loi. Cette procédure accélérée permet d'organiser une commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque chambre. Voyons maintenant. la motion de rejet préalable dite MRP. Elle est prévue à l'article 91 alinéa 5 du règlement de l'Assemblée nationale et rend possible le rejet d'un texte avant même qu'il ne soit discuté en séance publique à l'Assemblée. L'objet d'une MRP est d'écarter un texte parce qu'il serait inconstitutionnel ou parce qu'il n'y aurait pas lieu à délibérer. Vous remarquerez que ce deuxième critère est très large et permet de voter une MRP sur quasi l'ensemble des textes de manière tout à fait subjective en opportunité. l'objectif de cette procédure reste bel et bien l'interruption de l'examen du texte. En aucun cas, elle n'a été imaginée pour se passer du débat en séance. C'est par ailleurs un outil prévu pour être à la main des oppositions et non pas à la convenance de la majorité. Que se passe-t-il quand une motion de rejet préalable est adoptée ? Première hypothèse, le texte tombe aux oubliettes, il est définitivement écarté. Deuxième hypothèse, la navette parlementaire reprend et le texte repart Troisième hypothèse, le texte a déjà fait un aller-retour avant l'adoption de la motion de rejet préalable et le gouvernement peut alors convoquer une commission mixte paritaire. C'est là une hypothèse problématique et c'est précisément ce qu'il s'est passé avec la loi Duplon. La CMP s'est réunie et a adopté une version du texte sur la base de la rédaction du Sénat. Ce qui est problématique, c'est qu'en réalité c'est un abandon du terrain législatif par les députés au profit des sénateurs. La seule chambre qui aura débattu, c'est le Sénat. Ce sont pourtant les députés qui sont élus au suffrage universel direct et l'Assemblée nationale qui est censée avoir le dernier mot en cas de désaccord. Ce détournement de procédure pose deux questions de droit qui peuvent éventuellement nous laisser une porte de sortie. Le fait que le socle gouvernemental use de la MRP de cette manière pose à la fois un problème de sincérité des débats et la question du droit effectif d'amendement. Pour ce qui est de la sincérité des débats, si la question apparaît a priori évidente, ce sujet semble trop politique. pour le Conseil constitutionnel. Il ne s'est en effet jamais aventuré à tracer une limite entre débat sincère et débat insincère. Pour ce qui est de l'effectivité du droit d'amendement, en revanche, une porte est ouverte. Il y a un précédent, en 1986, dans lequel le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur une procédure équivalente au Sénat, mais pour laquelle il avait estimé qu'elle n'avait pas, en l'espèce, affecté la régularité de la procédure législative. Autrement dit, le Conseil... constitutionnelle n'avait pas relevé d'irrégularité, mais il se considère compétent pour contrôler la procédure parlementaire lorsque celle-ci affecte le parcours législatif. Il faut donc espérer que face à des détournements de procédures dangereux, le Conseil constitutionnel joue son rôle de garde-fou. Il faut bien comprendre que le risque de récidive est sérieux, il est réel et qu'il affaiblirait considérablement les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Aussi, j'appelle l'ensemble des députés à rejeter la loi Duplon, sur le fond comme sur la forme. Je vous remercie.