Speaker #0Bonjour, pour ce nouvel épisode, je souhaiterais vous parler d'une institution mal connue et pourtant essentielle, le Conseil constitutionnel. Au moment où trois sièges vont être renouvelés, dont la présidence, faisons le point. Le Conseil constitutionnel a été créé par la Constitution de 1958 et a beaucoup évolué depuis. Initialement, La création du Conseil reposait sur une intention simple, mettre fin à l'hégémonie du Parlement. Elle s'inscrivait dans le cadre de la rationalisation du parlementarisme. Michel Debré n'avait pas hésité à déclarer devant le Conseil d'État qu'avec le Conseil constitutionnel, la Constitution avait créé une arme contre la déviation du régime parlementaire. Dans cet esprit, les Constituants envisageaient le Conseil comme un organe permettant de faire respecter les dispositions constitutionnelles limitant le pouvoir du Parlement en l'espèce des dispositions de procédure. Il était notamment prévu qu'il devait obligatoirement être saisi de la conformité à la Constitution pour les lois organiques, soit celles qui complètent la Constitution, et des règlements des assemblées. En revanche, sa saisine pour les lois ordinaires était facultative. Il s'agissait alors d'un contrôle a priori. Ainsi, en 1958, les constituants n'avaient pas pensé le Conseil comme l'instrument d'un contrôle général de la constitutionnalité de tout. toutes les lois, sur le fond autant que sur la forme. Ils étaient même très hostiles à ce type de contrôle sur l'activité du législateur. De Gaulle avait ainsi déclaré qu'en France, la Cour suprême, c'est le peuple. Concrètement, le Conseil constitutionnel a vu son rôle évoluer et s'accroître en trois étapes. Première étape, la décision Liberté d'association du 16 juillet 1971. Elle opère une révolution, en rompant avec les principes traditionnels du droit français, en particulier la souveraineté de la loi. Pour exercer son contrôle sur une loi restreignant la liberté d'association, le Conseil s'est en effet référé au Préambule de 1958 et au texte auquel il renvoie, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de 1946. Par la suite s'est ajoutée en 2005 la Charte de l'environnement. Par cette démarche volontariste, le Conseil a étendu le champ de ses normes de référence en incluant tout un ensemble de dispositions de fonds protégeant les droits et libertés. Pour désigner l'ensemble des textes de valeur constitutionnelle désormais placés au sommet de l'ordre juridique, on utilise depuis cette époque la notion de bloc de constitutionnalité. Jusqu'en 1971, le Conseil vérifiait essentiellement la régularité externe de la loi contestée, respect de la procédure et de la répartition des compétences prévues par la Constitution. A partir de 1971, il s'est engagé dans la voie d'un contrôle interne qui porte sur le contenu de la loi. En s'assurant que la loi respecte les principes relatifs aux droits et libertés, le Conseil constitutionnel est devenu le gardien de ses droits et libertés contre la volonté immédiate du législateur. Or, comme les lois adoptées sont essentiellement à l'initiative du gouvernement et souvent voulues par le président de la République, le Conseil constitutionnel apparaît ainsi comme un nouveau contre-pouvoir à la volonté du couple exécutif-législatif. Deuxième étape, la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974 qui est venue étendre la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés. ou 60 sénateurs. Cette révision a modifié l'équilibre des pouvoirs en permettant l'accès du Conseil à l'opposition . Cela a poussé l'opposition à saisir systématiquement le Conseil constitutionnel des grands textes de la majorité afin d'essayer d'en obtenir la censure, au moins partielle. C'est vrai de la droite comme de la gauche. Enfin, troisième étape, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui est venue introduire un dispositif permettant un contrôle de constitutionnalité a posteriori. de la loi. Désormais, lorsqu'au cours d'un litige, une partie soutient qu'une disposition est contraire aux droits et libertés constitutionnelles, le Conseil peut être saisi par le Conseil d'État ou la Cour de cassation. Entrée en vigueur en 2010, ce mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité, la QPC, a connu un succès immédiat. Les justiciables, comme les praticiens du droit, s'en sont emparés pour en faire un outil de modification du droit. En mettant l'accent sur les droits et libertés constitutionnelles, la procédure de la QPC a mis au premier plan le rôle de protecteur des libertés du Conseil constitutionnel et a conduit à donner une visibilité accrue à l'institution qui a pris les atours d'une juridiction constitutionnelle. Vous l'aurez compris, au regard de son évolution, le Conseil a aujourd'hui un rôle clé dans la République pour garantir l'état de droit. De plus, il a un rôle de juge électoral et de veille des opérations de référendum. Une telle accumulation de prérogatives, toutes essentielles, pose nécessairement la question de sa composition. Le Conseil constitutionnel comprend 9 membres nommés, dont 3 par le Président de la République, 3 par le Président de l'Assemblée nationale et 3 par le Président du Sénat. Le renouvellement a lieu par tiers, tous les trois ans. Il faut ajouter que les anciens présidents de la République en sont membres de droit, ce qui est une anomalie, mais en pratique, aujourd'hui, aucun ne siège. Demeure néanmoins un problème. Les textes ne fixent aucune condition pour pouvoir nommer un membre. Les autorités de nomination ont donc totale liberté de choix. Cela pose une difficulté sur la politisation de l'institution, celle de son impartialité, et, in fine, sur sa légitimité. Depuis la révision de 2008, cependant, la nomination ne peut intervenir qu'après avis public de la commission permanente compétente dans chaque assemblée. Si les votes négatifs représentent une majorité qualifiée des 3 cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions des lois, du Sénat et de l'Assemblée nationale, la nomination ne peut avoir lieu. Ce filtre aurait pu laisser penser que ne seraient nommés que des personnalités incontestées, juristes, universitaires ou praticiens expérimentés. Pourtant, la proposition du président de la République de nommer Richard Ferrand à la... Cette présidence du Conseil constitutionnel, à la suite de Laurent Fabius, montre qu'il n'en est rien. Il n'est pas un jury, c'est un homme politique proche d'Emmanuel Macron, battu aux élections législatives de 2022. Cette proposition de nomination apparaît à bien des observateurs comme une forme de recasage tout à fait inopportun. Le président du Conseil constitutionnel, il faut le dire, joue un rôle considérable. Responsable de l'institution, il choisit le secrétaire général et propose sa nomination au président de la République. Il nomme trésorier et procède au recrutement du personnel. Chef de la juridiction, il désigne le rapporteur de chaque affaire, il convoque et préside les séances, sur l'ordre du jour de son choix et, en cas d'égalité des voix, sa voix est prépondérante. C'est dire si un haut degré de savoir juridique, d'impartialité et de capacité à prendre du recul est attendu. A l'évidence, Emmanuel Macron, par ce choix, abîme la fonction, autant qu'il confirme son manque de lucidité dans les nominations. Et ce, alors même que c'est une juridiction qui fait l'objet aujourd'hui de contestations de la part des adversaires de l'état de droit. Il est donc nécessaire de protéger son image. Concrètement, on peut se demander si demain, le Conseil constitutionnel osera, comme il le doit, contrôler le fait qu'un référendum voulu par le pouvoir exécutif soit bien dans le champ de l'article 11, ou encore s'il osera, comme la Constitution le prévoit, s'autosaisir au bout de 30 jours en cas d'usage des pouvoirs de crise prévus à l'article 16. Bref, vous l'avez compris, le Conseil constitutionnel est une institution fondamentale de l'état de droit et nous devons être particulièrement vigilants sur sa composition. A l'heure où les dérives autoritaires menacent, il faut pouvoir compter sur cette juridiction pour garantir les droits fondamentaux des citoyens. Je vous remercie.