#Jérémie IORDANOFFBonjour, dans ce premier épisode, je souhaiterais vous parler de la question de confiance, c'est-à-dire de l'engagement de la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale. Savoir si le Premier ministre et son gouvernement disposent ou non de la confiance des députés avant de commencer à dérouler son programme me semble être un élément fondamental que l'on a tendance à trop vite écarter de l'analyse pour comprendre la crise politique que traverse notre pays. À ce propos, il faut remonter à l'année 2022. Emmanuel Macron, réélu en avril dans un barrage contre Marine Le Pen, est aussitôt privé d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale lors des législatives de juin. La majorité présidentielle passe de 350 à 250 députés, sous le seuil de 289 que constitue une majorité absolue. Le président décide alors d'ignorer le résultat du scrutin et de continuer comme si de rien n'était. Il ne cherche pas à élargir sa majorité, et ses premiers ministres successifs ne se soumettent pas au vote de confiance. Inéluctablement, à défaut de majorité absolue, les budgets sont passés par 49-3, un mécanisme de législation forcée, déclenché de manière répétée et parfois en début d'examen des textes, faisant ainsi s'éteindre le débat dans l'hémicycle. Même la réforme des retraites, encapsulée dans un budget de la sécurité sociale rectificatif, a été passé par 49.3. Alors la grogne monte. Logiquement, la majorité présidentielle essuie un revers cinglant aux élections européennes de 2024. Fallait-il alors changer de méthode ? Que nenni Emmanuel Macron, lui, décide de changer l'Assemblée nationale. A la stupéfaction générale, il prononce la dissolution le 9 juin, au soir même des européennes. C'est un massacre. La dite majorité présidentielle perd encore 80 députés. Et sans les désistements réciproques avec la gauche dans les triangulaires au second tour et sans la forte mobilisation des électeurs pour éviter une victoire de l'extrême droite, cela aurait été pire encore. Fallait-il alors changer quelque chose ? Si peu, Emmanuel Macron fait l'alliance qu'il aurait dû faire deux ans plus tôt avec les Républicains, juste pour dépasser de quelques sièges la coalition du nouveau front populaire et puis c'est tout. Il ne cherche pas de majorité, il veut seulement un premier ministre qui ne soit pas censuré. par le Rassemblement National. Mais c'est raté, Michel Barnier tombe, au bout de seulement trois mois et huit jours. Fallait-il alors se remettre en question ? Accepter de ne plus être le chef de la majorité ? Accepter une forme de cohabitation ? Il faut croire que non, le président de la République nomme François Bayrou, avec la même coalition étriquée, le fameux socle commun et avec la même intention de ne pas froisser l'extrême droite. Nul ne connaît à cette heure l'avenir du gouvernement Bayrou. On peut toujours faire le pari d'une vraie négociation sur le budget et d'une forme de responsabilité pour deux des députés d'opposition pour son adoption, ou pas. Ce qui est certain, c'est que rien de satisfaisant et rien de stable ne peut sortir de tout ça. Depuis 2022, tous les gouvernements se sont affranchis du vote de confiance. Elle est là l'instabilité et nulle part ailleurs. Dans un régime parlementaire, il faut trouver à la chambre basse une majorité sur un programme. C'est une question de principe, et en l'absence du fait majoritaire, cela demande du temps et nécessite de faire des compromis. Nous en avons perdu l'habitude et c'est pourtant indispensable. Le régime parlementaire est né progressivement en Angleterre entre les XVIIIe et XIXe siècle lorsque des gouvernements n'étaient plus simplement nommés par le roi mais devaient obtenir, pour pouvoir gouverner, la confiance de l'assemblée élue au suffrage universel, la chambre des communes. C'est ce régime parlementaire que l'on a importé au XIXe siècle sous les chartes, et c'est encore ce régime qui a perduré en France depuis, sous les IIIe, IVe et Ve républiques. C'est vrai, sous la Ve, il y a un président qui prend trop de place. Mais c'est aussi parce qu'on la lui laisse. L'article 49 de la Constitution continue de prévoir que le gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale. Il y a trois alinéas dans cet article. Le fameux 49-3, je n'y reviens pas. Le 49-2, qui prévoit La censure spontanée du gouvernement, celle utilisée en 1962 pour faire tomber Pompidou. Et le 49.1 sur l'engagement par le Premier ministre de la responsabilité du gouvernement. Le pouvoir exécutif est bel et bien responsable devant le pouvoir législatif. Et c'est là le fondement de notre régime parlementaire fut-il présidentialiste. Revenons sur la confiance. L'article 49 alinéa 1er est écrit à l'indicatif. Il précise que le Premier ministre engage devant l'Assemblée nationale, la responsabilité du gouvernement. C'est très clair. Il est vrai que Georges Pompidou, en 1966, a inauguré une pratique contestable sur demande de Charles de Gaulle consistant à ne pas se soumettre au vote de confiance lors de l'entrée en fonction de son gouvernement. Le président voulait donner l'illusion que la légitimité du Premier ministre procède de lui-même et non de l'Assemblée nationale. Sous la Ve République, dix gouvernements se sont affranchis de ce mécanisme, dont trois successifs depuis 2022. Elisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier. Bientôt un quatrième, certainement, avec François Bayrou. Or, si l'on est bien dans un régime parlementaire et en l'absence de fait majoritaire, il n'est plus possible de procéder ainsi, sauf à rechercher l'affrontement avec l'Assemblée nationale, ce qui serait stérile, pour ne pas dire irresponsable, de la part du président de la République. La confiance ne se présume pas, particulièrement dans le contexte actuel, après que la majorité présidentielle a subi plusieurs revers électoraux et après la chute de Michel Barnier. Aujourd'hui, si le gouvernement ne fait pas la démonstration préalable qu'il dispose d'une majorité, ou à tout le moins qu'il n'existe pas de majorité pour le faire chuter, alors il sera à la merci d'une censure à tout moment. Rechercher la confiance des députés, c'est-à-dire négocier avec les groupes parlementaires un programme de gouvernement, ou à défaut un accord de non-censure si vraiment aucune coalition majoritaire n'est trouvable, devrait être une obligation pour tout Premier ministre. Il ne s'agit pas de contraindre inutilement le gouvernement, mais de s'assurer, avant de gouverner, qu'il n'y a pas une majorité contre lui. Il faut préciser que le vote de confiance se fait à la majorité relative, c'est-à-dire que la confiance peut être obtenue avec l'abstention d'une partie de l'hémicycle. C'est une modalité beaucoup plus souple que celle de la censure, qui requiert une majorité absolue, même pas des exprimés mais du nombre total de siège. Bref, la question de confiance est un point fondamental de nos institutions et aussi longtemps que sera ignorée la représentation nationale, telle qu'elle s'exprime à l'Assemblée, aucun gouvernement ne pourra tenir bien longtemps. Si nous voulons retrouver de la stabilité dans notre régime parlementaire, il faut donc contraindre le gouvernement à se soumettre au vote de confiance. Je vous remercie.