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Le Café de l'Ambition

Leadership militaire et Géopolitique: Le regard d'un Général

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1h27 |02/05/2024
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1h27 |02/05/2024
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Description

#3 Dans cet épisode captivant, nous accueillons le général Frédéric Gout, un leader au sein des armées françaises dont le parcours exemplaire allie engagement opérationnel et expertise géopolitique.


Rejoignez-nous pour une conversation inspirante où le général Gout partage sa vision du leadership dans un domaine réputé pour sa discipline et sa rigueur : les forces armées. À travers des anecdotes de vie et des réflexions personnelles, il offre un regard unique sur un monde en perpétuelle évolution.

Préparez-vous à être captivés par les leçons et les perspectives éclairantes de ce leader exceptionnel. Cet échange promet de vous immerger dans l'univers complexe mais fascinant du leadership militaire et de vous inspirer dans votre propre cheminement


Si cela vous a plus, n'hésitez pas a mettre 5 étoiles au podcast et à venir découvrir les backstages sur mes réseaux: https://linktr.ee/leCafedeLAmbition


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à tous sur le Café de l'Ambition, le podcast sur lequel nous discutons avec les leaders français d'aujourd'hui pour les leaders de demain. Hello à tous, on se retrouve pour le troisième épisode du Café de l'Ambition. Pour cet épisode, je serai accompagné d'une personne très différente des deux premières, dans un domaine qui est particulièrement reconnu pour sa discipline. Un domaine qui est très souvent revenu aussi lorsque je discutais avec mon entourage ou bien les premiers guests vis-à-vis de la personne qu'ils aimeraient entendre, on se retrouve avec le général Gou, général au sein de l'armée. Lors de notre échange, on a pu aborder sa carrière, ses engagements opérationnels et même parler géopolitique puisqu'il a eu une expérience au sein de l'OTAN qui est super intéressante. Avant que l'épisode commence, il y a une petite confidence à vous faire, le général a accepté de faire l'interview en uniforme. Et pour être totalement transparent, j'étais un peu impressionné au début. Vous l'entendrez très certainement au son de ma voix. Au passage, si vous voulez aller voir les backstage, n'hésitez pas à me follow sur Insta. Vous pouvez retrouver le lien dans la bio du podcast. Sur ce, je vous souhaite une excellente écoute.

  • Speaker #1

    Bonjour mon général, merci d'avoir accepté l'invitation. Première question, comment allez-vous ?

  • Speaker #2

    Écoutez, je vais très bien. L'année vient de débuter, donc on a beaucoup de défis devant nous. Probablement, bien sûr, quand on regarde le monde comme il est aujourd'hui. Donc je vais très bien et je pense qu'il faut aller bien pour être prêt à affronter tous ces défis.

  • Speaker #1

    Je me suis permis de vous contacter autour de l'armée, puisque vous êtes général au sein de l'armée de terre. Est-ce que vous pourriez présenter rapidement votre parcours ?

  • Speaker #2

    C'est un peu compliqué parce que c'est un parcours long de presque 35 années maintenant. Alors un parcours de militaire de façon un peu synthétique, d'abord ça commence par une envie, on va dire, qui s'est traduite par un lycée militaire, parce que j'ai commencé dans un lycée militaire. en classe de seconde, et puis ensuite ma vocation militaire a mûri, et je suis rentré en prépa pour faire Saint-Cyr. Donc quelques années qui m'ont permis de me dire quelle est ma vocation, est-ce que c'est bien ce métier que je veux faire, dans un environnement déjà militaire, sans l'être totalement, puisque ça dépend de l'éducation nationale aussi, et donc avec cette volonté de rentrer dans l'institution militaire. Saint-Cyr, et puis à la sortie de Saint-Cyr, une vraie première question. quelle arme, dans quelle discipline ou dans quelle spécialité je veux servir. Un peu par hasard au départ, ce n'était pas mon premier choix, j'ai vu des hélicoptères de combat et évidemment ça m'a attiré. Et je suis rentré dans cette spécialité des hélicoptères de combat où j'ai fait toute ma carrière opérationnelle. En fait, quand on rentre dans l'armée, quand on est jeune lieutenant, on sortit d'un cirque, on va commencer par piloter un hélicoptère. Puis ensuite, on va en commander trois. Et puis progressivement, on va vous en confier dix, une escadrille. Et puis plus tard dans votre carrière, on vous proposera d'être le chef des opérations et de l'instruction d'un régiment. C'est une soixantaine d'hélicoptères en théorie. Puis encore un peu plus tard, lorsque je passe général, donc là je commence à avoir pas mal d'ancienneté, eh bien je commande la brigade des hélicoptères de combat. C'est la brigade de l'aérocombat qui regroupe les régiments d'hélicoptères de combat de l'armée de terre. Donc vous voyez, c'est tout à fait progressif, c'est-à-dire que les responsabilités sont... confier petit à petit, lorsque vous prenez de l'expérience, et que finalement, assez facilement, vous voyez tout à fait bien la tête d'une unité un peu plus grosse. Ça, c'est pour la partie opérationnelle. Et puis ensuite, il y a tout ce que l'on fait autour, puisque dans une carrière militaire, on ne fait pas que de l'opérationnel. Et donc, en fait, c'est un peu en fonction de ce que vous souhaitez faire. Il y a un dialogue toujours avec notre DRH. Et moi, j'ai souhaité faire, par exemple, des relations internationales. Donc on m'a donné la possibilité de faire une mobilité externe au ministère des Affaires étrangères à cette époque-là. Donc j'ai été à la direction des Nations unies et des organisations internationales pendant deux ans. J'avais vraiment le poste d'un jeune diplomate, on va dire, en civil pendant deux ans, avec toujours mon statut de militaire, mais vraiment pleinement intégré dans un autre ministère. Et puis dans ma carrière, j'ai fait d'autres choses aussi, bien sûr. J'ai notamment servi à l'OTAN. Dans l'organisation du traité de l'Atlantique Nord, où j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Alors cette autorité-là, c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN, en réalité. Donc c'est trois années extraordinaires pendant lesquelles on accompagne ce grand chef militaire dans tout ce qu'il fait dans sa vie quotidienne, puisque quand on est son assistant, on est vraiment proche de lui. Donc ça, c'est très intéressant. C'était tout à fait logique avec... que j'avais commencé à faire au Quai d'Orsay, dans les relations internationales. Et puis après, il y a plein d'autres choses que l'on vous propose aussi dans le courant de votre carrière. Donc par exemple, je donne un exemple, je suis allé à l'état-major des armées, parce qu'il faut diversifier en fait son parcours. On ne peut pas tout faire que dans l'armée de terre, tout faire que dans sa spécialité. Donc à l'état-major des armées, j'étais dans un bureau où notamment j'étais en charge des relations avec le Parlement. Donc les relations entre l'état-major des armées, le chef d'état-major des armées, et puis le Parlement, Assemblée nationale, Sénat. J'ai eu cette chance-là parce que c'est tombé pendant une période où on négociait une loi de programmation militaire. Donc il y avait vraiment des grands enjeux qui arrivaient à ce moment-là sur l'établissement et la mise en place de cette loi de programmation militaire, avec le rôle d'être entre deux institutions qui se connaissent, bien sûr, mais qui doivent à ce moment-là bien partager les enjeux pour être sûrs que ce qui va être proposé par l'un est bien compris par l'autre et qui va être évidemment poussé par l'autre. Donc c'était une période très intéressante. Ensuite, on m'a proposé, et là aussi c'est encore un autre cadre, de faire de la gestion. Donc j'ai été positionné auprès du chef d'état-major de l'armée de terre. Là, j'étais en charge de la gestion des officiers généraux et des colonels. Donc quand je parle de gestion, je parle de leur orientation, de leur avancement, de leurs affectations. Alors là, ça fait beaucoup de choses. En fait, tout ce qui tourne autour de la vie, ça fait pas mal de choses à faire. Un poste d'une grande richesse, parce que 80% de ce poste, c'est de l'humain, en fait, avec beaucoup de... d'écoute. Il faut absolument connaître, évidemment, ses connaîtres et ses généraux pour être capable de proposer aux chefs d'état-major de l'armée de terre les bonnes solutions pour leur gestion, en fait, en l'occurrence. Bien connaître également l'environnement, la réglementation. Mais là, j'étais pas tout seul. J'avais une équipe, évidemment, pour m'aider à faire tout ça. Voilà. Et puis aujourd'hui, je me retrouve à la tête de l'inspection de l'armée de terre, qui est encore un poste un peu particulier, dans le sens où c'est pas l'aboutissement d'une filière. C'est plutôt l'aboutissement d'une carrière qui me permet d'arriver là aujourd'hui avec la légitimité qui est la mienne pour tenir cette responsabilité. Vous voyez, j'ai été un peu trop long. Mais une carrière militaire, c'est d'abord très varié. C'est beaucoup de choix que l'on fait. Le premier choix, c'est de savoir dans quelle armée on veut servir, l'armée de l'air, l'armée de terre, la marine. Ensuite, quand on est dans l'armée de terre, quelle arme ou spécialité on veut servir. Est-ce qu'on veut être dans la cavalerie, l'infanterie, les transmissions, le génie ou l'aviation légère de l'armée de terre ? C'est vraiment un choix qui vous appartient, en fait. Et puis à partir de là, vous construisez votre parcours. Et puis il y a des opportunités qui se présentent ou pas. Et puis ça se fait aussi beaucoup en fonction de votre envie. Il y a beaucoup d'envie. Il y a des gens qui vont vouloir faire la carrière que j'ai faite et donc qui vont avoir beaucoup de mobilité. Parce que quand on veut gravir tous ces échelons, il faut accepter quasiment tous les deux ans de changer de poste et quasiment tous les deux ans d'être muté. Il y a des gens qui vont vouloir être plutôt des experts. Donc ils vont rester plus longtemps sur leur poste. Ils vont accepter de moins avancer parce que forcément c'est la contrainte aussi. Mais ils seront reconnus dans leur expertise et on a bien sûr besoin d'eux.

  • Speaker #1

    Ok. Donc ce que je peux retenir c'est que... très modulable et que vous avez une expérience très très riche.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. C'est vraiment... C'est presque à la carte, en fait. Il n'y a pas deux parcours qui se ressemblent. Et on peut arriver au même endroit en ayant fait des parcours complètement différents. Mon prédécesseur n'avait absolument pas le parcours que j'ai. Et celui d'avant non plus. Donc voilà. Et encore, on pourrait entrer dans l'histoire comme ça. Donc oui, oui, je crois que la richesse de ce métier, d'abord, c'est... Évidemment, le cœur du métier, c'est les opérations. Évidemment, la préparation opérationnelle et l'engagement opérationnel, c'est le cœur du métier. C'est pour ça que nous sommes venus. Je pense qu'il n'y a pas de contre-exemple. Mais à partir de là, on peut construire un parcours avec vraiment beaucoup de diversité, il y a beaucoup de choix possibles, on peut se réorienter, c'est vraiment la carte.

  • Speaker #1

    Avant de revenir sur toutes vos expériences, je pense qu'on va avoir de quoi discuter. Il y a une petite autre question que j'aime bien poser, c'est si vous deviez vous présenter à un enfant, donc c'est sous un axe totalement différent, comment vous le feriez ?

  • Speaker #2

    Si je devais me présenter à un enfant, je pense que je commencerais par lui dire que le fond de ma volonté ou de mon envie, au départ, c'est de servir. C'est de servir, c'est-à-dire d'être là pour participer à la sécurité de mon pays. Vous savez, souvent, un enfant dit je veux être pompier parce que je veux aider tout le monde dans le cadre d'un incendie Moi, je pense qu'on pourrait dire ça. D'abord, servir. Ensuite, l'engagement opérationnel. C'est-à-dire que je fais ce choix de ne pas rester dans un bureau pendant 30 ans. Moi, j'ai décidé d'aller sur le terrain, de prendre des risques. Parce que quand on fait ce métier, on sait qu'on va prendre des risques. Il y a un peu d'audace dans cette affaire-là. C'est-à-dire qu'il faut avoir cet esprit un petit peu audacieux de se dire je vais sortir de ma zone de confort parce que c'est l'objectif de ce métier-là. Je lui parlerai probablement d'hélicoptères, parce qu'un jeune enfant, ça va l'intéresser de se dire tiens, voilà, les hélicoptères Je lui parlerai également de mes voyages. Quand on est militaire, on voyage beaucoup. Alors c'est un peu partout le continent africain, bien sûr, parce que c'est ce continent sur lequel on a été beaucoup engagés, mais pas que. Les Balkans, l'Afghanistan, il y a beaucoup de choses, en fait, en réalité. Et finalement, tout ça, c'est l'histoire de notre pays aussi. Je lui parlerai de sport, je lui parlerai de dynamisme.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier point que vous avez abordé vis-à-vis de l'enfant, c'est servir son pays. Au sein de l'armée, la culture militaire, c'est un point qui est très développé. Comment est-ce que vous définirez les valeurs fondamentales de l'armée ?

  • Speaker #2

    Alors... Par quoi commencer ? Je pense que... Est-ce que je parlerais de cohésion d'abord, finalement ?

  • Speaker #1

    La cohésion, c'est un point que je vais aborder derrière.

  • Speaker #2

    C'est peut-être le point dans les valeurs. Alors la cohésion, ce n'est pas une valeur, mais c'est un état de fait et c'est celui qu'on recherche, parce que tout passe par la cohésion. La cohésion, dans les valeurs, il va y avoir la discipline, parce qu'on ne peut pas servir au sein des armées sans respecter une forme de discipline. Parce que, encore une fois, la finalité, c'est l'engagement opérationnel. Et le jour où on est engagé, tout le monde fait confiance en celui qui est à côté de lui, qu'il soit son chef ou son subordonné, pour remplir la mission. Si l'un est défaillant, eh bien en fait, tout va échouer. Donc la discipline, c'est une valeur fondamentale pour les armées. Je rajouterais aussi tout ça dans la cohésion dont j'ai parlé au départ. Je pense que le courage, c'est une valeur fondamentale également. Là aussi, j'en reviens toujours. Le courage, c'est pas forcément le courage de partir au combat, même si la finalité, c'est celle-là. Le courage aussi, c'est celui de dire à son chef Vous faites fausse route tant qu'on est dans le cadre de la préparation. Et puis à un moment, le chef va prendre une décision et là, il n'est plus question de la remettre en cause. La discipline. Voilà un petit peu les vraies valeurs fondamentales. Après, il y en a d'autres, évidemment.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien de les résumer en trois mots. Donc ça serait la discipline, la cohésion et le courage. Ok. Ces valeurs au sein de votre parcours, comment on vous les a inculpées ? Est-ce que ça a été via les expériences que vous avez pu vivre sur le terrain ? Est-ce que ça a été via des sincières ? Et aussi, à l'inverse, comment est-ce que vous, vous les avez inculpées à vos subordonnés ?

  • Speaker #2

    En fait, je crois que c'est ce que vous disiez en introduction, la carrière militaire est bien faite. C'est-à-dire qu'au départ, on vous met dans une école où on va vous inculquer ces valeurs-là, petit à petit. On vous explique. Pour commander 8-10 personnes, il faut qu'il y ait une forme de discipline, il faut que vous soyez courageux de temps en temps, parce que ce n'est pas évident, et il faut que vous formiez une cohésion, autrement votre ensemble ne sera pas cohérent. Alors quand on est jeune et quand on est en école, on est encore un peu fougueux, on part dans tous les sens. Et puis petit à petit, l'idée c'est de faire en sorte que tout ça soit bien respecté. Pour qu'on puisse être engagé très rapidement. Ne l'oublions pas, quand on sort de Saint-Cyr, on peut être engagé tout de suite. Certains partent en opération extérieure avec très peu d'ancienneté, finalement. Alors on passe par le cycle école, quand même, qui dure assez longtemps. Le Saint-Cyr, c'est trois ans plus une année d'école d'application où on apprend vraiment notre métier. On apprend d'abord à être un... un officier. Et ensuite, on apprend à être un officier dans une arme particulière. Un fantassin, un cavalier, un artilleur, un transmetteur. Ce qui fait qu'on passe du général au particulier et au spécifique, c'est-à-dire le métier. Parce que lorsqu'on est à la tête d'une section, une trentaine d'hommes, on ne peut pas arriver juste avec quelques valeurs, quelques notions. Il faut être aussi pas encore un expert. Parce que les subordonnés qu'on vous confie forcément sont plus compétents que vous et sont plus experts que vous. C'est leur métier. Mais vous, vous devez avoir quand même suffisamment de connaissances pour apparaître comme quelqu'un de légitime vis-à-vis de ces subordonnés-là. Autrement, à un moment donné, vous n'arriverez pas soit à faire cette cohésion, soit à faire en sorte que vous soyez tout simplement légitime pour partir avec eux. et leur donner des ordres dans les moments de crise, en fait.

  • Speaker #1

    OK. Mais du coup, vis-à-vis de ces valeurs, ça va plutôt se créer au petit à petit ?

  • Speaker #2

    Oui, je pense que... C'est l'expérience que l'on va acquérir. Au début, on va vous donner toutes les clés. On va vous donner toutes les connaissances qui vous permettront à la fois de technique, mais également intellectuelle, morale. Tout ça, on va vous le donner. Et vous, il faut le digérer dans un premier temps. Et puis ensuite, il faut acquérir un peu d'expérience pour demain être capable de justifier que c'est bien la bonne personne qui est à la bonne place pour prendre ses décisions, pour commander en fait en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Moi, enfin, alors là c'est une opinion personnelle, mais j'avais cette idée qu'au sein de l'armée, quand on est, alors je ne connais pas tous les grades, mais quand on reçoit les ordres, on a tendance à les exécuter sans forcément... Chercher à comprendre, c'est peut-être pas le meilleur mot, mais tout à l'heure vous m'avez dit avoir le courage de dire à son supérieur que parfois il se trompe. Et du coup, moi dans mon idée, c'est qu'on ne cherchait pas forcément à faire remettre en cause les ordres. Et que la passerelle de passer à commander des personnes, des militaires, et quand on est commandé, je me demandais comment ça se passait, Finalement, l'armée est connue pour sa discipline, pour le respect de sa hiérarchie. C'est vrai. Comment ça va se passer ? Est-ce qu'il y a du mécénat, quelque chose de ce type ?

  • Speaker #2

    Alors en fait, comme vous l'expliquez, on est un peu dans l'image d'Epinal. C'est-à-dire qu'il y a un chef qui donne un ordre, il est exécuté et on discute. C'est absolument pas comme ça que ça se passe. Il y a un chef qui donne une orientation. Voilà comment il voit les choses. Et derrière, il a des subordonnés, c'est pour ça que je vous parlais de courage, parce qu'il faut de temps en temps être capable de dire à son chef vous avez tort Lisez un peu tout ce qui a été écrit sur l'Indochine, l'Algérie, etc. Souvent, vous avez des subordonnés qui disent à leur chef Si vous allez par là, vous vous faites prendre un risque à la section et on va tomber dans une embuscade. Et c'est ce qu'il faut éviter. Parce que moi, qui suis un sous-officier, j'ai l'expérience et je sais qu'en passant sur ce chemin-là, on prend un risque. Vous qui êtes officier, et qui êtes jeune officier sans expérience de ce terrain-là, vous nous demandez de prendre ce risque. Alors, comment ça se passe en réalité ? Eh bien en fait, je vous le disais, une décision est élaborée, on commence à avoir une orientation, et ensuite on en parle. C'est-à-dire qu'il y a toujours la possibilité d'en parler. D'ailleurs aujourd'hui, c'est très difficile de dire à quelqu'un je te donne un ordre, c'est comme ça et puis tu l'exécutes et il n'y a rien à dire. Circuler, il n'y a rien à voir. Ça, ce n'est pas possible. Il y a donc une phase ensuite pendant laquelle on va discuter, on va en parler. L'expérience des uns va enrichir. la compétence ou la connaissance de celui qui élabore l'ordre. Cette phase de discussion va durer un certain temps. Alors ce temps, il est plus ou moins court en fonction du degré d'urgence, par exemple. Quand on est en opération, il y a des moments où ce temps se réduit considérablement. Et on va arriver à une décision. Et cette décision, c'est le chef qui va la prendre toujours, puisqu'il est là pour prendre des décisions. Lorsque le chef a pris la décision, cette fois-ci, l'ordre, on ne le conteste plus. Parce que si on conteste l'ordre alors que la décision a été prise, là, on va faire prendre des risques à l'ensemble du groupe. Et donc on va remettre en cause cette cohésion dont je vous parlais tout à l'heure. Donc ça veut dire que... Alors parfois, on n'est pas d'accord avec la décision qui va être prise. Parce que dans les orientations, on avait une autre hypothèse. Mais cette hypothèse, elle a été entendue par le chef, qui à un moment va prendre lui, avec tout le contexte qui est le sien, ses connaissances, l'environnement qu'il connaît peut-être mieux que celui qui est son subordonné. Une fois qu'il a pris sa décision, alors on doit... adopter cette décision comme étant l'ordre que tout le monde va suivre. Et tout le monde doit aller, doit converger vers l'exécution de cette décision. Et là, ça va fonctionner.

  • Speaker #1

    Donc il y a vraiment un avant l'ordre et un après l'ordre. Donc il y a une phase de... Discussion avant l'ordre, ou parfois faire preuve de courage, et après, c'est là où la discipline intervient réellement.

  • Speaker #2

    Une fois que la décision est prise, comme à la fin la finalité c'est le combat, l'engagement opérationnel, là on ne peut pas se permettre d'avoir la moitié de la section qui dit, en fait, moi j'avais dit que je ne voulais pas y aller, ou qu'il fallait passer par la droite, donc je vais à droite, parce que si vous avez une moitié de section qui va à droite et l'autre à gauche, d'abord je ne sais plus où on met le chef à ce moment-là, et de toute façon on ne va pas remplir la mission. C'est quelque chose qui est tout à fait compris, qui est bien admis et qui est très cohérent. Donc évidemment, ça repose sur une hiérarchie. Quand on regarde bien dans la société civile, il y a toujours une hiérarchie aussi. Et il y a un moment où il y a toujours un ordre qui est donné. Alors peut-être que derrière, il y a des enjeux qui sont différents, qui peuvent être différents, qui peuvent être économiques par exemple, donc ils sont stratégiques. Mais nous, ce qui est sûr, c'est qu'à la fin, il y a une mission à remplir et on ne peut pas... ne pas remplir cette mission.

  • Speaker #1

    Parce que je trouve que ce qui est vraiment différent entre l'aspect civil et l'armée, c'est qu'on... Dans l'aspect civil, il y a beaucoup moins de discipline et qu'en général, il y a parfois des fortes têtes qui vont quand même en faire qu'à leur tête et finalement, on peut avoir une finalité qui va être différente.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des fortes têtes. Mais si c'est les armées, il ne faut pas se tromper. Vous savez, les armées, c'est le reflet de la société civile. Donc, on a aussi des gens qui ont des forts caractères, mais à qui on apprend petit à petit à respecter le... l'endroit où ils sont, et puis en leur disant votre caractère peut s'exprimer, puisque effectivement, vous avez toujours cette phase où vous pouvez vous exprimer. On peut dire beaucoup de choses au sein de l'institution militaire, mais il y a un moment, ça c'est certain, ça fera peut-être la différence avec le monde civil, où tout le monde doit exécuter la décision qui a été prise, et si ce n'est pas le cas, celui qui ne rentre plus dans cet ensemble-là en sera exclu. Ça, parce qu'il faudra prendre trop de risques. Et y compris dans l'avancement, c'est quelque chose qui va être regardé. Parce que très concrètement, si à un moment, on se dit qu'il y a un danger dans le fait que vous n'allez pas forcément écouter les ordres de vos supérieurs hiérarchiques ou dans le fait que vous allez créer beaucoup d'instabilité ou de manque d'assurance chez vos subordonnés, donc là, je pense que c'est pas bon pour la cohésion d'ensemble. Et on regarde ça avec beaucoup de précision pour l'avancement.

  • Speaker #1

    On a bien discuté de l'aspect culture militaire. Moi, il y avait un autre aspect qui m'intéressait particulièrement, c'était la prise de décision, ou même plus généralement de la stratégie. Quand on est dans des situations parfois critiques, avec des conditions qui sont parfois extrêmes, des enjeux aussi qui peuvent être extrêmes vis-à-vis de la vie, on parle parfois de la vie de vos subordonnés, j'imagine.

  • Speaker #2

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment, alors être sûr, je pense que c'est le même cas, mais prendre la bonne décision ?

  • Speaker #2

    Alors, je... La situation de crise, donc cette situation de crise, elle vous laisse peu de temps, en fait, puisque vous êtes surpris. Forcément, ça va aller très vite. Et là, ce qui est certain, c'est qu'en situation de crise, tout le monde se retourne vers le chef. Donc là, il n'y a pas de discussion ou très peu, en fait. Et vous devez décider effectivement dans l'urgence. Est-ce que vous allez vous dire dans votre tête Est-ce que je prends la bonne décision ? Vous n'avez pas le temps. Donc en fait, vous ne raisonnez pas comme ça. Vous vous dites Je suis compétent, je suis légitime, et donc je suis dans l'action C'est ça. C'est en amont. Une fois que vous avez accepté d'avoir cette responsabilité de chef dans un engagement opérationnel, ça, vous l'avez mis de côté. Donc après, vous décidez. Et vous décidez comment ? Vous décidez avec tout ce que vous avez acquis, tout ce que vous avez engrangé, tout ce qui a sédimenté dans votre carrière. Donc vous avez un certain nombre de réflexes. Vous avez des raisonnements qui sont fondés sur des cas concrets que vous avez déjà vus. Voilà, ça se fait dans cette direction. Puis évidemment, vous allez penser, d'abord, il faut remplir votre mission. Il faut préserver, évidemment, vos personnels et votre matériel, parce qu'autrement, vous ne pourrez pas très engager demain. Et c'est un peu comme ça que vous allez réfléchir. Et en fonction de ça, vous allez mesurer le risque que vous... Quel risque vous acceptez de prendre. pour remplir une mission. Voilà. Donc, finalement, c'est assez naturel. Moi, j'ai été confronté à des situations de ce type-là et je ne me suis pas posé de questions. J'ai vite vu que, de toute façon, là, oui, j'étais le chef et qu'on attendait une prise de décision qui s'est faite assez naturellement. Et tout ça, ça ne fonctionne que si tout ce qu'on a dit au début est cohérent. S'il n'y a pas de cohésion... Ça va être compliqué. Parce que là, il ne faut pas qu'à ce moment-là, vous ayez un subordonné qui vous dise Mais c'est n'importe quoi. Votre décision n'est pas cohérente. Regardez, vous n'avez pas tenu compte de ça. Voilà. Si votre subordonné a l'impression que c'est le cas, il a le devoir de vous le dire. Mais normalement, ça ne doit pas arriver à ce moment-là. C'est des choses qu'on a vues avant et qui font que dans l'urgence, quand on est en situation de crise, eh bien en fait, tout ça, finalement, arrive assez naturellement.

  • Speaker #1

    Vous avez écrit un livre. J'avais vu notamment que dans... Donc c'était Libérez Tambouctou. Et j'avais vu que dans une de vos opérations, vous faisiez face à des... à des défis logistiques parce que c'était compliqué de pouvoir suivre les terroristes, je dis pas de bêtises, au Mali. Donc typiquement pour illustrer ce que vous venez de dire, dans cette situation, comment vous avez fait pour vous dire, alors je n'ai pas les détails, je ne sais pas à quoi ça correspond toute la logistique que vous deviez déplacer, mais finalement dans cet exemple, qu'est-ce que...

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui était les points importants à prendre en compte et comment vous avez fait face ?

  • Speaker #1

    En fait, c'est vrai que lorsqu'on est dans cette situation, il y a une partie commandement avec l'exécution de la mission. Donc moi, j'avais un chef qui était un général qui commandait l'ensemble de la brigade, en fait, qui, lui, avait des objectifs opérationnels. C'est-à-dire qu'il me disait qu'à telle date, il voulait arriver sur tel point parce qu'ensuite, il allait falloir conquérir la ville de Tambouctou. Donc on s'était fixé des objectifs, pas tout seul, parce qu'il y a aussi l'échelon politique qui vous dit à tel moment nous souhaitons que vous soyez arrivé ou que la ville de Tendutu soit libérée. Donc derrière il y a des défis logistiques et ces défis-là, à la fois nous les partageons, c'est-à-dire que c'est aussi la contrainte du général, mais l'objectif du subordonné c'est toujours de donner le moins de contraintes possibles à son chef. C'est-à-dire de se dire à mon niveau je vais gérer tout ce que je peux gérer à mon niveau. Et puis tout le reste, quand ça dépasse mon niveau, il faut qu'effectivement je... Je vois avec la brigade ou l'échelon supérieur comment on peut partager tous ces défis, en fait, parce que c'est des défis. Là aussi, ça se fait assez naturellement. C'est-à-dire qu'il faut à la fois être conscient de ce qu'on est capable de faire, c'est-à-dire ne pas dire à son général Moi, vous me dites que le 1er février, je dois être à Tombouctou. Eh bien, j'y serai. Alors que vous savez très bien que mécaniquement, votre... Vos pièces de reponge, le kérosène, etc. Tout ça, c'est beaucoup de logistique. On n'a aucune possibilité d'arriver avant le 1er février. Il faut avoir la cohérence de l'ensemble. On n'est jamais tout seul pour faire ça. On travaille en équipe. Des logisticiens, il y en a dans chaque unité, mais il y en a également au niveau supérieur. Tout ça étant organisé pour que l'ensemble fonctionne. Donc vous avez dans une opération comme celle-là, il y a des spécialistes qui font de la logistique, qui eux vont tout mettre en œuvre pour que vous ayez tout ce dont vous avez besoin pour remplir votre mission là où vous devez la remplir. Et à chaque échelon. Ce qui fait que normalement, avec une bonne coordination, on arrive à faire ce qu'on a à faire. Il peut y avoir des... Des soucis, ça peut arriver. Moi, j'ai eu un problème de ravitaillement. Je n'avais plus de kérosène juste avant l'opération à Tambouctou. Le kérosène était disponible, mais c'était un peu compliqué de l'acheminer jusqu'aux hélicoptères. Donc, à ce moment-là, ça fait partie... Je ne sais pas si c'est du courage, mais il n'y a pas le choix. Il y a un moment, il faut dire à son chef... Je n'arriverai pas parce que j'ai un problème logistique. Donc je demande un délai d'une heure pour faire les pleins des hélicoptères. C'est vraiment la chose de base, mais qui peut remettre en cause une opération qui, elle, est stratégique et qui est suivie par l'état-major des armées à Paris ou même par le pouvoir politique. Donc voilà, c'est des choses qu'on anticipe assez bien. Puisque, en fait, tout ça est intégré dans notre façon de nous organiser, de nous préparer en permanence. Donc, on a des unités spécialisées qui s'occupent de ça. Alors, on a parlé de la logistique, mais c'est également toute la partie système d'information. Et là, forcément, si à un moment, vous n'avez plus les liaisons avec les logisticiens ou avec la partie commandement, là aussi, vous allez avoir des problèmes, évidemment. Donc, tout ça, c'est un ensemble cohérent qui vit très bien ensemble. On est habitués à se préparer ensemble. Et en fait, ces connexions, elles sont déjà établies. Ça veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés, parce que cette opération, on était partis, rien n'était en place lorsqu'on nous sommes arrivés. Donc en fait, on allait presque plus vite, les opérationnels allaient presque plus vite que la partie logistique. Sauf qu'à un moment, tout ça doit être cohérent, parce que si vous partez billes en tête et que vos réservoirs sont vides et que le... Le réhabilitaillement, il est trois heures plus tard, vous allez attendre trois heures les réservoirs vides. Donc il faut évidemment anticiper tout ça. C'est la difficulté d'une opération, ce qu'on appelle l'entrée en premier, où il n'y a pas d'environnement logistique autour de vous, et il faut faire en sorte que tout ça avance bien au même rythme en fait en l'occurrence. Et parfois, il faut être capable de se dire, moi j'ai des hélicoptères qui vont vite, loin, tout ce que vous voulez. Oui mais sauf que j'ai aussi des véhicules avec les pièces de rechange, j'ai mes camions de pompiers, j'ai ma tour de contrôle, j'ai tout ça. Et puis il y a le reste de la brigade. Et il y a toute la partie logistique. Il faut bien sûr, si vous partez au combat et que vous n'avez plus de munitions, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de kérosène, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de ravitaillement pour boire et manger, il y a un moment ça ne marche plus non plus. Donc voilà, on essaye de faire en sorte que tout ça soit cohérent. C'est une difficulté parce que ça se fait évidemment en ambiance crise. Donc l'environnement, il est plutôt instable, voire vous avez de l'insécurité. Et en fait, il faut quand même avoir un système complet qui fonctionne parce qu'autrement, là, vous vous mettez vraiment en difficulté. Et puis en plus, forcément, vous n'allez pas respecter finalement ou pas remplir la mission à la fin.

  • Speaker #0

    J'allais rebondir sur un point, c'est... Vous m'avez dit que vous avez des responsables logistiques, donc j'imagine que d'un point de vue local, vous avez l'information. Mais est-ce que ça arrive parfois qu'il y ait des soucis de cohésion entre ce que veut le pouvoir politique ou ce que veut l'état-major et ce qui se passe réellement sur le terrain ? Parce que vous, vous avez bien l'information que l'opérationnel va plus rapidement que la partie logistique et qu'au final, vous êtes au courant de cette information. Mais vis-à-vis de la stratégie initiale, c'est plus possible parce que la logistique ne peut pas... Arriver aussi vite que les hélicoptères à un point B.

  • Speaker #1

    En fait, tout ça se fait avec une grande fluidité. C'est-à-dire qu'effectivement, le pouvoir politique prend des décisions. Le président de la République a fixé un objectif. C'est suivi ensuite en cabinet ministériel. Enfin tout le monde va suivre ça. À l'état-major des armées, ils ont une vision presque instantanée de ce qui se passe. Et très concrètement, on arrive à mettre à jour en permanence nos informations, nos besoins, nos manques. Il nous manque quelque chose sur le terrain. À ce moment-là, on va en parler. Il n'y a jamais de déconnexion énorme entre ce que souhaite Paris et ce qui se passe sur le terrain. Parce qu'aujourd'hui, en fait, moi j'ai l'habitude de dire, en fait, on vit dans un bocal. Donc tout ce qui se passe sur le terrain est absolument connu, maîtrisé, su tout de suite. Il n'y a pas de temps de latence, etc. Ce qui fait que quand nous rencontrons une difficulté ou quand nous tombons sur un obstacle, ce qui peut arriver, qui va nous arrêter, nous on utilise le terme fixer Quand on est fixé, forcément on est obligé de prendre un certain nombre de mesures pour reprendre notre progression. On ne va pas faire n'importe quoi. On ne va pas se dire on est tombé sur une embuscade et tant pis, on nous a dit qu'il fallait continuer, alors on va continuer Pas du tout. À ce moment-là, on va s'arrêter et on va faire les choses correctement pour faire en sorte qu'on prenne toujours le dessus sur notre adversaire. Ça, dès que ça se présente... Presque en temps réel, ça remonte à Paris. Donc en fait, on nous met... Paris, l'état-major des armées, la partie planification et conduite des opérations n'a aucun intérêt à nous mettre en difficulté. Au contraire. Ils sont plutôt là pour nous appuyer, évidemment, en nous donnant leur intention. Voilà ce que vous devez réaliser sur le terrain. Et une fois que nous, nous sommes sur le terrain, on a évidemment la vérité des prix. Et tout ça est bien partagé. Et c'est pour ça que les échelons de commandement sont bien... On a fait également, pour permettre à celui qui a cette vue la plus réelle de ce qui se passe sur le terrain, de discuter avec les chances supérieures pour lui dire, vous voyez aujourd'hui, on ne va pas pouvoir faire ce qui était prévu parce qu'on a rencontré telle et telle difficulté, et peut-être que le lendemain on ira un petit peu plus vite parce que finalement les choses se sont bien passées et on n'a pas rencontré l'adversité que l'on avait imaginée. Tout ça évidemment, c'est lié avec la connaissance, ce qu'on appelle le renseignement chez nous, donc de ce qu'il y a autour de nous. Donc on a énormément de capteurs qui nous permettent de savoir ce qu'il y a en face de nous aussi. Parce qu'une route qui fait 500 km, en fait, en fonction de l'état de la route, des gens qui sont plus ou moins hostiles que l'on va rencontrer sur cette route, enfin de plein de facteurs, tout ça fait que, on va mettre combien pour faire ces 500 km ? On va mettre 5 heures, on va mettre 30 heures, on va mettre 5 jours, tout ça. Et ça peut être ça. Donc vous voyez bien qu'entre 5 heures et 5 jours, c'est pas la même chose. Et parfois, on va être obligé de progresser à 1 km heure parce que le terrain est miné, parce qu'il y a un environnement hostile. Et donc, il va falloir faire très attention. Et la progression, on va la réaliser, mais dans de bonnes conditions pour ne pas risquer de perdre du matériel et bien sûr des hommes. Donc voilà. Tout cet environnement-là, il n'est jamais fixé, il n'est jamais connu à l'avance. On essaye d'avoir le plus de renseignements possibles pour savoir vers quoi on va aller. Mais quand on est en opération d'entrée en premier, il y a un moment, l'ennemi, il est là, il n'est pas là. Là, il nous a échappés pendant longtemps parce qu'évidemment, il n'avait pas intérêt à nous rencontrer au début de l'opération. Puis à un moment, on est arrivé là où il était, mais surtout là où il avait tout son arsenal, tout ce qui était logistique pour lui. Là, il ne pouvait plus nous échapper. C'est-à-dire qu'il y avait un moment, soit il quittait le Mali, pour aller où d'ailleurs, je ne sais pas. soit il y avait le contact qui se faisait à ce moment-là, ce qui s'est passé. Nous n'avions pas forcément toutes les informations sur comment ils étaient organisés, combien ils étaient, quel armement ils avaient, tout ça. Ça se fait aussi petit à petit. D'où l'intérêt d'avoir un renseignement le plus adapté possible pour être capable d'anticiper ce qui va nous arriver.

  • Speaker #0

    Ok, super intéressant. Finalement, vis-à-vis des opérations que vous avez menées, quel a été le moment le plus difficile qui vous a le plus marqué ?

  • Speaker #1

    Le moment le plus difficile, incontestablement, c'est le moment où vous perdez les hommes. Voilà. Ça, c'est pas difficile dans le sens où vous devez mener une action particulière. C'est juste que perdre des hommes avec qui vous êtes préparés, que vous connaissez. La plupart du temps, vous connaissez leur famille. Je pense que c'est ça, le plus difficile. Et on le sait tous, ça fait partie de l'engagement que l'on a pris. Donner la mort, recevoir la mort. Voilà. C'est de toute façon difficile. Moi, j'ai vécu trop de cérémonies dans la cour des Invalides, dont certaines très fortes. Aussi parce que j'ai été engagé directement. Donc là, c'est encore plus fort. Je ne sais pas si c'est encore plus fort, d'ailleurs, parce qu'à chaque fois, l'émotion, elle est là. Je pense que ça, c'est difficile parce qu'on le sait. On a fait ce métier. On connaît ce risque-là. On l'accepte. Mais quand on le vit, je pense que ce qui est compliqué aussi, c'est de... C'est d'affronter la réalité de l'environnement. C'est-à-dire que perdre un camarade au combat, c'est une chose. On l'a tous vécu à peu près. Quand on a l'ancienneté que j'ai, forcément, on l'a vécu. Derrière, affronter les conséquences pour sa famille, pour ses amis, pour ses parents, pour ses enfants, c'est toujours, toujours très compliqué. Et puis après, il faut être capable, je pense, de... De les suivre, de suivre ces familles. Mais avec le temps, c'est toujours un peu compliqué. Donc il faut aussi être capable de se dire est-ce qu'elles ont besoin ? Est-ce qu'à un moment, elles n'ont plus besoin parce qu'elles veulent passer à autre chose ? Ça, c'est toujours un peu délicat. C'est un peu sensible. Voilà. Si vous me demandez ce qui a été le plus dur, c'est vraiment ces moments-là. Moi, je les ai en tête. Je les garderai en tête toujours. J'ai eu une fois 13 familles quand même dans la cour des Invalides. Et j'étais concerné, donc évidemment. 13 familles, c'est plus de 200 personnes. Et c'est compliqué. C'est compliqué. Il faut... Bien sûr qu'il faut l'assumer. Et puis derrière, je crois que c'est... Je finis par ça. Il faut jamais oublier l'engagement initial. C'est-à-dire que c'est vrai. Et on va s'arrêter. Il y a ce qu'on appelle le temps de l'hommage. Ce temps-là, il est fondamental. Il est important à la fois pour ceux qui sont restés, pour les familles, pour tout l'environnement, y compris pour la nation, je crois, dans son ensemble. Et puis une fois que ce temps de l'hommage est passé, il faut reprendre la mission. Parce qu'en fait, la mission continue. J'ai perdu mon commandant d'unité quand j'étais jeune capitaine. Et j'étais donc engagé sur un porte-avions à ce moment-là. Je suis allé accompagner mon commandant d'unité à Eitan, qui était notre régiment d'origine, où il y avait les familles, le régiment, etc. Et puis ensuite, j'ai repris un avion, je suis retourné sur ce porte-avions qui était déjà passé à autre chose, ce qui est normal, il avait repris le cours de sa mission. Et il m'a fallu un petit peu de temps, parce que moi j'étais encore dans l'hommage avec ce commandant d'unité qui était si important pour moi et qui m'avait tout appris. que j'avais perdu de façon vraiment dramatique, dans un crash hélico. Et puis la mission reprenait, et moi, il fallait que je retrouve tout de suite ma place. Autrement, il fallait partir, parce que j'étais déconnecté. Et ça, c'est dur à vivre.

  • Speaker #0

    J'imagine, cet aspect, si on peut continuer sur ce sujet qui n'est pas le plus gai.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Cette capacité à changer d'état d'esprit, est-ce que... Enfin comment... Est-ce que vous avez des astuces ? Parce que là, c'est pas drôle, mais ça peut aussi être le cas... Dans Libérateur Nocturne, vous parlez du fait de... Quand vous êtes sur le terrain et que vous repassez à la vie civile, c'est un autre état d'esprit, c'est plus la même vie. Comment changer d'état d'esprit radicalement ?

  • Speaker #1

    En fait, il faut... On met en place... Vous l'avez vu dans le livre... On met en place des sasses pour passer de ce rythme qui est souvent un rythme très intense. Avec souvent de la haute intensité, on est vraiment pris, ça va très vite. Il faut qu'on repasse à une autre vie, qui est celle de la vie civile. J'ai un exemple que m'avait donné un psychologue que j'avais trouvé très bon. Nous, on est engagé dans nos opérations, ça n'arrête pas, etc. Et puis si on ne passe pas par ce sas, on va se retrouver le lendemain et on va retrouver son grand ado dans le canapé qui passe des heures à ne rien faire et ça va être insupportable. Et en fait, ce grand ado, pendant plusieurs mois, et il ne va pas du tout comprendre que quand vous allez arriver, en lui disant Mais qu'est-ce que tu fais dans ce canapé ? Il serait temps que tu passes à une vitesse un peu supérieure. Donc il faut se remettre au rythme de ceux qui sont restés, parce qu'ils ont vécu autre chose, ils ont aussi vécu quelque chose, et être capable de se dire Voilà, ce sont des vies différentes. Alors il y a des gens qui y arrivent très bien, et il y a des gens qui y arrivent moins bien. Et ce n'est pas anodin. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de difficultés pour... Une partie d'entre nous, il peut y avoir des difficultés quand on retourne vers la vie civile et que, ben voilà, on se retrouve, il y a chacun à mener sa vie et chacun pense, attend beaucoup de l'autre, d'ailleurs, en l'occurrence. Ça, c'est une grande difficulté de notre métier parce qu'on ne le retrouve pas vraiment ailleurs. Donc, notamment quand les opérations ont été intenses, l'idée est de mettre un sas pour souffler un peu, qu'on nous dise attention quand vous allez rentrer, voilà ce que vous allez retrouver. Ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, etc. Ce qui est bien d'ailleurs, c'est quand on le fait également de l'autre côté. C'est-à-dire que les familles, c'est bien aussi de leur dire, voilà la personne que vous allez retrouver, dans quel état vous allez la retrouver. Et donc là aussi, ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, parce que quand on a réglé tous les problèmes à la maison pendant 4 ou 6 mois, quand on est le conjoint, quand l'autre rentre, on lui dit, maintenant tu vas un petit peu t'occuper des choses pénibles de la vie de tous les jours. alors qu'on n'a pas forcément envie de s'y retrouver tout de suite. Mais tout ça, c'est... Là aussi, il y a beaucoup de coordination, beaucoup de compromis, beaucoup d'intelligence de situation, mais on est tous différents. Et ça, c'est difficile à anticiper. Donc on nous aide à nous préparer à ce retour ou à ce changement de rythme. Et à partir de là, les choses se passent bien, mais c'est propre à chaque personne. Il n'y a pas de recette miracle.

  • Speaker #0

    Et donc ça, ça va être une période pendant laquelle vous... Vous allez dans une ville et vous allez vous réadapter petit à petit à la vie.

  • Speaker #1

    Oui, alors généralement ça se passe, alors ça dépend des moments, mais ça se passe dans un hôtel. Et puis il y a autour de nous toute une équipe qui est là pour nous faire parler, pour aussi mener des activités de cohésion, mais plus tranquille. Voilà, c'est vraiment un moment où, vous savez, quand j'étais l'opération du Mani. En fait, pendant quatre mois, on était sur un lit pico. Donc déjà, de se retrouver dans un vrai lit, ça fait... Tiens, voilà, quelque chose de très agréable. On ne sait pas qu'avoir un très bon lit, c'est un moment précieux, parce que tous les jours, on en profite. Et quand on ne l'a plus, on se dit, tiens, c'est pas mal quand même. Non, mais c'est ça, c'est de se dire que, voilà, on va remanger tranquillement, on va prendre le temps aussi. On va souffler, on va dormir, sans la pression de la mission. Il n'y a plus de mission, là. Pendant trois jours, généralement ça dure trois jours, pendant trois jours, on souffle, ce qui fait qu'on arrive, on a déjà laissé une partie de la mission derrière soi lorsqu'on sort du bus et qu'on se retrouve face à sa famille.

  • Speaker #0

    Du coup, vis-à-vis de la prise de décision, mais d'un point de vue plus global, aujourd'hui pour l'armée française, Quels vont être les enjeux stratégiques ? Comment cette stratégie va être construite ? J'imagine que c'est co-construit avec la politique, peut-être pas le Parlement, mais le président de la République et l'ensemble des armées. Comment ça se passe ?

  • Speaker #1

    En fait, là aussi, il y a beaucoup de fluidité. C'est-à-dire que d'abord, il y a un contexte, il y a un environnement. Celui-là, il est ce qu'il est et surtout, il évolue. Et en fait, nous, toutes nos actions, toutes les décisions qui sont prises, elles le sont en fonction de cet environnement. Aujourd'hui, en 2023, on n'imaginait pas tout ce qui allait se passer pendant une année cruciale. En 2022 non plus. Donc en fait, c'est d'abord la première chose à prendre en compte. Et ça, on l'a subi. C'est-à-dire que c'est pas nous qui décidons que demain, les outils vont interdire un certain nombre de bâtiments civils et vont remettre en cause la circulation de la navigation civile. C'est pas nous qui le décidons. Donc nous, en réalité, notre première mission, c'est de se préparer. Il faut que nous soyons prêts à intervenir quasiment dans toutes les circonstances. Les plus dures comme les plus faciles. Les plus longues comme les plus courtes. Donc c'est vraiment cette façon que nous avons de nous préparer, de se dire que demain, tout est possible. Et ça, c'est les directives qui nous sont données par, bien sûr, le pouvoir politique, qui nous dit si je dois vous engager ce soir, vous devez être prêts Et on va vous engager. Le Mali, on a été engagé en très peu de temps. Ça a été fait... Voilà. Il y a beaucoup de missions qui peuvent se passer comme ça. Nous avons d'ailleurs un certain nombre d'alertes. qui font qu'on est prêt à être engagé en 6 heures, 12 heures, 24 heures, 48 heures, etc. Alors sur la partie politique, elle est fondamentale, parce que l'engagement, le chef des armées, c'est le président de la République, même s'il va aller devant le Parlement pour expliquer, c'est le gouvernement qui va aller expliquer au bout d'un moment ce que nous faisons dans une opération, quand nous sommes partis au Mali, c'est le président de la République seul qui a décidé de l'engagement de la France au Mali. Alors il ne l'a pas décidé seul en réalité. parce qu'il a évidemment consulté tous ses partenaires. Et surtout, il a répondu à l'appel d'un président malien qui lui demandait de venir aider son pays pour interdire ou empêcher des djihadistes ou des terroristes, mais plutôt des djihadistes, de franchir le Niger et d'aller prendre la ville de Bamako et de créer un État islamiste, en fait, en l'occurrence. Bon, voilà. Donc tout ça, là aussi, est cohérent. Bien sûr que, comme toujours, plus vous montez... Enfin, à chaque échelon, en fait, vous avez une coordination avec l'échelon supérieur. C'est-à-dire que la partie politique, elle n'est pas complètement déconnectée de la partie militaire, bien au contraire. Donc, évidemment, le chef d'état-major désarmé parle à son ministre, parle au chef du gouvernement, parle au président de la République. Et donc, tout ça, ensuite, il y a les conseils de défense dans lesquels on va établir, enfin, le pouvoir politique, puisque c'est lui qui va le décider, va établir la stratégie qui sera appliquée ou qui sera menée par les armées françaises. Mais tout ça, évidemment, en présence des autorités militaires qui vont conseiller, qui vont donner leur avis, qui vont agir pour qu'on ne parte pas sur quelque chose qu'on n'est pas capable de réaliser ou qui est complètement incohérent. J'en reviens à ce qu'on disait au départ. C'est-à-dire qu'il y a aussi ce temps de discussion pour arriver à la meilleure des solutions. Et voilà. Et ça se fait. Et nous, quand j'écoute votre question, on se dit Oh là là, ça a l'air compliqué Mais en fait, dans la réalité, c'est pas très compliqué. Ce qui est le plus dur, probablement, c'est de se dire quelles sont les menaces qui nous guettent demain. Moi, j'ai vécu ça quand j'étais chef de corps. Nous avions terminé l'engagement en Afghanistan. Il venait de se terminer. La Côte d'Ivoire, c'était derrière nous. La Libye, c'était terminé. Donc il y avait vraiment une période où les choses se terminaient. Alors... Quand je suis arrivé, moi, à la tête du régiment, je leur ai dit Vous pouvez être fier de ce que vous avez fait. Il n'y a pas de problème. Vous avez mené des actions, vous avez rempli des missions, et tout ça, c'est bien passé. Maintenant, si vous pensez que tout ce que vous avez fait suffit pour être prêt demain, vous vous trompez, et on perdra. Et le jour où on nous engagera, on connaîtra de grands déboires. Donc en arrivant, moi, je leur ai dit Ben voilà, on va se préparer Pas sur l'inconnu, parce qu'on voit bien qu'il y a des choses qui se dessinent aujourd'hui. Alors on était parti un peu sur le Moyen-Orient, Proche-Orient, et puis sur un peu l'Afrique. On s'est pas trop trompé sur l'Afrique d'ailleurs, parce que c'est venu bien plus rapidement que prévu. Je me souviens d'ailleurs, à cette époque-là, j'avais reçu le président de l'Assemblée nationale. A Pau, donc au régiment, il ne venait pas pour voir le régiment, mais il en avait profité pour venir voir le régiment. Il avait été étonné sur la préparation que nous menions. Il m'avait demandé Mais pourquoi vous vous préparez Proche-et-Moyen-Orient et puis Afrique ? Et je lui avais dit ça. Je lui avais dit Écoutez, tout ce qu'on a fait, c'est fait. Donc maintenant, il faut se remettre en cause. Il faut presque prendre une page blanche et se dire quels seront les engagements de demain. Qu'est-ce qui nous attend ? Qu'est-ce qui va être compliqué ? Voilà. Et on a commencé à travailler là-dessus. Et aujourd'hui, quand on parle de haute intensité, on change de... C'est plus l'Afrique, là. On imagine que face à nous, moi qui suis dans la spécialité des hélicoptères au départ, mais au sens large, en fait, que ce soit les bâtiments de la marine, les avions de chasse ou nos chars de combat, en fait, on va se retrouver face... peut-être à l'équivalent. Donc, est-ce qu'on est capable aujourd'hui d'affronter ça ? En tout cas, il faut s'y préparer, parce que quand on regarde ce qui se passe à la frontière orientale, on veut bien qu'il y ait quand même des vraies menaces. Et donc, tout ça, on va le prendre en compte, on va l'intégrer, et puis se dire vers quoi on se prépare. Et vous voyez, les décisions stratégiques dont on parle, à un moment, elles vont se prendre, mais elles vont se prendre, là aussi, un peu dans l'urgence. Voilà, il se passe ça. Dans le cadre de notre coopération avec l'OTAN, nos engagements dans l'OTAN, dans l'Union européenne ou en nation autonome, on va mener un certain nombre d'actions. Est-ce qu'on est prêts ? Est-ce qu'on est prêts à répondre à la menace qui sera celle que l'on va retrouver ? Je n'ai pas parlé du théâtre national, mais il faut être prêt également à protéger, bien sûr, le théâtre national. Demain, il y a les Jeux Olympiques. Les Jeux Olympiques, c'est aussi... Bien sûr, c'est un événement majeur qui va faire rayonner la France, mais il y a aussi un certain nombre de menaces, donc il faut être prêt à y répondre. Et ça, ça se prépare, évidemment.

  • Speaker #0

    Finalement, une stratégie militaire... Enfin, moi, je compare ça un peu au monde de l'entreprise. Et dans le monde de l'entreprise, quand on prévoit un plan stratégique, ça va plutôt être avec des objectifs. Au sein de l'armée, est-ce que c'est vraiment possible d'avoir des objectifs ? D'après ce que vous venez de dire, de ce que je comprends, ça va être plus être vraiment comprendre quelles sont les menaces et donc être préagir.

  • Speaker #1

    En fait, la dissuasion militaire, parce que là c'est un terme précis, la dissuasion militaire, c'est dans la doctrine française depuis le général de Gaulle en fait. C'est quoi la dissuasion militaire ? La dissuasion, c'est la capacité de dire à quelqu'un qui est... soit aussi fort que nous, soit plus fort que nous, que le jour où il va avoir des intentions sur nous, il va risquer plus que ce qu'il va gagner. Voilà. Donc est-ce que ça vaut le coup de venir perturber la France, sachant qu'elle va vous donner des coups qui vont vous faire mal ? C'est ça, la dissuasion, en fait, de dire On vous propose de bien réfléchir le jour où vous aurez des intentions belliqueuses contre la France Et ça marche très bien, parce qu'effectivement, la France est dotée d'une arme nucléaire notamment qui permet de dire, y compris aux États les plus puissants, qu'ils ont trop à perdre à venir nous attaquer, en fait, en l'occurrence. Alors après, ça, c'est la dissuasion nucléaire. Mais après, comme vous l'avez dit, quand on a une force militaire comme celle de la France, qui jusqu'à présent est une force complète, on n'a jamais abandonné de capacité, eh bien...

  • Speaker #0

    on va démontrer une capacité à intervenir, y compris seule, pour se défendre. Ça, ça fait partie de la dissuasion. Puis après, on a des engagements également dans des organisations internationales dans lesquelles on est prêts à y mettre beaucoup de moyens qui sont tous cohérents, qui sont tous de bon niveau, qui là aussi vont participer à cette dissuasion. Aujourd'hui, la France est membre de l'OTAN. L'OTAN est l'organisation militaire et de loin la plus puissante au monde. Évidemment, personne ne peut affronter l'OTAN aujourd'hui sans risquer de se faire détruire. L'OTAN. Notamment parce qu'il y a aussi les États-Unis, qui est la plus grande armée du monde. L'OTAN et ses partenaires, enfin c'est quelque chose de très important. Et puis après, il y a aussi notre capacité à montrer ce que nous sommes capables de faire. Alors on le fait dans deux domaines différents. L'engagement opérationnel, bien sûr. Et c'est vrai que personne au monde ne conteste que la France, quand elle s'engage, elle s'engage avec des résultats. Alors après... Je ne parle pas de politique, je ne parle pas sur le plan militaire. Quand la France s'engage, on peut reprendre encore cet exemple du Mali. En fait, on s'aperçoit que ça fonctionne. Et puis le dernier point, c'est tous les exercices que nous menons. Tout le monde regarde la façon dont la France se prépare, en fait, en l'occurrence. Donc là, notamment cette année, en 2023 plutôt, on a conduit un certain nombre de grosses opérations d'entraînement qui sont visibles, sur lesquelles on y met beaucoup de moyens. sur lequel on se remet en cause, sur lequel on se met en difficulté pour dire jusqu'où est-on capable d'aller. Et évidemment, tout le monde le voit, ça. Donc la dissuasion, finalement, c'est tout cet ensemble-là qui fait que, quand on parle de la France, on sait que c'est une puissance à la fois militaire mais également diplomatique. Les diplomates sont là aussi pour participer à cette dissuasion, parce qu'eux vont porter la voix de la France en disant Attention, attention, voilà Voilà ce qui va se passer. Ils sont présents dans toutes les organisations internationales. Ils sont présents. On a une diplomatie qui doit être la deuxième diplomatie du monde. Je sais pas si c'est encore le cas, mais je pense que c'est encore le cas, avec un réseau diplomatique qui influence aussi et qui participe aussi à cette dissuasion d'ensemble, en fait, en l'occurrence. Donc vous voyez, la dissuasion, c'est pas juste une seule idée ou juste une seule composante qui fait que demain, on va pas attaquer la France. C'est quelque chose de plus complet. Et ça... Finalement, tous les jours, c'est remis en cause. Tous les jours, il faut le remettre en état, il faut le faire progresser. C'est quelque chose qui n'est jamais complètement acquis. Demain, on sera challengé et on va essayer de regarder si cette dissuasion est toujours aussi efficace.

  • Speaker #1

    Vous avez parlé d'entraînement. Ça consiste en quoi ? Parce que j'en ai jamais trop entendu parler, je pense.

  • Speaker #0

    En fait, l'entraînement, c'est tout ce qui précède l'engagement opérationnel. Et pour nous, c'est ce qu'on appelle la préparation opérationnelle, en fait. C'est-à-dire qu'avant de s'engager, pour être sûr qu'on s'engage dans de bonnes conditions et qu'on va remplir notre mission, on va... Énormément s'entraîner. S'entraîner, ça commence à s'insir. On va commencer à s'entraîner, à savoir comment on fait fonctionner une section, comment on commande. Puis après, on va aller de plus en plus loin, et puis dans le domaine technique. S'entraîner, c'est être capable de piloter un char. Alors au départ, sur un chemin normal, puis sur un chemin... un peu plus compliqué, puis sur un chemin complètement défoncé, etc. Et puis, une fois que vous avez piloté votre char et que vous le savez, le piloter dans les conditions les plus instables possibles, il va falloir ensuite engager le combat. Il va falloir le faire tirer, ce char, et le faire tirer en atteignant l'objectif. Donc, vous voyez, c'est ça l'entraînement. C'est partir des fondamentaux, c'est-à-dire des connaissances de base, piloter, utiliser son arme. se déplacer, ça on apprend à le faire. Puis ensuite on va y ajouter évidemment un contexte de plus en plus dur, qui va nous amener dans le contexte ou dans l'environnement du combat, et on apprend à combattre en entraînement. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de, notamment on a des terrains de manœuvre, sur lesquels, un peu partout en France, sur lesquels on s'engage presque en conditions réelles. Dans des villages de combat, dans des grands terrains découverts, dans des immenses terrains avec des réceptacles de tirs, où on peut faire des tirs d'artillerie, des tirs d'avions de chasse, de tous les types de tirs en fait. Et tout ça, c'est ça l'entraînement en l'occurrence. Et une fois qu'on a atteint un certain niveau, on va aller regarder, on va aller contrôler le niveau atteint, et ensuite à ce moment-là vous pourrez être engagé. Donc, vous voyez, tout ça, c'est... Et l'entraînement, c'est 90% de la réussite d'une opération. C'est-à-dire que c'est pas juste... Évidemment, quand on s'entraîne, on ne sait pas comment on va réagir le jour de l'engagement. Ça, je suis d'accord. Mais tout ce que vous aurez appris, tout ce que vous aurez... Voilà, tout ce que vous aurez... vu pendant ces périodes d'entraînement vous allez le reproduire le jour du combat et même instinctivement parfois donc c'est ça l'entraînement et ça nous prend beaucoup de temps c'est l'essentiel de notre vie en fait mais je vois à

  • Speaker #1

    moitié on va dire Comment ça peut réellement servir de dissuasion ? Comment ça va être vu par les autres pays, de manière générale, cet entraînement-là ?

  • Speaker #0

    En fait, on fait des entraînements où on y met des milliers d'hommes, avec des capacités complètes. Vous allez avoir à la fois des fantassins, des cavaliers, des artilleurs, du génie, de l'aviation légère de l'armée terrestre, mais également des bâtiments de la Marine Nationale, des avions de chasse. Tout ça va être remis dans le même exercice. C'est son exercice qui est parfois durant. relativement longtemps, avec des changements de place, avec des progressions, avec des obstacles à franchir, avec un ennemi face à nous. D'abord, un, on le montre. C'est-à-dire que l'idée, c'est aussi de dire, venez voir ce que l'on fait. Donc, on a même des journées qui sont réservées pour ça. Et puis, nos adversaires, ne vous inquiétez pas, ils se renseignent. Ils savent qu'on est capable de faire ça. Et plus on fait des exercices proches de ce qui peut nous arriver dans la réalité, plus finalement on va être considéré comme étant une armée sérieuse. Et c'est le cas pour la France.

  • Speaker #1

    D'accord, donc il y a vraiment un aspect communication.

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    J'aimerais bien passer sur un autre aspect qui est plutôt un aspect géopolitique, où vous avez eu une expérience, vous avez eu pas mal d'expériences à l'international avec l'OTAN aussi. Est-ce que vous pourriez me décrire vraiment votre rôle au sein de l'OTAN, en tant que vous étiez conseiller du président, si je ne dis pas de bêtises ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Le Chairman of the Military Committee. Et quel était mon rôle ? Donc c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN. Il fait partie de ce qu'on appelle du 12 stars c'est-à-dire que dans l'OTAN, 4 étoiles, ça correspond à un général d'armée dans l'armée française. Donc ils sont 3. Il y a le président du comité militaire de l'OTAN, qui est normalement la plus haute autorité. Il y a aussi le SACUR, c'est le Supreme Allied Commander in Europe mais qui est également le chef de la composante Europe de l'armée américaine. Donc il a deux casquettes. Et c'est un Américain, évidemment, avec tout ce qu'il y a derrière. Et puis ensuite, il y a un autre général qui est un Français, toujours, qui s'occupe de la transformation de l'OTAN, ce qu'on appelle le SACTI, Supreme Allied Commander for Transformation, qui lui est à Norfolk. Et ça, ces trois chefs, ce sont les trois plus hautes autorités militaires de l'OTAN. Sachant que l'OTAN est une organisation politique qui est donc dirigée par les chefs d'État et de gouvernement, en l'occurrence, qui sont représentés en permanence par leurs ambassadeurs à Bruxelles, et sachant qu'il y a un comité militaire qui, lui, est là pour conseiller l'autorité politique, l'OTAN étant une organisation politique, qui est composé, ce comité militaire, des chefs d'État-major de tous les pays qui composent... l'OTAN, et qui, eux, sont représentés en permanence par des représentants permanents. Donc il y a une autorité civile, une autorité militaire. Bien sûr, c'est l'autorité civile qui prime, bien entendu. Le Conseil de l'Atlantique Nord, d'ailleurs, ce sont les ambassadeurs, mais en fait, ce sont les chefs d'État et de gouvernement. Et une seule autorité militaire, ou les trois que j'ai citées au départ, peuvent être présentes dans ce Conseil de l'Atlantique Nord. Et bien sûr, le chef... Le président du comité militaire en fait partie. Alors quelle était ma mission, moi, auprès de ce général d'armée, ancien chef d'état-major de l'armée de son pays ? Donc moi, j'en ai eu deux, un danois, puis ensuite un tchèque. Eh bien en fait, la mission, c'est de les accompagner dans tout ce qu'ils font. On les accompagne dans tous les discours qu'ils prononcent. Donc on est là pour préparer leurs éléments de langage, leurs discours. On est là également pour préparer tous leurs déplacements. Et ils se déplacent beaucoup. Donc j'ai fait le tour du monde pendant trois ans. Et là, on a la responsabilité finalement de l'organisation, de la coordination. Et ce qui est intéressant dans ce rôle-là, c'est pas de préparer leur déplacement ou d'écrire leur discours. Ce qui est intéressant, c'est d'être le témoin de ce qu'ils voient et de ce qu'ils vivent. Et en fait, de rencontrer le président du comité militaire de l'OTAN, rencontre... les présidents des pays dans lesquels il va, les premiers ministres, les chefs d'état-major des armées. Et donc tout ça est d'une grande richesse. Faire des réunions où vous avez le SACUR, le SACTI et le CMC, c'est des moments incroyables. Parce que c'est là où tout se décide, en fait, en l'occurrence. Assister au conseil de l'Atlantique Nord quand vous avez les chefs d'état et de gouvernement qui se réunissent ou quand les chefs d'état-major de chaque pays de l'OTAN viennent au comité militaire. Ce sont des moments qui sont très riches, qui permettent quand on est un Conel un petit peu expérimenté, mais pas encore tellement expérimenté, de voir beaucoup de choses, de comprendre le fonctionnement des choses, d'avoir un discernement finalement que l'on apprend très rapidement au contact de ces autorités-là. Alors évidemment, ces autorités-là, elles nous donnent des directions à suivre, elles nous orientent, mais ensuite, nous, on est là pour les accompagner en fait, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Et donc finalement, les trois instances que vous m'avez citées, elles vont présenter les situations des armées aux représentants politiques. Oui. Et comment... Quels vont être les sujets traités la plupart du temps ?

  • Speaker #0

    Les sujets, ils sont très très diversifiés, bien sûr. Mais ça va jusqu'à l'intervention. Est-ce que l'OTAN intervient dans telle situation ? C'est eux qui vont le décider. Il y a un moment, on va aller jusque-là. Se dire, que fait-on dans cette situation-là ? Et c'est le pouvoir politique qui va le décider. Parce que c'est bien une responsabilité politique. C'est pas les militaires. Les militaires, encore une fois, c'est un peu comme ce que je vous disais tout à l'heure au sein de la France. Les militaires vont donner un avis. Ils vont donner l'avis du comité militaire. Ils seront là pour l'exposer, y compris quand les décisions sont prises. C'est comme le secrétaire général de l'OTAN. Le secrétaire général de l'OTAN, lui, il est là juste pour animer, coordonner. Il ne décide rien. Ce sont bien les chefs d'État et de gouvernement qui décident à l'unanimité. Donc c'est quand même pas simple, parce qu'il faut que tout le monde se mette d'accord.

  • Speaker #1

    Justement, ça c'est un point que je ne savais pas. Je ne savais pas que l'OTAN, les décisions étaient prises au consensus, c'est-à-dire à l'unanimité. Comment ? Enfin, je me demande comment ça se passe à ce niveau-là.

  • Speaker #0

    C'est compliqué.

  • Speaker #1

    De un, il y a beaucoup de parties prenantes avec, j'imagine, des opinions divergentes.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Et de deux, j'imagine que ces personnes-là ont tous un minimum de caractère, puisqu'ils représentent leur pays. Bien sûr. Comment prendre une décision et la mettre en application derrière avec autant d'avis ?

  • Speaker #0

    En fait, tout ça, ça va se passer à travers des longues discussions. Chacun va faire des concessions. Donc l'idée... Je prends le cas extrême. Il faut intervenir dans une zone géographique. Forcément, vous avez un certain nombre de pays... Les États-Unis n'ont pas du tout les mêmes envies ou les mêmes contraintes que les pays baltes, par exemple, ou que les pays proches de la frontière orientale européenne. Les pays latins, c'est encore complètement autre chose, etc., etc. Donc chacun, finalement, a son ambition. Chacun a ses contraintes, chacun également a son opinion publique. Ça aussi, ça rentre en ligne de compte. Parce que forcément, lorsque vous allez dans une direction, vous représentez ce qui se passe dans votre pays. Donc vous avez aussi des pressions, en l'occurrence. Et puis à un moment, dans ces discussions, il va falloir que tout le monde se mette d'accord. Donc on va trouver le bon point. Parfois, ça peut prendre du temps. Parfois, ça peut se faire dans l'urgence parce que c'est une situation de crise. Mais très concrètement, on y arrive assez bien. Moi, je me suis retrouvé souvent dans des discussions. Alors avec mon rôle, je représentais pas la France. Mais il y a marqué en énorme que je suis français. Donc il m'est arrivé... Mon président du comité militaire, parfois, m'a demandé d'aller voir la délégation américaine pour bien expliquer quelle était la position de la France. Voilà. Ou d'être mandaté. D'ailleurs, tout ça, ça se fait un peu en coordination. On se parle les uns et les autres. Et chacun, à sa place, va jouer son rôle en expliquant. Voilà pourquoi nous agissons de telle façon, pourquoi la France bloque ou pourquoi la Turquie bloque ou pourquoi les États-Unis bloquent. Comment pourrait-on débloquer ? Qu'est-ce que nous sommes prêts à accepter ? Dans quelles conditions ? Et tout ça, finalement, se passe bien. Se passe bien. Mais je dis pas que c'est facile. Moi, j'ai connu des situations où j'étais même en porte-à-faux, parce que parfois, l'Américain m'a dit Mais je comprends pas pourquoi la France prend cette décision-là Ou alors on va voir la délégation X ou Y en lui disant Mais que faudrait-il pour que vous compreniez ou que vous acceptiez la position qui est celle qu'on défend ? Et puis en fait, au cours des discussions, on fait des ajustements, on fait des contre-propositions. Et puis à un moment, on se met autour de la table et on dit Bon, tout le monde a l'air d'accord Et là, on peut voter une... Une décision, en fait, en l'occurrence. Mais là aussi, c'est compliqué, parce qu'il y a beaucoup de monde au sein de l'OTAN. Je vous l'ai dit, sur le plan géographique, on a vraiment des contraintes très très différentes. Il y a ceux qui ont vraiment la pression de l'Europe orientale. Il y a ceux qui ont la pression du sud de la Méditerranée. C'est pas du tout la même. Le Canada est quand même assez loin de tout ça. Et pourtant, il est membre de l'OTAN. La Turquie, dans cette partie... de l'Europe ou déjà de l'Orient, encore d'autres préoccupations. Il y a forcément des volontés différentes. Donc c'est beaucoup de négociations.

  • Speaker #1

    D'accord. Et finalement, quand une décision est prise... Comment la suivre ? Quand l'OTAN intervient, comme vous l'avez dit, les pays sont dans des zones géographiques qui sont parfois très différentes. Et au-delà de ça, ça peut être encore très loin de tout le monde. Comment réussir à suivre ça ? J'imagine que ça rejoint un peu sur l'aspect d'état-major.

  • Speaker #0

    Après, c'est facile. Vous avez une structure militaire qui se met en place. C'est pas parce que tout le monde a voté une décision en disant on va aller s'engager à tel endroit que tout le monde va y aller. Donc ensuite, chacun va dire moi je peux apporter tel moyen, l'autre va apporter d'autres moyens et on va mettre en place une structure de commandement qui sera cohérente avec les moyens adaptés pour remplir la mission. Et tout ça va évoluer dans le temps aussi. C'est-à-dire qu'il peut y avoir une nation qui dit à un moment moi, je me retire de cette opération en prévenant qu'on va suffisamment à l'avance. Et puis pendant cela, d'autres vont prendre la place. C'est évolutif. Enfin tout est possible. Mais la décision, c'est ce qu'il y a de plus dur à prendre. Parce qu'une fois que la décision est prise, la mise en œuvre, en fait, la réalisation je dis pas que c'est facile mais c'est plus simple à mettre en place. Puis après, tout ça va évoluer. Parce que... La mission va évoluer, l'environnement va évoluer, le contexte va évoluer, les unités présentes peuvent évoluer également. Avec une structure de commandement qui sera toujours multinationale. Donc on n'est jamais tout seul dans son coin. Voilà. Et tout ça se fait de façon très raisonnable. C'est constructif. C'est-à-dire qu'on le fait... C'est évolutif. On le fait... Ça se passe très bien. Bon. Puis après, il y a suffisamment de monde dans l'OTAN pour arriver à mettre en place une force qui répondra à la... à la situation. Et notamment ceux qui ont poussé dans le temps, parce qu'il y en a toujours qui vont dire OK, on est d'accord, mais nous, on n'a pas de moyens à mettre en place Là, c'est déséquilibré. C'est sûr que les Américains n'ont pas les mêmes moyens que le Luxembourg, évidemment. Donc c'est pas la même chose.

  • Speaker #1

    Et finalement aussi, vous dites que ça évolue. Et lorsque ça évolue, il y a de nouveau plein de discussions qui sont pris au sein de l'OTAN, où c'est le commandement qui va pouvoir le faire. Non,

  • Speaker #0

    il y a toujours... Le Conseil de l'Atlantique Nord, sous sa forme des ambassadeurs, se réunit 2 à 3 fois par semaine. Et 2 à 3 fois par semaine, c'est à peu près la norme. 2 fois, on va dire, avec des sujets divers et variés. C'est-à-dire que... Tous les sujets vont passer dans ce cadre-là. Donc cette structure, elle est en place en permanence. Et en fait, elle répond vraiment à la demande. Elle répond vraiment à... Vous parlez des évolutions. Alors voilà. Quand il y a des évolutions, on en parle. En fait, il se parle en permanence. Et c'est très bien. C'est fait pour ça. Les chefs d'État et de gouvernement ne viennent, eux... Alors d'abord, ils viennent régulièrement. Il y a des sommets qui sont prévus pour ça. Mais il y a des sommets de l'OTAN. Donc là, on réfléchit vraiment sur... Comment on va se projeter ? Quelles sont les grandes orientations que l'on va prendre ? Ensuite, il y a les réunions qui sont pour les chefs d'État et de gouvernement, où là, on va avoir un ordre du jour qui est adapté pour les mois qui viennent. Il y a aussi les chefs de gouvernement qui viennent. Il y a aussi les ministres des Affaires étrangères. C'est quand même très, très organisé. Et les ministres, évidemment, toute la partie de défense, évidemment, les ministres de la Défense et la partie militaire. Donc oui, c'est quand même... Tout ça est très, très bien organisé. C'est avec beaucoup d'échéances. et on y va de très loin à très près en fait en l'occurrence donc en fait en permanence c'est évolutif d'accord

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour tout ça. On va passer à des petites questions de conclusion. Premièrement, quel ouvrage, donc ça pourrait être un livre ou un film, peu importe, vous conseilleriez ? C'est pas forcément lié à l'armée, c'est totalement un autre sujet.

  • Speaker #0

    Alors moi, j'aime beaucoup lire des biographies. Parce que je trouve qu'on apprend énormément de choses en lisant des biographies des grands hommes d'État, en l'occurrence. Il y en a une qui me vient à l'esprit, parce qu'elle est assez symbolique. Lorsque j'ai quitté l'OTAN, le président du comité militaire de l'OTAN, c'était le général Petr Pavel, au passage, qui est devenu président de la République, de la République tchèque aujourd'hui, et qui m'a offert un livre... que j'ai lu. C'est une biographie de Roosevelt... de Roosevelt, non, non, de Churchill, pardon. C'est un pavé qui doit faire 800 ou 900 pages en anglais. Mais je l'ai lu et j'ai appris énormément de choses, notamment sur la petite enfance, l'évolution, comment Churchill est devenu l'homme qu'il est devenu. Et j'ai trouvé ça remarquable parce que... On découvre qu'il n'est pas un bon élève. Tout ça ne se fait pas si facilement que ça. Et pourtant, ça devient un homme redoutable ensuite sur le plan politique notamment. Les biographies en général, Clémenceau, De Gaulle, j'aime beaucoup. J'aime bien également tous les livres d'histoire. Alors je vais vous citer un livre que je viens de lire. Puis en même temps, je vais faire la publicité pour un camarade. J'ai un camarade qui est général de division. qui s'appelle Nicolas Lenen, et qui vient d'écrire un livre qui s'appelle Armistice. Et c'est un roman, en fait, en l'occurrence, mais c'est un roman qui se passe après Dien Bien Phu, au moment où ceux qui étaient là-bas sont prisonniers et commencent à faire leur longue marche. Et il a élaboré toute une histoire qui est fantastique. J'ai lu ça pendant les vacances de Noël, avec une vraie intrigue. Et on y retrouve beaucoup... Beaucoup de choses qu'on a lues par ailleurs sur la condition militaire, sur ses coins soldats. Dans ce livre, il y a trois héros. Il y a un Allemand qui s'est engagé à la Légion étrangère après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est quand même pas anodin. Il y a un jeune Saint-Syrien qui sort d'école et qui se retrouve à la tête de sa section et qui se retrouve là maintenant prisonnier. Après la fin de Diem Bienfou, vous avez un jeune caporal qui est un paysan qui s'est retrouvé engagé un peu par hasard et qui se retrouve là-dedans. Finalement, ça reflète assez bien notre pays. Et voilà. Donc j'ai trouvé ça très bien. Si on parlait de films, alors c'est un peu militaire tout ça, mais je pourrais vous citer beaucoup de films, bien sûr, mais je vous citerais Le Grand Bleu parce que je suis méditerranéen. Et ça m'a marqué parce que je trouve que ça reflète bien la vie méditerranéenne, en fait, en l'occurrence, et aussi cette volonté de liberté, de vivre au grand air, en fait, ce qui nous rejoint un peu. Et puis, quand j'étais très jeune, j'avais vers 12 ou 13 ans... J'ai vu un film qui s'appelle Croix de Guerre. C'est un vieux film qui doit être des années 70. C'est un film de... Je me souviens encore, c'est Sam Peckinpah, le réalisateur. Et ce film, pourquoi il m'a intéressé ? Parce qu'il m'a choqué. Parce que j'avais, je vous le dis, de 12 ou 13 ans. Et c'est un acteur américain qui joue le rôle du héros, sauf qu'il joue le rôle d'un sous-officier de la Wehrmacht pendant la débâcle de Stalingrad. Et ça, ça m'a impressionné parce que pour moi, un Allemand, ça peut pas être un héros quand j'ai 12 ou 13 ans. C'est pas ce qu'on m'avait expliqué jusqu'à présent. En plus, c'est un sous-officier et forcément, il est remarquable alors que les officiers sont souvent pas au niveau. Et ça m'a forcé à me dire, ah ben non, en fait, c'est pas toujours comme on dit que les choses se font. Voilà, et ce film m'a vraiment marqué, en l'occurrence. Donc c'est un biofilm qui se passe sur le front russe. Et un Allemand héros, pour moi, ça a été compliqué. Surtout qu'on est dans les années 70 à ce moment-là, un petit peu plus tard pour moi, puisque j'avais 12 ou 13 ans, on devait être au début des années 80. Et j'avais encore mes grands-parents qui avaient bien sûr été engagés dans le conflit. Et forcément, on n'avait pas cette lecture-là. Donc ça m'a un petit peu étonné. Et ça a remis en cause un peu certaines certitudes que j'avais, si on peut dire qu'à 12 ou 13 ans, on a des certitudes.

  • Speaker #1

    Ouais, c'est marrant aussi, finalement, de voir que... Certaines généralités, des idées perçues et diffusées ne sont pas forcément réellement délocalisées.

  • Speaker #0

    C'est applicable aujourd'hui, d'ailleurs. Parce qu'en fait, on nous montre des choses et on nous dit c'est comme ça ou c'est vrai. Est-ce que tu l'as vérifié ? Est-ce que c'est si vrai que ça ? Est-ce que ça ne peut pas être contrebalancé par autre chose ? Est-ce que ça ne peut pas être nuancé ? Et en fait, c'est souvent les choses. C'est comme ça que ça se passe. J'ai une autre expérience, puisque vous me donnez cette occasion-là. Par hasard, je faisais un voyage de langue le 1er août 1990. Et donc je me suis retrouvé, moi, pendant trois semaines, j'étais en Jordanie, exactement, avec des copains. Et donc pendant trois semaines, on a vécu, on a entendu, on a regardé la télévision, on a écouté, on a partagé avec des gens qu'on a croisés dans la rue, tout ce qui se passait en fait avec la compréhension, qui était la compréhension locale. Quand je suis rentré en France, ma première discussion avec mon père a été très compliquée, parce qu'on ne se comprenait pas. Lui, il m'expliquait... Il avait une argumentation qui était celle qu'on nous donne en France, en Occident, on va dire. Et moi, j'avais toute l'argumentation qui avait été donnée par les locaux. Et en fait, on peut pas se comprendre. Et ça, j'ai trouvé ça très intéressant parce que je me suis dit... Mais en fait, est-ce que je suis libre de penser ce que je pense ? Est-ce que, de temps en temps, je ne dois pas me dire qu'en face, ils ont aussi des bonnes raisons de s'engager de cette façon-là, ou d'avoir ces idées-là, etc. Alors, ça nuance un peu, parfois, la compréhension des choses que l'on peut avoir. Là, c'était un bon exemple, parce que j'étais pourtant libre, j'ai écouté, personne ne m'a dit il faut penser comme ça Mais on a lu une presse qui n'était pas la nôtre, on a entendu des gens qui n'avaient pas les mêmes arguments que les nôtres, et c'est vrai qu'en Jordanie, en fait, ils étaient... Ils pouvaient expliquer également que le Koweït n'était pas forcément une finalité et que l'Irak avait peut-être raison.

  • Speaker #1

    Non, ça, ça m'est... Enfin, pas dans un contexte militaire, mais ça m'est marqué parce que j'ai fait mon échange il n'y a pas si longtemps, et de voir que juste dans d'autres pays, on ne pense pas du tout de la même manière, et le fait d'y vivre, vous ne percevez plus les mêmes choses forcément de la même manière.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est important. Et si on n'a pas cette capacité à se dire que l'autre peut avoir une pensée différente... On passe quand même à côté de quelque chose. Donc il faut au moins se dire que, bien sûr que la façon dont on raisonne, c'est la bonne raison, que la défense de la démocratie, des valeurs de notre pays, tout ça, ça ne peut pas être mis en cause. Mais il faut aussi accepter que ça peut être autrement ailleurs et que quand on veut à tout prix imposer un mode de vie, un mode de pensée à celui qui est en face de nous... C'est pas forcément bien pris. Et c'est pas forcément... Est-ce que c'est même, d'ailleurs, adapté ? Alors ça, je le sais pas. C'est toujours, en tout cas, compliqué. Ce qui est certain, c'est que, à mon avis, ça peut pas se faire de façon brutale. C'est-à-dire qu'à un moment, on n'est pas arrivés, nous, non plus, en trois minutes, à ce niveau d'organisation, de démocratie, etc. Ça a pris du temps. On est passés par beaucoup d'étapes. Certaines très compliquées, d'ailleurs, en l'occurrence. C'est pour ça que c'est important de connaître l'histoire. Parfois, je suis un peu étonné parce que la jeune génération ne connaît pas très bien l'histoire de notre propre pays. Et c'est pour ça que c'est bien de lire aussi des biographies, parce qu'on comprend un peu le contexte qui était celui du moment. Ce n'est pas juste de lire la vie d'une personne, c'est de voir un peu comment elle s'est comportée dans un contexte qui était celui du moment, avec des problématiques qui étaient celles-là à ce moment-là. Et c'est important de se dire que tout ça s'est construit dans le temps. Il y a eu aussi des révoltes, il y a eu aussi des révolutions, il y a eu aussi des périodes sombres, il y a eu des périodes fastes. Et ça a amené à ce que l'on fait aujourd'hui. On ne peut pas dire à celui qui est en face, qui a un contexte complètement différent, qui a une histoire complètement différente, à partir de demain, tu vas rigoler, mais tout va être différent. Mais ça, ça ne fonctionne pas en fait. Mais nous, il nous a fallu du temps aussi pour arriver. Et il y a eu... à ce que nous sommes aujourd'hui. Donc il faut, voilà, je pense qu'il faut avoir au moins cette curiosité et ce regard-là vers l'autre. Y compris quand c'est notre adversaire, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    C'est à faire, mais je pense que ça ne doit pas être forcément évident d'avoir l'information quand c'est un ennemi.

  • Speaker #0

    Oui, mais il faut se poser des questions. C'est-à-dire que lorsque je suis parti au Mali, en fait, on ne s'était pas tellement préparé. C'est venu quand même de façon assez brutale. Mais dans l'avion, j'étais encore en train de me dire, mais quel est mon adversaire ? Quel est mon ennemi ? Quelles sont ses préoccupations ? Quelles sont ses intentions ? Quelles sont ses motivations ? Est-ce qu'il est... Voilà. Parce que finalement, ça me permettait de me dire, est-ce qu'il va être... Il va accepter assez facilement de dire, OK, je ne vais pas plus loin, ou est-ce qu'il va être le... Au départ, on est tombé sur un ennemi qui était incontrôlable, et qui avait beau avoir face à lui un char ou un hélicoptère, il ne renonçait pas, il avançait. Donc, c'est une attitude très particulière, quand même, en l'occurrence, parce qu'elle ne mène forcément nulle part. Mais ça, il faut le comprendre. Si on ne l'a pas accepté... On ne peut pas y arriver. Il y avait des enfants soldats. Les enfants soldats, c'est des enfants qui ont été enlevés dans des villages, qui ont été conditionnés et sur qui on a mis des ceintures d'explosifs. Et puis voilà. Et comment vous gérez ça ? Si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas... Voilà. Et ces enfants soldats, je me souviens d'un notamment qu'on avait récupéré et qui avait une douzaine d'années. Bon, et pas plus. Et qui nous a dit, quand il a été prisonnier, la première chose qu'il nous a dite, c'est Moi, ce qui m'importe, c'est de combattre. Donc je m'engage auprès de vous pour combattre contre ceux qui m'ont enlevé dans mon village il y a quelques semaines. Bon, donc là on se dit, waouh, il y a du boulot derrière, il va falloir reconstruire cet enfant et ça va être compliqué. Voilà, et ça, il faut vraiment s'intéresser, c'est le côté humain. On n'a pas beaucoup parlé d'humain dans notre conversation, et pourtant il est bien au cœur de tout, y compris dans la compréhension de notre adversaire ou de notre ennemi.

  • Speaker #1

    Après vous être confronté à cet exercice, quelle personne vous aimeriez voir faire un exercice similaire ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Quelqu'un qui s'engage. On a bientôt les Jeux Olympiques, alors pourquoi pas un champion ou un athlète qui se prépare à affronter, parce que c'est le combat aussi, quand on part aux Jeux Olympiques, c'est le combat et puis il y a un seul vainqueur à la fin. Donc ça pourrait être intéressant, j'aimerais entendre avec les questions que vous posez, un athlète qui se prépare pour les Jeux Olympiques. Par exemple, ça peut être... Alors après si on va plus loin, c'est les Jeux Olympiques, c'est aussi les Jeux Paralympiques. Ça peut être aussi intéressant d'avoir un athlète qui se prépare pour les Jeux paralympiques, parce que lui, il a évidemment toutes les difficultés d'un sportif de haut niveau, mais il a aussi tout le reste. Et pour revenir à mon métier, on a beaucoup d'athlètes paralympiques, et d'athlètes d'ailleurs au sens large, qui font partie des forces armées. Donc ça, c'est toujours intéressant, c'est quelque chose qui est... qui est à la fois proche et éloigné de notre métier, mais dans l'engagement et dans la préparation. Vous voyez, on parlait de préparation tout à l'heure. Un athlète, qu'est-ce qu'il fait 90% de son temps ?

  • Speaker #1

    Il s'entraîne.

  • Speaker #0

    Il s'entraîne, il se prépare. Et le combat ou l'engagement, l'engagement opérationnel, en fait, c'est l'engagement, le match, parce qu'à un moment, il va se retrouver dans un match ou dans un combat. En fait, c'est une toute petite partie de sa vie. Et là, il ne faut pas la louper, dans l'occurrence. Et c'est tout ce que vous avez acquis par des répétitions multiples et variées. par une remise en cause permanente. Et c'est ça qui va fonctionner. J'avais eu la chance un jour d'échanger avec Jean-François Lamour, je crois que c'est Jean-François Lamour, qui avait été champion olympique deux fois, au Sabre, je crois. Et je lui avais demandé ce qui faisait qu'il allait gagner un assaut ou un combat. Et en fait, il m'a dit, mais c'est très psychologique, mais toute la préparation, elle est là. de se dire qu'il faut prendre l'ascendant sur son adversaire. Le combat, il se gagne comme ça. Et c'est toujours comme ça. Regardez en rugby. Si à un moment, vous laissez la moindre perception à votre adversaire qu'il y a une faille, il va s'engouffrer dedans. et malheureusement il va prendre le dessus alors que peut-être vous êtes meilleur que lui au fond, on a vu combien de matchs comme ça qui basculent du mauvais côté ou du bon côté d'ailleurs en l'occurrence je me souviens d'un très bon côté avec un France-Nouvelle-Zélande où on est mené de je sais pas combien de points en Coupe du Monde et puis d'un seul coup pendant 20 minutes ils mettent 40 points à la Nouvelle-Zélande ce qui est juste impossible, je l'ai vécu en direct et je me suis dit mais qu'est-ce qu'il se passe quoi Parfois, c'est dans le mauvais sens. C'est la dernière coupe du monde, malheureusement. C'est pas terminé. Je pense que ça s'est joué sur le plan psychologique, en l'occurrence. Oui, mais tout ça, c'est un tout, en fait.

  • Speaker #1

    Mais l'aspect psychologique, je pense que c'est un point... Dans le domaine des athlètes, c'est un point qui se développe beaucoup, même de manière générale, je pense.

  • Speaker #0

    Chez nous aussi.

  • Speaker #1

    Parce que j'avais écouté un podcast, et c'était Tony Parker et Teddy Riner qui discutaient. Et Teddy Riner disait qu'au-delà d'avoir un entraînement physique, maintenant, ils avaient aussi un entraînement psychologique, quelqu'un qui les suivait tous les jours.

  • Speaker #0

    Et oui, parce que... Alors, c'est vrai dans le sport individuel, ça l'est aussi dans le sport collectif. Des fois, vous voyez une équipe complète qui sombre. J'ai un exemple que j'avais trouvé intéressant quand je commandais la brigade à Clermont-Ferrand. J'étais souvent invité au match de rugby et je me souviens un jour d'avoir vu un match de Clermont-Ferrand contre Toulouse. Clermont-Ferrand menait au score et Toulouse se retrouve avec deux cartons jaunes. Donc à 13 contre 15. Donc Clermont-Ferrand mène et il se retrouve à 15 contre 13. Le match est fini. C'est à ce moment-là qu'il y a eu une révolte dans l'équipe de Toulouse et Toulouse a marché sur Clermont-Ferrand. À Clermont-Ferrand. à 13 contre 15. Et là, je me suis dit, c'est pas possible. C'est très psychologique. C'est-à-dire qu'à un moment, ils n'ont pas accepté un peu ce qui se passait, et ils ont fait des gestes qui étaient... C'était très audacieux, ils ont pris des risques, et ça a marché. Et ils ont gagné le match.

  • Speaker #1

    Comme quoi, faut jamais abandonner. On va passer à la dernière question. Aujourd'hui, vous êtes général au sein de l'armée Terre. Si vous aviez l'opportunité de pouvoir vous parler à la sortie de Saint-Cyr, qu'est-ce que vous vous diriez ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense que je dirais ce que je dis à tous ceux que je croise et qui sont plus jeunes que moi. Je pense. Je leur dirais... Enfin, je me dirais donc, puisque c'est ce que vous venez de me demander. Profite, parce que la carrière, on ne s'en rend pas compte comme ça. Moi, je suis presque à la fin de ma carrière. J'ai l'impression qu'elle s'est passée en cinq minutes. Donc, je dirais vraiment ça. Chaque moment... Il faut vraiment, vraiment, on ne le fait pas en réalité. On ne s'arrête pas, on ne se dit pas, je viens de vivre quelque chose d'extraordinaire, on ne profite pas assez de ce que l'on fait ou de ce que l'on vit. Et ça, je trouve que j'ai vu les années passer, moi, et à un moment, alors maintenant j'arrive à le faire, me dire, ok, je m'arrête deux minutes, et je me dis, voilà, voilà ce qui vient de se passer, voilà où j'en suis, voilà ce que je fais aujourd'hui. Mais ça dure deux minutes parce que tout de suite, on est appelé par autre chose, et de se dire... C'est pas mal, et c'est intéressant, j'en tire tel enseignement. Et c'est vraiment ce que je dis, et notamment à ceux qui vont prendre des temps de responsabilité, de commandement, je leur dis, ça va aller vite, ça va passer très vite, vous allez être aspirés par le temps, et par tout ce qui va se passer, donc prenez le temps d'apprécier ce que vous faites, parce que c'est exceptionnel. je pense que c'est le message principal parce que si vous appréciez si vous prenez le temps de vraiment profiter de ce que vous faites tout le reste va venir je pense que c'est un très bon mot de fin profitez

  • Speaker #1

    de chaque instant et de toutes les expériences que vous allez pouvoir vivre et je vous remercie encore une fois pour le temps que vous m'avez accordé et puis je vous souhaite une très bonne fin de journée merci,

  • Speaker #0

    vous de même

  • Speaker #2

    Bravo à toi ! Ça fait plus d'une heure et demie que tu nous écoutes. Une heure et demie que t'as la voix de deux personnes que tu ne connais pas dans les oreilles. En tout cas, j'espère que t'as pu tirer plein d'enseignements de cette discussion. Et si tu veux pouvoir comprendre la vision des leaders français d'aujourd'hui, n'hésite pas à t'abonner pour pouvoir écouter tous les autres épisodes. Et si tu peux laisser 5 étoiles, ça me ferait vraiment super plaisir. C'est un side project que je mène à goûter des études et des stages, donc ça demande pas mal de temps. Sur ce, On se retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode avec un nouveau leader.

Chapters

  • Présentation

    00:00

  • Leadership militaire

    11:07

  • Engagement opérationnel

    24:50

  • OTAN et géopolitique

    58:14

  • Questions de conclusion

    01:10:20

Description

#3 Dans cet épisode captivant, nous accueillons le général Frédéric Gout, un leader au sein des armées françaises dont le parcours exemplaire allie engagement opérationnel et expertise géopolitique.


Rejoignez-nous pour une conversation inspirante où le général Gout partage sa vision du leadership dans un domaine réputé pour sa discipline et sa rigueur : les forces armées. À travers des anecdotes de vie et des réflexions personnelles, il offre un regard unique sur un monde en perpétuelle évolution.

Préparez-vous à être captivés par les leçons et les perspectives éclairantes de ce leader exceptionnel. Cet échange promet de vous immerger dans l'univers complexe mais fascinant du leadership militaire et de vous inspirer dans votre propre cheminement


Si cela vous a plus, n'hésitez pas a mettre 5 étoiles au podcast et à venir découvrir les backstages sur mes réseaux: https://linktr.ee/leCafedeLAmbition


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à tous sur le Café de l'Ambition, le podcast sur lequel nous discutons avec les leaders français d'aujourd'hui pour les leaders de demain. Hello à tous, on se retrouve pour le troisième épisode du Café de l'Ambition. Pour cet épisode, je serai accompagné d'une personne très différente des deux premières, dans un domaine qui est particulièrement reconnu pour sa discipline. Un domaine qui est très souvent revenu aussi lorsque je discutais avec mon entourage ou bien les premiers guests vis-à-vis de la personne qu'ils aimeraient entendre, on se retrouve avec le général Gou, général au sein de l'armée. Lors de notre échange, on a pu aborder sa carrière, ses engagements opérationnels et même parler géopolitique puisqu'il a eu une expérience au sein de l'OTAN qui est super intéressante. Avant que l'épisode commence, il y a une petite confidence à vous faire, le général a accepté de faire l'interview en uniforme. Et pour être totalement transparent, j'étais un peu impressionné au début. Vous l'entendrez très certainement au son de ma voix. Au passage, si vous voulez aller voir les backstage, n'hésitez pas à me follow sur Insta. Vous pouvez retrouver le lien dans la bio du podcast. Sur ce, je vous souhaite une excellente écoute.

  • Speaker #1

    Bonjour mon général, merci d'avoir accepté l'invitation. Première question, comment allez-vous ?

  • Speaker #2

    Écoutez, je vais très bien. L'année vient de débuter, donc on a beaucoup de défis devant nous. Probablement, bien sûr, quand on regarde le monde comme il est aujourd'hui. Donc je vais très bien et je pense qu'il faut aller bien pour être prêt à affronter tous ces défis.

  • Speaker #1

    Je me suis permis de vous contacter autour de l'armée, puisque vous êtes général au sein de l'armée de terre. Est-ce que vous pourriez présenter rapidement votre parcours ?

  • Speaker #2

    C'est un peu compliqué parce que c'est un parcours long de presque 35 années maintenant. Alors un parcours de militaire de façon un peu synthétique, d'abord ça commence par une envie, on va dire, qui s'est traduite par un lycée militaire, parce que j'ai commencé dans un lycée militaire. en classe de seconde, et puis ensuite ma vocation militaire a mûri, et je suis rentré en prépa pour faire Saint-Cyr. Donc quelques années qui m'ont permis de me dire quelle est ma vocation, est-ce que c'est bien ce métier que je veux faire, dans un environnement déjà militaire, sans l'être totalement, puisque ça dépend de l'éducation nationale aussi, et donc avec cette volonté de rentrer dans l'institution militaire. Saint-Cyr, et puis à la sortie de Saint-Cyr, une vraie première question. quelle arme, dans quelle discipline ou dans quelle spécialité je veux servir. Un peu par hasard au départ, ce n'était pas mon premier choix, j'ai vu des hélicoptères de combat et évidemment ça m'a attiré. Et je suis rentré dans cette spécialité des hélicoptères de combat où j'ai fait toute ma carrière opérationnelle. En fait, quand on rentre dans l'armée, quand on est jeune lieutenant, on sortit d'un cirque, on va commencer par piloter un hélicoptère. Puis ensuite, on va en commander trois. Et puis progressivement, on va vous en confier dix, une escadrille. Et puis plus tard dans votre carrière, on vous proposera d'être le chef des opérations et de l'instruction d'un régiment. C'est une soixantaine d'hélicoptères en théorie. Puis encore un peu plus tard, lorsque je passe général, donc là je commence à avoir pas mal d'ancienneté, eh bien je commande la brigade des hélicoptères de combat. C'est la brigade de l'aérocombat qui regroupe les régiments d'hélicoptères de combat de l'armée de terre. Donc vous voyez, c'est tout à fait progressif, c'est-à-dire que les responsabilités sont... confier petit à petit, lorsque vous prenez de l'expérience, et que finalement, assez facilement, vous voyez tout à fait bien la tête d'une unité un peu plus grosse. Ça, c'est pour la partie opérationnelle. Et puis ensuite, il y a tout ce que l'on fait autour, puisque dans une carrière militaire, on ne fait pas que de l'opérationnel. Et donc, en fait, c'est un peu en fonction de ce que vous souhaitez faire. Il y a un dialogue toujours avec notre DRH. Et moi, j'ai souhaité faire, par exemple, des relations internationales. Donc on m'a donné la possibilité de faire une mobilité externe au ministère des Affaires étrangères à cette époque-là. Donc j'ai été à la direction des Nations unies et des organisations internationales pendant deux ans. J'avais vraiment le poste d'un jeune diplomate, on va dire, en civil pendant deux ans, avec toujours mon statut de militaire, mais vraiment pleinement intégré dans un autre ministère. Et puis dans ma carrière, j'ai fait d'autres choses aussi, bien sûr. J'ai notamment servi à l'OTAN. Dans l'organisation du traité de l'Atlantique Nord, où j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Alors cette autorité-là, c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN, en réalité. Donc c'est trois années extraordinaires pendant lesquelles on accompagne ce grand chef militaire dans tout ce qu'il fait dans sa vie quotidienne, puisque quand on est son assistant, on est vraiment proche de lui. Donc ça, c'est très intéressant. C'était tout à fait logique avec... que j'avais commencé à faire au Quai d'Orsay, dans les relations internationales. Et puis après, il y a plein d'autres choses que l'on vous propose aussi dans le courant de votre carrière. Donc par exemple, je donne un exemple, je suis allé à l'état-major des armées, parce qu'il faut diversifier en fait son parcours. On ne peut pas tout faire que dans l'armée de terre, tout faire que dans sa spécialité. Donc à l'état-major des armées, j'étais dans un bureau où notamment j'étais en charge des relations avec le Parlement. Donc les relations entre l'état-major des armées, le chef d'état-major des armées, et puis le Parlement, Assemblée nationale, Sénat. J'ai eu cette chance-là parce que c'est tombé pendant une période où on négociait une loi de programmation militaire. Donc il y avait vraiment des grands enjeux qui arrivaient à ce moment-là sur l'établissement et la mise en place de cette loi de programmation militaire, avec le rôle d'être entre deux institutions qui se connaissent, bien sûr, mais qui doivent à ce moment-là bien partager les enjeux pour être sûrs que ce qui va être proposé par l'un est bien compris par l'autre et qui va être évidemment poussé par l'autre. Donc c'était une période très intéressante. Ensuite, on m'a proposé, et là aussi c'est encore un autre cadre, de faire de la gestion. Donc j'ai été positionné auprès du chef d'état-major de l'armée de terre. Là, j'étais en charge de la gestion des officiers généraux et des colonels. Donc quand je parle de gestion, je parle de leur orientation, de leur avancement, de leurs affectations. Alors là, ça fait beaucoup de choses. En fait, tout ce qui tourne autour de la vie, ça fait pas mal de choses à faire. Un poste d'une grande richesse, parce que 80% de ce poste, c'est de l'humain, en fait, avec beaucoup de... d'écoute. Il faut absolument connaître, évidemment, ses connaîtres et ses généraux pour être capable de proposer aux chefs d'état-major de l'armée de terre les bonnes solutions pour leur gestion, en fait, en l'occurrence. Bien connaître également l'environnement, la réglementation. Mais là, j'étais pas tout seul. J'avais une équipe, évidemment, pour m'aider à faire tout ça. Voilà. Et puis aujourd'hui, je me retrouve à la tête de l'inspection de l'armée de terre, qui est encore un poste un peu particulier, dans le sens où c'est pas l'aboutissement d'une filière. C'est plutôt l'aboutissement d'une carrière qui me permet d'arriver là aujourd'hui avec la légitimité qui est la mienne pour tenir cette responsabilité. Vous voyez, j'ai été un peu trop long. Mais une carrière militaire, c'est d'abord très varié. C'est beaucoup de choix que l'on fait. Le premier choix, c'est de savoir dans quelle armée on veut servir, l'armée de l'air, l'armée de terre, la marine. Ensuite, quand on est dans l'armée de terre, quelle arme ou spécialité on veut servir. Est-ce qu'on veut être dans la cavalerie, l'infanterie, les transmissions, le génie ou l'aviation légère de l'armée de terre ? C'est vraiment un choix qui vous appartient, en fait. Et puis à partir de là, vous construisez votre parcours. Et puis il y a des opportunités qui se présentent ou pas. Et puis ça se fait aussi beaucoup en fonction de votre envie. Il y a beaucoup d'envie. Il y a des gens qui vont vouloir faire la carrière que j'ai faite et donc qui vont avoir beaucoup de mobilité. Parce que quand on veut gravir tous ces échelons, il faut accepter quasiment tous les deux ans de changer de poste et quasiment tous les deux ans d'être muté. Il y a des gens qui vont vouloir être plutôt des experts. Donc ils vont rester plus longtemps sur leur poste. Ils vont accepter de moins avancer parce que forcément c'est la contrainte aussi. Mais ils seront reconnus dans leur expertise et on a bien sûr besoin d'eux.

  • Speaker #1

    Ok. Donc ce que je peux retenir c'est que... très modulable et que vous avez une expérience très très riche.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. C'est vraiment... C'est presque à la carte, en fait. Il n'y a pas deux parcours qui se ressemblent. Et on peut arriver au même endroit en ayant fait des parcours complètement différents. Mon prédécesseur n'avait absolument pas le parcours que j'ai. Et celui d'avant non plus. Donc voilà. Et encore, on pourrait entrer dans l'histoire comme ça. Donc oui, oui, je crois que la richesse de ce métier, d'abord, c'est... Évidemment, le cœur du métier, c'est les opérations. Évidemment, la préparation opérationnelle et l'engagement opérationnel, c'est le cœur du métier. C'est pour ça que nous sommes venus. Je pense qu'il n'y a pas de contre-exemple. Mais à partir de là, on peut construire un parcours avec vraiment beaucoup de diversité, il y a beaucoup de choix possibles, on peut se réorienter, c'est vraiment la carte.

  • Speaker #1

    Avant de revenir sur toutes vos expériences, je pense qu'on va avoir de quoi discuter. Il y a une petite autre question que j'aime bien poser, c'est si vous deviez vous présenter à un enfant, donc c'est sous un axe totalement différent, comment vous le feriez ?

  • Speaker #2

    Si je devais me présenter à un enfant, je pense que je commencerais par lui dire que le fond de ma volonté ou de mon envie, au départ, c'est de servir. C'est de servir, c'est-à-dire d'être là pour participer à la sécurité de mon pays. Vous savez, souvent, un enfant dit je veux être pompier parce que je veux aider tout le monde dans le cadre d'un incendie Moi, je pense qu'on pourrait dire ça. D'abord, servir. Ensuite, l'engagement opérationnel. C'est-à-dire que je fais ce choix de ne pas rester dans un bureau pendant 30 ans. Moi, j'ai décidé d'aller sur le terrain, de prendre des risques. Parce que quand on fait ce métier, on sait qu'on va prendre des risques. Il y a un peu d'audace dans cette affaire-là. C'est-à-dire qu'il faut avoir cet esprit un petit peu audacieux de se dire je vais sortir de ma zone de confort parce que c'est l'objectif de ce métier-là. Je lui parlerai probablement d'hélicoptères, parce qu'un jeune enfant, ça va l'intéresser de se dire tiens, voilà, les hélicoptères Je lui parlerai également de mes voyages. Quand on est militaire, on voyage beaucoup. Alors c'est un peu partout le continent africain, bien sûr, parce que c'est ce continent sur lequel on a été beaucoup engagés, mais pas que. Les Balkans, l'Afghanistan, il y a beaucoup de choses, en fait, en réalité. Et finalement, tout ça, c'est l'histoire de notre pays aussi. Je lui parlerai de sport, je lui parlerai de dynamisme.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier point que vous avez abordé vis-à-vis de l'enfant, c'est servir son pays. Au sein de l'armée, la culture militaire, c'est un point qui est très développé. Comment est-ce que vous définirez les valeurs fondamentales de l'armée ?

  • Speaker #2

    Alors... Par quoi commencer ? Je pense que... Est-ce que je parlerais de cohésion d'abord, finalement ?

  • Speaker #1

    La cohésion, c'est un point que je vais aborder derrière.

  • Speaker #2

    C'est peut-être le point dans les valeurs. Alors la cohésion, ce n'est pas une valeur, mais c'est un état de fait et c'est celui qu'on recherche, parce que tout passe par la cohésion. La cohésion, dans les valeurs, il va y avoir la discipline, parce qu'on ne peut pas servir au sein des armées sans respecter une forme de discipline. Parce que, encore une fois, la finalité, c'est l'engagement opérationnel. Et le jour où on est engagé, tout le monde fait confiance en celui qui est à côté de lui, qu'il soit son chef ou son subordonné, pour remplir la mission. Si l'un est défaillant, eh bien en fait, tout va échouer. Donc la discipline, c'est une valeur fondamentale pour les armées. Je rajouterais aussi tout ça dans la cohésion dont j'ai parlé au départ. Je pense que le courage, c'est une valeur fondamentale également. Là aussi, j'en reviens toujours. Le courage, c'est pas forcément le courage de partir au combat, même si la finalité, c'est celle-là. Le courage aussi, c'est celui de dire à son chef Vous faites fausse route tant qu'on est dans le cadre de la préparation. Et puis à un moment, le chef va prendre une décision et là, il n'est plus question de la remettre en cause. La discipline. Voilà un petit peu les vraies valeurs fondamentales. Après, il y en a d'autres, évidemment.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien de les résumer en trois mots. Donc ça serait la discipline, la cohésion et le courage. Ok. Ces valeurs au sein de votre parcours, comment on vous les a inculpées ? Est-ce que ça a été via les expériences que vous avez pu vivre sur le terrain ? Est-ce que ça a été via des sincières ? Et aussi, à l'inverse, comment est-ce que vous, vous les avez inculpées à vos subordonnés ?

  • Speaker #2

    En fait, je crois que c'est ce que vous disiez en introduction, la carrière militaire est bien faite. C'est-à-dire qu'au départ, on vous met dans une école où on va vous inculquer ces valeurs-là, petit à petit. On vous explique. Pour commander 8-10 personnes, il faut qu'il y ait une forme de discipline, il faut que vous soyez courageux de temps en temps, parce que ce n'est pas évident, et il faut que vous formiez une cohésion, autrement votre ensemble ne sera pas cohérent. Alors quand on est jeune et quand on est en école, on est encore un peu fougueux, on part dans tous les sens. Et puis petit à petit, l'idée c'est de faire en sorte que tout ça soit bien respecté. Pour qu'on puisse être engagé très rapidement. Ne l'oublions pas, quand on sort de Saint-Cyr, on peut être engagé tout de suite. Certains partent en opération extérieure avec très peu d'ancienneté, finalement. Alors on passe par le cycle école, quand même, qui dure assez longtemps. Le Saint-Cyr, c'est trois ans plus une année d'école d'application où on apprend vraiment notre métier. On apprend d'abord à être un... un officier. Et ensuite, on apprend à être un officier dans une arme particulière. Un fantassin, un cavalier, un artilleur, un transmetteur. Ce qui fait qu'on passe du général au particulier et au spécifique, c'est-à-dire le métier. Parce que lorsqu'on est à la tête d'une section, une trentaine d'hommes, on ne peut pas arriver juste avec quelques valeurs, quelques notions. Il faut être aussi pas encore un expert. Parce que les subordonnés qu'on vous confie forcément sont plus compétents que vous et sont plus experts que vous. C'est leur métier. Mais vous, vous devez avoir quand même suffisamment de connaissances pour apparaître comme quelqu'un de légitime vis-à-vis de ces subordonnés-là. Autrement, à un moment donné, vous n'arriverez pas soit à faire cette cohésion, soit à faire en sorte que vous soyez tout simplement légitime pour partir avec eux. et leur donner des ordres dans les moments de crise, en fait.

  • Speaker #1

    OK. Mais du coup, vis-à-vis de ces valeurs, ça va plutôt se créer au petit à petit ?

  • Speaker #2

    Oui, je pense que... C'est l'expérience que l'on va acquérir. Au début, on va vous donner toutes les clés. On va vous donner toutes les connaissances qui vous permettront à la fois de technique, mais également intellectuelle, morale. Tout ça, on va vous le donner. Et vous, il faut le digérer dans un premier temps. Et puis ensuite, il faut acquérir un peu d'expérience pour demain être capable de justifier que c'est bien la bonne personne qui est à la bonne place pour prendre ses décisions, pour commander en fait en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Moi, enfin, alors là c'est une opinion personnelle, mais j'avais cette idée qu'au sein de l'armée, quand on est, alors je ne connais pas tous les grades, mais quand on reçoit les ordres, on a tendance à les exécuter sans forcément... Chercher à comprendre, c'est peut-être pas le meilleur mot, mais tout à l'heure vous m'avez dit avoir le courage de dire à son supérieur que parfois il se trompe. Et du coup, moi dans mon idée, c'est qu'on ne cherchait pas forcément à faire remettre en cause les ordres. Et que la passerelle de passer à commander des personnes, des militaires, et quand on est commandé, je me demandais comment ça se passait, Finalement, l'armée est connue pour sa discipline, pour le respect de sa hiérarchie. C'est vrai. Comment ça va se passer ? Est-ce qu'il y a du mécénat, quelque chose de ce type ?

  • Speaker #2

    Alors en fait, comme vous l'expliquez, on est un peu dans l'image d'Epinal. C'est-à-dire qu'il y a un chef qui donne un ordre, il est exécuté et on discute. C'est absolument pas comme ça que ça se passe. Il y a un chef qui donne une orientation. Voilà comment il voit les choses. Et derrière, il a des subordonnés, c'est pour ça que je vous parlais de courage, parce qu'il faut de temps en temps être capable de dire à son chef vous avez tort Lisez un peu tout ce qui a été écrit sur l'Indochine, l'Algérie, etc. Souvent, vous avez des subordonnés qui disent à leur chef Si vous allez par là, vous vous faites prendre un risque à la section et on va tomber dans une embuscade. Et c'est ce qu'il faut éviter. Parce que moi, qui suis un sous-officier, j'ai l'expérience et je sais qu'en passant sur ce chemin-là, on prend un risque. Vous qui êtes officier, et qui êtes jeune officier sans expérience de ce terrain-là, vous nous demandez de prendre ce risque. Alors, comment ça se passe en réalité ? Eh bien en fait, je vous le disais, une décision est élaborée, on commence à avoir une orientation, et ensuite on en parle. C'est-à-dire qu'il y a toujours la possibilité d'en parler. D'ailleurs aujourd'hui, c'est très difficile de dire à quelqu'un je te donne un ordre, c'est comme ça et puis tu l'exécutes et il n'y a rien à dire. Circuler, il n'y a rien à voir. Ça, ce n'est pas possible. Il y a donc une phase ensuite pendant laquelle on va discuter, on va en parler. L'expérience des uns va enrichir. la compétence ou la connaissance de celui qui élabore l'ordre. Cette phase de discussion va durer un certain temps. Alors ce temps, il est plus ou moins court en fonction du degré d'urgence, par exemple. Quand on est en opération, il y a des moments où ce temps se réduit considérablement. Et on va arriver à une décision. Et cette décision, c'est le chef qui va la prendre toujours, puisqu'il est là pour prendre des décisions. Lorsque le chef a pris la décision, cette fois-ci, l'ordre, on ne le conteste plus. Parce que si on conteste l'ordre alors que la décision a été prise, là, on va faire prendre des risques à l'ensemble du groupe. Et donc on va remettre en cause cette cohésion dont je vous parlais tout à l'heure. Donc ça veut dire que... Alors parfois, on n'est pas d'accord avec la décision qui va être prise. Parce que dans les orientations, on avait une autre hypothèse. Mais cette hypothèse, elle a été entendue par le chef, qui à un moment va prendre lui, avec tout le contexte qui est le sien, ses connaissances, l'environnement qu'il connaît peut-être mieux que celui qui est son subordonné. Une fois qu'il a pris sa décision, alors on doit... adopter cette décision comme étant l'ordre que tout le monde va suivre. Et tout le monde doit aller, doit converger vers l'exécution de cette décision. Et là, ça va fonctionner.

  • Speaker #1

    Donc il y a vraiment un avant l'ordre et un après l'ordre. Donc il y a une phase de... Discussion avant l'ordre, ou parfois faire preuve de courage, et après, c'est là où la discipline intervient réellement.

  • Speaker #2

    Une fois que la décision est prise, comme à la fin la finalité c'est le combat, l'engagement opérationnel, là on ne peut pas se permettre d'avoir la moitié de la section qui dit, en fait, moi j'avais dit que je ne voulais pas y aller, ou qu'il fallait passer par la droite, donc je vais à droite, parce que si vous avez une moitié de section qui va à droite et l'autre à gauche, d'abord je ne sais plus où on met le chef à ce moment-là, et de toute façon on ne va pas remplir la mission. C'est quelque chose qui est tout à fait compris, qui est bien admis et qui est très cohérent. Donc évidemment, ça repose sur une hiérarchie. Quand on regarde bien dans la société civile, il y a toujours une hiérarchie aussi. Et il y a un moment où il y a toujours un ordre qui est donné. Alors peut-être que derrière, il y a des enjeux qui sont différents, qui peuvent être différents, qui peuvent être économiques par exemple, donc ils sont stratégiques. Mais nous, ce qui est sûr, c'est qu'à la fin, il y a une mission à remplir et on ne peut pas... ne pas remplir cette mission.

  • Speaker #1

    Parce que je trouve que ce qui est vraiment différent entre l'aspect civil et l'armée, c'est qu'on... Dans l'aspect civil, il y a beaucoup moins de discipline et qu'en général, il y a parfois des fortes têtes qui vont quand même en faire qu'à leur tête et finalement, on peut avoir une finalité qui va être différente.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des fortes têtes. Mais si c'est les armées, il ne faut pas se tromper. Vous savez, les armées, c'est le reflet de la société civile. Donc, on a aussi des gens qui ont des forts caractères, mais à qui on apprend petit à petit à respecter le... l'endroit où ils sont, et puis en leur disant votre caractère peut s'exprimer, puisque effectivement, vous avez toujours cette phase où vous pouvez vous exprimer. On peut dire beaucoup de choses au sein de l'institution militaire, mais il y a un moment, ça c'est certain, ça fera peut-être la différence avec le monde civil, où tout le monde doit exécuter la décision qui a été prise, et si ce n'est pas le cas, celui qui ne rentre plus dans cet ensemble-là en sera exclu. Ça, parce qu'il faudra prendre trop de risques. Et y compris dans l'avancement, c'est quelque chose qui va être regardé. Parce que très concrètement, si à un moment, on se dit qu'il y a un danger dans le fait que vous n'allez pas forcément écouter les ordres de vos supérieurs hiérarchiques ou dans le fait que vous allez créer beaucoup d'instabilité ou de manque d'assurance chez vos subordonnés, donc là, je pense que c'est pas bon pour la cohésion d'ensemble. Et on regarde ça avec beaucoup de précision pour l'avancement.

  • Speaker #1

    On a bien discuté de l'aspect culture militaire. Moi, il y avait un autre aspect qui m'intéressait particulièrement, c'était la prise de décision, ou même plus généralement de la stratégie. Quand on est dans des situations parfois critiques, avec des conditions qui sont parfois extrêmes, des enjeux aussi qui peuvent être extrêmes vis-à-vis de la vie, on parle parfois de la vie de vos subordonnés, j'imagine.

  • Speaker #2

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment, alors être sûr, je pense que c'est le même cas, mais prendre la bonne décision ?

  • Speaker #2

    Alors, je... La situation de crise, donc cette situation de crise, elle vous laisse peu de temps, en fait, puisque vous êtes surpris. Forcément, ça va aller très vite. Et là, ce qui est certain, c'est qu'en situation de crise, tout le monde se retourne vers le chef. Donc là, il n'y a pas de discussion ou très peu, en fait. Et vous devez décider effectivement dans l'urgence. Est-ce que vous allez vous dire dans votre tête Est-ce que je prends la bonne décision ? Vous n'avez pas le temps. Donc en fait, vous ne raisonnez pas comme ça. Vous vous dites Je suis compétent, je suis légitime, et donc je suis dans l'action C'est ça. C'est en amont. Une fois que vous avez accepté d'avoir cette responsabilité de chef dans un engagement opérationnel, ça, vous l'avez mis de côté. Donc après, vous décidez. Et vous décidez comment ? Vous décidez avec tout ce que vous avez acquis, tout ce que vous avez engrangé, tout ce qui a sédimenté dans votre carrière. Donc vous avez un certain nombre de réflexes. Vous avez des raisonnements qui sont fondés sur des cas concrets que vous avez déjà vus. Voilà, ça se fait dans cette direction. Puis évidemment, vous allez penser, d'abord, il faut remplir votre mission. Il faut préserver, évidemment, vos personnels et votre matériel, parce qu'autrement, vous ne pourrez pas très engager demain. Et c'est un peu comme ça que vous allez réfléchir. Et en fonction de ça, vous allez mesurer le risque que vous... Quel risque vous acceptez de prendre. pour remplir une mission. Voilà. Donc, finalement, c'est assez naturel. Moi, j'ai été confronté à des situations de ce type-là et je ne me suis pas posé de questions. J'ai vite vu que, de toute façon, là, oui, j'étais le chef et qu'on attendait une prise de décision qui s'est faite assez naturellement. Et tout ça, ça ne fonctionne que si tout ce qu'on a dit au début est cohérent. S'il n'y a pas de cohésion... Ça va être compliqué. Parce que là, il ne faut pas qu'à ce moment-là, vous ayez un subordonné qui vous dise Mais c'est n'importe quoi. Votre décision n'est pas cohérente. Regardez, vous n'avez pas tenu compte de ça. Voilà. Si votre subordonné a l'impression que c'est le cas, il a le devoir de vous le dire. Mais normalement, ça ne doit pas arriver à ce moment-là. C'est des choses qu'on a vues avant et qui font que dans l'urgence, quand on est en situation de crise, eh bien en fait, tout ça, finalement, arrive assez naturellement.

  • Speaker #1

    Vous avez écrit un livre. J'avais vu notamment que dans... Donc c'était Libérez Tambouctou. Et j'avais vu que dans une de vos opérations, vous faisiez face à des... à des défis logistiques parce que c'était compliqué de pouvoir suivre les terroristes, je dis pas de bêtises, au Mali. Donc typiquement pour illustrer ce que vous venez de dire, dans cette situation, comment vous avez fait pour vous dire, alors je n'ai pas les détails, je ne sais pas à quoi ça correspond toute la logistique que vous deviez déplacer, mais finalement dans cet exemple, qu'est-ce que...

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui était les points importants à prendre en compte et comment vous avez fait face ?

  • Speaker #1

    En fait, c'est vrai que lorsqu'on est dans cette situation, il y a une partie commandement avec l'exécution de la mission. Donc moi, j'avais un chef qui était un général qui commandait l'ensemble de la brigade, en fait, qui, lui, avait des objectifs opérationnels. C'est-à-dire qu'il me disait qu'à telle date, il voulait arriver sur tel point parce qu'ensuite, il allait falloir conquérir la ville de Tambouctou. Donc on s'était fixé des objectifs, pas tout seul, parce qu'il y a aussi l'échelon politique qui vous dit à tel moment nous souhaitons que vous soyez arrivé ou que la ville de Tendutu soit libérée. Donc derrière il y a des défis logistiques et ces défis-là, à la fois nous les partageons, c'est-à-dire que c'est aussi la contrainte du général, mais l'objectif du subordonné c'est toujours de donner le moins de contraintes possibles à son chef. C'est-à-dire de se dire à mon niveau je vais gérer tout ce que je peux gérer à mon niveau. Et puis tout le reste, quand ça dépasse mon niveau, il faut qu'effectivement je... Je vois avec la brigade ou l'échelon supérieur comment on peut partager tous ces défis, en fait, parce que c'est des défis. Là aussi, ça se fait assez naturellement. C'est-à-dire qu'il faut à la fois être conscient de ce qu'on est capable de faire, c'est-à-dire ne pas dire à son général Moi, vous me dites que le 1er février, je dois être à Tombouctou. Eh bien, j'y serai. Alors que vous savez très bien que mécaniquement, votre... Vos pièces de reponge, le kérosène, etc. Tout ça, c'est beaucoup de logistique. On n'a aucune possibilité d'arriver avant le 1er février. Il faut avoir la cohérence de l'ensemble. On n'est jamais tout seul pour faire ça. On travaille en équipe. Des logisticiens, il y en a dans chaque unité, mais il y en a également au niveau supérieur. Tout ça étant organisé pour que l'ensemble fonctionne. Donc vous avez dans une opération comme celle-là, il y a des spécialistes qui font de la logistique, qui eux vont tout mettre en œuvre pour que vous ayez tout ce dont vous avez besoin pour remplir votre mission là où vous devez la remplir. Et à chaque échelon. Ce qui fait que normalement, avec une bonne coordination, on arrive à faire ce qu'on a à faire. Il peut y avoir des... Des soucis, ça peut arriver. Moi, j'ai eu un problème de ravitaillement. Je n'avais plus de kérosène juste avant l'opération à Tambouctou. Le kérosène était disponible, mais c'était un peu compliqué de l'acheminer jusqu'aux hélicoptères. Donc, à ce moment-là, ça fait partie... Je ne sais pas si c'est du courage, mais il n'y a pas le choix. Il y a un moment, il faut dire à son chef... Je n'arriverai pas parce que j'ai un problème logistique. Donc je demande un délai d'une heure pour faire les pleins des hélicoptères. C'est vraiment la chose de base, mais qui peut remettre en cause une opération qui, elle, est stratégique et qui est suivie par l'état-major des armées à Paris ou même par le pouvoir politique. Donc voilà, c'est des choses qu'on anticipe assez bien. Puisque, en fait, tout ça est intégré dans notre façon de nous organiser, de nous préparer en permanence. Donc, on a des unités spécialisées qui s'occupent de ça. Alors, on a parlé de la logistique, mais c'est également toute la partie système d'information. Et là, forcément, si à un moment, vous n'avez plus les liaisons avec les logisticiens ou avec la partie commandement, là aussi, vous allez avoir des problèmes, évidemment. Donc, tout ça, c'est un ensemble cohérent qui vit très bien ensemble. On est habitués à se préparer ensemble. Et en fait, ces connexions, elles sont déjà établies. Ça veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés, parce que cette opération, on était partis, rien n'était en place lorsqu'on nous sommes arrivés. Donc en fait, on allait presque plus vite, les opérationnels allaient presque plus vite que la partie logistique. Sauf qu'à un moment, tout ça doit être cohérent, parce que si vous partez billes en tête et que vos réservoirs sont vides et que le... Le réhabilitaillement, il est trois heures plus tard, vous allez attendre trois heures les réservoirs vides. Donc il faut évidemment anticiper tout ça. C'est la difficulté d'une opération, ce qu'on appelle l'entrée en premier, où il n'y a pas d'environnement logistique autour de vous, et il faut faire en sorte que tout ça avance bien au même rythme en fait en l'occurrence. Et parfois, il faut être capable de se dire, moi j'ai des hélicoptères qui vont vite, loin, tout ce que vous voulez. Oui mais sauf que j'ai aussi des véhicules avec les pièces de rechange, j'ai mes camions de pompiers, j'ai ma tour de contrôle, j'ai tout ça. Et puis il y a le reste de la brigade. Et il y a toute la partie logistique. Il faut bien sûr, si vous partez au combat et que vous n'avez plus de munitions, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de kérosène, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de ravitaillement pour boire et manger, il y a un moment ça ne marche plus non plus. Donc voilà, on essaye de faire en sorte que tout ça soit cohérent. C'est une difficulté parce que ça se fait évidemment en ambiance crise. Donc l'environnement, il est plutôt instable, voire vous avez de l'insécurité. Et en fait, il faut quand même avoir un système complet qui fonctionne parce qu'autrement, là, vous vous mettez vraiment en difficulté. Et puis en plus, forcément, vous n'allez pas respecter finalement ou pas remplir la mission à la fin.

  • Speaker #0

    J'allais rebondir sur un point, c'est... Vous m'avez dit que vous avez des responsables logistiques, donc j'imagine que d'un point de vue local, vous avez l'information. Mais est-ce que ça arrive parfois qu'il y ait des soucis de cohésion entre ce que veut le pouvoir politique ou ce que veut l'état-major et ce qui se passe réellement sur le terrain ? Parce que vous, vous avez bien l'information que l'opérationnel va plus rapidement que la partie logistique et qu'au final, vous êtes au courant de cette information. Mais vis-à-vis de la stratégie initiale, c'est plus possible parce que la logistique ne peut pas... Arriver aussi vite que les hélicoptères à un point B.

  • Speaker #1

    En fait, tout ça se fait avec une grande fluidité. C'est-à-dire qu'effectivement, le pouvoir politique prend des décisions. Le président de la République a fixé un objectif. C'est suivi ensuite en cabinet ministériel. Enfin tout le monde va suivre ça. À l'état-major des armées, ils ont une vision presque instantanée de ce qui se passe. Et très concrètement, on arrive à mettre à jour en permanence nos informations, nos besoins, nos manques. Il nous manque quelque chose sur le terrain. À ce moment-là, on va en parler. Il n'y a jamais de déconnexion énorme entre ce que souhaite Paris et ce qui se passe sur le terrain. Parce qu'aujourd'hui, en fait, moi j'ai l'habitude de dire, en fait, on vit dans un bocal. Donc tout ce qui se passe sur le terrain est absolument connu, maîtrisé, su tout de suite. Il n'y a pas de temps de latence, etc. Ce qui fait que quand nous rencontrons une difficulté ou quand nous tombons sur un obstacle, ce qui peut arriver, qui va nous arrêter, nous on utilise le terme fixer Quand on est fixé, forcément on est obligé de prendre un certain nombre de mesures pour reprendre notre progression. On ne va pas faire n'importe quoi. On ne va pas se dire on est tombé sur une embuscade et tant pis, on nous a dit qu'il fallait continuer, alors on va continuer Pas du tout. À ce moment-là, on va s'arrêter et on va faire les choses correctement pour faire en sorte qu'on prenne toujours le dessus sur notre adversaire. Ça, dès que ça se présente... Presque en temps réel, ça remonte à Paris. Donc en fait, on nous met... Paris, l'état-major des armées, la partie planification et conduite des opérations n'a aucun intérêt à nous mettre en difficulté. Au contraire. Ils sont plutôt là pour nous appuyer, évidemment, en nous donnant leur intention. Voilà ce que vous devez réaliser sur le terrain. Et une fois que nous, nous sommes sur le terrain, on a évidemment la vérité des prix. Et tout ça est bien partagé. Et c'est pour ça que les échelons de commandement sont bien... On a fait également, pour permettre à celui qui a cette vue la plus réelle de ce qui se passe sur le terrain, de discuter avec les chances supérieures pour lui dire, vous voyez aujourd'hui, on ne va pas pouvoir faire ce qui était prévu parce qu'on a rencontré telle et telle difficulté, et peut-être que le lendemain on ira un petit peu plus vite parce que finalement les choses se sont bien passées et on n'a pas rencontré l'adversité que l'on avait imaginée. Tout ça évidemment, c'est lié avec la connaissance, ce qu'on appelle le renseignement chez nous, donc de ce qu'il y a autour de nous. Donc on a énormément de capteurs qui nous permettent de savoir ce qu'il y a en face de nous aussi. Parce qu'une route qui fait 500 km, en fait, en fonction de l'état de la route, des gens qui sont plus ou moins hostiles que l'on va rencontrer sur cette route, enfin de plein de facteurs, tout ça fait que, on va mettre combien pour faire ces 500 km ? On va mettre 5 heures, on va mettre 30 heures, on va mettre 5 jours, tout ça. Et ça peut être ça. Donc vous voyez bien qu'entre 5 heures et 5 jours, c'est pas la même chose. Et parfois, on va être obligé de progresser à 1 km heure parce que le terrain est miné, parce qu'il y a un environnement hostile. Et donc, il va falloir faire très attention. Et la progression, on va la réaliser, mais dans de bonnes conditions pour ne pas risquer de perdre du matériel et bien sûr des hommes. Donc voilà. Tout cet environnement-là, il n'est jamais fixé, il n'est jamais connu à l'avance. On essaye d'avoir le plus de renseignements possibles pour savoir vers quoi on va aller. Mais quand on est en opération d'entrée en premier, il y a un moment, l'ennemi, il est là, il n'est pas là. Là, il nous a échappés pendant longtemps parce qu'évidemment, il n'avait pas intérêt à nous rencontrer au début de l'opération. Puis à un moment, on est arrivé là où il était, mais surtout là où il avait tout son arsenal, tout ce qui était logistique pour lui. Là, il ne pouvait plus nous échapper. C'est-à-dire qu'il y avait un moment, soit il quittait le Mali, pour aller où d'ailleurs, je ne sais pas. soit il y avait le contact qui se faisait à ce moment-là, ce qui s'est passé. Nous n'avions pas forcément toutes les informations sur comment ils étaient organisés, combien ils étaient, quel armement ils avaient, tout ça. Ça se fait aussi petit à petit. D'où l'intérêt d'avoir un renseignement le plus adapté possible pour être capable d'anticiper ce qui va nous arriver.

  • Speaker #0

    Ok, super intéressant. Finalement, vis-à-vis des opérations que vous avez menées, quel a été le moment le plus difficile qui vous a le plus marqué ?

  • Speaker #1

    Le moment le plus difficile, incontestablement, c'est le moment où vous perdez les hommes. Voilà. Ça, c'est pas difficile dans le sens où vous devez mener une action particulière. C'est juste que perdre des hommes avec qui vous êtes préparés, que vous connaissez. La plupart du temps, vous connaissez leur famille. Je pense que c'est ça, le plus difficile. Et on le sait tous, ça fait partie de l'engagement que l'on a pris. Donner la mort, recevoir la mort. Voilà. C'est de toute façon difficile. Moi, j'ai vécu trop de cérémonies dans la cour des Invalides, dont certaines très fortes. Aussi parce que j'ai été engagé directement. Donc là, c'est encore plus fort. Je ne sais pas si c'est encore plus fort, d'ailleurs, parce qu'à chaque fois, l'émotion, elle est là. Je pense que ça, c'est difficile parce qu'on le sait. On a fait ce métier. On connaît ce risque-là. On l'accepte. Mais quand on le vit, je pense que ce qui est compliqué aussi, c'est de... C'est d'affronter la réalité de l'environnement. C'est-à-dire que perdre un camarade au combat, c'est une chose. On l'a tous vécu à peu près. Quand on a l'ancienneté que j'ai, forcément, on l'a vécu. Derrière, affronter les conséquences pour sa famille, pour ses amis, pour ses parents, pour ses enfants, c'est toujours, toujours très compliqué. Et puis après, il faut être capable, je pense, de... De les suivre, de suivre ces familles. Mais avec le temps, c'est toujours un peu compliqué. Donc il faut aussi être capable de se dire est-ce qu'elles ont besoin ? Est-ce qu'à un moment, elles n'ont plus besoin parce qu'elles veulent passer à autre chose ? Ça, c'est toujours un peu délicat. C'est un peu sensible. Voilà. Si vous me demandez ce qui a été le plus dur, c'est vraiment ces moments-là. Moi, je les ai en tête. Je les garderai en tête toujours. J'ai eu une fois 13 familles quand même dans la cour des Invalides. Et j'étais concerné, donc évidemment. 13 familles, c'est plus de 200 personnes. Et c'est compliqué. C'est compliqué. Il faut... Bien sûr qu'il faut l'assumer. Et puis derrière, je crois que c'est... Je finis par ça. Il faut jamais oublier l'engagement initial. C'est-à-dire que c'est vrai. Et on va s'arrêter. Il y a ce qu'on appelle le temps de l'hommage. Ce temps-là, il est fondamental. Il est important à la fois pour ceux qui sont restés, pour les familles, pour tout l'environnement, y compris pour la nation, je crois, dans son ensemble. Et puis une fois que ce temps de l'hommage est passé, il faut reprendre la mission. Parce qu'en fait, la mission continue. J'ai perdu mon commandant d'unité quand j'étais jeune capitaine. Et j'étais donc engagé sur un porte-avions à ce moment-là. Je suis allé accompagner mon commandant d'unité à Eitan, qui était notre régiment d'origine, où il y avait les familles, le régiment, etc. Et puis ensuite, j'ai repris un avion, je suis retourné sur ce porte-avions qui était déjà passé à autre chose, ce qui est normal, il avait repris le cours de sa mission. Et il m'a fallu un petit peu de temps, parce que moi j'étais encore dans l'hommage avec ce commandant d'unité qui était si important pour moi et qui m'avait tout appris. que j'avais perdu de façon vraiment dramatique, dans un crash hélico. Et puis la mission reprenait, et moi, il fallait que je retrouve tout de suite ma place. Autrement, il fallait partir, parce que j'étais déconnecté. Et ça, c'est dur à vivre.

  • Speaker #0

    J'imagine, cet aspect, si on peut continuer sur ce sujet qui n'est pas le plus gai.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Cette capacité à changer d'état d'esprit, est-ce que... Enfin comment... Est-ce que vous avez des astuces ? Parce que là, c'est pas drôle, mais ça peut aussi être le cas... Dans Libérateur Nocturne, vous parlez du fait de... Quand vous êtes sur le terrain et que vous repassez à la vie civile, c'est un autre état d'esprit, c'est plus la même vie. Comment changer d'état d'esprit radicalement ?

  • Speaker #1

    En fait, il faut... On met en place... Vous l'avez vu dans le livre... On met en place des sasses pour passer de ce rythme qui est souvent un rythme très intense. Avec souvent de la haute intensité, on est vraiment pris, ça va très vite. Il faut qu'on repasse à une autre vie, qui est celle de la vie civile. J'ai un exemple que m'avait donné un psychologue que j'avais trouvé très bon. Nous, on est engagé dans nos opérations, ça n'arrête pas, etc. Et puis si on ne passe pas par ce sas, on va se retrouver le lendemain et on va retrouver son grand ado dans le canapé qui passe des heures à ne rien faire et ça va être insupportable. Et en fait, ce grand ado, pendant plusieurs mois, et il ne va pas du tout comprendre que quand vous allez arriver, en lui disant Mais qu'est-ce que tu fais dans ce canapé ? Il serait temps que tu passes à une vitesse un peu supérieure. Donc il faut se remettre au rythme de ceux qui sont restés, parce qu'ils ont vécu autre chose, ils ont aussi vécu quelque chose, et être capable de se dire Voilà, ce sont des vies différentes. Alors il y a des gens qui y arrivent très bien, et il y a des gens qui y arrivent moins bien. Et ce n'est pas anodin. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de difficultés pour... Une partie d'entre nous, il peut y avoir des difficultés quand on retourne vers la vie civile et que, ben voilà, on se retrouve, il y a chacun à mener sa vie et chacun pense, attend beaucoup de l'autre, d'ailleurs, en l'occurrence. Ça, c'est une grande difficulté de notre métier parce qu'on ne le retrouve pas vraiment ailleurs. Donc, notamment quand les opérations ont été intenses, l'idée est de mettre un sas pour souffler un peu, qu'on nous dise attention quand vous allez rentrer, voilà ce que vous allez retrouver. Ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, etc. Ce qui est bien d'ailleurs, c'est quand on le fait également de l'autre côté. C'est-à-dire que les familles, c'est bien aussi de leur dire, voilà la personne que vous allez retrouver, dans quel état vous allez la retrouver. Et donc là aussi, ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, parce que quand on a réglé tous les problèmes à la maison pendant 4 ou 6 mois, quand on est le conjoint, quand l'autre rentre, on lui dit, maintenant tu vas un petit peu t'occuper des choses pénibles de la vie de tous les jours. alors qu'on n'a pas forcément envie de s'y retrouver tout de suite. Mais tout ça, c'est... Là aussi, il y a beaucoup de coordination, beaucoup de compromis, beaucoup d'intelligence de situation, mais on est tous différents. Et ça, c'est difficile à anticiper. Donc on nous aide à nous préparer à ce retour ou à ce changement de rythme. Et à partir de là, les choses se passent bien, mais c'est propre à chaque personne. Il n'y a pas de recette miracle.

  • Speaker #0

    Et donc ça, ça va être une période pendant laquelle vous... Vous allez dans une ville et vous allez vous réadapter petit à petit à la vie.

  • Speaker #1

    Oui, alors généralement ça se passe, alors ça dépend des moments, mais ça se passe dans un hôtel. Et puis il y a autour de nous toute une équipe qui est là pour nous faire parler, pour aussi mener des activités de cohésion, mais plus tranquille. Voilà, c'est vraiment un moment où, vous savez, quand j'étais l'opération du Mani. En fait, pendant quatre mois, on était sur un lit pico. Donc déjà, de se retrouver dans un vrai lit, ça fait... Tiens, voilà, quelque chose de très agréable. On ne sait pas qu'avoir un très bon lit, c'est un moment précieux, parce que tous les jours, on en profite. Et quand on ne l'a plus, on se dit, tiens, c'est pas mal quand même. Non, mais c'est ça, c'est de se dire que, voilà, on va remanger tranquillement, on va prendre le temps aussi. On va souffler, on va dormir, sans la pression de la mission. Il n'y a plus de mission, là. Pendant trois jours, généralement ça dure trois jours, pendant trois jours, on souffle, ce qui fait qu'on arrive, on a déjà laissé une partie de la mission derrière soi lorsqu'on sort du bus et qu'on se retrouve face à sa famille.

  • Speaker #0

    Du coup, vis-à-vis de la prise de décision, mais d'un point de vue plus global, aujourd'hui pour l'armée française, Quels vont être les enjeux stratégiques ? Comment cette stratégie va être construite ? J'imagine que c'est co-construit avec la politique, peut-être pas le Parlement, mais le président de la République et l'ensemble des armées. Comment ça se passe ?

  • Speaker #1

    En fait, là aussi, il y a beaucoup de fluidité. C'est-à-dire que d'abord, il y a un contexte, il y a un environnement. Celui-là, il est ce qu'il est et surtout, il évolue. Et en fait, nous, toutes nos actions, toutes les décisions qui sont prises, elles le sont en fonction de cet environnement. Aujourd'hui, en 2023, on n'imaginait pas tout ce qui allait se passer pendant une année cruciale. En 2022 non plus. Donc en fait, c'est d'abord la première chose à prendre en compte. Et ça, on l'a subi. C'est-à-dire que c'est pas nous qui décidons que demain, les outils vont interdire un certain nombre de bâtiments civils et vont remettre en cause la circulation de la navigation civile. C'est pas nous qui le décidons. Donc nous, en réalité, notre première mission, c'est de se préparer. Il faut que nous soyons prêts à intervenir quasiment dans toutes les circonstances. Les plus dures comme les plus faciles. Les plus longues comme les plus courtes. Donc c'est vraiment cette façon que nous avons de nous préparer, de se dire que demain, tout est possible. Et ça, c'est les directives qui nous sont données par, bien sûr, le pouvoir politique, qui nous dit si je dois vous engager ce soir, vous devez être prêts Et on va vous engager. Le Mali, on a été engagé en très peu de temps. Ça a été fait... Voilà. Il y a beaucoup de missions qui peuvent se passer comme ça. Nous avons d'ailleurs un certain nombre d'alertes. qui font qu'on est prêt à être engagé en 6 heures, 12 heures, 24 heures, 48 heures, etc. Alors sur la partie politique, elle est fondamentale, parce que l'engagement, le chef des armées, c'est le président de la République, même s'il va aller devant le Parlement pour expliquer, c'est le gouvernement qui va aller expliquer au bout d'un moment ce que nous faisons dans une opération, quand nous sommes partis au Mali, c'est le président de la République seul qui a décidé de l'engagement de la France au Mali. Alors il ne l'a pas décidé seul en réalité. parce qu'il a évidemment consulté tous ses partenaires. Et surtout, il a répondu à l'appel d'un président malien qui lui demandait de venir aider son pays pour interdire ou empêcher des djihadistes ou des terroristes, mais plutôt des djihadistes, de franchir le Niger et d'aller prendre la ville de Bamako et de créer un État islamiste, en fait, en l'occurrence. Bon, voilà. Donc tout ça, là aussi, est cohérent. Bien sûr que, comme toujours, plus vous montez... Enfin, à chaque échelon, en fait, vous avez une coordination avec l'échelon supérieur. C'est-à-dire que la partie politique, elle n'est pas complètement déconnectée de la partie militaire, bien au contraire. Donc, évidemment, le chef d'état-major désarmé parle à son ministre, parle au chef du gouvernement, parle au président de la République. Et donc, tout ça, ensuite, il y a les conseils de défense dans lesquels on va établir, enfin, le pouvoir politique, puisque c'est lui qui va le décider, va établir la stratégie qui sera appliquée ou qui sera menée par les armées françaises. Mais tout ça, évidemment, en présence des autorités militaires qui vont conseiller, qui vont donner leur avis, qui vont agir pour qu'on ne parte pas sur quelque chose qu'on n'est pas capable de réaliser ou qui est complètement incohérent. J'en reviens à ce qu'on disait au départ. C'est-à-dire qu'il y a aussi ce temps de discussion pour arriver à la meilleure des solutions. Et voilà. Et ça se fait. Et nous, quand j'écoute votre question, on se dit Oh là là, ça a l'air compliqué Mais en fait, dans la réalité, c'est pas très compliqué. Ce qui est le plus dur, probablement, c'est de se dire quelles sont les menaces qui nous guettent demain. Moi, j'ai vécu ça quand j'étais chef de corps. Nous avions terminé l'engagement en Afghanistan. Il venait de se terminer. La Côte d'Ivoire, c'était derrière nous. La Libye, c'était terminé. Donc il y avait vraiment une période où les choses se terminaient. Alors... Quand je suis arrivé, moi, à la tête du régiment, je leur ai dit Vous pouvez être fier de ce que vous avez fait. Il n'y a pas de problème. Vous avez mené des actions, vous avez rempli des missions, et tout ça, c'est bien passé. Maintenant, si vous pensez que tout ce que vous avez fait suffit pour être prêt demain, vous vous trompez, et on perdra. Et le jour où on nous engagera, on connaîtra de grands déboires. Donc en arrivant, moi, je leur ai dit Ben voilà, on va se préparer Pas sur l'inconnu, parce qu'on voit bien qu'il y a des choses qui se dessinent aujourd'hui. Alors on était parti un peu sur le Moyen-Orient, Proche-Orient, et puis sur un peu l'Afrique. On s'est pas trop trompé sur l'Afrique d'ailleurs, parce que c'est venu bien plus rapidement que prévu. Je me souviens d'ailleurs, à cette époque-là, j'avais reçu le président de l'Assemblée nationale. A Pau, donc au régiment, il ne venait pas pour voir le régiment, mais il en avait profité pour venir voir le régiment. Il avait été étonné sur la préparation que nous menions. Il m'avait demandé Mais pourquoi vous vous préparez Proche-et-Moyen-Orient et puis Afrique ? Et je lui avais dit ça. Je lui avais dit Écoutez, tout ce qu'on a fait, c'est fait. Donc maintenant, il faut se remettre en cause. Il faut presque prendre une page blanche et se dire quels seront les engagements de demain. Qu'est-ce qui nous attend ? Qu'est-ce qui va être compliqué ? Voilà. Et on a commencé à travailler là-dessus. Et aujourd'hui, quand on parle de haute intensité, on change de... C'est plus l'Afrique, là. On imagine que face à nous, moi qui suis dans la spécialité des hélicoptères au départ, mais au sens large, en fait, que ce soit les bâtiments de la marine, les avions de chasse ou nos chars de combat, en fait, on va se retrouver face... peut-être à l'équivalent. Donc, est-ce qu'on est capable aujourd'hui d'affronter ça ? En tout cas, il faut s'y préparer, parce que quand on regarde ce qui se passe à la frontière orientale, on veut bien qu'il y ait quand même des vraies menaces. Et donc, tout ça, on va le prendre en compte, on va l'intégrer, et puis se dire vers quoi on se prépare. Et vous voyez, les décisions stratégiques dont on parle, à un moment, elles vont se prendre, mais elles vont se prendre, là aussi, un peu dans l'urgence. Voilà, il se passe ça. Dans le cadre de notre coopération avec l'OTAN, nos engagements dans l'OTAN, dans l'Union européenne ou en nation autonome, on va mener un certain nombre d'actions. Est-ce qu'on est prêts ? Est-ce qu'on est prêts à répondre à la menace qui sera celle que l'on va retrouver ? Je n'ai pas parlé du théâtre national, mais il faut être prêt également à protéger, bien sûr, le théâtre national. Demain, il y a les Jeux Olympiques. Les Jeux Olympiques, c'est aussi... Bien sûr, c'est un événement majeur qui va faire rayonner la France, mais il y a aussi un certain nombre de menaces, donc il faut être prêt à y répondre. Et ça, ça se prépare, évidemment.

  • Speaker #0

    Finalement, une stratégie militaire... Enfin, moi, je compare ça un peu au monde de l'entreprise. Et dans le monde de l'entreprise, quand on prévoit un plan stratégique, ça va plutôt être avec des objectifs. Au sein de l'armée, est-ce que c'est vraiment possible d'avoir des objectifs ? D'après ce que vous venez de dire, de ce que je comprends, ça va être plus être vraiment comprendre quelles sont les menaces et donc être préagir.

  • Speaker #1

    En fait, la dissuasion militaire, parce que là c'est un terme précis, la dissuasion militaire, c'est dans la doctrine française depuis le général de Gaulle en fait. C'est quoi la dissuasion militaire ? La dissuasion, c'est la capacité de dire à quelqu'un qui est... soit aussi fort que nous, soit plus fort que nous, que le jour où il va avoir des intentions sur nous, il va risquer plus que ce qu'il va gagner. Voilà. Donc est-ce que ça vaut le coup de venir perturber la France, sachant qu'elle va vous donner des coups qui vont vous faire mal ? C'est ça, la dissuasion, en fait, de dire On vous propose de bien réfléchir le jour où vous aurez des intentions belliqueuses contre la France Et ça marche très bien, parce qu'effectivement, la France est dotée d'une arme nucléaire notamment qui permet de dire, y compris aux États les plus puissants, qu'ils ont trop à perdre à venir nous attaquer, en fait, en l'occurrence. Alors après, ça, c'est la dissuasion nucléaire. Mais après, comme vous l'avez dit, quand on a une force militaire comme celle de la France, qui jusqu'à présent est une force complète, on n'a jamais abandonné de capacité, eh bien...

  • Speaker #0

    on va démontrer une capacité à intervenir, y compris seule, pour se défendre. Ça, ça fait partie de la dissuasion. Puis après, on a des engagements également dans des organisations internationales dans lesquelles on est prêts à y mettre beaucoup de moyens qui sont tous cohérents, qui sont tous de bon niveau, qui là aussi vont participer à cette dissuasion. Aujourd'hui, la France est membre de l'OTAN. L'OTAN est l'organisation militaire et de loin la plus puissante au monde. Évidemment, personne ne peut affronter l'OTAN aujourd'hui sans risquer de se faire détruire. L'OTAN. Notamment parce qu'il y a aussi les États-Unis, qui est la plus grande armée du monde. L'OTAN et ses partenaires, enfin c'est quelque chose de très important. Et puis après, il y a aussi notre capacité à montrer ce que nous sommes capables de faire. Alors on le fait dans deux domaines différents. L'engagement opérationnel, bien sûr. Et c'est vrai que personne au monde ne conteste que la France, quand elle s'engage, elle s'engage avec des résultats. Alors après... Je ne parle pas de politique, je ne parle pas sur le plan militaire. Quand la France s'engage, on peut reprendre encore cet exemple du Mali. En fait, on s'aperçoit que ça fonctionne. Et puis le dernier point, c'est tous les exercices que nous menons. Tout le monde regarde la façon dont la France se prépare, en fait, en l'occurrence. Donc là, notamment cette année, en 2023 plutôt, on a conduit un certain nombre de grosses opérations d'entraînement qui sont visibles, sur lesquelles on y met beaucoup de moyens. sur lequel on se remet en cause, sur lequel on se met en difficulté pour dire jusqu'où est-on capable d'aller. Et évidemment, tout le monde le voit, ça. Donc la dissuasion, finalement, c'est tout cet ensemble-là qui fait que, quand on parle de la France, on sait que c'est une puissance à la fois militaire mais également diplomatique. Les diplomates sont là aussi pour participer à cette dissuasion, parce qu'eux vont porter la voix de la France en disant Attention, attention, voilà Voilà ce qui va se passer. Ils sont présents dans toutes les organisations internationales. Ils sont présents. On a une diplomatie qui doit être la deuxième diplomatie du monde. Je sais pas si c'est encore le cas, mais je pense que c'est encore le cas, avec un réseau diplomatique qui influence aussi et qui participe aussi à cette dissuasion d'ensemble, en fait, en l'occurrence. Donc vous voyez, la dissuasion, c'est pas juste une seule idée ou juste une seule composante qui fait que demain, on va pas attaquer la France. C'est quelque chose de plus complet. Et ça... Finalement, tous les jours, c'est remis en cause. Tous les jours, il faut le remettre en état, il faut le faire progresser. C'est quelque chose qui n'est jamais complètement acquis. Demain, on sera challengé et on va essayer de regarder si cette dissuasion est toujours aussi efficace.

  • Speaker #1

    Vous avez parlé d'entraînement. Ça consiste en quoi ? Parce que j'en ai jamais trop entendu parler, je pense.

  • Speaker #0

    En fait, l'entraînement, c'est tout ce qui précède l'engagement opérationnel. Et pour nous, c'est ce qu'on appelle la préparation opérationnelle, en fait. C'est-à-dire qu'avant de s'engager, pour être sûr qu'on s'engage dans de bonnes conditions et qu'on va remplir notre mission, on va... Énormément s'entraîner. S'entraîner, ça commence à s'insir. On va commencer à s'entraîner, à savoir comment on fait fonctionner une section, comment on commande. Puis après, on va aller de plus en plus loin, et puis dans le domaine technique. S'entraîner, c'est être capable de piloter un char. Alors au départ, sur un chemin normal, puis sur un chemin... un peu plus compliqué, puis sur un chemin complètement défoncé, etc. Et puis, une fois que vous avez piloté votre char et que vous le savez, le piloter dans les conditions les plus instables possibles, il va falloir ensuite engager le combat. Il va falloir le faire tirer, ce char, et le faire tirer en atteignant l'objectif. Donc, vous voyez, c'est ça l'entraînement. C'est partir des fondamentaux, c'est-à-dire des connaissances de base, piloter, utiliser son arme. se déplacer, ça on apprend à le faire. Puis ensuite on va y ajouter évidemment un contexte de plus en plus dur, qui va nous amener dans le contexte ou dans l'environnement du combat, et on apprend à combattre en entraînement. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de, notamment on a des terrains de manœuvre, sur lesquels, un peu partout en France, sur lesquels on s'engage presque en conditions réelles. Dans des villages de combat, dans des grands terrains découverts, dans des immenses terrains avec des réceptacles de tirs, où on peut faire des tirs d'artillerie, des tirs d'avions de chasse, de tous les types de tirs en fait. Et tout ça, c'est ça l'entraînement en l'occurrence. Et une fois qu'on a atteint un certain niveau, on va aller regarder, on va aller contrôler le niveau atteint, et ensuite à ce moment-là vous pourrez être engagé. Donc, vous voyez, tout ça, c'est... Et l'entraînement, c'est 90% de la réussite d'une opération. C'est-à-dire que c'est pas juste... Évidemment, quand on s'entraîne, on ne sait pas comment on va réagir le jour de l'engagement. Ça, je suis d'accord. Mais tout ce que vous aurez appris, tout ce que vous aurez... Voilà, tout ce que vous aurez... vu pendant ces périodes d'entraînement vous allez le reproduire le jour du combat et même instinctivement parfois donc c'est ça l'entraînement et ça nous prend beaucoup de temps c'est l'essentiel de notre vie en fait mais je vois à

  • Speaker #1

    moitié on va dire Comment ça peut réellement servir de dissuasion ? Comment ça va être vu par les autres pays, de manière générale, cet entraînement-là ?

  • Speaker #0

    En fait, on fait des entraînements où on y met des milliers d'hommes, avec des capacités complètes. Vous allez avoir à la fois des fantassins, des cavaliers, des artilleurs, du génie, de l'aviation légère de l'armée terrestre, mais également des bâtiments de la Marine Nationale, des avions de chasse. Tout ça va être remis dans le même exercice. C'est son exercice qui est parfois durant. relativement longtemps, avec des changements de place, avec des progressions, avec des obstacles à franchir, avec un ennemi face à nous. D'abord, un, on le montre. C'est-à-dire que l'idée, c'est aussi de dire, venez voir ce que l'on fait. Donc, on a même des journées qui sont réservées pour ça. Et puis, nos adversaires, ne vous inquiétez pas, ils se renseignent. Ils savent qu'on est capable de faire ça. Et plus on fait des exercices proches de ce qui peut nous arriver dans la réalité, plus finalement on va être considéré comme étant une armée sérieuse. Et c'est le cas pour la France.

  • Speaker #1

    D'accord, donc il y a vraiment un aspect communication.

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    J'aimerais bien passer sur un autre aspect qui est plutôt un aspect géopolitique, où vous avez eu une expérience, vous avez eu pas mal d'expériences à l'international avec l'OTAN aussi. Est-ce que vous pourriez me décrire vraiment votre rôle au sein de l'OTAN, en tant que vous étiez conseiller du président, si je ne dis pas de bêtises ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Le Chairman of the Military Committee. Et quel était mon rôle ? Donc c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN. Il fait partie de ce qu'on appelle du 12 stars c'est-à-dire que dans l'OTAN, 4 étoiles, ça correspond à un général d'armée dans l'armée française. Donc ils sont 3. Il y a le président du comité militaire de l'OTAN, qui est normalement la plus haute autorité. Il y a aussi le SACUR, c'est le Supreme Allied Commander in Europe mais qui est également le chef de la composante Europe de l'armée américaine. Donc il a deux casquettes. Et c'est un Américain, évidemment, avec tout ce qu'il y a derrière. Et puis ensuite, il y a un autre général qui est un Français, toujours, qui s'occupe de la transformation de l'OTAN, ce qu'on appelle le SACTI, Supreme Allied Commander for Transformation, qui lui est à Norfolk. Et ça, ces trois chefs, ce sont les trois plus hautes autorités militaires de l'OTAN. Sachant que l'OTAN est une organisation politique qui est donc dirigée par les chefs d'État et de gouvernement, en l'occurrence, qui sont représentés en permanence par leurs ambassadeurs à Bruxelles, et sachant qu'il y a un comité militaire qui, lui, est là pour conseiller l'autorité politique, l'OTAN étant une organisation politique, qui est composé, ce comité militaire, des chefs d'État-major de tous les pays qui composent... l'OTAN, et qui, eux, sont représentés en permanence par des représentants permanents. Donc il y a une autorité civile, une autorité militaire. Bien sûr, c'est l'autorité civile qui prime, bien entendu. Le Conseil de l'Atlantique Nord, d'ailleurs, ce sont les ambassadeurs, mais en fait, ce sont les chefs d'État et de gouvernement. Et une seule autorité militaire, ou les trois que j'ai citées au départ, peuvent être présentes dans ce Conseil de l'Atlantique Nord. Et bien sûr, le chef... Le président du comité militaire en fait partie. Alors quelle était ma mission, moi, auprès de ce général d'armée, ancien chef d'état-major de l'armée de son pays ? Donc moi, j'en ai eu deux, un danois, puis ensuite un tchèque. Eh bien en fait, la mission, c'est de les accompagner dans tout ce qu'ils font. On les accompagne dans tous les discours qu'ils prononcent. Donc on est là pour préparer leurs éléments de langage, leurs discours. On est là également pour préparer tous leurs déplacements. Et ils se déplacent beaucoup. Donc j'ai fait le tour du monde pendant trois ans. Et là, on a la responsabilité finalement de l'organisation, de la coordination. Et ce qui est intéressant dans ce rôle-là, c'est pas de préparer leur déplacement ou d'écrire leur discours. Ce qui est intéressant, c'est d'être le témoin de ce qu'ils voient et de ce qu'ils vivent. Et en fait, de rencontrer le président du comité militaire de l'OTAN, rencontre... les présidents des pays dans lesquels il va, les premiers ministres, les chefs d'état-major des armées. Et donc tout ça est d'une grande richesse. Faire des réunions où vous avez le SACUR, le SACTI et le CMC, c'est des moments incroyables. Parce que c'est là où tout se décide, en fait, en l'occurrence. Assister au conseil de l'Atlantique Nord quand vous avez les chefs d'état et de gouvernement qui se réunissent ou quand les chefs d'état-major de chaque pays de l'OTAN viennent au comité militaire. Ce sont des moments qui sont très riches, qui permettent quand on est un Conel un petit peu expérimenté, mais pas encore tellement expérimenté, de voir beaucoup de choses, de comprendre le fonctionnement des choses, d'avoir un discernement finalement que l'on apprend très rapidement au contact de ces autorités-là. Alors évidemment, ces autorités-là, elles nous donnent des directions à suivre, elles nous orientent, mais ensuite, nous, on est là pour les accompagner en fait, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Et donc finalement, les trois instances que vous m'avez citées, elles vont présenter les situations des armées aux représentants politiques. Oui. Et comment... Quels vont être les sujets traités la plupart du temps ?

  • Speaker #0

    Les sujets, ils sont très très diversifiés, bien sûr. Mais ça va jusqu'à l'intervention. Est-ce que l'OTAN intervient dans telle situation ? C'est eux qui vont le décider. Il y a un moment, on va aller jusque-là. Se dire, que fait-on dans cette situation-là ? Et c'est le pouvoir politique qui va le décider. Parce que c'est bien une responsabilité politique. C'est pas les militaires. Les militaires, encore une fois, c'est un peu comme ce que je vous disais tout à l'heure au sein de la France. Les militaires vont donner un avis. Ils vont donner l'avis du comité militaire. Ils seront là pour l'exposer, y compris quand les décisions sont prises. C'est comme le secrétaire général de l'OTAN. Le secrétaire général de l'OTAN, lui, il est là juste pour animer, coordonner. Il ne décide rien. Ce sont bien les chefs d'État et de gouvernement qui décident à l'unanimité. Donc c'est quand même pas simple, parce qu'il faut que tout le monde se mette d'accord.

  • Speaker #1

    Justement, ça c'est un point que je ne savais pas. Je ne savais pas que l'OTAN, les décisions étaient prises au consensus, c'est-à-dire à l'unanimité. Comment ? Enfin, je me demande comment ça se passe à ce niveau-là.

  • Speaker #0

    C'est compliqué.

  • Speaker #1

    De un, il y a beaucoup de parties prenantes avec, j'imagine, des opinions divergentes.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Et de deux, j'imagine que ces personnes-là ont tous un minimum de caractère, puisqu'ils représentent leur pays. Bien sûr. Comment prendre une décision et la mettre en application derrière avec autant d'avis ?

  • Speaker #0

    En fait, tout ça, ça va se passer à travers des longues discussions. Chacun va faire des concessions. Donc l'idée... Je prends le cas extrême. Il faut intervenir dans une zone géographique. Forcément, vous avez un certain nombre de pays... Les États-Unis n'ont pas du tout les mêmes envies ou les mêmes contraintes que les pays baltes, par exemple, ou que les pays proches de la frontière orientale européenne. Les pays latins, c'est encore complètement autre chose, etc., etc. Donc chacun, finalement, a son ambition. Chacun a ses contraintes, chacun également a son opinion publique. Ça aussi, ça rentre en ligne de compte. Parce que forcément, lorsque vous allez dans une direction, vous représentez ce qui se passe dans votre pays. Donc vous avez aussi des pressions, en l'occurrence. Et puis à un moment, dans ces discussions, il va falloir que tout le monde se mette d'accord. Donc on va trouver le bon point. Parfois, ça peut prendre du temps. Parfois, ça peut se faire dans l'urgence parce que c'est une situation de crise. Mais très concrètement, on y arrive assez bien. Moi, je me suis retrouvé souvent dans des discussions. Alors avec mon rôle, je représentais pas la France. Mais il y a marqué en énorme que je suis français. Donc il m'est arrivé... Mon président du comité militaire, parfois, m'a demandé d'aller voir la délégation américaine pour bien expliquer quelle était la position de la France. Voilà. Ou d'être mandaté. D'ailleurs, tout ça, ça se fait un peu en coordination. On se parle les uns et les autres. Et chacun, à sa place, va jouer son rôle en expliquant. Voilà pourquoi nous agissons de telle façon, pourquoi la France bloque ou pourquoi la Turquie bloque ou pourquoi les États-Unis bloquent. Comment pourrait-on débloquer ? Qu'est-ce que nous sommes prêts à accepter ? Dans quelles conditions ? Et tout ça, finalement, se passe bien. Se passe bien. Mais je dis pas que c'est facile. Moi, j'ai connu des situations où j'étais même en porte-à-faux, parce que parfois, l'Américain m'a dit Mais je comprends pas pourquoi la France prend cette décision-là Ou alors on va voir la délégation X ou Y en lui disant Mais que faudrait-il pour que vous compreniez ou que vous acceptiez la position qui est celle qu'on défend ? Et puis en fait, au cours des discussions, on fait des ajustements, on fait des contre-propositions. Et puis à un moment, on se met autour de la table et on dit Bon, tout le monde a l'air d'accord Et là, on peut voter une... Une décision, en fait, en l'occurrence. Mais là aussi, c'est compliqué, parce qu'il y a beaucoup de monde au sein de l'OTAN. Je vous l'ai dit, sur le plan géographique, on a vraiment des contraintes très très différentes. Il y a ceux qui ont vraiment la pression de l'Europe orientale. Il y a ceux qui ont la pression du sud de la Méditerranée. C'est pas du tout la même. Le Canada est quand même assez loin de tout ça. Et pourtant, il est membre de l'OTAN. La Turquie, dans cette partie... de l'Europe ou déjà de l'Orient, encore d'autres préoccupations. Il y a forcément des volontés différentes. Donc c'est beaucoup de négociations.

  • Speaker #1

    D'accord. Et finalement, quand une décision est prise... Comment la suivre ? Quand l'OTAN intervient, comme vous l'avez dit, les pays sont dans des zones géographiques qui sont parfois très différentes. Et au-delà de ça, ça peut être encore très loin de tout le monde. Comment réussir à suivre ça ? J'imagine que ça rejoint un peu sur l'aspect d'état-major.

  • Speaker #0

    Après, c'est facile. Vous avez une structure militaire qui se met en place. C'est pas parce que tout le monde a voté une décision en disant on va aller s'engager à tel endroit que tout le monde va y aller. Donc ensuite, chacun va dire moi je peux apporter tel moyen, l'autre va apporter d'autres moyens et on va mettre en place une structure de commandement qui sera cohérente avec les moyens adaptés pour remplir la mission. Et tout ça va évoluer dans le temps aussi. C'est-à-dire qu'il peut y avoir une nation qui dit à un moment moi, je me retire de cette opération en prévenant qu'on va suffisamment à l'avance. Et puis pendant cela, d'autres vont prendre la place. C'est évolutif. Enfin tout est possible. Mais la décision, c'est ce qu'il y a de plus dur à prendre. Parce qu'une fois que la décision est prise, la mise en œuvre, en fait, la réalisation je dis pas que c'est facile mais c'est plus simple à mettre en place. Puis après, tout ça va évoluer. Parce que... La mission va évoluer, l'environnement va évoluer, le contexte va évoluer, les unités présentes peuvent évoluer également. Avec une structure de commandement qui sera toujours multinationale. Donc on n'est jamais tout seul dans son coin. Voilà. Et tout ça se fait de façon très raisonnable. C'est constructif. C'est-à-dire qu'on le fait... C'est évolutif. On le fait... Ça se passe très bien. Bon. Puis après, il y a suffisamment de monde dans l'OTAN pour arriver à mettre en place une force qui répondra à la... à la situation. Et notamment ceux qui ont poussé dans le temps, parce qu'il y en a toujours qui vont dire OK, on est d'accord, mais nous, on n'a pas de moyens à mettre en place Là, c'est déséquilibré. C'est sûr que les Américains n'ont pas les mêmes moyens que le Luxembourg, évidemment. Donc c'est pas la même chose.

  • Speaker #1

    Et finalement aussi, vous dites que ça évolue. Et lorsque ça évolue, il y a de nouveau plein de discussions qui sont pris au sein de l'OTAN, où c'est le commandement qui va pouvoir le faire. Non,

  • Speaker #0

    il y a toujours... Le Conseil de l'Atlantique Nord, sous sa forme des ambassadeurs, se réunit 2 à 3 fois par semaine. Et 2 à 3 fois par semaine, c'est à peu près la norme. 2 fois, on va dire, avec des sujets divers et variés. C'est-à-dire que... Tous les sujets vont passer dans ce cadre-là. Donc cette structure, elle est en place en permanence. Et en fait, elle répond vraiment à la demande. Elle répond vraiment à... Vous parlez des évolutions. Alors voilà. Quand il y a des évolutions, on en parle. En fait, il se parle en permanence. Et c'est très bien. C'est fait pour ça. Les chefs d'État et de gouvernement ne viennent, eux... Alors d'abord, ils viennent régulièrement. Il y a des sommets qui sont prévus pour ça. Mais il y a des sommets de l'OTAN. Donc là, on réfléchit vraiment sur... Comment on va se projeter ? Quelles sont les grandes orientations que l'on va prendre ? Ensuite, il y a les réunions qui sont pour les chefs d'État et de gouvernement, où là, on va avoir un ordre du jour qui est adapté pour les mois qui viennent. Il y a aussi les chefs de gouvernement qui viennent. Il y a aussi les ministres des Affaires étrangères. C'est quand même très, très organisé. Et les ministres, évidemment, toute la partie de défense, évidemment, les ministres de la Défense et la partie militaire. Donc oui, c'est quand même... Tout ça est très, très bien organisé. C'est avec beaucoup d'échéances. et on y va de très loin à très près en fait en l'occurrence donc en fait en permanence c'est évolutif d'accord

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour tout ça. On va passer à des petites questions de conclusion. Premièrement, quel ouvrage, donc ça pourrait être un livre ou un film, peu importe, vous conseilleriez ? C'est pas forcément lié à l'armée, c'est totalement un autre sujet.

  • Speaker #0

    Alors moi, j'aime beaucoup lire des biographies. Parce que je trouve qu'on apprend énormément de choses en lisant des biographies des grands hommes d'État, en l'occurrence. Il y en a une qui me vient à l'esprit, parce qu'elle est assez symbolique. Lorsque j'ai quitté l'OTAN, le président du comité militaire de l'OTAN, c'était le général Petr Pavel, au passage, qui est devenu président de la République, de la République tchèque aujourd'hui, et qui m'a offert un livre... que j'ai lu. C'est une biographie de Roosevelt... de Roosevelt, non, non, de Churchill, pardon. C'est un pavé qui doit faire 800 ou 900 pages en anglais. Mais je l'ai lu et j'ai appris énormément de choses, notamment sur la petite enfance, l'évolution, comment Churchill est devenu l'homme qu'il est devenu. Et j'ai trouvé ça remarquable parce que... On découvre qu'il n'est pas un bon élève. Tout ça ne se fait pas si facilement que ça. Et pourtant, ça devient un homme redoutable ensuite sur le plan politique notamment. Les biographies en général, Clémenceau, De Gaulle, j'aime beaucoup. J'aime bien également tous les livres d'histoire. Alors je vais vous citer un livre que je viens de lire. Puis en même temps, je vais faire la publicité pour un camarade. J'ai un camarade qui est général de division. qui s'appelle Nicolas Lenen, et qui vient d'écrire un livre qui s'appelle Armistice. Et c'est un roman, en fait, en l'occurrence, mais c'est un roman qui se passe après Dien Bien Phu, au moment où ceux qui étaient là-bas sont prisonniers et commencent à faire leur longue marche. Et il a élaboré toute une histoire qui est fantastique. J'ai lu ça pendant les vacances de Noël, avec une vraie intrigue. Et on y retrouve beaucoup... Beaucoup de choses qu'on a lues par ailleurs sur la condition militaire, sur ses coins soldats. Dans ce livre, il y a trois héros. Il y a un Allemand qui s'est engagé à la Légion étrangère après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est quand même pas anodin. Il y a un jeune Saint-Syrien qui sort d'école et qui se retrouve à la tête de sa section et qui se retrouve là maintenant prisonnier. Après la fin de Diem Bienfou, vous avez un jeune caporal qui est un paysan qui s'est retrouvé engagé un peu par hasard et qui se retrouve là-dedans. Finalement, ça reflète assez bien notre pays. Et voilà. Donc j'ai trouvé ça très bien. Si on parlait de films, alors c'est un peu militaire tout ça, mais je pourrais vous citer beaucoup de films, bien sûr, mais je vous citerais Le Grand Bleu parce que je suis méditerranéen. Et ça m'a marqué parce que je trouve que ça reflète bien la vie méditerranéenne, en fait, en l'occurrence, et aussi cette volonté de liberté, de vivre au grand air, en fait, ce qui nous rejoint un peu. Et puis, quand j'étais très jeune, j'avais vers 12 ou 13 ans... J'ai vu un film qui s'appelle Croix de Guerre. C'est un vieux film qui doit être des années 70. C'est un film de... Je me souviens encore, c'est Sam Peckinpah, le réalisateur. Et ce film, pourquoi il m'a intéressé ? Parce qu'il m'a choqué. Parce que j'avais, je vous le dis, de 12 ou 13 ans. Et c'est un acteur américain qui joue le rôle du héros, sauf qu'il joue le rôle d'un sous-officier de la Wehrmacht pendant la débâcle de Stalingrad. Et ça, ça m'a impressionné parce que pour moi, un Allemand, ça peut pas être un héros quand j'ai 12 ou 13 ans. C'est pas ce qu'on m'avait expliqué jusqu'à présent. En plus, c'est un sous-officier et forcément, il est remarquable alors que les officiers sont souvent pas au niveau. Et ça m'a forcé à me dire, ah ben non, en fait, c'est pas toujours comme on dit que les choses se font. Voilà, et ce film m'a vraiment marqué, en l'occurrence. Donc c'est un biofilm qui se passe sur le front russe. Et un Allemand héros, pour moi, ça a été compliqué. Surtout qu'on est dans les années 70 à ce moment-là, un petit peu plus tard pour moi, puisque j'avais 12 ou 13 ans, on devait être au début des années 80. Et j'avais encore mes grands-parents qui avaient bien sûr été engagés dans le conflit. Et forcément, on n'avait pas cette lecture-là. Donc ça m'a un petit peu étonné. Et ça a remis en cause un peu certaines certitudes que j'avais, si on peut dire qu'à 12 ou 13 ans, on a des certitudes.

  • Speaker #1

    Ouais, c'est marrant aussi, finalement, de voir que... Certaines généralités, des idées perçues et diffusées ne sont pas forcément réellement délocalisées.

  • Speaker #0

    C'est applicable aujourd'hui, d'ailleurs. Parce qu'en fait, on nous montre des choses et on nous dit c'est comme ça ou c'est vrai. Est-ce que tu l'as vérifié ? Est-ce que c'est si vrai que ça ? Est-ce que ça ne peut pas être contrebalancé par autre chose ? Est-ce que ça ne peut pas être nuancé ? Et en fait, c'est souvent les choses. C'est comme ça que ça se passe. J'ai une autre expérience, puisque vous me donnez cette occasion-là. Par hasard, je faisais un voyage de langue le 1er août 1990. Et donc je me suis retrouvé, moi, pendant trois semaines, j'étais en Jordanie, exactement, avec des copains. Et donc pendant trois semaines, on a vécu, on a entendu, on a regardé la télévision, on a écouté, on a partagé avec des gens qu'on a croisés dans la rue, tout ce qui se passait en fait avec la compréhension, qui était la compréhension locale. Quand je suis rentré en France, ma première discussion avec mon père a été très compliquée, parce qu'on ne se comprenait pas. Lui, il m'expliquait... Il avait une argumentation qui était celle qu'on nous donne en France, en Occident, on va dire. Et moi, j'avais toute l'argumentation qui avait été donnée par les locaux. Et en fait, on peut pas se comprendre. Et ça, j'ai trouvé ça très intéressant parce que je me suis dit... Mais en fait, est-ce que je suis libre de penser ce que je pense ? Est-ce que, de temps en temps, je ne dois pas me dire qu'en face, ils ont aussi des bonnes raisons de s'engager de cette façon-là, ou d'avoir ces idées-là, etc. Alors, ça nuance un peu, parfois, la compréhension des choses que l'on peut avoir. Là, c'était un bon exemple, parce que j'étais pourtant libre, j'ai écouté, personne ne m'a dit il faut penser comme ça Mais on a lu une presse qui n'était pas la nôtre, on a entendu des gens qui n'avaient pas les mêmes arguments que les nôtres, et c'est vrai qu'en Jordanie, en fait, ils étaient... Ils pouvaient expliquer également que le Koweït n'était pas forcément une finalité et que l'Irak avait peut-être raison.

  • Speaker #1

    Non, ça, ça m'est... Enfin, pas dans un contexte militaire, mais ça m'est marqué parce que j'ai fait mon échange il n'y a pas si longtemps, et de voir que juste dans d'autres pays, on ne pense pas du tout de la même manière, et le fait d'y vivre, vous ne percevez plus les mêmes choses forcément de la même manière.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est important. Et si on n'a pas cette capacité à se dire que l'autre peut avoir une pensée différente... On passe quand même à côté de quelque chose. Donc il faut au moins se dire que, bien sûr que la façon dont on raisonne, c'est la bonne raison, que la défense de la démocratie, des valeurs de notre pays, tout ça, ça ne peut pas être mis en cause. Mais il faut aussi accepter que ça peut être autrement ailleurs et que quand on veut à tout prix imposer un mode de vie, un mode de pensée à celui qui est en face de nous... C'est pas forcément bien pris. Et c'est pas forcément... Est-ce que c'est même, d'ailleurs, adapté ? Alors ça, je le sais pas. C'est toujours, en tout cas, compliqué. Ce qui est certain, c'est que, à mon avis, ça peut pas se faire de façon brutale. C'est-à-dire qu'à un moment, on n'est pas arrivés, nous, non plus, en trois minutes, à ce niveau d'organisation, de démocratie, etc. Ça a pris du temps. On est passés par beaucoup d'étapes. Certaines très compliquées, d'ailleurs, en l'occurrence. C'est pour ça que c'est important de connaître l'histoire. Parfois, je suis un peu étonné parce que la jeune génération ne connaît pas très bien l'histoire de notre propre pays. Et c'est pour ça que c'est bien de lire aussi des biographies, parce qu'on comprend un peu le contexte qui était celui du moment. Ce n'est pas juste de lire la vie d'une personne, c'est de voir un peu comment elle s'est comportée dans un contexte qui était celui du moment, avec des problématiques qui étaient celles-là à ce moment-là. Et c'est important de se dire que tout ça s'est construit dans le temps. Il y a eu aussi des révoltes, il y a eu aussi des révolutions, il y a eu aussi des périodes sombres, il y a eu des périodes fastes. Et ça a amené à ce que l'on fait aujourd'hui. On ne peut pas dire à celui qui est en face, qui a un contexte complètement différent, qui a une histoire complètement différente, à partir de demain, tu vas rigoler, mais tout va être différent. Mais ça, ça ne fonctionne pas en fait. Mais nous, il nous a fallu du temps aussi pour arriver. Et il y a eu... à ce que nous sommes aujourd'hui. Donc il faut, voilà, je pense qu'il faut avoir au moins cette curiosité et ce regard-là vers l'autre. Y compris quand c'est notre adversaire, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    C'est à faire, mais je pense que ça ne doit pas être forcément évident d'avoir l'information quand c'est un ennemi.

  • Speaker #0

    Oui, mais il faut se poser des questions. C'est-à-dire que lorsque je suis parti au Mali, en fait, on ne s'était pas tellement préparé. C'est venu quand même de façon assez brutale. Mais dans l'avion, j'étais encore en train de me dire, mais quel est mon adversaire ? Quel est mon ennemi ? Quelles sont ses préoccupations ? Quelles sont ses intentions ? Quelles sont ses motivations ? Est-ce qu'il est... Voilà. Parce que finalement, ça me permettait de me dire, est-ce qu'il va être... Il va accepter assez facilement de dire, OK, je ne vais pas plus loin, ou est-ce qu'il va être le... Au départ, on est tombé sur un ennemi qui était incontrôlable, et qui avait beau avoir face à lui un char ou un hélicoptère, il ne renonçait pas, il avançait. Donc, c'est une attitude très particulière, quand même, en l'occurrence, parce qu'elle ne mène forcément nulle part. Mais ça, il faut le comprendre. Si on ne l'a pas accepté... On ne peut pas y arriver. Il y avait des enfants soldats. Les enfants soldats, c'est des enfants qui ont été enlevés dans des villages, qui ont été conditionnés et sur qui on a mis des ceintures d'explosifs. Et puis voilà. Et comment vous gérez ça ? Si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas... Voilà. Et ces enfants soldats, je me souviens d'un notamment qu'on avait récupéré et qui avait une douzaine d'années. Bon, et pas plus. Et qui nous a dit, quand il a été prisonnier, la première chose qu'il nous a dite, c'est Moi, ce qui m'importe, c'est de combattre. Donc je m'engage auprès de vous pour combattre contre ceux qui m'ont enlevé dans mon village il y a quelques semaines. Bon, donc là on se dit, waouh, il y a du boulot derrière, il va falloir reconstruire cet enfant et ça va être compliqué. Voilà, et ça, il faut vraiment s'intéresser, c'est le côté humain. On n'a pas beaucoup parlé d'humain dans notre conversation, et pourtant il est bien au cœur de tout, y compris dans la compréhension de notre adversaire ou de notre ennemi.

  • Speaker #1

    Après vous être confronté à cet exercice, quelle personne vous aimeriez voir faire un exercice similaire ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Quelqu'un qui s'engage. On a bientôt les Jeux Olympiques, alors pourquoi pas un champion ou un athlète qui se prépare à affronter, parce que c'est le combat aussi, quand on part aux Jeux Olympiques, c'est le combat et puis il y a un seul vainqueur à la fin. Donc ça pourrait être intéressant, j'aimerais entendre avec les questions que vous posez, un athlète qui se prépare pour les Jeux Olympiques. Par exemple, ça peut être... Alors après si on va plus loin, c'est les Jeux Olympiques, c'est aussi les Jeux Paralympiques. Ça peut être aussi intéressant d'avoir un athlète qui se prépare pour les Jeux paralympiques, parce que lui, il a évidemment toutes les difficultés d'un sportif de haut niveau, mais il a aussi tout le reste. Et pour revenir à mon métier, on a beaucoup d'athlètes paralympiques, et d'athlètes d'ailleurs au sens large, qui font partie des forces armées. Donc ça, c'est toujours intéressant, c'est quelque chose qui est... qui est à la fois proche et éloigné de notre métier, mais dans l'engagement et dans la préparation. Vous voyez, on parlait de préparation tout à l'heure. Un athlète, qu'est-ce qu'il fait 90% de son temps ?

  • Speaker #1

    Il s'entraîne.

  • Speaker #0

    Il s'entraîne, il se prépare. Et le combat ou l'engagement, l'engagement opérationnel, en fait, c'est l'engagement, le match, parce qu'à un moment, il va se retrouver dans un match ou dans un combat. En fait, c'est une toute petite partie de sa vie. Et là, il ne faut pas la louper, dans l'occurrence. Et c'est tout ce que vous avez acquis par des répétitions multiples et variées. par une remise en cause permanente. Et c'est ça qui va fonctionner. J'avais eu la chance un jour d'échanger avec Jean-François Lamour, je crois que c'est Jean-François Lamour, qui avait été champion olympique deux fois, au Sabre, je crois. Et je lui avais demandé ce qui faisait qu'il allait gagner un assaut ou un combat. Et en fait, il m'a dit, mais c'est très psychologique, mais toute la préparation, elle est là. de se dire qu'il faut prendre l'ascendant sur son adversaire. Le combat, il se gagne comme ça. Et c'est toujours comme ça. Regardez en rugby. Si à un moment, vous laissez la moindre perception à votre adversaire qu'il y a une faille, il va s'engouffrer dedans. et malheureusement il va prendre le dessus alors que peut-être vous êtes meilleur que lui au fond, on a vu combien de matchs comme ça qui basculent du mauvais côté ou du bon côté d'ailleurs en l'occurrence je me souviens d'un très bon côté avec un France-Nouvelle-Zélande où on est mené de je sais pas combien de points en Coupe du Monde et puis d'un seul coup pendant 20 minutes ils mettent 40 points à la Nouvelle-Zélande ce qui est juste impossible, je l'ai vécu en direct et je me suis dit mais qu'est-ce qu'il se passe quoi Parfois, c'est dans le mauvais sens. C'est la dernière coupe du monde, malheureusement. C'est pas terminé. Je pense que ça s'est joué sur le plan psychologique, en l'occurrence. Oui, mais tout ça, c'est un tout, en fait.

  • Speaker #1

    Mais l'aspect psychologique, je pense que c'est un point... Dans le domaine des athlètes, c'est un point qui se développe beaucoup, même de manière générale, je pense.

  • Speaker #0

    Chez nous aussi.

  • Speaker #1

    Parce que j'avais écouté un podcast, et c'était Tony Parker et Teddy Riner qui discutaient. Et Teddy Riner disait qu'au-delà d'avoir un entraînement physique, maintenant, ils avaient aussi un entraînement psychologique, quelqu'un qui les suivait tous les jours.

  • Speaker #0

    Et oui, parce que... Alors, c'est vrai dans le sport individuel, ça l'est aussi dans le sport collectif. Des fois, vous voyez une équipe complète qui sombre. J'ai un exemple que j'avais trouvé intéressant quand je commandais la brigade à Clermont-Ferrand. J'étais souvent invité au match de rugby et je me souviens un jour d'avoir vu un match de Clermont-Ferrand contre Toulouse. Clermont-Ferrand menait au score et Toulouse se retrouve avec deux cartons jaunes. Donc à 13 contre 15. Donc Clermont-Ferrand mène et il se retrouve à 15 contre 13. Le match est fini. C'est à ce moment-là qu'il y a eu une révolte dans l'équipe de Toulouse et Toulouse a marché sur Clermont-Ferrand. À Clermont-Ferrand. à 13 contre 15. Et là, je me suis dit, c'est pas possible. C'est très psychologique. C'est-à-dire qu'à un moment, ils n'ont pas accepté un peu ce qui se passait, et ils ont fait des gestes qui étaient... C'était très audacieux, ils ont pris des risques, et ça a marché. Et ils ont gagné le match.

  • Speaker #1

    Comme quoi, faut jamais abandonner. On va passer à la dernière question. Aujourd'hui, vous êtes général au sein de l'armée Terre. Si vous aviez l'opportunité de pouvoir vous parler à la sortie de Saint-Cyr, qu'est-ce que vous vous diriez ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense que je dirais ce que je dis à tous ceux que je croise et qui sont plus jeunes que moi. Je pense. Je leur dirais... Enfin, je me dirais donc, puisque c'est ce que vous venez de me demander. Profite, parce que la carrière, on ne s'en rend pas compte comme ça. Moi, je suis presque à la fin de ma carrière. J'ai l'impression qu'elle s'est passée en cinq minutes. Donc, je dirais vraiment ça. Chaque moment... Il faut vraiment, vraiment, on ne le fait pas en réalité. On ne s'arrête pas, on ne se dit pas, je viens de vivre quelque chose d'extraordinaire, on ne profite pas assez de ce que l'on fait ou de ce que l'on vit. Et ça, je trouve que j'ai vu les années passer, moi, et à un moment, alors maintenant j'arrive à le faire, me dire, ok, je m'arrête deux minutes, et je me dis, voilà, voilà ce qui vient de se passer, voilà où j'en suis, voilà ce que je fais aujourd'hui. Mais ça dure deux minutes parce que tout de suite, on est appelé par autre chose, et de se dire... C'est pas mal, et c'est intéressant, j'en tire tel enseignement. Et c'est vraiment ce que je dis, et notamment à ceux qui vont prendre des temps de responsabilité, de commandement, je leur dis, ça va aller vite, ça va passer très vite, vous allez être aspirés par le temps, et par tout ce qui va se passer, donc prenez le temps d'apprécier ce que vous faites, parce que c'est exceptionnel. je pense que c'est le message principal parce que si vous appréciez si vous prenez le temps de vraiment profiter de ce que vous faites tout le reste va venir je pense que c'est un très bon mot de fin profitez

  • Speaker #1

    de chaque instant et de toutes les expériences que vous allez pouvoir vivre et je vous remercie encore une fois pour le temps que vous m'avez accordé et puis je vous souhaite une très bonne fin de journée merci,

  • Speaker #0

    vous de même

  • Speaker #2

    Bravo à toi ! Ça fait plus d'une heure et demie que tu nous écoutes. Une heure et demie que t'as la voix de deux personnes que tu ne connais pas dans les oreilles. En tout cas, j'espère que t'as pu tirer plein d'enseignements de cette discussion. Et si tu veux pouvoir comprendre la vision des leaders français d'aujourd'hui, n'hésite pas à t'abonner pour pouvoir écouter tous les autres épisodes. Et si tu peux laisser 5 étoiles, ça me ferait vraiment super plaisir. C'est un side project que je mène à goûter des études et des stages, donc ça demande pas mal de temps. Sur ce, On se retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode avec un nouveau leader.

Chapters

  • Présentation

    00:00

  • Leadership militaire

    11:07

  • Engagement opérationnel

    24:50

  • OTAN et géopolitique

    58:14

  • Questions de conclusion

    01:10:20

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Description

#3 Dans cet épisode captivant, nous accueillons le général Frédéric Gout, un leader au sein des armées françaises dont le parcours exemplaire allie engagement opérationnel et expertise géopolitique.


Rejoignez-nous pour une conversation inspirante où le général Gout partage sa vision du leadership dans un domaine réputé pour sa discipline et sa rigueur : les forces armées. À travers des anecdotes de vie et des réflexions personnelles, il offre un regard unique sur un monde en perpétuelle évolution.

Préparez-vous à être captivés par les leçons et les perspectives éclairantes de ce leader exceptionnel. Cet échange promet de vous immerger dans l'univers complexe mais fascinant du leadership militaire et de vous inspirer dans votre propre cheminement


Si cela vous a plus, n'hésitez pas a mettre 5 étoiles au podcast et à venir découvrir les backstages sur mes réseaux: https://linktr.ee/leCafedeLAmbition


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à tous sur le Café de l'Ambition, le podcast sur lequel nous discutons avec les leaders français d'aujourd'hui pour les leaders de demain. Hello à tous, on se retrouve pour le troisième épisode du Café de l'Ambition. Pour cet épisode, je serai accompagné d'une personne très différente des deux premières, dans un domaine qui est particulièrement reconnu pour sa discipline. Un domaine qui est très souvent revenu aussi lorsque je discutais avec mon entourage ou bien les premiers guests vis-à-vis de la personne qu'ils aimeraient entendre, on se retrouve avec le général Gou, général au sein de l'armée. Lors de notre échange, on a pu aborder sa carrière, ses engagements opérationnels et même parler géopolitique puisqu'il a eu une expérience au sein de l'OTAN qui est super intéressante. Avant que l'épisode commence, il y a une petite confidence à vous faire, le général a accepté de faire l'interview en uniforme. Et pour être totalement transparent, j'étais un peu impressionné au début. Vous l'entendrez très certainement au son de ma voix. Au passage, si vous voulez aller voir les backstage, n'hésitez pas à me follow sur Insta. Vous pouvez retrouver le lien dans la bio du podcast. Sur ce, je vous souhaite une excellente écoute.

  • Speaker #1

    Bonjour mon général, merci d'avoir accepté l'invitation. Première question, comment allez-vous ?

  • Speaker #2

    Écoutez, je vais très bien. L'année vient de débuter, donc on a beaucoup de défis devant nous. Probablement, bien sûr, quand on regarde le monde comme il est aujourd'hui. Donc je vais très bien et je pense qu'il faut aller bien pour être prêt à affronter tous ces défis.

  • Speaker #1

    Je me suis permis de vous contacter autour de l'armée, puisque vous êtes général au sein de l'armée de terre. Est-ce que vous pourriez présenter rapidement votre parcours ?

  • Speaker #2

    C'est un peu compliqué parce que c'est un parcours long de presque 35 années maintenant. Alors un parcours de militaire de façon un peu synthétique, d'abord ça commence par une envie, on va dire, qui s'est traduite par un lycée militaire, parce que j'ai commencé dans un lycée militaire. en classe de seconde, et puis ensuite ma vocation militaire a mûri, et je suis rentré en prépa pour faire Saint-Cyr. Donc quelques années qui m'ont permis de me dire quelle est ma vocation, est-ce que c'est bien ce métier que je veux faire, dans un environnement déjà militaire, sans l'être totalement, puisque ça dépend de l'éducation nationale aussi, et donc avec cette volonté de rentrer dans l'institution militaire. Saint-Cyr, et puis à la sortie de Saint-Cyr, une vraie première question. quelle arme, dans quelle discipline ou dans quelle spécialité je veux servir. Un peu par hasard au départ, ce n'était pas mon premier choix, j'ai vu des hélicoptères de combat et évidemment ça m'a attiré. Et je suis rentré dans cette spécialité des hélicoptères de combat où j'ai fait toute ma carrière opérationnelle. En fait, quand on rentre dans l'armée, quand on est jeune lieutenant, on sortit d'un cirque, on va commencer par piloter un hélicoptère. Puis ensuite, on va en commander trois. Et puis progressivement, on va vous en confier dix, une escadrille. Et puis plus tard dans votre carrière, on vous proposera d'être le chef des opérations et de l'instruction d'un régiment. C'est une soixantaine d'hélicoptères en théorie. Puis encore un peu plus tard, lorsque je passe général, donc là je commence à avoir pas mal d'ancienneté, eh bien je commande la brigade des hélicoptères de combat. C'est la brigade de l'aérocombat qui regroupe les régiments d'hélicoptères de combat de l'armée de terre. Donc vous voyez, c'est tout à fait progressif, c'est-à-dire que les responsabilités sont... confier petit à petit, lorsque vous prenez de l'expérience, et que finalement, assez facilement, vous voyez tout à fait bien la tête d'une unité un peu plus grosse. Ça, c'est pour la partie opérationnelle. Et puis ensuite, il y a tout ce que l'on fait autour, puisque dans une carrière militaire, on ne fait pas que de l'opérationnel. Et donc, en fait, c'est un peu en fonction de ce que vous souhaitez faire. Il y a un dialogue toujours avec notre DRH. Et moi, j'ai souhaité faire, par exemple, des relations internationales. Donc on m'a donné la possibilité de faire une mobilité externe au ministère des Affaires étrangères à cette époque-là. Donc j'ai été à la direction des Nations unies et des organisations internationales pendant deux ans. J'avais vraiment le poste d'un jeune diplomate, on va dire, en civil pendant deux ans, avec toujours mon statut de militaire, mais vraiment pleinement intégré dans un autre ministère. Et puis dans ma carrière, j'ai fait d'autres choses aussi, bien sûr. J'ai notamment servi à l'OTAN. Dans l'organisation du traité de l'Atlantique Nord, où j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Alors cette autorité-là, c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN, en réalité. Donc c'est trois années extraordinaires pendant lesquelles on accompagne ce grand chef militaire dans tout ce qu'il fait dans sa vie quotidienne, puisque quand on est son assistant, on est vraiment proche de lui. Donc ça, c'est très intéressant. C'était tout à fait logique avec... que j'avais commencé à faire au Quai d'Orsay, dans les relations internationales. Et puis après, il y a plein d'autres choses que l'on vous propose aussi dans le courant de votre carrière. Donc par exemple, je donne un exemple, je suis allé à l'état-major des armées, parce qu'il faut diversifier en fait son parcours. On ne peut pas tout faire que dans l'armée de terre, tout faire que dans sa spécialité. Donc à l'état-major des armées, j'étais dans un bureau où notamment j'étais en charge des relations avec le Parlement. Donc les relations entre l'état-major des armées, le chef d'état-major des armées, et puis le Parlement, Assemblée nationale, Sénat. J'ai eu cette chance-là parce que c'est tombé pendant une période où on négociait une loi de programmation militaire. Donc il y avait vraiment des grands enjeux qui arrivaient à ce moment-là sur l'établissement et la mise en place de cette loi de programmation militaire, avec le rôle d'être entre deux institutions qui se connaissent, bien sûr, mais qui doivent à ce moment-là bien partager les enjeux pour être sûrs que ce qui va être proposé par l'un est bien compris par l'autre et qui va être évidemment poussé par l'autre. Donc c'était une période très intéressante. Ensuite, on m'a proposé, et là aussi c'est encore un autre cadre, de faire de la gestion. Donc j'ai été positionné auprès du chef d'état-major de l'armée de terre. Là, j'étais en charge de la gestion des officiers généraux et des colonels. Donc quand je parle de gestion, je parle de leur orientation, de leur avancement, de leurs affectations. Alors là, ça fait beaucoup de choses. En fait, tout ce qui tourne autour de la vie, ça fait pas mal de choses à faire. Un poste d'une grande richesse, parce que 80% de ce poste, c'est de l'humain, en fait, avec beaucoup de... d'écoute. Il faut absolument connaître, évidemment, ses connaîtres et ses généraux pour être capable de proposer aux chefs d'état-major de l'armée de terre les bonnes solutions pour leur gestion, en fait, en l'occurrence. Bien connaître également l'environnement, la réglementation. Mais là, j'étais pas tout seul. J'avais une équipe, évidemment, pour m'aider à faire tout ça. Voilà. Et puis aujourd'hui, je me retrouve à la tête de l'inspection de l'armée de terre, qui est encore un poste un peu particulier, dans le sens où c'est pas l'aboutissement d'une filière. C'est plutôt l'aboutissement d'une carrière qui me permet d'arriver là aujourd'hui avec la légitimité qui est la mienne pour tenir cette responsabilité. Vous voyez, j'ai été un peu trop long. Mais une carrière militaire, c'est d'abord très varié. C'est beaucoup de choix que l'on fait. Le premier choix, c'est de savoir dans quelle armée on veut servir, l'armée de l'air, l'armée de terre, la marine. Ensuite, quand on est dans l'armée de terre, quelle arme ou spécialité on veut servir. Est-ce qu'on veut être dans la cavalerie, l'infanterie, les transmissions, le génie ou l'aviation légère de l'armée de terre ? C'est vraiment un choix qui vous appartient, en fait. Et puis à partir de là, vous construisez votre parcours. Et puis il y a des opportunités qui se présentent ou pas. Et puis ça se fait aussi beaucoup en fonction de votre envie. Il y a beaucoup d'envie. Il y a des gens qui vont vouloir faire la carrière que j'ai faite et donc qui vont avoir beaucoup de mobilité. Parce que quand on veut gravir tous ces échelons, il faut accepter quasiment tous les deux ans de changer de poste et quasiment tous les deux ans d'être muté. Il y a des gens qui vont vouloir être plutôt des experts. Donc ils vont rester plus longtemps sur leur poste. Ils vont accepter de moins avancer parce que forcément c'est la contrainte aussi. Mais ils seront reconnus dans leur expertise et on a bien sûr besoin d'eux.

  • Speaker #1

    Ok. Donc ce que je peux retenir c'est que... très modulable et que vous avez une expérience très très riche.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. C'est vraiment... C'est presque à la carte, en fait. Il n'y a pas deux parcours qui se ressemblent. Et on peut arriver au même endroit en ayant fait des parcours complètement différents. Mon prédécesseur n'avait absolument pas le parcours que j'ai. Et celui d'avant non plus. Donc voilà. Et encore, on pourrait entrer dans l'histoire comme ça. Donc oui, oui, je crois que la richesse de ce métier, d'abord, c'est... Évidemment, le cœur du métier, c'est les opérations. Évidemment, la préparation opérationnelle et l'engagement opérationnel, c'est le cœur du métier. C'est pour ça que nous sommes venus. Je pense qu'il n'y a pas de contre-exemple. Mais à partir de là, on peut construire un parcours avec vraiment beaucoup de diversité, il y a beaucoup de choix possibles, on peut se réorienter, c'est vraiment la carte.

  • Speaker #1

    Avant de revenir sur toutes vos expériences, je pense qu'on va avoir de quoi discuter. Il y a une petite autre question que j'aime bien poser, c'est si vous deviez vous présenter à un enfant, donc c'est sous un axe totalement différent, comment vous le feriez ?

  • Speaker #2

    Si je devais me présenter à un enfant, je pense que je commencerais par lui dire que le fond de ma volonté ou de mon envie, au départ, c'est de servir. C'est de servir, c'est-à-dire d'être là pour participer à la sécurité de mon pays. Vous savez, souvent, un enfant dit je veux être pompier parce que je veux aider tout le monde dans le cadre d'un incendie Moi, je pense qu'on pourrait dire ça. D'abord, servir. Ensuite, l'engagement opérationnel. C'est-à-dire que je fais ce choix de ne pas rester dans un bureau pendant 30 ans. Moi, j'ai décidé d'aller sur le terrain, de prendre des risques. Parce que quand on fait ce métier, on sait qu'on va prendre des risques. Il y a un peu d'audace dans cette affaire-là. C'est-à-dire qu'il faut avoir cet esprit un petit peu audacieux de se dire je vais sortir de ma zone de confort parce que c'est l'objectif de ce métier-là. Je lui parlerai probablement d'hélicoptères, parce qu'un jeune enfant, ça va l'intéresser de se dire tiens, voilà, les hélicoptères Je lui parlerai également de mes voyages. Quand on est militaire, on voyage beaucoup. Alors c'est un peu partout le continent africain, bien sûr, parce que c'est ce continent sur lequel on a été beaucoup engagés, mais pas que. Les Balkans, l'Afghanistan, il y a beaucoup de choses, en fait, en réalité. Et finalement, tout ça, c'est l'histoire de notre pays aussi. Je lui parlerai de sport, je lui parlerai de dynamisme.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier point que vous avez abordé vis-à-vis de l'enfant, c'est servir son pays. Au sein de l'armée, la culture militaire, c'est un point qui est très développé. Comment est-ce que vous définirez les valeurs fondamentales de l'armée ?

  • Speaker #2

    Alors... Par quoi commencer ? Je pense que... Est-ce que je parlerais de cohésion d'abord, finalement ?

  • Speaker #1

    La cohésion, c'est un point que je vais aborder derrière.

  • Speaker #2

    C'est peut-être le point dans les valeurs. Alors la cohésion, ce n'est pas une valeur, mais c'est un état de fait et c'est celui qu'on recherche, parce que tout passe par la cohésion. La cohésion, dans les valeurs, il va y avoir la discipline, parce qu'on ne peut pas servir au sein des armées sans respecter une forme de discipline. Parce que, encore une fois, la finalité, c'est l'engagement opérationnel. Et le jour où on est engagé, tout le monde fait confiance en celui qui est à côté de lui, qu'il soit son chef ou son subordonné, pour remplir la mission. Si l'un est défaillant, eh bien en fait, tout va échouer. Donc la discipline, c'est une valeur fondamentale pour les armées. Je rajouterais aussi tout ça dans la cohésion dont j'ai parlé au départ. Je pense que le courage, c'est une valeur fondamentale également. Là aussi, j'en reviens toujours. Le courage, c'est pas forcément le courage de partir au combat, même si la finalité, c'est celle-là. Le courage aussi, c'est celui de dire à son chef Vous faites fausse route tant qu'on est dans le cadre de la préparation. Et puis à un moment, le chef va prendre une décision et là, il n'est plus question de la remettre en cause. La discipline. Voilà un petit peu les vraies valeurs fondamentales. Après, il y en a d'autres, évidemment.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien de les résumer en trois mots. Donc ça serait la discipline, la cohésion et le courage. Ok. Ces valeurs au sein de votre parcours, comment on vous les a inculpées ? Est-ce que ça a été via les expériences que vous avez pu vivre sur le terrain ? Est-ce que ça a été via des sincières ? Et aussi, à l'inverse, comment est-ce que vous, vous les avez inculpées à vos subordonnés ?

  • Speaker #2

    En fait, je crois que c'est ce que vous disiez en introduction, la carrière militaire est bien faite. C'est-à-dire qu'au départ, on vous met dans une école où on va vous inculquer ces valeurs-là, petit à petit. On vous explique. Pour commander 8-10 personnes, il faut qu'il y ait une forme de discipline, il faut que vous soyez courageux de temps en temps, parce que ce n'est pas évident, et il faut que vous formiez une cohésion, autrement votre ensemble ne sera pas cohérent. Alors quand on est jeune et quand on est en école, on est encore un peu fougueux, on part dans tous les sens. Et puis petit à petit, l'idée c'est de faire en sorte que tout ça soit bien respecté. Pour qu'on puisse être engagé très rapidement. Ne l'oublions pas, quand on sort de Saint-Cyr, on peut être engagé tout de suite. Certains partent en opération extérieure avec très peu d'ancienneté, finalement. Alors on passe par le cycle école, quand même, qui dure assez longtemps. Le Saint-Cyr, c'est trois ans plus une année d'école d'application où on apprend vraiment notre métier. On apprend d'abord à être un... un officier. Et ensuite, on apprend à être un officier dans une arme particulière. Un fantassin, un cavalier, un artilleur, un transmetteur. Ce qui fait qu'on passe du général au particulier et au spécifique, c'est-à-dire le métier. Parce que lorsqu'on est à la tête d'une section, une trentaine d'hommes, on ne peut pas arriver juste avec quelques valeurs, quelques notions. Il faut être aussi pas encore un expert. Parce que les subordonnés qu'on vous confie forcément sont plus compétents que vous et sont plus experts que vous. C'est leur métier. Mais vous, vous devez avoir quand même suffisamment de connaissances pour apparaître comme quelqu'un de légitime vis-à-vis de ces subordonnés-là. Autrement, à un moment donné, vous n'arriverez pas soit à faire cette cohésion, soit à faire en sorte que vous soyez tout simplement légitime pour partir avec eux. et leur donner des ordres dans les moments de crise, en fait.

  • Speaker #1

    OK. Mais du coup, vis-à-vis de ces valeurs, ça va plutôt se créer au petit à petit ?

  • Speaker #2

    Oui, je pense que... C'est l'expérience que l'on va acquérir. Au début, on va vous donner toutes les clés. On va vous donner toutes les connaissances qui vous permettront à la fois de technique, mais également intellectuelle, morale. Tout ça, on va vous le donner. Et vous, il faut le digérer dans un premier temps. Et puis ensuite, il faut acquérir un peu d'expérience pour demain être capable de justifier que c'est bien la bonne personne qui est à la bonne place pour prendre ses décisions, pour commander en fait en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Moi, enfin, alors là c'est une opinion personnelle, mais j'avais cette idée qu'au sein de l'armée, quand on est, alors je ne connais pas tous les grades, mais quand on reçoit les ordres, on a tendance à les exécuter sans forcément... Chercher à comprendre, c'est peut-être pas le meilleur mot, mais tout à l'heure vous m'avez dit avoir le courage de dire à son supérieur que parfois il se trompe. Et du coup, moi dans mon idée, c'est qu'on ne cherchait pas forcément à faire remettre en cause les ordres. Et que la passerelle de passer à commander des personnes, des militaires, et quand on est commandé, je me demandais comment ça se passait, Finalement, l'armée est connue pour sa discipline, pour le respect de sa hiérarchie. C'est vrai. Comment ça va se passer ? Est-ce qu'il y a du mécénat, quelque chose de ce type ?

  • Speaker #2

    Alors en fait, comme vous l'expliquez, on est un peu dans l'image d'Epinal. C'est-à-dire qu'il y a un chef qui donne un ordre, il est exécuté et on discute. C'est absolument pas comme ça que ça se passe. Il y a un chef qui donne une orientation. Voilà comment il voit les choses. Et derrière, il a des subordonnés, c'est pour ça que je vous parlais de courage, parce qu'il faut de temps en temps être capable de dire à son chef vous avez tort Lisez un peu tout ce qui a été écrit sur l'Indochine, l'Algérie, etc. Souvent, vous avez des subordonnés qui disent à leur chef Si vous allez par là, vous vous faites prendre un risque à la section et on va tomber dans une embuscade. Et c'est ce qu'il faut éviter. Parce que moi, qui suis un sous-officier, j'ai l'expérience et je sais qu'en passant sur ce chemin-là, on prend un risque. Vous qui êtes officier, et qui êtes jeune officier sans expérience de ce terrain-là, vous nous demandez de prendre ce risque. Alors, comment ça se passe en réalité ? Eh bien en fait, je vous le disais, une décision est élaborée, on commence à avoir une orientation, et ensuite on en parle. C'est-à-dire qu'il y a toujours la possibilité d'en parler. D'ailleurs aujourd'hui, c'est très difficile de dire à quelqu'un je te donne un ordre, c'est comme ça et puis tu l'exécutes et il n'y a rien à dire. Circuler, il n'y a rien à voir. Ça, ce n'est pas possible. Il y a donc une phase ensuite pendant laquelle on va discuter, on va en parler. L'expérience des uns va enrichir. la compétence ou la connaissance de celui qui élabore l'ordre. Cette phase de discussion va durer un certain temps. Alors ce temps, il est plus ou moins court en fonction du degré d'urgence, par exemple. Quand on est en opération, il y a des moments où ce temps se réduit considérablement. Et on va arriver à une décision. Et cette décision, c'est le chef qui va la prendre toujours, puisqu'il est là pour prendre des décisions. Lorsque le chef a pris la décision, cette fois-ci, l'ordre, on ne le conteste plus. Parce que si on conteste l'ordre alors que la décision a été prise, là, on va faire prendre des risques à l'ensemble du groupe. Et donc on va remettre en cause cette cohésion dont je vous parlais tout à l'heure. Donc ça veut dire que... Alors parfois, on n'est pas d'accord avec la décision qui va être prise. Parce que dans les orientations, on avait une autre hypothèse. Mais cette hypothèse, elle a été entendue par le chef, qui à un moment va prendre lui, avec tout le contexte qui est le sien, ses connaissances, l'environnement qu'il connaît peut-être mieux que celui qui est son subordonné. Une fois qu'il a pris sa décision, alors on doit... adopter cette décision comme étant l'ordre que tout le monde va suivre. Et tout le monde doit aller, doit converger vers l'exécution de cette décision. Et là, ça va fonctionner.

  • Speaker #1

    Donc il y a vraiment un avant l'ordre et un après l'ordre. Donc il y a une phase de... Discussion avant l'ordre, ou parfois faire preuve de courage, et après, c'est là où la discipline intervient réellement.

  • Speaker #2

    Une fois que la décision est prise, comme à la fin la finalité c'est le combat, l'engagement opérationnel, là on ne peut pas se permettre d'avoir la moitié de la section qui dit, en fait, moi j'avais dit que je ne voulais pas y aller, ou qu'il fallait passer par la droite, donc je vais à droite, parce que si vous avez une moitié de section qui va à droite et l'autre à gauche, d'abord je ne sais plus où on met le chef à ce moment-là, et de toute façon on ne va pas remplir la mission. C'est quelque chose qui est tout à fait compris, qui est bien admis et qui est très cohérent. Donc évidemment, ça repose sur une hiérarchie. Quand on regarde bien dans la société civile, il y a toujours une hiérarchie aussi. Et il y a un moment où il y a toujours un ordre qui est donné. Alors peut-être que derrière, il y a des enjeux qui sont différents, qui peuvent être différents, qui peuvent être économiques par exemple, donc ils sont stratégiques. Mais nous, ce qui est sûr, c'est qu'à la fin, il y a une mission à remplir et on ne peut pas... ne pas remplir cette mission.

  • Speaker #1

    Parce que je trouve que ce qui est vraiment différent entre l'aspect civil et l'armée, c'est qu'on... Dans l'aspect civil, il y a beaucoup moins de discipline et qu'en général, il y a parfois des fortes têtes qui vont quand même en faire qu'à leur tête et finalement, on peut avoir une finalité qui va être différente.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des fortes têtes. Mais si c'est les armées, il ne faut pas se tromper. Vous savez, les armées, c'est le reflet de la société civile. Donc, on a aussi des gens qui ont des forts caractères, mais à qui on apprend petit à petit à respecter le... l'endroit où ils sont, et puis en leur disant votre caractère peut s'exprimer, puisque effectivement, vous avez toujours cette phase où vous pouvez vous exprimer. On peut dire beaucoup de choses au sein de l'institution militaire, mais il y a un moment, ça c'est certain, ça fera peut-être la différence avec le monde civil, où tout le monde doit exécuter la décision qui a été prise, et si ce n'est pas le cas, celui qui ne rentre plus dans cet ensemble-là en sera exclu. Ça, parce qu'il faudra prendre trop de risques. Et y compris dans l'avancement, c'est quelque chose qui va être regardé. Parce que très concrètement, si à un moment, on se dit qu'il y a un danger dans le fait que vous n'allez pas forcément écouter les ordres de vos supérieurs hiérarchiques ou dans le fait que vous allez créer beaucoup d'instabilité ou de manque d'assurance chez vos subordonnés, donc là, je pense que c'est pas bon pour la cohésion d'ensemble. Et on regarde ça avec beaucoup de précision pour l'avancement.

  • Speaker #1

    On a bien discuté de l'aspect culture militaire. Moi, il y avait un autre aspect qui m'intéressait particulièrement, c'était la prise de décision, ou même plus généralement de la stratégie. Quand on est dans des situations parfois critiques, avec des conditions qui sont parfois extrêmes, des enjeux aussi qui peuvent être extrêmes vis-à-vis de la vie, on parle parfois de la vie de vos subordonnés, j'imagine.

  • Speaker #2

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment, alors être sûr, je pense que c'est le même cas, mais prendre la bonne décision ?

  • Speaker #2

    Alors, je... La situation de crise, donc cette situation de crise, elle vous laisse peu de temps, en fait, puisque vous êtes surpris. Forcément, ça va aller très vite. Et là, ce qui est certain, c'est qu'en situation de crise, tout le monde se retourne vers le chef. Donc là, il n'y a pas de discussion ou très peu, en fait. Et vous devez décider effectivement dans l'urgence. Est-ce que vous allez vous dire dans votre tête Est-ce que je prends la bonne décision ? Vous n'avez pas le temps. Donc en fait, vous ne raisonnez pas comme ça. Vous vous dites Je suis compétent, je suis légitime, et donc je suis dans l'action C'est ça. C'est en amont. Une fois que vous avez accepté d'avoir cette responsabilité de chef dans un engagement opérationnel, ça, vous l'avez mis de côté. Donc après, vous décidez. Et vous décidez comment ? Vous décidez avec tout ce que vous avez acquis, tout ce que vous avez engrangé, tout ce qui a sédimenté dans votre carrière. Donc vous avez un certain nombre de réflexes. Vous avez des raisonnements qui sont fondés sur des cas concrets que vous avez déjà vus. Voilà, ça se fait dans cette direction. Puis évidemment, vous allez penser, d'abord, il faut remplir votre mission. Il faut préserver, évidemment, vos personnels et votre matériel, parce qu'autrement, vous ne pourrez pas très engager demain. Et c'est un peu comme ça que vous allez réfléchir. Et en fonction de ça, vous allez mesurer le risque que vous... Quel risque vous acceptez de prendre. pour remplir une mission. Voilà. Donc, finalement, c'est assez naturel. Moi, j'ai été confronté à des situations de ce type-là et je ne me suis pas posé de questions. J'ai vite vu que, de toute façon, là, oui, j'étais le chef et qu'on attendait une prise de décision qui s'est faite assez naturellement. Et tout ça, ça ne fonctionne que si tout ce qu'on a dit au début est cohérent. S'il n'y a pas de cohésion... Ça va être compliqué. Parce que là, il ne faut pas qu'à ce moment-là, vous ayez un subordonné qui vous dise Mais c'est n'importe quoi. Votre décision n'est pas cohérente. Regardez, vous n'avez pas tenu compte de ça. Voilà. Si votre subordonné a l'impression que c'est le cas, il a le devoir de vous le dire. Mais normalement, ça ne doit pas arriver à ce moment-là. C'est des choses qu'on a vues avant et qui font que dans l'urgence, quand on est en situation de crise, eh bien en fait, tout ça, finalement, arrive assez naturellement.

  • Speaker #1

    Vous avez écrit un livre. J'avais vu notamment que dans... Donc c'était Libérez Tambouctou. Et j'avais vu que dans une de vos opérations, vous faisiez face à des... à des défis logistiques parce que c'était compliqué de pouvoir suivre les terroristes, je dis pas de bêtises, au Mali. Donc typiquement pour illustrer ce que vous venez de dire, dans cette situation, comment vous avez fait pour vous dire, alors je n'ai pas les détails, je ne sais pas à quoi ça correspond toute la logistique que vous deviez déplacer, mais finalement dans cet exemple, qu'est-ce que...

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui était les points importants à prendre en compte et comment vous avez fait face ?

  • Speaker #1

    En fait, c'est vrai que lorsqu'on est dans cette situation, il y a une partie commandement avec l'exécution de la mission. Donc moi, j'avais un chef qui était un général qui commandait l'ensemble de la brigade, en fait, qui, lui, avait des objectifs opérationnels. C'est-à-dire qu'il me disait qu'à telle date, il voulait arriver sur tel point parce qu'ensuite, il allait falloir conquérir la ville de Tambouctou. Donc on s'était fixé des objectifs, pas tout seul, parce qu'il y a aussi l'échelon politique qui vous dit à tel moment nous souhaitons que vous soyez arrivé ou que la ville de Tendutu soit libérée. Donc derrière il y a des défis logistiques et ces défis-là, à la fois nous les partageons, c'est-à-dire que c'est aussi la contrainte du général, mais l'objectif du subordonné c'est toujours de donner le moins de contraintes possibles à son chef. C'est-à-dire de se dire à mon niveau je vais gérer tout ce que je peux gérer à mon niveau. Et puis tout le reste, quand ça dépasse mon niveau, il faut qu'effectivement je... Je vois avec la brigade ou l'échelon supérieur comment on peut partager tous ces défis, en fait, parce que c'est des défis. Là aussi, ça se fait assez naturellement. C'est-à-dire qu'il faut à la fois être conscient de ce qu'on est capable de faire, c'est-à-dire ne pas dire à son général Moi, vous me dites que le 1er février, je dois être à Tombouctou. Eh bien, j'y serai. Alors que vous savez très bien que mécaniquement, votre... Vos pièces de reponge, le kérosène, etc. Tout ça, c'est beaucoup de logistique. On n'a aucune possibilité d'arriver avant le 1er février. Il faut avoir la cohérence de l'ensemble. On n'est jamais tout seul pour faire ça. On travaille en équipe. Des logisticiens, il y en a dans chaque unité, mais il y en a également au niveau supérieur. Tout ça étant organisé pour que l'ensemble fonctionne. Donc vous avez dans une opération comme celle-là, il y a des spécialistes qui font de la logistique, qui eux vont tout mettre en œuvre pour que vous ayez tout ce dont vous avez besoin pour remplir votre mission là où vous devez la remplir. Et à chaque échelon. Ce qui fait que normalement, avec une bonne coordination, on arrive à faire ce qu'on a à faire. Il peut y avoir des... Des soucis, ça peut arriver. Moi, j'ai eu un problème de ravitaillement. Je n'avais plus de kérosène juste avant l'opération à Tambouctou. Le kérosène était disponible, mais c'était un peu compliqué de l'acheminer jusqu'aux hélicoptères. Donc, à ce moment-là, ça fait partie... Je ne sais pas si c'est du courage, mais il n'y a pas le choix. Il y a un moment, il faut dire à son chef... Je n'arriverai pas parce que j'ai un problème logistique. Donc je demande un délai d'une heure pour faire les pleins des hélicoptères. C'est vraiment la chose de base, mais qui peut remettre en cause une opération qui, elle, est stratégique et qui est suivie par l'état-major des armées à Paris ou même par le pouvoir politique. Donc voilà, c'est des choses qu'on anticipe assez bien. Puisque, en fait, tout ça est intégré dans notre façon de nous organiser, de nous préparer en permanence. Donc, on a des unités spécialisées qui s'occupent de ça. Alors, on a parlé de la logistique, mais c'est également toute la partie système d'information. Et là, forcément, si à un moment, vous n'avez plus les liaisons avec les logisticiens ou avec la partie commandement, là aussi, vous allez avoir des problèmes, évidemment. Donc, tout ça, c'est un ensemble cohérent qui vit très bien ensemble. On est habitués à se préparer ensemble. Et en fait, ces connexions, elles sont déjà établies. Ça veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés, parce que cette opération, on était partis, rien n'était en place lorsqu'on nous sommes arrivés. Donc en fait, on allait presque plus vite, les opérationnels allaient presque plus vite que la partie logistique. Sauf qu'à un moment, tout ça doit être cohérent, parce que si vous partez billes en tête et que vos réservoirs sont vides et que le... Le réhabilitaillement, il est trois heures plus tard, vous allez attendre trois heures les réservoirs vides. Donc il faut évidemment anticiper tout ça. C'est la difficulté d'une opération, ce qu'on appelle l'entrée en premier, où il n'y a pas d'environnement logistique autour de vous, et il faut faire en sorte que tout ça avance bien au même rythme en fait en l'occurrence. Et parfois, il faut être capable de se dire, moi j'ai des hélicoptères qui vont vite, loin, tout ce que vous voulez. Oui mais sauf que j'ai aussi des véhicules avec les pièces de rechange, j'ai mes camions de pompiers, j'ai ma tour de contrôle, j'ai tout ça. Et puis il y a le reste de la brigade. Et il y a toute la partie logistique. Il faut bien sûr, si vous partez au combat et que vous n'avez plus de munitions, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de kérosène, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de ravitaillement pour boire et manger, il y a un moment ça ne marche plus non plus. Donc voilà, on essaye de faire en sorte que tout ça soit cohérent. C'est une difficulté parce que ça se fait évidemment en ambiance crise. Donc l'environnement, il est plutôt instable, voire vous avez de l'insécurité. Et en fait, il faut quand même avoir un système complet qui fonctionne parce qu'autrement, là, vous vous mettez vraiment en difficulté. Et puis en plus, forcément, vous n'allez pas respecter finalement ou pas remplir la mission à la fin.

  • Speaker #0

    J'allais rebondir sur un point, c'est... Vous m'avez dit que vous avez des responsables logistiques, donc j'imagine que d'un point de vue local, vous avez l'information. Mais est-ce que ça arrive parfois qu'il y ait des soucis de cohésion entre ce que veut le pouvoir politique ou ce que veut l'état-major et ce qui se passe réellement sur le terrain ? Parce que vous, vous avez bien l'information que l'opérationnel va plus rapidement que la partie logistique et qu'au final, vous êtes au courant de cette information. Mais vis-à-vis de la stratégie initiale, c'est plus possible parce que la logistique ne peut pas... Arriver aussi vite que les hélicoptères à un point B.

  • Speaker #1

    En fait, tout ça se fait avec une grande fluidité. C'est-à-dire qu'effectivement, le pouvoir politique prend des décisions. Le président de la République a fixé un objectif. C'est suivi ensuite en cabinet ministériel. Enfin tout le monde va suivre ça. À l'état-major des armées, ils ont une vision presque instantanée de ce qui se passe. Et très concrètement, on arrive à mettre à jour en permanence nos informations, nos besoins, nos manques. Il nous manque quelque chose sur le terrain. À ce moment-là, on va en parler. Il n'y a jamais de déconnexion énorme entre ce que souhaite Paris et ce qui se passe sur le terrain. Parce qu'aujourd'hui, en fait, moi j'ai l'habitude de dire, en fait, on vit dans un bocal. Donc tout ce qui se passe sur le terrain est absolument connu, maîtrisé, su tout de suite. Il n'y a pas de temps de latence, etc. Ce qui fait que quand nous rencontrons une difficulté ou quand nous tombons sur un obstacle, ce qui peut arriver, qui va nous arrêter, nous on utilise le terme fixer Quand on est fixé, forcément on est obligé de prendre un certain nombre de mesures pour reprendre notre progression. On ne va pas faire n'importe quoi. On ne va pas se dire on est tombé sur une embuscade et tant pis, on nous a dit qu'il fallait continuer, alors on va continuer Pas du tout. À ce moment-là, on va s'arrêter et on va faire les choses correctement pour faire en sorte qu'on prenne toujours le dessus sur notre adversaire. Ça, dès que ça se présente... Presque en temps réel, ça remonte à Paris. Donc en fait, on nous met... Paris, l'état-major des armées, la partie planification et conduite des opérations n'a aucun intérêt à nous mettre en difficulté. Au contraire. Ils sont plutôt là pour nous appuyer, évidemment, en nous donnant leur intention. Voilà ce que vous devez réaliser sur le terrain. Et une fois que nous, nous sommes sur le terrain, on a évidemment la vérité des prix. Et tout ça est bien partagé. Et c'est pour ça que les échelons de commandement sont bien... On a fait également, pour permettre à celui qui a cette vue la plus réelle de ce qui se passe sur le terrain, de discuter avec les chances supérieures pour lui dire, vous voyez aujourd'hui, on ne va pas pouvoir faire ce qui était prévu parce qu'on a rencontré telle et telle difficulté, et peut-être que le lendemain on ira un petit peu plus vite parce que finalement les choses se sont bien passées et on n'a pas rencontré l'adversité que l'on avait imaginée. Tout ça évidemment, c'est lié avec la connaissance, ce qu'on appelle le renseignement chez nous, donc de ce qu'il y a autour de nous. Donc on a énormément de capteurs qui nous permettent de savoir ce qu'il y a en face de nous aussi. Parce qu'une route qui fait 500 km, en fait, en fonction de l'état de la route, des gens qui sont plus ou moins hostiles que l'on va rencontrer sur cette route, enfin de plein de facteurs, tout ça fait que, on va mettre combien pour faire ces 500 km ? On va mettre 5 heures, on va mettre 30 heures, on va mettre 5 jours, tout ça. Et ça peut être ça. Donc vous voyez bien qu'entre 5 heures et 5 jours, c'est pas la même chose. Et parfois, on va être obligé de progresser à 1 km heure parce que le terrain est miné, parce qu'il y a un environnement hostile. Et donc, il va falloir faire très attention. Et la progression, on va la réaliser, mais dans de bonnes conditions pour ne pas risquer de perdre du matériel et bien sûr des hommes. Donc voilà. Tout cet environnement-là, il n'est jamais fixé, il n'est jamais connu à l'avance. On essaye d'avoir le plus de renseignements possibles pour savoir vers quoi on va aller. Mais quand on est en opération d'entrée en premier, il y a un moment, l'ennemi, il est là, il n'est pas là. Là, il nous a échappés pendant longtemps parce qu'évidemment, il n'avait pas intérêt à nous rencontrer au début de l'opération. Puis à un moment, on est arrivé là où il était, mais surtout là où il avait tout son arsenal, tout ce qui était logistique pour lui. Là, il ne pouvait plus nous échapper. C'est-à-dire qu'il y avait un moment, soit il quittait le Mali, pour aller où d'ailleurs, je ne sais pas. soit il y avait le contact qui se faisait à ce moment-là, ce qui s'est passé. Nous n'avions pas forcément toutes les informations sur comment ils étaient organisés, combien ils étaient, quel armement ils avaient, tout ça. Ça se fait aussi petit à petit. D'où l'intérêt d'avoir un renseignement le plus adapté possible pour être capable d'anticiper ce qui va nous arriver.

  • Speaker #0

    Ok, super intéressant. Finalement, vis-à-vis des opérations que vous avez menées, quel a été le moment le plus difficile qui vous a le plus marqué ?

  • Speaker #1

    Le moment le plus difficile, incontestablement, c'est le moment où vous perdez les hommes. Voilà. Ça, c'est pas difficile dans le sens où vous devez mener une action particulière. C'est juste que perdre des hommes avec qui vous êtes préparés, que vous connaissez. La plupart du temps, vous connaissez leur famille. Je pense que c'est ça, le plus difficile. Et on le sait tous, ça fait partie de l'engagement que l'on a pris. Donner la mort, recevoir la mort. Voilà. C'est de toute façon difficile. Moi, j'ai vécu trop de cérémonies dans la cour des Invalides, dont certaines très fortes. Aussi parce que j'ai été engagé directement. Donc là, c'est encore plus fort. Je ne sais pas si c'est encore plus fort, d'ailleurs, parce qu'à chaque fois, l'émotion, elle est là. Je pense que ça, c'est difficile parce qu'on le sait. On a fait ce métier. On connaît ce risque-là. On l'accepte. Mais quand on le vit, je pense que ce qui est compliqué aussi, c'est de... C'est d'affronter la réalité de l'environnement. C'est-à-dire que perdre un camarade au combat, c'est une chose. On l'a tous vécu à peu près. Quand on a l'ancienneté que j'ai, forcément, on l'a vécu. Derrière, affronter les conséquences pour sa famille, pour ses amis, pour ses parents, pour ses enfants, c'est toujours, toujours très compliqué. Et puis après, il faut être capable, je pense, de... De les suivre, de suivre ces familles. Mais avec le temps, c'est toujours un peu compliqué. Donc il faut aussi être capable de se dire est-ce qu'elles ont besoin ? Est-ce qu'à un moment, elles n'ont plus besoin parce qu'elles veulent passer à autre chose ? Ça, c'est toujours un peu délicat. C'est un peu sensible. Voilà. Si vous me demandez ce qui a été le plus dur, c'est vraiment ces moments-là. Moi, je les ai en tête. Je les garderai en tête toujours. J'ai eu une fois 13 familles quand même dans la cour des Invalides. Et j'étais concerné, donc évidemment. 13 familles, c'est plus de 200 personnes. Et c'est compliqué. C'est compliqué. Il faut... Bien sûr qu'il faut l'assumer. Et puis derrière, je crois que c'est... Je finis par ça. Il faut jamais oublier l'engagement initial. C'est-à-dire que c'est vrai. Et on va s'arrêter. Il y a ce qu'on appelle le temps de l'hommage. Ce temps-là, il est fondamental. Il est important à la fois pour ceux qui sont restés, pour les familles, pour tout l'environnement, y compris pour la nation, je crois, dans son ensemble. Et puis une fois que ce temps de l'hommage est passé, il faut reprendre la mission. Parce qu'en fait, la mission continue. J'ai perdu mon commandant d'unité quand j'étais jeune capitaine. Et j'étais donc engagé sur un porte-avions à ce moment-là. Je suis allé accompagner mon commandant d'unité à Eitan, qui était notre régiment d'origine, où il y avait les familles, le régiment, etc. Et puis ensuite, j'ai repris un avion, je suis retourné sur ce porte-avions qui était déjà passé à autre chose, ce qui est normal, il avait repris le cours de sa mission. Et il m'a fallu un petit peu de temps, parce que moi j'étais encore dans l'hommage avec ce commandant d'unité qui était si important pour moi et qui m'avait tout appris. que j'avais perdu de façon vraiment dramatique, dans un crash hélico. Et puis la mission reprenait, et moi, il fallait que je retrouve tout de suite ma place. Autrement, il fallait partir, parce que j'étais déconnecté. Et ça, c'est dur à vivre.

  • Speaker #0

    J'imagine, cet aspect, si on peut continuer sur ce sujet qui n'est pas le plus gai.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Cette capacité à changer d'état d'esprit, est-ce que... Enfin comment... Est-ce que vous avez des astuces ? Parce que là, c'est pas drôle, mais ça peut aussi être le cas... Dans Libérateur Nocturne, vous parlez du fait de... Quand vous êtes sur le terrain et que vous repassez à la vie civile, c'est un autre état d'esprit, c'est plus la même vie. Comment changer d'état d'esprit radicalement ?

  • Speaker #1

    En fait, il faut... On met en place... Vous l'avez vu dans le livre... On met en place des sasses pour passer de ce rythme qui est souvent un rythme très intense. Avec souvent de la haute intensité, on est vraiment pris, ça va très vite. Il faut qu'on repasse à une autre vie, qui est celle de la vie civile. J'ai un exemple que m'avait donné un psychologue que j'avais trouvé très bon. Nous, on est engagé dans nos opérations, ça n'arrête pas, etc. Et puis si on ne passe pas par ce sas, on va se retrouver le lendemain et on va retrouver son grand ado dans le canapé qui passe des heures à ne rien faire et ça va être insupportable. Et en fait, ce grand ado, pendant plusieurs mois, et il ne va pas du tout comprendre que quand vous allez arriver, en lui disant Mais qu'est-ce que tu fais dans ce canapé ? Il serait temps que tu passes à une vitesse un peu supérieure. Donc il faut se remettre au rythme de ceux qui sont restés, parce qu'ils ont vécu autre chose, ils ont aussi vécu quelque chose, et être capable de se dire Voilà, ce sont des vies différentes. Alors il y a des gens qui y arrivent très bien, et il y a des gens qui y arrivent moins bien. Et ce n'est pas anodin. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de difficultés pour... Une partie d'entre nous, il peut y avoir des difficultés quand on retourne vers la vie civile et que, ben voilà, on se retrouve, il y a chacun à mener sa vie et chacun pense, attend beaucoup de l'autre, d'ailleurs, en l'occurrence. Ça, c'est une grande difficulté de notre métier parce qu'on ne le retrouve pas vraiment ailleurs. Donc, notamment quand les opérations ont été intenses, l'idée est de mettre un sas pour souffler un peu, qu'on nous dise attention quand vous allez rentrer, voilà ce que vous allez retrouver. Ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, etc. Ce qui est bien d'ailleurs, c'est quand on le fait également de l'autre côté. C'est-à-dire que les familles, c'est bien aussi de leur dire, voilà la personne que vous allez retrouver, dans quel état vous allez la retrouver. Et donc là aussi, ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, parce que quand on a réglé tous les problèmes à la maison pendant 4 ou 6 mois, quand on est le conjoint, quand l'autre rentre, on lui dit, maintenant tu vas un petit peu t'occuper des choses pénibles de la vie de tous les jours. alors qu'on n'a pas forcément envie de s'y retrouver tout de suite. Mais tout ça, c'est... Là aussi, il y a beaucoup de coordination, beaucoup de compromis, beaucoup d'intelligence de situation, mais on est tous différents. Et ça, c'est difficile à anticiper. Donc on nous aide à nous préparer à ce retour ou à ce changement de rythme. Et à partir de là, les choses se passent bien, mais c'est propre à chaque personne. Il n'y a pas de recette miracle.

  • Speaker #0

    Et donc ça, ça va être une période pendant laquelle vous... Vous allez dans une ville et vous allez vous réadapter petit à petit à la vie.

  • Speaker #1

    Oui, alors généralement ça se passe, alors ça dépend des moments, mais ça se passe dans un hôtel. Et puis il y a autour de nous toute une équipe qui est là pour nous faire parler, pour aussi mener des activités de cohésion, mais plus tranquille. Voilà, c'est vraiment un moment où, vous savez, quand j'étais l'opération du Mani. En fait, pendant quatre mois, on était sur un lit pico. Donc déjà, de se retrouver dans un vrai lit, ça fait... Tiens, voilà, quelque chose de très agréable. On ne sait pas qu'avoir un très bon lit, c'est un moment précieux, parce que tous les jours, on en profite. Et quand on ne l'a plus, on se dit, tiens, c'est pas mal quand même. Non, mais c'est ça, c'est de se dire que, voilà, on va remanger tranquillement, on va prendre le temps aussi. On va souffler, on va dormir, sans la pression de la mission. Il n'y a plus de mission, là. Pendant trois jours, généralement ça dure trois jours, pendant trois jours, on souffle, ce qui fait qu'on arrive, on a déjà laissé une partie de la mission derrière soi lorsqu'on sort du bus et qu'on se retrouve face à sa famille.

  • Speaker #0

    Du coup, vis-à-vis de la prise de décision, mais d'un point de vue plus global, aujourd'hui pour l'armée française, Quels vont être les enjeux stratégiques ? Comment cette stratégie va être construite ? J'imagine que c'est co-construit avec la politique, peut-être pas le Parlement, mais le président de la République et l'ensemble des armées. Comment ça se passe ?

  • Speaker #1

    En fait, là aussi, il y a beaucoup de fluidité. C'est-à-dire que d'abord, il y a un contexte, il y a un environnement. Celui-là, il est ce qu'il est et surtout, il évolue. Et en fait, nous, toutes nos actions, toutes les décisions qui sont prises, elles le sont en fonction de cet environnement. Aujourd'hui, en 2023, on n'imaginait pas tout ce qui allait se passer pendant une année cruciale. En 2022 non plus. Donc en fait, c'est d'abord la première chose à prendre en compte. Et ça, on l'a subi. C'est-à-dire que c'est pas nous qui décidons que demain, les outils vont interdire un certain nombre de bâtiments civils et vont remettre en cause la circulation de la navigation civile. C'est pas nous qui le décidons. Donc nous, en réalité, notre première mission, c'est de se préparer. Il faut que nous soyons prêts à intervenir quasiment dans toutes les circonstances. Les plus dures comme les plus faciles. Les plus longues comme les plus courtes. Donc c'est vraiment cette façon que nous avons de nous préparer, de se dire que demain, tout est possible. Et ça, c'est les directives qui nous sont données par, bien sûr, le pouvoir politique, qui nous dit si je dois vous engager ce soir, vous devez être prêts Et on va vous engager. Le Mali, on a été engagé en très peu de temps. Ça a été fait... Voilà. Il y a beaucoup de missions qui peuvent se passer comme ça. Nous avons d'ailleurs un certain nombre d'alertes. qui font qu'on est prêt à être engagé en 6 heures, 12 heures, 24 heures, 48 heures, etc. Alors sur la partie politique, elle est fondamentale, parce que l'engagement, le chef des armées, c'est le président de la République, même s'il va aller devant le Parlement pour expliquer, c'est le gouvernement qui va aller expliquer au bout d'un moment ce que nous faisons dans une opération, quand nous sommes partis au Mali, c'est le président de la République seul qui a décidé de l'engagement de la France au Mali. Alors il ne l'a pas décidé seul en réalité. parce qu'il a évidemment consulté tous ses partenaires. Et surtout, il a répondu à l'appel d'un président malien qui lui demandait de venir aider son pays pour interdire ou empêcher des djihadistes ou des terroristes, mais plutôt des djihadistes, de franchir le Niger et d'aller prendre la ville de Bamako et de créer un État islamiste, en fait, en l'occurrence. Bon, voilà. Donc tout ça, là aussi, est cohérent. Bien sûr que, comme toujours, plus vous montez... Enfin, à chaque échelon, en fait, vous avez une coordination avec l'échelon supérieur. C'est-à-dire que la partie politique, elle n'est pas complètement déconnectée de la partie militaire, bien au contraire. Donc, évidemment, le chef d'état-major désarmé parle à son ministre, parle au chef du gouvernement, parle au président de la République. Et donc, tout ça, ensuite, il y a les conseils de défense dans lesquels on va établir, enfin, le pouvoir politique, puisque c'est lui qui va le décider, va établir la stratégie qui sera appliquée ou qui sera menée par les armées françaises. Mais tout ça, évidemment, en présence des autorités militaires qui vont conseiller, qui vont donner leur avis, qui vont agir pour qu'on ne parte pas sur quelque chose qu'on n'est pas capable de réaliser ou qui est complètement incohérent. J'en reviens à ce qu'on disait au départ. C'est-à-dire qu'il y a aussi ce temps de discussion pour arriver à la meilleure des solutions. Et voilà. Et ça se fait. Et nous, quand j'écoute votre question, on se dit Oh là là, ça a l'air compliqué Mais en fait, dans la réalité, c'est pas très compliqué. Ce qui est le plus dur, probablement, c'est de se dire quelles sont les menaces qui nous guettent demain. Moi, j'ai vécu ça quand j'étais chef de corps. Nous avions terminé l'engagement en Afghanistan. Il venait de se terminer. La Côte d'Ivoire, c'était derrière nous. La Libye, c'était terminé. Donc il y avait vraiment une période où les choses se terminaient. Alors... Quand je suis arrivé, moi, à la tête du régiment, je leur ai dit Vous pouvez être fier de ce que vous avez fait. Il n'y a pas de problème. Vous avez mené des actions, vous avez rempli des missions, et tout ça, c'est bien passé. Maintenant, si vous pensez que tout ce que vous avez fait suffit pour être prêt demain, vous vous trompez, et on perdra. Et le jour où on nous engagera, on connaîtra de grands déboires. Donc en arrivant, moi, je leur ai dit Ben voilà, on va se préparer Pas sur l'inconnu, parce qu'on voit bien qu'il y a des choses qui se dessinent aujourd'hui. Alors on était parti un peu sur le Moyen-Orient, Proche-Orient, et puis sur un peu l'Afrique. On s'est pas trop trompé sur l'Afrique d'ailleurs, parce que c'est venu bien plus rapidement que prévu. Je me souviens d'ailleurs, à cette époque-là, j'avais reçu le président de l'Assemblée nationale. A Pau, donc au régiment, il ne venait pas pour voir le régiment, mais il en avait profité pour venir voir le régiment. Il avait été étonné sur la préparation que nous menions. Il m'avait demandé Mais pourquoi vous vous préparez Proche-et-Moyen-Orient et puis Afrique ? Et je lui avais dit ça. Je lui avais dit Écoutez, tout ce qu'on a fait, c'est fait. Donc maintenant, il faut se remettre en cause. Il faut presque prendre une page blanche et se dire quels seront les engagements de demain. Qu'est-ce qui nous attend ? Qu'est-ce qui va être compliqué ? Voilà. Et on a commencé à travailler là-dessus. Et aujourd'hui, quand on parle de haute intensité, on change de... C'est plus l'Afrique, là. On imagine que face à nous, moi qui suis dans la spécialité des hélicoptères au départ, mais au sens large, en fait, que ce soit les bâtiments de la marine, les avions de chasse ou nos chars de combat, en fait, on va se retrouver face... peut-être à l'équivalent. Donc, est-ce qu'on est capable aujourd'hui d'affronter ça ? En tout cas, il faut s'y préparer, parce que quand on regarde ce qui se passe à la frontière orientale, on veut bien qu'il y ait quand même des vraies menaces. Et donc, tout ça, on va le prendre en compte, on va l'intégrer, et puis se dire vers quoi on se prépare. Et vous voyez, les décisions stratégiques dont on parle, à un moment, elles vont se prendre, mais elles vont se prendre, là aussi, un peu dans l'urgence. Voilà, il se passe ça. Dans le cadre de notre coopération avec l'OTAN, nos engagements dans l'OTAN, dans l'Union européenne ou en nation autonome, on va mener un certain nombre d'actions. Est-ce qu'on est prêts ? Est-ce qu'on est prêts à répondre à la menace qui sera celle que l'on va retrouver ? Je n'ai pas parlé du théâtre national, mais il faut être prêt également à protéger, bien sûr, le théâtre national. Demain, il y a les Jeux Olympiques. Les Jeux Olympiques, c'est aussi... Bien sûr, c'est un événement majeur qui va faire rayonner la France, mais il y a aussi un certain nombre de menaces, donc il faut être prêt à y répondre. Et ça, ça se prépare, évidemment.

  • Speaker #0

    Finalement, une stratégie militaire... Enfin, moi, je compare ça un peu au monde de l'entreprise. Et dans le monde de l'entreprise, quand on prévoit un plan stratégique, ça va plutôt être avec des objectifs. Au sein de l'armée, est-ce que c'est vraiment possible d'avoir des objectifs ? D'après ce que vous venez de dire, de ce que je comprends, ça va être plus être vraiment comprendre quelles sont les menaces et donc être préagir.

  • Speaker #1

    En fait, la dissuasion militaire, parce que là c'est un terme précis, la dissuasion militaire, c'est dans la doctrine française depuis le général de Gaulle en fait. C'est quoi la dissuasion militaire ? La dissuasion, c'est la capacité de dire à quelqu'un qui est... soit aussi fort que nous, soit plus fort que nous, que le jour où il va avoir des intentions sur nous, il va risquer plus que ce qu'il va gagner. Voilà. Donc est-ce que ça vaut le coup de venir perturber la France, sachant qu'elle va vous donner des coups qui vont vous faire mal ? C'est ça, la dissuasion, en fait, de dire On vous propose de bien réfléchir le jour où vous aurez des intentions belliqueuses contre la France Et ça marche très bien, parce qu'effectivement, la France est dotée d'une arme nucléaire notamment qui permet de dire, y compris aux États les plus puissants, qu'ils ont trop à perdre à venir nous attaquer, en fait, en l'occurrence. Alors après, ça, c'est la dissuasion nucléaire. Mais après, comme vous l'avez dit, quand on a une force militaire comme celle de la France, qui jusqu'à présent est une force complète, on n'a jamais abandonné de capacité, eh bien...

  • Speaker #0

    on va démontrer une capacité à intervenir, y compris seule, pour se défendre. Ça, ça fait partie de la dissuasion. Puis après, on a des engagements également dans des organisations internationales dans lesquelles on est prêts à y mettre beaucoup de moyens qui sont tous cohérents, qui sont tous de bon niveau, qui là aussi vont participer à cette dissuasion. Aujourd'hui, la France est membre de l'OTAN. L'OTAN est l'organisation militaire et de loin la plus puissante au monde. Évidemment, personne ne peut affronter l'OTAN aujourd'hui sans risquer de se faire détruire. L'OTAN. Notamment parce qu'il y a aussi les États-Unis, qui est la plus grande armée du monde. L'OTAN et ses partenaires, enfin c'est quelque chose de très important. Et puis après, il y a aussi notre capacité à montrer ce que nous sommes capables de faire. Alors on le fait dans deux domaines différents. L'engagement opérationnel, bien sûr. Et c'est vrai que personne au monde ne conteste que la France, quand elle s'engage, elle s'engage avec des résultats. Alors après... Je ne parle pas de politique, je ne parle pas sur le plan militaire. Quand la France s'engage, on peut reprendre encore cet exemple du Mali. En fait, on s'aperçoit que ça fonctionne. Et puis le dernier point, c'est tous les exercices que nous menons. Tout le monde regarde la façon dont la France se prépare, en fait, en l'occurrence. Donc là, notamment cette année, en 2023 plutôt, on a conduit un certain nombre de grosses opérations d'entraînement qui sont visibles, sur lesquelles on y met beaucoup de moyens. sur lequel on se remet en cause, sur lequel on se met en difficulté pour dire jusqu'où est-on capable d'aller. Et évidemment, tout le monde le voit, ça. Donc la dissuasion, finalement, c'est tout cet ensemble-là qui fait que, quand on parle de la France, on sait que c'est une puissance à la fois militaire mais également diplomatique. Les diplomates sont là aussi pour participer à cette dissuasion, parce qu'eux vont porter la voix de la France en disant Attention, attention, voilà Voilà ce qui va se passer. Ils sont présents dans toutes les organisations internationales. Ils sont présents. On a une diplomatie qui doit être la deuxième diplomatie du monde. Je sais pas si c'est encore le cas, mais je pense que c'est encore le cas, avec un réseau diplomatique qui influence aussi et qui participe aussi à cette dissuasion d'ensemble, en fait, en l'occurrence. Donc vous voyez, la dissuasion, c'est pas juste une seule idée ou juste une seule composante qui fait que demain, on va pas attaquer la France. C'est quelque chose de plus complet. Et ça... Finalement, tous les jours, c'est remis en cause. Tous les jours, il faut le remettre en état, il faut le faire progresser. C'est quelque chose qui n'est jamais complètement acquis. Demain, on sera challengé et on va essayer de regarder si cette dissuasion est toujours aussi efficace.

  • Speaker #1

    Vous avez parlé d'entraînement. Ça consiste en quoi ? Parce que j'en ai jamais trop entendu parler, je pense.

  • Speaker #0

    En fait, l'entraînement, c'est tout ce qui précède l'engagement opérationnel. Et pour nous, c'est ce qu'on appelle la préparation opérationnelle, en fait. C'est-à-dire qu'avant de s'engager, pour être sûr qu'on s'engage dans de bonnes conditions et qu'on va remplir notre mission, on va... Énormément s'entraîner. S'entraîner, ça commence à s'insir. On va commencer à s'entraîner, à savoir comment on fait fonctionner une section, comment on commande. Puis après, on va aller de plus en plus loin, et puis dans le domaine technique. S'entraîner, c'est être capable de piloter un char. Alors au départ, sur un chemin normal, puis sur un chemin... un peu plus compliqué, puis sur un chemin complètement défoncé, etc. Et puis, une fois que vous avez piloté votre char et que vous le savez, le piloter dans les conditions les plus instables possibles, il va falloir ensuite engager le combat. Il va falloir le faire tirer, ce char, et le faire tirer en atteignant l'objectif. Donc, vous voyez, c'est ça l'entraînement. C'est partir des fondamentaux, c'est-à-dire des connaissances de base, piloter, utiliser son arme. se déplacer, ça on apprend à le faire. Puis ensuite on va y ajouter évidemment un contexte de plus en plus dur, qui va nous amener dans le contexte ou dans l'environnement du combat, et on apprend à combattre en entraînement. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de, notamment on a des terrains de manœuvre, sur lesquels, un peu partout en France, sur lesquels on s'engage presque en conditions réelles. Dans des villages de combat, dans des grands terrains découverts, dans des immenses terrains avec des réceptacles de tirs, où on peut faire des tirs d'artillerie, des tirs d'avions de chasse, de tous les types de tirs en fait. Et tout ça, c'est ça l'entraînement en l'occurrence. Et une fois qu'on a atteint un certain niveau, on va aller regarder, on va aller contrôler le niveau atteint, et ensuite à ce moment-là vous pourrez être engagé. Donc, vous voyez, tout ça, c'est... Et l'entraînement, c'est 90% de la réussite d'une opération. C'est-à-dire que c'est pas juste... Évidemment, quand on s'entraîne, on ne sait pas comment on va réagir le jour de l'engagement. Ça, je suis d'accord. Mais tout ce que vous aurez appris, tout ce que vous aurez... Voilà, tout ce que vous aurez... vu pendant ces périodes d'entraînement vous allez le reproduire le jour du combat et même instinctivement parfois donc c'est ça l'entraînement et ça nous prend beaucoup de temps c'est l'essentiel de notre vie en fait mais je vois à

  • Speaker #1

    moitié on va dire Comment ça peut réellement servir de dissuasion ? Comment ça va être vu par les autres pays, de manière générale, cet entraînement-là ?

  • Speaker #0

    En fait, on fait des entraînements où on y met des milliers d'hommes, avec des capacités complètes. Vous allez avoir à la fois des fantassins, des cavaliers, des artilleurs, du génie, de l'aviation légère de l'armée terrestre, mais également des bâtiments de la Marine Nationale, des avions de chasse. Tout ça va être remis dans le même exercice. C'est son exercice qui est parfois durant. relativement longtemps, avec des changements de place, avec des progressions, avec des obstacles à franchir, avec un ennemi face à nous. D'abord, un, on le montre. C'est-à-dire que l'idée, c'est aussi de dire, venez voir ce que l'on fait. Donc, on a même des journées qui sont réservées pour ça. Et puis, nos adversaires, ne vous inquiétez pas, ils se renseignent. Ils savent qu'on est capable de faire ça. Et plus on fait des exercices proches de ce qui peut nous arriver dans la réalité, plus finalement on va être considéré comme étant une armée sérieuse. Et c'est le cas pour la France.

  • Speaker #1

    D'accord, donc il y a vraiment un aspect communication.

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    J'aimerais bien passer sur un autre aspect qui est plutôt un aspect géopolitique, où vous avez eu une expérience, vous avez eu pas mal d'expériences à l'international avec l'OTAN aussi. Est-ce que vous pourriez me décrire vraiment votre rôle au sein de l'OTAN, en tant que vous étiez conseiller du président, si je ne dis pas de bêtises ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Le Chairman of the Military Committee. Et quel était mon rôle ? Donc c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN. Il fait partie de ce qu'on appelle du 12 stars c'est-à-dire que dans l'OTAN, 4 étoiles, ça correspond à un général d'armée dans l'armée française. Donc ils sont 3. Il y a le président du comité militaire de l'OTAN, qui est normalement la plus haute autorité. Il y a aussi le SACUR, c'est le Supreme Allied Commander in Europe mais qui est également le chef de la composante Europe de l'armée américaine. Donc il a deux casquettes. Et c'est un Américain, évidemment, avec tout ce qu'il y a derrière. Et puis ensuite, il y a un autre général qui est un Français, toujours, qui s'occupe de la transformation de l'OTAN, ce qu'on appelle le SACTI, Supreme Allied Commander for Transformation, qui lui est à Norfolk. Et ça, ces trois chefs, ce sont les trois plus hautes autorités militaires de l'OTAN. Sachant que l'OTAN est une organisation politique qui est donc dirigée par les chefs d'État et de gouvernement, en l'occurrence, qui sont représentés en permanence par leurs ambassadeurs à Bruxelles, et sachant qu'il y a un comité militaire qui, lui, est là pour conseiller l'autorité politique, l'OTAN étant une organisation politique, qui est composé, ce comité militaire, des chefs d'État-major de tous les pays qui composent... l'OTAN, et qui, eux, sont représentés en permanence par des représentants permanents. Donc il y a une autorité civile, une autorité militaire. Bien sûr, c'est l'autorité civile qui prime, bien entendu. Le Conseil de l'Atlantique Nord, d'ailleurs, ce sont les ambassadeurs, mais en fait, ce sont les chefs d'État et de gouvernement. Et une seule autorité militaire, ou les trois que j'ai citées au départ, peuvent être présentes dans ce Conseil de l'Atlantique Nord. Et bien sûr, le chef... Le président du comité militaire en fait partie. Alors quelle était ma mission, moi, auprès de ce général d'armée, ancien chef d'état-major de l'armée de son pays ? Donc moi, j'en ai eu deux, un danois, puis ensuite un tchèque. Eh bien en fait, la mission, c'est de les accompagner dans tout ce qu'ils font. On les accompagne dans tous les discours qu'ils prononcent. Donc on est là pour préparer leurs éléments de langage, leurs discours. On est là également pour préparer tous leurs déplacements. Et ils se déplacent beaucoup. Donc j'ai fait le tour du monde pendant trois ans. Et là, on a la responsabilité finalement de l'organisation, de la coordination. Et ce qui est intéressant dans ce rôle-là, c'est pas de préparer leur déplacement ou d'écrire leur discours. Ce qui est intéressant, c'est d'être le témoin de ce qu'ils voient et de ce qu'ils vivent. Et en fait, de rencontrer le président du comité militaire de l'OTAN, rencontre... les présidents des pays dans lesquels il va, les premiers ministres, les chefs d'état-major des armées. Et donc tout ça est d'une grande richesse. Faire des réunions où vous avez le SACUR, le SACTI et le CMC, c'est des moments incroyables. Parce que c'est là où tout se décide, en fait, en l'occurrence. Assister au conseil de l'Atlantique Nord quand vous avez les chefs d'état et de gouvernement qui se réunissent ou quand les chefs d'état-major de chaque pays de l'OTAN viennent au comité militaire. Ce sont des moments qui sont très riches, qui permettent quand on est un Conel un petit peu expérimenté, mais pas encore tellement expérimenté, de voir beaucoup de choses, de comprendre le fonctionnement des choses, d'avoir un discernement finalement que l'on apprend très rapidement au contact de ces autorités-là. Alors évidemment, ces autorités-là, elles nous donnent des directions à suivre, elles nous orientent, mais ensuite, nous, on est là pour les accompagner en fait, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Et donc finalement, les trois instances que vous m'avez citées, elles vont présenter les situations des armées aux représentants politiques. Oui. Et comment... Quels vont être les sujets traités la plupart du temps ?

  • Speaker #0

    Les sujets, ils sont très très diversifiés, bien sûr. Mais ça va jusqu'à l'intervention. Est-ce que l'OTAN intervient dans telle situation ? C'est eux qui vont le décider. Il y a un moment, on va aller jusque-là. Se dire, que fait-on dans cette situation-là ? Et c'est le pouvoir politique qui va le décider. Parce que c'est bien une responsabilité politique. C'est pas les militaires. Les militaires, encore une fois, c'est un peu comme ce que je vous disais tout à l'heure au sein de la France. Les militaires vont donner un avis. Ils vont donner l'avis du comité militaire. Ils seront là pour l'exposer, y compris quand les décisions sont prises. C'est comme le secrétaire général de l'OTAN. Le secrétaire général de l'OTAN, lui, il est là juste pour animer, coordonner. Il ne décide rien. Ce sont bien les chefs d'État et de gouvernement qui décident à l'unanimité. Donc c'est quand même pas simple, parce qu'il faut que tout le monde se mette d'accord.

  • Speaker #1

    Justement, ça c'est un point que je ne savais pas. Je ne savais pas que l'OTAN, les décisions étaient prises au consensus, c'est-à-dire à l'unanimité. Comment ? Enfin, je me demande comment ça se passe à ce niveau-là.

  • Speaker #0

    C'est compliqué.

  • Speaker #1

    De un, il y a beaucoup de parties prenantes avec, j'imagine, des opinions divergentes.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Et de deux, j'imagine que ces personnes-là ont tous un minimum de caractère, puisqu'ils représentent leur pays. Bien sûr. Comment prendre une décision et la mettre en application derrière avec autant d'avis ?

  • Speaker #0

    En fait, tout ça, ça va se passer à travers des longues discussions. Chacun va faire des concessions. Donc l'idée... Je prends le cas extrême. Il faut intervenir dans une zone géographique. Forcément, vous avez un certain nombre de pays... Les États-Unis n'ont pas du tout les mêmes envies ou les mêmes contraintes que les pays baltes, par exemple, ou que les pays proches de la frontière orientale européenne. Les pays latins, c'est encore complètement autre chose, etc., etc. Donc chacun, finalement, a son ambition. Chacun a ses contraintes, chacun également a son opinion publique. Ça aussi, ça rentre en ligne de compte. Parce que forcément, lorsque vous allez dans une direction, vous représentez ce qui se passe dans votre pays. Donc vous avez aussi des pressions, en l'occurrence. Et puis à un moment, dans ces discussions, il va falloir que tout le monde se mette d'accord. Donc on va trouver le bon point. Parfois, ça peut prendre du temps. Parfois, ça peut se faire dans l'urgence parce que c'est une situation de crise. Mais très concrètement, on y arrive assez bien. Moi, je me suis retrouvé souvent dans des discussions. Alors avec mon rôle, je représentais pas la France. Mais il y a marqué en énorme que je suis français. Donc il m'est arrivé... Mon président du comité militaire, parfois, m'a demandé d'aller voir la délégation américaine pour bien expliquer quelle était la position de la France. Voilà. Ou d'être mandaté. D'ailleurs, tout ça, ça se fait un peu en coordination. On se parle les uns et les autres. Et chacun, à sa place, va jouer son rôle en expliquant. Voilà pourquoi nous agissons de telle façon, pourquoi la France bloque ou pourquoi la Turquie bloque ou pourquoi les États-Unis bloquent. Comment pourrait-on débloquer ? Qu'est-ce que nous sommes prêts à accepter ? Dans quelles conditions ? Et tout ça, finalement, se passe bien. Se passe bien. Mais je dis pas que c'est facile. Moi, j'ai connu des situations où j'étais même en porte-à-faux, parce que parfois, l'Américain m'a dit Mais je comprends pas pourquoi la France prend cette décision-là Ou alors on va voir la délégation X ou Y en lui disant Mais que faudrait-il pour que vous compreniez ou que vous acceptiez la position qui est celle qu'on défend ? Et puis en fait, au cours des discussions, on fait des ajustements, on fait des contre-propositions. Et puis à un moment, on se met autour de la table et on dit Bon, tout le monde a l'air d'accord Et là, on peut voter une... Une décision, en fait, en l'occurrence. Mais là aussi, c'est compliqué, parce qu'il y a beaucoup de monde au sein de l'OTAN. Je vous l'ai dit, sur le plan géographique, on a vraiment des contraintes très très différentes. Il y a ceux qui ont vraiment la pression de l'Europe orientale. Il y a ceux qui ont la pression du sud de la Méditerranée. C'est pas du tout la même. Le Canada est quand même assez loin de tout ça. Et pourtant, il est membre de l'OTAN. La Turquie, dans cette partie... de l'Europe ou déjà de l'Orient, encore d'autres préoccupations. Il y a forcément des volontés différentes. Donc c'est beaucoup de négociations.

  • Speaker #1

    D'accord. Et finalement, quand une décision est prise... Comment la suivre ? Quand l'OTAN intervient, comme vous l'avez dit, les pays sont dans des zones géographiques qui sont parfois très différentes. Et au-delà de ça, ça peut être encore très loin de tout le monde. Comment réussir à suivre ça ? J'imagine que ça rejoint un peu sur l'aspect d'état-major.

  • Speaker #0

    Après, c'est facile. Vous avez une structure militaire qui se met en place. C'est pas parce que tout le monde a voté une décision en disant on va aller s'engager à tel endroit que tout le monde va y aller. Donc ensuite, chacun va dire moi je peux apporter tel moyen, l'autre va apporter d'autres moyens et on va mettre en place une structure de commandement qui sera cohérente avec les moyens adaptés pour remplir la mission. Et tout ça va évoluer dans le temps aussi. C'est-à-dire qu'il peut y avoir une nation qui dit à un moment moi, je me retire de cette opération en prévenant qu'on va suffisamment à l'avance. Et puis pendant cela, d'autres vont prendre la place. C'est évolutif. Enfin tout est possible. Mais la décision, c'est ce qu'il y a de plus dur à prendre. Parce qu'une fois que la décision est prise, la mise en œuvre, en fait, la réalisation je dis pas que c'est facile mais c'est plus simple à mettre en place. Puis après, tout ça va évoluer. Parce que... La mission va évoluer, l'environnement va évoluer, le contexte va évoluer, les unités présentes peuvent évoluer également. Avec une structure de commandement qui sera toujours multinationale. Donc on n'est jamais tout seul dans son coin. Voilà. Et tout ça se fait de façon très raisonnable. C'est constructif. C'est-à-dire qu'on le fait... C'est évolutif. On le fait... Ça se passe très bien. Bon. Puis après, il y a suffisamment de monde dans l'OTAN pour arriver à mettre en place une force qui répondra à la... à la situation. Et notamment ceux qui ont poussé dans le temps, parce qu'il y en a toujours qui vont dire OK, on est d'accord, mais nous, on n'a pas de moyens à mettre en place Là, c'est déséquilibré. C'est sûr que les Américains n'ont pas les mêmes moyens que le Luxembourg, évidemment. Donc c'est pas la même chose.

  • Speaker #1

    Et finalement aussi, vous dites que ça évolue. Et lorsque ça évolue, il y a de nouveau plein de discussions qui sont pris au sein de l'OTAN, où c'est le commandement qui va pouvoir le faire. Non,

  • Speaker #0

    il y a toujours... Le Conseil de l'Atlantique Nord, sous sa forme des ambassadeurs, se réunit 2 à 3 fois par semaine. Et 2 à 3 fois par semaine, c'est à peu près la norme. 2 fois, on va dire, avec des sujets divers et variés. C'est-à-dire que... Tous les sujets vont passer dans ce cadre-là. Donc cette structure, elle est en place en permanence. Et en fait, elle répond vraiment à la demande. Elle répond vraiment à... Vous parlez des évolutions. Alors voilà. Quand il y a des évolutions, on en parle. En fait, il se parle en permanence. Et c'est très bien. C'est fait pour ça. Les chefs d'État et de gouvernement ne viennent, eux... Alors d'abord, ils viennent régulièrement. Il y a des sommets qui sont prévus pour ça. Mais il y a des sommets de l'OTAN. Donc là, on réfléchit vraiment sur... Comment on va se projeter ? Quelles sont les grandes orientations que l'on va prendre ? Ensuite, il y a les réunions qui sont pour les chefs d'État et de gouvernement, où là, on va avoir un ordre du jour qui est adapté pour les mois qui viennent. Il y a aussi les chefs de gouvernement qui viennent. Il y a aussi les ministres des Affaires étrangères. C'est quand même très, très organisé. Et les ministres, évidemment, toute la partie de défense, évidemment, les ministres de la Défense et la partie militaire. Donc oui, c'est quand même... Tout ça est très, très bien organisé. C'est avec beaucoup d'échéances. et on y va de très loin à très près en fait en l'occurrence donc en fait en permanence c'est évolutif d'accord

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour tout ça. On va passer à des petites questions de conclusion. Premièrement, quel ouvrage, donc ça pourrait être un livre ou un film, peu importe, vous conseilleriez ? C'est pas forcément lié à l'armée, c'est totalement un autre sujet.

  • Speaker #0

    Alors moi, j'aime beaucoup lire des biographies. Parce que je trouve qu'on apprend énormément de choses en lisant des biographies des grands hommes d'État, en l'occurrence. Il y en a une qui me vient à l'esprit, parce qu'elle est assez symbolique. Lorsque j'ai quitté l'OTAN, le président du comité militaire de l'OTAN, c'était le général Petr Pavel, au passage, qui est devenu président de la République, de la République tchèque aujourd'hui, et qui m'a offert un livre... que j'ai lu. C'est une biographie de Roosevelt... de Roosevelt, non, non, de Churchill, pardon. C'est un pavé qui doit faire 800 ou 900 pages en anglais. Mais je l'ai lu et j'ai appris énormément de choses, notamment sur la petite enfance, l'évolution, comment Churchill est devenu l'homme qu'il est devenu. Et j'ai trouvé ça remarquable parce que... On découvre qu'il n'est pas un bon élève. Tout ça ne se fait pas si facilement que ça. Et pourtant, ça devient un homme redoutable ensuite sur le plan politique notamment. Les biographies en général, Clémenceau, De Gaulle, j'aime beaucoup. J'aime bien également tous les livres d'histoire. Alors je vais vous citer un livre que je viens de lire. Puis en même temps, je vais faire la publicité pour un camarade. J'ai un camarade qui est général de division. qui s'appelle Nicolas Lenen, et qui vient d'écrire un livre qui s'appelle Armistice. Et c'est un roman, en fait, en l'occurrence, mais c'est un roman qui se passe après Dien Bien Phu, au moment où ceux qui étaient là-bas sont prisonniers et commencent à faire leur longue marche. Et il a élaboré toute une histoire qui est fantastique. J'ai lu ça pendant les vacances de Noël, avec une vraie intrigue. Et on y retrouve beaucoup... Beaucoup de choses qu'on a lues par ailleurs sur la condition militaire, sur ses coins soldats. Dans ce livre, il y a trois héros. Il y a un Allemand qui s'est engagé à la Légion étrangère après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est quand même pas anodin. Il y a un jeune Saint-Syrien qui sort d'école et qui se retrouve à la tête de sa section et qui se retrouve là maintenant prisonnier. Après la fin de Diem Bienfou, vous avez un jeune caporal qui est un paysan qui s'est retrouvé engagé un peu par hasard et qui se retrouve là-dedans. Finalement, ça reflète assez bien notre pays. Et voilà. Donc j'ai trouvé ça très bien. Si on parlait de films, alors c'est un peu militaire tout ça, mais je pourrais vous citer beaucoup de films, bien sûr, mais je vous citerais Le Grand Bleu parce que je suis méditerranéen. Et ça m'a marqué parce que je trouve que ça reflète bien la vie méditerranéenne, en fait, en l'occurrence, et aussi cette volonté de liberté, de vivre au grand air, en fait, ce qui nous rejoint un peu. Et puis, quand j'étais très jeune, j'avais vers 12 ou 13 ans... J'ai vu un film qui s'appelle Croix de Guerre. C'est un vieux film qui doit être des années 70. C'est un film de... Je me souviens encore, c'est Sam Peckinpah, le réalisateur. Et ce film, pourquoi il m'a intéressé ? Parce qu'il m'a choqué. Parce que j'avais, je vous le dis, de 12 ou 13 ans. Et c'est un acteur américain qui joue le rôle du héros, sauf qu'il joue le rôle d'un sous-officier de la Wehrmacht pendant la débâcle de Stalingrad. Et ça, ça m'a impressionné parce que pour moi, un Allemand, ça peut pas être un héros quand j'ai 12 ou 13 ans. C'est pas ce qu'on m'avait expliqué jusqu'à présent. En plus, c'est un sous-officier et forcément, il est remarquable alors que les officiers sont souvent pas au niveau. Et ça m'a forcé à me dire, ah ben non, en fait, c'est pas toujours comme on dit que les choses se font. Voilà, et ce film m'a vraiment marqué, en l'occurrence. Donc c'est un biofilm qui se passe sur le front russe. Et un Allemand héros, pour moi, ça a été compliqué. Surtout qu'on est dans les années 70 à ce moment-là, un petit peu plus tard pour moi, puisque j'avais 12 ou 13 ans, on devait être au début des années 80. Et j'avais encore mes grands-parents qui avaient bien sûr été engagés dans le conflit. Et forcément, on n'avait pas cette lecture-là. Donc ça m'a un petit peu étonné. Et ça a remis en cause un peu certaines certitudes que j'avais, si on peut dire qu'à 12 ou 13 ans, on a des certitudes.

  • Speaker #1

    Ouais, c'est marrant aussi, finalement, de voir que... Certaines généralités, des idées perçues et diffusées ne sont pas forcément réellement délocalisées.

  • Speaker #0

    C'est applicable aujourd'hui, d'ailleurs. Parce qu'en fait, on nous montre des choses et on nous dit c'est comme ça ou c'est vrai. Est-ce que tu l'as vérifié ? Est-ce que c'est si vrai que ça ? Est-ce que ça ne peut pas être contrebalancé par autre chose ? Est-ce que ça ne peut pas être nuancé ? Et en fait, c'est souvent les choses. C'est comme ça que ça se passe. J'ai une autre expérience, puisque vous me donnez cette occasion-là. Par hasard, je faisais un voyage de langue le 1er août 1990. Et donc je me suis retrouvé, moi, pendant trois semaines, j'étais en Jordanie, exactement, avec des copains. Et donc pendant trois semaines, on a vécu, on a entendu, on a regardé la télévision, on a écouté, on a partagé avec des gens qu'on a croisés dans la rue, tout ce qui se passait en fait avec la compréhension, qui était la compréhension locale. Quand je suis rentré en France, ma première discussion avec mon père a été très compliquée, parce qu'on ne se comprenait pas. Lui, il m'expliquait... Il avait une argumentation qui était celle qu'on nous donne en France, en Occident, on va dire. Et moi, j'avais toute l'argumentation qui avait été donnée par les locaux. Et en fait, on peut pas se comprendre. Et ça, j'ai trouvé ça très intéressant parce que je me suis dit... Mais en fait, est-ce que je suis libre de penser ce que je pense ? Est-ce que, de temps en temps, je ne dois pas me dire qu'en face, ils ont aussi des bonnes raisons de s'engager de cette façon-là, ou d'avoir ces idées-là, etc. Alors, ça nuance un peu, parfois, la compréhension des choses que l'on peut avoir. Là, c'était un bon exemple, parce que j'étais pourtant libre, j'ai écouté, personne ne m'a dit il faut penser comme ça Mais on a lu une presse qui n'était pas la nôtre, on a entendu des gens qui n'avaient pas les mêmes arguments que les nôtres, et c'est vrai qu'en Jordanie, en fait, ils étaient... Ils pouvaient expliquer également que le Koweït n'était pas forcément une finalité et que l'Irak avait peut-être raison.

  • Speaker #1

    Non, ça, ça m'est... Enfin, pas dans un contexte militaire, mais ça m'est marqué parce que j'ai fait mon échange il n'y a pas si longtemps, et de voir que juste dans d'autres pays, on ne pense pas du tout de la même manière, et le fait d'y vivre, vous ne percevez plus les mêmes choses forcément de la même manière.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est important. Et si on n'a pas cette capacité à se dire que l'autre peut avoir une pensée différente... On passe quand même à côté de quelque chose. Donc il faut au moins se dire que, bien sûr que la façon dont on raisonne, c'est la bonne raison, que la défense de la démocratie, des valeurs de notre pays, tout ça, ça ne peut pas être mis en cause. Mais il faut aussi accepter que ça peut être autrement ailleurs et que quand on veut à tout prix imposer un mode de vie, un mode de pensée à celui qui est en face de nous... C'est pas forcément bien pris. Et c'est pas forcément... Est-ce que c'est même, d'ailleurs, adapté ? Alors ça, je le sais pas. C'est toujours, en tout cas, compliqué. Ce qui est certain, c'est que, à mon avis, ça peut pas se faire de façon brutale. C'est-à-dire qu'à un moment, on n'est pas arrivés, nous, non plus, en trois minutes, à ce niveau d'organisation, de démocratie, etc. Ça a pris du temps. On est passés par beaucoup d'étapes. Certaines très compliquées, d'ailleurs, en l'occurrence. C'est pour ça que c'est important de connaître l'histoire. Parfois, je suis un peu étonné parce que la jeune génération ne connaît pas très bien l'histoire de notre propre pays. Et c'est pour ça que c'est bien de lire aussi des biographies, parce qu'on comprend un peu le contexte qui était celui du moment. Ce n'est pas juste de lire la vie d'une personne, c'est de voir un peu comment elle s'est comportée dans un contexte qui était celui du moment, avec des problématiques qui étaient celles-là à ce moment-là. Et c'est important de se dire que tout ça s'est construit dans le temps. Il y a eu aussi des révoltes, il y a eu aussi des révolutions, il y a eu aussi des périodes sombres, il y a eu des périodes fastes. Et ça a amené à ce que l'on fait aujourd'hui. On ne peut pas dire à celui qui est en face, qui a un contexte complètement différent, qui a une histoire complètement différente, à partir de demain, tu vas rigoler, mais tout va être différent. Mais ça, ça ne fonctionne pas en fait. Mais nous, il nous a fallu du temps aussi pour arriver. Et il y a eu... à ce que nous sommes aujourd'hui. Donc il faut, voilà, je pense qu'il faut avoir au moins cette curiosité et ce regard-là vers l'autre. Y compris quand c'est notre adversaire, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    C'est à faire, mais je pense que ça ne doit pas être forcément évident d'avoir l'information quand c'est un ennemi.

  • Speaker #0

    Oui, mais il faut se poser des questions. C'est-à-dire que lorsque je suis parti au Mali, en fait, on ne s'était pas tellement préparé. C'est venu quand même de façon assez brutale. Mais dans l'avion, j'étais encore en train de me dire, mais quel est mon adversaire ? Quel est mon ennemi ? Quelles sont ses préoccupations ? Quelles sont ses intentions ? Quelles sont ses motivations ? Est-ce qu'il est... Voilà. Parce que finalement, ça me permettait de me dire, est-ce qu'il va être... Il va accepter assez facilement de dire, OK, je ne vais pas plus loin, ou est-ce qu'il va être le... Au départ, on est tombé sur un ennemi qui était incontrôlable, et qui avait beau avoir face à lui un char ou un hélicoptère, il ne renonçait pas, il avançait. Donc, c'est une attitude très particulière, quand même, en l'occurrence, parce qu'elle ne mène forcément nulle part. Mais ça, il faut le comprendre. Si on ne l'a pas accepté... On ne peut pas y arriver. Il y avait des enfants soldats. Les enfants soldats, c'est des enfants qui ont été enlevés dans des villages, qui ont été conditionnés et sur qui on a mis des ceintures d'explosifs. Et puis voilà. Et comment vous gérez ça ? Si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas... Voilà. Et ces enfants soldats, je me souviens d'un notamment qu'on avait récupéré et qui avait une douzaine d'années. Bon, et pas plus. Et qui nous a dit, quand il a été prisonnier, la première chose qu'il nous a dite, c'est Moi, ce qui m'importe, c'est de combattre. Donc je m'engage auprès de vous pour combattre contre ceux qui m'ont enlevé dans mon village il y a quelques semaines. Bon, donc là on se dit, waouh, il y a du boulot derrière, il va falloir reconstruire cet enfant et ça va être compliqué. Voilà, et ça, il faut vraiment s'intéresser, c'est le côté humain. On n'a pas beaucoup parlé d'humain dans notre conversation, et pourtant il est bien au cœur de tout, y compris dans la compréhension de notre adversaire ou de notre ennemi.

  • Speaker #1

    Après vous être confronté à cet exercice, quelle personne vous aimeriez voir faire un exercice similaire ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Quelqu'un qui s'engage. On a bientôt les Jeux Olympiques, alors pourquoi pas un champion ou un athlète qui se prépare à affronter, parce que c'est le combat aussi, quand on part aux Jeux Olympiques, c'est le combat et puis il y a un seul vainqueur à la fin. Donc ça pourrait être intéressant, j'aimerais entendre avec les questions que vous posez, un athlète qui se prépare pour les Jeux Olympiques. Par exemple, ça peut être... Alors après si on va plus loin, c'est les Jeux Olympiques, c'est aussi les Jeux Paralympiques. Ça peut être aussi intéressant d'avoir un athlète qui se prépare pour les Jeux paralympiques, parce que lui, il a évidemment toutes les difficultés d'un sportif de haut niveau, mais il a aussi tout le reste. Et pour revenir à mon métier, on a beaucoup d'athlètes paralympiques, et d'athlètes d'ailleurs au sens large, qui font partie des forces armées. Donc ça, c'est toujours intéressant, c'est quelque chose qui est... qui est à la fois proche et éloigné de notre métier, mais dans l'engagement et dans la préparation. Vous voyez, on parlait de préparation tout à l'heure. Un athlète, qu'est-ce qu'il fait 90% de son temps ?

  • Speaker #1

    Il s'entraîne.

  • Speaker #0

    Il s'entraîne, il se prépare. Et le combat ou l'engagement, l'engagement opérationnel, en fait, c'est l'engagement, le match, parce qu'à un moment, il va se retrouver dans un match ou dans un combat. En fait, c'est une toute petite partie de sa vie. Et là, il ne faut pas la louper, dans l'occurrence. Et c'est tout ce que vous avez acquis par des répétitions multiples et variées. par une remise en cause permanente. Et c'est ça qui va fonctionner. J'avais eu la chance un jour d'échanger avec Jean-François Lamour, je crois que c'est Jean-François Lamour, qui avait été champion olympique deux fois, au Sabre, je crois. Et je lui avais demandé ce qui faisait qu'il allait gagner un assaut ou un combat. Et en fait, il m'a dit, mais c'est très psychologique, mais toute la préparation, elle est là. de se dire qu'il faut prendre l'ascendant sur son adversaire. Le combat, il se gagne comme ça. Et c'est toujours comme ça. Regardez en rugby. Si à un moment, vous laissez la moindre perception à votre adversaire qu'il y a une faille, il va s'engouffrer dedans. et malheureusement il va prendre le dessus alors que peut-être vous êtes meilleur que lui au fond, on a vu combien de matchs comme ça qui basculent du mauvais côté ou du bon côté d'ailleurs en l'occurrence je me souviens d'un très bon côté avec un France-Nouvelle-Zélande où on est mené de je sais pas combien de points en Coupe du Monde et puis d'un seul coup pendant 20 minutes ils mettent 40 points à la Nouvelle-Zélande ce qui est juste impossible, je l'ai vécu en direct et je me suis dit mais qu'est-ce qu'il se passe quoi Parfois, c'est dans le mauvais sens. C'est la dernière coupe du monde, malheureusement. C'est pas terminé. Je pense que ça s'est joué sur le plan psychologique, en l'occurrence. Oui, mais tout ça, c'est un tout, en fait.

  • Speaker #1

    Mais l'aspect psychologique, je pense que c'est un point... Dans le domaine des athlètes, c'est un point qui se développe beaucoup, même de manière générale, je pense.

  • Speaker #0

    Chez nous aussi.

  • Speaker #1

    Parce que j'avais écouté un podcast, et c'était Tony Parker et Teddy Riner qui discutaient. Et Teddy Riner disait qu'au-delà d'avoir un entraînement physique, maintenant, ils avaient aussi un entraînement psychologique, quelqu'un qui les suivait tous les jours.

  • Speaker #0

    Et oui, parce que... Alors, c'est vrai dans le sport individuel, ça l'est aussi dans le sport collectif. Des fois, vous voyez une équipe complète qui sombre. J'ai un exemple que j'avais trouvé intéressant quand je commandais la brigade à Clermont-Ferrand. J'étais souvent invité au match de rugby et je me souviens un jour d'avoir vu un match de Clermont-Ferrand contre Toulouse. Clermont-Ferrand menait au score et Toulouse se retrouve avec deux cartons jaunes. Donc à 13 contre 15. Donc Clermont-Ferrand mène et il se retrouve à 15 contre 13. Le match est fini. C'est à ce moment-là qu'il y a eu une révolte dans l'équipe de Toulouse et Toulouse a marché sur Clermont-Ferrand. À Clermont-Ferrand. à 13 contre 15. Et là, je me suis dit, c'est pas possible. C'est très psychologique. C'est-à-dire qu'à un moment, ils n'ont pas accepté un peu ce qui se passait, et ils ont fait des gestes qui étaient... C'était très audacieux, ils ont pris des risques, et ça a marché. Et ils ont gagné le match.

  • Speaker #1

    Comme quoi, faut jamais abandonner. On va passer à la dernière question. Aujourd'hui, vous êtes général au sein de l'armée Terre. Si vous aviez l'opportunité de pouvoir vous parler à la sortie de Saint-Cyr, qu'est-ce que vous vous diriez ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense que je dirais ce que je dis à tous ceux que je croise et qui sont plus jeunes que moi. Je pense. Je leur dirais... Enfin, je me dirais donc, puisque c'est ce que vous venez de me demander. Profite, parce que la carrière, on ne s'en rend pas compte comme ça. Moi, je suis presque à la fin de ma carrière. J'ai l'impression qu'elle s'est passée en cinq minutes. Donc, je dirais vraiment ça. Chaque moment... Il faut vraiment, vraiment, on ne le fait pas en réalité. On ne s'arrête pas, on ne se dit pas, je viens de vivre quelque chose d'extraordinaire, on ne profite pas assez de ce que l'on fait ou de ce que l'on vit. Et ça, je trouve que j'ai vu les années passer, moi, et à un moment, alors maintenant j'arrive à le faire, me dire, ok, je m'arrête deux minutes, et je me dis, voilà, voilà ce qui vient de se passer, voilà où j'en suis, voilà ce que je fais aujourd'hui. Mais ça dure deux minutes parce que tout de suite, on est appelé par autre chose, et de se dire... C'est pas mal, et c'est intéressant, j'en tire tel enseignement. Et c'est vraiment ce que je dis, et notamment à ceux qui vont prendre des temps de responsabilité, de commandement, je leur dis, ça va aller vite, ça va passer très vite, vous allez être aspirés par le temps, et par tout ce qui va se passer, donc prenez le temps d'apprécier ce que vous faites, parce que c'est exceptionnel. je pense que c'est le message principal parce que si vous appréciez si vous prenez le temps de vraiment profiter de ce que vous faites tout le reste va venir je pense que c'est un très bon mot de fin profitez

  • Speaker #1

    de chaque instant et de toutes les expériences que vous allez pouvoir vivre et je vous remercie encore une fois pour le temps que vous m'avez accordé et puis je vous souhaite une très bonne fin de journée merci,

  • Speaker #0

    vous de même

  • Speaker #2

    Bravo à toi ! Ça fait plus d'une heure et demie que tu nous écoutes. Une heure et demie que t'as la voix de deux personnes que tu ne connais pas dans les oreilles. En tout cas, j'espère que t'as pu tirer plein d'enseignements de cette discussion. Et si tu veux pouvoir comprendre la vision des leaders français d'aujourd'hui, n'hésite pas à t'abonner pour pouvoir écouter tous les autres épisodes. Et si tu peux laisser 5 étoiles, ça me ferait vraiment super plaisir. C'est un side project que je mène à goûter des études et des stages, donc ça demande pas mal de temps. Sur ce, On se retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode avec un nouveau leader.

Chapters

  • Présentation

    00:00

  • Leadership militaire

    11:07

  • Engagement opérationnel

    24:50

  • OTAN et géopolitique

    58:14

  • Questions de conclusion

    01:10:20

Description

#3 Dans cet épisode captivant, nous accueillons le général Frédéric Gout, un leader au sein des armées françaises dont le parcours exemplaire allie engagement opérationnel et expertise géopolitique.


Rejoignez-nous pour une conversation inspirante où le général Gout partage sa vision du leadership dans un domaine réputé pour sa discipline et sa rigueur : les forces armées. À travers des anecdotes de vie et des réflexions personnelles, il offre un regard unique sur un monde en perpétuelle évolution.

Préparez-vous à être captivés par les leçons et les perspectives éclairantes de ce leader exceptionnel. Cet échange promet de vous immerger dans l'univers complexe mais fascinant du leadership militaire et de vous inspirer dans votre propre cheminement


Si cela vous a plus, n'hésitez pas a mettre 5 étoiles au podcast et à venir découvrir les backstages sur mes réseaux: https://linktr.ee/leCafedeLAmbition


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à tous sur le Café de l'Ambition, le podcast sur lequel nous discutons avec les leaders français d'aujourd'hui pour les leaders de demain. Hello à tous, on se retrouve pour le troisième épisode du Café de l'Ambition. Pour cet épisode, je serai accompagné d'une personne très différente des deux premières, dans un domaine qui est particulièrement reconnu pour sa discipline. Un domaine qui est très souvent revenu aussi lorsque je discutais avec mon entourage ou bien les premiers guests vis-à-vis de la personne qu'ils aimeraient entendre, on se retrouve avec le général Gou, général au sein de l'armée. Lors de notre échange, on a pu aborder sa carrière, ses engagements opérationnels et même parler géopolitique puisqu'il a eu une expérience au sein de l'OTAN qui est super intéressante. Avant que l'épisode commence, il y a une petite confidence à vous faire, le général a accepté de faire l'interview en uniforme. Et pour être totalement transparent, j'étais un peu impressionné au début. Vous l'entendrez très certainement au son de ma voix. Au passage, si vous voulez aller voir les backstage, n'hésitez pas à me follow sur Insta. Vous pouvez retrouver le lien dans la bio du podcast. Sur ce, je vous souhaite une excellente écoute.

  • Speaker #1

    Bonjour mon général, merci d'avoir accepté l'invitation. Première question, comment allez-vous ?

  • Speaker #2

    Écoutez, je vais très bien. L'année vient de débuter, donc on a beaucoup de défis devant nous. Probablement, bien sûr, quand on regarde le monde comme il est aujourd'hui. Donc je vais très bien et je pense qu'il faut aller bien pour être prêt à affronter tous ces défis.

  • Speaker #1

    Je me suis permis de vous contacter autour de l'armée, puisque vous êtes général au sein de l'armée de terre. Est-ce que vous pourriez présenter rapidement votre parcours ?

  • Speaker #2

    C'est un peu compliqué parce que c'est un parcours long de presque 35 années maintenant. Alors un parcours de militaire de façon un peu synthétique, d'abord ça commence par une envie, on va dire, qui s'est traduite par un lycée militaire, parce que j'ai commencé dans un lycée militaire. en classe de seconde, et puis ensuite ma vocation militaire a mûri, et je suis rentré en prépa pour faire Saint-Cyr. Donc quelques années qui m'ont permis de me dire quelle est ma vocation, est-ce que c'est bien ce métier que je veux faire, dans un environnement déjà militaire, sans l'être totalement, puisque ça dépend de l'éducation nationale aussi, et donc avec cette volonté de rentrer dans l'institution militaire. Saint-Cyr, et puis à la sortie de Saint-Cyr, une vraie première question. quelle arme, dans quelle discipline ou dans quelle spécialité je veux servir. Un peu par hasard au départ, ce n'était pas mon premier choix, j'ai vu des hélicoptères de combat et évidemment ça m'a attiré. Et je suis rentré dans cette spécialité des hélicoptères de combat où j'ai fait toute ma carrière opérationnelle. En fait, quand on rentre dans l'armée, quand on est jeune lieutenant, on sortit d'un cirque, on va commencer par piloter un hélicoptère. Puis ensuite, on va en commander trois. Et puis progressivement, on va vous en confier dix, une escadrille. Et puis plus tard dans votre carrière, on vous proposera d'être le chef des opérations et de l'instruction d'un régiment. C'est une soixantaine d'hélicoptères en théorie. Puis encore un peu plus tard, lorsque je passe général, donc là je commence à avoir pas mal d'ancienneté, eh bien je commande la brigade des hélicoptères de combat. C'est la brigade de l'aérocombat qui regroupe les régiments d'hélicoptères de combat de l'armée de terre. Donc vous voyez, c'est tout à fait progressif, c'est-à-dire que les responsabilités sont... confier petit à petit, lorsque vous prenez de l'expérience, et que finalement, assez facilement, vous voyez tout à fait bien la tête d'une unité un peu plus grosse. Ça, c'est pour la partie opérationnelle. Et puis ensuite, il y a tout ce que l'on fait autour, puisque dans une carrière militaire, on ne fait pas que de l'opérationnel. Et donc, en fait, c'est un peu en fonction de ce que vous souhaitez faire. Il y a un dialogue toujours avec notre DRH. Et moi, j'ai souhaité faire, par exemple, des relations internationales. Donc on m'a donné la possibilité de faire une mobilité externe au ministère des Affaires étrangères à cette époque-là. Donc j'ai été à la direction des Nations unies et des organisations internationales pendant deux ans. J'avais vraiment le poste d'un jeune diplomate, on va dire, en civil pendant deux ans, avec toujours mon statut de militaire, mais vraiment pleinement intégré dans un autre ministère. Et puis dans ma carrière, j'ai fait d'autres choses aussi, bien sûr. J'ai notamment servi à l'OTAN. Dans l'organisation du traité de l'Atlantique Nord, où j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Alors cette autorité-là, c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN, en réalité. Donc c'est trois années extraordinaires pendant lesquelles on accompagne ce grand chef militaire dans tout ce qu'il fait dans sa vie quotidienne, puisque quand on est son assistant, on est vraiment proche de lui. Donc ça, c'est très intéressant. C'était tout à fait logique avec... que j'avais commencé à faire au Quai d'Orsay, dans les relations internationales. Et puis après, il y a plein d'autres choses que l'on vous propose aussi dans le courant de votre carrière. Donc par exemple, je donne un exemple, je suis allé à l'état-major des armées, parce qu'il faut diversifier en fait son parcours. On ne peut pas tout faire que dans l'armée de terre, tout faire que dans sa spécialité. Donc à l'état-major des armées, j'étais dans un bureau où notamment j'étais en charge des relations avec le Parlement. Donc les relations entre l'état-major des armées, le chef d'état-major des armées, et puis le Parlement, Assemblée nationale, Sénat. J'ai eu cette chance-là parce que c'est tombé pendant une période où on négociait une loi de programmation militaire. Donc il y avait vraiment des grands enjeux qui arrivaient à ce moment-là sur l'établissement et la mise en place de cette loi de programmation militaire, avec le rôle d'être entre deux institutions qui se connaissent, bien sûr, mais qui doivent à ce moment-là bien partager les enjeux pour être sûrs que ce qui va être proposé par l'un est bien compris par l'autre et qui va être évidemment poussé par l'autre. Donc c'était une période très intéressante. Ensuite, on m'a proposé, et là aussi c'est encore un autre cadre, de faire de la gestion. Donc j'ai été positionné auprès du chef d'état-major de l'armée de terre. Là, j'étais en charge de la gestion des officiers généraux et des colonels. Donc quand je parle de gestion, je parle de leur orientation, de leur avancement, de leurs affectations. Alors là, ça fait beaucoup de choses. En fait, tout ce qui tourne autour de la vie, ça fait pas mal de choses à faire. Un poste d'une grande richesse, parce que 80% de ce poste, c'est de l'humain, en fait, avec beaucoup de... d'écoute. Il faut absolument connaître, évidemment, ses connaîtres et ses généraux pour être capable de proposer aux chefs d'état-major de l'armée de terre les bonnes solutions pour leur gestion, en fait, en l'occurrence. Bien connaître également l'environnement, la réglementation. Mais là, j'étais pas tout seul. J'avais une équipe, évidemment, pour m'aider à faire tout ça. Voilà. Et puis aujourd'hui, je me retrouve à la tête de l'inspection de l'armée de terre, qui est encore un poste un peu particulier, dans le sens où c'est pas l'aboutissement d'une filière. C'est plutôt l'aboutissement d'une carrière qui me permet d'arriver là aujourd'hui avec la légitimité qui est la mienne pour tenir cette responsabilité. Vous voyez, j'ai été un peu trop long. Mais une carrière militaire, c'est d'abord très varié. C'est beaucoup de choix que l'on fait. Le premier choix, c'est de savoir dans quelle armée on veut servir, l'armée de l'air, l'armée de terre, la marine. Ensuite, quand on est dans l'armée de terre, quelle arme ou spécialité on veut servir. Est-ce qu'on veut être dans la cavalerie, l'infanterie, les transmissions, le génie ou l'aviation légère de l'armée de terre ? C'est vraiment un choix qui vous appartient, en fait. Et puis à partir de là, vous construisez votre parcours. Et puis il y a des opportunités qui se présentent ou pas. Et puis ça se fait aussi beaucoup en fonction de votre envie. Il y a beaucoup d'envie. Il y a des gens qui vont vouloir faire la carrière que j'ai faite et donc qui vont avoir beaucoup de mobilité. Parce que quand on veut gravir tous ces échelons, il faut accepter quasiment tous les deux ans de changer de poste et quasiment tous les deux ans d'être muté. Il y a des gens qui vont vouloir être plutôt des experts. Donc ils vont rester plus longtemps sur leur poste. Ils vont accepter de moins avancer parce que forcément c'est la contrainte aussi. Mais ils seront reconnus dans leur expertise et on a bien sûr besoin d'eux.

  • Speaker #1

    Ok. Donc ce que je peux retenir c'est que... très modulable et que vous avez une expérience très très riche.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. C'est vraiment... C'est presque à la carte, en fait. Il n'y a pas deux parcours qui se ressemblent. Et on peut arriver au même endroit en ayant fait des parcours complètement différents. Mon prédécesseur n'avait absolument pas le parcours que j'ai. Et celui d'avant non plus. Donc voilà. Et encore, on pourrait entrer dans l'histoire comme ça. Donc oui, oui, je crois que la richesse de ce métier, d'abord, c'est... Évidemment, le cœur du métier, c'est les opérations. Évidemment, la préparation opérationnelle et l'engagement opérationnel, c'est le cœur du métier. C'est pour ça que nous sommes venus. Je pense qu'il n'y a pas de contre-exemple. Mais à partir de là, on peut construire un parcours avec vraiment beaucoup de diversité, il y a beaucoup de choix possibles, on peut se réorienter, c'est vraiment la carte.

  • Speaker #1

    Avant de revenir sur toutes vos expériences, je pense qu'on va avoir de quoi discuter. Il y a une petite autre question que j'aime bien poser, c'est si vous deviez vous présenter à un enfant, donc c'est sous un axe totalement différent, comment vous le feriez ?

  • Speaker #2

    Si je devais me présenter à un enfant, je pense que je commencerais par lui dire que le fond de ma volonté ou de mon envie, au départ, c'est de servir. C'est de servir, c'est-à-dire d'être là pour participer à la sécurité de mon pays. Vous savez, souvent, un enfant dit je veux être pompier parce que je veux aider tout le monde dans le cadre d'un incendie Moi, je pense qu'on pourrait dire ça. D'abord, servir. Ensuite, l'engagement opérationnel. C'est-à-dire que je fais ce choix de ne pas rester dans un bureau pendant 30 ans. Moi, j'ai décidé d'aller sur le terrain, de prendre des risques. Parce que quand on fait ce métier, on sait qu'on va prendre des risques. Il y a un peu d'audace dans cette affaire-là. C'est-à-dire qu'il faut avoir cet esprit un petit peu audacieux de se dire je vais sortir de ma zone de confort parce que c'est l'objectif de ce métier-là. Je lui parlerai probablement d'hélicoptères, parce qu'un jeune enfant, ça va l'intéresser de se dire tiens, voilà, les hélicoptères Je lui parlerai également de mes voyages. Quand on est militaire, on voyage beaucoup. Alors c'est un peu partout le continent africain, bien sûr, parce que c'est ce continent sur lequel on a été beaucoup engagés, mais pas que. Les Balkans, l'Afghanistan, il y a beaucoup de choses, en fait, en réalité. Et finalement, tout ça, c'est l'histoire de notre pays aussi. Je lui parlerai de sport, je lui parlerai de dynamisme.

  • Speaker #1

    Du coup, le premier point que vous avez abordé vis-à-vis de l'enfant, c'est servir son pays. Au sein de l'armée, la culture militaire, c'est un point qui est très développé. Comment est-ce que vous définirez les valeurs fondamentales de l'armée ?

  • Speaker #2

    Alors... Par quoi commencer ? Je pense que... Est-ce que je parlerais de cohésion d'abord, finalement ?

  • Speaker #1

    La cohésion, c'est un point que je vais aborder derrière.

  • Speaker #2

    C'est peut-être le point dans les valeurs. Alors la cohésion, ce n'est pas une valeur, mais c'est un état de fait et c'est celui qu'on recherche, parce que tout passe par la cohésion. La cohésion, dans les valeurs, il va y avoir la discipline, parce qu'on ne peut pas servir au sein des armées sans respecter une forme de discipline. Parce que, encore une fois, la finalité, c'est l'engagement opérationnel. Et le jour où on est engagé, tout le monde fait confiance en celui qui est à côté de lui, qu'il soit son chef ou son subordonné, pour remplir la mission. Si l'un est défaillant, eh bien en fait, tout va échouer. Donc la discipline, c'est une valeur fondamentale pour les armées. Je rajouterais aussi tout ça dans la cohésion dont j'ai parlé au départ. Je pense que le courage, c'est une valeur fondamentale également. Là aussi, j'en reviens toujours. Le courage, c'est pas forcément le courage de partir au combat, même si la finalité, c'est celle-là. Le courage aussi, c'est celui de dire à son chef Vous faites fausse route tant qu'on est dans le cadre de la préparation. Et puis à un moment, le chef va prendre une décision et là, il n'est plus question de la remettre en cause. La discipline. Voilà un petit peu les vraies valeurs fondamentales. Après, il y en a d'autres, évidemment.

  • Speaker #1

    Mais c'est très bien de les résumer en trois mots. Donc ça serait la discipline, la cohésion et le courage. Ok. Ces valeurs au sein de votre parcours, comment on vous les a inculpées ? Est-ce que ça a été via les expériences que vous avez pu vivre sur le terrain ? Est-ce que ça a été via des sincières ? Et aussi, à l'inverse, comment est-ce que vous, vous les avez inculpées à vos subordonnés ?

  • Speaker #2

    En fait, je crois que c'est ce que vous disiez en introduction, la carrière militaire est bien faite. C'est-à-dire qu'au départ, on vous met dans une école où on va vous inculquer ces valeurs-là, petit à petit. On vous explique. Pour commander 8-10 personnes, il faut qu'il y ait une forme de discipline, il faut que vous soyez courageux de temps en temps, parce que ce n'est pas évident, et il faut que vous formiez une cohésion, autrement votre ensemble ne sera pas cohérent. Alors quand on est jeune et quand on est en école, on est encore un peu fougueux, on part dans tous les sens. Et puis petit à petit, l'idée c'est de faire en sorte que tout ça soit bien respecté. Pour qu'on puisse être engagé très rapidement. Ne l'oublions pas, quand on sort de Saint-Cyr, on peut être engagé tout de suite. Certains partent en opération extérieure avec très peu d'ancienneté, finalement. Alors on passe par le cycle école, quand même, qui dure assez longtemps. Le Saint-Cyr, c'est trois ans plus une année d'école d'application où on apprend vraiment notre métier. On apprend d'abord à être un... un officier. Et ensuite, on apprend à être un officier dans une arme particulière. Un fantassin, un cavalier, un artilleur, un transmetteur. Ce qui fait qu'on passe du général au particulier et au spécifique, c'est-à-dire le métier. Parce que lorsqu'on est à la tête d'une section, une trentaine d'hommes, on ne peut pas arriver juste avec quelques valeurs, quelques notions. Il faut être aussi pas encore un expert. Parce que les subordonnés qu'on vous confie forcément sont plus compétents que vous et sont plus experts que vous. C'est leur métier. Mais vous, vous devez avoir quand même suffisamment de connaissances pour apparaître comme quelqu'un de légitime vis-à-vis de ces subordonnés-là. Autrement, à un moment donné, vous n'arriverez pas soit à faire cette cohésion, soit à faire en sorte que vous soyez tout simplement légitime pour partir avec eux. et leur donner des ordres dans les moments de crise, en fait.

  • Speaker #1

    OK. Mais du coup, vis-à-vis de ces valeurs, ça va plutôt se créer au petit à petit ?

  • Speaker #2

    Oui, je pense que... C'est l'expérience que l'on va acquérir. Au début, on va vous donner toutes les clés. On va vous donner toutes les connaissances qui vous permettront à la fois de technique, mais également intellectuelle, morale. Tout ça, on va vous le donner. Et vous, il faut le digérer dans un premier temps. Et puis ensuite, il faut acquérir un peu d'expérience pour demain être capable de justifier que c'est bien la bonne personne qui est à la bonne place pour prendre ses décisions, pour commander en fait en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Moi, enfin, alors là c'est une opinion personnelle, mais j'avais cette idée qu'au sein de l'armée, quand on est, alors je ne connais pas tous les grades, mais quand on reçoit les ordres, on a tendance à les exécuter sans forcément... Chercher à comprendre, c'est peut-être pas le meilleur mot, mais tout à l'heure vous m'avez dit avoir le courage de dire à son supérieur que parfois il se trompe. Et du coup, moi dans mon idée, c'est qu'on ne cherchait pas forcément à faire remettre en cause les ordres. Et que la passerelle de passer à commander des personnes, des militaires, et quand on est commandé, je me demandais comment ça se passait, Finalement, l'armée est connue pour sa discipline, pour le respect de sa hiérarchie. C'est vrai. Comment ça va se passer ? Est-ce qu'il y a du mécénat, quelque chose de ce type ?

  • Speaker #2

    Alors en fait, comme vous l'expliquez, on est un peu dans l'image d'Epinal. C'est-à-dire qu'il y a un chef qui donne un ordre, il est exécuté et on discute. C'est absolument pas comme ça que ça se passe. Il y a un chef qui donne une orientation. Voilà comment il voit les choses. Et derrière, il a des subordonnés, c'est pour ça que je vous parlais de courage, parce qu'il faut de temps en temps être capable de dire à son chef vous avez tort Lisez un peu tout ce qui a été écrit sur l'Indochine, l'Algérie, etc. Souvent, vous avez des subordonnés qui disent à leur chef Si vous allez par là, vous vous faites prendre un risque à la section et on va tomber dans une embuscade. Et c'est ce qu'il faut éviter. Parce que moi, qui suis un sous-officier, j'ai l'expérience et je sais qu'en passant sur ce chemin-là, on prend un risque. Vous qui êtes officier, et qui êtes jeune officier sans expérience de ce terrain-là, vous nous demandez de prendre ce risque. Alors, comment ça se passe en réalité ? Eh bien en fait, je vous le disais, une décision est élaborée, on commence à avoir une orientation, et ensuite on en parle. C'est-à-dire qu'il y a toujours la possibilité d'en parler. D'ailleurs aujourd'hui, c'est très difficile de dire à quelqu'un je te donne un ordre, c'est comme ça et puis tu l'exécutes et il n'y a rien à dire. Circuler, il n'y a rien à voir. Ça, ce n'est pas possible. Il y a donc une phase ensuite pendant laquelle on va discuter, on va en parler. L'expérience des uns va enrichir. la compétence ou la connaissance de celui qui élabore l'ordre. Cette phase de discussion va durer un certain temps. Alors ce temps, il est plus ou moins court en fonction du degré d'urgence, par exemple. Quand on est en opération, il y a des moments où ce temps se réduit considérablement. Et on va arriver à une décision. Et cette décision, c'est le chef qui va la prendre toujours, puisqu'il est là pour prendre des décisions. Lorsque le chef a pris la décision, cette fois-ci, l'ordre, on ne le conteste plus. Parce que si on conteste l'ordre alors que la décision a été prise, là, on va faire prendre des risques à l'ensemble du groupe. Et donc on va remettre en cause cette cohésion dont je vous parlais tout à l'heure. Donc ça veut dire que... Alors parfois, on n'est pas d'accord avec la décision qui va être prise. Parce que dans les orientations, on avait une autre hypothèse. Mais cette hypothèse, elle a été entendue par le chef, qui à un moment va prendre lui, avec tout le contexte qui est le sien, ses connaissances, l'environnement qu'il connaît peut-être mieux que celui qui est son subordonné. Une fois qu'il a pris sa décision, alors on doit... adopter cette décision comme étant l'ordre que tout le monde va suivre. Et tout le monde doit aller, doit converger vers l'exécution de cette décision. Et là, ça va fonctionner.

  • Speaker #1

    Donc il y a vraiment un avant l'ordre et un après l'ordre. Donc il y a une phase de... Discussion avant l'ordre, ou parfois faire preuve de courage, et après, c'est là où la discipline intervient réellement.

  • Speaker #2

    Une fois que la décision est prise, comme à la fin la finalité c'est le combat, l'engagement opérationnel, là on ne peut pas se permettre d'avoir la moitié de la section qui dit, en fait, moi j'avais dit que je ne voulais pas y aller, ou qu'il fallait passer par la droite, donc je vais à droite, parce que si vous avez une moitié de section qui va à droite et l'autre à gauche, d'abord je ne sais plus où on met le chef à ce moment-là, et de toute façon on ne va pas remplir la mission. C'est quelque chose qui est tout à fait compris, qui est bien admis et qui est très cohérent. Donc évidemment, ça repose sur une hiérarchie. Quand on regarde bien dans la société civile, il y a toujours une hiérarchie aussi. Et il y a un moment où il y a toujours un ordre qui est donné. Alors peut-être que derrière, il y a des enjeux qui sont différents, qui peuvent être différents, qui peuvent être économiques par exemple, donc ils sont stratégiques. Mais nous, ce qui est sûr, c'est qu'à la fin, il y a une mission à remplir et on ne peut pas... ne pas remplir cette mission.

  • Speaker #1

    Parce que je trouve que ce qui est vraiment différent entre l'aspect civil et l'armée, c'est qu'on... Dans l'aspect civil, il y a beaucoup moins de discipline et qu'en général, il y a parfois des fortes têtes qui vont quand même en faire qu'à leur tête et finalement, on peut avoir une finalité qui va être différente.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des fortes têtes. Mais si c'est les armées, il ne faut pas se tromper. Vous savez, les armées, c'est le reflet de la société civile. Donc, on a aussi des gens qui ont des forts caractères, mais à qui on apprend petit à petit à respecter le... l'endroit où ils sont, et puis en leur disant votre caractère peut s'exprimer, puisque effectivement, vous avez toujours cette phase où vous pouvez vous exprimer. On peut dire beaucoup de choses au sein de l'institution militaire, mais il y a un moment, ça c'est certain, ça fera peut-être la différence avec le monde civil, où tout le monde doit exécuter la décision qui a été prise, et si ce n'est pas le cas, celui qui ne rentre plus dans cet ensemble-là en sera exclu. Ça, parce qu'il faudra prendre trop de risques. Et y compris dans l'avancement, c'est quelque chose qui va être regardé. Parce que très concrètement, si à un moment, on se dit qu'il y a un danger dans le fait que vous n'allez pas forcément écouter les ordres de vos supérieurs hiérarchiques ou dans le fait que vous allez créer beaucoup d'instabilité ou de manque d'assurance chez vos subordonnés, donc là, je pense que c'est pas bon pour la cohésion d'ensemble. Et on regarde ça avec beaucoup de précision pour l'avancement.

  • Speaker #1

    On a bien discuté de l'aspect culture militaire. Moi, il y avait un autre aspect qui m'intéressait particulièrement, c'était la prise de décision, ou même plus généralement de la stratégie. Quand on est dans des situations parfois critiques, avec des conditions qui sont parfois extrêmes, des enjeux aussi qui peuvent être extrêmes vis-à-vis de la vie, on parle parfois de la vie de vos subordonnés, j'imagine.

  • Speaker #2

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment, alors être sûr, je pense que c'est le même cas, mais prendre la bonne décision ?

  • Speaker #2

    Alors, je... La situation de crise, donc cette situation de crise, elle vous laisse peu de temps, en fait, puisque vous êtes surpris. Forcément, ça va aller très vite. Et là, ce qui est certain, c'est qu'en situation de crise, tout le monde se retourne vers le chef. Donc là, il n'y a pas de discussion ou très peu, en fait. Et vous devez décider effectivement dans l'urgence. Est-ce que vous allez vous dire dans votre tête Est-ce que je prends la bonne décision ? Vous n'avez pas le temps. Donc en fait, vous ne raisonnez pas comme ça. Vous vous dites Je suis compétent, je suis légitime, et donc je suis dans l'action C'est ça. C'est en amont. Une fois que vous avez accepté d'avoir cette responsabilité de chef dans un engagement opérationnel, ça, vous l'avez mis de côté. Donc après, vous décidez. Et vous décidez comment ? Vous décidez avec tout ce que vous avez acquis, tout ce que vous avez engrangé, tout ce qui a sédimenté dans votre carrière. Donc vous avez un certain nombre de réflexes. Vous avez des raisonnements qui sont fondés sur des cas concrets que vous avez déjà vus. Voilà, ça se fait dans cette direction. Puis évidemment, vous allez penser, d'abord, il faut remplir votre mission. Il faut préserver, évidemment, vos personnels et votre matériel, parce qu'autrement, vous ne pourrez pas très engager demain. Et c'est un peu comme ça que vous allez réfléchir. Et en fonction de ça, vous allez mesurer le risque que vous... Quel risque vous acceptez de prendre. pour remplir une mission. Voilà. Donc, finalement, c'est assez naturel. Moi, j'ai été confronté à des situations de ce type-là et je ne me suis pas posé de questions. J'ai vite vu que, de toute façon, là, oui, j'étais le chef et qu'on attendait une prise de décision qui s'est faite assez naturellement. Et tout ça, ça ne fonctionne que si tout ce qu'on a dit au début est cohérent. S'il n'y a pas de cohésion... Ça va être compliqué. Parce que là, il ne faut pas qu'à ce moment-là, vous ayez un subordonné qui vous dise Mais c'est n'importe quoi. Votre décision n'est pas cohérente. Regardez, vous n'avez pas tenu compte de ça. Voilà. Si votre subordonné a l'impression que c'est le cas, il a le devoir de vous le dire. Mais normalement, ça ne doit pas arriver à ce moment-là. C'est des choses qu'on a vues avant et qui font que dans l'urgence, quand on est en situation de crise, eh bien en fait, tout ça, finalement, arrive assez naturellement.

  • Speaker #1

    Vous avez écrit un livre. J'avais vu notamment que dans... Donc c'était Libérez Tambouctou. Et j'avais vu que dans une de vos opérations, vous faisiez face à des... à des défis logistiques parce que c'était compliqué de pouvoir suivre les terroristes, je dis pas de bêtises, au Mali. Donc typiquement pour illustrer ce que vous venez de dire, dans cette situation, comment vous avez fait pour vous dire, alors je n'ai pas les détails, je ne sais pas à quoi ça correspond toute la logistique que vous deviez déplacer, mais finalement dans cet exemple, qu'est-ce que...

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui était les points importants à prendre en compte et comment vous avez fait face ?

  • Speaker #1

    En fait, c'est vrai que lorsqu'on est dans cette situation, il y a une partie commandement avec l'exécution de la mission. Donc moi, j'avais un chef qui était un général qui commandait l'ensemble de la brigade, en fait, qui, lui, avait des objectifs opérationnels. C'est-à-dire qu'il me disait qu'à telle date, il voulait arriver sur tel point parce qu'ensuite, il allait falloir conquérir la ville de Tambouctou. Donc on s'était fixé des objectifs, pas tout seul, parce qu'il y a aussi l'échelon politique qui vous dit à tel moment nous souhaitons que vous soyez arrivé ou que la ville de Tendutu soit libérée. Donc derrière il y a des défis logistiques et ces défis-là, à la fois nous les partageons, c'est-à-dire que c'est aussi la contrainte du général, mais l'objectif du subordonné c'est toujours de donner le moins de contraintes possibles à son chef. C'est-à-dire de se dire à mon niveau je vais gérer tout ce que je peux gérer à mon niveau. Et puis tout le reste, quand ça dépasse mon niveau, il faut qu'effectivement je... Je vois avec la brigade ou l'échelon supérieur comment on peut partager tous ces défis, en fait, parce que c'est des défis. Là aussi, ça se fait assez naturellement. C'est-à-dire qu'il faut à la fois être conscient de ce qu'on est capable de faire, c'est-à-dire ne pas dire à son général Moi, vous me dites que le 1er février, je dois être à Tombouctou. Eh bien, j'y serai. Alors que vous savez très bien que mécaniquement, votre... Vos pièces de reponge, le kérosène, etc. Tout ça, c'est beaucoup de logistique. On n'a aucune possibilité d'arriver avant le 1er février. Il faut avoir la cohérence de l'ensemble. On n'est jamais tout seul pour faire ça. On travaille en équipe. Des logisticiens, il y en a dans chaque unité, mais il y en a également au niveau supérieur. Tout ça étant organisé pour que l'ensemble fonctionne. Donc vous avez dans une opération comme celle-là, il y a des spécialistes qui font de la logistique, qui eux vont tout mettre en œuvre pour que vous ayez tout ce dont vous avez besoin pour remplir votre mission là où vous devez la remplir. Et à chaque échelon. Ce qui fait que normalement, avec une bonne coordination, on arrive à faire ce qu'on a à faire. Il peut y avoir des... Des soucis, ça peut arriver. Moi, j'ai eu un problème de ravitaillement. Je n'avais plus de kérosène juste avant l'opération à Tambouctou. Le kérosène était disponible, mais c'était un peu compliqué de l'acheminer jusqu'aux hélicoptères. Donc, à ce moment-là, ça fait partie... Je ne sais pas si c'est du courage, mais il n'y a pas le choix. Il y a un moment, il faut dire à son chef... Je n'arriverai pas parce que j'ai un problème logistique. Donc je demande un délai d'une heure pour faire les pleins des hélicoptères. C'est vraiment la chose de base, mais qui peut remettre en cause une opération qui, elle, est stratégique et qui est suivie par l'état-major des armées à Paris ou même par le pouvoir politique. Donc voilà, c'est des choses qu'on anticipe assez bien. Puisque, en fait, tout ça est intégré dans notre façon de nous organiser, de nous préparer en permanence. Donc, on a des unités spécialisées qui s'occupent de ça. Alors, on a parlé de la logistique, mais c'est également toute la partie système d'information. Et là, forcément, si à un moment, vous n'avez plus les liaisons avec les logisticiens ou avec la partie commandement, là aussi, vous allez avoir des problèmes, évidemment. Donc, tout ça, c'est un ensemble cohérent qui vit très bien ensemble. On est habitués à se préparer ensemble. Et en fait, ces connexions, elles sont déjà établies. Ça veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés, parce que cette opération, on était partis, rien n'était en place lorsqu'on nous sommes arrivés. Donc en fait, on allait presque plus vite, les opérationnels allaient presque plus vite que la partie logistique. Sauf qu'à un moment, tout ça doit être cohérent, parce que si vous partez billes en tête et que vos réservoirs sont vides et que le... Le réhabilitaillement, il est trois heures plus tard, vous allez attendre trois heures les réservoirs vides. Donc il faut évidemment anticiper tout ça. C'est la difficulté d'une opération, ce qu'on appelle l'entrée en premier, où il n'y a pas d'environnement logistique autour de vous, et il faut faire en sorte que tout ça avance bien au même rythme en fait en l'occurrence. Et parfois, il faut être capable de se dire, moi j'ai des hélicoptères qui vont vite, loin, tout ce que vous voulez. Oui mais sauf que j'ai aussi des véhicules avec les pièces de rechange, j'ai mes camions de pompiers, j'ai ma tour de contrôle, j'ai tout ça. Et puis il y a le reste de la brigade. Et il y a toute la partie logistique. Il faut bien sûr, si vous partez au combat et que vous n'avez plus de munitions, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de kérosène, vous ne savez rien. Si vous n'avez plus de ravitaillement pour boire et manger, il y a un moment ça ne marche plus non plus. Donc voilà, on essaye de faire en sorte que tout ça soit cohérent. C'est une difficulté parce que ça se fait évidemment en ambiance crise. Donc l'environnement, il est plutôt instable, voire vous avez de l'insécurité. Et en fait, il faut quand même avoir un système complet qui fonctionne parce qu'autrement, là, vous vous mettez vraiment en difficulté. Et puis en plus, forcément, vous n'allez pas respecter finalement ou pas remplir la mission à la fin.

  • Speaker #0

    J'allais rebondir sur un point, c'est... Vous m'avez dit que vous avez des responsables logistiques, donc j'imagine que d'un point de vue local, vous avez l'information. Mais est-ce que ça arrive parfois qu'il y ait des soucis de cohésion entre ce que veut le pouvoir politique ou ce que veut l'état-major et ce qui se passe réellement sur le terrain ? Parce que vous, vous avez bien l'information que l'opérationnel va plus rapidement que la partie logistique et qu'au final, vous êtes au courant de cette information. Mais vis-à-vis de la stratégie initiale, c'est plus possible parce que la logistique ne peut pas... Arriver aussi vite que les hélicoptères à un point B.

  • Speaker #1

    En fait, tout ça se fait avec une grande fluidité. C'est-à-dire qu'effectivement, le pouvoir politique prend des décisions. Le président de la République a fixé un objectif. C'est suivi ensuite en cabinet ministériel. Enfin tout le monde va suivre ça. À l'état-major des armées, ils ont une vision presque instantanée de ce qui se passe. Et très concrètement, on arrive à mettre à jour en permanence nos informations, nos besoins, nos manques. Il nous manque quelque chose sur le terrain. À ce moment-là, on va en parler. Il n'y a jamais de déconnexion énorme entre ce que souhaite Paris et ce qui se passe sur le terrain. Parce qu'aujourd'hui, en fait, moi j'ai l'habitude de dire, en fait, on vit dans un bocal. Donc tout ce qui se passe sur le terrain est absolument connu, maîtrisé, su tout de suite. Il n'y a pas de temps de latence, etc. Ce qui fait que quand nous rencontrons une difficulté ou quand nous tombons sur un obstacle, ce qui peut arriver, qui va nous arrêter, nous on utilise le terme fixer Quand on est fixé, forcément on est obligé de prendre un certain nombre de mesures pour reprendre notre progression. On ne va pas faire n'importe quoi. On ne va pas se dire on est tombé sur une embuscade et tant pis, on nous a dit qu'il fallait continuer, alors on va continuer Pas du tout. À ce moment-là, on va s'arrêter et on va faire les choses correctement pour faire en sorte qu'on prenne toujours le dessus sur notre adversaire. Ça, dès que ça se présente... Presque en temps réel, ça remonte à Paris. Donc en fait, on nous met... Paris, l'état-major des armées, la partie planification et conduite des opérations n'a aucun intérêt à nous mettre en difficulté. Au contraire. Ils sont plutôt là pour nous appuyer, évidemment, en nous donnant leur intention. Voilà ce que vous devez réaliser sur le terrain. Et une fois que nous, nous sommes sur le terrain, on a évidemment la vérité des prix. Et tout ça est bien partagé. Et c'est pour ça que les échelons de commandement sont bien... On a fait également, pour permettre à celui qui a cette vue la plus réelle de ce qui se passe sur le terrain, de discuter avec les chances supérieures pour lui dire, vous voyez aujourd'hui, on ne va pas pouvoir faire ce qui était prévu parce qu'on a rencontré telle et telle difficulté, et peut-être que le lendemain on ira un petit peu plus vite parce que finalement les choses se sont bien passées et on n'a pas rencontré l'adversité que l'on avait imaginée. Tout ça évidemment, c'est lié avec la connaissance, ce qu'on appelle le renseignement chez nous, donc de ce qu'il y a autour de nous. Donc on a énormément de capteurs qui nous permettent de savoir ce qu'il y a en face de nous aussi. Parce qu'une route qui fait 500 km, en fait, en fonction de l'état de la route, des gens qui sont plus ou moins hostiles que l'on va rencontrer sur cette route, enfin de plein de facteurs, tout ça fait que, on va mettre combien pour faire ces 500 km ? On va mettre 5 heures, on va mettre 30 heures, on va mettre 5 jours, tout ça. Et ça peut être ça. Donc vous voyez bien qu'entre 5 heures et 5 jours, c'est pas la même chose. Et parfois, on va être obligé de progresser à 1 km heure parce que le terrain est miné, parce qu'il y a un environnement hostile. Et donc, il va falloir faire très attention. Et la progression, on va la réaliser, mais dans de bonnes conditions pour ne pas risquer de perdre du matériel et bien sûr des hommes. Donc voilà. Tout cet environnement-là, il n'est jamais fixé, il n'est jamais connu à l'avance. On essaye d'avoir le plus de renseignements possibles pour savoir vers quoi on va aller. Mais quand on est en opération d'entrée en premier, il y a un moment, l'ennemi, il est là, il n'est pas là. Là, il nous a échappés pendant longtemps parce qu'évidemment, il n'avait pas intérêt à nous rencontrer au début de l'opération. Puis à un moment, on est arrivé là où il était, mais surtout là où il avait tout son arsenal, tout ce qui était logistique pour lui. Là, il ne pouvait plus nous échapper. C'est-à-dire qu'il y avait un moment, soit il quittait le Mali, pour aller où d'ailleurs, je ne sais pas. soit il y avait le contact qui se faisait à ce moment-là, ce qui s'est passé. Nous n'avions pas forcément toutes les informations sur comment ils étaient organisés, combien ils étaient, quel armement ils avaient, tout ça. Ça se fait aussi petit à petit. D'où l'intérêt d'avoir un renseignement le plus adapté possible pour être capable d'anticiper ce qui va nous arriver.

  • Speaker #0

    Ok, super intéressant. Finalement, vis-à-vis des opérations que vous avez menées, quel a été le moment le plus difficile qui vous a le plus marqué ?

  • Speaker #1

    Le moment le plus difficile, incontestablement, c'est le moment où vous perdez les hommes. Voilà. Ça, c'est pas difficile dans le sens où vous devez mener une action particulière. C'est juste que perdre des hommes avec qui vous êtes préparés, que vous connaissez. La plupart du temps, vous connaissez leur famille. Je pense que c'est ça, le plus difficile. Et on le sait tous, ça fait partie de l'engagement que l'on a pris. Donner la mort, recevoir la mort. Voilà. C'est de toute façon difficile. Moi, j'ai vécu trop de cérémonies dans la cour des Invalides, dont certaines très fortes. Aussi parce que j'ai été engagé directement. Donc là, c'est encore plus fort. Je ne sais pas si c'est encore plus fort, d'ailleurs, parce qu'à chaque fois, l'émotion, elle est là. Je pense que ça, c'est difficile parce qu'on le sait. On a fait ce métier. On connaît ce risque-là. On l'accepte. Mais quand on le vit, je pense que ce qui est compliqué aussi, c'est de... C'est d'affronter la réalité de l'environnement. C'est-à-dire que perdre un camarade au combat, c'est une chose. On l'a tous vécu à peu près. Quand on a l'ancienneté que j'ai, forcément, on l'a vécu. Derrière, affronter les conséquences pour sa famille, pour ses amis, pour ses parents, pour ses enfants, c'est toujours, toujours très compliqué. Et puis après, il faut être capable, je pense, de... De les suivre, de suivre ces familles. Mais avec le temps, c'est toujours un peu compliqué. Donc il faut aussi être capable de se dire est-ce qu'elles ont besoin ? Est-ce qu'à un moment, elles n'ont plus besoin parce qu'elles veulent passer à autre chose ? Ça, c'est toujours un peu délicat. C'est un peu sensible. Voilà. Si vous me demandez ce qui a été le plus dur, c'est vraiment ces moments-là. Moi, je les ai en tête. Je les garderai en tête toujours. J'ai eu une fois 13 familles quand même dans la cour des Invalides. Et j'étais concerné, donc évidemment. 13 familles, c'est plus de 200 personnes. Et c'est compliqué. C'est compliqué. Il faut... Bien sûr qu'il faut l'assumer. Et puis derrière, je crois que c'est... Je finis par ça. Il faut jamais oublier l'engagement initial. C'est-à-dire que c'est vrai. Et on va s'arrêter. Il y a ce qu'on appelle le temps de l'hommage. Ce temps-là, il est fondamental. Il est important à la fois pour ceux qui sont restés, pour les familles, pour tout l'environnement, y compris pour la nation, je crois, dans son ensemble. Et puis une fois que ce temps de l'hommage est passé, il faut reprendre la mission. Parce qu'en fait, la mission continue. J'ai perdu mon commandant d'unité quand j'étais jeune capitaine. Et j'étais donc engagé sur un porte-avions à ce moment-là. Je suis allé accompagner mon commandant d'unité à Eitan, qui était notre régiment d'origine, où il y avait les familles, le régiment, etc. Et puis ensuite, j'ai repris un avion, je suis retourné sur ce porte-avions qui était déjà passé à autre chose, ce qui est normal, il avait repris le cours de sa mission. Et il m'a fallu un petit peu de temps, parce que moi j'étais encore dans l'hommage avec ce commandant d'unité qui était si important pour moi et qui m'avait tout appris. que j'avais perdu de façon vraiment dramatique, dans un crash hélico. Et puis la mission reprenait, et moi, il fallait que je retrouve tout de suite ma place. Autrement, il fallait partir, parce que j'étais déconnecté. Et ça, c'est dur à vivre.

  • Speaker #0

    J'imagine, cet aspect, si on peut continuer sur ce sujet qui n'est pas le plus gai.

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Cette capacité à changer d'état d'esprit, est-ce que... Enfin comment... Est-ce que vous avez des astuces ? Parce que là, c'est pas drôle, mais ça peut aussi être le cas... Dans Libérateur Nocturne, vous parlez du fait de... Quand vous êtes sur le terrain et que vous repassez à la vie civile, c'est un autre état d'esprit, c'est plus la même vie. Comment changer d'état d'esprit radicalement ?

  • Speaker #1

    En fait, il faut... On met en place... Vous l'avez vu dans le livre... On met en place des sasses pour passer de ce rythme qui est souvent un rythme très intense. Avec souvent de la haute intensité, on est vraiment pris, ça va très vite. Il faut qu'on repasse à une autre vie, qui est celle de la vie civile. J'ai un exemple que m'avait donné un psychologue que j'avais trouvé très bon. Nous, on est engagé dans nos opérations, ça n'arrête pas, etc. Et puis si on ne passe pas par ce sas, on va se retrouver le lendemain et on va retrouver son grand ado dans le canapé qui passe des heures à ne rien faire et ça va être insupportable. Et en fait, ce grand ado, pendant plusieurs mois, et il ne va pas du tout comprendre que quand vous allez arriver, en lui disant Mais qu'est-ce que tu fais dans ce canapé ? Il serait temps que tu passes à une vitesse un peu supérieure. Donc il faut se remettre au rythme de ceux qui sont restés, parce qu'ils ont vécu autre chose, ils ont aussi vécu quelque chose, et être capable de se dire Voilà, ce sont des vies différentes. Alors il y a des gens qui y arrivent très bien, et il y a des gens qui y arrivent moins bien. Et ce n'est pas anodin. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de difficultés pour... Une partie d'entre nous, il peut y avoir des difficultés quand on retourne vers la vie civile et que, ben voilà, on se retrouve, il y a chacun à mener sa vie et chacun pense, attend beaucoup de l'autre, d'ailleurs, en l'occurrence. Ça, c'est une grande difficulté de notre métier parce qu'on ne le retrouve pas vraiment ailleurs. Donc, notamment quand les opérations ont été intenses, l'idée est de mettre un sas pour souffler un peu, qu'on nous dise attention quand vous allez rentrer, voilà ce que vous allez retrouver. Ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, etc. Ce qui est bien d'ailleurs, c'est quand on le fait également de l'autre côté. C'est-à-dire que les familles, c'est bien aussi de leur dire, voilà la personne que vous allez retrouver, dans quel état vous allez la retrouver. Et donc là aussi, ne soyez pas impatient, ne soyez pas exigeant, parce que quand on a réglé tous les problèmes à la maison pendant 4 ou 6 mois, quand on est le conjoint, quand l'autre rentre, on lui dit, maintenant tu vas un petit peu t'occuper des choses pénibles de la vie de tous les jours. alors qu'on n'a pas forcément envie de s'y retrouver tout de suite. Mais tout ça, c'est... Là aussi, il y a beaucoup de coordination, beaucoup de compromis, beaucoup d'intelligence de situation, mais on est tous différents. Et ça, c'est difficile à anticiper. Donc on nous aide à nous préparer à ce retour ou à ce changement de rythme. Et à partir de là, les choses se passent bien, mais c'est propre à chaque personne. Il n'y a pas de recette miracle.

  • Speaker #0

    Et donc ça, ça va être une période pendant laquelle vous... Vous allez dans une ville et vous allez vous réadapter petit à petit à la vie.

  • Speaker #1

    Oui, alors généralement ça se passe, alors ça dépend des moments, mais ça se passe dans un hôtel. Et puis il y a autour de nous toute une équipe qui est là pour nous faire parler, pour aussi mener des activités de cohésion, mais plus tranquille. Voilà, c'est vraiment un moment où, vous savez, quand j'étais l'opération du Mani. En fait, pendant quatre mois, on était sur un lit pico. Donc déjà, de se retrouver dans un vrai lit, ça fait... Tiens, voilà, quelque chose de très agréable. On ne sait pas qu'avoir un très bon lit, c'est un moment précieux, parce que tous les jours, on en profite. Et quand on ne l'a plus, on se dit, tiens, c'est pas mal quand même. Non, mais c'est ça, c'est de se dire que, voilà, on va remanger tranquillement, on va prendre le temps aussi. On va souffler, on va dormir, sans la pression de la mission. Il n'y a plus de mission, là. Pendant trois jours, généralement ça dure trois jours, pendant trois jours, on souffle, ce qui fait qu'on arrive, on a déjà laissé une partie de la mission derrière soi lorsqu'on sort du bus et qu'on se retrouve face à sa famille.

  • Speaker #0

    Du coup, vis-à-vis de la prise de décision, mais d'un point de vue plus global, aujourd'hui pour l'armée française, Quels vont être les enjeux stratégiques ? Comment cette stratégie va être construite ? J'imagine que c'est co-construit avec la politique, peut-être pas le Parlement, mais le président de la République et l'ensemble des armées. Comment ça se passe ?

  • Speaker #1

    En fait, là aussi, il y a beaucoup de fluidité. C'est-à-dire que d'abord, il y a un contexte, il y a un environnement. Celui-là, il est ce qu'il est et surtout, il évolue. Et en fait, nous, toutes nos actions, toutes les décisions qui sont prises, elles le sont en fonction de cet environnement. Aujourd'hui, en 2023, on n'imaginait pas tout ce qui allait se passer pendant une année cruciale. En 2022 non plus. Donc en fait, c'est d'abord la première chose à prendre en compte. Et ça, on l'a subi. C'est-à-dire que c'est pas nous qui décidons que demain, les outils vont interdire un certain nombre de bâtiments civils et vont remettre en cause la circulation de la navigation civile. C'est pas nous qui le décidons. Donc nous, en réalité, notre première mission, c'est de se préparer. Il faut que nous soyons prêts à intervenir quasiment dans toutes les circonstances. Les plus dures comme les plus faciles. Les plus longues comme les plus courtes. Donc c'est vraiment cette façon que nous avons de nous préparer, de se dire que demain, tout est possible. Et ça, c'est les directives qui nous sont données par, bien sûr, le pouvoir politique, qui nous dit si je dois vous engager ce soir, vous devez être prêts Et on va vous engager. Le Mali, on a été engagé en très peu de temps. Ça a été fait... Voilà. Il y a beaucoup de missions qui peuvent se passer comme ça. Nous avons d'ailleurs un certain nombre d'alertes. qui font qu'on est prêt à être engagé en 6 heures, 12 heures, 24 heures, 48 heures, etc. Alors sur la partie politique, elle est fondamentale, parce que l'engagement, le chef des armées, c'est le président de la République, même s'il va aller devant le Parlement pour expliquer, c'est le gouvernement qui va aller expliquer au bout d'un moment ce que nous faisons dans une opération, quand nous sommes partis au Mali, c'est le président de la République seul qui a décidé de l'engagement de la France au Mali. Alors il ne l'a pas décidé seul en réalité. parce qu'il a évidemment consulté tous ses partenaires. Et surtout, il a répondu à l'appel d'un président malien qui lui demandait de venir aider son pays pour interdire ou empêcher des djihadistes ou des terroristes, mais plutôt des djihadistes, de franchir le Niger et d'aller prendre la ville de Bamako et de créer un État islamiste, en fait, en l'occurrence. Bon, voilà. Donc tout ça, là aussi, est cohérent. Bien sûr que, comme toujours, plus vous montez... Enfin, à chaque échelon, en fait, vous avez une coordination avec l'échelon supérieur. C'est-à-dire que la partie politique, elle n'est pas complètement déconnectée de la partie militaire, bien au contraire. Donc, évidemment, le chef d'état-major désarmé parle à son ministre, parle au chef du gouvernement, parle au président de la République. Et donc, tout ça, ensuite, il y a les conseils de défense dans lesquels on va établir, enfin, le pouvoir politique, puisque c'est lui qui va le décider, va établir la stratégie qui sera appliquée ou qui sera menée par les armées françaises. Mais tout ça, évidemment, en présence des autorités militaires qui vont conseiller, qui vont donner leur avis, qui vont agir pour qu'on ne parte pas sur quelque chose qu'on n'est pas capable de réaliser ou qui est complètement incohérent. J'en reviens à ce qu'on disait au départ. C'est-à-dire qu'il y a aussi ce temps de discussion pour arriver à la meilleure des solutions. Et voilà. Et ça se fait. Et nous, quand j'écoute votre question, on se dit Oh là là, ça a l'air compliqué Mais en fait, dans la réalité, c'est pas très compliqué. Ce qui est le plus dur, probablement, c'est de se dire quelles sont les menaces qui nous guettent demain. Moi, j'ai vécu ça quand j'étais chef de corps. Nous avions terminé l'engagement en Afghanistan. Il venait de se terminer. La Côte d'Ivoire, c'était derrière nous. La Libye, c'était terminé. Donc il y avait vraiment une période où les choses se terminaient. Alors... Quand je suis arrivé, moi, à la tête du régiment, je leur ai dit Vous pouvez être fier de ce que vous avez fait. Il n'y a pas de problème. Vous avez mené des actions, vous avez rempli des missions, et tout ça, c'est bien passé. Maintenant, si vous pensez que tout ce que vous avez fait suffit pour être prêt demain, vous vous trompez, et on perdra. Et le jour où on nous engagera, on connaîtra de grands déboires. Donc en arrivant, moi, je leur ai dit Ben voilà, on va se préparer Pas sur l'inconnu, parce qu'on voit bien qu'il y a des choses qui se dessinent aujourd'hui. Alors on était parti un peu sur le Moyen-Orient, Proche-Orient, et puis sur un peu l'Afrique. On s'est pas trop trompé sur l'Afrique d'ailleurs, parce que c'est venu bien plus rapidement que prévu. Je me souviens d'ailleurs, à cette époque-là, j'avais reçu le président de l'Assemblée nationale. A Pau, donc au régiment, il ne venait pas pour voir le régiment, mais il en avait profité pour venir voir le régiment. Il avait été étonné sur la préparation que nous menions. Il m'avait demandé Mais pourquoi vous vous préparez Proche-et-Moyen-Orient et puis Afrique ? Et je lui avais dit ça. Je lui avais dit Écoutez, tout ce qu'on a fait, c'est fait. Donc maintenant, il faut se remettre en cause. Il faut presque prendre une page blanche et se dire quels seront les engagements de demain. Qu'est-ce qui nous attend ? Qu'est-ce qui va être compliqué ? Voilà. Et on a commencé à travailler là-dessus. Et aujourd'hui, quand on parle de haute intensité, on change de... C'est plus l'Afrique, là. On imagine que face à nous, moi qui suis dans la spécialité des hélicoptères au départ, mais au sens large, en fait, que ce soit les bâtiments de la marine, les avions de chasse ou nos chars de combat, en fait, on va se retrouver face... peut-être à l'équivalent. Donc, est-ce qu'on est capable aujourd'hui d'affronter ça ? En tout cas, il faut s'y préparer, parce que quand on regarde ce qui se passe à la frontière orientale, on veut bien qu'il y ait quand même des vraies menaces. Et donc, tout ça, on va le prendre en compte, on va l'intégrer, et puis se dire vers quoi on se prépare. Et vous voyez, les décisions stratégiques dont on parle, à un moment, elles vont se prendre, mais elles vont se prendre, là aussi, un peu dans l'urgence. Voilà, il se passe ça. Dans le cadre de notre coopération avec l'OTAN, nos engagements dans l'OTAN, dans l'Union européenne ou en nation autonome, on va mener un certain nombre d'actions. Est-ce qu'on est prêts ? Est-ce qu'on est prêts à répondre à la menace qui sera celle que l'on va retrouver ? Je n'ai pas parlé du théâtre national, mais il faut être prêt également à protéger, bien sûr, le théâtre national. Demain, il y a les Jeux Olympiques. Les Jeux Olympiques, c'est aussi... Bien sûr, c'est un événement majeur qui va faire rayonner la France, mais il y a aussi un certain nombre de menaces, donc il faut être prêt à y répondre. Et ça, ça se prépare, évidemment.

  • Speaker #0

    Finalement, une stratégie militaire... Enfin, moi, je compare ça un peu au monde de l'entreprise. Et dans le monde de l'entreprise, quand on prévoit un plan stratégique, ça va plutôt être avec des objectifs. Au sein de l'armée, est-ce que c'est vraiment possible d'avoir des objectifs ? D'après ce que vous venez de dire, de ce que je comprends, ça va être plus être vraiment comprendre quelles sont les menaces et donc être préagir.

  • Speaker #1

    En fait, la dissuasion militaire, parce que là c'est un terme précis, la dissuasion militaire, c'est dans la doctrine française depuis le général de Gaulle en fait. C'est quoi la dissuasion militaire ? La dissuasion, c'est la capacité de dire à quelqu'un qui est... soit aussi fort que nous, soit plus fort que nous, que le jour où il va avoir des intentions sur nous, il va risquer plus que ce qu'il va gagner. Voilà. Donc est-ce que ça vaut le coup de venir perturber la France, sachant qu'elle va vous donner des coups qui vont vous faire mal ? C'est ça, la dissuasion, en fait, de dire On vous propose de bien réfléchir le jour où vous aurez des intentions belliqueuses contre la France Et ça marche très bien, parce qu'effectivement, la France est dotée d'une arme nucléaire notamment qui permet de dire, y compris aux États les plus puissants, qu'ils ont trop à perdre à venir nous attaquer, en fait, en l'occurrence. Alors après, ça, c'est la dissuasion nucléaire. Mais après, comme vous l'avez dit, quand on a une force militaire comme celle de la France, qui jusqu'à présent est une force complète, on n'a jamais abandonné de capacité, eh bien...

  • Speaker #0

    on va démontrer une capacité à intervenir, y compris seule, pour se défendre. Ça, ça fait partie de la dissuasion. Puis après, on a des engagements également dans des organisations internationales dans lesquelles on est prêts à y mettre beaucoup de moyens qui sont tous cohérents, qui sont tous de bon niveau, qui là aussi vont participer à cette dissuasion. Aujourd'hui, la France est membre de l'OTAN. L'OTAN est l'organisation militaire et de loin la plus puissante au monde. Évidemment, personne ne peut affronter l'OTAN aujourd'hui sans risquer de se faire détruire. L'OTAN. Notamment parce qu'il y a aussi les États-Unis, qui est la plus grande armée du monde. L'OTAN et ses partenaires, enfin c'est quelque chose de très important. Et puis après, il y a aussi notre capacité à montrer ce que nous sommes capables de faire. Alors on le fait dans deux domaines différents. L'engagement opérationnel, bien sûr. Et c'est vrai que personne au monde ne conteste que la France, quand elle s'engage, elle s'engage avec des résultats. Alors après... Je ne parle pas de politique, je ne parle pas sur le plan militaire. Quand la France s'engage, on peut reprendre encore cet exemple du Mali. En fait, on s'aperçoit que ça fonctionne. Et puis le dernier point, c'est tous les exercices que nous menons. Tout le monde regarde la façon dont la France se prépare, en fait, en l'occurrence. Donc là, notamment cette année, en 2023 plutôt, on a conduit un certain nombre de grosses opérations d'entraînement qui sont visibles, sur lesquelles on y met beaucoup de moyens. sur lequel on se remet en cause, sur lequel on se met en difficulté pour dire jusqu'où est-on capable d'aller. Et évidemment, tout le monde le voit, ça. Donc la dissuasion, finalement, c'est tout cet ensemble-là qui fait que, quand on parle de la France, on sait que c'est une puissance à la fois militaire mais également diplomatique. Les diplomates sont là aussi pour participer à cette dissuasion, parce qu'eux vont porter la voix de la France en disant Attention, attention, voilà Voilà ce qui va se passer. Ils sont présents dans toutes les organisations internationales. Ils sont présents. On a une diplomatie qui doit être la deuxième diplomatie du monde. Je sais pas si c'est encore le cas, mais je pense que c'est encore le cas, avec un réseau diplomatique qui influence aussi et qui participe aussi à cette dissuasion d'ensemble, en fait, en l'occurrence. Donc vous voyez, la dissuasion, c'est pas juste une seule idée ou juste une seule composante qui fait que demain, on va pas attaquer la France. C'est quelque chose de plus complet. Et ça... Finalement, tous les jours, c'est remis en cause. Tous les jours, il faut le remettre en état, il faut le faire progresser. C'est quelque chose qui n'est jamais complètement acquis. Demain, on sera challengé et on va essayer de regarder si cette dissuasion est toujours aussi efficace.

  • Speaker #1

    Vous avez parlé d'entraînement. Ça consiste en quoi ? Parce que j'en ai jamais trop entendu parler, je pense.

  • Speaker #0

    En fait, l'entraînement, c'est tout ce qui précède l'engagement opérationnel. Et pour nous, c'est ce qu'on appelle la préparation opérationnelle, en fait. C'est-à-dire qu'avant de s'engager, pour être sûr qu'on s'engage dans de bonnes conditions et qu'on va remplir notre mission, on va... Énormément s'entraîner. S'entraîner, ça commence à s'insir. On va commencer à s'entraîner, à savoir comment on fait fonctionner une section, comment on commande. Puis après, on va aller de plus en plus loin, et puis dans le domaine technique. S'entraîner, c'est être capable de piloter un char. Alors au départ, sur un chemin normal, puis sur un chemin... un peu plus compliqué, puis sur un chemin complètement défoncé, etc. Et puis, une fois que vous avez piloté votre char et que vous le savez, le piloter dans les conditions les plus instables possibles, il va falloir ensuite engager le combat. Il va falloir le faire tirer, ce char, et le faire tirer en atteignant l'objectif. Donc, vous voyez, c'est ça l'entraînement. C'est partir des fondamentaux, c'est-à-dire des connaissances de base, piloter, utiliser son arme. se déplacer, ça on apprend à le faire. Puis ensuite on va y ajouter évidemment un contexte de plus en plus dur, qui va nous amener dans le contexte ou dans l'environnement du combat, et on apprend à combattre en entraînement. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de, notamment on a des terrains de manœuvre, sur lesquels, un peu partout en France, sur lesquels on s'engage presque en conditions réelles. Dans des villages de combat, dans des grands terrains découverts, dans des immenses terrains avec des réceptacles de tirs, où on peut faire des tirs d'artillerie, des tirs d'avions de chasse, de tous les types de tirs en fait. Et tout ça, c'est ça l'entraînement en l'occurrence. Et une fois qu'on a atteint un certain niveau, on va aller regarder, on va aller contrôler le niveau atteint, et ensuite à ce moment-là vous pourrez être engagé. Donc, vous voyez, tout ça, c'est... Et l'entraînement, c'est 90% de la réussite d'une opération. C'est-à-dire que c'est pas juste... Évidemment, quand on s'entraîne, on ne sait pas comment on va réagir le jour de l'engagement. Ça, je suis d'accord. Mais tout ce que vous aurez appris, tout ce que vous aurez... Voilà, tout ce que vous aurez... vu pendant ces périodes d'entraînement vous allez le reproduire le jour du combat et même instinctivement parfois donc c'est ça l'entraînement et ça nous prend beaucoup de temps c'est l'essentiel de notre vie en fait mais je vois à

  • Speaker #1

    moitié on va dire Comment ça peut réellement servir de dissuasion ? Comment ça va être vu par les autres pays, de manière générale, cet entraînement-là ?

  • Speaker #0

    En fait, on fait des entraînements où on y met des milliers d'hommes, avec des capacités complètes. Vous allez avoir à la fois des fantassins, des cavaliers, des artilleurs, du génie, de l'aviation légère de l'armée terrestre, mais également des bâtiments de la Marine Nationale, des avions de chasse. Tout ça va être remis dans le même exercice. C'est son exercice qui est parfois durant. relativement longtemps, avec des changements de place, avec des progressions, avec des obstacles à franchir, avec un ennemi face à nous. D'abord, un, on le montre. C'est-à-dire que l'idée, c'est aussi de dire, venez voir ce que l'on fait. Donc, on a même des journées qui sont réservées pour ça. Et puis, nos adversaires, ne vous inquiétez pas, ils se renseignent. Ils savent qu'on est capable de faire ça. Et plus on fait des exercices proches de ce qui peut nous arriver dans la réalité, plus finalement on va être considéré comme étant une armée sérieuse. Et c'est le cas pour la France.

  • Speaker #1

    D'accord, donc il y a vraiment un aspect communication.

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    J'aimerais bien passer sur un autre aspect qui est plutôt un aspect géopolitique, où vous avez eu une expérience, vous avez eu pas mal d'expériences à l'international avec l'OTAN aussi. Est-ce que vous pourriez me décrire vraiment votre rôle au sein de l'OTAN, en tant que vous étiez conseiller du président, si je ne dis pas de bêtises ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais assistant du président du comité militaire de l'OTAN. Le Chairman of the Military Committee. Et quel était mon rôle ? Donc c'est la plus haute autorité militaire de l'OTAN. Il fait partie de ce qu'on appelle du 12 stars c'est-à-dire que dans l'OTAN, 4 étoiles, ça correspond à un général d'armée dans l'armée française. Donc ils sont 3. Il y a le président du comité militaire de l'OTAN, qui est normalement la plus haute autorité. Il y a aussi le SACUR, c'est le Supreme Allied Commander in Europe mais qui est également le chef de la composante Europe de l'armée américaine. Donc il a deux casquettes. Et c'est un Américain, évidemment, avec tout ce qu'il y a derrière. Et puis ensuite, il y a un autre général qui est un Français, toujours, qui s'occupe de la transformation de l'OTAN, ce qu'on appelle le SACTI, Supreme Allied Commander for Transformation, qui lui est à Norfolk. Et ça, ces trois chefs, ce sont les trois plus hautes autorités militaires de l'OTAN. Sachant que l'OTAN est une organisation politique qui est donc dirigée par les chefs d'État et de gouvernement, en l'occurrence, qui sont représentés en permanence par leurs ambassadeurs à Bruxelles, et sachant qu'il y a un comité militaire qui, lui, est là pour conseiller l'autorité politique, l'OTAN étant une organisation politique, qui est composé, ce comité militaire, des chefs d'État-major de tous les pays qui composent... l'OTAN, et qui, eux, sont représentés en permanence par des représentants permanents. Donc il y a une autorité civile, une autorité militaire. Bien sûr, c'est l'autorité civile qui prime, bien entendu. Le Conseil de l'Atlantique Nord, d'ailleurs, ce sont les ambassadeurs, mais en fait, ce sont les chefs d'État et de gouvernement. Et une seule autorité militaire, ou les trois que j'ai citées au départ, peuvent être présentes dans ce Conseil de l'Atlantique Nord. Et bien sûr, le chef... Le président du comité militaire en fait partie. Alors quelle était ma mission, moi, auprès de ce général d'armée, ancien chef d'état-major de l'armée de son pays ? Donc moi, j'en ai eu deux, un danois, puis ensuite un tchèque. Eh bien en fait, la mission, c'est de les accompagner dans tout ce qu'ils font. On les accompagne dans tous les discours qu'ils prononcent. Donc on est là pour préparer leurs éléments de langage, leurs discours. On est là également pour préparer tous leurs déplacements. Et ils se déplacent beaucoup. Donc j'ai fait le tour du monde pendant trois ans. Et là, on a la responsabilité finalement de l'organisation, de la coordination. Et ce qui est intéressant dans ce rôle-là, c'est pas de préparer leur déplacement ou d'écrire leur discours. Ce qui est intéressant, c'est d'être le témoin de ce qu'ils voient et de ce qu'ils vivent. Et en fait, de rencontrer le président du comité militaire de l'OTAN, rencontre... les présidents des pays dans lesquels il va, les premiers ministres, les chefs d'état-major des armées. Et donc tout ça est d'une grande richesse. Faire des réunions où vous avez le SACUR, le SACTI et le CMC, c'est des moments incroyables. Parce que c'est là où tout se décide, en fait, en l'occurrence. Assister au conseil de l'Atlantique Nord quand vous avez les chefs d'état et de gouvernement qui se réunissent ou quand les chefs d'état-major de chaque pays de l'OTAN viennent au comité militaire. Ce sont des moments qui sont très riches, qui permettent quand on est un Conel un petit peu expérimenté, mais pas encore tellement expérimenté, de voir beaucoup de choses, de comprendre le fonctionnement des choses, d'avoir un discernement finalement que l'on apprend très rapidement au contact de ces autorités-là. Alors évidemment, ces autorités-là, elles nous donnent des directions à suivre, elles nous orientent, mais ensuite, nous, on est là pour les accompagner en fait, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    Et donc finalement, les trois instances que vous m'avez citées, elles vont présenter les situations des armées aux représentants politiques. Oui. Et comment... Quels vont être les sujets traités la plupart du temps ?

  • Speaker #0

    Les sujets, ils sont très très diversifiés, bien sûr. Mais ça va jusqu'à l'intervention. Est-ce que l'OTAN intervient dans telle situation ? C'est eux qui vont le décider. Il y a un moment, on va aller jusque-là. Se dire, que fait-on dans cette situation-là ? Et c'est le pouvoir politique qui va le décider. Parce que c'est bien une responsabilité politique. C'est pas les militaires. Les militaires, encore une fois, c'est un peu comme ce que je vous disais tout à l'heure au sein de la France. Les militaires vont donner un avis. Ils vont donner l'avis du comité militaire. Ils seront là pour l'exposer, y compris quand les décisions sont prises. C'est comme le secrétaire général de l'OTAN. Le secrétaire général de l'OTAN, lui, il est là juste pour animer, coordonner. Il ne décide rien. Ce sont bien les chefs d'État et de gouvernement qui décident à l'unanimité. Donc c'est quand même pas simple, parce qu'il faut que tout le monde se mette d'accord.

  • Speaker #1

    Justement, ça c'est un point que je ne savais pas. Je ne savais pas que l'OTAN, les décisions étaient prises au consensus, c'est-à-dire à l'unanimité. Comment ? Enfin, je me demande comment ça se passe à ce niveau-là.

  • Speaker #0

    C'est compliqué.

  • Speaker #1

    De un, il y a beaucoup de parties prenantes avec, j'imagine, des opinions divergentes.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Et de deux, j'imagine que ces personnes-là ont tous un minimum de caractère, puisqu'ils représentent leur pays. Bien sûr. Comment prendre une décision et la mettre en application derrière avec autant d'avis ?

  • Speaker #0

    En fait, tout ça, ça va se passer à travers des longues discussions. Chacun va faire des concessions. Donc l'idée... Je prends le cas extrême. Il faut intervenir dans une zone géographique. Forcément, vous avez un certain nombre de pays... Les États-Unis n'ont pas du tout les mêmes envies ou les mêmes contraintes que les pays baltes, par exemple, ou que les pays proches de la frontière orientale européenne. Les pays latins, c'est encore complètement autre chose, etc., etc. Donc chacun, finalement, a son ambition. Chacun a ses contraintes, chacun également a son opinion publique. Ça aussi, ça rentre en ligne de compte. Parce que forcément, lorsque vous allez dans une direction, vous représentez ce qui se passe dans votre pays. Donc vous avez aussi des pressions, en l'occurrence. Et puis à un moment, dans ces discussions, il va falloir que tout le monde se mette d'accord. Donc on va trouver le bon point. Parfois, ça peut prendre du temps. Parfois, ça peut se faire dans l'urgence parce que c'est une situation de crise. Mais très concrètement, on y arrive assez bien. Moi, je me suis retrouvé souvent dans des discussions. Alors avec mon rôle, je représentais pas la France. Mais il y a marqué en énorme que je suis français. Donc il m'est arrivé... Mon président du comité militaire, parfois, m'a demandé d'aller voir la délégation américaine pour bien expliquer quelle était la position de la France. Voilà. Ou d'être mandaté. D'ailleurs, tout ça, ça se fait un peu en coordination. On se parle les uns et les autres. Et chacun, à sa place, va jouer son rôle en expliquant. Voilà pourquoi nous agissons de telle façon, pourquoi la France bloque ou pourquoi la Turquie bloque ou pourquoi les États-Unis bloquent. Comment pourrait-on débloquer ? Qu'est-ce que nous sommes prêts à accepter ? Dans quelles conditions ? Et tout ça, finalement, se passe bien. Se passe bien. Mais je dis pas que c'est facile. Moi, j'ai connu des situations où j'étais même en porte-à-faux, parce que parfois, l'Américain m'a dit Mais je comprends pas pourquoi la France prend cette décision-là Ou alors on va voir la délégation X ou Y en lui disant Mais que faudrait-il pour que vous compreniez ou que vous acceptiez la position qui est celle qu'on défend ? Et puis en fait, au cours des discussions, on fait des ajustements, on fait des contre-propositions. Et puis à un moment, on se met autour de la table et on dit Bon, tout le monde a l'air d'accord Et là, on peut voter une... Une décision, en fait, en l'occurrence. Mais là aussi, c'est compliqué, parce qu'il y a beaucoup de monde au sein de l'OTAN. Je vous l'ai dit, sur le plan géographique, on a vraiment des contraintes très très différentes. Il y a ceux qui ont vraiment la pression de l'Europe orientale. Il y a ceux qui ont la pression du sud de la Méditerranée. C'est pas du tout la même. Le Canada est quand même assez loin de tout ça. Et pourtant, il est membre de l'OTAN. La Turquie, dans cette partie... de l'Europe ou déjà de l'Orient, encore d'autres préoccupations. Il y a forcément des volontés différentes. Donc c'est beaucoup de négociations.

  • Speaker #1

    D'accord. Et finalement, quand une décision est prise... Comment la suivre ? Quand l'OTAN intervient, comme vous l'avez dit, les pays sont dans des zones géographiques qui sont parfois très différentes. Et au-delà de ça, ça peut être encore très loin de tout le monde. Comment réussir à suivre ça ? J'imagine que ça rejoint un peu sur l'aspect d'état-major.

  • Speaker #0

    Après, c'est facile. Vous avez une structure militaire qui se met en place. C'est pas parce que tout le monde a voté une décision en disant on va aller s'engager à tel endroit que tout le monde va y aller. Donc ensuite, chacun va dire moi je peux apporter tel moyen, l'autre va apporter d'autres moyens et on va mettre en place une structure de commandement qui sera cohérente avec les moyens adaptés pour remplir la mission. Et tout ça va évoluer dans le temps aussi. C'est-à-dire qu'il peut y avoir une nation qui dit à un moment moi, je me retire de cette opération en prévenant qu'on va suffisamment à l'avance. Et puis pendant cela, d'autres vont prendre la place. C'est évolutif. Enfin tout est possible. Mais la décision, c'est ce qu'il y a de plus dur à prendre. Parce qu'une fois que la décision est prise, la mise en œuvre, en fait, la réalisation je dis pas que c'est facile mais c'est plus simple à mettre en place. Puis après, tout ça va évoluer. Parce que... La mission va évoluer, l'environnement va évoluer, le contexte va évoluer, les unités présentes peuvent évoluer également. Avec une structure de commandement qui sera toujours multinationale. Donc on n'est jamais tout seul dans son coin. Voilà. Et tout ça se fait de façon très raisonnable. C'est constructif. C'est-à-dire qu'on le fait... C'est évolutif. On le fait... Ça se passe très bien. Bon. Puis après, il y a suffisamment de monde dans l'OTAN pour arriver à mettre en place une force qui répondra à la... à la situation. Et notamment ceux qui ont poussé dans le temps, parce qu'il y en a toujours qui vont dire OK, on est d'accord, mais nous, on n'a pas de moyens à mettre en place Là, c'est déséquilibré. C'est sûr que les Américains n'ont pas les mêmes moyens que le Luxembourg, évidemment. Donc c'est pas la même chose.

  • Speaker #1

    Et finalement aussi, vous dites que ça évolue. Et lorsque ça évolue, il y a de nouveau plein de discussions qui sont pris au sein de l'OTAN, où c'est le commandement qui va pouvoir le faire. Non,

  • Speaker #0

    il y a toujours... Le Conseil de l'Atlantique Nord, sous sa forme des ambassadeurs, se réunit 2 à 3 fois par semaine. Et 2 à 3 fois par semaine, c'est à peu près la norme. 2 fois, on va dire, avec des sujets divers et variés. C'est-à-dire que... Tous les sujets vont passer dans ce cadre-là. Donc cette structure, elle est en place en permanence. Et en fait, elle répond vraiment à la demande. Elle répond vraiment à... Vous parlez des évolutions. Alors voilà. Quand il y a des évolutions, on en parle. En fait, il se parle en permanence. Et c'est très bien. C'est fait pour ça. Les chefs d'État et de gouvernement ne viennent, eux... Alors d'abord, ils viennent régulièrement. Il y a des sommets qui sont prévus pour ça. Mais il y a des sommets de l'OTAN. Donc là, on réfléchit vraiment sur... Comment on va se projeter ? Quelles sont les grandes orientations que l'on va prendre ? Ensuite, il y a les réunions qui sont pour les chefs d'État et de gouvernement, où là, on va avoir un ordre du jour qui est adapté pour les mois qui viennent. Il y a aussi les chefs de gouvernement qui viennent. Il y a aussi les ministres des Affaires étrangères. C'est quand même très, très organisé. Et les ministres, évidemment, toute la partie de défense, évidemment, les ministres de la Défense et la partie militaire. Donc oui, c'est quand même... Tout ça est très, très bien organisé. C'est avec beaucoup d'échéances. et on y va de très loin à très près en fait en l'occurrence donc en fait en permanence c'est évolutif d'accord

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour tout ça. On va passer à des petites questions de conclusion. Premièrement, quel ouvrage, donc ça pourrait être un livre ou un film, peu importe, vous conseilleriez ? C'est pas forcément lié à l'armée, c'est totalement un autre sujet.

  • Speaker #0

    Alors moi, j'aime beaucoup lire des biographies. Parce que je trouve qu'on apprend énormément de choses en lisant des biographies des grands hommes d'État, en l'occurrence. Il y en a une qui me vient à l'esprit, parce qu'elle est assez symbolique. Lorsque j'ai quitté l'OTAN, le président du comité militaire de l'OTAN, c'était le général Petr Pavel, au passage, qui est devenu président de la République, de la République tchèque aujourd'hui, et qui m'a offert un livre... que j'ai lu. C'est une biographie de Roosevelt... de Roosevelt, non, non, de Churchill, pardon. C'est un pavé qui doit faire 800 ou 900 pages en anglais. Mais je l'ai lu et j'ai appris énormément de choses, notamment sur la petite enfance, l'évolution, comment Churchill est devenu l'homme qu'il est devenu. Et j'ai trouvé ça remarquable parce que... On découvre qu'il n'est pas un bon élève. Tout ça ne se fait pas si facilement que ça. Et pourtant, ça devient un homme redoutable ensuite sur le plan politique notamment. Les biographies en général, Clémenceau, De Gaulle, j'aime beaucoup. J'aime bien également tous les livres d'histoire. Alors je vais vous citer un livre que je viens de lire. Puis en même temps, je vais faire la publicité pour un camarade. J'ai un camarade qui est général de division. qui s'appelle Nicolas Lenen, et qui vient d'écrire un livre qui s'appelle Armistice. Et c'est un roman, en fait, en l'occurrence, mais c'est un roman qui se passe après Dien Bien Phu, au moment où ceux qui étaient là-bas sont prisonniers et commencent à faire leur longue marche. Et il a élaboré toute une histoire qui est fantastique. J'ai lu ça pendant les vacances de Noël, avec une vraie intrigue. Et on y retrouve beaucoup... Beaucoup de choses qu'on a lues par ailleurs sur la condition militaire, sur ses coins soldats. Dans ce livre, il y a trois héros. Il y a un Allemand qui s'est engagé à la Légion étrangère après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est quand même pas anodin. Il y a un jeune Saint-Syrien qui sort d'école et qui se retrouve à la tête de sa section et qui se retrouve là maintenant prisonnier. Après la fin de Diem Bienfou, vous avez un jeune caporal qui est un paysan qui s'est retrouvé engagé un peu par hasard et qui se retrouve là-dedans. Finalement, ça reflète assez bien notre pays. Et voilà. Donc j'ai trouvé ça très bien. Si on parlait de films, alors c'est un peu militaire tout ça, mais je pourrais vous citer beaucoup de films, bien sûr, mais je vous citerais Le Grand Bleu parce que je suis méditerranéen. Et ça m'a marqué parce que je trouve que ça reflète bien la vie méditerranéenne, en fait, en l'occurrence, et aussi cette volonté de liberté, de vivre au grand air, en fait, ce qui nous rejoint un peu. Et puis, quand j'étais très jeune, j'avais vers 12 ou 13 ans... J'ai vu un film qui s'appelle Croix de Guerre. C'est un vieux film qui doit être des années 70. C'est un film de... Je me souviens encore, c'est Sam Peckinpah, le réalisateur. Et ce film, pourquoi il m'a intéressé ? Parce qu'il m'a choqué. Parce que j'avais, je vous le dis, de 12 ou 13 ans. Et c'est un acteur américain qui joue le rôle du héros, sauf qu'il joue le rôle d'un sous-officier de la Wehrmacht pendant la débâcle de Stalingrad. Et ça, ça m'a impressionné parce que pour moi, un Allemand, ça peut pas être un héros quand j'ai 12 ou 13 ans. C'est pas ce qu'on m'avait expliqué jusqu'à présent. En plus, c'est un sous-officier et forcément, il est remarquable alors que les officiers sont souvent pas au niveau. Et ça m'a forcé à me dire, ah ben non, en fait, c'est pas toujours comme on dit que les choses se font. Voilà, et ce film m'a vraiment marqué, en l'occurrence. Donc c'est un biofilm qui se passe sur le front russe. Et un Allemand héros, pour moi, ça a été compliqué. Surtout qu'on est dans les années 70 à ce moment-là, un petit peu plus tard pour moi, puisque j'avais 12 ou 13 ans, on devait être au début des années 80. Et j'avais encore mes grands-parents qui avaient bien sûr été engagés dans le conflit. Et forcément, on n'avait pas cette lecture-là. Donc ça m'a un petit peu étonné. Et ça a remis en cause un peu certaines certitudes que j'avais, si on peut dire qu'à 12 ou 13 ans, on a des certitudes.

  • Speaker #1

    Ouais, c'est marrant aussi, finalement, de voir que... Certaines généralités, des idées perçues et diffusées ne sont pas forcément réellement délocalisées.

  • Speaker #0

    C'est applicable aujourd'hui, d'ailleurs. Parce qu'en fait, on nous montre des choses et on nous dit c'est comme ça ou c'est vrai. Est-ce que tu l'as vérifié ? Est-ce que c'est si vrai que ça ? Est-ce que ça ne peut pas être contrebalancé par autre chose ? Est-ce que ça ne peut pas être nuancé ? Et en fait, c'est souvent les choses. C'est comme ça que ça se passe. J'ai une autre expérience, puisque vous me donnez cette occasion-là. Par hasard, je faisais un voyage de langue le 1er août 1990. Et donc je me suis retrouvé, moi, pendant trois semaines, j'étais en Jordanie, exactement, avec des copains. Et donc pendant trois semaines, on a vécu, on a entendu, on a regardé la télévision, on a écouté, on a partagé avec des gens qu'on a croisés dans la rue, tout ce qui se passait en fait avec la compréhension, qui était la compréhension locale. Quand je suis rentré en France, ma première discussion avec mon père a été très compliquée, parce qu'on ne se comprenait pas. Lui, il m'expliquait... Il avait une argumentation qui était celle qu'on nous donne en France, en Occident, on va dire. Et moi, j'avais toute l'argumentation qui avait été donnée par les locaux. Et en fait, on peut pas se comprendre. Et ça, j'ai trouvé ça très intéressant parce que je me suis dit... Mais en fait, est-ce que je suis libre de penser ce que je pense ? Est-ce que, de temps en temps, je ne dois pas me dire qu'en face, ils ont aussi des bonnes raisons de s'engager de cette façon-là, ou d'avoir ces idées-là, etc. Alors, ça nuance un peu, parfois, la compréhension des choses que l'on peut avoir. Là, c'était un bon exemple, parce que j'étais pourtant libre, j'ai écouté, personne ne m'a dit il faut penser comme ça Mais on a lu une presse qui n'était pas la nôtre, on a entendu des gens qui n'avaient pas les mêmes arguments que les nôtres, et c'est vrai qu'en Jordanie, en fait, ils étaient... Ils pouvaient expliquer également que le Koweït n'était pas forcément une finalité et que l'Irak avait peut-être raison.

  • Speaker #1

    Non, ça, ça m'est... Enfin, pas dans un contexte militaire, mais ça m'est marqué parce que j'ai fait mon échange il n'y a pas si longtemps, et de voir que juste dans d'autres pays, on ne pense pas du tout de la même manière, et le fait d'y vivre, vous ne percevez plus les mêmes choses forcément de la même manière.

  • Speaker #0

    Et ça, c'est important. Et si on n'a pas cette capacité à se dire que l'autre peut avoir une pensée différente... On passe quand même à côté de quelque chose. Donc il faut au moins se dire que, bien sûr que la façon dont on raisonne, c'est la bonne raison, que la défense de la démocratie, des valeurs de notre pays, tout ça, ça ne peut pas être mis en cause. Mais il faut aussi accepter que ça peut être autrement ailleurs et que quand on veut à tout prix imposer un mode de vie, un mode de pensée à celui qui est en face de nous... C'est pas forcément bien pris. Et c'est pas forcément... Est-ce que c'est même, d'ailleurs, adapté ? Alors ça, je le sais pas. C'est toujours, en tout cas, compliqué. Ce qui est certain, c'est que, à mon avis, ça peut pas se faire de façon brutale. C'est-à-dire qu'à un moment, on n'est pas arrivés, nous, non plus, en trois minutes, à ce niveau d'organisation, de démocratie, etc. Ça a pris du temps. On est passés par beaucoup d'étapes. Certaines très compliquées, d'ailleurs, en l'occurrence. C'est pour ça que c'est important de connaître l'histoire. Parfois, je suis un peu étonné parce que la jeune génération ne connaît pas très bien l'histoire de notre propre pays. Et c'est pour ça que c'est bien de lire aussi des biographies, parce qu'on comprend un peu le contexte qui était celui du moment. Ce n'est pas juste de lire la vie d'une personne, c'est de voir un peu comment elle s'est comportée dans un contexte qui était celui du moment, avec des problématiques qui étaient celles-là à ce moment-là. Et c'est important de se dire que tout ça s'est construit dans le temps. Il y a eu aussi des révoltes, il y a eu aussi des révolutions, il y a eu aussi des périodes sombres, il y a eu des périodes fastes. Et ça a amené à ce que l'on fait aujourd'hui. On ne peut pas dire à celui qui est en face, qui a un contexte complètement différent, qui a une histoire complètement différente, à partir de demain, tu vas rigoler, mais tout va être différent. Mais ça, ça ne fonctionne pas en fait. Mais nous, il nous a fallu du temps aussi pour arriver. Et il y a eu... à ce que nous sommes aujourd'hui. Donc il faut, voilà, je pense qu'il faut avoir au moins cette curiosité et ce regard-là vers l'autre. Y compris quand c'est notre adversaire, en l'occurrence.

  • Speaker #1

    C'est à faire, mais je pense que ça ne doit pas être forcément évident d'avoir l'information quand c'est un ennemi.

  • Speaker #0

    Oui, mais il faut se poser des questions. C'est-à-dire que lorsque je suis parti au Mali, en fait, on ne s'était pas tellement préparé. C'est venu quand même de façon assez brutale. Mais dans l'avion, j'étais encore en train de me dire, mais quel est mon adversaire ? Quel est mon ennemi ? Quelles sont ses préoccupations ? Quelles sont ses intentions ? Quelles sont ses motivations ? Est-ce qu'il est... Voilà. Parce que finalement, ça me permettait de me dire, est-ce qu'il va être... Il va accepter assez facilement de dire, OK, je ne vais pas plus loin, ou est-ce qu'il va être le... Au départ, on est tombé sur un ennemi qui était incontrôlable, et qui avait beau avoir face à lui un char ou un hélicoptère, il ne renonçait pas, il avançait. Donc, c'est une attitude très particulière, quand même, en l'occurrence, parce qu'elle ne mène forcément nulle part. Mais ça, il faut le comprendre. Si on ne l'a pas accepté... On ne peut pas y arriver. Il y avait des enfants soldats. Les enfants soldats, c'est des enfants qui ont été enlevés dans des villages, qui ont été conditionnés et sur qui on a mis des ceintures d'explosifs. Et puis voilà. Et comment vous gérez ça ? Si vous n'êtes pas préparé, si vous n'avez pas... Voilà. Et ces enfants soldats, je me souviens d'un notamment qu'on avait récupéré et qui avait une douzaine d'années. Bon, et pas plus. Et qui nous a dit, quand il a été prisonnier, la première chose qu'il nous a dite, c'est Moi, ce qui m'importe, c'est de combattre. Donc je m'engage auprès de vous pour combattre contre ceux qui m'ont enlevé dans mon village il y a quelques semaines. Bon, donc là on se dit, waouh, il y a du boulot derrière, il va falloir reconstruire cet enfant et ça va être compliqué. Voilà, et ça, il faut vraiment s'intéresser, c'est le côté humain. On n'a pas beaucoup parlé d'humain dans notre conversation, et pourtant il est bien au cœur de tout, y compris dans la compréhension de notre adversaire ou de notre ennemi.

  • Speaker #1

    Après vous être confronté à cet exercice, quelle personne vous aimeriez voir faire un exercice similaire ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Quelqu'un qui s'engage. On a bientôt les Jeux Olympiques, alors pourquoi pas un champion ou un athlète qui se prépare à affronter, parce que c'est le combat aussi, quand on part aux Jeux Olympiques, c'est le combat et puis il y a un seul vainqueur à la fin. Donc ça pourrait être intéressant, j'aimerais entendre avec les questions que vous posez, un athlète qui se prépare pour les Jeux Olympiques. Par exemple, ça peut être... Alors après si on va plus loin, c'est les Jeux Olympiques, c'est aussi les Jeux Paralympiques. Ça peut être aussi intéressant d'avoir un athlète qui se prépare pour les Jeux paralympiques, parce que lui, il a évidemment toutes les difficultés d'un sportif de haut niveau, mais il a aussi tout le reste. Et pour revenir à mon métier, on a beaucoup d'athlètes paralympiques, et d'athlètes d'ailleurs au sens large, qui font partie des forces armées. Donc ça, c'est toujours intéressant, c'est quelque chose qui est... qui est à la fois proche et éloigné de notre métier, mais dans l'engagement et dans la préparation. Vous voyez, on parlait de préparation tout à l'heure. Un athlète, qu'est-ce qu'il fait 90% de son temps ?

  • Speaker #1

    Il s'entraîne.

  • Speaker #0

    Il s'entraîne, il se prépare. Et le combat ou l'engagement, l'engagement opérationnel, en fait, c'est l'engagement, le match, parce qu'à un moment, il va se retrouver dans un match ou dans un combat. En fait, c'est une toute petite partie de sa vie. Et là, il ne faut pas la louper, dans l'occurrence. Et c'est tout ce que vous avez acquis par des répétitions multiples et variées. par une remise en cause permanente. Et c'est ça qui va fonctionner. J'avais eu la chance un jour d'échanger avec Jean-François Lamour, je crois que c'est Jean-François Lamour, qui avait été champion olympique deux fois, au Sabre, je crois. Et je lui avais demandé ce qui faisait qu'il allait gagner un assaut ou un combat. Et en fait, il m'a dit, mais c'est très psychologique, mais toute la préparation, elle est là. de se dire qu'il faut prendre l'ascendant sur son adversaire. Le combat, il se gagne comme ça. Et c'est toujours comme ça. Regardez en rugby. Si à un moment, vous laissez la moindre perception à votre adversaire qu'il y a une faille, il va s'engouffrer dedans. et malheureusement il va prendre le dessus alors que peut-être vous êtes meilleur que lui au fond, on a vu combien de matchs comme ça qui basculent du mauvais côté ou du bon côté d'ailleurs en l'occurrence je me souviens d'un très bon côté avec un France-Nouvelle-Zélande où on est mené de je sais pas combien de points en Coupe du Monde et puis d'un seul coup pendant 20 minutes ils mettent 40 points à la Nouvelle-Zélande ce qui est juste impossible, je l'ai vécu en direct et je me suis dit mais qu'est-ce qu'il se passe quoi Parfois, c'est dans le mauvais sens. C'est la dernière coupe du monde, malheureusement. C'est pas terminé. Je pense que ça s'est joué sur le plan psychologique, en l'occurrence. Oui, mais tout ça, c'est un tout, en fait.

  • Speaker #1

    Mais l'aspect psychologique, je pense que c'est un point... Dans le domaine des athlètes, c'est un point qui se développe beaucoup, même de manière générale, je pense.

  • Speaker #0

    Chez nous aussi.

  • Speaker #1

    Parce que j'avais écouté un podcast, et c'était Tony Parker et Teddy Riner qui discutaient. Et Teddy Riner disait qu'au-delà d'avoir un entraînement physique, maintenant, ils avaient aussi un entraînement psychologique, quelqu'un qui les suivait tous les jours.

  • Speaker #0

    Et oui, parce que... Alors, c'est vrai dans le sport individuel, ça l'est aussi dans le sport collectif. Des fois, vous voyez une équipe complète qui sombre. J'ai un exemple que j'avais trouvé intéressant quand je commandais la brigade à Clermont-Ferrand. J'étais souvent invité au match de rugby et je me souviens un jour d'avoir vu un match de Clermont-Ferrand contre Toulouse. Clermont-Ferrand menait au score et Toulouse se retrouve avec deux cartons jaunes. Donc à 13 contre 15. Donc Clermont-Ferrand mène et il se retrouve à 15 contre 13. Le match est fini. C'est à ce moment-là qu'il y a eu une révolte dans l'équipe de Toulouse et Toulouse a marché sur Clermont-Ferrand. À Clermont-Ferrand. à 13 contre 15. Et là, je me suis dit, c'est pas possible. C'est très psychologique. C'est-à-dire qu'à un moment, ils n'ont pas accepté un peu ce qui se passait, et ils ont fait des gestes qui étaient... C'était très audacieux, ils ont pris des risques, et ça a marché. Et ils ont gagné le match.

  • Speaker #1

    Comme quoi, faut jamais abandonner. On va passer à la dernière question. Aujourd'hui, vous êtes général au sein de l'armée Terre. Si vous aviez l'opportunité de pouvoir vous parler à la sortie de Saint-Cyr, qu'est-ce que vous vous diriez ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense que je dirais ce que je dis à tous ceux que je croise et qui sont plus jeunes que moi. Je pense. Je leur dirais... Enfin, je me dirais donc, puisque c'est ce que vous venez de me demander. Profite, parce que la carrière, on ne s'en rend pas compte comme ça. Moi, je suis presque à la fin de ma carrière. J'ai l'impression qu'elle s'est passée en cinq minutes. Donc, je dirais vraiment ça. Chaque moment... Il faut vraiment, vraiment, on ne le fait pas en réalité. On ne s'arrête pas, on ne se dit pas, je viens de vivre quelque chose d'extraordinaire, on ne profite pas assez de ce que l'on fait ou de ce que l'on vit. Et ça, je trouve que j'ai vu les années passer, moi, et à un moment, alors maintenant j'arrive à le faire, me dire, ok, je m'arrête deux minutes, et je me dis, voilà, voilà ce qui vient de se passer, voilà où j'en suis, voilà ce que je fais aujourd'hui. Mais ça dure deux minutes parce que tout de suite, on est appelé par autre chose, et de se dire... C'est pas mal, et c'est intéressant, j'en tire tel enseignement. Et c'est vraiment ce que je dis, et notamment à ceux qui vont prendre des temps de responsabilité, de commandement, je leur dis, ça va aller vite, ça va passer très vite, vous allez être aspirés par le temps, et par tout ce qui va se passer, donc prenez le temps d'apprécier ce que vous faites, parce que c'est exceptionnel. je pense que c'est le message principal parce que si vous appréciez si vous prenez le temps de vraiment profiter de ce que vous faites tout le reste va venir je pense que c'est un très bon mot de fin profitez

  • Speaker #1

    de chaque instant et de toutes les expériences que vous allez pouvoir vivre et je vous remercie encore une fois pour le temps que vous m'avez accordé et puis je vous souhaite une très bonne fin de journée merci,

  • Speaker #0

    vous de même

  • Speaker #2

    Bravo à toi ! Ça fait plus d'une heure et demie que tu nous écoutes. Une heure et demie que t'as la voix de deux personnes que tu ne connais pas dans les oreilles. En tout cas, j'espère que t'as pu tirer plein d'enseignements de cette discussion. Et si tu veux pouvoir comprendre la vision des leaders français d'aujourd'hui, n'hésite pas à t'abonner pour pouvoir écouter tous les autres épisodes. Et si tu peux laisser 5 étoiles, ça me ferait vraiment super plaisir. C'est un side project que je mène à goûter des études et des stages, donc ça demande pas mal de temps. Sur ce, On se retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode avec un nouveau leader.

Chapters

  • Présentation

    00:00

  • Leadership militaire

    11:07

  • Engagement opérationnel

    24:50

  • OTAN et géopolitique

    58:14

  • Questions de conclusion

    01:10:20

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