Speaker #0Salut, je m'appelle Amy. Bienvenue dans mon carnet où je vous invite à découvrir l'univers de mes textes, mais également ceux qui m'inspirent. Pour cette première saison, j'ai choisi de vous lire mon roman Ulysse et Calypso. La composition de ce texte... est né du désir de réécrire l'histoire d'un amour légendaire. Alors, si vous le voulez bien, laissons-nous en voguer, loin, très loin, bien après les crêtes des montagnes et l'immensité des mers, au cœur du monde, là où palpite l'île de Calypso. Épisode 11 Le secours d'Hermès La longue table en bois massif freinait en maître. Le silence était absolu. Pénélope observait Ulysse. Ulysse observait Télémach. Télémach observait la surface inerte du vin qui composait sa coupe. Chacun essayait de retrouver dans la présence de l'autre les flûves d'un passé qu'il avait gardé en mémoire. Plus d'une fois, le fils s'était imaginé le retour du père. C'était devenu comme un poème épique qui dansait dans son esprit, assemblant joie, rancœur, vulnérabilité. Finalement, ce n'était rien de tout cela. L'homme, comme un étranger, était assis à la table de son père. Le regard n'était plus le même. Et s'il n'avait eu cette cicatrice à la jambe, personne à Ithac n'aurait cru au retour d'Ulysse. Télémaque essayait de trouver quelques mots à prononcer, mais rien ne lui venait à l'esprit. Il n'y avait aucun convive pour remplir le silence. Le roi avait ordonné un repas simple, afin de profiter pleinement de la seule présence de sa femme et de son fils. Mais que pouvait-il dire après vingt ans d'absence ? Télémaque ne semblait pas le reconnaître. Pénélope le fixait étrangement. Elle avait tant changé, bien plus belle que dans son souvenir. Elle rayonnait. Son absence lui avait rendu une beauté qu'Ulysse ne lui avait jamais connue auparavant. Il oublia un instant Calypso. Athéna avait peut-être raison. Mais si le roi s'était glissé dans les pensées de la reine, son raisonnement ne se serait pas fait du même alliage. Il n'avait pas encore appris à écouter pleinement son cœur. Il s'accrochait, comme autrefois, au délice de l'apparence. C'était là sa faiblesse, l'apparence. Le glaive ne lui avait-il pas enseigné à trancher l'illusion ? Ou bien, à force d'user de stratagèmes, n'en avait-il pas fait sa compagne d'esprit ? Sur l'île de Calypso, il n'y avait aucune place pour l'illusion. Cette terre était le ventre du monde. La vie naissait dans son plus simple apparat. Pénélope se demandait de quelle façon il lui serait possible de se débarrasser d'Ulysse. Par quelle ruse elle pourrait le déconsidérer aux yeux de son peuple ? Devait-elle lui ôter la vie et faire passer cela pour un accident ? Devait-elle convaincre un immortel de plaider en sa faveur ? Les déesses et les dieux l'admettraient-ils comme reine d'Ithaque ? Jusqu'à présent, elle avait profité de l'absence du souverain pour diriger le royaume. On la soutenait par pitié, non par conviction. Elle s'en était accommodée. Mais voilà qu'aujourd'hui, Ulysse était de retour. Elle reviendrait l'épouse de celui qui règne. Cette idée la révulsait. Après vingt ans d'absence, il aurait mieux valu que cet idiot s'abstienne de rentrer, songea-t-elle. Il y avait quelque chose de changé en lui, qu'elle n'arrivait pas à définir. C'était une sorte d'apaisement dans le fond de son regard, une douceur qu'elle ne lui avait jamais vue auparavant. D'où pouvait-elle provenir ? La guerre l'avait-il adouci ? Où était-ce une femme ? Il n'y avait qu'une femme pour changer un mari pensa-t-elle. Le repas était interminable. Pénélope se leva et prétexta un mal de tête. Ulysse l'observa s'éloigner. L'envie de la prendre dans ses bras s'élevait en lui. Calypso émergea dans un coin de la pièce. Le roi d'Itaque eut un sursaut avant de se rendre compte qu'il s'agissait simplement d'une domestique. La culpabilité flottait encore quelque part en lui. Les yeux de la nymphe semblaient surgir et se débrouillent. n'importe quand, comme pour nourrir son souvenir. Allait-elle enfin comprendre qu'il fallait l'oublier, le laisser tranquille ? Il était un homme marié de retour chez lui, auprès de son fils et de son épouse. Il se rendrait au temple pour demander aux immortels de le libérer de cette nymphe encore trop présente à son esprit. L'évestale détiendrait bien quelques rituels de séparation pour le débarrasser de cet inexplicable attachement. L'inexplicable ne pouvait être défait que par les immortels. Le fils et le père continuèrent de dîner en silence. Puis Ulysse décida à parler le premier. Que prévoyez-vous de faire de votre avenir ? La question résonna sur les murs du palais et le roi prit conscience de l'impertinence de son propos. Il n'avait été là ni pour voir grandir Télémach, ni pour le guider durant ses plus jeunes années. Et maintenant, il osait lui demander ce qu'il espérait faire de son avenir. Le fils ne s'en offusqua pas. Il répondit le plus simplement du monde qu'il désirait suivre les traces de son père. Cet aveu le troubla. Il ne lui semblait pas que cela soit une bonne chose. Durant des années, il avait tué des hommes, il avait su protéger ses derniers compagnons d'armes, il s'était fait plus d'un ennemi chez les immortels, il s'était absenté de son foyer. Plus que la décence ne l'acceptait, et surtout, il n'avait jamais vécu comme son cœur le lui dictait. Il s'était dressé contre ce dernier toute sa vie, essayant de maîtriser ses désirs, ses passions, ses élans véritables. Il avait vécu enchaîné au protocole, à ce que la société attendait de lui. À bien y réfléchir, ce n'était qu'en présence de Calypso qu'il s'était laissé aller à l'écoute profonde de son cœur. Êtes-vous sûr de vouloir le même destin ? Car entre nous, mon fils, je ne le souhaiterais pas même à mon pire ennemi. Télémaque baissa les yeux. Ses joues s'empourprèrent. Non, il ne le voulait pas. Mais ce qu'il désirait au plus profond de son être, il ne pouvait l'avouer à un père, encore moins un héros de guerre. Comme il fait sombre ici, comme tout est froid, glacial, sans vie. La terre, endeuillée, la rose aux raisons funèbres, l'abeille même s'y est cachée pour mourir au foyer. Je veux goûter les saveurs de la terre. ta peau aspirer la fleur entre tes lèvres et jouir sur ton sein en répandant le miel je veux élever ta voix et assourdir la mienne je veux me fondre en toi ne jamais plus te quitter nous serions La vigne et les sarments ardents Entre l'adamant et corps frémissant Je resterai en toi Tu resterai en moi Une ouffée lourde au berceau de la treille Éclaterait de joie Une morsure du soleil L'île était encore plus belle que dans son souvenir. Un écrin d'or au-dessus de la mer, les vagues s'alanguissaient sur la plage, les arbres s'étiraient vers le ciel, dissimulant sous l'écorce les prémices d'un printemps retrouvé. Ulysse respirait à nouveau. Lorsqu'il fermait les yeux, il apercevait Pénélope s'agitant au-dessus de son corps. Lorsqu'il les ouvrait, son âme s'approchait un peu plus de celle qu'il aimait. Calypso était assise sur le bord d'un rocher. Sa robe légère flottait dans le vent. Elle fredonnait l'un de ses chants qui donnent au cœur des mortels le courage d'aimer. Le ventre de la nymphe s'était arrondi. Le roi d'Itaque resta un moment sans bouger, les yeux fixés sur ce ventre plein de vie. Calypso ne réagissait pas. Seul, Ulysse pouvait la contempler. Ton fils au roi d'Ithaque. La voix qui venait de s'élever derrière lui était celle du dieu Hermès. Il pouvait la reconnaître entre mille. Combien de fois l'avait-il entendue sur les champs de bataille ? N'est-elle pas magnifique ? Ulysse émit un grognement. Vous ne manquez pas de hardiesse. Pourquoi en manquerais-je ? s'étonna le fils de Zeus. Vous m'avez séparée de celle que j'aime. Je suis comme le plus misérable des mendiants, des proscrits, des bannis, réduit à ne l'avoir sans nulle solidité. Je ne puis ni l'embrasser, ni la toucher, ni même la supplier de pardonner à ma lâcheté d'homme. Je ne suis qu'un lâche, un lâche que d'autres aiment nommer héros de guerre. Mais rien n'est plus lâche qu'un héros de guerre, car c'est par le sang qu'il dérobe la victoire. Et maintenant, vous venez contempler votre œuvre. Vous venez la conscience intacte, savourez la déchéance d'une âme brisée, et trouvez encore l'audace de venir lui parler. Je ne suis qu'un simple messager, je ne suis pas responsable des décisions que l'on a prises contre vous. Vous êtes un dieu, vous aviez le pouvoir de faire entendre votre voix. Vous aviez le choix de m'aider ou d'appliquer les ordres divins. Mais vous, vous avez préféré plier devant l'injustice. Toute cette histoire, entendez-moi bien qu'elle soit divine ou pas, Toute cette histoire n'est qu'une odieuse injustice, et vous le savez mieux que quiconque. Le silence les enveloppa. La partie du monde où ils se tenaient était une sorte de sillon atemporel. Le moindre bruit se décuplet avec force et fracas. La colère du héros n'était pas venue troubler le monde de Calypso, ni même celui de Pénélope. Elle n'avait eu d'écho qu'ici, entre le dieu des voyageurs et le roi d'Itaque. Il est encore possible de réparer mon erreur. Élise s'observa Hermès. Ce Dieu, disait-il, la vérité ? Ou était-ce encore une perfidie des immortels ? Fils d'Anticlée et de Laerte, je te jure solennellement de te soutenir et de contribuer à ton bonheur. Laisse-moi t'expliquer de quelle manière il te serait possible de revenir auprès de celle que ton cœur désire. Élise s'inclina la tête en guise d'approbation, puis écouta le fils de Zeus. L'idée était de convaincre Athéna de laisser le pouvoir du royaume d'Ithaque entre les mains de Pénélope, puisque cette dernière le désirait. Il fallait également rallier la majorité des immortels à cette cause, mais cela ne semblait pas inquiéter Hermès. En revanche, le plus délicat était de simuler la mort d'Ulysse pour chasser le courroux de Poséidon, afin de lui permettre de rejoindre l'île de Calypso en toute sérénité. Tout cela paraissait de bonne augure. Mais Télémaque, que deviendrait-il ? Le père ne pouvait penser à son propre bonheur sans prendre en considération celui de son fils. Cela lui était impensable. Quel est son vœu le plus cher ? demanda le fils de Zeus. Ulysse n'en savait rien. La culpabilité empourpra ses joues, et il baissa le regard, honteux de connaître si peu la chair de sa chair. Tu n'as pas à être gêné, ô roi d'Ithaque. Vingt ans d'absence, c'est un bien grand vide entre un père et son enfant. Laisse-moi le temps de lui parler, de sonder son âme, ô Hermès Cryophorus. Je ne souhaite pas m'en aller sans assurer son bonheur. Ulysse cruta le ventre de Calypso. Comment pourrais-je être un bon père pour ce deuxième enfant si je délaisse le premier ? Prends le temps qu'il te faudra. Sur ces dernières paroles, le fils de Zeus posa sa main sur l'épaule du héros, puis s'évapora dans les airs. Ulysse observa une dernière fois Calypso avant de rejoindre Pénélope. Quand il entra dans son corps, il s'entendit pousser un cri rauque et profond. Il venait d'expulser sa semence dans le ventre de Pénélope. Eh bien, j'ai bien cru que vous ne viendriez jamais, lança-t-elle froidement. J'avais oublié à quel point vous aviez peine à jouir. Elle ne sembla pas avoir ressenti le moindre plaisir. Si le roi d'Itaque n'avait vécu ce qu'il venait de vivre, la remarque de la reine l'aurait certainement blessée. Mais ce fut l'inverse qui se produisit. Il était rassuré. Pénélope ne l'avait jamais aimée et ne l'aimerait jamais. Il pouvait donc la quitter sans l'ombre d'un remord. Ulysse l'embrassa sur le front, heureux d'en être libéré. Tu poseras doucement la couronne sur mon front, puis de tes larmes chercheras à laver ton affront. Mais mon cœur, fatigué, saura-t-il pardonner à celui qui un jour refusa de l'aimer ? Tu as choisi la mer sans un regard pour moi, matin pâle d'hiver au baiser d'autrefois. Il semble que là-haut ils érigent des croix. comme on aime sur terre embrasser notre foi. Rien n'est plus plaisant pour eux que d'infliger le deuil aux amants douloureux, au bas fond d'un cercueil. Alors, comme un cercle grandissant à la surface de l'eau, je laisse mes voeux au soupir des ramons. Je laisse mes prières chanter avec vigueur la lumière qui nous donne l'espoir d'un jour nouveau. Vous venez d'écouter l'épisode numéro 11. Voix et texte, Émilie Bénéraud. Musique, Paul-Adrien Bénéraud. Illustration, Alphie, Légis, Béatrice Bénéraud. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode.