Speaker #0Salut, je m'appelle Amy. Bienvenue dans mon carnet où je vous invite à découvrir l'univers de mes textes, mais également ceux qui m'inspirent. Pour cette première saison, j'ai choisi de vous lire mon roman Ulysse et Calypso. La composition de ce texte... est né du désir de réécrire l'histoire d'un amour légendaire. Alors, si vous le voulez bien, laissons-nous en voguer, loin, très loin, bien après les crêtes des montagnes et l'immensité des mers, au cœur du monde, là où palpite l'île de Calypso. Épisode 13 La fin d'un règne Ulysse était l'aimant qui avait marché durant des heures entières à travers les vignobles et les champs d'oliviers. Les arbres et les cépages nus semblaient annoncer la fin d'une époque et le début d'une autre, une ère nouvelle qui se dessinait. Le père et le fils pouvaient la sentir planer autour d'eux, plus rien ne serait comme avant. Des paysans les invitèrent à partager leur repas, une soupe de poisson, du pain garni d'ail et quelques fromages aux olives. Les saveurs aromatiques du vin glissèrent dans leur cœur toute la force nécessaire pour affronter Pénélope et les immortels. Lorsqu'ils arrivèrent au palais, une agitation peu commune régnait parmi les domestiques. On avait vu Athéna et Hermès entrer dans la salle du trône. Pour la plupart des mortels, cela n'augurait rien de bon. Pénélope les avait reçus et depuis, ils étaient restés à l'intérieur. C'était à peu près tout ce qu'on pouvait raconter au roi et à son fils. Un jeune serviteur gardait l'égide et la lance d'Athéna. Le pauvre garçon était si pâle, si dégoulinant. Puy-Lys éprouva de la peine pour lui. Le moindre bruit lui aurait porté un coup fatal au cœur. Mais on pouvait lire dans le regard du garde de la fierté. Avoir été choisi comme l'homme de confiance de la déesse aux yeux perses, il n'y avait rien de plus gratifiant au monde. Ulysse posa sa main sur l'épaule du novice en signe de solidarité, puis continua son chemin jusqu'à la salle du trône. « À quoi devons-nous nous attendre ? » demanda Télémaque. « À rien, et nous ne serons pas déçus. » Alors le fils esquissa un sourire. « Il n'y avait plus sage conseil, se dit-il. » Athéna et Pénélope cessèrent tout dialogue lorsque Télémaque et Ulysse firent leur apparition. Hermès semblait fatigué. Il s'était assis dans un coin de la pièce et attendait que le conciliabule finisse. Il n'était pas un dieu très bavard, contrairement à l'image que l'on se faisait de lui. Les longues conversations l'épuisaient. Cela lui rappelait peut-être les discours interminables de sa mère et la façon dont elle le poussait à formuler son propre entendement. Pour apaiser son esprit agité, le dieu fumait l'herbe sacrée et s'amusait à projeter de larges cercles en direction du ciel. Athéna parlait pour deux. Rien ne semblait pouvoir l'arrêter. À la dernière assemblée des dieux, il avait réussi à plaider en faveur d'Ulysse, auprès de Zeus et des autres immortels. Athéna était arrivé en retard. Il avait pu saisir la parole en premier et exposer les faits comme il l'entendait. Son éloquence n'était un secret pour personne lorsqu'il décidait d'en nuiser. La déesse aux yeux perses n'avait eu le temps de s'interposer que l'affaire fut déjà considérée comme réglée. Cela lui avait valu quelques remontrances de la part de sa sœur, mais Hermès lui exposa simplement les faits. Pourquoi ne pas laisser Pénélope régner sur Ithaque ? Elle était assez douée dans ce domaine et l'avait démontrée durant vingt ans. Certes, on lui reprochait d'avoir beaucoup d'amants, et alors ? Athéna connaissait-elle un seul monarque digne de ce nom qui ne possédait pas de maîtresse ? Cela les empêchait-il de régner convenablement ? La fille de Zeus argumenta que les femmes éprises étaient bien plus faibles que les hommes. L'amour ou le désir amoindrissaient leur vigilance, et cela pouvait être dangereux lorsque la vie d'une cité en dépendait. « Allez donc répéter ces propos à Artemis ! » lança-t-il rieur. « Artemis est vierge ! » Allons, chère sœur, ne me dites pas que vous croyez encore à ces sottises. Si Artémis est vierge, alors je suis le chef de file de la virginité. Réveillez-vous ou votre conservatisme vous perdra. Un silence glissa entre le dieu et la déesse. Puis, Athéna répondit avec une voix claire et déterminée. Dans ce cas, Pénélope doit faire ses preuves. Ses preuves ? Je vais attiser le doute dans ses pensées à propos d'Antinous. Elle connaît déjà son infidélité politique à son égard. Je veux qu'elle y mette un terme l'exterminant. N'avez-vous pas un moins radical ? « Non, c'est une méthode assez efficace, peu démocratique. Si elle réussit, je m'en rangerai de votre côté. La conséquence, c'est tant de laisser Ulysse rejoindre Calypso, en avez-vous conscience ? Nous verrons en temps et en heure. » Ainsi parla la fille de Zeus. Mais ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était que Pénélope allait se débarrasser d'Antinous avant même qu'elle ne le lui suggère en rêve. La reine avait réussi son épreuve avant qu'on ne lui en fournisse le sujet. Pour Athéna, l'exploit était si grand qu'elle se prit d'une affection profonde pour cette mortelle et se désintéressa complètement d'Ulysse. L'ancien héros pouvait bien voguer où bon lui semblerait. Le fils de la herte ne méritait plus son titre de roi. Pénélope était heureuse. Elle conserverait sa place, disposerait officiellement du pouvoir et n'aurait pas à tuer son époux. Non que l'acte lui inspirait de la crainte, mais plutôt une sorte d'étrange tristesse. Après tout, il était quand même le père de son fils. Ce n'était pas une chose insignifiante. « Il reste encore un détail à régler, » intervint Hermès. « Poséidon, organisons mes funérailles, » enchaîna Ulysse. « Faisons croire à l'ébranleur de la terre que son vœu le plus cher s'est enfin réalisé. Cela mettra fin à sa vengeance et Pénélope prendra le pouvoir en toute légitimité. » « La femme est-elle légitime en ce qui concerne la prise de pouvoir ? » ironisa Pénélope. Lorsque les immortels soutiennent une personne, Les mortels sont miraculeusement moins obstinés à la déconsidérer, ajoute Attelemac. Sur les bords de l'érebe, Hermès s'était entendu avec Hadès. Le dieu accueillerait l'âme d'Antinous, tandis qu'il laisserait croire aux mortels et immortels qu'Ulysse, le héros de guerre, venait d'entrer dans son monde. Hermès détenait de sombres secrets qui avaient décidé le dieu des enfers à accepter la ruse. Et même si la tromperie venait à être découverte par Poséidon, Hermès étant le dieu des messagers, celui-ci aurait tout le loisir de ralentir la nouvelle pour qu'Ulysse rejoigne Calypso. Les funérailles eurent lieu. Athéna offrit les traits du roi au visage du défunt Et le corps d'Antinous fut préparé avec soin. La cérémonie dura plusieurs jours. Pénélope ne pouvait s'empêcher de penser à l'ironie du destin. De son vivant, Antinous avait tant désiré être roi. Et maintenant, il était enterré avec tout le respect accordé à un souverain. Ulysse assista à ses propres funérailles sous le visage d'Antinous. Athéna excellait dans l'art du camouflage et personne ne se doutait alors que le vivant était le mort que l'on avait devant soi. Il était bien étrange pour Ulysse de surprendre les pleurs. Non ceux de ces femmes venues comme la coutume l'exigeait répandre des larmes qu'on leur avait commandées, non. Les pleurs des inconnus, c'était cela qui bouleversait son esprit. Il s'était mêlé à la foule même si en tant qu'antinous, son rang lui permettait de s'en extraire. Et là, plongé dans le cœur du peuple, il avait pu constater à quel point il était apprécié. Mais les souvenirs que la foule se partageait n'étaient pas ceux qu'il avait gardés en mémoire. On lui vouait un culte de héros, de père en souffrance, d'époux trompés. On lui érigeait un temple de vertu et d'honneur. On brûlait l'encens en élevant les prières vers le ciel, comme on l'aurait fait pour l'un de ses immortels. Bientôt, son nom serait gravé dans le marbre, et il ne resterait que les souvenirs du héros de guerre, mais rien de l'homme qui avait foulé la terre comme tant d'autres avant lui. La vérité serait celle que l'histoire des mortels voulait lui consacrer. Alors, il fut soulagé. Soulager que ses funérailles ne fussent pas les siennes, mais celles de ce passé qui lui collait à la peau depuis tant d'années. Il savourait enfin une liberté véritable. Il la ressentait dans sa chair, dans ses os, dans son âme. Hermès se glissa à ses côtés. Pour n'être pas reconnu, il avait pris l'apparence d'une vieille femme. Il posa sa main sur le bras d'Ulysse et dit doucement « Le prix de la liberté étant que tu ne pourras plus revenir à Ithaque. » L'ancien roi acquiesça fermement. Le titre de roi appartenait désormais à cet homme que l'on mettait en terre. Le royaume d'Ithac revenait à Pénélope. Son fils avait choisi de parcourir le monde en compagnie de Phémios. Plus rien ne le rattachait à cette île. Il ne désirait que sentir l'embrun sur son visage. Prendre la mer pour rejoindre l'île bien-aimée, là-bas, vers l'ouest. Il renaîtrait au monde. Moumou Les lampes dans la nuit éclairent le chemin. Et mille fois je me lève pour scruter le destin. Mille fois sous la lune, j'interroge les étoiles. Mille fois, je prie pour une seule voile. Parfois, une ombre surgit des flots et mon cœur fou pense te voir sur son dos. Il te voit comme je te voyais autrefois. Alors je m'élance et cours pour rompre la distance. Je nage, je nage, mais ma raison s'éveille. Et soudain, au milieu de nulle part, se dissout mon sommeil. Je reste là, à la surface de l'eau. Notre enfant dans mon ventre et la mer pour mon dos. Le lendemain, Ulysse salua Phémios. Il embrassa son fils et il fit promettre de lui rendre visite. Le ciel était pâle. Une étrange lumière se reflétait dans l'eau. Le soleil déjà haut dans l'azur perçait délicatement les nuages. L'onde transparente caressait la coque de la petite embarcation. Ulysse était heureux. Mais il sentait que ce bonheur pouvait encore lui échapper. Il aurait tant voulu s'élancer dans les airs. Il savait que son âme en était capable. Mais les mortels ne s'étaient pas incarnés pour oublier leur corps. Ils étaient attachés à la matière. C'était là leur plus grand défi. Peut-être était-ce pour cela que le voyage lui plaisait tant. Peut-être était-ce sa manière de fuir la lourdeur de l'incarnation. Mais lorsqu'il était sur l'île de Calypso, il ne ressentait plus le besoin de sillonner le monde. La sensation de s'être entièrement réalisé parcourait non seulement son corps, mais également son esprit. Sentiment qu'ici, à Ithac, il n'avait jamais éprouvé, comme Télémaque le comprenait. L'heure de son départ approchait. Pénélope l'avait à peine saluée, trop occupée à régler les affaires du royaume. Quant à Athéna... Elle s'était désintéressée de son sort. Seule, Phémius, Hermès et Télémach vinrent bénir son voyage. Les immortels avaient laissé du temps au fils pour réfléchir à son avenir. Il avait donc décidé de parcourir le monde en compagnie de son amant. Cette fois, à l'image de son père, il n'était pas certain de revenir un jour à Ithac. Les immortels accepteraient mal ce choix, mais ils savaient aussi qu'à trop écouter les autres, on en oubliait de s'écouter soi-même. Si pendant des années, il avait laissé les rumeurs le maintenir dans la croyance d'être lié au pouvoir politique et militaire, aujourd'hui, il comprenait enfin que rien de tout cela ne forgeait son identité. Seul, son âme connaissait le chemin. Il regarda son père s'éloigner de sa mère, il contempla cet homme libre, Enfin d'écouter son cœur, la voile blanche flottait dans le vent, et Ulysse, par la brise, embrassa son enfant. Le désir est un mondial traversant chaque village. Une grive musicienne, cherchant les baies sauvages, qui au calme des bois, parfois, relèvent la tête, et semblent entendre loin les rumeurs d'une fée. Vers toi, je viens, ma bien-aimée. Je viens pencher mes lèvres, et au vase sacré m'abreuver d'amour que je n'ai su garder. Oui, je fus là, et cent fois j'ai trahi tous nos rôles, nos baisers à l'empire égravi. Mais aujourd'hui, je veux, à mille feux réunis, scindre sur ton front les éclats de la vie. Vous venez d'écouter l'épisode numéro 13. Voix et texte, Émilie Bénéraud. Musique, Paul-Adrien Bénéraud. Illustration,