Speaker #0Salut, je m'appelle Amy. Bienvenue dans mon carnet où je vous invite à découvrir l'univers de mes textes, mais également ceux qui m'inspirent. Pour cette première saison, j'ai choisi de vous lire mon roman Ulysse et Calypso La composition de ce texte... Aînés du désir de vie écrivent l'histoire d'un amour légendaire. Alors, si vous le voulez bien, laissons-nous en voguer, loin, très loin, bien après les crêtes des montagnes et l'immensité des mers, au cœur du monde, là où palpite l'île de Calypso. Épisode 5 La guérison Une délicieuse torpeur enveloppait l'île. Chaque pierre, chaque fleur, chaque être sur cette île y était préservé de la laideur des hommes. Ulysse s'enfonçait un peu plus dans la douce moiteur du lieu, anesthésiant les douleurs du passé. Ici, se disait-il, il lui serait possible de penser ses blessures. Loin des combats, des pièges, des devoirs, il respirait à nouveau. Les crânes et le sang de ses ennemis avaient obscurci ses pensées, et il rêvait de balayer de sa mémoire tous ses crimes dont la guerre l'avait rendu coupable. La nuit était lourde à porter, mais le sourire de Calypso guidait ses pas vers la résurrection de son âme. Tel un flambeau, elle éclairait les lambeaux de son cœur, et avec douceur l'aidait à les tisser à nouveau de bonheur. Sous les cascades d'or des mimosas en fleurs, elle dévoila son corps. Ulysse la contemplait. Elle s'était déshabillée devant lui le plus naturellement du monde. Le tissu brodé glissa le long de sa peau ambrée. Un grain de beauté agitait l'essence d'Ulysse. Il y voyait le monde, celui qu'il s'évertuait à parcourir depuis toujours. Il y voyait l'éternelle conquête. la possibilité de rallier à lui une terre inconnue. La poitrine de Calypso s'offrait au soleil. Les bouts de ses cinq orgées de vie se dressaient vigoureusement. La bouche d'Ulysse affolée essayait vainement d'être sage. La nymphe riait. Elle s'approcha, ses yeux interrogèrent ceux de son amant. Elle pencha doucement sa tête. Ses lèvres s'entrouvrirent légèrement, et dans un souffle unique, elle prononça son nom. Ulysse. Cela ressemblait au bruit léger d'une cascade. Ulysse. Pris de vertige, il n'écouta plus que les élans de son cœur. Les chavirères sur l'herbe brunie par du soleil d'été, roulant librement jusqu'au pied d'un tiguel en fleurs. L'odeur légère se mêlait à la senteur boisée d'un cèdre qui se tenait non loin de là. Calypso amena Ulysse à ralentir. Leur corps devait apprendre à se connaître avant d'accéder à des profondeurs plus intimes. L'on doit mon décher, qui s'appelait, se désirait, s'y traînait, se fluidifiait dans le présent, les pensées émergeaient. et se dissolvait sous les caresses. L'esprit devenait conscience. Il goûtait à l'extase sans chercher de jouissance particulière. Calypso répétait qu'il n'y avait rien à atteindre. Elle guidait le héros de guerre vers des sentiers plus authentiques que ceux du désir de conquête. Sentir et ressentir était la guérison suprême. Être au monde tout simplement. Calypso ondulait entre ses bras. L'énergie vitale s'élevait en elle comme une douce vague. Chaque fibre de leur corps s'imprégnait d'extase. Et lorsque le désir d'exulter devenait trop intense, alors elle suspendait le mouvement. Le besoin dilatait la perception. Dans un sursaut patriarcal, Ulysse songeait à la posséder. Mais sur cette île, la possession n'existait pas. Et Calypso, avec patience, le protégeait de nouveau contre cette pulsion dominatrice. que la société lui avait inculqué depuis sa plus tendre jeunesse. Ici, les corps se liaient au ciel et à la terre. Ils se mêlaient à la substance des étoiles et de l'humus. Au loin, le doux brissement d'une rivière. Le vent tiède traînait les chaires. Le soleil et la terre emportaient les amants vers plus de conscience. Au creux du tilleul en fleurs, ils s'unirent pour la toute première fois. Calypso soignait l'âme d'Ulysse, Ulysse libérait l'âme de Calypso. La déesse et la nature fusionnaient. Le multiple devenait unique, mais lorsqu'en elle Ulysse la rejoignait, l'unique redevenait bourgeonnant et déployait avec force toute la richesse du multiple. Ils restèrent ainsi l'un en l'autre. L'écorce de l'arbre devenait l'écorce de la vie. Appuyés sur elle, les amants respiraient d'un même souffle. Plus rien n'avait d'emprise sur eux, ils s'aimaient de cet amour flamboyant qui se donne par-delà le temps. À l'ombre d'une source, ils reposèrent leur corps. L'odeur des figues se dilatait dans les airs, des grains d'or s'offraient au soleil. En cortège, les filles d'Aristée montaient au temple de l'Azur. Elles célébraient les noces joyeuses, des tulipiers en fleurs, et portaient avec noblesse les bruissements d'une horizon secrète. Au milieu des gens, tu émergeais, vrai Dieu. Où est le temps ? me demandai-je. Durera notre amour avant que l'ombre des dieux ne vienne corrompre le vin de notre coupe ? Combien d'heures encore pourrons-nous goûter au vertige, à l'étreinte de nos âmes ? Combien de matins avant que ne sombre le jour et n'apparaisse la nuit ? Il faut ne plus y songer. L'instant se perd dans l'égarement des pensées. Cueillons-le, savourons-le, et laissons l'avenir aux sanctuaires d'Apollon, aux Sibyl, aux oracles, à la morte saison.
Speaker #0Voir un cadavre était une chose effrayante, mais découvrir celui de son ami le plus cher voguait au-delà de l'insoutenable. Des larmes s'élevèrent en lui et il pleura l'irréparable. Ce fut finalement dans cette disposition morale qu'il se présenta devant l'être. Quelle pensée assombrit ton humeur, ô roi d'Ithaque, homme aux mille ruses ! Ulysse continuait de pleurer. Les larmes s'étaient transformées en sanglots, et fatigué, il se laissa glisser au pied de l'être. Une brise légère parcourut les rameaux. Les feuilles de l'arbre se mirent à siffler dans le vent. Elles fredonnaient une mélodie d'un autre temps. L'arbre, tel un naïd, chantait pour adoucir la peine. De ses branches basses, l'interprète du cœur des hommes frôlait tendrement la chevelure d'Ulysse. La mort se tenait près de lui. Elle le regardait. Désolée d'être une fois de plus celle qui lui brisait le cœur. Mais c'était là les conséquences de sa présence au monde. Il y avait un achèvement pour tout commencement. Elle aurait aimé lui parler d'Achille, lui dire que chaque sourire détenait en son sein une part de ce qu'il avait perdu. L'achèvement n'était pas semblable à la fin. Elle était la transformation nécessaire à la vie. La nature le savait bien plus que les hommes et les dieux. C'était en elle que résidait la puissance supérieure. Lorsque Ulysse retrouva un peu de calme, il s'adressa à l'arbre. Fils du ciel et de la terre, je te prie de bien vouloir me pardonner cet instant de faiblesse. Il n'y a rien à pardonner, les larmes ne sont pas faiblesses, n'est-ce pas d'ailleurs celles du ciel qui me font croître vigoureusement vers la lumière ? Il y eut un silence, puis l'être reprit la parole. Dans l'existence, il n'y a jamais de vainqueur. À la guerre, certains mortels et immortels pensent être victorieux. C'est là leur plus grand égarment. Frappé par l'illumination, Ulysse comprit soudain l'offense de l'autre jour qu'il avait faite à l'arbre. Il comprit le silence qui avait enveloppé l'être après le discours qu'il lui avait adressé. L'outrage qu'il avait reproché au fils du ciel et de la terre envers les dieux était ce qu'il avait lui-même offensé chez l'être. par son verbe et son ignorance. Maintenant, Ulysse savait, l'arbre était infiniment plus puissant qu'un dieu. Sur cette terre, je n'étais plus roi. Je n'étais plus père, je n'étais plus l'époux, le soldat ou le héros. J'étais un simple mortel. Mon âme avait faim, mon âme avait soif, mon âme réclamait son droit de naissance le plus sacré. Et je m'unissais à toi, ma bien-aimée, afin de célébrer la vie, afin de me délivrer de l'emprise des hommes et des dieux. Nous écoutions ensemble les battements profonds du ciel et de la terre, possédant pour unique parure les branches d'un jasmin en fleurs. Notre flamme, à l'abri du vent, ne vacillait aucunement, et nous étions heureux, comme seuls sont les amants qui se pensent éternels. Après avoir quitté l'être, Ulysse continua de marcher jusqu'à la mer. Il aperçut Caria, la nymphe aux yeux doux, et Eucryphia, celle à la langue rusée. Elles surgirent devant lui, nues, les cheveux libres. Des bracelets de l'épidolite et des colliers d'améthyste brillaient sous les rayons du soleil. Elle se cambrait lassivement à la cime des rochers. Absorbée par ses pensées et son amour pour Calypso, Ulysse ne percevait chez les autres nymphes de l'île qu'une séduction exagérément travaillée qui n'opérait aucun effet sur lui. Tout en le suivant le long de la plage, les nymphes provoquantes discouraient librement. Cela amusait le marin. Il y avait chez ces femmes une liberté naturelle rafraîchissante. À Itaques, aucune femme n'aurait osé se comporter de cette façon devant lui, ni devant aucun autre homme sans craindre de passer pour Pourquoi ? se demanda-t-il soudain. La liberté d'une femme n'était-elle pas aussi précieuse que celle d'un homme ? Pour quelle raison cherchions-nous à sacraliser le corps de la femme en l'enchaînant à des principes ? N'était-ce pas la meilleure façon de profaner le sacré et de s'éloigner finalement de ce que nous proclamions haut et fort comme vérité ? Cette façon de concevoir la morale déteignait également sur la liberté des hommes, puisqu'elle leur demandait de prouver inlassablement leur force par le tranchant de leurs armes et la puissance de leur sexe, pensa-t-il. Pendant des années, il avait subi ce joug. Il avait associé le voyage, le désir du corps et du cœur, La quête du mouvement, la liberté, a l'esprit de conquête et de violence. L'envie de posséder était une chose instinctive. Mais la société, au lieu de la rendre féconde, de l'adoucir et de l'équilibrer, l'avait glorifiée au profit de l'érection masculine, au point de croire le phallus plus vaillant que le clitoris. Cette île, sur laquelle il se reposait, générait en lui d'intenses questionnements. Cette terre, matrice originelle, tenait et contenait la vie. Elle provoquait en lui des enchaînements de conscience, des clarifications spirituelles, des illuminations mystiques, car rien ne le créfia l'observer. Il s'était arrêté au milieu du sable. On aurait pu le croire happé par d'étranges songes, frappé par hypnose, mais il n'en était rien. Il était parfaitement éveillé, porté par une grâce légère et les soupirs de la mer. Sa polarité féminine se reconnectait à sa polarité masculine. Une vague de chaleur envahit son corps. Lorsqu'il entrait en calypso, c'était la même chaleur qui s'élançait en lui, cette sensation d'unité profonde. Ses yeux revinrent sur les deux nymphes. Ils roulèrent sur leur chair nue, brillante et puissante. Elle ne cachait rien. Elle détenait en elle toute l'émulsion de vie et de mort. À cet instant, il sentit l'impérieux besoin de rejoindre Calypso, de se fondre en elle, d'être littéralement absorbé par son ventre. Pourquoi n'avait-il jamais connu ce vertige en Pénélope ? Le sang de la vigne coule entre nos lèvres. Entre nos lèvres coule la vigne. Mon bien-aimé frôle ma chair, frôle ma chair avec tes dents. Le sang de la vigne coule entre nos lèvres. Entre nos lèvres coule la vigne. D'amour extase à l'infini, d'amour tremblant et impudent, cueillons-nous, cœur, tous nos désirs, nos désirs sages, aux biens brûlants. Le sang de la vigne roule entre nos lèvres, entre nos lèvres roule la vigne. Vous venez d'écouter l'épisode 5, la grise. Voix et texte, Émilie Bonnera. Musique, Paul-Adrien Benirou. Illustration, Alphi. Régis, Béatrice Bonnera. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode.