Speaker #0Salut, je m'appelle Eni. Bienvenue dans mon carnet où je vous invite à découvrir l'univers de mes textes, mais également ceux qui m'inspirent. Pour cette première saison, j'ai choisi de vous lire mon roman Ulysse et Calypso. La composition de ce texte... est né du désir de réécrire l'histoire d'un amour légendaire. Alors, si vous le voulez bien, laissons-nous voguer, loin, très loin, bien après les crêtes des montagnes et l'immensité des mers, au cœur du monde, là où palpite l'île de Calypso. Épisode 4. Le choix d'Ulysse. Ulysse s'arrêta pour contempler le ciel. Une fois encore, il lui sembla reconnaître le paysage d'Ithaque dans les volutes qui parcouraient l'azur. La nostalgie empoigna son esprit. Il décida de se hâter afin de rentrer chez lui. En regardant au loin, il aperçut Calypso. Il s'avança pour la saluer. Elle était encore plus belle que dans son souvenir. de sa chevelure au vent comme une moisson d'été, de ses pieds nus riant de l'incivilité, jusque dans l'impudeur des courbes de son corps que l'on devinait au travers du vêtement. Elle s'affranchissait de toutes les convenances. Ce devait être une immortelle. Il n'y avait qu'une immortelle pour défier ainsi les usages et les codes. Il laissa quelques instants vagabonder son esprit. Il l'imaginait nu, couché sur les soies riche-atoyantes de la caverne. Sa peau exhalait des parfums de myrrhe et de centale. Le bruissement de ses bracelets d'or s'élevait dans les airs. Son corps uni à la conscience de l'instant formait des boucles à l'infini. Son ventre dansait naturel et fluide. Ulysse détenait ce don de percevoir les gens tels qu'ils étaient. Il n'avait jamais su de quelle façon cela lui était venu. Il en avait conclu que les divinités le lui avaient offert pour quelques raisons de stratégie militaire. Calypso était infiniment pur. Nom de cette pureté que la société décide pour la femme et à laquelle elle l'oblige à se soumettre. Non, c'était une pureté céleste, une pureté absolue. Elle était ce qu'elle était, sans ruse, sans phare, sans calcul. Elle incarnait ce qu'elle désirait incarner, une véritable ode à la sensualité. Ulysse ne pouvait détacher son regard de la déesse. Du cœur de la bouche de Calypso, un sourire émerla. Un sourire prodigieusement lumineux. Il sentit son âme s'apaiser. Avait-il besoin de rejoindre les terres d'Ithac ? Ne pouvait-il goûter quelques semaines encore à la douceur de cette île ? Après tout, le royaume ne s'envolerait pas. Il avait tant besoin de sentir encore les charmes enveloppants de cette terre. N'avait-il pas suffisamment donné de lui-même et de son courage durant de nombreuses années ? N'avait-il pas combattu avec hardiesse et détermination ? N'avait-il pas le droit à un peu de repos et de bonheur ? Il songea aux paroles de l'être, cette île est la jeunesse du monde. Si tel était le cas, alors cette femme qui se tenait devant lui gardait dans son ventre les secrets de toute la création. Or Calypso, bien qu'immortel, était à l'image de toutes les femmes. Chacune portait en elle les mystères de la création. Pénélope les possédait également. Mais la société des hommes étouffait le savoir des femmes, de peur qu'elles ne prennent plaisir à les dominer à leur tour. Et ce que Ulysse ignorait encore plus, c'était que chaque homme portait en lui une femme et que chaque femme portait en elle un homme. Mais il ne pouvait encore arriver jusque-là. Calypso devait l'initier, lui montrer le chemin, éclairer sa conscience. Le voyage serait long, mais il serait précieux. C'était sans aucun doute le voyage le plus périlleux qu'il aurait à entreprendre dans toute sa vie. Ulysse voyait dans les yeux de Calypso une promesse de repos et de conquête d'un monde qu'il désirait posséder. Or, les yeux de la déesse étaient bien plus que cela. Ils étaient le prix de sa propre guérison, l'éveil profond de son âme et de son esprit à la conscience du monde. Ulysse s'approcha de la nymphe avec confiance. Arrivé à sa hauteur, une crainte imperceptible se glissa dans son cœur, une crainte qu'il ne pouvait expliquer. comme une vive inquiétude de ce que le destin allait encore lui réserver. Mais le trouble passa brièvement. Il rendit son sourire à Calypso. Aucun mot ne fut prononcé entre eux. Un silence berça leurs pensées. La présence de l'un suffisait à remplir celle de l'autre. Ils marchèrent ensemble, côte à côte, et la forêt, heureuse de contempler cette flamme si ancienne à nouveau réunie, les guida au creux même du Naos. J'aime accueillir pour toi, à l'ombre des cyprès, la rose, la bruyère, la violette, la pensée. Du haut d'une branche, tu me regardais faire, puis d'une main tremblante, je la montais vers toi. Comme un enfant grimpant l'âme toute en joie, du héros de guerre, il me restait l'ardeur. Et enflammée de courage, j'embrassais ta pudeur, tandis qu'en riant, tu me donnais ton cœur et tenais entre tes dents le parfum de la fleur. Athéna observait Ulysse. L'île commençait à le guérir. Elle cherchait une ruse afin de l'en éloigner. Non qu'elle désira le voir souffrir, Athéna ne souhaitait aucun mal aux héros qu'elle protégeait avec vaillance, mais elle n'acceptait pas l'idée que Calypso puisse être celle qui penserait les blessures. Ulysse avait une épouse et il devait retourner auprès d'elle. Ulysse était roi et il devait régner. Ulysse était père et il devait veiller sur son fils. Et pour ne pas brusquer le roi d'Ithaque, elle fit glisser dans l'inconscient de ce dernier le besoin de rentrer chez lui. Athéna demanda à l'assembleur des nus d'ordonner aux nuages de prendre l'apparence des rochers d'Ithaque et d'autres souvenirs chers à Ulysse. Lorsque Zeus demanda la raison à sa fille, Athéna répondit que cela soignerait un peu la mélancolie du héros. Alors Zeus, dans sa bienveillance, commanda aux nuages de s'exécuter. Athéna, satisfaite, sentit son cœur s'adoucir. La feinte semblait marcher. Ulysse repensait à Ithac. Mais elle vit paraître Calypso à l'ombre d'un arbre, et la fureur reprit son droit de garde sur le cœur d'Athéna. Il y avait entre Ulysse et cette nymphe une si grande flamme que même pour une immortelle, il était bien difficile de l'éteindre. Mais elle ne perdit pas espoir. Cet amour si grand fut-il, n'en était qu'au printemps, et comme toute jeunesse, il avait dans sa force la crainte de la faiblesse. Alors, elle attendit qu'Ulysse soit près de Calypso pour ensemencer dans son esprit les graines de la peur qu'elle laisserait croître. L'amant se sentirait oppressé. puis finirait par reprendre la route. Son amour ne serait plus qu'une simple erreur dont il se serait extrait vaillamment. Ulysse penserait avoir fait le bon choix et ne songerait plus qu'à être roi. mais à celles et ceux qui sont destinés l'amour retrouve toujours le chemin et ce que athéna pensait avoir altéré ne possédait ni commencement ni fond Cet amour était l'essence même de l'éternité. Rien ne pouvait venir l'égarer. Nous parcourions l'instinct sans nul autre penser que de goûter aux joies des amants enlacés. Mon cœur à ton cœur répondait vaguement comme l'étreinte du fer à l'étreinte de l'aimant. Puis nos regards coulaient, heureux, ondes légères, des monts au valet, des sources aux rivières. Et nous voulions rester éternels et secrets dans le creux des rochers, les courbes de nos baisers. Les arbres et les buissons formaient un écrin de verdure. Calypso et Ulysse observaient sans parler. Chacun écoutait le souffle de l'autre. Les mystères profonds voilent souvent le seuil de la rencontre. Et cette rencontre-là était pleine de voiles qu'il fallait soulever avec douceur. Ils se balançaient au gré du vent. De temps à autre, leurs mains se rencontraient. Elles s'approchaient, s'effleuraient, s'écartaient délicatement, pour revenir se chercher de nouveau, en secret. Doux mouvements s'abandonnant à l'être aimé, ravissements extatiques, les mots du corps s'alignaient entre eux. Certaines âmes se comprennent en silence, c'était là toute leur force. Un lierre blanc regardait au loin la danse des amants. Longue liane vertigineuse aux feuilles brillantes et fières, elle tournait en hélice tout autour d'un vieux chêne à l'écorce robuste, constellé de lichens. Amis, ils se guidaient l'un et l'autre vers la lumière. Le soleil d'Hélios perçait au travers de leur feuillage pour réchauffer la terre. Le lierre s'adressa aux chênes. Compagnons, vois comme ils semblent heureux. La vie chante et palpite autour d'eux. Y a-t-il spectacle plus enchanteur ? Le grand âge du chêne le rendait peu bavard. La sagesse bien souvent vous mène à cette sorte de vertu. En guise de réponse, il agita doucement le haut de ses vieilles branches. Alors le lierre prit cela pour un oui et, amoureux de l'amour, soupira frémissant. Ulysse contemplait Calypso. Elle s'était arrêtée pour cueillir une rose, mais sa chair s'accrocha à l'épine. Une goutte de sang pleura sur son doigt. Ulysse déposa un bébé. La vue du sang ne le dérangeait plus. Il aspira tendrement entre ses lèvres la perle de rubis qui roula dans sa bouche. Il fut surpris de voir cicatriser si vite la blessure. Calypso était bien une immortelle. Circé revint en sa mémoire et Ulysse se méfia de la déesse. Dans ses yeux, Calypso vit gronder un orage. Elle se demanda quelle pensée était venue obscurcir l'instant. Mais la douceur du lieu bien vite lénifia l'esprit d'Ulysse. Il n'était pas juste d'assembler sous un même portique les immortels. Les défauts des uns ne constituaient pas forcément le cœur des autres. Ils arrivèrent bientôt sur la côte. L'odeur de l'iode, le chant des goélands, remplacèrent les fragrances humides de la terre et les lides mélodieux des passereaux. Lorsqu'ils atteignirent la mer, Calypso, la chevelure embrassée par le souffle léger du vent, s'adressa à Ulysse. Roi d'Ithac, ton souhait est-il de rester un peu sur cette île ou préfères-tu regagner la mer ? Le héros fut quelque peu troublé par la demande. Qu'importe la réponse, la déesse ne se sentirait pas concernée. L'orgueil d'Ulysse était blessé. La déesse ne chercherait pas à le garder près d'elle. Il était libre. Et finalement, Cette liberté dont il était le premier à réclamer le droit le déstabilisa. Que devait-il répondre ? Quelle était son envie profonde ? Quel choix ferait-il ? Il n'en avait aucune idée. Calypso était entré dans la mer. Sa tunique vint se coller à sa peau. Les rayons du soleil donnèrent au tissu une transparence délicate. Calypso sortit de l'eau, s'approcha de lui, posa une main sur sa poitrine. La chaleur de la déesse le fit tressaillir. Pour dissimuler son émoi, il fixa le rizement. Il harmonisait son souffle au roulement de la mer. Puis, comme le soupir du vent glissant sur les herbes sauvages, la nymphe se pencha légèrement vers lui et chuchota dans le creux de son cœur. Fais ce qu'il te plaît, mon île étongue, tu peux rester ici tant que tu le désires. Calypso s'éloigna en silence, laissant seul dans le tumulte de ses pensées le roi d'Ithac face à sa destinée. Vous venez d'écouter l'épisode 4. Voix et texte, Émilie Bénéraud. Musique, Paul-Adrien Bénéraud. Illustration, Alphie. Régie, Béatrice Bénéraud. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode.