Speaker #0Salut, je m'appelle Emy. Bienvenue dans mon carnet où je vous invite à découvrir l'univers de mes textes, mais également ceux qui m'inspirent. Pour cette première saison, j'ai choisi de vous lire mon roman Ulysse et Calypso La composition de ce texte... est né du désir de réécrire l'histoire d'un amour légendaire. Alors, si vous le voulez bien, laissons-nous en voguer, loin, très loin, bien après les crêtes des montagnes et l'immensité des mers, au cœur du monde, là où palpite l'île de Calypso. Épisode 3, Le Réveil La guerre avait rompu ton cœur, la solitude avait perdu le mien. Mais lorsque le destin, dans son erreur, nous fit nous rencontrer, nos cœurs que nous crûmes éteints se sont alors embrasés. Qu'y a-t-il de plus fort au monde qu'un amour gorgé de désirs, traversant sans relâche le temps et l'espace ? Qu'y a-t-il de plus puissant que l'union d'une flamme retrouvée, de plus sacré que deux corps étreints pour l'éternité ? Et si certains n'y voient qu'un désir charnel, C'est qu'ils n'ont point compris que de ce farouche désir n'est la volonté du ciel et de la terre. Les saisons sur l'île avaient une saveur particulière. Le printemps de Calypso comptait plusieurs cycles chez les mortels. Puisque le mouvement ici ne possédait pas le même rythme que dans le reste du monde, la durée se grimaient autrement et le temps devenait un allié. Le printemps avait à peine commencé lorsqu'Ulysse s'était échoué sur la côte. La terre encore endormie s'éveillait lentement. De son sein s'échappaient de jeunes pousses prêtes à se tendre vigoureusement vers le ciel. Elles dévoileraient bientôt leur plus belle parure, mais il fallait d'abord songer à croître. La source cristalline qui jaillissait au cœur de l'île accueillait à nouveau les bêtes venues si désaltérées. Les joncs reprenaient de leur couleur, les insectes tirés de leur sommeil reformaient leur compagnie et les arbres moussus étiraient doucement leurs grands bras bourgeonnants dans le bleu du ciel. C'était sous ce tableau charmant qu'Ulysse dormait encore. Les nymphes s'inquiétaient de ne le voir sortir de sa torpeur, mais Calypso les rassurait. Le mortel avait besoin de repos. Un matin, alors que l'aurore se montrait à peine, il ouvrit les yeux. Les flammes des bougies se reflétaient sur les parois rocheuses. Les aspérités irrégulières scintillaient délicatement. Une odeur d'encens flottait dans l'air. Ulysse avait l'étrange sensation de la connaître depuis toujours, et pourtant, rien de tel à Ithac ne parcourait les palaises ou les temples. Il se leva lentement car il craignait l'étourdissement. Sa barbe longue indiquait que son sommeil avait quelque peu traîné en longueur. Une coupe débordante de dates fraîches, un cratère au mélange de vin doux et d'épices, des galettes dorées et de l'ambroisie attendaient paisiblement sur une table. Les sols étaient couverts de tapis aux couleurs chatoyantes. Le tissu épais, brodé de feuillages et de vignes, ou de temps à autre folatré dans les serments entrelacés des couples de palombes et de passereaux, donnait à la grotte une atmosphère apaisante et chaleureuse. Bien qu'elle fût creusée dans la roche, cette demeure aux lumières embrées était suffisamment éclairée. Sur le dossier d'une chaise, une tunique grenat était délicatement posée. Ulysse descendit d'abord les marches d'un petit bassin en opale de feu. L'eau qu'il contenait était d'une transparence incroyable. L'on pouvait admirer l'éclat ardent de la pierre briller dans le fond de l'eau. Il purifiait son corps, lavait ses cheveux et se laissait porter quelques instants par l'onde. Il rasa sa barbe et retrouva une certaine fraîcheur. Une sensation de liberté lui empoigna le cœur. Il enduisit son corps d'huile de sésame chaude, passa le vêtement neuf avant de s'extraire de la roche. Il leva les yeux vers le ciel. De légers rubans roses se déployaient dans l'azur en corblène. Un rossignol philomène se mit à chanter. Ulysse s'arrêta un instant pour l'écouter. L'oiseau lançait avec une ardeur suprême ses bouquets de notes à travers les nuées. Comme un amant transi couvrant de baisers le corps de sa maîtresse, il brûlait d'embrasser l'aurore la fille aux doigts de rose. Et de la plus haute branche du plus haut des pins, de sa tête luisante, le poète traversait l'épaisse ramure afin d'être vu le premier. Le roi d'Itaque continua sa route. la terre bâillait encore elle exhalait ce parfum piquant du mus sous l'aube naissante l'odeur des pinces y mêlait avec grâce le vent léger frôlait à peine la peau c'était un printemps assez doux pensa-t-il Il marcha encore et encore. Où allait-il ? Seule sa respiration le guidait. Un tronc puissant attira son regard, celui d'un être assis à la lisière d'un coteau. Le soleil caressait l'écorce. Devant ce géant de la terre solidement enraciné, Ulysse inclina la tête afin de le saluer. Alors l'arbre, à son tour, courba sa lourde branche pour rendre à ce mortel toute l'attention qu'il lui avait donnée. roi d'itac fils d'anticlée et de laerte quel vent te mène parmi nous l'arbre susura délicatement la demande entre ses branches bourgeonnantes un léger frémissement parcourut les rameaux et ulysse répondit roi puissant fils de la terre et du ciel le vent de l'infortune m'a mené jusqu'ici Ce que tu nommes l'infortune est au contraire le prélude d'un heureux destin. Bien souvent le malheur que nous croyons subir cache en son cœur une bénédiction. Si les dieux désiraient me bénir, pour quelle raison ne mettent-ils pas à rejoindre les terres d'Ithaque ? Les déesses et les dieux, tout comme les mortels, portent dans leurs âmes la soif du pouvoir et de la manœuvre. Servir leurs propres intérêts, voilà ce qui compte le plus. Mais ici, tu ne crains rien. Cette île est la jeunesse du monde. N'est-ce pas irrévérencieux que de décrire ainsi les immortels ? Ne dois-tu pas leur être reconnaissant de t'avoir créé ? L'arbre garda le silence. Ulysse ajouta Athéna veille sur moi. L'arbre continua de garder le silence. L'on entendait le souffle du vent bruire dans les hautes branches. Alors, comme l'être semblait ne plus vouloir répondre, le roi d'Itaque s'éloigna. Il grimpa le coteau. Le soleil réchauffait son corps. Il s'allongea sur l'un des flancs de la colline. Des nuages polymorphes dansaient au-dessus de lui. Il y découvrit tantôt les rochers d'Ithaque et le visage de Télémach, tantôt les sirènes de Messines ou le cheval de Troie. Et ses souvenirs tourbillonnaient ainsi au gré de ses humeurs et de celles du vent. Il n'avait rien à se reprocher. L'arbre avait été orgueilleux. Ne s'était-il pas placé au-dessus du divin en parlant ainsi des dieux ? Il fallait bien que quelqu'un éclaire la conscience de cet arbre. Puis Ulysse commença à songer à l'avenir. Le calme l'ennuyait toujours. Il lui fallait de l'action, impulser le mouvement, fuir l'enracinement, déjouer les pièges de l'habitude. Serait-il capable, une fois rentré, de rester à Ithac ? Son but était d'y retourner, mais une fois là-bas, que deviendrait-il ? Un vieux père sage racontant inlassablement ses souvenirs de héros ? Un roi mélancolique songeant perpétuellement au voyage ? Ou bien un époux acariâtre reprochant à celle qu'il n'avait jamais aimée de l'enchaîner auprès d'elle ? Il était plus que probable qu'il allait devenir un mélange de tout cela. Mais que pouvait-il bien faire d'autre ? N'était-ce pas son destin de remplir ses fonctions de roi, de père et d'époux ? La morale l'exigeait, le devoir l'imposait. Alors sur ses nobles pensées, il se leva. Il était temps de rentrer chez lui. Avant toute chose, il devait remercier cette nain qui l'avait sauvée de son naufrage et guérir encore un peu de son aide afin de reprendre les flots en toute sécurité. Je me souviens de toi, je me souviens de toi comme la première aube de notre amour naissant. Je me souviens de toi, éternelle et divine, accrochée aux falaises comme une ronde d'alice, émergeant tendrement. Je me souviens de toi, comme au premier printemps, où mon cœur encore rude laissa monter en lui sous folles éblouissements. Je me souviens de toi, rayant belle et pensive au-dessus du sombre océan. Je me souviens de toi, de ton baiser ardent, de tes joues en feu, de ton désir brûlant. Je me souviens de toi, de toi seule rayant. Calypso contemplait le doux roulement de la mer. L'âme, au bord du vertige, elle plongeait son regard dans l'immensité des vagues. Elle venait souvent sur cette côte rocheuse avant que la nuit ne commence à quitter le jour. Elle aimait saluer l'aurore, la fille aux doigts de rose. Elle se demanda si l'étranger s'était éveillé. Elle ressentait pour lui une tendresse infinie qu'elle ne pouvait expliquer. Ses compagnes lui glissaient des regards inquiets. Elle l'apercevait, assise près de ce mortel, qu'elle veillait affectueusement. Ressentait-elle ce lien par besoin de combler sa solitude ? Ou bien y avait-il une raison plus profonde à ce sentiment ? Elle n'aurait su le dire. Après tout, les choses se présentaient comme elles devaient se présenter. Pourquoi chercher à donner un visage à l'inexplicable ? Le soleil était sorti depuis longtemps des profondeurs de la mer pour rejoindre l'océan d'Azur. Elle se leva puis gagna la forêt. La terre encore mouillée de rosée embrassait ses pieds. Mortel ou immortel, pensait souvent qu'il était bon de vivre ainsi, loin des rumeurs du monde. Rien n'était plus faux. L'île, bien sûr, avait ses avantages. C'était un peu comme construire son propre paradis, mais assez rapidement, vous en aviez fait le tour. Et Calypso rêvait de prendre la route, de traverser les continents. Elle rêvait de marcher, de marcher et de ne plus jamais s'arrêter. Elle rêvait de montagnes, de chemins sinueux et longs, de vallées interminables. Alors, quand elle aperçut le corps de ce mortel échoué sur la rive, Elle avait eu la ferme impression qu'un bout du continent s'était rendu jusqu'à elle. Et comme elle pouvait lire dans les souvenirs des mortels, elle se mit à sillonner quelques-uns de ses sentiers mémoriels. Elle n'allait jamais trop loin dans les souvenirs du héros. La nymphe restait à la lisière sans chercher à enfreindre l'intimité, juste pour observer les paysages. Elle avait finalement bien de la chance de vivre sur son île. Ici, il n'y avait pas tant de cruauté et de violence. Son île, que l'on nommait parfois le nombril du monde, avait cette volonté de préserver la vie, de la guérir, de la chérir. Elle arriva bientôt au pied d'un coteau. Elle grimpa et aperçut Ulysse allongé sur l'herbe tendre. Un rayon de soleil baignait son corps. Elle ressentit une envie irrésistible d'aller à sa rencontre. Mais elle se dit que ce n'était pas le moment de céder à l'impulsion. Elle se laissa alors vaquer à ses douces rêveries et l'observa à l'ombre d'un touillat. Après t'être reposé, tu te leva. Tu marchais sur l'herbe fraîche. Le vent espiègle riait dans tes cheveux. Ta peau de marin brillait comme celle d'un pélos, mélange de pampres et d'extase. Je t'observais de loin n'osant déranger la paix qui t'enlacait, de peur qu'à mon approche elle ne prenne la fuite. Et j'attendis alors que tes yeux me découvrent, te laissant libre de cueillir au nom la grâce naissante sur le bord de mes lèvres. Vous venez d'écouter l'épisode 3. Voix et texte, Émilie Bénévo. Musique, Paul-Adrien Bénévo. Illustration, Alphie. Régie, Béatrice Bénévo. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode.