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Le cimetière de l'océan

Le naufrage de "SS Afrique", le Titanic français (Partie 1)

Le naufrage de "SS Afrique", le Titanic français (Partie 1)

22min |23/09/2024
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Le naufrage de "SS Afrique", le Titanic français (Partie 1)

22min |23/09/2024
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Description

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1920, "Afrique", ⚓ paquebot des Chargeurs Réunis est en route vers les ports des colonies françaises Africaines.

Ses ponts sont chargés de fonctionnaires coloniales et de leurs familles, ainsi que de quelques 200 tirailleurs sénégalais démobilisés après la grande guerre.

Il vient de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la gironde lorsqu'une voie d'eau est découverte dans la chaufferie.
Petit à petit la situation empire à bord, dehors la tempête est sans pitié. 🌊

Privé de ses moteurs, le petit paquebot dérive inexorablement vers le redoutable Plateau de Rochebonne, au large de l'île de Ré et des Sables d'Olonne

Ce naufrage ne laissera que très peu de survivants, tombera dans l'oubli générale et porte aujourd'hui le nom de "Titanic Français".


Découvrez avec moi les détails et les dessous du dernier voyage de l'Afrique. ⛴️

🎧


Sons: 


Musiques:


  • Dream Library

  • Faceoff - Kevin MacLeod






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Au large des sables de l'Aune et de l'île de Ré, nous sommes par 47 mètres de fond avec une très belle luminosité. La proue fantomatique d'un paquebot fait face à nous. Elle est là, très légèrement penchée sur tribord, sa coque morcelée, rongée par l'océan depuis 100 ans, ressemble au drap d'un fantôme. Une ancre repose non loin sur le sable. On remonte le long de son étrave, on parcourt le pont avant, puis bientôt il n'y a plus de pont, plus de superstructures, tout est effondré, disparu depuis bien longtemps. A la place, on découvre le coeur du bateau. Deux rangs de trois belles et immenses chaudières posées au fond. Derrière elles, des machines triple expansion. Les mécaniciens et soutiers aujourd'hui ne sont plus que les bandes macro qui l'habitent. On suit l'arbre de transmission d'hélices. au milieu des fragments de tôle qui, un siècle avant, formaient la coque du navire. Ici, on devine ce qu'il reste de sa poupe et le pont supérieur arrière. Le safran et les deux imposantes hélices à trois pales sont encore là, couchées sur tribord, immobiles dans cette position depuis cette nuit du 12 janvier 1920. Quelle est donc cette étrange épave ? Afrique, mes amis, c'est le nom de l'immense paquebot que nous venons de parcourir. Pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire, c'est l'un des naufrages les plus meurtriers qu'il y a eu le long de nos côtes et que l'histoire a injustement oublié. Alors, vérifiez votre équipement, ouvrez votre bouteille, fermez bien votre combinaison, ajustez votre gilet et serrez votre ceinture de plomb. Détendeur en bouche, plongeons ensemble dans l'histoire du terrible naufrage de l'Afrique. Afrique était un paquebot mixte, c'est-à-dire qu'il pouvait transporter des passagers et des marchandises ainsi que le courrier qu'il devait décharger dans les ports sur son chemin. Sa construction commence le 21 novembre 1907 au chantier Swan Hunter et Wiggum Richardson de Newcastle, Angleterre. Si ce nom ne vous est pas inconnu pour les plus férus d'entre vous, c'est normal. C'est le même chantier qui a construit l'année d'avant le célèbre Mauritania de la Cunard. Afrique appartient à la compagnie de navigation des chargeurs réunis située au Havre. Elle se charge d'assurer les liaisons entre le Brésil, l'Argentine et les ports des colonies africaines françaises. Ce sera d'ailleurs le rôle de l'Afrique qui part de Bordeaux vers Dakar en passant par Ténérife, desservant les autres ports des colonies françaises telles que la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Congo. C'est un paquebot de 120 mètres de long, 14,80 mètres de large et 5400 tonneaux. Propulsé par deux hélices à trois pales, il est capable d'atteindre une vitesse de 17 nœuds lors de ses essais. A son bord, il peut embarquer 227 passagers répartis en trois classes. 79 en première, 68 en seconde et 80 en troisième. Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas dans les proportions d'un paquebot transatlantique. Non, c'est un petit paquebot composé de cinq ponts, une grande cheminée centrale surplombe sa superstructure, sur le manchon, cinq étoiles rouges sont peintes symbolisant les cinq continents qu'elle dessert. C'est un paquebot simple mais très confortable pour l'époque. On y trouve, en première classe, une grande salle à manger avec des tables communes pour 7 ou 10 personnes et des fauteuils pivotants fixés au sol. On est en 1907, cela se faisait encore beaucoup. Des poteaux en bois vernis légèrement stylisés rigidifient la pièce. Au plafond blanc, des globes lumineux éclairent les tables. Panneaux de bois de chêne clairent sur les murs, la pièce est plutôt chaleureuse. Un salon de convivialité accueille les passagers. Ils peuvent s'y retrouver et converser assis à des petites tables carrées. Des fauteuils bergères sont dispersés ça et là, avec des petits bureaux pour rédiger des correspondances. La pièce est habillée de panneaux de bois peints en blanc. Au plafond, toujours, ces globes lumineux. Des hublots carrés éclairent la pièce de chaque côté, laissant entrer une belle luminosité. Sans oublier, au centre du plafond, un dôme lumineux habillé de vitraux s'alliant au style de la pièce. Dans ce même salon se trouve la bibliothèque du navire dont la maison Hachette a fourni les étagères de ses meilleurs ouvrages. Le soir venu, il devait être agréable de s'y installer pour écouter un musicien faire courir ses doigts sur le piano. C'est à mon sens la plus jolie pièce du navire. Ou bien, les passagers de l'Afrique peuvent aussi se retirer dans le fumoir et s'affaler dans les banquettes. Sur le mur, des panneaux de toile donnent à la pièce une apparence cossue. En apparence seulement car au plafond, ce sont des ampoules qui éclairent la pièce et se reflètent dans le vernis des imposantes tables en bois. Assez de toute cette fumée ? Bon, sortons prendre un thé. Sur le pont arrière, on y trouve un café véranda avec ses petites tables carrées au pied de fer forgé et ses bancs en bois. Pas très confortable mais qu'importe, on y respire le grand air et les embruns marins. Les cabines sont simples mais douillettes. Ce ne sont pas des lits doubles en première classe, vous trouverez un lit superposé pour deux personnes avec un petit canapé en tissu. Au mur, des panneaux de bois peints en blanc, mais si vous levez les yeux, vous remarquerez que le même soin n'a pas été apporté au plafond qui, lui, reste en tôle riftée. Toutefois, le hublot peut être fermé de l'intérieur par un petit volet en bois ou bien un rideau pour l'intimité. Les salles de bain sont communes et on distingue celles des femmes de celles des hommes, évidemment. Mais le début des années 1900 est aussi l'arrivée du grand luxe à bord des paquebots. Afrique aura alors le droit lui aussi de recevoir des cabines de luxe ou demi-luxe. Ce sont des petits appartements composés d'un salon, d'une chambre, d'un cabinet de toilette et d'une salle de bain privative. Des tentures claires habillent la chambre et la rendent lumineuse. Dans le salon, un petit bureau et un canapé pouvant être convertis en couchettes supplémentaires. Comme la photographie est très en vogue et que les particuliers fortunés s'offrent des appareils de voyage, la compagnie a fait installer à bord une chambre noire dans laquelle ils peuvent développer les images capturées pendant leur voyage dans les beaux pays d'Afrique. Leurs proches et amis seront certainement ravis de découvrir ces photos une fois à terre. Avant de débarquer, au terme des 20 jours de traversée, n'oubliez pas de faire un crochet par le coiffeur situé à l'arrière du navire. Il saura vous arranger les cheveux et la barbe. En seconde classe, pareil. Table commune dans la salle à manger, fauteuil en acajou fixé au sol. En termes de décoration, il n'y a pas grande différence avec la première classe. C'est plutôt la taille des pièces qui les différencie. Les cabines dans seconde classe sont prévues pour deux ou quatre personnes et ce sont des lits superposés également. On y trouve encore un petit rideau devant le hublot pour masquer la lumière du jour. Et bien sûr, les grands espaces de 3ème classe dont il est inutile de vous décrire la décoration. Vous la connaissez bien et vous savez que leurs cabines sont en fait des petits dortoirs de 6 ou 8 couchettes superposées. Nous sommes donc à ce niveau proche du ventre de l'Afrique, cloisonné par 14 cloisons étanches. Ils renferment des machines à triple expansion alimentées par 6 chaudières, les turbines de circulation et la dynamo qui fournit l'électricité à tout ce petit hôtel flottant. Sans oublier les chambres froides où sont entreposés les vivres qui seront cuisinés à bord pendant ce beau voyage. Vous voyez qu'à bord d'Afrique, nous sommes tout de même loin du luxe et du confort de la prestigieuse ligne de l'Atlantique Nord, mais que le voyage ne s'annonce pas non plus des plus déplaisants. Afrique est confortable et comme sa destination sont les pays chauds d'Afrique, la compagnie a installé à bord une innovation. Une climatisation pour le navire qu'on appelait alors thermotank et qui envoyait dans le navire de l'air froid ou chaud. N'oublions pas que les nuits sont fraîches au milieu de l'Atlantique. La demande pour ces destinations restait forte. La compagnie des chargeurs réunis organisait donc ce qu'ils appelaient des Congo Express. C'était un train au départ de Paris à destination de Bordeaux-Pauillac. Tous les 24 de chaque mois, ou en sortant du train, on pouvait directement embarquer à bord de l'Afrique. Tout était compris par la compagnie, du billet de train jusqu'au billet d'embarquement à bord avec votre cabine déjà prête, c'est vous dire. Ainsi commence donc la carrière de l'Afrique qui n'est pas de tout repos mais qui effectue bravement ses rotations. Bientôt, sa silhouette à l'arrière de laquelle claque fièrement le pavillon français est bien connue des côtes africaines et françaises, apportant le soleil et les envies d'évasion à ceux qui le regardent passer. Mais Afrique ne fera pas exception à l'histoire. Comme tout paquebot de ce début du siècle précédent, il connut la Première Guerre mondiale. Comme tous les autres, il sera réquisitionné et servira au transport des troupes. Il conserve sa ligne habituelle, mais transporte dans ses cales du matériel à destination du front, et dans ses ponts, des soldats entassés. Ce qui le sauva peut-être des redoutables U-boots allemands, c'est qu'on eut la bonne idée de peindre sa cheminée en jaune. Ainsi, les Allemands pensaient qu'il s'agissait d'un navire belge chargé de transporter les blessés allemands. La guerre prit fin en 1918 et commence alors le long retour des troupes vers leur foyer. Et c'est long, très long le temps que tout le monde soit démobilisé. Afrique reprend son service habituel et ponctuellement, en 3ème classe, il charge des soldats et tirailleurs sénégalais qu'il ramène à bon port. En fin d'année 1919, Afrique est temporairement retirée du service pour un gros entretien. Les opérations durent plusieurs semaines et au début de l'année 1920, c'est donc un paquebot prêt à reprendre sa route. Le 7 janvier, la commission de sécurité passe à bord pour la visite annuelle et son permis de navigation est renouvelé. Il pourra donc appareiller le 9 janvier 1920 pour son dernier voyage. Mais ça, personne ne le sait encore. A la barre, c'est le capitaine Antoine Ledu, 43 ans, marin depuis l'âge de 17 ans. C'est un bel homme, bien charpenté avec une fière allure, une épaisse moustache en guidon et une barbe longue et bien fournie. C'est un capitaine expérimenté au sein de la compagnie. Il connaît l'océan, il connaît les tempêtes, il connaît l'Atlantique. Il est même très apprécié puisqu'il eut le privilège de commander le yacht personnel du patron des chargeurs réunis. Il connaît bien Afrique. Ce n'est pas la première fois qu'on lui confie la barre. Si on additionne toutes les heures passées à son bord en tant que capitaine, on en arrive à une durée d'un an complet. Le voyage à venir est donc un voyage de routine pour le capitaine Ledoux. Nous sommes alors le 9 janvier 1920 et Afrique est au quai des Chartrons à Bordeaux. A son bord, on charge les marchandises, 500 tonnes de courriers et colis à destination des ports d'Afrique, les vivres dans les chambres froides, des caisses de vin et de champagne, et j'en passe. En même temps, un peu plus de 600 passagers et membres d'équipage prennent possession de leurs espaces. Retenez bien ce chiffre. 600 âmes à bord. Ce ne sont pas des touristes, mais des colons ou des fonctionnaires. Parmi eux, 264 partent pour reprendre leurs affaires dans les colonies ou les administrations françaises. 17 missionnaires ou religieux dont Monseigneur l'évêque Yacinthe Joseph Jalaber, très célèbre et apprécié dans les colonies d'Afrique pour son travail ecclésiastique, son enseignement et son dévouement aux colonies. Il rentre à Dakar, au Sénégal, avec les missionnaires afin d'y faire construire la cathédrale Notre-Dame des Victoires ou cathédrale du souvenir africain. Il emporte donc avec lui un précieux trésor de pièces d'or et de dons afin de mener à bien les travaux. Il a déjà obtenu depuis 1911 l'autorisation pour la construction, ainsi que l'emplacement situé boulevard de la République dans le quartier de Dakar Plateau. Oui, cette cathédrale existe bien aujourd'hui, mais ce n'est pas grâce à M. Jalaber, puisque malheureusement il va mourir dans le naufrage qui arrive. Dans les entreponts du paquebot, en 3ème classe, 192 tirailleurs sénégalais embarquent enfin à bord. Heureux d'aller retrouver leurs proches et leur terre à laquelle on les a arrachés. Également, 28 militaires français non africains et 130 membres d'équipage. Vous l'aurez compris, l'Afrique dépasse largement sa capacité habituelle. Ce 9 janvier, le paquebot apparaît à 19h des quais des Chartrons et commence sa descente de la Gironde direction la Haute-Mer. Le temps est venteux. et la vue n'est pas très bonne, laissant présager un début de traversée mouvementé. Il est un peu avant minuit et l'Afrique jette son encre au verdon sur mer. La marée est décroissante, on ne peut donc pas prendre la pleine mer et on espère que la visibilité sera meilleure au matin. Il faut à présent que je vous donne un détail de l'histoire qui va prendre, dans quelques instants, une importance de taille. Les chaudières avaient été décrassées avant son départ de Bordeaux, c'est-à-dire qu'on avait récuré l'intérieur retirer tous les résidus de combustion. Cette crasse avait donc été entreposée en tas dans les ailes de la chaufferie et devait être évacuée avant le départ. Mais, comme les passagers commençaient à embarquer, on voulut leur épargner la vue de ce spectacle poussiéreux et salissant. La crasse est donc toujours présente à bord, à même le sol. Parmi les mécaniciens présents dans la chaufferie se trouve le troisième mécanicien, Lucien Hanquin, 29 ans, Grand et large gaillard qui, après avoir servi en tant que mécanicien à bord des sous-marins pendant la guerre, avait décidé de poursuivre sa carrière dans la marine marchande car la paie était quand même pas si mal. Lucien Quint est un homme marié, père d'une fillette de 3 ans, à qui il promet des beaux souvenirs de ses voyages le long des côtes africaines. Et la famille s'est agrandie depuis 8 mois avec la naissance de la petite Jacqueline. Le 10 janvier, au matin, Afrique est sur le point de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la Gironde. Le temps ne s'est pas amélioré pendant la nuit, la visibilité est même pire. Il y a du brouillard, la mer est forte, le vent augmente en intensité. La tempête guette de plus en plus. Les conditions sont exécrables, mais le dû connaît bien ce passage compliqué de la pointe de la courbe avec le banc de la Mauvaise redouté par bien des marins. Peu de temps après avoir pris la mer, le chef mécanicien, Gaston Bélanger, découvre alors de l'eau qui envahit la chaufferie sous le plancher. C'est léger, minime même, mais il faut en avertir le capitaine afin qu'il puisse modérer l'allure du paquebot. La mer est mauvaise et il faudra faire en sorte de diminuer le roulis et le tangage pour faire fonctionner les pompes. Le dû accède à la requête du chef mécanicien et fait diminuer la vitesse de son paquebot. À ce moment de notre histoire... On ne sait pas d'où vient cette voie d'eau. Et elle n'inquiète pas plus que ça, car elle semble vraiment légère et n'augmente pas vraiment. C'est une situation rare, mais cela se produit parfois à bord des paquebots. Afrique a déjà connu une situation similaire il y a quelques mois et avait pu terminer son voyage. Il poursuit donc son chemin. La journée passe et la mer se creuse de plus en plus. Des vagues de plusieurs mètres déferlent sur l'Afrique. Le vent est de plus en plus fort, la tempête gagne en intensité, accentuant le tangage. et les tas de crasse se déversent au sol. L'eau les emporte dans les ponts et petit à petit, elle les bouche. Évidemment, personne ne s'en rend compte immédiatement, jusqu'à ce qu'on constate que le niveau de l'eau commence sérieusement à augmenter ici-bas. L'Afrique est à ce moment à 70 000 marins de la courbe. Otuta, plateau de Rochebonne, est à 55 000 au nord. C'est un plateau bien connu des marins vendéens. On sait qu'il faut s'en méfier. On sait que la mer y est mauvaise et que dans ses creux, on a vite fait d'y venir heurter le fond. Combien de navires s'y sont perdus ? Brisés sur les aiguilles de la congrès, de la pierre levée, où les roches semaient. Combien de marins y dorment au fond ? Comme un immense sphinx au fond des eaux couchées. Rochebonne, à l'affût, guette sa proie huchée. Sur les sables marins que tapissent en vin, les bateaux agrippés. par ses griffes des rats. Marcel Baudouin, érudit vendéen. Dans la soirée, face à la situation qui devient alarmante, le DUS décide avec ses officiers de modifier le cap de l'Afrique et de partir au nord donc, vers le port de La Palisse, pour débarquer les passagers et faire réparer le navire. Le DUS prévient alors par radio TSF la compagnie des chargeurs réunis de la situation dans laquelle il se trouve et de sa prise de décision. L'eau monte dans la chaufferie et complique sérieusement le travail des soutiers qui pataugent et glissent dans la crasse et peinent à approvisionner les chaudières en charbon. Et face à cette tempête, Afrique a besoin de toute sa puissance pour avancer. Lucien Hainquin et ses collègues mécaniciens font leur maximum pour écoper autant que possible l'eau du plancher dans des conditions que vous imaginez bien horribles au milieu de cette tempête qui les fait danser au milieu de la chaufferie. Le changement de cap est périlleux au milieu de l'océan démonté. Il faut virer de bord et l'Afrique ne manœuvre pas assez vite et est balottée comme une coquille de noix au creux des vagues. La tempête s'est transformée en ouragan. À bord, les passagers sont malades, terrassés par le mal de mer. Le médecin de bord leur fait passer des médicaments qui les rendent groggy, somnolents. La plupart des passagers ne comprennent pas le danger qui les guette. Mais certains entendent les conversations de l'équipage. Et les inquiétudes commencent sérieusement à monter parmi ceux qui assistent aux allées et venues des mécaniciens, trempés, couverts de crasse, portant des seaux remplis d'eau. C'est plein d'eau en bas au bateau, je... Que de misère, que de misère. Ça, ça ne va jamais. Le dû avec ses officiers à la manœuvre échoue encore et encore à faire virer de bord l'Afrique. Le servomoteur du gouvernail tombe en panne et fait rater la manœuvre, mettant l'Afrique... en travers de la mer à plusieurs reprises entre minuit et 5h du matin. Petit à petit, le paquebot prend de la gîte sur tribord et au milieu de la nuit, les machines côté tribord sont noyées et s'arrêtent. Le dieu ne commande plus son navire qu'à l'aide des machines bas-bord. Les soutiers ont de plus en plus de mal à approvisionner entre les embardés du paquebot, la gîte, l'eau et le sol crasseux qui est une véritable patinoire. Il est impossible de tenir debout. La pression donnée par les trois dernières chaudières est faible et le navire avance de plus en plus lentement, trois ou quatre nœuds environ. Mais le brave capitaine Ledoux et ses soutiers, à force d'efforts, parviennent à mettre Afrique sur le bon cap et à maintenir le compas, plus ou moins en direction du nord, vers la palisse. C'est très compliqué sous ce vent avec la faible puissance du navire. A l'aube du 11 janvier, vers 7 heures, le DU envoie alors un message de détresse via la TSF réclamant qu'on lui porte assistance. Je vous rappelle que les communications radio à cette époque se faisaient en signal Morse. Il obtient très rapidement une réponse que le cèdre et le victoire, deux remorqueurs de la marine nationale, partent de Rochefort pour lui venir en aide. Une heure après, vers 8h30, le Ceylan, un autre paquebot postal d'un tonnage plus important, répond également à l'Afrique en lui indiquant qu'il se déroute pour lui porter assistance. Il était lui aussi parti de Bordeaux le 10 janvier et faisait route sur l'Atlantique Sud. Le Dieu est soulagé. Ils seront secourus. Ils ne sont pas seuls. Pour autant, la tempête, qui n'a fait qu'augmenter en intensité, se transforme à présent en ouragan et il doit lutter pour maintenir son cap et garder son navire à flot. Et ça, c'est une autre paire de manches avec la moitié des machines à l'arrêt et sans cerveau moteur du gouvernail. Quelques heures plus tard, aux environs de 14 heures, le soulagement de l'Euduce effondre. Un nouvel échange radio avec Rochefort l'informe que les remorqueurs ne parviennent pas à lui venir en aide. Ce sont des petits remorqueurs servant plutôt aux manœuvres au port. Ils ne sont pas assez puissants pour avancer au milieu des creux des vagues et il leur est impossible de dépasser l'île d'Aix. Et en plus, l'un d'entre eux semble avoir une avarie de moteur.

Description

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1920, "Afrique", ⚓ paquebot des Chargeurs Réunis est en route vers les ports des colonies françaises Africaines.

Ses ponts sont chargés de fonctionnaires coloniales et de leurs familles, ainsi que de quelques 200 tirailleurs sénégalais démobilisés après la grande guerre.

Il vient de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la gironde lorsqu'une voie d'eau est découverte dans la chaufferie.
Petit à petit la situation empire à bord, dehors la tempête est sans pitié. 🌊

Privé de ses moteurs, le petit paquebot dérive inexorablement vers le redoutable Plateau de Rochebonne, au large de l'île de Ré et des Sables d'Olonne

Ce naufrage ne laissera que très peu de survivants, tombera dans l'oubli générale et porte aujourd'hui le nom de "Titanic Français".


Découvrez avec moi les détails et les dessous du dernier voyage de l'Afrique. ⛴️

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Au large des sables de l'Aune et de l'île de Ré, nous sommes par 47 mètres de fond avec une très belle luminosité. La proue fantomatique d'un paquebot fait face à nous. Elle est là, très légèrement penchée sur tribord, sa coque morcelée, rongée par l'océan depuis 100 ans, ressemble au drap d'un fantôme. Une ancre repose non loin sur le sable. On remonte le long de son étrave, on parcourt le pont avant, puis bientôt il n'y a plus de pont, plus de superstructures, tout est effondré, disparu depuis bien longtemps. A la place, on découvre le coeur du bateau. Deux rangs de trois belles et immenses chaudières posées au fond. Derrière elles, des machines triple expansion. Les mécaniciens et soutiers aujourd'hui ne sont plus que les bandes macro qui l'habitent. On suit l'arbre de transmission d'hélices. au milieu des fragments de tôle qui, un siècle avant, formaient la coque du navire. Ici, on devine ce qu'il reste de sa poupe et le pont supérieur arrière. Le safran et les deux imposantes hélices à trois pales sont encore là, couchées sur tribord, immobiles dans cette position depuis cette nuit du 12 janvier 1920. Quelle est donc cette étrange épave ? Afrique, mes amis, c'est le nom de l'immense paquebot que nous venons de parcourir. Pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire, c'est l'un des naufrages les plus meurtriers qu'il y a eu le long de nos côtes et que l'histoire a injustement oublié. Alors, vérifiez votre équipement, ouvrez votre bouteille, fermez bien votre combinaison, ajustez votre gilet et serrez votre ceinture de plomb. Détendeur en bouche, plongeons ensemble dans l'histoire du terrible naufrage de l'Afrique. Afrique était un paquebot mixte, c'est-à-dire qu'il pouvait transporter des passagers et des marchandises ainsi que le courrier qu'il devait décharger dans les ports sur son chemin. Sa construction commence le 21 novembre 1907 au chantier Swan Hunter et Wiggum Richardson de Newcastle, Angleterre. Si ce nom ne vous est pas inconnu pour les plus férus d'entre vous, c'est normal. C'est le même chantier qui a construit l'année d'avant le célèbre Mauritania de la Cunard. Afrique appartient à la compagnie de navigation des chargeurs réunis située au Havre. Elle se charge d'assurer les liaisons entre le Brésil, l'Argentine et les ports des colonies africaines françaises. Ce sera d'ailleurs le rôle de l'Afrique qui part de Bordeaux vers Dakar en passant par Ténérife, desservant les autres ports des colonies françaises telles que la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Congo. C'est un paquebot de 120 mètres de long, 14,80 mètres de large et 5400 tonneaux. Propulsé par deux hélices à trois pales, il est capable d'atteindre une vitesse de 17 nœuds lors de ses essais. A son bord, il peut embarquer 227 passagers répartis en trois classes. 79 en première, 68 en seconde et 80 en troisième. Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas dans les proportions d'un paquebot transatlantique. Non, c'est un petit paquebot composé de cinq ponts, une grande cheminée centrale surplombe sa superstructure, sur le manchon, cinq étoiles rouges sont peintes symbolisant les cinq continents qu'elle dessert. C'est un paquebot simple mais très confortable pour l'époque. On y trouve, en première classe, une grande salle à manger avec des tables communes pour 7 ou 10 personnes et des fauteuils pivotants fixés au sol. On est en 1907, cela se faisait encore beaucoup. Des poteaux en bois vernis légèrement stylisés rigidifient la pièce. Au plafond blanc, des globes lumineux éclairent les tables. Panneaux de bois de chêne clairent sur les murs, la pièce est plutôt chaleureuse. Un salon de convivialité accueille les passagers. Ils peuvent s'y retrouver et converser assis à des petites tables carrées. Des fauteuils bergères sont dispersés ça et là, avec des petits bureaux pour rédiger des correspondances. La pièce est habillée de panneaux de bois peints en blanc. Au plafond, toujours, ces globes lumineux. Des hublots carrés éclairent la pièce de chaque côté, laissant entrer une belle luminosité. Sans oublier, au centre du plafond, un dôme lumineux habillé de vitraux s'alliant au style de la pièce. Dans ce même salon se trouve la bibliothèque du navire dont la maison Hachette a fourni les étagères de ses meilleurs ouvrages. Le soir venu, il devait être agréable de s'y installer pour écouter un musicien faire courir ses doigts sur le piano. C'est à mon sens la plus jolie pièce du navire. Ou bien, les passagers de l'Afrique peuvent aussi se retirer dans le fumoir et s'affaler dans les banquettes. Sur le mur, des panneaux de toile donnent à la pièce une apparence cossue. En apparence seulement car au plafond, ce sont des ampoules qui éclairent la pièce et se reflètent dans le vernis des imposantes tables en bois. Assez de toute cette fumée ? Bon, sortons prendre un thé. Sur le pont arrière, on y trouve un café véranda avec ses petites tables carrées au pied de fer forgé et ses bancs en bois. Pas très confortable mais qu'importe, on y respire le grand air et les embruns marins. Les cabines sont simples mais douillettes. Ce ne sont pas des lits doubles en première classe, vous trouverez un lit superposé pour deux personnes avec un petit canapé en tissu. Au mur, des panneaux de bois peints en blanc, mais si vous levez les yeux, vous remarquerez que le même soin n'a pas été apporté au plafond qui, lui, reste en tôle riftée. Toutefois, le hublot peut être fermé de l'intérieur par un petit volet en bois ou bien un rideau pour l'intimité. Les salles de bain sont communes et on distingue celles des femmes de celles des hommes, évidemment. Mais le début des années 1900 est aussi l'arrivée du grand luxe à bord des paquebots. Afrique aura alors le droit lui aussi de recevoir des cabines de luxe ou demi-luxe. Ce sont des petits appartements composés d'un salon, d'une chambre, d'un cabinet de toilette et d'une salle de bain privative. Des tentures claires habillent la chambre et la rendent lumineuse. Dans le salon, un petit bureau et un canapé pouvant être convertis en couchettes supplémentaires. Comme la photographie est très en vogue et que les particuliers fortunés s'offrent des appareils de voyage, la compagnie a fait installer à bord une chambre noire dans laquelle ils peuvent développer les images capturées pendant leur voyage dans les beaux pays d'Afrique. Leurs proches et amis seront certainement ravis de découvrir ces photos une fois à terre. Avant de débarquer, au terme des 20 jours de traversée, n'oubliez pas de faire un crochet par le coiffeur situé à l'arrière du navire. Il saura vous arranger les cheveux et la barbe. En seconde classe, pareil. Table commune dans la salle à manger, fauteuil en acajou fixé au sol. En termes de décoration, il n'y a pas grande différence avec la première classe. C'est plutôt la taille des pièces qui les différencie. Les cabines dans seconde classe sont prévues pour deux ou quatre personnes et ce sont des lits superposés également. On y trouve encore un petit rideau devant le hublot pour masquer la lumière du jour. Et bien sûr, les grands espaces de 3ème classe dont il est inutile de vous décrire la décoration. Vous la connaissez bien et vous savez que leurs cabines sont en fait des petits dortoirs de 6 ou 8 couchettes superposées. Nous sommes donc à ce niveau proche du ventre de l'Afrique, cloisonné par 14 cloisons étanches. Ils renferment des machines à triple expansion alimentées par 6 chaudières, les turbines de circulation et la dynamo qui fournit l'électricité à tout ce petit hôtel flottant. Sans oublier les chambres froides où sont entreposés les vivres qui seront cuisinés à bord pendant ce beau voyage. Vous voyez qu'à bord d'Afrique, nous sommes tout de même loin du luxe et du confort de la prestigieuse ligne de l'Atlantique Nord, mais que le voyage ne s'annonce pas non plus des plus déplaisants. Afrique est confortable et comme sa destination sont les pays chauds d'Afrique, la compagnie a installé à bord une innovation. Une climatisation pour le navire qu'on appelait alors thermotank et qui envoyait dans le navire de l'air froid ou chaud. N'oublions pas que les nuits sont fraîches au milieu de l'Atlantique. La demande pour ces destinations restait forte. La compagnie des chargeurs réunis organisait donc ce qu'ils appelaient des Congo Express. C'était un train au départ de Paris à destination de Bordeaux-Pauillac. Tous les 24 de chaque mois, ou en sortant du train, on pouvait directement embarquer à bord de l'Afrique. Tout était compris par la compagnie, du billet de train jusqu'au billet d'embarquement à bord avec votre cabine déjà prête, c'est vous dire. Ainsi commence donc la carrière de l'Afrique qui n'est pas de tout repos mais qui effectue bravement ses rotations. Bientôt, sa silhouette à l'arrière de laquelle claque fièrement le pavillon français est bien connue des côtes africaines et françaises, apportant le soleil et les envies d'évasion à ceux qui le regardent passer. Mais Afrique ne fera pas exception à l'histoire. Comme tout paquebot de ce début du siècle précédent, il connut la Première Guerre mondiale. Comme tous les autres, il sera réquisitionné et servira au transport des troupes. Il conserve sa ligne habituelle, mais transporte dans ses cales du matériel à destination du front, et dans ses ponts, des soldats entassés. Ce qui le sauva peut-être des redoutables U-boots allemands, c'est qu'on eut la bonne idée de peindre sa cheminée en jaune. Ainsi, les Allemands pensaient qu'il s'agissait d'un navire belge chargé de transporter les blessés allemands. La guerre prit fin en 1918 et commence alors le long retour des troupes vers leur foyer. Et c'est long, très long le temps que tout le monde soit démobilisé. Afrique reprend son service habituel et ponctuellement, en 3ème classe, il charge des soldats et tirailleurs sénégalais qu'il ramène à bon port. En fin d'année 1919, Afrique est temporairement retirée du service pour un gros entretien. Les opérations durent plusieurs semaines et au début de l'année 1920, c'est donc un paquebot prêt à reprendre sa route. Le 7 janvier, la commission de sécurité passe à bord pour la visite annuelle et son permis de navigation est renouvelé. Il pourra donc appareiller le 9 janvier 1920 pour son dernier voyage. Mais ça, personne ne le sait encore. A la barre, c'est le capitaine Antoine Ledu, 43 ans, marin depuis l'âge de 17 ans. C'est un bel homme, bien charpenté avec une fière allure, une épaisse moustache en guidon et une barbe longue et bien fournie. C'est un capitaine expérimenté au sein de la compagnie. Il connaît l'océan, il connaît les tempêtes, il connaît l'Atlantique. Il est même très apprécié puisqu'il eut le privilège de commander le yacht personnel du patron des chargeurs réunis. Il connaît bien Afrique. Ce n'est pas la première fois qu'on lui confie la barre. Si on additionne toutes les heures passées à son bord en tant que capitaine, on en arrive à une durée d'un an complet. Le voyage à venir est donc un voyage de routine pour le capitaine Ledoux. Nous sommes alors le 9 janvier 1920 et Afrique est au quai des Chartrons à Bordeaux. A son bord, on charge les marchandises, 500 tonnes de courriers et colis à destination des ports d'Afrique, les vivres dans les chambres froides, des caisses de vin et de champagne, et j'en passe. En même temps, un peu plus de 600 passagers et membres d'équipage prennent possession de leurs espaces. Retenez bien ce chiffre. 600 âmes à bord. Ce ne sont pas des touristes, mais des colons ou des fonctionnaires. Parmi eux, 264 partent pour reprendre leurs affaires dans les colonies ou les administrations françaises. 17 missionnaires ou religieux dont Monseigneur l'évêque Yacinthe Joseph Jalaber, très célèbre et apprécié dans les colonies d'Afrique pour son travail ecclésiastique, son enseignement et son dévouement aux colonies. Il rentre à Dakar, au Sénégal, avec les missionnaires afin d'y faire construire la cathédrale Notre-Dame des Victoires ou cathédrale du souvenir africain. Il emporte donc avec lui un précieux trésor de pièces d'or et de dons afin de mener à bien les travaux. Il a déjà obtenu depuis 1911 l'autorisation pour la construction, ainsi que l'emplacement situé boulevard de la République dans le quartier de Dakar Plateau. Oui, cette cathédrale existe bien aujourd'hui, mais ce n'est pas grâce à M. Jalaber, puisque malheureusement il va mourir dans le naufrage qui arrive. Dans les entreponts du paquebot, en 3ème classe, 192 tirailleurs sénégalais embarquent enfin à bord. Heureux d'aller retrouver leurs proches et leur terre à laquelle on les a arrachés. Également, 28 militaires français non africains et 130 membres d'équipage. Vous l'aurez compris, l'Afrique dépasse largement sa capacité habituelle. Ce 9 janvier, le paquebot apparaît à 19h des quais des Chartrons et commence sa descente de la Gironde direction la Haute-Mer. Le temps est venteux. et la vue n'est pas très bonne, laissant présager un début de traversée mouvementé. Il est un peu avant minuit et l'Afrique jette son encre au verdon sur mer. La marée est décroissante, on ne peut donc pas prendre la pleine mer et on espère que la visibilité sera meilleure au matin. Il faut à présent que je vous donne un détail de l'histoire qui va prendre, dans quelques instants, une importance de taille. Les chaudières avaient été décrassées avant son départ de Bordeaux, c'est-à-dire qu'on avait récuré l'intérieur retirer tous les résidus de combustion. Cette crasse avait donc été entreposée en tas dans les ailes de la chaufferie et devait être évacuée avant le départ. Mais, comme les passagers commençaient à embarquer, on voulut leur épargner la vue de ce spectacle poussiéreux et salissant. La crasse est donc toujours présente à bord, à même le sol. Parmi les mécaniciens présents dans la chaufferie se trouve le troisième mécanicien, Lucien Hanquin, 29 ans, Grand et large gaillard qui, après avoir servi en tant que mécanicien à bord des sous-marins pendant la guerre, avait décidé de poursuivre sa carrière dans la marine marchande car la paie était quand même pas si mal. Lucien Quint est un homme marié, père d'une fillette de 3 ans, à qui il promet des beaux souvenirs de ses voyages le long des côtes africaines. Et la famille s'est agrandie depuis 8 mois avec la naissance de la petite Jacqueline. Le 10 janvier, au matin, Afrique est sur le point de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la Gironde. Le temps ne s'est pas amélioré pendant la nuit, la visibilité est même pire. Il y a du brouillard, la mer est forte, le vent augmente en intensité. La tempête guette de plus en plus. Les conditions sont exécrables, mais le dû connaît bien ce passage compliqué de la pointe de la courbe avec le banc de la Mauvaise redouté par bien des marins. Peu de temps après avoir pris la mer, le chef mécanicien, Gaston Bélanger, découvre alors de l'eau qui envahit la chaufferie sous le plancher. C'est léger, minime même, mais il faut en avertir le capitaine afin qu'il puisse modérer l'allure du paquebot. La mer est mauvaise et il faudra faire en sorte de diminuer le roulis et le tangage pour faire fonctionner les pompes. Le dû accède à la requête du chef mécanicien et fait diminuer la vitesse de son paquebot. À ce moment de notre histoire... On ne sait pas d'où vient cette voie d'eau. Et elle n'inquiète pas plus que ça, car elle semble vraiment légère et n'augmente pas vraiment. C'est une situation rare, mais cela se produit parfois à bord des paquebots. Afrique a déjà connu une situation similaire il y a quelques mois et avait pu terminer son voyage. Il poursuit donc son chemin. La journée passe et la mer se creuse de plus en plus. Des vagues de plusieurs mètres déferlent sur l'Afrique. Le vent est de plus en plus fort, la tempête gagne en intensité, accentuant le tangage. et les tas de crasse se déversent au sol. L'eau les emporte dans les ponts et petit à petit, elle les bouche. Évidemment, personne ne s'en rend compte immédiatement, jusqu'à ce qu'on constate que le niveau de l'eau commence sérieusement à augmenter ici-bas. L'Afrique est à ce moment à 70 000 marins de la courbe. Otuta, plateau de Rochebonne, est à 55 000 au nord. C'est un plateau bien connu des marins vendéens. On sait qu'il faut s'en méfier. On sait que la mer y est mauvaise et que dans ses creux, on a vite fait d'y venir heurter le fond. Combien de navires s'y sont perdus ? Brisés sur les aiguilles de la congrès, de la pierre levée, où les roches semaient. Combien de marins y dorment au fond ? Comme un immense sphinx au fond des eaux couchées. Rochebonne, à l'affût, guette sa proie huchée. Sur les sables marins que tapissent en vin, les bateaux agrippés. par ses griffes des rats. Marcel Baudouin, érudit vendéen. Dans la soirée, face à la situation qui devient alarmante, le DUS décide avec ses officiers de modifier le cap de l'Afrique et de partir au nord donc, vers le port de La Palisse, pour débarquer les passagers et faire réparer le navire. Le DUS prévient alors par radio TSF la compagnie des chargeurs réunis de la situation dans laquelle il se trouve et de sa prise de décision. L'eau monte dans la chaufferie et complique sérieusement le travail des soutiers qui pataugent et glissent dans la crasse et peinent à approvisionner les chaudières en charbon. Et face à cette tempête, Afrique a besoin de toute sa puissance pour avancer. Lucien Hainquin et ses collègues mécaniciens font leur maximum pour écoper autant que possible l'eau du plancher dans des conditions que vous imaginez bien horribles au milieu de cette tempête qui les fait danser au milieu de la chaufferie. Le changement de cap est périlleux au milieu de l'océan démonté. Il faut virer de bord et l'Afrique ne manœuvre pas assez vite et est balottée comme une coquille de noix au creux des vagues. La tempête s'est transformée en ouragan. À bord, les passagers sont malades, terrassés par le mal de mer. Le médecin de bord leur fait passer des médicaments qui les rendent groggy, somnolents. La plupart des passagers ne comprennent pas le danger qui les guette. Mais certains entendent les conversations de l'équipage. Et les inquiétudes commencent sérieusement à monter parmi ceux qui assistent aux allées et venues des mécaniciens, trempés, couverts de crasse, portant des seaux remplis d'eau. C'est plein d'eau en bas au bateau, je... Que de misère, que de misère. Ça, ça ne va jamais. Le dû avec ses officiers à la manœuvre échoue encore et encore à faire virer de bord l'Afrique. Le servomoteur du gouvernail tombe en panne et fait rater la manœuvre, mettant l'Afrique... en travers de la mer à plusieurs reprises entre minuit et 5h du matin. Petit à petit, le paquebot prend de la gîte sur tribord et au milieu de la nuit, les machines côté tribord sont noyées et s'arrêtent. Le dieu ne commande plus son navire qu'à l'aide des machines bas-bord. Les soutiers ont de plus en plus de mal à approvisionner entre les embardés du paquebot, la gîte, l'eau et le sol crasseux qui est une véritable patinoire. Il est impossible de tenir debout. La pression donnée par les trois dernières chaudières est faible et le navire avance de plus en plus lentement, trois ou quatre nœuds environ. Mais le brave capitaine Ledoux et ses soutiers, à force d'efforts, parviennent à mettre Afrique sur le bon cap et à maintenir le compas, plus ou moins en direction du nord, vers la palisse. C'est très compliqué sous ce vent avec la faible puissance du navire. A l'aube du 11 janvier, vers 7 heures, le DU envoie alors un message de détresse via la TSF réclamant qu'on lui porte assistance. Je vous rappelle que les communications radio à cette époque se faisaient en signal Morse. Il obtient très rapidement une réponse que le cèdre et le victoire, deux remorqueurs de la marine nationale, partent de Rochefort pour lui venir en aide. Une heure après, vers 8h30, le Ceylan, un autre paquebot postal d'un tonnage plus important, répond également à l'Afrique en lui indiquant qu'il se déroute pour lui porter assistance. Il était lui aussi parti de Bordeaux le 10 janvier et faisait route sur l'Atlantique Sud. Le Dieu est soulagé. Ils seront secourus. Ils ne sont pas seuls. Pour autant, la tempête, qui n'a fait qu'augmenter en intensité, se transforme à présent en ouragan et il doit lutter pour maintenir son cap et garder son navire à flot. Et ça, c'est une autre paire de manches avec la moitié des machines à l'arrêt et sans cerveau moteur du gouvernail. Quelques heures plus tard, aux environs de 14 heures, le soulagement de l'Euduce effondre. Un nouvel échange radio avec Rochefort l'informe que les remorqueurs ne parviennent pas à lui venir en aide. Ce sont des petits remorqueurs servant plutôt aux manœuvres au port. Ils ne sont pas assez puissants pour avancer au milieu des creux des vagues et il leur est impossible de dépasser l'île d'Aix. Et en plus, l'un d'entre eux semble avoir une avarie de moteur.

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Description

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1920, "Afrique", ⚓ paquebot des Chargeurs Réunis est en route vers les ports des colonies françaises Africaines.

Ses ponts sont chargés de fonctionnaires coloniales et de leurs familles, ainsi que de quelques 200 tirailleurs sénégalais démobilisés après la grande guerre.

Il vient de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la gironde lorsqu'une voie d'eau est découverte dans la chaufferie.
Petit à petit la situation empire à bord, dehors la tempête est sans pitié. 🌊

Privé de ses moteurs, le petit paquebot dérive inexorablement vers le redoutable Plateau de Rochebonne, au large de l'île de Ré et des Sables d'Olonne

Ce naufrage ne laissera que très peu de survivants, tombera dans l'oubli générale et porte aujourd'hui le nom de "Titanic Français".


Découvrez avec moi les détails et les dessous du dernier voyage de l'Afrique. ⛴️

🎧


Sons: 


Musiques:


  • Dream Library

  • Faceoff - Kevin MacLeod






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Au large des sables de l'Aune et de l'île de Ré, nous sommes par 47 mètres de fond avec une très belle luminosité. La proue fantomatique d'un paquebot fait face à nous. Elle est là, très légèrement penchée sur tribord, sa coque morcelée, rongée par l'océan depuis 100 ans, ressemble au drap d'un fantôme. Une ancre repose non loin sur le sable. On remonte le long de son étrave, on parcourt le pont avant, puis bientôt il n'y a plus de pont, plus de superstructures, tout est effondré, disparu depuis bien longtemps. A la place, on découvre le coeur du bateau. Deux rangs de trois belles et immenses chaudières posées au fond. Derrière elles, des machines triple expansion. Les mécaniciens et soutiers aujourd'hui ne sont plus que les bandes macro qui l'habitent. On suit l'arbre de transmission d'hélices. au milieu des fragments de tôle qui, un siècle avant, formaient la coque du navire. Ici, on devine ce qu'il reste de sa poupe et le pont supérieur arrière. Le safran et les deux imposantes hélices à trois pales sont encore là, couchées sur tribord, immobiles dans cette position depuis cette nuit du 12 janvier 1920. Quelle est donc cette étrange épave ? Afrique, mes amis, c'est le nom de l'immense paquebot que nous venons de parcourir. Pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire, c'est l'un des naufrages les plus meurtriers qu'il y a eu le long de nos côtes et que l'histoire a injustement oublié. Alors, vérifiez votre équipement, ouvrez votre bouteille, fermez bien votre combinaison, ajustez votre gilet et serrez votre ceinture de plomb. Détendeur en bouche, plongeons ensemble dans l'histoire du terrible naufrage de l'Afrique. Afrique était un paquebot mixte, c'est-à-dire qu'il pouvait transporter des passagers et des marchandises ainsi que le courrier qu'il devait décharger dans les ports sur son chemin. Sa construction commence le 21 novembre 1907 au chantier Swan Hunter et Wiggum Richardson de Newcastle, Angleterre. Si ce nom ne vous est pas inconnu pour les plus férus d'entre vous, c'est normal. C'est le même chantier qui a construit l'année d'avant le célèbre Mauritania de la Cunard. Afrique appartient à la compagnie de navigation des chargeurs réunis située au Havre. Elle se charge d'assurer les liaisons entre le Brésil, l'Argentine et les ports des colonies africaines françaises. Ce sera d'ailleurs le rôle de l'Afrique qui part de Bordeaux vers Dakar en passant par Ténérife, desservant les autres ports des colonies françaises telles que la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Congo. C'est un paquebot de 120 mètres de long, 14,80 mètres de large et 5400 tonneaux. Propulsé par deux hélices à trois pales, il est capable d'atteindre une vitesse de 17 nœuds lors de ses essais. A son bord, il peut embarquer 227 passagers répartis en trois classes. 79 en première, 68 en seconde et 80 en troisième. Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas dans les proportions d'un paquebot transatlantique. Non, c'est un petit paquebot composé de cinq ponts, une grande cheminée centrale surplombe sa superstructure, sur le manchon, cinq étoiles rouges sont peintes symbolisant les cinq continents qu'elle dessert. C'est un paquebot simple mais très confortable pour l'époque. On y trouve, en première classe, une grande salle à manger avec des tables communes pour 7 ou 10 personnes et des fauteuils pivotants fixés au sol. On est en 1907, cela se faisait encore beaucoup. Des poteaux en bois vernis légèrement stylisés rigidifient la pièce. Au plafond blanc, des globes lumineux éclairent les tables. Panneaux de bois de chêne clairent sur les murs, la pièce est plutôt chaleureuse. Un salon de convivialité accueille les passagers. Ils peuvent s'y retrouver et converser assis à des petites tables carrées. Des fauteuils bergères sont dispersés ça et là, avec des petits bureaux pour rédiger des correspondances. La pièce est habillée de panneaux de bois peints en blanc. Au plafond, toujours, ces globes lumineux. Des hublots carrés éclairent la pièce de chaque côté, laissant entrer une belle luminosité. Sans oublier, au centre du plafond, un dôme lumineux habillé de vitraux s'alliant au style de la pièce. Dans ce même salon se trouve la bibliothèque du navire dont la maison Hachette a fourni les étagères de ses meilleurs ouvrages. Le soir venu, il devait être agréable de s'y installer pour écouter un musicien faire courir ses doigts sur le piano. C'est à mon sens la plus jolie pièce du navire. Ou bien, les passagers de l'Afrique peuvent aussi se retirer dans le fumoir et s'affaler dans les banquettes. Sur le mur, des panneaux de toile donnent à la pièce une apparence cossue. En apparence seulement car au plafond, ce sont des ampoules qui éclairent la pièce et se reflètent dans le vernis des imposantes tables en bois. Assez de toute cette fumée ? Bon, sortons prendre un thé. Sur le pont arrière, on y trouve un café véranda avec ses petites tables carrées au pied de fer forgé et ses bancs en bois. Pas très confortable mais qu'importe, on y respire le grand air et les embruns marins. Les cabines sont simples mais douillettes. Ce ne sont pas des lits doubles en première classe, vous trouverez un lit superposé pour deux personnes avec un petit canapé en tissu. Au mur, des panneaux de bois peints en blanc, mais si vous levez les yeux, vous remarquerez que le même soin n'a pas été apporté au plafond qui, lui, reste en tôle riftée. Toutefois, le hublot peut être fermé de l'intérieur par un petit volet en bois ou bien un rideau pour l'intimité. Les salles de bain sont communes et on distingue celles des femmes de celles des hommes, évidemment. Mais le début des années 1900 est aussi l'arrivée du grand luxe à bord des paquebots. Afrique aura alors le droit lui aussi de recevoir des cabines de luxe ou demi-luxe. Ce sont des petits appartements composés d'un salon, d'une chambre, d'un cabinet de toilette et d'une salle de bain privative. Des tentures claires habillent la chambre et la rendent lumineuse. Dans le salon, un petit bureau et un canapé pouvant être convertis en couchettes supplémentaires. Comme la photographie est très en vogue et que les particuliers fortunés s'offrent des appareils de voyage, la compagnie a fait installer à bord une chambre noire dans laquelle ils peuvent développer les images capturées pendant leur voyage dans les beaux pays d'Afrique. Leurs proches et amis seront certainement ravis de découvrir ces photos une fois à terre. Avant de débarquer, au terme des 20 jours de traversée, n'oubliez pas de faire un crochet par le coiffeur situé à l'arrière du navire. Il saura vous arranger les cheveux et la barbe. En seconde classe, pareil. Table commune dans la salle à manger, fauteuil en acajou fixé au sol. En termes de décoration, il n'y a pas grande différence avec la première classe. C'est plutôt la taille des pièces qui les différencie. Les cabines dans seconde classe sont prévues pour deux ou quatre personnes et ce sont des lits superposés également. On y trouve encore un petit rideau devant le hublot pour masquer la lumière du jour. Et bien sûr, les grands espaces de 3ème classe dont il est inutile de vous décrire la décoration. Vous la connaissez bien et vous savez que leurs cabines sont en fait des petits dortoirs de 6 ou 8 couchettes superposées. Nous sommes donc à ce niveau proche du ventre de l'Afrique, cloisonné par 14 cloisons étanches. Ils renferment des machines à triple expansion alimentées par 6 chaudières, les turbines de circulation et la dynamo qui fournit l'électricité à tout ce petit hôtel flottant. Sans oublier les chambres froides où sont entreposés les vivres qui seront cuisinés à bord pendant ce beau voyage. Vous voyez qu'à bord d'Afrique, nous sommes tout de même loin du luxe et du confort de la prestigieuse ligne de l'Atlantique Nord, mais que le voyage ne s'annonce pas non plus des plus déplaisants. Afrique est confortable et comme sa destination sont les pays chauds d'Afrique, la compagnie a installé à bord une innovation. Une climatisation pour le navire qu'on appelait alors thermotank et qui envoyait dans le navire de l'air froid ou chaud. N'oublions pas que les nuits sont fraîches au milieu de l'Atlantique. La demande pour ces destinations restait forte. La compagnie des chargeurs réunis organisait donc ce qu'ils appelaient des Congo Express. C'était un train au départ de Paris à destination de Bordeaux-Pauillac. Tous les 24 de chaque mois, ou en sortant du train, on pouvait directement embarquer à bord de l'Afrique. Tout était compris par la compagnie, du billet de train jusqu'au billet d'embarquement à bord avec votre cabine déjà prête, c'est vous dire. Ainsi commence donc la carrière de l'Afrique qui n'est pas de tout repos mais qui effectue bravement ses rotations. Bientôt, sa silhouette à l'arrière de laquelle claque fièrement le pavillon français est bien connue des côtes africaines et françaises, apportant le soleil et les envies d'évasion à ceux qui le regardent passer. Mais Afrique ne fera pas exception à l'histoire. Comme tout paquebot de ce début du siècle précédent, il connut la Première Guerre mondiale. Comme tous les autres, il sera réquisitionné et servira au transport des troupes. Il conserve sa ligne habituelle, mais transporte dans ses cales du matériel à destination du front, et dans ses ponts, des soldats entassés. Ce qui le sauva peut-être des redoutables U-boots allemands, c'est qu'on eut la bonne idée de peindre sa cheminée en jaune. Ainsi, les Allemands pensaient qu'il s'agissait d'un navire belge chargé de transporter les blessés allemands. La guerre prit fin en 1918 et commence alors le long retour des troupes vers leur foyer. Et c'est long, très long le temps que tout le monde soit démobilisé. Afrique reprend son service habituel et ponctuellement, en 3ème classe, il charge des soldats et tirailleurs sénégalais qu'il ramène à bon port. En fin d'année 1919, Afrique est temporairement retirée du service pour un gros entretien. Les opérations durent plusieurs semaines et au début de l'année 1920, c'est donc un paquebot prêt à reprendre sa route. Le 7 janvier, la commission de sécurité passe à bord pour la visite annuelle et son permis de navigation est renouvelé. Il pourra donc appareiller le 9 janvier 1920 pour son dernier voyage. Mais ça, personne ne le sait encore. A la barre, c'est le capitaine Antoine Ledu, 43 ans, marin depuis l'âge de 17 ans. C'est un bel homme, bien charpenté avec une fière allure, une épaisse moustache en guidon et une barbe longue et bien fournie. C'est un capitaine expérimenté au sein de la compagnie. Il connaît l'océan, il connaît les tempêtes, il connaît l'Atlantique. Il est même très apprécié puisqu'il eut le privilège de commander le yacht personnel du patron des chargeurs réunis. Il connaît bien Afrique. Ce n'est pas la première fois qu'on lui confie la barre. Si on additionne toutes les heures passées à son bord en tant que capitaine, on en arrive à une durée d'un an complet. Le voyage à venir est donc un voyage de routine pour le capitaine Ledoux. Nous sommes alors le 9 janvier 1920 et Afrique est au quai des Chartrons à Bordeaux. A son bord, on charge les marchandises, 500 tonnes de courriers et colis à destination des ports d'Afrique, les vivres dans les chambres froides, des caisses de vin et de champagne, et j'en passe. En même temps, un peu plus de 600 passagers et membres d'équipage prennent possession de leurs espaces. Retenez bien ce chiffre. 600 âmes à bord. Ce ne sont pas des touristes, mais des colons ou des fonctionnaires. Parmi eux, 264 partent pour reprendre leurs affaires dans les colonies ou les administrations françaises. 17 missionnaires ou religieux dont Monseigneur l'évêque Yacinthe Joseph Jalaber, très célèbre et apprécié dans les colonies d'Afrique pour son travail ecclésiastique, son enseignement et son dévouement aux colonies. Il rentre à Dakar, au Sénégal, avec les missionnaires afin d'y faire construire la cathédrale Notre-Dame des Victoires ou cathédrale du souvenir africain. Il emporte donc avec lui un précieux trésor de pièces d'or et de dons afin de mener à bien les travaux. Il a déjà obtenu depuis 1911 l'autorisation pour la construction, ainsi que l'emplacement situé boulevard de la République dans le quartier de Dakar Plateau. Oui, cette cathédrale existe bien aujourd'hui, mais ce n'est pas grâce à M. Jalaber, puisque malheureusement il va mourir dans le naufrage qui arrive. Dans les entreponts du paquebot, en 3ème classe, 192 tirailleurs sénégalais embarquent enfin à bord. Heureux d'aller retrouver leurs proches et leur terre à laquelle on les a arrachés. Également, 28 militaires français non africains et 130 membres d'équipage. Vous l'aurez compris, l'Afrique dépasse largement sa capacité habituelle. Ce 9 janvier, le paquebot apparaît à 19h des quais des Chartrons et commence sa descente de la Gironde direction la Haute-Mer. Le temps est venteux. et la vue n'est pas très bonne, laissant présager un début de traversée mouvementé. Il est un peu avant minuit et l'Afrique jette son encre au verdon sur mer. La marée est décroissante, on ne peut donc pas prendre la pleine mer et on espère que la visibilité sera meilleure au matin. Il faut à présent que je vous donne un détail de l'histoire qui va prendre, dans quelques instants, une importance de taille. Les chaudières avaient été décrassées avant son départ de Bordeaux, c'est-à-dire qu'on avait récuré l'intérieur retirer tous les résidus de combustion. Cette crasse avait donc été entreposée en tas dans les ailes de la chaufferie et devait être évacuée avant le départ. Mais, comme les passagers commençaient à embarquer, on voulut leur épargner la vue de ce spectacle poussiéreux et salissant. La crasse est donc toujours présente à bord, à même le sol. Parmi les mécaniciens présents dans la chaufferie se trouve le troisième mécanicien, Lucien Hanquin, 29 ans, Grand et large gaillard qui, après avoir servi en tant que mécanicien à bord des sous-marins pendant la guerre, avait décidé de poursuivre sa carrière dans la marine marchande car la paie était quand même pas si mal. Lucien Quint est un homme marié, père d'une fillette de 3 ans, à qui il promet des beaux souvenirs de ses voyages le long des côtes africaines. Et la famille s'est agrandie depuis 8 mois avec la naissance de la petite Jacqueline. Le 10 janvier, au matin, Afrique est sur le point de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la Gironde. Le temps ne s'est pas amélioré pendant la nuit, la visibilité est même pire. Il y a du brouillard, la mer est forte, le vent augmente en intensité. La tempête guette de plus en plus. Les conditions sont exécrables, mais le dû connaît bien ce passage compliqué de la pointe de la courbe avec le banc de la Mauvaise redouté par bien des marins. Peu de temps après avoir pris la mer, le chef mécanicien, Gaston Bélanger, découvre alors de l'eau qui envahit la chaufferie sous le plancher. C'est léger, minime même, mais il faut en avertir le capitaine afin qu'il puisse modérer l'allure du paquebot. La mer est mauvaise et il faudra faire en sorte de diminuer le roulis et le tangage pour faire fonctionner les pompes. Le dû accède à la requête du chef mécanicien et fait diminuer la vitesse de son paquebot. À ce moment de notre histoire... On ne sait pas d'où vient cette voie d'eau. Et elle n'inquiète pas plus que ça, car elle semble vraiment légère et n'augmente pas vraiment. C'est une situation rare, mais cela se produit parfois à bord des paquebots. Afrique a déjà connu une situation similaire il y a quelques mois et avait pu terminer son voyage. Il poursuit donc son chemin. La journée passe et la mer se creuse de plus en plus. Des vagues de plusieurs mètres déferlent sur l'Afrique. Le vent est de plus en plus fort, la tempête gagne en intensité, accentuant le tangage. et les tas de crasse se déversent au sol. L'eau les emporte dans les ponts et petit à petit, elle les bouche. Évidemment, personne ne s'en rend compte immédiatement, jusqu'à ce qu'on constate que le niveau de l'eau commence sérieusement à augmenter ici-bas. L'Afrique est à ce moment à 70 000 marins de la courbe. Otuta, plateau de Rochebonne, est à 55 000 au nord. C'est un plateau bien connu des marins vendéens. On sait qu'il faut s'en méfier. On sait que la mer y est mauvaise et que dans ses creux, on a vite fait d'y venir heurter le fond. Combien de navires s'y sont perdus ? Brisés sur les aiguilles de la congrès, de la pierre levée, où les roches semaient. Combien de marins y dorment au fond ? Comme un immense sphinx au fond des eaux couchées. Rochebonne, à l'affût, guette sa proie huchée. Sur les sables marins que tapissent en vin, les bateaux agrippés. par ses griffes des rats. Marcel Baudouin, érudit vendéen. Dans la soirée, face à la situation qui devient alarmante, le DUS décide avec ses officiers de modifier le cap de l'Afrique et de partir au nord donc, vers le port de La Palisse, pour débarquer les passagers et faire réparer le navire. Le DUS prévient alors par radio TSF la compagnie des chargeurs réunis de la situation dans laquelle il se trouve et de sa prise de décision. L'eau monte dans la chaufferie et complique sérieusement le travail des soutiers qui pataugent et glissent dans la crasse et peinent à approvisionner les chaudières en charbon. Et face à cette tempête, Afrique a besoin de toute sa puissance pour avancer. Lucien Hainquin et ses collègues mécaniciens font leur maximum pour écoper autant que possible l'eau du plancher dans des conditions que vous imaginez bien horribles au milieu de cette tempête qui les fait danser au milieu de la chaufferie. Le changement de cap est périlleux au milieu de l'océan démonté. Il faut virer de bord et l'Afrique ne manœuvre pas assez vite et est balottée comme une coquille de noix au creux des vagues. La tempête s'est transformée en ouragan. À bord, les passagers sont malades, terrassés par le mal de mer. Le médecin de bord leur fait passer des médicaments qui les rendent groggy, somnolents. La plupart des passagers ne comprennent pas le danger qui les guette. Mais certains entendent les conversations de l'équipage. Et les inquiétudes commencent sérieusement à monter parmi ceux qui assistent aux allées et venues des mécaniciens, trempés, couverts de crasse, portant des seaux remplis d'eau. C'est plein d'eau en bas au bateau, je... Que de misère, que de misère. Ça, ça ne va jamais. Le dû avec ses officiers à la manœuvre échoue encore et encore à faire virer de bord l'Afrique. Le servomoteur du gouvernail tombe en panne et fait rater la manœuvre, mettant l'Afrique... en travers de la mer à plusieurs reprises entre minuit et 5h du matin. Petit à petit, le paquebot prend de la gîte sur tribord et au milieu de la nuit, les machines côté tribord sont noyées et s'arrêtent. Le dieu ne commande plus son navire qu'à l'aide des machines bas-bord. Les soutiers ont de plus en plus de mal à approvisionner entre les embardés du paquebot, la gîte, l'eau et le sol crasseux qui est une véritable patinoire. Il est impossible de tenir debout. La pression donnée par les trois dernières chaudières est faible et le navire avance de plus en plus lentement, trois ou quatre nœuds environ. Mais le brave capitaine Ledoux et ses soutiers, à force d'efforts, parviennent à mettre Afrique sur le bon cap et à maintenir le compas, plus ou moins en direction du nord, vers la palisse. C'est très compliqué sous ce vent avec la faible puissance du navire. A l'aube du 11 janvier, vers 7 heures, le DU envoie alors un message de détresse via la TSF réclamant qu'on lui porte assistance. Je vous rappelle que les communications radio à cette époque se faisaient en signal Morse. Il obtient très rapidement une réponse que le cèdre et le victoire, deux remorqueurs de la marine nationale, partent de Rochefort pour lui venir en aide. Une heure après, vers 8h30, le Ceylan, un autre paquebot postal d'un tonnage plus important, répond également à l'Afrique en lui indiquant qu'il se déroute pour lui porter assistance. Il était lui aussi parti de Bordeaux le 10 janvier et faisait route sur l'Atlantique Sud. Le Dieu est soulagé. Ils seront secourus. Ils ne sont pas seuls. Pour autant, la tempête, qui n'a fait qu'augmenter en intensité, se transforme à présent en ouragan et il doit lutter pour maintenir son cap et garder son navire à flot. Et ça, c'est une autre paire de manches avec la moitié des machines à l'arrêt et sans cerveau moteur du gouvernail. Quelques heures plus tard, aux environs de 14 heures, le soulagement de l'Euduce effondre. Un nouvel échange radio avec Rochefort l'informe que les remorqueurs ne parviennent pas à lui venir en aide. Ce sont des petits remorqueurs servant plutôt aux manœuvres au port. Ils ne sont pas assez puissants pour avancer au milieu des creux des vagues et il leur est impossible de dépasser l'île d'Aix. Et en plus, l'un d'entre eux semble avoir une avarie de moteur.

Description

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1920, "Afrique", ⚓ paquebot des Chargeurs Réunis est en route vers les ports des colonies françaises Africaines.

Ses ponts sont chargés de fonctionnaires coloniales et de leurs familles, ainsi que de quelques 200 tirailleurs sénégalais démobilisés après la grande guerre.

Il vient de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la gironde lorsqu'une voie d'eau est découverte dans la chaufferie.
Petit à petit la situation empire à bord, dehors la tempête est sans pitié. 🌊

Privé de ses moteurs, le petit paquebot dérive inexorablement vers le redoutable Plateau de Rochebonne, au large de l'île de Ré et des Sables d'Olonne

Ce naufrage ne laissera que très peu de survivants, tombera dans l'oubli générale et porte aujourd'hui le nom de "Titanic Français".


Découvrez avec moi les détails et les dessous du dernier voyage de l'Afrique. ⛴️

🎧


Sons: 


Musiques:


  • Dream Library

  • Faceoff - Kevin MacLeod






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Transcription

  • Speaker #0

    Au large des sables de l'Aune et de l'île de Ré, nous sommes par 47 mètres de fond avec une très belle luminosité. La proue fantomatique d'un paquebot fait face à nous. Elle est là, très légèrement penchée sur tribord, sa coque morcelée, rongée par l'océan depuis 100 ans, ressemble au drap d'un fantôme. Une ancre repose non loin sur le sable. On remonte le long de son étrave, on parcourt le pont avant, puis bientôt il n'y a plus de pont, plus de superstructures, tout est effondré, disparu depuis bien longtemps. A la place, on découvre le coeur du bateau. Deux rangs de trois belles et immenses chaudières posées au fond. Derrière elles, des machines triple expansion. Les mécaniciens et soutiers aujourd'hui ne sont plus que les bandes macro qui l'habitent. On suit l'arbre de transmission d'hélices. au milieu des fragments de tôle qui, un siècle avant, formaient la coque du navire. Ici, on devine ce qu'il reste de sa poupe et le pont supérieur arrière. Le safran et les deux imposantes hélices à trois pales sont encore là, couchées sur tribord, immobiles dans cette position depuis cette nuit du 12 janvier 1920. Quelle est donc cette étrange épave ? Afrique, mes amis, c'est le nom de l'immense paquebot que nous venons de parcourir. Pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire, c'est l'un des naufrages les plus meurtriers qu'il y a eu le long de nos côtes et que l'histoire a injustement oublié. Alors, vérifiez votre équipement, ouvrez votre bouteille, fermez bien votre combinaison, ajustez votre gilet et serrez votre ceinture de plomb. Détendeur en bouche, plongeons ensemble dans l'histoire du terrible naufrage de l'Afrique. Afrique était un paquebot mixte, c'est-à-dire qu'il pouvait transporter des passagers et des marchandises ainsi que le courrier qu'il devait décharger dans les ports sur son chemin. Sa construction commence le 21 novembre 1907 au chantier Swan Hunter et Wiggum Richardson de Newcastle, Angleterre. Si ce nom ne vous est pas inconnu pour les plus férus d'entre vous, c'est normal. C'est le même chantier qui a construit l'année d'avant le célèbre Mauritania de la Cunard. Afrique appartient à la compagnie de navigation des chargeurs réunis située au Havre. Elle se charge d'assurer les liaisons entre le Brésil, l'Argentine et les ports des colonies africaines françaises. Ce sera d'ailleurs le rôle de l'Afrique qui part de Bordeaux vers Dakar en passant par Ténérife, desservant les autres ports des colonies françaises telles que la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Congo. C'est un paquebot de 120 mètres de long, 14,80 mètres de large et 5400 tonneaux. Propulsé par deux hélices à trois pales, il est capable d'atteindre une vitesse de 17 nœuds lors de ses essais. A son bord, il peut embarquer 227 passagers répartis en trois classes. 79 en première, 68 en seconde et 80 en troisième. Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas dans les proportions d'un paquebot transatlantique. Non, c'est un petit paquebot composé de cinq ponts, une grande cheminée centrale surplombe sa superstructure, sur le manchon, cinq étoiles rouges sont peintes symbolisant les cinq continents qu'elle dessert. C'est un paquebot simple mais très confortable pour l'époque. On y trouve, en première classe, une grande salle à manger avec des tables communes pour 7 ou 10 personnes et des fauteuils pivotants fixés au sol. On est en 1907, cela se faisait encore beaucoup. Des poteaux en bois vernis légèrement stylisés rigidifient la pièce. Au plafond blanc, des globes lumineux éclairent les tables. Panneaux de bois de chêne clairent sur les murs, la pièce est plutôt chaleureuse. Un salon de convivialité accueille les passagers. Ils peuvent s'y retrouver et converser assis à des petites tables carrées. Des fauteuils bergères sont dispersés ça et là, avec des petits bureaux pour rédiger des correspondances. La pièce est habillée de panneaux de bois peints en blanc. Au plafond, toujours, ces globes lumineux. Des hublots carrés éclairent la pièce de chaque côté, laissant entrer une belle luminosité. Sans oublier, au centre du plafond, un dôme lumineux habillé de vitraux s'alliant au style de la pièce. Dans ce même salon se trouve la bibliothèque du navire dont la maison Hachette a fourni les étagères de ses meilleurs ouvrages. Le soir venu, il devait être agréable de s'y installer pour écouter un musicien faire courir ses doigts sur le piano. C'est à mon sens la plus jolie pièce du navire. Ou bien, les passagers de l'Afrique peuvent aussi se retirer dans le fumoir et s'affaler dans les banquettes. Sur le mur, des panneaux de toile donnent à la pièce une apparence cossue. En apparence seulement car au plafond, ce sont des ampoules qui éclairent la pièce et se reflètent dans le vernis des imposantes tables en bois. Assez de toute cette fumée ? Bon, sortons prendre un thé. Sur le pont arrière, on y trouve un café véranda avec ses petites tables carrées au pied de fer forgé et ses bancs en bois. Pas très confortable mais qu'importe, on y respire le grand air et les embruns marins. Les cabines sont simples mais douillettes. Ce ne sont pas des lits doubles en première classe, vous trouverez un lit superposé pour deux personnes avec un petit canapé en tissu. Au mur, des panneaux de bois peints en blanc, mais si vous levez les yeux, vous remarquerez que le même soin n'a pas été apporté au plafond qui, lui, reste en tôle riftée. Toutefois, le hublot peut être fermé de l'intérieur par un petit volet en bois ou bien un rideau pour l'intimité. Les salles de bain sont communes et on distingue celles des femmes de celles des hommes, évidemment. Mais le début des années 1900 est aussi l'arrivée du grand luxe à bord des paquebots. Afrique aura alors le droit lui aussi de recevoir des cabines de luxe ou demi-luxe. Ce sont des petits appartements composés d'un salon, d'une chambre, d'un cabinet de toilette et d'une salle de bain privative. Des tentures claires habillent la chambre et la rendent lumineuse. Dans le salon, un petit bureau et un canapé pouvant être convertis en couchettes supplémentaires. Comme la photographie est très en vogue et que les particuliers fortunés s'offrent des appareils de voyage, la compagnie a fait installer à bord une chambre noire dans laquelle ils peuvent développer les images capturées pendant leur voyage dans les beaux pays d'Afrique. Leurs proches et amis seront certainement ravis de découvrir ces photos une fois à terre. Avant de débarquer, au terme des 20 jours de traversée, n'oubliez pas de faire un crochet par le coiffeur situé à l'arrière du navire. Il saura vous arranger les cheveux et la barbe. En seconde classe, pareil. Table commune dans la salle à manger, fauteuil en acajou fixé au sol. En termes de décoration, il n'y a pas grande différence avec la première classe. C'est plutôt la taille des pièces qui les différencie. Les cabines dans seconde classe sont prévues pour deux ou quatre personnes et ce sont des lits superposés également. On y trouve encore un petit rideau devant le hublot pour masquer la lumière du jour. Et bien sûr, les grands espaces de 3ème classe dont il est inutile de vous décrire la décoration. Vous la connaissez bien et vous savez que leurs cabines sont en fait des petits dortoirs de 6 ou 8 couchettes superposées. Nous sommes donc à ce niveau proche du ventre de l'Afrique, cloisonné par 14 cloisons étanches. Ils renferment des machines à triple expansion alimentées par 6 chaudières, les turbines de circulation et la dynamo qui fournit l'électricité à tout ce petit hôtel flottant. Sans oublier les chambres froides où sont entreposés les vivres qui seront cuisinés à bord pendant ce beau voyage. Vous voyez qu'à bord d'Afrique, nous sommes tout de même loin du luxe et du confort de la prestigieuse ligne de l'Atlantique Nord, mais que le voyage ne s'annonce pas non plus des plus déplaisants. Afrique est confortable et comme sa destination sont les pays chauds d'Afrique, la compagnie a installé à bord une innovation. Une climatisation pour le navire qu'on appelait alors thermotank et qui envoyait dans le navire de l'air froid ou chaud. N'oublions pas que les nuits sont fraîches au milieu de l'Atlantique. La demande pour ces destinations restait forte. La compagnie des chargeurs réunis organisait donc ce qu'ils appelaient des Congo Express. C'était un train au départ de Paris à destination de Bordeaux-Pauillac. Tous les 24 de chaque mois, ou en sortant du train, on pouvait directement embarquer à bord de l'Afrique. Tout était compris par la compagnie, du billet de train jusqu'au billet d'embarquement à bord avec votre cabine déjà prête, c'est vous dire. Ainsi commence donc la carrière de l'Afrique qui n'est pas de tout repos mais qui effectue bravement ses rotations. Bientôt, sa silhouette à l'arrière de laquelle claque fièrement le pavillon français est bien connue des côtes africaines et françaises, apportant le soleil et les envies d'évasion à ceux qui le regardent passer. Mais Afrique ne fera pas exception à l'histoire. Comme tout paquebot de ce début du siècle précédent, il connut la Première Guerre mondiale. Comme tous les autres, il sera réquisitionné et servira au transport des troupes. Il conserve sa ligne habituelle, mais transporte dans ses cales du matériel à destination du front, et dans ses ponts, des soldats entassés. Ce qui le sauva peut-être des redoutables U-boots allemands, c'est qu'on eut la bonne idée de peindre sa cheminée en jaune. Ainsi, les Allemands pensaient qu'il s'agissait d'un navire belge chargé de transporter les blessés allemands. La guerre prit fin en 1918 et commence alors le long retour des troupes vers leur foyer. Et c'est long, très long le temps que tout le monde soit démobilisé. Afrique reprend son service habituel et ponctuellement, en 3ème classe, il charge des soldats et tirailleurs sénégalais qu'il ramène à bon port. En fin d'année 1919, Afrique est temporairement retirée du service pour un gros entretien. Les opérations durent plusieurs semaines et au début de l'année 1920, c'est donc un paquebot prêt à reprendre sa route. Le 7 janvier, la commission de sécurité passe à bord pour la visite annuelle et son permis de navigation est renouvelé. Il pourra donc appareiller le 9 janvier 1920 pour son dernier voyage. Mais ça, personne ne le sait encore. A la barre, c'est le capitaine Antoine Ledu, 43 ans, marin depuis l'âge de 17 ans. C'est un bel homme, bien charpenté avec une fière allure, une épaisse moustache en guidon et une barbe longue et bien fournie. C'est un capitaine expérimenté au sein de la compagnie. Il connaît l'océan, il connaît les tempêtes, il connaît l'Atlantique. Il est même très apprécié puisqu'il eut le privilège de commander le yacht personnel du patron des chargeurs réunis. Il connaît bien Afrique. Ce n'est pas la première fois qu'on lui confie la barre. Si on additionne toutes les heures passées à son bord en tant que capitaine, on en arrive à une durée d'un an complet. Le voyage à venir est donc un voyage de routine pour le capitaine Ledoux. Nous sommes alors le 9 janvier 1920 et Afrique est au quai des Chartrons à Bordeaux. A son bord, on charge les marchandises, 500 tonnes de courriers et colis à destination des ports d'Afrique, les vivres dans les chambres froides, des caisses de vin et de champagne, et j'en passe. En même temps, un peu plus de 600 passagers et membres d'équipage prennent possession de leurs espaces. Retenez bien ce chiffre. 600 âmes à bord. Ce ne sont pas des touristes, mais des colons ou des fonctionnaires. Parmi eux, 264 partent pour reprendre leurs affaires dans les colonies ou les administrations françaises. 17 missionnaires ou religieux dont Monseigneur l'évêque Yacinthe Joseph Jalaber, très célèbre et apprécié dans les colonies d'Afrique pour son travail ecclésiastique, son enseignement et son dévouement aux colonies. Il rentre à Dakar, au Sénégal, avec les missionnaires afin d'y faire construire la cathédrale Notre-Dame des Victoires ou cathédrale du souvenir africain. Il emporte donc avec lui un précieux trésor de pièces d'or et de dons afin de mener à bien les travaux. Il a déjà obtenu depuis 1911 l'autorisation pour la construction, ainsi que l'emplacement situé boulevard de la République dans le quartier de Dakar Plateau. Oui, cette cathédrale existe bien aujourd'hui, mais ce n'est pas grâce à M. Jalaber, puisque malheureusement il va mourir dans le naufrage qui arrive. Dans les entreponts du paquebot, en 3ème classe, 192 tirailleurs sénégalais embarquent enfin à bord. Heureux d'aller retrouver leurs proches et leur terre à laquelle on les a arrachés. Également, 28 militaires français non africains et 130 membres d'équipage. Vous l'aurez compris, l'Afrique dépasse largement sa capacité habituelle. Ce 9 janvier, le paquebot apparaît à 19h des quais des Chartrons et commence sa descente de la Gironde direction la Haute-Mer. Le temps est venteux. et la vue n'est pas très bonne, laissant présager un début de traversée mouvementé. Il est un peu avant minuit et l'Afrique jette son encre au verdon sur mer. La marée est décroissante, on ne peut donc pas prendre la pleine mer et on espère que la visibilité sera meilleure au matin. Il faut à présent que je vous donne un détail de l'histoire qui va prendre, dans quelques instants, une importance de taille. Les chaudières avaient été décrassées avant son départ de Bordeaux, c'est-à-dire qu'on avait récuré l'intérieur retirer tous les résidus de combustion. Cette crasse avait donc été entreposée en tas dans les ailes de la chaufferie et devait être évacuée avant le départ. Mais, comme les passagers commençaient à embarquer, on voulut leur épargner la vue de ce spectacle poussiéreux et salissant. La crasse est donc toujours présente à bord, à même le sol. Parmi les mécaniciens présents dans la chaufferie se trouve le troisième mécanicien, Lucien Hanquin, 29 ans, Grand et large gaillard qui, après avoir servi en tant que mécanicien à bord des sous-marins pendant la guerre, avait décidé de poursuivre sa carrière dans la marine marchande car la paie était quand même pas si mal. Lucien Quint est un homme marié, père d'une fillette de 3 ans, à qui il promet des beaux souvenirs de ses voyages le long des côtes africaines. Et la famille s'est agrandie depuis 8 mois avec la naissance de la petite Jacqueline. Le 10 janvier, au matin, Afrique est sur le point de prendre la haute mer en sortie d'estuaire de la Gironde. Le temps ne s'est pas amélioré pendant la nuit, la visibilité est même pire. Il y a du brouillard, la mer est forte, le vent augmente en intensité. La tempête guette de plus en plus. Les conditions sont exécrables, mais le dû connaît bien ce passage compliqué de la pointe de la courbe avec le banc de la Mauvaise redouté par bien des marins. Peu de temps après avoir pris la mer, le chef mécanicien, Gaston Bélanger, découvre alors de l'eau qui envahit la chaufferie sous le plancher. C'est léger, minime même, mais il faut en avertir le capitaine afin qu'il puisse modérer l'allure du paquebot. La mer est mauvaise et il faudra faire en sorte de diminuer le roulis et le tangage pour faire fonctionner les pompes. Le dû accède à la requête du chef mécanicien et fait diminuer la vitesse de son paquebot. À ce moment de notre histoire... On ne sait pas d'où vient cette voie d'eau. Et elle n'inquiète pas plus que ça, car elle semble vraiment légère et n'augmente pas vraiment. C'est une situation rare, mais cela se produit parfois à bord des paquebots. Afrique a déjà connu une situation similaire il y a quelques mois et avait pu terminer son voyage. Il poursuit donc son chemin. La journée passe et la mer se creuse de plus en plus. Des vagues de plusieurs mètres déferlent sur l'Afrique. Le vent est de plus en plus fort, la tempête gagne en intensité, accentuant le tangage. et les tas de crasse se déversent au sol. L'eau les emporte dans les ponts et petit à petit, elle les bouche. Évidemment, personne ne s'en rend compte immédiatement, jusqu'à ce qu'on constate que le niveau de l'eau commence sérieusement à augmenter ici-bas. L'Afrique est à ce moment à 70 000 marins de la courbe. Otuta, plateau de Rochebonne, est à 55 000 au nord. C'est un plateau bien connu des marins vendéens. On sait qu'il faut s'en méfier. On sait que la mer y est mauvaise et que dans ses creux, on a vite fait d'y venir heurter le fond. Combien de navires s'y sont perdus ? Brisés sur les aiguilles de la congrès, de la pierre levée, où les roches semaient. Combien de marins y dorment au fond ? Comme un immense sphinx au fond des eaux couchées. Rochebonne, à l'affût, guette sa proie huchée. Sur les sables marins que tapissent en vin, les bateaux agrippés. par ses griffes des rats. Marcel Baudouin, érudit vendéen. Dans la soirée, face à la situation qui devient alarmante, le DUS décide avec ses officiers de modifier le cap de l'Afrique et de partir au nord donc, vers le port de La Palisse, pour débarquer les passagers et faire réparer le navire. Le DUS prévient alors par radio TSF la compagnie des chargeurs réunis de la situation dans laquelle il se trouve et de sa prise de décision. L'eau monte dans la chaufferie et complique sérieusement le travail des soutiers qui pataugent et glissent dans la crasse et peinent à approvisionner les chaudières en charbon. Et face à cette tempête, Afrique a besoin de toute sa puissance pour avancer. Lucien Hainquin et ses collègues mécaniciens font leur maximum pour écoper autant que possible l'eau du plancher dans des conditions que vous imaginez bien horribles au milieu de cette tempête qui les fait danser au milieu de la chaufferie. Le changement de cap est périlleux au milieu de l'océan démonté. Il faut virer de bord et l'Afrique ne manœuvre pas assez vite et est balottée comme une coquille de noix au creux des vagues. La tempête s'est transformée en ouragan. À bord, les passagers sont malades, terrassés par le mal de mer. Le médecin de bord leur fait passer des médicaments qui les rendent groggy, somnolents. La plupart des passagers ne comprennent pas le danger qui les guette. Mais certains entendent les conversations de l'équipage. Et les inquiétudes commencent sérieusement à monter parmi ceux qui assistent aux allées et venues des mécaniciens, trempés, couverts de crasse, portant des seaux remplis d'eau. C'est plein d'eau en bas au bateau, je... Que de misère, que de misère. Ça, ça ne va jamais. Le dû avec ses officiers à la manœuvre échoue encore et encore à faire virer de bord l'Afrique. Le servomoteur du gouvernail tombe en panne et fait rater la manœuvre, mettant l'Afrique... en travers de la mer à plusieurs reprises entre minuit et 5h du matin. Petit à petit, le paquebot prend de la gîte sur tribord et au milieu de la nuit, les machines côté tribord sont noyées et s'arrêtent. Le dieu ne commande plus son navire qu'à l'aide des machines bas-bord. Les soutiers ont de plus en plus de mal à approvisionner entre les embardés du paquebot, la gîte, l'eau et le sol crasseux qui est une véritable patinoire. Il est impossible de tenir debout. La pression donnée par les trois dernières chaudières est faible et le navire avance de plus en plus lentement, trois ou quatre nœuds environ. Mais le brave capitaine Ledoux et ses soutiers, à force d'efforts, parviennent à mettre Afrique sur le bon cap et à maintenir le compas, plus ou moins en direction du nord, vers la palisse. C'est très compliqué sous ce vent avec la faible puissance du navire. A l'aube du 11 janvier, vers 7 heures, le DU envoie alors un message de détresse via la TSF réclamant qu'on lui porte assistance. Je vous rappelle que les communications radio à cette époque se faisaient en signal Morse. Il obtient très rapidement une réponse que le cèdre et le victoire, deux remorqueurs de la marine nationale, partent de Rochefort pour lui venir en aide. Une heure après, vers 8h30, le Ceylan, un autre paquebot postal d'un tonnage plus important, répond également à l'Afrique en lui indiquant qu'il se déroute pour lui porter assistance. Il était lui aussi parti de Bordeaux le 10 janvier et faisait route sur l'Atlantique Sud. Le Dieu est soulagé. Ils seront secourus. Ils ne sont pas seuls. Pour autant, la tempête, qui n'a fait qu'augmenter en intensité, se transforme à présent en ouragan et il doit lutter pour maintenir son cap et garder son navire à flot. Et ça, c'est une autre paire de manches avec la moitié des machines à l'arrêt et sans cerveau moteur du gouvernail. Quelques heures plus tard, aux environs de 14 heures, le soulagement de l'Euduce effondre. Un nouvel échange radio avec Rochefort l'informe que les remorqueurs ne parviennent pas à lui venir en aide. Ce sont des petits remorqueurs servant plutôt aux manœuvres au port. Ils ne sont pas assez puissants pour avancer au milieu des creux des vagues et il leur est impossible de dépasser l'île d'Aix. Et en plus, l'un d'entre eux semble avoir une avarie de moteur.

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