Speaker #0Le naufrage d'Andréa Doria, partie 3. Vers 3h30, il ne restait qu'une centaine de passagers encore à bord du Doria. Madame Tianfara est enfin dégagée de sous les décombres, mais souffre de plusieurs fractures. Elle ne peut pas tenir debout et est portée vers les embarcations pour être transférée sur Ile-de-France. Elle peine à rester consciente et pense à cet instant avoir absolument tout perdu. Son époux et ses deux filles... dont la cabine a été entièrement détruite. Durant l'évacuation, le jeune Peter s'était réveillé en sentant que le navire penchait de plus en plus. Il avait cherché à atteindre la cabine de ses parents, mais c'était impossible, la coursive était impraticable. Il avait tourné et tourné dans le navire, les cherchant dans tous les espaces communs, demandant à des amis s'ils avaient vu ses parents. Tous se voulaient rassurants avec lui, lui disant qu'il devait être là-bas. Ou bien peut-être là-bas. Un de ses petits camarades de son âge lui avait même proposé une partie de tennis de table. Peter, après un moment de sanglots, parvint enfin à trouver un passage le conduisant face à la porte de cabine de ses parents. En l'ouvrant, il n'y avait plus que le vide et l'océan. A aucun moment il ne lui vint à l'esprit que ses parents étaient morts. Il sera un des derniers à prendre place dans un canot. Ce n'est qu'en apercevant le trou béant à l'extérieur du Doria qu'il réalisera qu'il ne retrouverait pas non plus ses parents sur l'île de France, ni sur aucun autre navire d'aile. Un marin de l'île de France était parvenu à obtenir à M. Peterson un vérin. Un énorme vérin, très lourd, qui lui dut mal à monter jusqu'à sa cabine avec un autre membre d'équipage. L'engin est volumineux et avec l'agite qui approchait les 30 degrés, rien ne lui facilitait la tâche. Il put enfin dégager sa femme des décombres. Le médecin vint immédiatement l'examiner. C'est à ce moment qu'un filet de sang coula de sa bouche et qu'elle dit Je crois que je meurs L'instant d'après, elle était partie. M. Peterson lui fit ses adieux, l'allongea sur le sol, recouvrit son corps d'un drap blanc, puis se résigna en embarquant lui aussi. À notre montre, il est 4h30. Une dernière scène, invraisemblable, se déroule dans la infirmerie de classe touriste. Un homme se réveille collé à la cloison. Cet homme avait dû recevoir une forte dose d'antidouleur suite à une blessure au dos. C'est pour cette raison qu'il n'avait rien ressenti du choc, ni entendu du vacarme de l'évacuation. Il sort dans la coursive, les pieds dans l'eau, appelle à l'aide, mais n'obtient... aucune réponse. Il emprunte un escalier, puis un autre, arrive à la piscine de classe touriste, se penche au bastingage et aperçoit une embarcation en bas avec des hommes attendant de voir s'il restait encore quelqu'un à bord. Quelle ne fut pas leur surprise en voyant cet homme descendre au filet. Il sera le dernier passager à quitter Andrea Doria. Les ponts Coursive, salle à manger, les salons du sublime Doria sont silencieux. Seul reste à bord le commandant Calamaille et une poignée d'hommes qui font une ronde sur les différents niveaux du navire pour s'assurer que personne n'a été oublié. Il faut évacuer à notre tour, commandant. Allez-y, partez. Je vais rester. Calamaille, à cet instant, semble faire dix ans de plus. Sa mine est sombre. Ses yeux sont cernés, tristes, au bord des larmes. Ses épaules paraissent être chargées de tout le poids du monde. Il tient à peine debout. Sa voix est à peine perceptible et personne n'ose croiser son regard. Peut-être comprend-il à cet instant que rien ne pourra plus sauver le Doria. Le remorqueur ne pourra rien pour lui. Il désire sombrer avec son navire. Il n'y a pas plus grand déshonneur pour un capitaine que de perdre son bateau. Si vous restez, alors nous restons tous lui répond Giannini. Calamaille ? supporté par ses lieutenants, se résigne alors à se diriger vers l'embarcation. Les hommes de Calamaille descendent dans leur embarcation. Comme le veut la tradition, Calamaille doit être le dernier à quitter le navire. Mais celui-ci reste appuyé au bastingage et leur fait signe de partir. Giannini remonte à l'échelle de corde et réitère ses propos. Commandant, je vous l'ai dit, si vous restez, nous restons aussi. Il est 5h30, plus de 6 heures après la collision. Les premiers rayons de soleil percent les nuages. Je vais attendre les remorqueurs et je vous rejoindrai à la nage s'il le faut. Voyant les autres hommes emboîter le pas à Giannini, Calamaille se résigna enfin à quitter le Doria. Il est le dernier à en descendre. Avec l'aube, arrivèrent également, tel un vol de vautour, les premiers avions venant photographier les lieux du sinistre et le géant à l'agonie. Île-de-France, après s'être assurée que son aide n'était plus nécessaire, remonta ses embarcations, fit résonner son sifflet en salut à André Anderlien et reprit sa route en direction de New York, où il fit une arrivée triomphale, accueillie par les bateaux-pompes comme au jour de son voyage inaugural. La nouvelle de la collision fait les gros titres de la presse internationale ce matin-là. Pour l'heure, Andrea Doria est toujours à flot. À Gênes, une foule se rassemble devant le bâtiment de l'Italian Line. Peu d'informations sont données, mais tous veulent connaître le sort du symbole national. S'il coule, c'est un drame sur bien des tableaux. C'est toute la sûreté maritime qui sera ébranlée. Techniquement, il paraît invraisemblable que le Doria puisse chavirer et couler. Il répond à toutes les nouvelles normes. Faisant ses courses, Mme Calamai apprendra la nouvelle sur la manchette d'un journal. Imaginez le choc. Elle courut à son domicile dans l'attente interminable de savoir si son mari était en vie ou non, et si le Doria allait couler ou non. Aucune liste de victimes ne circulait encore. Un autre combat se déroule à la proue du Stockholm. Il lui est impossible de partir. Souvenez-vous, pendant la collision, ses chaînes d'encre sont tombées à l'eau. Mais les encres sont toujours en place dans les écubiers. Les chaînes au fond retiennent le Stockholm. Ils doivent procéder au découpage des maillons. La tâche est d'autant plus compliquée par le fait que la proue est complètement écrasée et particulièrement instable. Enfin, après quelques manœuvres brutales, les maillons cèdent. Dans leur chute, les chaînes entraînent également les restes de la proue déchirée. Enfin libérée, Nordenson se met en marche lente vers New York, avec environ 450 naufragés à son bord. Dans son canot, Calamai refuse d'embarquer sur n'importe quel autre bateau. Il attend la venue du remorqueur. Celui-ci arrive sur place à 9h du matin. Je ne sais quel espoir animait encore le commandant. La bande du Doria atteignait les 50 degrés. Sa proue commence à s'enfoncer et l'eau atteint le pont de promenade. De toute manière, un bref échange radio entre le remorqueur et Boston l'interdit de remorquer le Doria. L'Italian Line a déjà pris ses dispositions avec une autre compagnie. Puis, tout bascula assez vite. Il est 9h45. Andrea Doria chavire sur tribord. C'est fini. Il demeure un temps ainsi. flottant couché. Calamaille observe l'intérieur sombre de la cheminée du Doria. L'eau s'y engouffre, tout droit jusque dans le cœur de son épave. Elle monte, encore et encore, dans ce qui était, il y a encore quelques heures, le fleuron de la marine marchande italienne. Nuit, il coule. L'avant s'enfonce lourdement. Les remous s'agitent autour, évacuant toutes sortes d'objets et mobiliers. L'arrière se relève. élevant ses hélices et son safran comme un ultime salut. Les embarcations de bas bord s'arrachent. L'eau de mer engloutit les piscines des points arrière. Il demeure ainsi quelques minutes, puis, à 10h09, ce 26 juillet 1956, Andrea Doria disparaît de la surface dans une grande gerbe d'écume et vient s'allonger 80 mètres plus bas, couché sur son flanc tribord, exactement 11 heures après l'incident. Les membres d'équipage du Doria, présents avec Calamaille, vident leurs poches et jettent à la mer leurs clés d'accès et lampes-tents. Sur les 1706 personnes présentes à bord d'Andrea Doria, 1662 furent évacuées. 43 coulèrent avec le navire. La plupart sont tués dans la collision. Un homme mourut d'une crise cardiaque après être arrivé à bord du Stockholm. D'autres mourront de leurs blessures à l'hôpital. Ce bilan aurait été bien plus lourd si la collision s'était produite quelques mois plus tôt ou plus tard. Il est évident que la mer calme, dont la température dépassait les 20 degrés cette nuit-là, a évité l'hypothermie ou la noyade à la grande quantité de personnes s'étant jetées à l'eau. Un dernier bateau demeure sur place et cherche à repérer des corps qui remontraient à la surface. Mais rien. Cette zone est malheureusement connue comme peuplée de requins. Certains ont même été aperçus ce matin-là. Dans l'ensemble, le naufrage est une grande réussite et il est le témoignage d'une solidarité touchante. Durant les premières heures, la liste des survivants est une véritable angoisse pour les proches. Les survivants sont répartis sur plusieurs bateaux et il faut procéder au recensement. Linda Morgan et sa sœur figurent à la liste des personnes disparues. Edouard Morgan, derrière le micro de sa radio, parle du naufrage, mais sans évoquer que sa propre fille est une passagère et qu'il est sans nouvelles. Linda, de son côté, est toujours à bord du Stockholm qui la ramène vers New York. Elle ne sera réunie avec sa mère qu'une fois arrivée à New York, où elle sera également conduite vers l'hôpital pour soigner son bras cassé. Apprenant que sa fille est vivante, Edward Morgan laissera éclater sa joie en plein direct, se laissant submerger par ses émotions. Son incroyable histoire sera largement relayée dans la presse. Polanco, qui avait sorti Linda des décombres, se rendra à l'hôpital pour lui rendre visite. et sera chaleureusement accueilli par son père. Arrive ensuite l'inévitable partie de raquette où chacune des deux compagnies se renvoie à la faute. Immédiatement, l'Italian Line cherche à régler ça à l'amiable avec la compagnie suédoise et leur demande 15 millions de dollars de dédommagement, somme équivalente à la moitié de la valeur du Doria. C'est une somme importante et évidemment, la compagnie suédo-américaine refuse de payer, d'autant qu'il ne s'estime pas responsable du naufrage. L'Italian Line porte plainte contre la compagnie suédoise et réclame maintenant 30 millions de dollars pour la perte du Doria, soit sa valeur totale. Ils estiment n'avoir commis aucune faute et clament que tous leurs hommes présents à bord au moment de la collision étaient des hommes hautement expérimentés et qualifiés et que si le Stockholm n'avait pas abattu sur tribord et était resté sur sa route, la collision n'aurait pas eu lieu. De son côté, la compagnie suédo-américaine réclame 2 millions de dollars pour couvrir les frais de réparation du Stockholm et la perte financière causée par son immobilisation, répondant aux Italiens que les deux navires se seraient croisés si le Dorian n'avait pas provoqué la collision en venant à gauche contrairement à ce qu'indiquait le règlement. En parallèle, dans la presse, on parle immédiatement du déshonneur des marins italiens qui se sont empressés d'évacuer avant leurs passagers. L'Italian Line cherche à démentir cette information, mais elle est confirmée par les marins suédois et les passagers eux-mêmes. De plus, ça saute aux yeux. Le Stockholm était le premier navire à recueillir les naufragés. Plus de 200 d'entre eux sont des vestes blanches du Doria, sur les un peu plus de 450 recueillis à son bord. Alors que sur Île-de-France, un peu moins de 200 sont recensés sur les environ 800 rescapés montés à bord. Un procès a donc lieu, et ce qui devait être un petit procès pour essayer de trouver un arrangement devient vite un procès très médiatisé où des flots de journalistes viennent y assister. Carstens est le premier témoin interrogé, et le pauvre est cuisiné par l'avocat de la compagnie italienne qui cherche à tout prix à le placer comme fautif de l'incident. Mais Carstens est droit dans ses bottes et est sûr de lui malgré son jeune âge et il relate avec exactitude ce qu'il s'est passé cette nuit-là et ses prises de décision. L'avocat a très bien préparé son dossier et arrive alors les questions un peu plus ardues qui mettent évidemment Kerstans face à son manque d'expérience. Oui, il ne lui était pas venu à l'esprit que, s'il ne voyait pas le Doria, c'était probablement à cause de l'abrime. Lui restait convaincu que ce n'était qu'un petit bouchon de brume comme on en voit parfois en mer. Enfin, viennent les questions sur le cap du Stockholm et surtout l'homme de bar. Et à force de pression, Kerstans doit avouer que celui-ci était quelqu'un de très distrait et qu'il est obligé de venir constamment surveiller, qu'il ne dévie pas trop du cap et qu'il a besoin d'être rappelé à l'ordre beaucoup trop souvent. En fait, l'avocat cherche également à lui faire avouer qu'il voyait le Doria sur tribord et non sur bâbord, et donc que c'est lui qui aurait coupé la route au Doria et non pas l'inverse. Mais c'est faux, et en dépit de son jeune âge et du ton de l'avocat qui monte, Carstens, bien que bousculé, reste campé sur sa position et sûr de sa version. Les témoignages des hommes de quart présents avec lui viennent de toute façon confirmer ses propos, et il peut également compter sur le soutien de Nordenson, qui semble de plus en plus fatigué par le procès. Si Carstens paraissait droit et bien portant, cette attitude contraste fortement avec celle de Calamai, qui paraît toujours avoir dix ans de plus, la mine sombre, les épaules tombantes. Sa voix est basse, grave, ses phrases très courtes. Calamai a tout perdu, sa réputation, sa brillante carrière. Et le pire pour un commandant, son navire flambe en neuf. C'est un homme brisé. Il n'a plus rien à perdre, alors ses réponses sont honnêtes. Oui, il y a eu confusion pendant l'évacuation et donc le journal de bord a été oublié à bord de Doria. Probablement sur le sol de la salle des cartes. Oui, l'opérateur radio n'a pas emmené ses billets avec lui parce qu'il ne lui a pas demandé. Tous ses documents essentiels sont perdus, détruits. En fait, on ne peut compter que sur les témoignages pour reconstituer ce qu'il s'est passé sur la passerelle du Doria. On lui demande alors s'il aurait eu le temps et l'espace de croiser le Stockholm sur bas bord et d'effectuer un croisement normal. lorsqu'il vit le Stockholm sur le radar. Oui, j'aurais pu le faire, mais cela ne m'a pas paru nécessaire parce que je pensais que nous allions croiser par tribord. Puis, on en vient à parler du radar. Il reconnaît ne pas avoir particulièrement d'expérience personnelle avec l'emploi du radar. Franchini, qui était placé devant, non plus. On lui demande s'il avait ploté les déplacements du Stockholm, c'est-à-dire reporté les points sur un papier spécial pour calculer sa vitesse et sa trajectoire. Calamai reconnaît que non. L'avocat lui tend alors un papier à ploter et lui demande de reporter les points dessus. C'est la première fois que je vois ça. Cela n'est pas très familier car c'est une besogne que je laisse aux officiers. Il s'exécute quand même. L'avocat lui demande alors ainsi si il voyait que les routes allaient se croiser. Maintenant, voici ma question, commandant Calamaille. N'est-il pas exact que les observations au radar distancent ? et relèvements, tels qu'elles sont écrits de votre rapport à la compagnie Italia, montrent que le Stockholm ne suivait pas en fait une route parallèle à celle du Doria ? Maintenant, oui. Je le vois par le croquis de manœuvre. Dramatique constat. Le croquis montrait effectivement que le Stockholm pouvait difficilement parer le Doria. Les deux navires étaient sur une route d'abordage. Terrible erreur lorsqu'on pense à toutes ces victimes et au traumatisme laissé aux survivants et aux spectateurs de ce drame. Linda Morgan, miraculée, vit encore aujourd'hui avec ce traumatisme. Elle a souffert pendant des années de ce qu'on appelle la culpabilité du survivant. Sa petite sœur et son beau-père sont morts. Sa petite sœur, qui était endormie, juste à côté d'elle. Pourquoi pas elle ? Diane Chanfara se remettra difficilement de ses blessures. Elle s'est ensuite remariée et partie dans son sommeil, 12 ans, presque jour pour jour après le naufrage. à l'âge de 52 ans. Pierrot Calamaille est resté un homme brisé. Évidemment, il ne commanda plus jamais de navire. Il meurt chez lui en 1972, à l'âge de 74 ans. On dit alors que ses dernières paroles auraient été Tous les passagers sont-ils en sécurité ? Tout semble contre lui. Pourtant, des études plus récentes montrent qu'il est probable que Carstens ait mal interprété les renseignements de son radar. La passerelle était obscurcie. Il y avait un manque de lumière évident. Il aurait surestimé la distance entre les deux navires. De plus, le radar du Stockholm avait été révisé la veille du départ, mais il était mal réglé. Faute humaine ? Ou bien la brume présente aurait-elle erroné les informations fournies ? C'est aussi probable. Cette technologie... toutes récentes à l'époque, étaient aussi décriées parfois. Des capitaines ont témoigné pour affirmer que, dans certains bancs de brouillard épais, leur écho se répercutant sur la brume, le radar faisait apparaître des murs. On n'aura jamais la réponse exacte au drame. Les pièces essentielles, que sont le journal de bord et les cartes, ont sombré avec le Doria et sont perdues à jamais. On ne peut compter que sur la déclaration et donc les souvenirs de ceux qui étaient présents sur la passerelle. De manière plus poétique, je rejoins les mots de William Hoffer qui, dans son livre Saved, écrit Les deux navires parurent attirés l'un vers l'autre, comme par l'aimant du destin Toujours est-il que ce drame apporta son lot de changements dans la réglementation. Les compagnies ont eu l'obligation de renforcer la formation de leur personnel sur l'utilisation des radars. Ensuite, il était demandé aux navires se trouvant dans la même zone d'entrer en contact radio afin de communiquer entre eux et prévenir tout nouveau risque d'abordage. Enfin, plus tard, dans les années 60, un dispositif de séparation du trafic fut mis en place à Nantucket avec balisage de bouées et bouées phares, des sens à respecter et des zones où les navires peuvent tourner et faire demi-tour sans se croiser. Le tout surveillé par un radar. L'épave de l'Andréa Doria repose par 80 mètres de fond et est considérée par beaucoup de plongeurs comme l'Everest de la plongée. Elle peut paraître facilement accessible car son point le plus haut n'est qu'à une cinquantaine de mètres. Très tôt après le naufrage, les premiers plongeurs sont donc descendus dessus. Cousteau lui-même voulut y descendre mais n'atteint pas l'épave. Il jugea la plongée dangereuse et il avait bien raison. C'est une zone avec de forts courants et la mer y est souvent mauvaise. La visibilité est mauvaise en bas. La descente est compliquée avec les courants. Une fois dans l'épave, on se trouve désorienté et on s'y perd facilement sans fil d'Ariane. Il y a beaucoup de sédiments et de nombreux débris. Au début des années 80, une expédition est montée pour récupérer le coffre-fort. Ils sont certains d'y trouver des trésors. En réalité, ils ne remonteront que quelques billets de banque. Comme nous l'avons vu, la grande majorité des passagers étaient déjà passés la veille récupérer leurs objets de valeur. Au fil des décennies, la superstructure du Doria s'est effondrée. Beaucoup de plongeurs, ayant pu s'introduire à l'intérieur, ont remonté de la vaisselle, divers objets, dont certains panneaux muraux où des œuvres sont encore visibles. Même la statue d'Andrea Doria a été remontée depuis le salon des Premières dans les années 60. Attention, notons tout de même que plus de 20 personnes sont mortes au cours de plongées sur l'épave. Depuis ces dix dernières années, la coque s'effondre également. En 2016, la tristement célèbre entreprise OceanGate, dirigée par Stockton Rush, avait mené une expédition de surveillance de l'épave du Doria. A cause des conditions climatiques, il n'avait pas pu mener à bien toute l'opération. Mais Rush avait tout de même alerté sur la dégradation rapide de l'épave et les dangers qu'elle présente dorénavant. Si le sublime Doria n'est plus qu'une triste épave lentement digérée par l'Atlantique, savez-vous que le Stockholm est lui toujours à flot ? Jusqu'en 2020, vous pouviez même faire des croisières à son bord. Bon, il n'a plus rien à voir avec le transatlantique qu'il était en 1956 au moment du drame. En plus de 70 ans de service, il a été transformé et remanié dans tous les sens et de fond en comble. Toutefois, c'est bien lui. Si vous passez par le port de Rotterdam, vous verrez sûrement la forme assez imposante d'une coque noire et blanche qui commence à comporter quelques coulures de rouille. portant sur les flancs de sa proue et à l'arrière de sa poupe le nom de Astoria. C'est lui. Il attend son sort. Il fut retiré du service pendant la pandémie de Covid-19. Depuis, il est en vente. Ses propriétaires cherchent à lui éviter la ferraille et préfèrent le voir naviguer encore, mais c'est bien incertain. Mon récit est à présent terminé. Autant vous dire que, pendant les nombreuses semaines passées à documenter et écrire cet épisode, j'ai passé de nombreuses nuits à vivre derrière mes paupières les dernières heures du denrées. J'ai éprouvé le choc depuis le salon d'observation où on dansait. Moi, j'étais assis dans un fauteuil où mon verre s'est déversé sur mes genoux. J'ai arpenté ces coursives inclinées, puis j'ai patienté au milieu des salons dans l'attente d'évacuation. Le lendemain, j'étais en classe touriste, où, terrifié, j'ai vu l'eau monter rapidement dans les coursives. J'ai entendu les autres crier dans leur cabine. J'ai été bousculé par cette foule que la panique précipitait vers les embarcations. J'ai été derrière les pupilles médusées de Carstens, voyant le Doria crever la brume depuis les fenêtres de la passerelle. J'ai senti les mains de Calamai se serrant en rompre le bastingage. J'ai été Linda Morgan, se réveillant perdue. et terrifiée, comme la fillette qu'elle était au cœur de cette nuit arrachée à ses rêves d'enfant. Une autre nuit, j'étais Peterson, tentant de soulever encore et encore la montagne de décombre sous laquelle se mourait mon épouse. Aussi, j'ai voulu ce récit le plus complet et le plus juste possible. J'espère que vous l'aurez apprécié. Je suis Julien Maroyaux. J'ai écrit, réalisé et monté moi-même cet épisode. L'illustration est une œuvre de Julien Garnier. Je remercie également Arnaud Cazella, Clément Lallose, François Devoir, Tiffany Touzé, Arthur Kuntz, Rémi Rebuzzi, Julien Garnier, Jesse Kaleb et Julien Colten pour avoir prêté leur voix à cet épisode. Quant à nous, on se retrouve dans quelques semaines pour un autre épisode sur un naufrage ou un paquebot transatlantique.