- Speaker #0
Le médium, c'est la vie, par Fontine Ausha.
- Speaker #1
Il m'avait toujours dit, mes chers amis, la littérature te donnera pour tout. La littérature te donnera pour combattre l'ennui. La littérature te permettra en effet d'éloigner tes démons, de rencontrer des personnes fabuleuses, comme toi, de voyager dans des endroits incroyables, de vivre plusieurs vies dans une même existence. Mais la littérature ne te donnera jamais assez d'argent pour acheter des chaussures.
- Speaker #0
Vous n'avez pas pu passer à côté de lui et de son rêve du Jaguar publié chez Rivage en cette dernière rentrée littéraire. Il vient de rafler le grand prix du roman de l'Académie française ainsi que le prix Fémina. Vous l'avez deviné, c'est Miguel Bonnefoy que je reçois à mon micro. Pour le contexte, nous partageons un début d'après-midi ensemble, en face de l'église Saint-Paul, au-dessus de l'agitation typiquement parisienne. Devant nous, évidemment, il y a du café, des gâteaux tout droit échappés de la boulangerie Murciano, et la bonne humeur de Miguel, que l'on peut considérer d'ores et déjà comme légendaire. Et oui, partout où il passe, il captive son auditoire, le passionne ou l'inspire. C'est pas peu dire qu'il a le don des mots et de nous emmener avec lui. Il est aussi pourvu d'une des choses que j'estime le plus au monde, la générosité d'être. Si la flamme de ses pupilles brille ainsi, C'est que Miguel est atteint d'une étrange maladie qu'il nous révélera ici, de quoi vous donner envie d'écouter jusqu'au bout. Je vous invite à lire Le rêve du jaguar, qui est une pure merveille, mais également mon favori, L'envoûtant sucre noir, déjà rien que le titre nous voilà dans une sensorialité particulière. Bonjour Miguel Bonnefoy.
- Speaker #1
Bonjour Fantine Ausha.
- Speaker #0
Alors Miguel, tu viens de rappeler le Grand Prix du roman de l'Académie française et le Prix Fémina. Comment te sens-tu aujourd'hui ?
- Speaker #1
Ce n'est pas un aboutissement. Je suis très heureux d'avoir les prix, je suis très satisfait. Et ça couronne, je pense, un long travail avec mon éditrice, avec la maison d'édition. avec Actes Sud, avec Rivage, depuis presque dix ans, et je ne reçois pas ce prix tout seul, je le reçois vraiment avec le bonheur collectif d'un effort commun. Toutefois, j'insiste sur cette idée, ce n'est pas un aboutissement. Ce n'est qu'un magnifique souffle, ce n'est qu'un bon vent, ce n'est qu'une impulsion délicieuse pour gonfler la voile et pour continuer à naviguer. J'ai encore tout à écrire, j'ai encore tout à apprendre en fait, j'ai encore tout à... lire tous les livres sont imparfaits tous les livres sont véritablement imparfaits et incomplet et mon travail maintenant avec le ciment de ces prix est celui d'avancer petit à petit jusqu'à arriver à un livre qui soit
- Speaker #0
sans gang et qui puisse briller comme un petit diamant tu as cette vision très précise de tes prochains livres une vision d'ensemble pour ton oeuvre n'est ce pas un peu l'idée de la tâche impossible qui t'anime
- Speaker #1
Oui, absolument. J'aime beaucoup cette façon de le voir. C'est absolument une tâche impossible. Et pourtant, j'y vais tête baissée, aveuglément, contre ce mur, contre cette entreprise qui, quoi qu'il arrive, est vouée à un échec. Et j'y vais avec vélocité. Et en train.
- Speaker #0
C'est l'idée d'avoir toujours affaire qui, finalement, te donne envie, te donne le souffle.
- Speaker #1
C'est exactement ça. C'est l'idée du affaire. C'est l'idée de ce n'est pas un livre de plus, c'est un livre de moins. Un livre de moins dans le grand chemin jusqu'à arriver à un livre ultime que tu n'arrives jamais à écrire, bien entendu, parce que tu meurs avant, mais qui te donne cette espèce de carotte pour continuer à avancer. Et j'observe à quel point la majorité des personnages de mes livres, que ce soit pour celui-ci ou que ce soit pour les précédents, sont habituellement des personnages qui, eux aussi, se lancent dans des entreprises extraordinaires, alors qu'eux n'ont rien d'extraordinaire. Et des entreprises qui, de toute façon, vont échouer. Que ce soit l'inventeur avec Augustin Mouchot qui essaie de conquérir le soleil, que ce soit Margot Lansonnier dans Héritage qui, avec son avion, a envie de traverser l'Atlantique et naturellement n'y parvient jamais. Que ce soit, en effet, pour Antonio, que ce soit pour Ana Maria, que ce soit pour Octavio qui a envie d'apprendre à lire et à écrire et qui n'y parvient jamais vraiment et se transforme en une statue de bois. Enfin, tous les personnages sont sans cesse dans cette même quête. d'un absolu, on en parlait tout à l'heure, et pourtant n'y parviennent pas. Mais c'est le chemin qui est beau, et là-dessus, bien entendu, c'est une banalité de dire ça, sinon...
- Speaker #0
Tu préfères l'histoire ainsi, de ne pas y parvenir, c'est plus stimulant, tu trouves ?
- Speaker #1
Eh bien, certaines personnes avec ces prix littéraires m'ont dit tu vois, tu y parviens Et tu dis mais il y a deux façons de voir le monde, celui de dire qu'un prix littéraire est la fin absolue, enfin le livre est habillé de ce célèbre bandeau rouge et maintenant plus rien n'est à faire, ou au contraire de dire mais mes amis Ceci ne fait que commencer. Je suis en train de m'échauffer jusqu'à maintenant. Et tant mieux que ça se passe comme ça. Mais moi, j'ai encore le ventre rempli de bouquins. Lorsque El Che Guevara, Camilo Cienfuegos et Fidel Castro, après avoir été pendant des années dans la sierra, barbus, se battent d'une façon clandestine contre Batista. parviennent enfin avec toutes les milices et la guerrilla à entrer à la Havane. Tout le monde les reçoit en applaudissement, en criant ce 1er janvier et en leur disant la révolution, la révolution, enfin vous avez fait la révolution. Et le Tchèze, non, la révolution commence aujourd'hui. C'est-à-dire que là ce qu'on a fait, c'est pouvoir jeter, mettre à la porte le gouvernement dictatorial, le régime autoritaire qui était dans cette île. Mais la révolution commence maintenant. Pour moi, la littérature commence maintenant.
- Speaker #0
C'est pas mal pour un écrivain que tout reste à écrire.
- Speaker #1
C'est trop beau, n'est-ce pas ? C'est trop beau. Et non seulement tout reste à écrire en français, mais j'ai bon espoir, en effet, de pouvoir un jour commencer une nouvelle carrière d'écrivain dans ma langue maternelle, qui est l'espagnol, et en fait, de recommencer une deuxième fois, en quelque sorte.
- Speaker #0
C'est quelque chose que tu retiens, tu te le préserves pour tes vieux jours, tu te dis, j'aurai toujours cet immense bonheur. Comment tu le perçois ?
- Speaker #1
Mais là, je le perçois avec un... un bonheur aveuglant qui t'attend, qui m'attend. C'est comme savoir en effet que tu ne mourras pas sans une sublime histoire d'amour en fin de vie. Tu vois des choses comme ça. Comme la dernière histoire d'amour de Clémenceau. qui meurt en fait fou amoureux d'une jeune femme avec qui il est depuis quelques années, puis il meurt. Mais il meurt en fait au milieu d'une magnifique histoire d'amour. Tu le dis, c'est juste trop beau. Eh bien, pareil pour la littérature et pour les langues. Mon père, qui est un homme né en 1956, donc qui a aujourd'hui autour de 67-68 ans. et figure-toi que il a écrit toute sa vie il a publié dix romans en espagnol sa langue maternelle naturellement sa langue d'écriture et il est en train à 68 ans de commencer à écrire en français et il a déjà fini son premier manuscrit directement en français et on en parlait énormément parce que lui moi je fais le chemin inverse si tu veux j'ai commencé en français je finirai en espagnol et on en parlait énormément et me dit tu n'imagines pas le bonheur, en fait, pour un écrivain de se mettre à labourer une nouvelle terre, comme ça, en milieu de vie, et de réécrire, en quelque sorte, les livres que tu as déjà publiés, mais les réécrire dans une nouvelle langue, dans une façon différente, de les façonner différemment, de re-tailler cette glaise pour en faire une nouvelle forme.
- Speaker #0
Tu rêves en français ou en espagnol ?
- Speaker #1
De la même manière que dans les rêves, tu peux avoir des confusions de personnages ou à la même table vont être assis ton ami du lycée ton père un oncle mort gabriel garcia marquez et barack obama et c'est tout à fait normal et vous êtes en train de partager un requin mort au milieu de la table et bien de la même manière et les langues aussi se confondent et c'est la langue onirique je pense en rêve dans une langue qui est une sorte de mélange entre le français, l'espagnol, l'italien, qui est une langue qui m'est très proche, l'anglais naturellement, le portugais, moi j'ai vécu très longtemps en Portugal, un peu de danois, j'écoute beaucoup de danois à la maison, parce que ma famille est danoise, donc fatalement tu vois le danois. Et ça devient une sorte d'espéranto mystérieux, où tout à coup je me passe à moi-même un message, un rêve, qui est dans une langue... tissé entre mille langues, entremêlé de mille langues, une sorte de mélange de mille langues, mais que moi seul comprend.
- Speaker #0
C'est la langue du rêve.
- Speaker #1
Exactement, c'est la langue du rêve.
- Speaker #0
J'avais un professeur qui est un poète aujourd'hui italien, et il disait qu'il rêvait en italien et qu'il Ausha.
- Speaker #1
Moi, je pense que je cauchemarderais en allemand, sans doute. C'est très adapté. Bien que ce soit une langue sublime.
- Speaker #0
Est-ce que tu avais le pressentiment enfant que tu serais écrivain et t'as une vocation ?
- Speaker #1
J'aime beaucoup que tu utilises le mot vocation, car vocation vient de Ausha, qui a... qui a donné vocal, bien entendu, et qui veut dire en latin appel appeler Donc la vocation est un appel de quelque chose, de quelque part, qui te dit viens, tu décides de répondre à cet appel ou pas Habituellement, c'était un appel qui était religieux, et donc le moine se sentait appelé pour entrer dans les ordres, la jeune femme se sentait appelée pour entrer dans les couvents, ou donner son corps à Dieu, enfin. Et puis petit à petit, ce mot vocation s'est ramifié avec le temps pour pouvoir être dans le monde des professions. Donc tu as la vocation de la médecine, la vocation du journalisme, la vocation des arts. Est-ce que, en quelque sorte, j'ai reçu ou pas cet appel ? Alors bien sûr, c'est toujours facile, une fois que tu as écrit les livres et que tu les as publiés, de regarder en arrière et dire oui, bien sûr, j'ai reçu un super appel, j'y ai répondu, et voyez-vous le résultat ? À la fin de la bataille, tout le monde est général. Donc, c'est facile. Toutefois, oui, je reconnais avoir eu, dès le début, une sorte d'envie, de désir ardent de ressembler à mon père et à ma mère. J'ai beaucoup d'admiration pour mon père et pour ma mère. C'est des gens qui me plaisent beaucoup et j'aime beaucoup leur façon d'être au monde. J'aime la façon dont ils ont géré la vie. Eh bien, mon père écrit. Donc, fatalement, toute ma vie, j'ai vu un homme assis à une table en train de rire, en train de raconter des histoires, en train de parler de littérature avec les yeux qui brillaient. Et il m'avait toujours dit, mes chers amis, la littérature te donnera pour tout. La littérature te donnera pour combattre l'ennui. La littérature te permettra en effet d'éloigner tes démons, de rencontrer des personnes fabuleuses comme toi, de voyager dans des endroits incroyables, de vivre plusieurs vies dans une même existence. Mais la littérature ne te donnera jamais assez d'argent pour acheter des chaussures. Mon premier prix littéraire, qui était le prix du jeune écrivain sur 300 euros, je suis allé m'acheter des chaussures et une bouteille de rhum. Comme quoi ? Je suis allé voir mon père et il m'a dit, les chaussures sont pour moi, la bouteille c'est pour toi mon ami, c'est ça. Et levons un verre parce que la lecture peut aussi acheter des chaussures.
- Speaker #0
Vous pouviez boire le rhum dans la chaussure aussi. Ah bravo ! Alors je vais te la poser autrement la question, est-ce que tu devrais mourir si tu n'avais pas quelque chose à sortir de cette œuvre que tu visionnes ?
- Speaker #1
Alors, bien sûr, c'est la question de Rainer Maria Rilke, bien entendu, d'être un jeune poète et qui est très belle. Je me suis posé cette question pendant 25 ans. Ça me touche beaucoup, Fantine, que tu en parles. Bien sûr, pour tout écrivain ou pour toute personne qui a une vraie sensibilité de la littérature comme toi, cette question a été posée dans l'obscurité de nos chambres et dans l'honnêteté de nous-mêmes en répondant à ce que tu réponds oui ou non. La réponse romantique est de dire bien sûr, voici mon cœur, Seigneur, comme disait saint Augustin, voici mon cœur et jetez-le dans l'abîme si on m'enlève la plume La question non romantique est celle de dire non, non, pas du tout, je pense que la vie est pleine de beauté, la vie est pleine de roses, la vie est pleine de sommets lumineux Et je préfère en effet ces sommets-là à la littérature, tu vois. Et je pense qu'il y a une réponse entre les deux. Tu me diras, oui, le fils de diplomate qui réapparaît, qui ne tranche jamais, qui est comme une philambule, un équilibriste entre deux bords. La question est de se dire, je pense que si demain on m'enlevait la plume, je serais un homme triste, car écrire me donne véritablement du bonheur. Et c'est pour ça que je le fais. Je pense que je serais quelqu'un de triste si je ne parvenais plus à écrire. Mais non, je ne mourrai pas. D'abord parce que je suis papa, j'ai des enfants, et ça, ça te donne une raison de vivre. Et deuxièmement, car oui, il existe la poésie, parce qu'il existe l'opéra, c'est parce qu'il existe les voyages, parce qu'il existe le parfum de l'amour, c'est parce qu'il existe les vélos, parce qu'il existe la carbonara, et le bon vin.
- Speaker #0
Dans ton roman Le rêve du jaguar, il y a cette scène que je te laisse peut-être raconter d'ailleurs, merveilleuse, où ta grand-mère, Ana Maria Rodriguez, dit à son grand-père qu'elle épousera l'homme qui lui racontera la plus belle histoire d'amour. Est-ce que tu veux la raconter cette fois ?
- Speaker #1
C'est sûr. Antonio tombe amoureux d'Ana Maria et lui demande... Que doit-on faire pour se marier avec vous ? Et elle, avec l'ironie et le cynisme d'une femme qui veut être indépendante, autonome et libre, émancipée, lui dit, ironiquement, Je ne me marierai qu'avec l'homme qui me racontera la plus belle histoire d'amour. Puisqu'en quelque sorte, c'est ce que vous les hommes aimez entendre. Et lui, qui ne savait rien de l'amour, qui ne connaissait rien à l'amour, puisqu'il avait une enfance dickensienne, un peu de ruffiant et d'enfant de la misère, décide de prendre deux tabourets, un carré de carton, écrit sur le carré de carton J'écoute des histoires d'amour se rend à la gare routière de Malacaibo. et attend que des passants et des voyageurs en escale viennent lui raconter une histoire d'amour. Le premier arrive, raconte la sienne, le deuxième, le troisième, le quatrième, et puis petit à petit, une longue file de gens. se forment pour pouvoir, les uns après les autres, lui livrer comme dans un torrent de roses rouges les mille histoires d'amour que lui n'avait pas eues dans son enfance. Lorsque le carnet est rempli, puisqu'il note toutes ces histoires d'amour, il va voir Anamalia, qu'il la trouve dans un campus universitaire, assise sous un arbre, lui pose le carnet sur les genoux et lui dit Je ne connais pas la plus belle histoire d'amour, mais en voici mille, je te propose qu'on écrive la nôtre. Cette histoire est inventée. Elle n'est pas arrivée dans ma mythologie familiale, dans ma légende familiale. Elle n'est pas arrivée. Je l'ai inventée, allez savoir comment elle m'est venue. Voilà, comme viennent les idées, non ? Par des chemins mystérieux et apocryphes, sans origine. Toutefois, l'histoire a visiblement plu, puisque beaucoup de gens m'ont parlé de cette scène. J'écoute des histoires d'amour. J'ai entendu ma cousine au Venezuela raconter à une autre personne Mais tu sais comment mon grand-père et ma grand-mère se sont rencontrés ? Eh bien, ils se sont vus et il lui a dit Est-ce qu'il faut que l'on se marie avec vous ? Alors elle est là. répondu, je m'arrête avec lui, on a une histoire d'amour et il s'est posé alors dans une gare routière, j'écoute des histoires d'amour. Et ma cousine disait, mais je m'en souviens. Je m'en souviens très bien, on me l'a raconté mille fois, j'y étais.
- Speaker #0
Donc tu as réussi à réinventer l'histoire familiale.
- Speaker #1
Comme toutes les histoires familiales, il ne s'agit pas de copier une histoire familiale, il s'agit, comme tu dis, de la réinventer, de la refaire, de la refaçonner, parce qu'on n'est pas là pour copier la réalité, on est là pour l'exprimer. En exprimant une nouvelle réalité, tu passes, oui, par de nouveaux symboles, par de nouveaux signes, par une nouvelle légende. Et quand tu arrives à créer une nouvelle légende, eh bien c'est cette légende qu'on imprime, et pas la réalité. Et c'est cette légende qui reste. Et c'est là alors où Alberto Mangel le dit si bien, la fiction précède toujours la réalité.
- Speaker #0
Alors, deux questions. Quel est ton rapport au romantisme ? Et quel est ton rapport à la réalité ?
- Speaker #1
Ce sont de très belles questions. Au romantisme comme courant littéraire ? Non. Ou comme courant de vie ? C'est bon parler en effet de Victor Hugo.
- Speaker #0
On reste sur ton livre, le courant de vie.
- Speaker #1
Le courant de vie. Eh bien, je suis un romantique. Je crois beaucoup aux histoires d'amour, je suis convaincu et c'est... pleuvoir sur du mouillé de dire ça mais je suis convaincu en effet que c'est une des rares forces de l'humanité pour pouvoir combattre le racisme la xénophobie l'intolérance la douleur la méchanceté la cruauté et les cercles les plus noirs dantesque de la matière humaine bien sûr l'amour bien sûr la beauté la beauté sauvera le monde cette phrase de suez qui la beauté sauvera le monde a été à la fois raillé et à la fois célébré pendant presque 100 ans. Si bien que lorsque tu lis les différents discours de Suède, les discours des prix Nobel, les uns après les autres, nombreux d'entre eux reprennent cette idée de la beauté sauvera le monde. Et nombreux d'entre eux disent... Pendant des années, dans ma jeunesse et à l'âge adulte, j'avais en tête La beauté sauvera le monde de Dostoevsky, et je me disais à chaque fois, disent ces écrivains qui reçoivent le Nobel pendant leur discours de Suède, je me disais à chaque fois, comme c'est facile de dire ça, La beauté sauvera le monde qu'est-ce que ça veut dire, la beauté avec un B majuscule, c'est facile de dire ça, et c'est faux, enfin. Et ils disaient, plus je vieillissais, plus je lisais, plus je comprenais la nature humaine, plus il m'arrivait des belles choses et des mauvaises, et plus je commence à comprendre, parce que Dostoevsky disait que oui, en fait, la beauté est la beauté. beauté dans toutes ses formes, en fait. Ramifiée dans toutes ses formes étranges, bigarrées, comme des camaïeux possibles, en fait. Oui, la beauté sauvera le monde. Donc, l'amour, l'amitié, l'empathie, la tolérance, et mille autres sentiments nobles, en fait, bien sûr que c'est ça qui sauve le monde. Donc, bien entendu que je suis un romantique. Mais être un romantique ne veut pas dire, forcément, d'être quelqu'un d'une seule pièce, comme ça, qui ne pense qu'à l'autre. l'amour, c'est ça. C'est aussi l'être avec ses amis, c'est l'être avec ses enfants, c'est l'être avec la littérature, c'est l'être avec son éditrice.
- Speaker #0
Avec la vie.
- Speaker #1
Et c'est l'être, en fait, avec la vie, avec monsieur et madame tout le monde, en fait, tu vois. C'est être amoureux de se faire frère, hermano de la vida, se faire frère avec la vie, comme dit le grand Silvio Rodríguez.
- Speaker #0
Parce que dans cette idée de la beauté sauver le monde, il pourrait y avoir un côté très nié, mais c'est un combat aussi.
- Speaker #1
C'est un combat, bravo. Il n'y a pas de point de se positionner dans la vie aussi. C'est une façon de se positionner dans la vie. C'est un choix de célébrer la beauté, de creuser le désespoir. C'est un choix, en effet, de voir la rose plutôt que l'épine. C'est un choix de voir que cette pièce est tantôt lumineuse, tantôt sombre. Eh bien, à toi de voir lequel des deux tu dis. Tu rentres dans la pièce et tu dis, ah oui, je trouve qu'il y a une belle lumière. la même pièce, avec la même lumière, quelqu'un entrera et dira Je me sens oppressé, je trouve ça très noir. Et en fait, c'est un choix de vie, c'est une façon de voir le monde. Et tout va bien, je ne dis pas qu'il y a une bonne manière et une mauvaise manière. Je dis tout simplement, en fait, c'est des choix que tu fais. Et vraiment, à mes yeux, ou du moins c'est ce que j'ai observé, c'est aussi ce que tu formules. Comment tu formules ta vie. Comment tu traites les gens par rapport à la parole ? Quel est le verbe que tu utilises pour parler d'eux ? Est-ce que tu lui dis à la personne je trouve en effet que tu as bonne mine aujourd'hui Juste dire ça au début d'une conversation change immédiatement la conversation. Et figure-toi que moi j'applique déjà depuis quelques années, parce que je l'avais vu chez quelqu'un que j'admirais énormément au Venezuela, et qui le faisait systématiquement, et j'ai essayé de le copier. C'est de, à chaque fois... que je rencontre quelqu'un dans la rue, que ce soit un serveur, que ce soit le monsieur du métro, que ce soit le contrôleur, que ce soit le chauffeur de taxi, que ce soit le bus, n'importe qui en fait. La fille du Paul à qui tu vas acheter le croissant, elle dit Bonjour, comment allez-vous ? Juste ce comment allez-vous. Mais même lorsque tu as SFR qui t'appelle pour te proposer quelque chose, le comment allez-vous change tout dans la conversation. C'est hyper clair. C'est hyper clair. Mais absolument. Et surtout, les réponses sont vraiment intéressantes. beaucoup de gens font comment ? Comment allez-vous ? Comme si on n'avait pas posé cette question depuis le début de la journée. Enfin, tu vois, certains vont te dire bof, enfin, je bosse. Les Italiens sont marrants parce qu'ils vont dire comment ça va ? Ils font adesso, male. délicieux. Et d'autres vont dire ça va, ça va. D'autres vraiment vont dire en mode ah bah merci, et vous enfin ? Et juste avec ça, la journée est changée. Les gens te donnent la meilleure part d'eux-mêmes.
- Speaker #0
Alors est-ce que tu trouves en France particulièrement qu'il n'y a pas cette notion d'hypocrisie ou presque qu'on est surpris ? Il faudrait se méfier quelque chose qui m'attriste assez, se méfier de cette attention.
- Speaker #1
Oui, bravo pour le mot méfiance, c'est exactement ça. Tu le retrouves dans le regard du comment allez-vous, on se dit...
- Speaker #0
J'avais offert des fleurs à une dame qui avait l'air très malheureuse, qui était dans mon immeuble, et elle m'avait dit, mais pourquoi vous faites ça ? C'est ça,
- Speaker #1
pourquoi vous faites ça ? Ça me semble humain, je trouve que c'est ok d'être d'abord dans la prudence, dans la méfiance, on ne connaît pas la personne, c'est ok. Mais toutefois, immédiatement... naît dans la personne, dans les profondeurs de la personne, ce je-ne-sais-quoi de lumière, soit qui est déjà très installé, parce que ce sont des gens qui sont très bien dans leur vie, soit elle est un peu plus enfouie par les malheurs, et tout à coup naît cette espèce de petite lumière et quand ils comprennent qu'il n'y a pas une demande derrière, la personne te donne tout.
- Speaker #0
D'ailleurs, tu as une très belle phrase, ça me revient dans le rêve du lagouard. S'attendre à réclamer un pétale, tu sais, de la rose ou de la fleur offerte.
- Speaker #1
Oui, oui, je me souviens très bien de cette idée. Il lui semblait impossible d'offrir une rose à quelqu'un sans exiger un pétale en retour, quelque chose comme ça. Et c'est exactement ce que tu dis, en effet. Peut-on vraiment offrir une rose à quelqu'un sans demander un pétale en retour ? Mais bien sûr, c'est mille fois possible. Mais comme en amour, en fait, c'est mille fois possible de le faire.
- Speaker #0
Alors, ça veut dire quoi pour toi d'habiter le monde ?
- Speaker #1
Ah, c'est quoi ? Quelle belle question, Fantine. Qu'est-ce que ça veut dire, habiter le monde ? Je te répondrai, tu sais, que c'est une affaire de transformation, c'est une affaire de métamorphose. Je crois beaucoup à l'image de la forge par rapport au monde. Habiter le monde, c'est se retrouver dans une sorte de tourbillon et de tempête constante d'informations, de regards, d'énergie, de mouvements, de mille fourmillements autour de nous. de nous qui peuvent te noyer si on est un hypersensible et qui peuvent en effet d'obliger à te carapacer or à mes yeux une des belles choses d'être au monde c'est forgé en fait différemment cette réalité en faisant une nouvelle qui est la tienne c'est métamorphosé en fait le monde tel qu'il est selon ton point de vue selon ta perception Si par exemple, tu es enceinte, et bien curieusement, tu vas habiter le monde. en ayant comme prisme la grossesse, et tu ne vas voir que des femmes enceintes partout. Et tu vas te dire, c'est fou comme les gens se reproduisent en ce moment. On va te dire, mais il y a toujours eu plein de femmes enceintes. C'est juste que tu habites le monde d'une façon différente pendant neuf mois. Si tu es fasciné par le chiffre 23, tu ne vas voir que du 23 partout.
- Speaker #0
C'est le fameux pied de rationalité.
- Speaker #1
Exactement. C'est précisément ça. J'aime l'idée que tu habites le monde comme un forgeron habiterait son fourneau, en retaillant, en retravaillant la matière différemment pour en faire de nouvelles armes. Et les deuils, les colères... les violences, les bonheurs, les gourmandises, les amours qui te viennent, tu décides soit de te noyer avec, soit en effet de les reforger différemment pour les faire à ta façon. Et donc, habiter le monde selon leur écrin.
- Speaker #0
Donc, la création.
- Speaker #1
Absolument, la création. Moi, ce sont les livres, mais demain, ça aurait pu être de la peinture, ça aurait pu être de la musique, ça aurait pu être du sport. Mais j'irais même plus loin. Ça aurait pu être... d'un trader en fait un golden boy qui voit le monde avec le fric et c'est pas grave c'est ok c'est peut-être pas c'est tout aussi noble en fait que l'art et qui lui voit le monde Comme un endroit où il est possible ou pas de faire de la rentabilité, de faire de l'optimisation fiscale. Trop cool mon ami en fait. Tu as habité le monde, tu as forgé le monde à ta façon. Ce qu'il faut trouver dans l'adolescence, c'est ta façon. Et là où il y a des êtres égarés et perdus, ce sont ceux qui n'ont juste pas trouvé leur prisme en fait. Ils n'ont pas trouvé leur kaléidoscope pour pouvoir... métamorphoser le monde et ne pas se laisser noyer par ces bruits confus.
- Speaker #0
Toi, tu joues à la vie,
- Speaker #1
tu dirais ? Oui, je dirais que oui, Fantine. Je ne veux pas du tout paraître comme le saltimbanque, comme le troubadour, comme le tribun, comme celui qui danse sur la vie, comme on danse sur un volcan parce qu'il a trouvé le je-ne-sais-quoi. Non, il y a des gravités. Comme tout le monde, j'ai mes douleurs, comme tout le monde, j'ai mes blessures secrètes, comme tout le monde, tu vois, tu as tes inquiétudes et tu as tes doutes, bien sûr. Et d'un autre côté, oui, la vie a été merveilleuse avec moi. Je suis un homme qui a eu beaucoup de chance, béni des dieux. Je le remercie tous les jours en essayant de le rendre à ma façon et en donnant le plus de plaisir possible autour de moi. Et je le dis vraiment avec humilité et gratitude.
- Speaker #0
Et toi qui as grandi avec pas mal de mythes aussi, que ce soit familial. Aujourd'hui d'ailleurs, tes romans sont autour d'une fresque familiale. Oui. cette idée de chat à jaguar, cette mythologie familiale. Est-ce que tu te sens comme un Hermès qui va messager, qui a un héritage ? Un de tes livres s'appelle Héritage. Est-ce que tu as la responsabilité de la transmission familiale sur tes épaules ?
- Speaker #1
Je ne la ressens pas comme un fardeau, comme une corvée, comme une lourdeur. Et je n'écris pas avec la pesanteur des légendes, des mythes, et des... des doutes en fait, des aspérités d'hier.
- Speaker #0
C'est une source d'inspiration ?
- Speaker #1
Absolument, c'est une source d'inspiration, comme tu dis, en fait. C'est une sorte de source qui n'est pas du tout tarie, qui continue à sortir son geyser interminable de couleurs et de merveilles. Et ce qui est encore plus fabuleux, c'est que moi, je n'ai rien inventé. C'est-à-dire que mes parents... avait déjà inventé. Mon père écrit. Donc, Fatamon, lui, avait déjà transformé ça en réalité et l'avait transformé dans une sorte de grand jeu. Combien de fois ? Je n'ai pas parlé de littérature avec mon père, enfant et adolescent, où il me dit Tu n'as pas lu tel livre ? Je dis Ah non, celui-là. Alors, écoute, je te raconte le début. Ça s'ouvre, comme ça, comme ça. Après, il ne se passe pas. Et à la fin, le type, il ne sait pas. Tu dis Oh ! Tu lis le livre six mois plus tard, et tu te dis, ça ne commence pas du tout comme ça. Et tu n'as aucun moment, en fait, dans le livre, il y a ça. Et je vais voir mon père, et je me dis, mais à quel moment dans le livre il y a ça, je ne le retrouve pas ? Il dit, ah non, je me suis peut-être trompé de livre, c'est peut-être dans un autre livre, ou peut-être que je l'ai écrit, enfin je ne sais pas, allez, ça marche. Et tu te dis, la fille, avant, son histoire est tellement plus belle, en fait, que ce qui s'est passé dans le bouquin, ou du moins, il a donné un relief, une épaisseur au livre que je n'avais pas imaginé. Et combien de fois, avec ma mère, je n'ai pas entendu des histoires qu'elle m'a racontées qui sont cons. complètement rocambolesque et insolite et où à chaque fois je me dis mais
- Speaker #0
c'est fabuleux ce que tu me racontes quoi et en effet quand tu regardes la réalité et bien non en fait tu vois si ça s'est jamais passé comme ça je me suis un enfant d'une d'avoir il y avait une armoire et derrière l'armoire vitrée et ma mère avait des petites breloques et des amulettes enfin tu vois un petit verre de rhum une bougie un cierge une sorte de deux vieilles petites chemises avec des papiers à l'intérieur qu'elle avait plié et au fond une cuillère tordue. Et quand je voyais la cuillère tordue, j'ai dit C'est une cuillère tordue ? Et ma mère me disait Mais non, mais ça, tu ne sais pas. deux semaines, alors que tu dormais, est entré un homme que je n'avais jamais vu, avec des longs cheveux, une barbe tressée de perles, une sorte de sorcier fabuleux, une sorte de chaman, comme ça, qui sentait l'encens, le musc et le poivre. Et il m'a regardé, il a pris la première cuillère, là, dans la cuisine, dans le tiroir que tu connais, et avec le regard, il a tordu cette cuillère. Et il m'a dit, dans une langue indigène, To, kami no buwe bueno, chemin bon, camino bueno. Et il m'a tendu la cuillère. Alors, je l'ai mis là, derrière son cul, dans la cuillère, pour m'en souvenir. Moi, je regardais la cuillère, je me disais, non, c'est avec le regard. Elle me disait, avec la c. Ma mère a tendu.
- Speaker #1
Quel théo fertile.
- Speaker #0
Elle a tendu, pris une cuillère, elle l'a tordue, elle l'a mis là. Soit elle voulait regarder l'histoire, soit en effet, c'est une cuillère. Enfin, allez savoir. Mais qu'importe. Et quand je vois quelques amis qui sont dans une éducation avec leurs enfants très rationnelle et très cartésienne, ou par exemple, par rapport au Père Noël, ils disent non, non, pour nous c'est important de lui dire la vérité dès le début et de ne pas lui faire miroiter le Père Noël, car vois-tu, il faut qu'ils comprennent aussi la réalité. C'est ok, elle est tout aussi belle que le mythe, je respecte absolument ça, ils font leur chemin. Moi, je vais pousser et je vais tirer sur la corde le plus possible. pour raconter des histoires insolites à mes filles, pour qu'elles aient cet imaginaire. Et ne t'inquiète pas, elles seront grandes, elles passeront, hélas, suffisamment de temps dans la réalité, suffisamment de temps de se confronter avec le savon de la réalité qui a ses beautés et ses lourdeurs. Mais elles auront peut-être à un moment une sorte de terreau assez beau qui se lisse sur les chevilles. Et qu'elles puissent, elles aussi, transformer le monde à leur façon.
- Speaker #1
C'est drôle parce qu'en t'écoutant avec ce... panache, parce que t'es vraiment un conteur, on se demande, mais alors comment Miguel Bonnefoy vit sa vie quotidienne ? Il change les couches ?
- Speaker #0
Oui, il en change pas mal, ouais. Il se trouve que je m'occupe beaucoup de mes enfants, et je passe beaucoup de temps à m'occuper de toutes les affaires domestiques.
- Speaker #1
Donc, dans la réalité, tout ce qu'on font, il y a aussi cette...
- Speaker #0
Absolument. Non.
- Speaker #1
Les réalités du quotidien.
- Speaker #0
Oui, exactement. Les médiocrités techniques du quotidien. En effet, je les porte à bout de bras. Et j'en suis très heureux. Et elles sont aussi des sources d'inspiration. Enfin, tout est matière, tout est bois pour faire une sculpture.
- Speaker #1
Comment tu écris ? À quelle heure tu écris ? Est-ce que tu as des rituels ? Ou de toute façon, à ta tâche, à ton bureau ?
- Speaker #0
Je remercie l'éducation nationale, car je n'écris que pendant les horaires où les petites sont à l'école. C'est aussi simple que ça. Merveilleux. Je pose les enfants à 8h20. Et je rentre à la maison, je pousse les Legos qu'elles ont mis en catastrophe et en désastre dans le salon. Et je me mets à écrire. Mon salon ressemble à Bagdad, avec deux petites. Et pourtant, je me mets dans un coin et j'écris. Et je sais qu'à 16h30, je dois aller les chercher à l'école.
- Speaker #1
Et ça rend plus efficace ?
- Speaker #0
Peut-être, peut-être. Eh bien, visiblement, oui. Parce que depuis la naissance de Selva, qui est ma première, elle est née en 2020, 12 avril 2020, eh bien, j'ai publié trois livres. Héritage, L'Inventeur et Le Jaguar. Donc, mine de rien, et entre-temps, j'ai eu une fille. Puis, un déménagement à un aller-retour à Berlin.
- Speaker #1
Donc, qu'on se le dise, la paternité ne coupe pas l'inspiration.
- Speaker #0
Voilà, merci beaucoup de le dire, Chanty. Et le fait de déménager, et le fait d'avoir des enfants, et le fait de ceci, de cela, il n'y a pas d'excuse. Si on veut écrire, on écrit. Si on veut trouver le temps pour écrire, on le trouve toujours. C'est comme le sport. Ah, j'ai pas le temps de faire du sport. Non, non, mon ami, tu as le temps de faire du sport. T'as juste la bouche. C'est pas grave. On peut être comme Churchill, tu vois, et no sport. Ne pas faire de sport. C'est OK. On peut être en effet quelqu'un qui vit très bien sa vie sans écrire une seule ligne. Il n'y a aucun problème. Mais ce n'est pas une affaire de temps.
- Speaker #1
Pour toi, c'est une journée perdue si t'as pas eu le temps d'écrire ?
- Speaker #0
Absolument. Oui, complètement. Après, il y a deux types d'écriture. Il y a l'écriture réelle. Celle où tu t'assoies vraiment, tu abats ton travail, celle où tu transpires, celle où tu vas aller te saigner pour pouvoir sortir. Eux, un bon paragraphe, c'est déjà énorme dans une journée. Et autre chose... C'est d'avoir une journée où une bonne idée a pu naître, où tu as pu, alors que tu as en tête une structure narrative, coller deux scènes entre elles qui te semblaient complètement opposées et tu ne voyais pas du tout quel était le bon lien, quelle était la bonne béquille. Et enfin, tu la trouves. Et tu te dis Ah ! Alors que tu es en train de faire les courses, tu es en train de changer la petite. Tu es sous la douche. Tu es sous la douche, tu es en train de lui donner le biberon. Enfin, tu peux te brosser les dents. Et là, tout d'un coup, tu te dis Ah ! Parce qu'attends, si je le fais comme ça, puis comme ça, puis comme ça, ah génial ! Alors aujourd'hui, malheureusement, je ne peux pas écrire, mais dans deux, trois jours, parce qu'après je reviens de voyage, là j'aurai un moment, et donc tu notes à la hâte sur ton Moleskine, et tu te dis, là, quelle bonne journée ! J'ai trouvé la formule pour encastrer une scène avec une autre. Mon ami, c'est énorme comme journée.
- Speaker #1
C'est la jubilation quand il est enfin le...
- Speaker #0
Tu n'imagines pas, enfin, tu n'imagines pas. Je me souviens très bien de certains moments d'avoir trouvé le switch final, par exemple pour Sucre Noir, par exemple pour Héritage, et je me souviens très bien où j'étais à ce moment-là, et je n'étais pas à ma table de travail. Pour Héritage, je me souviens très bien que j'étais au comptoir à Rome avec des amis, et on était en train de parler de mille autres trucs, et quelqu'un raconte une blague, la blague fait rire, et du coup elle rebondit sur quelqu'un, et quelques amis un peu déconneurs qui vont vite et qui... C'est qui qui font blague sur blague sur blague, et de gros ça monte, ça monte, ça monte, et à un moment, quelqu'un dit quelque chose, et je me dis, ah mais attends ! Parce que si je récupère ça, j'utilise le même système et je fais ça comme ça, mais je l'applique et là, j'ai trouvé la fin d'héritage. Et je me souviens du bonheur d'avoir dit, mais mes amis, mais vous ne vous rendez pas compte. C'est le Eureka. Tu sais, c'est le mec... Compte-toi. C'est le mec qui sort son billet alors et qui paye sa consommation en disant, va tourner pour tout le monde. En fait, c'est moi qui paye et qui part en effet pour aller noter quelque part en disant, c'est un trésor que tu viens de me donner. Ça, c'est fabuleux. Mais le hasard n'arrive qu'aux esprits préparés.
- Speaker #1
Encore faut-il savoir saisir l'opportunité.
- Speaker #0
Exactement. Une chose, c'est les scientifiques qui, par sérendipité, par coïncidence et par hasard, arrivent à trouver la pilule de contraception, arrivent à trouver la mongolfière, arrivent à trouver l'anesthésie. Enfin, tu vois, la pénicilline. Tu sais, c'est souvent... C'est le dieu du... Le dieu de la...
- Speaker #1
C'est le temps parfait, et puis après, tu le saisis.
- Speaker #0
pas le cas et rose et rose car c'est ça le récit nanta au bon moment au bon endroit et pour avoir le chaos du bon moment et du bon endroit en effet c'est parce que tu as passé 20 ans à réfléchir à c'est que tu es ouvert à ça que tu l'attends mon amour en fait la plaine que je l'appelais dans ta vie en quelque sorte et lorsqu'il arrive mille hasards passe devant nous dans la journée. Mille hasards. Mille histoires d'amour passent devant nous dans une journée. Mais est-ce que tu es ou pas préparé à ce moment dans ta vie pour pouvoir le saisir ? C'est aussi simple que ça. Pareil pour les bonnes idées. Les bonnes idées, les belles idées, les grandes idées, disait Nietzsche, courent les rues.
- Speaker #1
Et puis il y a cette idée d'en être à la hauteur aussi, parce que, encore une fois, la responsabilité que ça va demander, on a des fois, on préfère renoncer tout simplement.
- Speaker #0
On préfère renoncer, on a fait le phare, tu as une fois raison.
- Speaker #1
Alors est-ce que tu as déjà, Miguel, vécu des choses pour pouvoir les écrire ? Est-ce que tu t'es mis dans des situations où tu t'es dit je vais aller vivre ça pour écrire ensuite ?
- Speaker #0
Ça me fait penser à mon ami François-Henri Désirable, qui publie des livres également. et qui lui était parti en Iran pour aller faire un article sur le courage des femmes iraniennes. Et en arrivant là-bas, on se rend compte qu'il y a un très beau livre à écrire qui va bien au-delà de l'article. Et donc, il s'est mis à faire quelques voyages et à rencontrer quelques personnes dans l'espoir d'un jour pouvoir les raconter. Et je trouve cette idée très très belle. Bien sûr que oui, ça m'est arrivé tantôt dans les voyages, que ce soit au Venezuela, lorsque je travaillais là-bas dans les ministères de pouvoir populaire, où j'ai pris quelques risques et quelques dangers en me disant si je survis, je pourrais le raconter Et avec cette espèce de stimulation secrète que te donnent le danger et l'amour. On peut toujours apprendre, on peut apprendre de toutes choses, dit Aristote. Et la quantité de fois où j'ai confirmé Le fait que derrière toute porte, derrière toute invitation qui semble anodine, il peut y avoir un trésor, un moment, une ouverture hallucinante. C'est une histoire fabuleuse à raconter. Et bien sûr, tu te dis, oui, on finit par vivre certaines choses pour les raconter. Et c'est d'ailleurs, je te rappelle, le titre.
- Speaker #1
La vie pour la raconter.
- Speaker #0
Voilà, vivir para contarla, qui est bien sûr le... Le titre de Garcia Marquez, de son autobiographie. Oui, c'est un sublime titre. Oui, bien sûr, c'est sublime.
- Speaker #1
Alors Miguel, quelle est la place de la spiritualité dans ta vie ? Toi qui es issu d'un tel métissage, tu m'as dit être ouvert à la voyance, par exemple.
- Speaker #0
Absolument, comme tu dis, de voyance, de surnaturel, de dialogue avec les morts, de ce je ne sais quoi dans lequel tu sens qu'il y a dans les plis de l'air. Quelque chose qui t'écoute, quelque chose qui t'attend, convaincu de ça, convaincu qu'il y a des mathématiques secrètes, qu'il y a des algèbres secrètes qui mettent les gens en relation, qui créent des alignements astraux, astrales, et qui te donnent des bons ricochets, des bons rebonds pour pouvoir continuer à vivre ta vie comme tu l'aimes. Tu sais, moi je souffre d'une seule maladie. Je souffre de pronoïa. Et la pronoïa, c'est l'inverse, c'est le contraire de la paranoïa. C'est-à-dire que je suis convaincu que le monde entier conspire en ma faveur. Et ça ne veut pas dire que je pense que le monde tourne autour de moi, parce que pas du tout. senti dans mon cœur, que je ne suis pas dans cette ambiance, je ne suis pas dans cette idée, tu vois. Non, mais convaincu en effet que les gens me veulent du bien, que les gens sont bons, que si tu me présentes un con, je trouverai l'heure où il ne l'est pas. Et que si il y a une brique qui doit tomber du ciel sur la tête de quelqu'un, elle ne tombera pas sur ma tête, ni sur les gens que j'aime. convaincu que le monde conspire en ma faveur. Je souffre de Prenouille.
- Speaker #1
Je viens d'apprendre un mal duquel je suis. Merci Miguel.
- Speaker #0
Merci à toi Fantine pour tes très très belles questions.
- Speaker #1
Je vous remercie chaleureusement pour votre écoute et si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à le partager autour de vous. C'est en effet le meilleur moyen de faire connaître ce nouveau projet qui me tient à cœur. Je vous dis à très vite pour un nouvel épisode.