- Speaker #0
Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. Pourquoi le travail dévore-t-il nos vies ? Comment expliquer sa place à ce point prédominante ? Et qui sommes-nous en dehors de notre travail ? Serait-il possible d'envisager un autre modèle de société qui ne serait pas focalisé sur le travail, mais sur le temps libre ? Ce sont les questions qui occupent la philosophe Céline Marty. Elle nous propose de questionner ce qui nous paraît pourtant si naturel. Céline Marty remet en question des notions comme la valeur-travail, le mythe de la productivité infinie, et elle s'intéresse aux effets délétères du travail, aussi bien pour notre bien-être individuel, collectif et écologique. Entre réflexions théoriques et propositions très concrètes, vous allez voir qu'à la fin de cet épisode, vous n'aurez qu'une envie, c'est de revendiquer votre droit à la paresse. Alors, installez-vous confortablement et détendez-vous pour découvrir ce nouveau projet de société. Bonjour Céline Marti.
- Speaker #1
Bonjour Alice.
- Speaker #0
Merci d'avoir accepté mon invitation dans le fil d'actu.
- Speaker #1
Avec plaisir.
- Speaker #0
Tu es philosophe, tu as soutenu une thèse en philosophie sur le philosophe André Gortz et tu as publié un livre en 2021 sur le travail qui s'appelle Travailler moins pour vivre mieux Donc ça fait totalement rêver, évidemment. Et c'est pour ça que je t'ai invitée aujourd'hui, c'est pour parler un petit peu de tout ça. Mais avant de parler de ces thèmes absolument passionnants, je vais te poser la question rituelle des interviews de Fildactu. Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ?
- Speaker #1
Je pense que la philosophie, c'est une méthode pour se poser des questions. C'est une méthode pour creuser des évidences qui sont... Ininterrogé au quotidien, des habitudes pour remettre en question sans cesse la situation dans laquelle on est, que ce soit les normes sociales, que ce soit des certitudes sur le monde en général, sur nos relations avec les autres, etc. Donc la philosophie, c'est une façon de se questionner, c'est une façon de s'interroger, d'identifier des problèmes et des grandes questions sous un quotidien auquel on s'est habitué.
- Speaker #0
Par exemple, le travail. Voilà,
- Speaker #1
par exemple.
- Speaker #0
Bon, on va y venir. Et si tu devais associer une émotion à la philosophie, dans ta pratique de la philosophie, ce serait quoi ?
- Speaker #1
Le doute. Le vertige un peu existentiel de plein de possibilités et d'avoir l'impression d'être désorientée un petit peu aussi. Le vertige d'avoir l'impression que tout pourrait être différent. Ok,
- Speaker #0
tout pourrait être différent et donc tout est à inventer, tout est à construire aussi. C'est hyper positif. C'est un peu ambivalent comme émotion finalement. Exactement.
- Speaker #1
C'est à la fois une émotion qui peut être récréatrice et qui est en même temps vertigineuse, parce que du coup, tout ce qu'on fait aurait pu être différent, pourrait ne pas avoir lieu aussi. Donc, c'est une émotion vertigineuse, mais créatrice. Ouais, on pourrait dire ça comme ça.
- Speaker #0
Donc, t'es totalement insomniaque ?
- Speaker #1
Non, ça va. Non, je dors beaucoup.
- Speaker #0
Ok, en même temps, si tu passes la journée à te poser des questions, c'est crevant.
- Speaker #1
Ouais, on veut dire, c'est comme ça. Ou c'est un vertige qui prend sur le recul, sur plein de choses de la vie, etc. Non mais ça va, le sommeil ça va.
- Speaker #0
Et alors tu as choisi de travailler sur le travail. Est-ce que tu peux nous raconter comment tu as choisi ce thème ? Quel a été ton éveil philosophique ? À quel moment tu t'es dit, ok, il faut que je doute d'une part, et il faut particulièrement que je doute du travail dans nos sociétés ?
- Speaker #1
J'ai fait des recherches en master sur les théories de la démocratie participative, les théories de la démocratie en général, et notamment tous ces mouvements qui voulaient réinventer la politique et la vie démocratique en permettant aux gens de plus s'investir au quotidien. Et en fait, je me suis rendu compte que c'était quand même les conditions de travail qui empêchaient à beaucoup de gens de s'engager de différentes façons dans la vie publique et politique. Et donc, qu'on devait considérer le travail comme une condition matérielle de la démocratie, parce que c'est aussi en fonction du temps que te laisse le travail, que tu peux t'engager pour l'intérêt général dans d'autres contextes, etc. Et puis, tes conditions de travail, elles ont un impact aussi sur tes valeurs, sur tes engagements, sur ton vote politique. Donc j'ai voulu considérer le travail aussi comme une condition matérielle de la démocratie, voire un obstacle. Et l'enjeu aussi de penser au travail en lien avec l'écologie, puisque c'est l'activité de production qui a un impact écologique colossal en fait, qui émet des gaz à effet de serre, qui émet des pollutions, qui détruit les corps, qui détruit les écosystèmes. C'est du travail humain qui sert à tout ça, qui aboutit à tout ça. Et je trouvais que dans la façon dont on parlait de l'écologie dans le débat public, on se concentrait sur la consommation, sur les loisirs, etc. Mais finalement, on interrogeait peu l'activité de travail au quotidien des gens. Et donc ça, articuler les deux, ça me semble hyper urgent. Parce que c'est vraiment ce qu'on fait au quotidien qui a un impact écologique quotidien et systématique.
- Speaker #0
Je vais reprendre un peu ce que tu as dit. Je trouve ça très intéressant. C'est d'ailleurs ce dont tu parles dans ton livre. Tu dis qu'effectivement, le travail a un impact sur la vie démocratique. Et là, tu viens de dire deux choses. Premièrement, parce que si on n'a pas de temps libre, parce qu'on est harassé de travail, on n'a pas le temps de s'investir en démocratie et que c'est bien gentil de dire aux gens investissez-vous. Mais en fait, déjà, on est accablé de travail, donc on n'a pas le temps matériel. Et deuxièmement, les valeurs portées par le travail. La première partie de ton livre s'appelle Comment le travail dévore nos vies. Est-ce que tu peux nous raconter un peu ça en lien aussi avec cette idée démocratique dont tu viens de nous parler ? Comment tu décrirais tout ça ?
- Speaker #1
Le travail et au quotidien. Toutes les exigences auxquelles on doit répondre, les contraintes professionnelles, le stress que ça produit aussi, sont omniprésents par-delà même les horaires fixes de travail. C'est des préoccupations en plus qui nous sont inculquées très jeunes, puisqu'on demande très jeunes aux enfants à l'école. Et moi, j'ai enseigné la philosophie au lycée et à l'université. Et donc, je vois à quel point cet enjeu d'orientation professionnelle est présent très jeune et stressant aussi pour plein de générations de jeunes qui se posent ces questions-là. Donc ce travail, il nous dévore comme des choix à faire potentiellement très tôt, qui nous orientent, qui nous classent aussi socialement. Ensuite, il nous dévore au quotidien parce qu'il y a la charge de travail qui s'est intensifiée ces dernières années. Là, on a des données là-dessus, sur l'intensification du travail, sur le ressenti des salariés et de leurs conditions de travail. Donc on a de plus en plus de charges de travail. de façon plus intense et sur des horaires à rallonge, mais aussi sur des horaires plus concentrés.
- Speaker #0
Mais alors, pardon, je t'interromps parce que ça, c'est hyper contre-intuitif. On a l'impression, tu sais, on a l'image complètement, évidemment, l'image d'épinal. Mais ça va, à l'époque, on travaillait dans la mine et on était plein de charbon et on mourait tous à 30 ans. Et maintenant, bon, ça va, on travaille quand même plus tranquillement. Mais j'ai vu ce chiffre incroyable qu'on estime qu'il y a un salarié sur trois qui serait en burn-out.
- Speaker #1
Il y a cette situation d'épuisement nerveux aussi au travail puisque... Ce qui s'est passé sur ce dernier siècle, c'est que finalement, il y a moins de travail humain dans l'agriculture et dans l'industrie. Ça s'est déplacé vers les services. Et dans les services, il y a beaucoup plus, finalement, de cet épuisement nerveux et psychologique qui est constaté depuis quelques années, décennies. Et une intensification de la charge de travail aussi, qui n'est pas forcément aussi bien objectivée que dans le secteur de l'agriculture ou de l'industrie, où là, tu peux compter en termes de rendement, de production. tu as des indicateurs objectifs. Et dans plein de secteurs, tu peux avoir des contraintes un peu diffuses de la charge de travail et donc ne pas arriver à mesurer que cette charge s'est intensifiée. Mais en fait, dans le ressenti des salariés, c'est ça qu'on note. Donc, ça met dans des situations de stress et d'épuisement qui dépassent les horaires de travail. Parfois, quand on raisonne par rapport au temps d'avant, on raisonne avec les 35 heures en se disant, maintenant, les gens commencent à travailler plus tard du fait des études. À la fin, ils sont aux 35 heures par semaine, il y a les congés payés. Bon, ça va. Sauf qu'en fait, c'est faux. Déjà, il y a plein de gens qui ne sont pas aux 35 heures par semaine parce qu'ils ne comptent pas leurs heures de travail. C'est le cas du forfait jour pour les cadres. Et ça, ça a été la grande arnaque post-35 heures, de dire aux gens, vous les cadres, vous êtes suffisamment exceptionnels et suffisamment bons pour ne pas avoir à compter vos heures. Mais du coup, c'est génial parce que vous ne les déclarez pas, vous ne les récupérez pas. Et juste, vous vous épuisez au travail et vous ne pouvez pas demander de compte là-dessus. Et ensuite, il y a tout le secteur où les gens... contre leurs heures de travail et donc ça fait des heures supplémentaires etc. qui sont parfois pas rémunérées ou des secteurs de suractivité finalement. Et en parallèle de ça des secteurs professionnels où les gens sont contraints au temps partiel par exemple dans le cas des femmes de ménage de l'Assemblée Nationale à qui on assigne des emplois du temps à temps partiel alors qu'elles aimeraient avoir une protection sociale et un revenu minimum d'un temps plein et on leur impose de travailler quelques heures par-ci par-là. Donc finalement... on leur impose la même omniprésence du travail parce qu'elles ont un emploi du temps très fragmenté, mais c'est juste qu'elles ont plein de trous. Mais elles doivent être là à des horaires très contraints, en plus très tôt, etc. Donc oui, on a une intensification de la charge de travail, d'autant plus avec les outils numériques, d'autant plus avec la généralisation du télétravail, où maintenant, en fait, les gens regardent leurs mails à pas d'heure, traitent le dossier à pas d'heure, et du coup, aussi sollicitent les autres à pas d'heure. Et donc, parfois, ça fait des engrenages où finalement, on est sollicité dans un cadre professionnel, bien par-delà les horaires de travail. Et ça passe aussi sous les radars, parce que ça passe parfois par des canaux de communication, des SMS, des WhatsApp, etc., qui ne sont pas forcément traçables comme un mail professionnel. Et donc, cette impression que le... Travail dévore nos vies, c'est aussi une sensation psychologique que ça crée une charge mentale qui perdure par-delà les horaires de bureau classiques. Et ça, c'est peut-être la différence avec des conditions de travail plus segmentées et qui existent toujours dans certains secteurs. Quand vous êtes serveur et que vous finissez votre service, vous ne rapportez pas du travail à la maison. Mais pour tout un milieu du tertiaire, il y a toute une pression et toute une charge mentale qui... continuent de perdurer par-delà les horaires de travail.
- Speaker #0
En fait, il y a un effacement de la frontière entre travail et vie hors du travail.
- Speaker #1
Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, on parle d'équilibre vie pro-vie verso, mais sans penser à pourquoi le travail empiète et déborde de ces frontières classiques.
- Speaker #0
Cela dit, on peut considérer que ces travails-là,
- Speaker #1
ce type de travail,
- Speaker #0
il y a une moindre frontière, c'est moins segmenté, donc t'es plus envahi, peut-être. Mais à côté de ça, c'est peut-être un travail qui est moins aliénant quand tu le fais que le travail à la chaîne.
- Speaker #1
Il y a moins de labeur physique. Ça, c'est l'enjeu du labeur physique. Mais par contre, il y a d'autres types de violences qui peuvent y être vécues. Aussi bien des violences en termes psychologiques, de harcèlement par exemple, des violences sexuelles et sexistes. Ça,
- Speaker #0
c'est les joies de la société tout court. La culture,
- Speaker #1
etc. aussi. Mais en tout cas, il y a un déplacement du type de difficultés. On peut aussi dire que tous ces métiers de bureau, ça crée des problèmes de sédentarité, de santé aussi. Donc, c'est d'autres types de pénibilité finalement, et qui ne sont pas exactement les mêmes que de la pénibilité physique, mais pour autant qui existent et qui peuvent constituer un vrai stress pour les gens.
- Speaker #0
Ce qui est intéressant, c'est que là, dans la manière dont on parle du travail, et ça va nous ramener à la question de la définition du travail, effectivement, il y a deux choses. Il y a d'une part, là, quand on parle, on n'arrête pas de parler de la pénibilité du travail. Une grande souffrance, c'est que ça apporte en gros de l'abomination dans nos vies, pour le dire simplement. Et de l'autre côté, la question de la définition des contours du travail. Donc ça, c'est quelque chose que tu as abordé dans ton livre sur les définitions un peu problématiques du travail. Est-ce que tu peux nous raconter un peu ?
- Speaker #1
Oui, alors ça, la définition du travail, on n'a pas réglé ce problème. C'est un grand doute philosophique. Et on a énormément de débats entre collègues en sociologie, en économie, en histoire, sur le concept de travail. Là-dessus, je conseille notamment... Le livre Troubles dans le travail de la sociologue Marianne Dujarrié, qui fait un panorama de l'histoire du concept de travail et de la diversité de ses usages, pour en conclure que le mot est trop flou, et qu'il faudrait l'abandonner pour des concepts plus précis à chaque fois. Le problème étant qu'on continue de l'utiliser au quotidien et qu'il est très bien ancré dans nos mentalités. Il y a souvent le travail comme effort physique, matériel, etc. On entend aussi le travail dans le sens de l'emploi. Donc, c'est en ce sens-là qu'on a un ministère du travail, mais qui, en fait, ne s'occupe que de l'emploi formel, déclaré, rémunéré, etc. et qui ne s'intéresse pas à tout ce qui est informel, qui se fait dans la sphère domestique, par exemple. Et il y a enfin ce mythe de ce travail passion, mon travail, ma vie, etc., mon identité, là, dans un sens très subjectif et qui, parfois, empêche aussi un petit peu de distinguer différents registres d'activités et pourquoi on fait telles activités plutôt que d'autres. Moi, je trouve que dans la définition du travail, il nous faut le critère de la contrainte. C'est une activité qu'on n'aurait pas fait spontanément, qu'on fait dans un cadre professionnel parce qu'on y est contraint par un contrat de travail, on y est contraint par la prestation d'un service, comme pour les indépendants, par exemple. Donc, il y a un contrat qui fait qu'on doit faire cette activité et qu'il y a une contrepartie au contrat rémunération potentiellement. C'est une activité qu'on n'aurait pas faite spontanément et donc... ça distingue le travail des activités de loisirs. Potentiellement, ça distingue aussi le travail des engagements divers et variés qu'on peut avoir, des engagements plus sociaux, plus politiques ou autres. Parce que si vous dites qu'il y a du travail bénévole, il y a du travail politique, qu'il y a du travail domestique, et que tout ce concept finalement de travail est un peu étendu à toutes les sphères de notre vie, c'est hyper dur de le critiquer et de vouloir réduire le temps de travail. Ça alimente tout un imaginaire productiviste qui est de dire... Il faut réduire le temps de travail, de l'emploi, pour nous permettre d'avoir du travail bénévole, du travail domestique, etc. Comme si, en fait, on continuait d'avoir un peu l'idéologie du travail, que le travail, c'est bien, mais le problème, c'est simplement l'emploi. Et moi, je trouve qu'il faut se dire que le problème, c'est l'activité contrainte qui est contrainte, et on verra pour quelles raisons, dans quel contexte. Et que cette activité, dans le cas du travail domestique, elle est aussi exploitée par le patriarcat et mise au service d'autrui, mais que le travail, ce n'est pas toutes nos activités de la vie. Et ça pose problème quand on l'étend à toutes ces activités, un peu aussi parfois pour se justifier en disant bon, je quitte ma journée à mon emploi, mais finalement, j'ai encore, je ne sais pas, travaillé mon piano, travaillé mes abdos comme si on était un peu fiers de tous nos efforts. Et je trouve qu'il faut démystifier toute cette idéologie du travail. et y compris qui se retraduit dans cette idéologie de tous nos efforts, cette valorisation qu'il faudrait à tout prix être toujours productif, y compris dans la sphère des loisirs et du quotidien, finalement.
- Speaker #0
C'est hyper intéressant parce que ça soulève des débats, parce qu'il y a tout un pan de la réflexion féministe. On parlait du travail domestique et il y a plein de féministes qui vont dire qu'il faut parler de ce travail domestique pour le rendre visible parce qu'il est invisibilisé, parce qu'il est exploité, comme tu le disais, par le patriarcat, parce que dans la mesure où c'est principalement les femmes qui l'exercent, il y a quand même une inégalité dont il faut parler, voire même qu'ils vont revendiquer un salaire, une rémunération de ce travail-là. Et selon toi, ce n'est pas forcément la bonne approche parce que justement, c'est... obéir encore à une idéologie productiviste et rester en fait dans un paradigme qu'on devrait peut-être déconstruire de manière plus générale ? Oui,
- Speaker #1
et ça, ça a été beaucoup débattu au moment de l'émergence de ces idées dans les années 70 notamment. Cette extension du concept de travail à la sphère domestique, elle vient notamment des féministes opéraïstes comme Silvia Federici. Et l'opéraïsme, c'était un mouvement qui relisait Marx en fait dans le contexte de la société de consommation. Et elles, elles ont dit finalement, Marc s'est intéressé uniquement au travail de production dans les usines, la production de marchandises, et il ne s'est pas intéressé au travail de reproduction de la force de travail qui se fait dans le cadre domestique. Je pense que le concept de travail domestique, il est pertinent parce qu'on contraint les femmes à assumer un rôle productif qu'elles n'assumeraient pas forcément spontanément toutes seules. Et d'ailleurs, c'est pour ça qu'on peut comparer le travail domestique chez les célibataires et chez des couples hétérosexuels. et aussi parce qu'on a contraint les femmes à assumer ces tâches-là. Donc c'est les travaux de, par exemple, Silvia Federici sur l'invention de la femme au foyer, l'invention de la ménagère. Et donc, ça fait partie des systèmes de domination aussi que de contraindre les femmes à ces tâches-là aussi. Donc ça me semble pertinent dans ce contexte-là de l'utiliser pour parler des oppressions qui sont vécues dans le cadre du foyer. Mais par contre, ce n'est pas pour autant que travailler son piano... est-ce que c'est vraiment pertinent de l'appeler comme ça ? Ou est-ce qu'on ne veut pas encore se valoriser en disant j'ai fait plein d'efforts, etc. Et je pense que l'enjeu, ça doit être de réduire le sens des concepts pour pouvoir distinguer différents types d'activités. C'est ce qu'on fait en philosophie, finalement. On délimite les concepts pour pouvoir se dire lesquels sont les plus pertinents dans telle et telle situation. J'ai beaucoup plus un sens du concept de travail comme dans l'Antiquité grecque et romaine, où on distinguait le travail de production, la poésie, c'est la production matérielle, et l'osium, du temps de loisir. Et là, on n'essayait pas de se dire qu'on travaille sa philosophie, ses mathématiques, sa culture ou autre. Ce que je trouve très dangereux dans notre modèle contemporain aussi des services, où on valorise les soft skills, etc. Donc, toutes nos compétences partent de là, nos enjeux professionnels. où on dit que quand on lit la presse le week-end, quand on fait du yoga, on va travailler son employabilité, ou je ne sais quoi, travailler son stress. C'est horrible parce que tout devient utile pour être un bon salarié contemporain, et tout peut être pensé par ce prisme de l'utilité. Et donc ça nous fait complètement changer nos représentations de pourquoi on fait les choses au quotidien. Et je pense qu'il nous faut délimiter la place du travail, pour pouvoir distinguer des activités qu'on fait parce qu'on veut les faire intrinsèquement. Et André Gors, mon auteur de thèse, avait notamment cette idée qu'une activité autonome, c'est une activité que je veux intrinsèquement, où je veux ce que je fais. Alors que l'activité hétéronome, qui était pour lui en partie le travail salarié, c'est une activité où je ne veux pas entièrement ce que je fais, où je ne veux pas entièrement les conditions dans lesquelles je fais, que ce soit les conditions temporelles. que ce soit le contenu de mon travail, que ce soit les finalités de mon travail, l'institution, l'organisation dans laquelle je travaille, etc. Et je pense que c'est important de se dire, il y a des activités que je veux entièrement, où là, je suis complètement sujet de mon activité, je suis maître de mon projet, côté très existentialiste entre Gorce et qui reprend ça à Sartre. Et il y a des activités où en fait, je subis des contraintes de l'extérieur, et c'est aussi parce qu'il y a de telles contraintes que... on peut les dénoncer comme étant aliénantes, illégitimes, etc.
- Speaker #0
Mais dans ce cas-là, il y a des activités qui sont un peu ambiguës. Il y a plein de gens, par exemple, qui vont dire que leur travail, alors souvent c'est les cadres qui disent ça, évidemment, qu'il y a des parties de leur travail qu'ils adorent, qu'ils sont passionnés, qu'ils kiffent leur boulot, même s'il y a des parties reloues. Et donc dans ces cas-là, si on définit le travail uniquement par la contrainte, comment est-ce qu'on peut qualifier ces activités-là ?
- Speaker #1
Gorse aussi parlait de ça en 1988 dans Les métamorphoses du travail, à propos de ces... ce travail passion ou ce travail qu'on pourrait trouver agréable, etc. Mais en disant, il y a quand même un fond de contrainte. Le contexte dans lequel vous travaillez, l'entreprise dans laquelle vous êtes. En plus, il y a une part de hasard énorme dans toute une vie à avoir fait telle formation, à avoir fait telles études et à se retrouver dans telle entreprise plutôt que telle autre, dans telle organisation plutôt que telle autre. On se leurre quand on croit qu'on est entièrement maître de notre destin, aussi bien de nos études que de notre carrière. Et ce n'est pas parce qu'il y a certains effets plaisants, positifs, etc., intéressants, qu'il n'y a pas une contrainte initiale. Pourquoi on a besoin d'identifier cette contrainte ? C'est aussi pour se rendre compte des différents registres d'activité dans nos vies, parce qu'il y a des parts de nos vies qu'on choisit plus ou moins que d'autres. C'est aussi ça, de toute façon, d'être dans une vie sociale, d'être en collectivité. On ne choisit pas. pas tout le fonctionnement de notre collectivité, mais il y a des activités qu'on peut plus choisir que notre emploi. Et ça, je pense que le reconnaître, et reconnaître que pour une grande partie de la population, le choix concernant son emploi, ses conditions de travail, etc., est quand même restreint, ça me semble une prise de conscience assez nécessaire.
- Speaker #0
Donc, on définit l'emploi, selon toi, le travail, non pas forcément par le contenu, mais vraiment par les conditions.
- Speaker #1
C'est cette relation où on est dans une position de commandité. Il y a quelqu'un qui nous a commandé des choses à faire et nous, on répond à ses commandes. Même quand on est indépendant, même quand on est commerçant et qu'on répond à la demande d'un client, finalement, c'est ce qui fait qu'on n'est pas entièrement maître de ce qu'on fait. On n'est pas maître de ce qu'on fait. Et alors qu'il y a d'autres activités dans la vie, on pourrait être entièrement maître de ce qu'on fait.
- Speaker #0
Très intéressant. Il y a effectivement des gros débats sur la... Je pense que là, les gens qui nous écoutent se disent est-ce que mon travail... Enfin bon, bref, très intéressant.
- Speaker #1
Est-ce que je suis maître de ce que je fais au quotidien ?
- Speaker #0
Oui, et moi, je me pose la question aussi. Je suis en train de faire ce podcast. J'ai choisi intégralement de le faire. C'est presque proche du loisir, même si c'est l'intégralité de ma vie maintenant. Bon, la rémunération, ce n'est pas trop ça.
- Speaker #1
Je pense que je comprends ça.
- Speaker #0
Mais c'est une vraie question.
- Speaker #1
Et c'est tout l'enjeu aussi. Pourquoi la rémunération dépend d'une activité aussi contrainte ? Et la question que pose Égore, c'est si on ne peut pas être entièrement maître de son activité dans le cadre de son emploi, dans quel moment de notre vie on est maître de ce qu'on fait ? Et ça, c'est un enjeu philosophique énorme. En fait, c'est l'enjeu de l'autonomie. Quand est-ce qu'on est maître de sa vie ?
- Speaker #0
Jamais, probablement jamais totalement. Ah bah,
- Speaker #1
jamais totalement. Mais si on passe notre vie, notre temps de vie réveillée, etc., dans un emploi aliénant, où on n'est pas maître de ce qu'on fait...
- Speaker #0
Oui, c'est mal parti.
- Speaker #1
Bah, quand est-ce qu'on peut être, en soi, maître de sa vie ? Et certains disent, c'est à la retraite, c'est bon, on est libre de faire ce qu'on veut, etc. Mais est-ce que ça pose pas un vrai problème philosophique et quotidien aussi, de se dire, quand est-ce que je suis entièrement en accord avec ce que je fais ? Et tous les problèmes de dissonance cognitive où les gens disent j'en ai marre de bosser pour une entreprise polluante, j'en ai marre de bosser pour un truc maltraitant, j'en ai marre de mal faire mon boulot et tout. En fait, c'est l'expression de cette dissonance cognitive où on se dit mais je ne suis pas maître de ce que je fais et ce qu'on me demande de faire, je ne suis pas en accord avec ça. Et en fait, cette rébellion, elle est tout à fait légitime et elle doit pousser aussi bien à transformer le travail, à transformer l'emploi tel qu'il nous est imposé qu'à revendiquer des espaces où on est entièrement maître de ce qu'on fait et surtout... où on ne rend pas compte de ce qu'on fait. Alors que le milieu de l'emploi, le milieu professionnel...
- Speaker #0
Tu passes ton temps à rendre des comptes, à avoir des bilans de compétences. Là, on est sur LinkedIn immédiatement. Voilà,
- Speaker #1
exactement. Il n'y a pas que bilans de compétences. Il y a tout simplement voir les effets de ce qu'on fait. Si vous êtes boulanger et que votre pain aujourd'hui, il n'est pas bon, vous allez tout de suite avoir des conséquences du côté des clients, etc. En fait, on est sans cesse en train de voir les effets de cette activité et de devoir rendre des comptes vis-à-vis d'elle.
- Speaker #0
Alors, on va juste anticiper un petit peu, puis on reviendra après sur d'autres thèmes. Mais là, je pense que les gens qui nous écoutent, et moi d'ailleurs aussi, on est pendu à tes lèvres sur Ok, on est d'accord sur toute cette critique, mais comment on fait ? Qu'est-ce qu'on fait en fait ? Quel serait le modèle alternatif ? Parce que là, les gens, je pense, t'écoutent, se disent Bah ouais, c'est vrai, mais on ne peut pas vivre en dehors du travail. Il faut bien travailler pour s'occuper, pour avoir un but dans la vie, sinon on serait désœuvré, et puis évidemment pour manger, etc. Donc, on va peut-être anticiper un peu, puis on reviendra après sur d'autres thèmes. Mais ça, qu'est-ce que tu nous proposes ?
- Speaker #1
Justement, l'organisation sociale du travail Elle a été faite pour nous occuper Et ça c'est une idée Que je tire d'une phrase de Nietzsche Qui est que le travail c'est la meilleure des polices C'est une critique anarchiste Du travail qu'on trouve chez certains auteurs anarchistes Notamment des anthropologues Comme David Graeber et James Scott Donc on va y revenir dans le détail Mais leur thèse c'est que L'organisation sociale contemporaine de l'emploi Elle est faite justement pour occuper les gens pour faire en sorte qu'ils dédient leur journée à faire des tâches qu'on leur impose, plutôt que de faire autre chose, plutôt que d'avoir du temps libre, plutôt que de pouvoir se rebeller, plutôt que de faire une révolution politique. C'est l'idée de David Graeber. Et ça, on en trouve des traces dans notre histoire sociale. Donc, ce que je fais dans ce chapitre, j'utilise aussi un sociologue qui s'appelle Robert Castel et qui revient aux origines de notre système de protection sociale depuis, grosso modo, la renaissance et la naissance des États modernes en Europe. Et où il montre... que l'État et les élites économiques et politiques ont toujours eu peur des vagabonds, des gens qui ne font rien de concret et rien de régulier aussi. Et donc, l'État a toujours cherché à mettre au travail des individus qui ne rentraient pas dans les cases, les irréguliers. Donc, il y a la création, par exemple, de l'hôpital général, qui n'est pas là pour soigner les gens, mais qui est là pour enfermer les errants. Les vagabonds, les fous, les prostituées, etc. C'est dans une logique de contrôle social. Donc, en effet, on cherche à contrôler ce que les gens font de leur vie. Donc, ça s'explique par plusieurs raisons. Aussi parce qu'ensuite, en économie, on va considérer que... Les travailleurs, c'est un des facteurs de richesse d'un pays. Ça, c'est la théorie d'économie d'Adam Smith, par exemple, en plus des ressources, par exemple, de la terre. Donc, on va se dire, puisque les travailleurs, c'est la ressource en termes de richesse d'un pays, il va falloir les mettre au travail. Il ne s'agirait pas que personne ne fasse rien. Donc, dans cette logique de développement économique aussi, on s'est dit, il va falloir bien valoriser les travailleurs. Et donc, il va falloir les encadrer pour qu'ils travaillent le plus possible. Et pourquoi il va falloir qu'ils travaillent le plus possible et qu'on les force à ça ? Parce que spontanément, les gens n'ont pas envie de travailler autant. On a dû les forcer pour travailler dans ces conditions-là. Et la dernière étape, disons, de cette discipline et de forcer à travailler dans ces conditions-là, c'est finalement la société salariale avec la protection sociale fondée sur l'emploi, telle qu'on la connaît aujourd'hui. Ça va aussi de pair avec des grandes mutations du capitalisme industriel, parce qu'on est passé d'une société paysanne où en fait... Les gens avaient accès à des moyens de subsistance, à des terres qui leur permettaient de consommer directement les marchandises. Enfin, justement, pas des marchandises, des produits autoproduits, des produits agricoles avec plein de techniques vernaculaires aussi qui permettaient de satisfaire les besoins en dehors du marché. Et finalement, avec l'exode rural qui est lié au fait qu'on a viré tous ces gens de ces terres-là, avec le développement de l'industrie qui repose sur toute cette population rurale qui vient travailler dans les usines. On les a forcés à travailler dans ces usines, dans ces conditions-là. Et au début, c'était horrible et les gens ne voulaient pas rester. Tous les travaux d'historiens du XIXe siècle racontent à quel point les anciens paysans, ils restent deux semaines dans une usine. Ils ne supportent pas le bruit, ils ne supportent pas l'odeur. Et donc, il va falloir acculturer les générations suivantes en disant que dès 4 ans, il faut mettre les enfants à l'usine pour qu'ils s'y habituent. Mais on a forcé des générations à travailler dans ces conditions-là. Et donc, dans cette société industrielle où les gens n'ont plus accès à des moyens de subsistance, gratuit, finalement, en dehors du marché. Le deal qu'on passe aujourd'hui avec le marché, c'est de dire, je vends ma force de travail dans le cas du salariat, j'obtiens un salaire, et ce salaire me permet de consommer des marchandises, et la boucle est bouclée, je suis complètement dépendant du capitalisme, aussi bien pour la production que la consommation. Et ce que montrent les anthropologues anarchistes comme Graeber ou Scott, c'est que dans les territoires en fait coloniaux, c'est comme ça que le capitalisme s'impose. À Madagascar, c'est ce que montre Graeber dans Debt. À Madagascar, l'État français arrive en disant Bonjour, vous êtes des citoyens français, donc il va falloir payer des impôts. Et donc pour payer vos impôts, ça ne va pas nous suffire de nous filer des patates. Donc en fait, ce que vous allez faire, c'est que vous allez prendre un emploi salarié et cet emploi salarié va vous permettre de payer vos impôts et de consommer des marchandises. Et on va aussi utiliser les colonies pour absorber les marchandises en fait produites en métropole. Vous forcez les gens à avoir un emploi et vous les dépossédez de leurs moyens de subsistance autonomes. pour les forcer à être dans cette logique de consommation-production.
- Speaker #0
C'est génial.
- Speaker #1
C'est bien rodé. C'est tout à fait bien rodé.
- Speaker #0
David Greber, je précise pour celles et ceux qui nous écoutent, c'est celui qui a inventé ce génial concept des bullshit jobs. Les bullshit jobs qui définissent une bonne partie de notre société aujourd'hui et qui correspondent totalement à ce que tu décrivais. Je voudrais revenir sur deux choses qui me paraissent extrêmement intéressantes dans ce que tu as dit. Le premier, c'est insister sur, tu l'as dit en passant, le fait que la protection sociale dans nos sociétés est conditionnée à l'emploi. Le fait que si vous voulez même avoir des droits de sécurité sociale, de mutuel, de chômage, etc., il faut travailler. Donc, si vous ne travaillez pas, vous n'avez pas accès à ça. Vous êtes totalement désocialisé. C'est de plus en plus explicite. Évidemment, je pense ici récemment à la réforme du RSA où maintenant, vous êtes obligé de travailler. Vous êtes obligé de travailler gratuitement. C'est un délire, cette histoire. On pourra en reparler peut-être plus tard. Mais ça, c'était le premier point que j'ai trouvé très intéressant dans ce que tu as dit. Je ne sais pas si tu veux ajouter quelque chose sur ça.
- Speaker #1
Oui, c'est... protection sociale complètement fondée par l'emploi, au début, c'est une sorte de critère pratique parce que ça permet de prélever les cotisations sociales sur les salaires et donc sur la redistribution de la valeur économique. Donc, au début, ça paraît pratique, mais en fait, quand on fait ça, déjà, on ne se rend pas compte qu'on met de côté toutes les femmes qui travaillent là, à l'époque, qui n'ont pas d'emploi, etc. On fait des femmes les ayant droit de leur mari, avec des logiques de, voilà, vous pouvez être couverte par la protection sociale de votre mari. si vous restez mariés, aussi, avec ces logiques d'extension de la protection sociale à des ayants droit. Et puis, du coup, ça force les gens à rentrer dans cette forme de l'emploi, puisque si on n'a pas d'emploi, finalement, on ne va pas avoir cette protection. Et donc, c'est aussi une sorte d'insécurité existentielle si vous ne rentrez pas dans les cases. Et donc, ensuite, on est obligé de penser plein de mécanismes un peu annexes de protection pour toutes les personnes qui ne rentrent pas dans les cases de l'emploi. Oh, c'est bizarre, parce que de toute façon, l'emploi... Il est modelé par les contraintes du marché capitaliste. Et donc, comme de par hasard, tout le monde ne va pas rentrer dans les cases que nous demande la production capitaliste. Et du coup, tout le propos de David Graeber, son analyse des bullshit jobs, c'est de dire, je remarque qu'il y a plein de gens qui ont des titres de poste où on ne comprend pas trop ce qu'ils font. Pour autant, ils ont fait des bonnes études. Pour autant, ils sont bien payés. C'est plutôt des métiers de col blanc. Et pour autant, ces gens n'arrivent pas à définir concrètement ce qu'ils font. Et on... même l'impression que leur activité est inutile et pourrait très bien ne pas continuer. Et donc, il a fait toute une analyse à partir de témoignages qu'il a reçus, où les gens lui disaient bah ouais, moi, mon job, il ne sert à rien Donc, je conseille vraiment la lecture du bouquin, parce que ça permet d'avoir une sorte de variété de témoignages qui voient aussi la diversité de ces profils de Bush-Dub. Parce qu'on peut aussi considérer, il y a un témoignage d'un pharmacien qui dit qu'en fait, il ne vend que du placebo des laboratoires pharmaceutiques et qu'en fait, il ne permet pas vraiment aux gens de se soigner. Donc ça, c'est assez édifiant quand on se dit que même potentiellement,
- Speaker #0
les métiers du soin,
- Speaker #1
il y a cette critique. Et la thèse de David Graeber qui développe à la fin, c'est de dire, il y a certes une explication économique, c'est que dans le contexte du capitalisme financier, on a réduit les moyens mis pour la base productive. En fait, on veut à tout prix faire baisser le coût du travail sur les ouvriers. Par contre, dans le contexte du capitalisme actionnarial, où il faut justifier qu'on a un bon cours en bourse, etc., il faut verser des dividendes aux actionnaires, il faut leur faire des camemberts pour dire que l'entreprise se porte bien, on crée des métiers de col blanc qui vont faire du reporting, qui vont faire des bilans Excel, etc., qui vont faire des présentations PowerPoint. Et donc, en fait, on déplace la valeur économique. On ne donne plus aux gens qui font concrètement des marchandises les choses, mais on va en donner aux gens qui... doivent raconter ce que les autres font, finalement. Il explique ça dans ce contexte économique et à la fin, il dit, mais finalement, pourquoi on ne préférait pas réduire le temps de travail de toute la population à beaucoup moins puisqu'en fait, on pourrait s'organiser autrement ? Parce qu'en fait, on ne veut pas libérer du temps aux gens. In fine, à la fin, on ne veut pas que les gens aient plus de temps libre, on ne veut pas que les gens se reposent, on ne veut pas que les gens aient du temps pour se retrouver ensemble, pour débattre de politique, pour ne plus jamais nuire debout. Et donc, finalement, on ne veut pas que les gens aient du temps. C'est beaucoup plus facile de dominer une population de hamsters que de paresseux, on pourrait dire, au sens de l'animal aussi.
- Speaker #0
On a l'air beaucoup plus peinards que les hamsters dans les roues, les paresseux. Mais c'est intéressant ce que tu racontes, parce que finalement, on a du mal à parfois concevoir, et c'est là où ça revient à ta définition de la philosophie que tu donnais tout à l'heure, de questionner ce qui nous paraît naturel. Tu parlais de l'osium aussi tout à l'heure, la question de cet idéal de vie chez les Romains, où l'idéal de vie, c'était de... pas travailler, mais d'aller débattre dans la ville, dans la cité, des choses politiques. Et ceux qui travaillaient étaient un petit peu déconsidérés. D'ailleurs, la racine de négoce, qui veut dire le commerce, ça vient de neg osium. Donc c'est ceux qui n'ont pas ce loisir-là. Et donc c'est intéressant de voir comment nous... notre modèle de société, c'est le travail, alors que ça pourrait être un modèle complètement différent, fondé sur le loisir. C'était la deuxième chose sur laquelle je voulais revenir dans ce que tu as dit tout à l'heure, sur la question de ce contrôle social, on peut en parler maintenant, aussi la dimension morale du travail, morale et politique, de contrôler les gens. Et il y a quelque chose qui, à mon sens, le révèle très bien, c'est que cette obligation du travail, elle ne s'applique pas à tout le monde. Dans l'ancien temps, les nobles n'étaient pas tenus de travailler, tandis que les pauvres étaient tenus de travailler pour ne pas vagabonder, justement. alors que les nobles qui passaient leur journal à la chasse, ça ne posait pas de problème. La version contemporaine de ça, c'est qu'on nous parle de la valeur travail en permanence, mais s'il y en a qui ne travaillent pas du tout et qui se gavent, c'est justement les actionnaires, dont je parlais tout à l'heure. Est-ce que c'est une hypocrisie ? Est-ce que c'est une dissonance totale ? Mais comment ça se fait que si la valeur travail est si importante que ça dans notre société et qu'elle est morale et existentielle, pourquoi on ne va pas empoigner le col des actionnaires en disant Et toi, qu'est-ce que tu as foutu ce mois-ci ?
- Speaker #1
Oui, en fait, on pourrait dire que la morale, c'est le produit de nos rapports de production. En termes marxistes, on dirait que la morale, c'est la superstructure de notre société et c'est notre idéologie qui vient maintenir l'infrastructure, les rapports de production, le système capitaliste en place. Donc, c'est tout à fait cohérent. Cette morale, elle serve le capitalisme.
- Speaker #0
Donc, il n'y a pas d'hypocrisie,
- Speaker #1
en fait. Finalement, cette morale, elle est au service du capitalisme. C'est évident. Par contre, ce qui est hypocrite, c'est d'en faire une sorte de valeur intrinsèque, etc. Ça s'explique historiquement par l'essor aussi bien dans la religion catholique que du protestantisme. Ça, c'est Max Weber qui a expliqué l'essor du capitalisme par le protestantisme qui valorise l'activité professionnelle, qui serait l'activité par laquelle on saurait qu'on a été choisi par Dieu. Donc avec cette idée que le métier, c'est aussi la vocation de l'individu. C'est le signe de l'élection divine. Mais aujourd'hui... ça se traduit aussi par une valorisation finalement de façon disproportionnée entre les classes sociales, puisque chez les plus pauvres, on valorise ceux qui travaillent dur, etc. La France qui se lève tôt, etc. Pour stigmatiser ceux qui seraient assistés, etc. Et donc, en fait, on crée de la division entre les classes populaires. On les oppose, hyper pratique. Alors même qu'au sein des classes aisées, on ne critique pas les plus oisifs. ou ceux qui ont les conditions de travail et de rémunération les plus confortables aussi. Et à ce sujet, le film Au boulot de François Ruffin qui vient de sortir, où il amène une chroniqueuse qui stigmatise les assistés, etc., comme elle le dit, finalement, elle voit bien que dans leurs conditions de travail, il y a beaucoup plus de pénibilité, il y a beaucoup plus d'efforts au quotidien aussi par tous les plus pauvres qui galèrent dans notre société capitaliste. Et à un moment, en revanche, elle va à un événement Dior où elle rencontre quelqu'un qui lui dit Ah ben moi, je suis entretenue par mon mari et je suis très contente d'être à cette soirée Dior. Et donc on voit bien que...
- Speaker #0
Il y a deux poids, deux mesures. Incroyable.
- Speaker #1
Il y a deux poids, deux mesures sur le plan moral. Mais c'est toujours comme ça aussi que fonctionne la morale, parce que la morale, elle est faite par l'effort sur le plan des élites politiques et économiques et pour servir à maintenir cet état de fait. Et donc c'est... C'est pour ça que c'est hyper important de déconstruire cette valeur aussi, non pas en disant que le travail c'est génial et qu'en fait on travaille tous de façon différente, par-delà l'emploi ou je ne sais quoi, mais en disant qu'on ne veut plus rendre compte à cette morale capitaliste qui en fait est là pour mettre au travail tout le monde et pour stigmatiser aussi les plus pauvres et qui ont été aussi brisés par leurs conditions de travail.
- Speaker #0
Peut-être qu'on pourrait revenir sur cette idée dont tu parlais du fait que le travail est la meilleure des polices. Et tu as évoqué à plusieurs reprises le fait que le capitalisme ne veut pas que nous ayons du temps libre. Alors, il y a peut-être deux choses là-dedans qui m'intéressent. Le capitalisme, c'est qui ? Ça, c'est quand même la première question. Bon, c'est une grosse question. Donc, voilà. La deuxième question, c'est qu'est-ce qu'on ferait de ce temps libre ? Parce que je pense qu'il y a plein de gens qui nous écoutent et qui se disent Ouais, mais moi, je ne saurais pas trop quoi faire aussi de ma vie si j'avais trop de temps libre.
- Speaker #1
Oui, alors, il y a deux versants. Il y a les élites politiques et économiques, on pourrait dire. Je pense que les élites politiques ne veulent pas donner... De temps libre, ne veulent pas réduire le temps de travail hebdomadaire, annuel, ou le temps de travail en partant plutôt à la retraite. Ça, c'est une logique de garder les gens au travail et de contrôler ce qu'ils font de leur vie.
- Speaker #0
Tu penses que c'est intentionnel ? Vraiment ?
- Speaker #1
C'est conscient,
- Speaker #0
je veux dire ? Oui,
- Speaker #1
de ne pas permettre aux gens de partir plus tôt à la retraite. Donc, ça se cache derrière des trucs de il faut être plus productif ou autre.
- Speaker #0
On n'a pas d'argent,
- Speaker #1
c'est ça qu'on entend. Même que les seniors connaissent énormément de chômage, etc. Et en fait, c'est qu'on continue d'emmerder les gens dans leur quotidien.
- Speaker #0
Tu crois que c'est vraiment ça ? Il y a tellement ce discours de on n'a pas le financement pour les retraites Non,
- Speaker #1
mais en fait, l'économie, c'est la science de l'allocation des moyens au service de faim. aux services de faim qui sont prédéterminés. Et donc, en fait, il y a de l'argent magique quand il faut sauver les entreprises pendant le coup de chute, etc. Donc, l'économie, c'est juste un moyen aux services de faim qui reste à déterminer. Mais cet argument sur que feraient les pauvres de leur temps libre, on l'a depuis très longtemps. Et déjà, Bertrand Russell, qui était aussi un penseur anarchiste, écrivait dans l'éloge de l'Ouest... Russell,
- Speaker #0
c'est anarchiste ?
- Speaker #1
Eh oui, Russell, on ne sait pas. On a l'impression qu'il était juste mathématicien. Tous ses textes politiques sont anarchistes. Et son texte, L'éloge de l'oisiveté, c'est un énorme plaidoyer anarchiste contre le travail. Alors,
- Speaker #0
juste réécoutez, pardon, je vais vous faire une seconde. L'interview de Édouard Jourdain sur la philosophie anarchiste qui est sortie début décembre. Absolument passionnant, c'est génial, sur l'anarchisme, voilà.
- Speaker #1
Et Russell nous dit déjà dans L'éloge de l'oisiveté qu'alors même qu'on est dans une situation d'abondance du travail, et il dit ça dans L'entre-deux-guerres, qu'on pourrait réduire massivement le temps de travail, mais que... les grandes élites anglaises se demandent ce que feraient les pauvres de leur temps libre. C'était le même argument quand on a mis en place les congés payés. Que vont faire les gens de deux semaines sans travail ? Ils vont aller à la plage aussi, comme les bourgeois, finalement. Et qu'est-ce qu'ils vont faire ? Et il y avait toujours l'argument à la naissance du salariat, etc., et du prolétariat urbain, avec le soupçon que les pauvres, quand ils ont du temps, ils vont saouler la gueule au café, etc. et donc c'est pour ça qu'il leur faut une femme à la maison pour bien m'écadrer et donc finalement il y a toujours eu ce soupçon porté sur ce que les gens font de leur temps sur ce que les gens dominés font de leur temps donc cet argument il revient alors aujourd'hui la version verte de cet argument c'est de dire que si on donne plus de temps libre aux gens, si on réduit le temps de travail les gens vont aller chez McDo et dans leurs centres commerciaux avec leur bagnole polluante et que c'est vraiment dramatique qu'il vaut mieux qu'ils aillent au travail avec leur bagnole polluante.
- Speaker #0
Quelqu'un qui a dit ça il n'y a pas longtemps il y a un type qui a dit de toute façon dans les... en gros, en province, l'activité du dimanche, c'est d'aller non plus à la messe, mais dans les centres commerciaux. Voilà,
- Speaker #1
donc il y a une vision très caricaturelle du loisir des classes populaires. Et donc maintenant, c'est un argument écologique qui sert à les priver encore plus de temps et de loisir. Or, dans les années 80, on parlait beaucoup de réduction du temps de travail, de libération du temps. On a même eu un ministre du temps libre entre 1982 et 1984, qui s'appelait André Henry, et qui a mis en place la cinquième semaine de congés payés, qui a mis en place les chèques vacances. qui a mis en place des dispositifs de colonies de vacances pour les enfants. Donc, il y avait cette idée qu'il nous fallait une institution pour proposer des alternatives aux loisirs capitalistes sur le temps libre. Et c'est à ce moment-là qu'on développe les bibliothèques, des services culturels publics. Et gratuits. Et gratuits. Et donc, c'est pour ça qu'on a besoin aussi de nos services publics pour mettre à disposition des outils pour occuper ce temps libre de façon non marchande. Parce que bien sûr que le capitalisme a... tout de suite compris que le loisir c'était des perspectives économiques incroyables aussi bien l'industrie du tourisme que l'industrie de Netflix et compagnie qui cherchent à marchandiser le loisir et donc tout l'enjeu pour avoir un temps libre anticapitaliste c'est d'avoir des activités non marchandes de pouvoir faire des choses qui ne nourrissent pas finalement le système économique capitaliste et là-dessus tous les services publics qui proposent des activités justement non marchandes c'est une grande chance parce que C'est ce qui permet finalement qu'on aille à la bibliothèque plutôt que de consommer une série Netflix. Et donc ça, c'est aussi tout un enjeu dans une perspective de transition écologique et sociale aussi, de fournir des services de qualité pour occuper collectivement ce temps. Et ce n'est pas forcément des services avec une offre prédéterminée où on serait pris en charge, mais ça peut être tout simplement de mettre à disposition des gens des lieux où ils peuvent se retrouver, se rencontrer, échanger. des lieux, des outils, aussi de se dire peut-être que nos outils pour réparer au quotidien nos vélos, nos trucs du quotidien, peut-être qu'on pourrait les partager. Oui,
- Speaker #0
les repères café, c'est des lieux de sociabilisation en plus, de mites quartiers.
- Speaker #1
Donc on a besoin de ces lieux non marchands, collectifs, qui recréent du lien, surtout dans l'anomie aussi bien des villes que des conditions de travail contemporaines, qui créent une véritable alternative et où les gens aussi ont envie. de ces activités-là et sont capables de se dire je n'ai pas envie de trop travailler parce que j'ai envie d'aller à mon association, j'ai envie d'aller à telle ou telle activité que je fais sur mon temps libre Ça, c'est aussi un enjeu politique que de fournir des moyens non marchands, de recréer du lien, de recréer des activités sur notre temps libre.
- Speaker #0
C'est quelque chose que tu évoques aussi dans tes réflexions, c'est qu'on a l'image aussi, alors ça va avec ce qu'on dit en ce moment, on a l'image que si les gens ne travaillent pas, ils vont consommer de plus en plus. Et toi, tu dis que c'est l'inverse en fait. Est-ce que tu peux nous expliquer ce mécanisme contre-intuitif ?
- Speaker #1
Oui, parce que dans notre société marchande, en fait, plus on travaille, plus on va consommer des marchandises pour satisfaire certains besoins du quotidien. Donc l'exemple caricatural cliché, ça va être de dire, si vous finissez de travailler à 22h à la Défense, Il y a de fortes chances que vous fassiez livrer des sushis au boulot, tout comme vous l'avez fait le midi, et que ce soit une femme de ménage qui prenne soin de votre appart. Surtout en plus que vous avez les revenus pour le faire. Et donc, plus vous avez des revenus élevés, plus vous consommez. Et donc, plus ça va vous légitimer aussi dans cette activité où vous allez vous dire, oui, je travaille beaucoup, donc c'est normal. Mon temps est très précieux. J'ai déjà entendu cet argument, mon temps vaut très cher. Donc, c'est tout à fait normal que je ne fasse aucune activité domestique et que je laisse ça à des gens peu qualifiés dont le temps ne vaut pas cher. C'est marrant, le raisonnement économique horrible. Donc, plus on travaille, plus on a de revenus, plus on consomme des marchandises pour satisfaire nos besoins, alors qu'à l'inverse, une réduction du temps de travail permet de réinternaliser certaines tâches, notamment toutes les tâches domestiques finalement, de refaire soi-même énormément de tâches quotidiennes, que ce soit de bricolage, de cuisine, de garde d'enfants. C'est le système dans lequel on est, où finalement, les gens rentrent au tard du travail et donc demandent à des nounous. d'aller chercher les enfants à l'école, etc. C'est exactement l'exemple de ça. C'est que vous travaillez beaucoup, donc vous avez besoin de consommer un service pour compléter le système de garde d'enfants. Et on a même des travaux d'économistes, c'est un argument que reprenait souvent André Gors, qui s'appuie sur un économiste suédois qui s'appelle Gustav Adler Karlsson, qui explique que la croissance économique des Trente Glorieuses, qui a été énorme, est en fait due au fait que la population est passée massivement à l'économie. un emploi à temps plein, et donc s'est mis à consommer des marchandises pour satisfaire certaines activités qui auparavant étaient complètement internalisées et n'étaient pas marchandes. Et donc on a une croissance économique incroyable, puisque maintenant on achète aussi bien des appareils que de la nourriture, etc. Déjà tout de près. Ça c'est vraiment le modèle du capitalisme américain aussi, où on voit qu'aux Etats-Unis c'est hyper courant de se faire livrer des repas, à tous les repas, etc., de rien cuisiner. En France, on a encore des gaulois réfractaires parce qu'on fait la cuisine.
- Speaker #0
L'experte va être reconnotée,
- Speaker #1
je ne veux pas plus. C'est nous qui cuisinons par rapport aux Américains. Mais c'est vraiment l'exemple de cette société de service où tout le monde est pris en charge pour toutes les activités de sa vie. À l'inverse, dans les économies et aussi dans les milieux populaires où il n'y a pas autant de ressources économiques, on réinternalise les trucs, on bricole soi-même, on ne fait pas appel à des professionnels pour n'importe quel truc du quotidien. et c'est aussi une façon de lutter contre la marchandisation. Alors c'est contraint parce qu'il y a moins de ressources économiques, mais c'est aussi une façon de dire qu'on ne délègue pas nos savoir-faire à des professionnels, on continue de transmettre aussi bien comment bricoler que comment réparer sa maison, que comment faire à manger. Et ça, c'est des savoir-faire, en fait, qui cherchent à détruire le capitalisme pour mieux nous proposer des professionnels qui les prennent en charge, mais en fait, qui sont hyper prêts.
- Speaker #0
Une tasse de toutes les activités, en fait. Et comme tu dis, ça les fait revenir sur la sphère de la marchandisation, la sphère du travail.
- Speaker #1
Escapa aussi,
- Speaker #0
je ne sais pas si ça c'est vrai ou si c'est juste une idée reçue, on imagine assez volontiers que si tu as moins de temps de travail aliéné, tu vas moins avoir envie à côté de consommer pour compenser. Si tu travailles 40 heures par semaine, tu vas dire, j'ai bien mérité ce petit plaisir, je travaille aussi pour m'acheter tel beau vêtement, tel fast fashion, d'aller faire un truc de tourisme, pendant trois semaines je vais partir à l'au bout du monde, avec cette idée comme ça que tu l'as bien mérité vu tout le travail que tu as donné. Est-ce que peut-être ça nous permettrait de sortir ? de cette réflexion sur la rétribution, sur le mérite, tout ça ?
- Speaker #1
Oui, exactement. Il y a toute une part de notre consommation qui est une logique de compensation par rapport à l'expérience de travail. Soit compensation de la frustration et de tout ce que ça génère, etc. Et du coup, par exemple, le sentiment de privation de temps et donc on va en profiter pendant les vacances, il faut avoir des vacances hyper productives aussi, etc. Soit un sentiment de compensation sur le mode de la récompense. Et donc ça... J'ai entendu dire que parfois, dans les cabinets de conseil ou d'audit, ou dans la finance, quand on a conclu un gros contrat, on a bien travaillé, on va faire un très bon resto, on va faire un étoilé pour finalement s'auto-récompenser. Donc ça, c'est vrai que la consommation est complètement décorrélée de nos besoins et par contre varie selon notre expérience plus ou moins intense et plus ou moins douloureuse aussi au travail. Donc c'est pour ça que c'est complètement corrélé à ce qu'on vit au travail.
- Speaker #0
Alors, c'est intéressant cet exemple du resto étoilé. Bon, les grammes de coque, un petit peu moins peut-être, mais l'idée, je pense que beaucoup de gens ont, et peut-être que c'est vrai, et ça m'intéresserait d'avoir ta réflexion là-dessus. On va se dire que si on segmente les activités, on se spécialise, et donc on va atteindre l'excellence, l'innovation, etc. Et peut-être que le resto étoilé, s'il n'y avait pas ce système marchand du restaurant, la compétition à outrance, et on ne compte pas ses heures, on n'aurait pas d'aussi bonne nourriture. Bon, le resto étoilé n'est pas accessible à tout le monde,
- Speaker #1
mais... Mais justement, En fait, c'est ça le problème. C'est que notre société, elle produit des biens de luxe qui ne sont pas acceptables. Voilà. Et donc, en fait, si tu as une éclosion, tu vois, c'est pareil, c'est un critère que disait aussi André Gors pour repenser la production et la consommation et à quoi sert notre travail au quotidien. Est bon pour toi seulement ce qui est bon pour tous.
- Speaker #0
Alors, ça, c'est génial.
- Speaker #1
Et donc, c'est cette logique, bien sûr, qu'il faut supprimer le luxe. Le luxe, il est là pour générer de la frustration, pour générer de la compétition, pour légitimer les inégalités sociales aussi. Et dans le fond, dans la perspective d'une société écolo, il faut qu'on se débarrasse du luxe. C'est évident. Et dans le fond, s'il y a un peu moins de génie culinaire, étoilé, etc., est-ce que c'est vraiment si grave à l'échelle de la catastrophe dans laquelle on est ? Parfois, il y a des restaurateurs de très bons restaurants, pas forcément peut-être étoilés ou autres, mais qui, en parallèle de leurs restaurants dans leur ville, font aussi la restauration collective de leur village. Et donc, en fait, il y a d'autres façons. Le génie de l'étoilé... ce serait peut-être aussi légitime qu'ils ne servent pas que ceux qui sont capables de se payer des menus à plusieurs centaines d'euros, mais qu'en fait, ils soient mis au service de la collectivité. Et en plus, on ne bat au soutre les horribles conditions de travail dans la restauration, y compris dans ces milieux d'élite.
- Speaker #0
C'est ce que Gord s'appelle la suffisance, si je ne me trompe pas.
- Speaker #1
C'est repenser toute notre production et notre consommation du quotidien adaptée à nos besoins et aux suffisants. Et c'est vraiment cette logique de sobriété. Mais pour lui, la sobriété, ce n'est pas du tout que du côté de la consommation, du genre rester sobre face à la rue de Rivoli qui abonde de marchandises délétères, mais c'est vraiment être capable de réduire aussi la production. En fait, la sobriété, il faut aussi la penser du côté de la production, du côté de la décroissance de tout ce qu'on produit au quotidien et de la sobriété de nos efforts. Parce que quand on dit sobriété de la production ou de la consommation, les gens peuvent se dire qu'on va aller priver d'un truc. Mais quand on dit, mais en fait c'est... vos efforts qu'on va économiser, on va désintensifier le travail, on va améliorer les conditions de travail. Ça va être tellement chill ! Mais oui, ça va être tellement chill ! Ça, je pense que c'est la perspective la plus heureuse de cette écologie et la plus à même aussi de réconcilier les classes populaires avec l'écologie. Parce que les gens qui se disent Ah bah tiens, les classes populaires sont opposées à l'écologie parce qu'on leur impose des taxes carbone, une hausse du prix de l'essence. Oui, mais elle n'est pas sexy cette écologie, c'est normal qu'on ne le veuille pas. Mais par contre, comment on rend sexy l'écologie ? on propose une sobriété des efforts. On propose un travail qui soit plus sobre, qui soit moins intense, qui sert moins à produire n'importe quoi, à produire des marchandises pourries pour le capitalisme, à produire des biens de luxe pour une société qui maintient ses inégalités sociales. On participe chacun à décider ce qui est vraiment nécessaire ou non dans notre travail et à se dire que nos efforts doivent être vraiment utiles socialement, mais qu'ils doivent être aussi réduits. Parce qu'on est capable de faire beaucoup moins, mais mieux. Et on est capable de le faire aussi en s'économisant notre propre énergie. Et ça, dans le contexte de cette épidémie de burn-out, d'intensification du travail, etc. C'est urgent, en fait, d'économiser notre énergie. Et tout ce discours écolo qui consiste à dire que pour sauver la planète, il va falloir travailler dix fois plus. Mais déjà... Il y a des gens qui disent ça ? Non mais... Déjà... souvent ce discours est porté par des gens qui sont à la retraite donc ça ça m'intéresse beaucoup je me dis bah ouais c'est facile vous êtes pas concerné le sénateur et en plus c'est vraiment un discours viriliste, productiviste en mode on va trouver des solutions high tech pour sauver la planète etc ça va bien se passer sans comprendre que c'est notre propre rapport au travail qui est à l'origine de notre situation écologique ce qu'on vit actuellement c'est une situation de surproduction de surchauffe de notre système économique et qu'on n'y répondra pas en mettant encore plus d'efforts et en faisant encore plus tourner la machine. Et qu'au contraire, la seule solution aussi durable et pour embarquer les gens et pour améliorer la vie des gens, c'est en fait de changer radicalement le travail en faisant beaucoup moins. Et ça, ce moins, on est incapable de l'envisager.
- Speaker #0
Ce qui est intéressant dans ce que tu dis, on peut peut-être passer à la partie un peu plus concrète de ce que serait ce nouveau monde. Gors disait, si je ne me trompe pas, qu'il faudrait qu'on bosse deux heures chacun par jour. et qu'on partage le travail et que ça suffirait... Parce qu'il y a plein de gens qui vont pouvoir rétorquer, oui, mais pour les innovations, pour créer des médicaments, etc., il faut bien bosser. Et justement, la réponse, c'est de dire, oui, mais on ne supprime pas le travail. Par contre, on change radicalement sa place et son importance dans la société.
- Speaker #1
L'exemple de la médecine ou des médicaments, on peut, par secteur, dire plein de choses en disant qu'actuellement, il y a des propriétés privées, il y a des brevets, on pourrait partager les connaissances et on pourrait faire en sorte que la recherche et le développement servent vraiment des besoins et pas des marchandises. L'idée de Gors, ce truc de chiffres, il a discuté de ça à différents moments de sa vie. Parfois, on parle de 20 heures par semaine. Je pense qu'il faut distinguer différentes tâches. Il y a nos tâches de reproduction de la vie, ça qui vont être nécessairement à reproduire tout au long de notre vie, aussi bien des tâches de se nourrir, se soigner, éduquer les autres, faire le lien entre les générations. Ça, c'est toutes ces tâches de care dont une société a nécessairement besoin et ces tâches, elles doivent être reproduites tous les jours. Dans une perspective écologique, on a aussi besoin de tâches qui vont être utiles à la transition, à la transformation de nos modes de vie. Et donc, on a besoin actuellement de travail, de rénovation. On a besoin de fabrication de vélos. On a besoin de réparation des vélos déjà existants, etc. On a des tâches qui sont utiles aujourd'hui. Mais en fait, une fois qu'elles seront là, on n'en aura plus besoin. Une fois que vous avez rénové les bâtiments, vous n'avez plus besoin de le faire. C'est quand même un gros avantage. Et enfin, on a toutes nos activités nuisibles qui ont été développées par le capitalisme dans cette logique d'accumulation du profit, dont en fait, il faut complètement se débarrasser. Et là, on n'arrivera pas à les verdir, on n'arrivera pas à les améliorer marginalement, ça ne vaut pas le coup en fait. Et donc ça, il faut déterminer collectivement lesquelles sont les premières à supprimer, lesquelles sont les plus nuisibles et comment on peut agir là-dessus. Et il y a déjà des choses qui sont faites dans ce sens-là. Par exemple, quand la métropole de Lyon, elle supprime les panneaux publicitaires lumineux dans ses métros, en fait, elle fait un truc, elle dit qu'en fait, on n'a pas besoin de ça. Ça,
- Speaker #0
c'est nuisible et on n'en veut pas.
- Speaker #1
Et donc, il ne faut pas se cacher derrière ce truc de... Il faut que chacun garde l'emploi qui lui plaît, etc. Alors même qu'on sait très bien qu'il n'y a pas le même avenir dans l'aéronautique que dans le vélo. Il y a un moment où on n'assume pas ces questions-là, parce qu'en fait, on n'ose pas questionner le contenu du marché de l'emploi et le contenu des emplois. Mais en fait, c'est inévitable. Sur un plan écologique, il y a certaines activités qui ne sont pas soutenables et qui ne vont pas pouvoir perdurer en l'état. Alors ensuite... Comment cette organisation pourrait se faire au quotidien ? Je pense qu'on a besoin d'une réduction massive du temps de travail qui permet aussi aux gens de réinternaliser certaines activités du quotidien et de choisir en fait à quoi dédier leur temps. On a aussi besoin d'une déspécialisation des métiers et des secteurs. Et je pense que ça pourrait faire du bien aux employés de bureaux, à tout le milieu du tertiaire, de faire des activités plus manuelles, d'être en lien avec l'agriculture urbaine, etc.
- Speaker #0
Donc de tourner en fait.
- Speaker #1
de faire des logiques de pluriactivité pour aussi réduire la pénibilité de certaines tâches qui le sont quand elles sont effectuées à temps plein il faut partager la pénibilité c'est une logique d'équiter de la sueur comme dit l'écoféminisme équiter de la sueur comme le dit l'écoféminisme il y a des tâches pénibles à faire dans une société c'est mieux si elles sont réparties plutôt que si c'est certains agriculteurs qui font tout ce boulot-là tout seuls et qui en subissent aussi les conséquences... De même, on le voit très bien au quotidien, si on fait certaines tâches domestiques de nettoyage, de bricolage, de façon ponctuelle, un peu par-ci par-là quand on en a besoin, on ne va pas être fatigué de la même façon que quelqu'un qui le fait à plein temps. Pour cela, il faut aussi remettre en question tout ce mythe de la sur-spécialisation, où on aurait des spécialistes, des experts archi-brillants, qui pourraient être utilisés pour faire cette tâche 80 heures par semaine, et qui n'auraient pas besoin de se reposer ou de faire autre chose. Et c'était déjà un argument que traitait Gorce en disant Mais finalement, la créativité des gens, elle est pertinente aussi pour les métiers les plus qualifiés. Et l'alternance avec d'autres activités, c'est aussi ce qui permet de respirer un petit peu, de voir autre chose. Et c'est utile aussi aux chercheurs de pointe, aux grands experts, de respirer et de lire un bouquin. Et ce mythe de il faut être à tout prix concentré tout son temps sur son boulot c'est vraiment un mythe pour forcer les gens à faire une mono-activité. qui en plus ne leur est pas forcément plaisante en tant que telle.
- Speaker #0
Le mythe des compétences aussi, dire que certains, certains, certaines sont compétents pour faire des choses, tandis que d'autres ne le sont pas. Ce qui permet de perpétuer un système de hiérarchie et de contrôle social. On en revient toujours là, en fait.
- Speaker #1
Et de légitimer les inégalités économiques. Et ça, on a eu ces débats à propos de la rémunération des grands patrons en disant que c'était légitime de toucher des centaines de milliers d'euros par mois. Quand on était à la tête d'une grande, qu'on avait autant de responsabilités. Je pense qu'en fait, tout ça, c'est l'occasion aussi de requestionner le partage des responsabilités dans une société, le partage des responsabilités au sein d'une entreprise, d'une organisation. Est-ce que c'est légitime que certains aient autant de pouvoir et soient payés autant comme conséquence de ce pouvoir-là ? On a plein de problèmes en chantier, mais on a aussi ce problème de la taille des organisations. C'est possible de payer autant à un grand patron et qu'il y ait autant d'inégalités au sein d'une organisation parce que c'est des trucs énormes. Mais c'est le capitalisme qui a besoin de trucs énormes. Parce que les trucs énormes, ça lui permet de concentrer du pouvoir, ça lui permet de peser en termes de pouvoir économique, de pouvoir politique, d'avoir de l'influence. C'est exactement la stratégie des mineurs qui acquièrent aussi des médias, etc. C'est du pouvoir d'influence. Et donc, plus on est gros, plus on arrive à peser en termes de pouvoir. Mais en fait, ce n'est pas la façon optimale de gérer cette production-là. Dans plein de secteurs, on aurait plutôt besoin... de petites entreprises, de petites organisations plus agiles, plus finalement malléables selon les territoires pour faire de l'agriculture, etc. Par exemple, on a plus besoin de permaculture locale plus efficiente en termes de production, de rendement, etc. qu'une monoculture qui a besoin d'énormément de glyphosate, etc. et qui finalement produit de la merde.
- Speaker #0
Mais sur l'industrie, il y a... quand même pas mal de gens qui disent que les grosses structures permettent des économies d'échelle et donc de baisser les prix et donc de rendre accessibles aussi des choses qui ne le seraient pas forcément...
- Speaker #1
Oui, ça c'est toute une question sur quelle serait la place de l'industrie dans l'écologie, qui est un peu un work in progress de recherche. Il y a notamment la revue Bifurcation dont on vient lancer le premier numéro, qui va faire un numéro là-dessus. C'est vraiment pas une question facile. Parce que parfois, les économies d'échelle sont pertinentes, mais parfois aussi, quand on intègre toutes les externalités négatives, des conséquences néfastes sur un territoire, etc., ce n'est pas forcément évident.
- Speaker #0
Donc,
- Speaker #1
ça dépend comment on compte. Ça dépend de quelle industrie on parle. Bien sûr que c'est plus efficace si on a des outils qui nous permettent de produire un peu massivement certains biens du quotidien, certains outils même. Ce n'est pas pertinent qu'on soit tous là à construire notre propre marteau. Oui,
- Speaker #0
ça n'a aucun sens.
- Speaker #1
Et en même temps...
- Speaker #0
Alors que nos Legos...
- Speaker #1
Il y a cet enjeu de l'industrie pour produire quoi ? Et puis de se dire aussi qu'il y a quand même une énorme masse de trucs qui ont été produits, qu'on pourrait peut-être réutiliser et réhabiliter avant de produire encore du nouveau. Et puis cette réflexion, les transformations premières de certains métaux, on ne peut pas le faire à la maison, chez soi. Mais en revanche, la production d'énergie, on peut peut-être le faire... de façon plus locale aussi. Donc c'est compliqué, la question de l'industrie. Il n'y a pas une réponse monolithique de toute façon. Il n'y a pas une réponse monolithique. Il faut un peu étudier au cas par cas aussi, selon les besoins que ça remplit, selon les structures qu'on a sur les territoires. Mais en même temps, tout le mouvement des low-tech est hyper intéressant. Le mouvement des low-tech, donc ces technologies qui ne sont pas high-tech, qui sont plus adaptables, plus durables, plus compréhensibles par les usagers. Mais en même temps, il a aussi besoin de l'industrie pour avoir des matériaux de base. Et là-dessus, il y a un article génial de deux ingénieurs sur le blog des ingénieurs engagés, qui écrit sur les low-tech en disant pour passer à l'échelle des low-tech, il va nous falloir l'étape industrielle aussi pour permettre de mettre à disposition de tout le monde des fours solaires ou des trucs comme ça, des outils low-tech. Mais parce qu'en même temps, on ne peut pas... Si chacun le construit individuellement à son échelle avec du matériel récupéré à la déchetterie, on va avoir du mal à le faire à l'échelle globale. Oui,
- Speaker #0
il faut toujours rester pragmatique. Voilà.
- Speaker #1
Question compliquée.
- Speaker #0
Alors, on va peut-être passer à la dernière partie, parce que l'heure tourne, même si c'est absolument passionnant. Parler un petit peu d'actualité, parce que tout ce dont on parle là, ce n'est clairement pas les directions qui sont prises actuellement. Même s'il y a des questionnements, par exemple, en Europe sur la semaine de quatre jours, nous, on en est plutôt à supprimer un jour férié, ce qui vient de se passer. On a parlé des actionnaires, on a parlé du travail de RSA. Donc, deux questions pour toi. Un, quel est le rôle du philosophe dans une actualité comme la nôtre ? Et deux, Si on devait avoir des propositions politiques immédiates et concrètes, qu'est-ce qu'on fait ?
- Speaker #1
Premier rôle du philosophe, déjà, essayer de ne pas être un chien de garde, parce qu'il y a tellement de philosophes qui sont des chiens de garde, qui maintiennent en place le système existant. Donc garder cette fonction critique, nourrir l'esprit critique partout, diffuser cet esprit critique, c'est ça, on a un rôle d'enseigner, non pas juste des théories figées, mais de permettre à tout le monde de se poser des questions et de le diffuser par de la Ausha aussi, dans tous les espaces possibles. pour nourrir les questionnements quotidiens de tout le monde. Ça, c'est hyper important. Et donc, on voit sur le travail à quel point les gens viennent nous voir en librairie en nous disant moi, j'ai telle expérience, ça m'a fait poser telle ou telle question, j'ai changé là-dessus, là-dessus En fait, les gens ont besoin de philo par-delà la classe de terminale. On a besoin d'espace.
- Speaker #0
Je vois à peu près de quoi tu parles, c'est pour ça que j'ai fait ce podcast.
- Speaker #1
On a besoin d'espace pour se poser les questions et pour réfléchir collectivement et transformer les choses collectivement. Et la philo peut. permettre de déclencher ça, mais bon, il faut avoir aussi beaucoup d'humilité sur notre rôle et nos effets. Et enfin, des mesures concrètes ? Non, mais je pense que la réduction du temps de travail, de façon assez radicale, si là, demain, on pouvait mettre en place la semaine de 15h, on changerait beaucoup de choses. On changerait énormément de choses, mais bon, de toute façon, c'est pas notre gouvernement qui va faire ça, mais c'est quand même une mesure qui permettrait de changer plein de choses sur plein de plans, aussi bien sur l'amélioration des conditions de travail que sur... la consommation, etc. Donc, c'est sûr que ça change aussi. Ça bouleverserait les pratiques au quotidien, nos normes de disponibilité permanente, d'urgence, la livraison rapide et compagnie. On apprendrait à ralentir. Mais c'est vrai que le capitalisme s'impose par ces rythmes qui nous imposent et qu'on a besoin de le contrer sur le plan temporel aussi. Et du coup, là-dessus, peut-être pour donner des envies de poursuivre, je conseille les deux romans d'Adrien Clint, Paresse pour tous et La vie est à nous En fait, il imagine un candidat économiste à la présidentielle qui proposerait la semaine de 15 heures de travail et qui serait élu. Et donc, la première étape, le premier tome, c'est la campagne, toutes les oppositions qu'il rencontre, etc. Et le deuxième tome, c'est quoi cette nouvelle vie dans un monde où on travaille 15 heures par semaine et qu'est-ce que ça permet de vivre au quotidien ? Et donc, ça, c'est des romans qui donnent envie d'y croire. On met en tout cas... qui convainquent de l'utilité et de la pertinence d'un changement de paradigme. Et d'autant plus que c'est impossible de croire qu'on va pouvoir continuer à travailler autant avec le changement climatique et la crise écologique qu'on est en train de vivre. Oui,
- Speaker #0
c'est ni possible ni souhaitable, ça n'a aucun sens.
- Speaker #1
Et sur le plan matériel, on ne va pas tenir. Nos corps ne vont pas tenir. On a déjà des baisses de PIB qui peuvent être imputées au changement climatique, etc. Des baisses de productivité. Et donc, en fait, c'est juste impossible de croire qu'on va continuer à travailler comme des malades.
- Speaker #0
Et alors, tu as l'impression qu'en France, on est... J'ai souvent cette impression en ce moment, ça me déprime, qu'il y a plein de pays en Europe qui avancent et nous, on recule. C'est absolument abominable. Tu vois des pays comme l'Espagne ou l'Irlande qui réfléchissent un peu à ces questions-là. Est-ce que tu as l'impression que nous, en France, on est particulièrement en retard ? Qu'est-ce qui fait qu'en France, on est bloqué comme ça, à ton avis ?
- Speaker #1
On a Macron au pouvoir, alors que l'Espagne a la gauche. Ce n'est pas moi qui l'ai dit. Ce n'est pas moi. On n'a pas la gauche au pouvoir. Donc déjà, ça n'aide pas. Et ensuite, au niveau local, dans les pratiques des gens, dans le fait de vouloir aménager différemment le temps de travail avec la semaine de quatre jours, qui est quand même mise en pratique dans certaines entreprises et organisations.
- Speaker #0
Mais sans réduction du temps de travail.
- Speaker #1
Ça dépend. Parfois, c'est du 32 heures quand même. Parfois, ça amène à une réorganisation du temps de travail. On enlève. plein de réunions, etc. Et donc, on fait ça différemment. Et ça permet aussi de se poser des questions, de défaire les habitudes. On peut le rôle de la philo au boulot aussi. Je pense qu'à la base, il y a des mouvements, le mouvement de protestation contre la réforme des retraites, il était massif. 93% des actifs opposés à l'allongement du départ à la retraite, ça c'est massif. Il y a des révoltes antiproductivistes et il y a des manifestations de tout ça à différents niveaux de la société. Ça se voit au niveau micro, au niveau social, au niveau de certaines luttes. Et c'est ça qui donne envie et qui permet de garder un peu l'espoir. Toutes ces idées, elles résonnent. Et finalement, on pourrait dire que toutes ces critiques un peu caricaturales dans les médias, c'est le chant du signe d'une vieillère. Le problème, c'est qu'ils ont le pouvoir médiatique et donc un pouvoir d'influence énorme. Mais en même temps, à la base... Il y a tout un esprit très post-68, ne plus perdre sa vie à la gagner, qui est là et qui donne envie d'y croire.
- Speaker #0
On s'arrêtera sur cette note positive, car, et je note quand même l'ironie, nous devons interrompre l'interview car tu as du travail. Et tu as une réunion avec un horaire et une contrainte. Voilà, je ne ferai pas de commentaire. Merci infiniment, Céline. C'était absolument passionnant. Au plaisir de rééchanger sur le chill qui nous attend peut-être dans notre société à venir. Oui,
- Speaker #1
avec plaisir.
- Speaker #0
Merci, à bientôt. Vous venez d'écouter un entretien de Fille d'actu. J'espère que l'épisode vous a plu. Et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.