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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Débat sur le voile : une philosophie de l'émancipation

Débat sur le voile : une philosophie de l'émancipation

12min |09/04/2025
Play
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Description

Interdire le voile, est-ce vraiment une source d'émancipation ?


Interdire le port du voile dans le sport ? C’est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, et de Gérald Darmanin, ministre de la justice. Une énième attaque contre les femmes musulmanes, qui voient restreindre leur espace de liberté, au nom d’un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c’est quoi, l’émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ?  On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali, et avec le philosophe Jacques Rancière.


Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Ce podcast est 100% indépendant, gratuit, sans publicité. Il ne survit que grâce à vos dons.


🙏 Pour me soutenir, vous pouvez faire un don, ponctuel ou régulier, sur cette page.

💜 Merci pour votre soutien !


Si vous aimez l'épisode, n'oubliez pas de vous abonner, de mettre 5 étoiles, et de le partager sur les réseaux sociaux.


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Un grand merci aux tipeur-ses : Matthieu, Clément, Augustin, Laurent, Thomas, Elodie, Bruno, Alexandre, Etienne, Juliette, Bob, Anaïs, Khadija, Yoann, Charles, Quentin, Nico, Solène, Corinne, Vivien, Olivier, Jonathan, Jean-Michel, Nathalie.

Grâce à vous, on n'a pas fini de réfléchir ensemble à l'actualité politique !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Interdire le port du voile dans le sport, c'est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur. Une énième attaque contre les femmes musulmanes au nom d'un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c'est quoi l'émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ? On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali et avec le philosophe Jacques Rancière. Je suis Alice de Rochechouart. et vous écoutez Le Phil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. La France a un rapport singulier avec le voile. Il est considéré comme un signe de radicalisation, de soumission, d'aliénation des jeunes femmes musulmanes. Bruno Retailleau le décrit comme un « étendard pour l'islamisme » et un marqueur de l'infériorisation de la femme par rapport à l'homme. Manuel Valls, lui, le décrit comme un « étendard politique contre la République » . Depuis 2004, il est interdit de porter un voile dans les écoles. Et l'application de cette loi a généré un rejet très fort du voile dans tous les espaces sociaux. Dans les entreprises, les associations par exemple, il est très difficile de porter le voile. Maintenant, c'est le sport qui est visé. Comme pour les JO de Paris 2024, on souhaite désormais interdire aux femmes musulmanes de porter un voile lors des compétitions sportives. Le voile, c'est une obsession française. En effet, en France, la citoyenneté est fondée sur le principe de l'unité républicaine, de l'homogénéité. On n'aime pas trop les différences, le pluralisme. Nous devons toutes et tous nous ressembler. Alors forcément, le foulard islamique, ça ne colle pas. Alors que dans les autres pays, notamment en Europe, ça ne pose pas tellement de problèmes. Il faut dire que la France moderne s'est construite en opposition à la religion. Au XVIIIe siècle, les Lumières se sont opposées à la religion catholique, synonyme d'obscurantisme, de superstition, de manipulation. Ils y ont opposé la rationalité et la liberté, les Lumières de la raison, pour s'émanciper des ténèbres religieuses. L'émancipation, voilà un terme important. S'émanciper, c'est se libérer d'une emprise, d'une dépendance, d'une aliénation à des préjugés. C'est un idéal très fort à la fin du XVIIIe siècle. D'ailleurs, c'est le philosophe Emmanuel Kant qui a créé ce concept, dans son livre « Qu'est-ce que les Lumières ? » en 1784. Il définit alors l'émancipation comme le fait de s'affranchir des tutelles, de sortir de notre ignorance et de sortir d'un état de minorité, c'est-à-dire du statut de mineur, d'enfant. incapable de réfléchir. S'émanciper, c'est sortir de la soumission. Une soumission dont le voile serait aujourd'hui le symbole. D'ailleurs, le terme de voile est lui-même chargé d'une connotation obscurantiste. Ne dit-on pas dévoiler la vérité, un complot ou un crime ? Comme si le voile cachait quelque chose de répréhensible qu'il faudrait dévoiler. Le voile deviendrait un crime à part entière. Le voile poserait deux problèmes. D'un côté, il serait une atteinte à la laïcité, et de l'autre, le symbole de la soumission des femmes musulmanes. Commençons par la laïcité. La loi de 1905 n'interdit pas de pratiquer sa religion ou de porter des signes religieux en public. Elle dit simplement que l'État doit être laïque. La laïcité doit même garantir la liberté de religion de chacun au nom de la liberté de penser. C'est une loi libérale qui garantit justement le pluralisme. Rien à avoir avec une quelconque interdiction de pratiquer sa religion ou de l'afficher. Mais il y a eu un changement dans la laïcité en France. Depuis les années 2000, l'exigence de neutralité ne touche plus seulement l'État, mais tous les citoyens, et plus spécifiquement les musulmans et les musulmanes. La laïcité avait pour but, en 1905, de réduire le pouvoir de l'Église catholique. En 2025, elle est utilisée pour définir une identité française qui exclut les personnes musulmanes. La sociologue Zahra Ali explique que cela révèle un enjeu colonial. Car la laïcité s'oppose toujours à la religion musulmane et pas tellement aux autres religions. La laïcité est le nom acceptable de l'islamophobie. Selon elle, cela révèle notre héritage colonial, qui n'en a pas tout à fait fini de considérer les musulmans et les arabes comme des barbares, des peuples aux coutumes archaïques qu'il faudrait civiliser et qui devraient s'effacer de l'espace public. Dans ce cadre, le foulard serait le signe d'un défaut d'assimilation à la société française, un refus des valeurs républicaines et notamment de l'égalité homme-femme. J'en arrive au deuxième problème. Le voile est-il un symbole de la soumission des femmes aux hommes ? En réalité, le sens du voile est multiple. Il dépend des contextes politiques, sociaux et individuels. C'est ce que montre la sociologue Anan Karimi. Elle nous dit « Selon que l'on se rapporte au texte fondateur, à la tradition, aux avis de docteurs de la foi, à l'opinion des intéressés ou à l'actualité politique mondiale, Son interprétation change et les raisons que l'on peut avoir d'être pour ou contre aussi. Ainsi, ça n'a rien à voir de porter un voile intégral en Afghanistan parce qu'on y est obligé et un foulard en France parce qu'on l'a choisi. Car en France, comme le montrent beaucoup d'études, la majorité des femmes portent le foulard volontairement. Comme l'analyse Anan Karimi, de nombreuses jeunes femmes ont une lecture critique de leur religion, et non pas une lecture misogyne de l'islam. Elles portent le foulard non pas parce qu'on leur a obligé, et certaines le portent même malgré l'opposition de leurs parents ou de leurs proches et sans être mariées, mais elles le portent dans une démarche religieuse et spirituelle, une relation personnelle avec le divin et le sacré. Rien à voir donc avec un étendard politique. Certaines veulent aussi revendiquer une identité musulmane, que l'homogénéité républicaine cherche en permanence à faire disparaître. En fait, il suffit d'écouter ces femmes parler pour s'apercevoir qu'il ne s'agit pas de domination masculine ou de soumission. Pour certaines femmes, c'est juste une autre manière d'exister et de s'incarner en société. Alors, voiles et émancipation sont-ils compatibles ? Oui, à condition de penser l'émancipation autrement. Le philosophe Jacques Rancière explique qu'on peut s'émanciper soi-même, mais qu'on ne peut pas émanciper les autres. Pourquoi ? Parce que cela voudrait dire qu'on sait mieux que l'autre, que nous lui sommes supérieurs, et donc qu'il y a une inégalité entre ceux qui savent et ceux qui sont ignorants. À l'inverse, il faut, selon Rancière, agir sous la présupposition d'une égale intelligence pour briser la répartition de l'humanité entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. C'est cela l'émancipation. Ce n'est pas construire un nouveau programme et l'appliquer à toutes et à tous. Il faut donc penser à un pluralisme dans l'émancipation. Il n'y a pas une seule bonne manière de s'émanciper. Sinon, on ne s'émancipe pas. On reconstruit une nouvelle idéologie totale. La sociologue Zahra Ali prolonge ses réflexions. Elle explique qu'il existe plusieurs féminismes et que certaines féministes musulmanes pensent une émancipation qui ne passe ni par la désacralisation des normes religieuses, ni par la libération sexuelle. Il faut alors accepter ces expressions alternatives de la lutte contre le patriarcat à l'encontre de la vision unique du féminisme occidental et antireligieux. Car ce féminisme dominant n'applique sa vision de l'égalité qu'aux femmes qui sont d'accord avec lui, et il considère les autres femmes comme inférieures, soumises, aliénées, infantilisées. Pourtant, explique Zahra Ali, l'Occident n'a pas le monopole du féminisme. Elle étudie les féminismes islamiques, très divers, qui réinterprètent le Coran de manière émancipatrice et égalitariste, en critiquant les lectures patriarcales qui en ont été faites. On peut donc porter le voile volontairement en France, tout en luttant politiquement contre l'obligation du voile en Afghanistan. Zahra Ali explique qu'il y a eu partout, y compris dans des sociétés majoritairement musulmanes, des luttes contre le patriarcat qui n'ont pas attendu le féminisme occidental. Le féminisme, selon elle, c'est donc justement reconnaître la pluralité des expressions de l'émancipation des hommes et des femmes. Quand Bruno Retailleau crie, lors d'un meeting la semaine dernière, « Abat le voile » , on comprend donc mieux tout l'imaginaire raciste et paternaliste que cela véhicule, sous couvert de défense de la laïcité et des droits des femmes. Il faut d'ailleurs ajouter que ce discours est totalement contre-productif, puisqu'il exclut encore davantage les femmes qu'il prétend sauver. On finit par exclure des femmes de l'école et du travail, et bientôt du sport, sous prétexte qu'on cherche à les libérer. D'ailleurs, les lois contre le voile, comme la loi de 2004, ne semblent avoir eu aucun impact sur les pratiques de voilement des femmes. Par contre, cette loi a encouragé le harcèlement et l'agression des femmes qui portent le foulard. Et aujourd'hui, 81% des agressions islamophobes sont commises contre des femmes. Alors oui... Il est vrai que certaines femmes sont obligées de porter le foulard. La sociologue Anan Karimi, dont je parlais tout à l'heure, en a rencontré plusieurs. Mais ce qu'elle explique, c'est que ceux qui forcent les femmes à porter le foulard au nom de la vision d'une bonne féminité musulmane et ceux qui veulent interdire aux femmes de le porter au nom d'une vision républicaine de la féminité sont portés par une même logique, celle de contrôler le corps des femmes. La femme républicaine, ce serait la Marianne dévêtue, dont la nudité symboliserait l'émancipation. Le foulard, quant à lui, devient un symbole de déshumanisation. On parle de femmes voilées, à la forme passive, pour gommer leur individualité et leur volonté. Et dans les deux cas, ce sont des hommes qui décident à la place des femmes. Alors peut-être qu'une véritable pensée de l'émancipation, ce serait celle qui permet aux gens de s'émanciper comme ils le souhaitent. en faisant confiance à leur capacité de réflexion, plutôt que de prétendre les émanciper malgré eux. Un bon début pour Bruno Retailleau ou Gérald Darmanin, ce serait d'écouter des femmes voilées parler, plutôt que de parler à leur place. Mais bon, je crois qu'en fait, ils ne sont pas tellement féministes. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Phil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lephildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors un grand merci à Mathieu, Clément, Sébastien, Julia, Alex, Denis, Gaëtan, Jean-Marc, Cathy, Guillaume, Augustin, Laurent, Élodie, Thomas, Valérie. Jean-Michel, Alice, Sylvana, Pascaline et Kaina. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du phil d'actu. Merci et à très vite !

Description

Interdire le voile, est-ce vraiment une source d'émancipation ?


Interdire le port du voile dans le sport ? C’est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, et de Gérald Darmanin, ministre de la justice. Une énième attaque contre les femmes musulmanes, qui voient restreindre leur espace de liberté, au nom d’un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c’est quoi, l’émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ?  On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali, et avec le philosophe Jacques Rancière.


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Ce podcast est 100% indépendant, gratuit, sans publicité. Il ne survit que grâce à vos dons.


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Un grand merci aux tipeur-ses : Matthieu, Clément, Augustin, Laurent, Thomas, Elodie, Bruno, Alexandre, Etienne, Juliette, Bob, Anaïs, Khadija, Yoann, Charles, Quentin, Nico, Solène, Corinne, Vivien, Olivier, Jonathan, Jean-Michel, Nathalie.

Grâce à vous, on n'a pas fini de réfléchir ensemble à l'actualité politique !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Interdire le port du voile dans le sport, c'est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur. Une énième attaque contre les femmes musulmanes au nom d'un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c'est quoi l'émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ? On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali et avec le philosophe Jacques Rancière. Je suis Alice de Rochechouart. et vous écoutez Le Phil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. La France a un rapport singulier avec le voile. Il est considéré comme un signe de radicalisation, de soumission, d'aliénation des jeunes femmes musulmanes. Bruno Retailleau le décrit comme un « étendard pour l'islamisme » et un marqueur de l'infériorisation de la femme par rapport à l'homme. Manuel Valls, lui, le décrit comme un « étendard politique contre la République » . Depuis 2004, il est interdit de porter un voile dans les écoles. Et l'application de cette loi a généré un rejet très fort du voile dans tous les espaces sociaux. Dans les entreprises, les associations par exemple, il est très difficile de porter le voile. Maintenant, c'est le sport qui est visé. Comme pour les JO de Paris 2024, on souhaite désormais interdire aux femmes musulmanes de porter un voile lors des compétitions sportives. Le voile, c'est une obsession française. En effet, en France, la citoyenneté est fondée sur le principe de l'unité républicaine, de l'homogénéité. On n'aime pas trop les différences, le pluralisme. Nous devons toutes et tous nous ressembler. Alors forcément, le foulard islamique, ça ne colle pas. Alors que dans les autres pays, notamment en Europe, ça ne pose pas tellement de problèmes. Il faut dire que la France moderne s'est construite en opposition à la religion. Au XVIIIe siècle, les Lumières se sont opposées à la religion catholique, synonyme d'obscurantisme, de superstition, de manipulation. Ils y ont opposé la rationalité et la liberté, les Lumières de la raison, pour s'émanciper des ténèbres religieuses. L'émancipation, voilà un terme important. S'émanciper, c'est se libérer d'une emprise, d'une dépendance, d'une aliénation à des préjugés. C'est un idéal très fort à la fin du XVIIIe siècle. D'ailleurs, c'est le philosophe Emmanuel Kant qui a créé ce concept, dans son livre « Qu'est-ce que les Lumières ? » en 1784. Il définit alors l'émancipation comme le fait de s'affranchir des tutelles, de sortir de notre ignorance et de sortir d'un état de minorité, c'est-à-dire du statut de mineur, d'enfant. incapable de réfléchir. S'émanciper, c'est sortir de la soumission. Une soumission dont le voile serait aujourd'hui le symbole. D'ailleurs, le terme de voile est lui-même chargé d'une connotation obscurantiste. Ne dit-on pas dévoiler la vérité, un complot ou un crime ? Comme si le voile cachait quelque chose de répréhensible qu'il faudrait dévoiler. Le voile deviendrait un crime à part entière. Le voile poserait deux problèmes. D'un côté, il serait une atteinte à la laïcité, et de l'autre, le symbole de la soumission des femmes musulmanes. Commençons par la laïcité. La loi de 1905 n'interdit pas de pratiquer sa religion ou de porter des signes religieux en public. Elle dit simplement que l'État doit être laïque. La laïcité doit même garantir la liberté de religion de chacun au nom de la liberté de penser. C'est une loi libérale qui garantit justement le pluralisme. Rien à avoir avec une quelconque interdiction de pratiquer sa religion ou de l'afficher. Mais il y a eu un changement dans la laïcité en France. Depuis les années 2000, l'exigence de neutralité ne touche plus seulement l'État, mais tous les citoyens, et plus spécifiquement les musulmans et les musulmanes. La laïcité avait pour but, en 1905, de réduire le pouvoir de l'Église catholique. En 2025, elle est utilisée pour définir une identité française qui exclut les personnes musulmanes. La sociologue Zahra Ali explique que cela révèle un enjeu colonial. Car la laïcité s'oppose toujours à la religion musulmane et pas tellement aux autres religions. La laïcité est le nom acceptable de l'islamophobie. Selon elle, cela révèle notre héritage colonial, qui n'en a pas tout à fait fini de considérer les musulmans et les arabes comme des barbares, des peuples aux coutumes archaïques qu'il faudrait civiliser et qui devraient s'effacer de l'espace public. Dans ce cadre, le foulard serait le signe d'un défaut d'assimilation à la société française, un refus des valeurs républicaines et notamment de l'égalité homme-femme. J'en arrive au deuxième problème. Le voile est-il un symbole de la soumission des femmes aux hommes ? En réalité, le sens du voile est multiple. Il dépend des contextes politiques, sociaux et individuels. C'est ce que montre la sociologue Anan Karimi. Elle nous dit « Selon que l'on se rapporte au texte fondateur, à la tradition, aux avis de docteurs de la foi, à l'opinion des intéressés ou à l'actualité politique mondiale, Son interprétation change et les raisons que l'on peut avoir d'être pour ou contre aussi. Ainsi, ça n'a rien à voir de porter un voile intégral en Afghanistan parce qu'on y est obligé et un foulard en France parce qu'on l'a choisi. Car en France, comme le montrent beaucoup d'études, la majorité des femmes portent le foulard volontairement. Comme l'analyse Anan Karimi, de nombreuses jeunes femmes ont une lecture critique de leur religion, et non pas une lecture misogyne de l'islam. Elles portent le foulard non pas parce qu'on leur a obligé, et certaines le portent même malgré l'opposition de leurs parents ou de leurs proches et sans être mariées, mais elles le portent dans une démarche religieuse et spirituelle, une relation personnelle avec le divin et le sacré. Rien à voir donc avec un étendard politique. Certaines veulent aussi revendiquer une identité musulmane, que l'homogénéité républicaine cherche en permanence à faire disparaître. En fait, il suffit d'écouter ces femmes parler pour s'apercevoir qu'il ne s'agit pas de domination masculine ou de soumission. Pour certaines femmes, c'est juste une autre manière d'exister et de s'incarner en société. Alors, voiles et émancipation sont-ils compatibles ? Oui, à condition de penser l'émancipation autrement. Le philosophe Jacques Rancière explique qu'on peut s'émanciper soi-même, mais qu'on ne peut pas émanciper les autres. Pourquoi ? Parce que cela voudrait dire qu'on sait mieux que l'autre, que nous lui sommes supérieurs, et donc qu'il y a une inégalité entre ceux qui savent et ceux qui sont ignorants. À l'inverse, il faut, selon Rancière, agir sous la présupposition d'une égale intelligence pour briser la répartition de l'humanité entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. C'est cela l'émancipation. Ce n'est pas construire un nouveau programme et l'appliquer à toutes et à tous. Il faut donc penser à un pluralisme dans l'émancipation. Il n'y a pas une seule bonne manière de s'émanciper. Sinon, on ne s'émancipe pas. On reconstruit une nouvelle idéologie totale. La sociologue Zahra Ali prolonge ses réflexions. Elle explique qu'il existe plusieurs féminismes et que certaines féministes musulmanes pensent une émancipation qui ne passe ni par la désacralisation des normes religieuses, ni par la libération sexuelle. Il faut alors accepter ces expressions alternatives de la lutte contre le patriarcat à l'encontre de la vision unique du féminisme occidental et antireligieux. Car ce féminisme dominant n'applique sa vision de l'égalité qu'aux femmes qui sont d'accord avec lui, et il considère les autres femmes comme inférieures, soumises, aliénées, infantilisées. Pourtant, explique Zahra Ali, l'Occident n'a pas le monopole du féminisme. Elle étudie les féminismes islamiques, très divers, qui réinterprètent le Coran de manière émancipatrice et égalitariste, en critiquant les lectures patriarcales qui en ont été faites. On peut donc porter le voile volontairement en France, tout en luttant politiquement contre l'obligation du voile en Afghanistan. Zahra Ali explique qu'il y a eu partout, y compris dans des sociétés majoritairement musulmanes, des luttes contre le patriarcat qui n'ont pas attendu le féminisme occidental. Le féminisme, selon elle, c'est donc justement reconnaître la pluralité des expressions de l'émancipation des hommes et des femmes. Quand Bruno Retailleau crie, lors d'un meeting la semaine dernière, « Abat le voile » , on comprend donc mieux tout l'imaginaire raciste et paternaliste que cela véhicule, sous couvert de défense de la laïcité et des droits des femmes. Il faut d'ailleurs ajouter que ce discours est totalement contre-productif, puisqu'il exclut encore davantage les femmes qu'il prétend sauver. On finit par exclure des femmes de l'école et du travail, et bientôt du sport, sous prétexte qu'on cherche à les libérer. D'ailleurs, les lois contre le voile, comme la loi de 2004, ne semblent avoir eu aucun impact sur les pratiques de voilement des femmes. Par contre, cette loi a encouragé le harcèlement et l'agression des femmes qui portent le foulard. Et aujourd'hui, 81% des agressions islamophobes sont commises contre des femmes. Alors oui... Il est vrai que certaines femmes sont obligées de porter le foulard. La sociologue Anan Karimi, dont je parlais tout à l'heure, en a rencontré plusieurs. Mais ce qu'elle explique, c'est que ceux qui forcent les femmes à porter le foulard au nom de la vision d'une bonne féminité musulmane et ceux qui veulent interdire aux femmes de le porter au nom d'une vision républicaine de la féminité sont portés par une même logique, celle de contrôler le corps des femmes. La femme républicaine, ce serait la Marianne dévêtue, dont la nudité symboliserait l'émancipation. Le foulard, quant à lui, devient un symbole de déshumanisation. On parle de femmes voilées, à la forme passive, pour gommer leur individualité et leur volonté. Et dans les deux cas, ce sont des hommes qui décident à la place des femmes. Alors peut-être qu'une véritable pensée de l'émancipation, ce serait celle qui permet aux gens de s'émanciper comme ils le souhaitent. en faisant confiance à leur capacité de réflexion, plutôt que de prétendre les émanciper malgré eux. Un bon début pour Bruno Retailleau ou Gérald Darmanin, ce serait d'écouter des femmes voilées parler, plutôt que de parler à leur place. Mais bon, je crois qu'en fait, ils ne sont pas tellement féministes. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Phil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lephildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors un grand merci à Mathieu, Clément, Sébastien, Julia, Alex, Denis, Gaëtan, Jean-Marc, Cathy, Guillaume, Augustin, Laurent, Élodie, Thomas, Valérie. Jean-Michel, Alice, Sylvana, Pascaline et Kaina. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du phil d'actu. Merci et à très vite !

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Interdire le voile, est-ce vraiment une source d'émancipation ?


Interdire le port du voile dans le sport ? C’est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, et de Gérald Darmanin, ministre de la justice. Une énième attaque contre les femmes musulmanes, qui voient restreindre leur espace de liberté, au nom d’un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c’est quoi, l’émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ?  On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali, et avec le philosophe Jacques Rancière.


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  • Speaker #0

    Interdire le port du voile dans le sport, c'est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur. Une énième attaque contre les femmes musulmanes au nom d'un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c'est quoi l'émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ? On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali et avec le philosophe Jacques Rancière. Je suis Alice de Rochechouart. et vous écoutez Le Phil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. La France a un rapport singulier avec le voile. Il est considéré comme un signe de radicalisation, de soumission, d'aliénation des jeunes femmes musulmanes. Bruno Retailleau le décrit comme un « étendard pour l'islamisme » et un marqueur de l'infériorisation de la femme par rapport à l'homme. Manuel Valls, lui, le décrit comme un « étendard politique contre la République » . Depuis 2004, il est interdit de porter un voile dans les écoles. Et l'application de cette loi a généré un rejet très fort du voile dans tous les espaces sociaux. Dans les entreprises, les associations par exemple, il est très difficile de porter le voile. Maintenant, c'est le sport qui est visé. Comme pour les JO de Paris 2024, on souhaite désormais interdire aux femmes musulmanes de porter un voile lors des compétitions sportives. Le voile, c'est une obsession française. En effet, en France, la citoyenneté est fondée sur le principe de l'unité républicaine, de l'homogénéité. On n'aime pas trop les différences, le pluralisme. Nous devons toutes et tous nous ressembler. Alors forcément, le foulard islamique, ça ne colle pas. Alors que dans les autres pays, notamment en Europe, ça ne pose pas tellement de problèmes. Il faut dire que la France moderne s'est construite en opposition à la religion. Au XVIIIe siècle, les Lumières se sont opposées à la religion catholique, synonyme d'obscurantisme, de superstition, de manipulation. Ils y ont opposé la rationalité et la liberté, les Lumières de la raison, pour s'émanciper des ténèbres religieuses. L'émancipation, voilà un terme important. S'émanciper, c'est se libérer d'une emprise, d'une dépendance, d'une aliénation à des préjugés. C'est un idéal très fort à la fin du XVIIIe siècle. D'ailleurs, c'est le philosophe Emmanuel Kant qui a créé ce concept, dans son livre « Qu'est-ce que les Lumières ? » en 1784. Il définit alors l'émancipation comme le fait de s'affranchir des tutelles, de sortir de notre ignorance et de sortir d'un état de minorité, c'est-à-dire du statut de mineur, d'enfant. incapable de réfléchir. S'émanciper, c'est sortir de la soumission. Une soumission dont le voile serait aujourd'hui le symbole. D'ailleurs, le terme de voile est lui-même chargé d'une connotation obscurantiste. Ne dit-on pas dévoiler la vérité, un complot ou un crime ? Comme si le voile cachait quelque chose de répréhensible qu'il faudrait dévoiler. Le voile deviendrait un crime à part entière. Le voile poserait deux problèmes. D'un côté, il serait une atteinte à la laïcité, et de l'autre, le symbole de la soumission des femmes musulmanes. Commençons par la laïcité. La loi de 1905 n'interdit pas de pratiquer sa religion ou de porter des signes religieux en public. Elle dit simplement que l'État doit être laïque. La laïcité doit même garantir la liberté de religion de chacun au nom de la liberté de penser. C'est une loi libérale qui garantit justement le pluralisme. Rien à avoir avec une quelconque interdiction de pratiquer sa religion ou de l'afficher. Mais il y a eu un changement dans la laïcité en France. Depuis les années 2000, l'exigence de neutralité ne touche plus seulement l'État, mais tous les citoyens, et plus spécifiquement les musulmans et les musulmanes. La laïcité avait pour but, en 1905, de réduire le pouvoir de l'Église catholique. En 2025, elle est utilisée pour définir une identité française qui exclut les personnes musulmanes. La sociologue Zahra Ali explique que cela révèle un enjeu colonial. Car la laïcité s'oppose toujours à la religion musulmane et pas tellement aux autres religions. La laïcité est le nom acceptable de l'islamophobie. Selon elle, cela révèle notre héritage colonial, qui n'en a pas tout à fait fini de considérer les musulmans et les arabes comme des barbares, des peuples aux coutumes archaïques qu'il faudrait civiliser et qui devraient s'effacer de l'espace public. Dans ce cadre, le foulard serait le signe d'un défaut d'assimilation à la société française, un refus des valeurs républicaines et notamment de l'égalité homme-femme. J'en arrive au deuxième problème. Le voile est-il un symbole de la soumission des femmes aux hommes ? En réalité, le sens du voile est multiple. Il dépend des contextes politiques, sociaux et individuels. C'est ce que montre la sociologue Anan Karimi. Elle nous dit « Selon que l'on se rapporte au texte fondateur, à la tradition, aux avis de docteurs de la foi, à l'opinion des intéressés ou à l'actualité politique mondiale, Son interprétation change et les raisons que l'on peut avoir d'être pour ou contre aussi. Ainsi, ça n'a rien à voir de porter un voile intégral en Afghanistan parce qu'on y est obligé et un foulard en France parce qu'on l'a choisi. Car en France, comme le montrent beaucoup d'études, la majorité des femmes portent le foulard volontairement. Comme l'analyse Anan Karimi, de nombreuses jeunes femmes ont une lecture critique de leur religion, et non pas une lecture misogyne de l'islam. Elles portent le foulard non pas parce qu'on leur a obligé, et certaines le portent même malgré l'opposition de leurs parents ou de leurs proches et sans être mariées, mais elles le portent dans une démarche religieuse et spirituelle, une relation personnelle avec le divin et le sacré. Rien à voir donc avec un étendard politique. Certaines veulent aussi revendiquer une identité musulmane, que l'homogénéité républicaine cherche en permanence à faire disparaître. En fait, il suffit d'écouter ces femmes parler pour s'apercevoir qu'il ne s'agit pas de domination masculine ou de soumission. Pour certaines femmes, c'est juste une autre manière d'exister et de s'incarner en société. Alors, voiles et émancipation sont-ils compatibles ? Oui, à condition de penser l'émancipation autrement. Le philosophe Jacques Rancière explique qu'on peut s'émanciper soi-même, mais qu'on ne peut pas émanciper les autres. Pourquoi ? Parce que cela voudrait dire qu'on sait mieux que l'autre, que nous lui sommes supérieurs, et donc qu'il y a une inégalité entre ceux qui savent et ceux qui sont ignorants. À l'inverse, il faut, selon Rancière, agir sous la présupposition d'une égale intelligence pour briser la répartition de l'humanité entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. C'est cela l'émancipation. Ce n'est pas construire un nouveau programme et l'appliquer à toutes et à tous. Il faut donc penser à un pluralisme dans l'émancipation. Il n'y a pas une seule bonne manière de s'émanciper. Sinon, on ne s'émancipe pas. On reconstruit une nouvelle idéologie totale. La sociologue Zahra Ali prolonge ses réflexions. Elle explique qu'il existe plusieurs féminismes et que certaines féministes musulmanes pensent une émancipation qui ne passe ni par la désacralisation des normes religieuses, ni par la libération sexuelle. Il faut alors accepter ces expressions alternatives de la lutte contre le patriarcat à l'encontre de la vision unique du féminisme occidental et antireligieux. Car ce féminisme dominant n'applique sa vision de l'égalité qu'aux femmes qui sont d'accord avec lui, et il considère les autres femmes comme inférieures, soumises, aliénées, infantilisées. Pourtant, explique Zahra Ali, l'Occident n'a pas le monopole du féminisme. Elle étudie les féminismes islamiques, très divers, qui réinterprètent le Coran de manière émancipatrice et égalitariste, en critiquant les lectures patriarcales qui en ont été faites. On peut donc porter le voile volontairement en France, tout en luttant politiquement contre l'obligation du voile en Afghanistan. Zahra Ali explique qu'il y a eu partout, y compris dans des sociétés majoritairement musulmanes, des luttes contre le patriarcat qui n'ont pas attendu le féminisme occidental. Le féminisme, selon elle, c'est donc justement reconnaître la pluralité des expressions de l'émancipation des hommes et des femmes. Quand Bruno Retailleau crie, lors d'un meeting la semaine dernière, « Abat le voile » , on comprend donc mieux tout l'imaginaire raciste et paternaliste que cela véhicule, sous couvert de défense de la laïcité et des droits des femmes. Il faut d'ailleurs ajouter que ce discours est totalement contre-productif, puisqu'il exclut encore davantage les femmes qu'il prétend sauver. On finit par exclure des femmes de l'école et du travail, et bientôt du sport, sous prétexte qu'on cherche à les libérer. D'ailleurs, les lois contre le voile, comme la loi de 2004, ne semblent avoir eu aucun impact sur les pratiques de voilement des femmes. Par contre, cette loi a encouragé le harcèlement et l'agression des femmes qui portent le foulard. Et aujourd'hui, 81% des agressions islamophobes sont commises contre des femmes. Alors oui... Il est vrai que certaines femmes sont obligées de porter le foulard. La sociologue Anan Karimi, dont je parlais tout à l'heure, en a rencontré plusieurs. Mais ce qu'elle explique, c'est que ceux qui forcent les femmes à porter le foulard au nom de la vision d'une bonne féminité musulmane et ceux qui veulent interdire aux femmes de le porter au nom d'une vision républicaine de la féminité sont portés par une même logique, celle de contrôler le corps des femmes. La femme républicaine, ce serait la Marianne dévêtue, dont la nudité symboliserait l'émancipation. Le foulard, quant à lui, devient un symbole de déshumanisation. On parle de femmes voilées, à la forme passive, pour gommer leur individualité et leur volonté. Et dans les deux cas, ce sont des hommes qui décident à la place des femmes. Alors peut-être qu'une véritable pensée de l'émancipation, ce serait celle qui permet aux gens de s'émanciper comme ils le souhaitent. en faisant confiance à leur capacité de réflexion, plutôt que de prétendre les émanciper malgré eux. Un bon début pour Bruno Retailleau ou Gérald Darmanin, ce serait d'écouter des femmes voilées parler, plutôt que de parler à leur place. Mais bon, je crois qu'en fait, ils ne sont pas tellement féministes. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Phil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lephildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors un grand merci à Mathieu, Clément, Sébastien, Julia, Alex, Denis, Gaëtan, Jean-Marc, Cathy, Guillaume, Augustin, Laurent, Élodie, Thomas, Valérie. Jean-Michel, Alice, Sylvana, Pascaline et Kaina. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du phil d'actu. Merci et à très vite !

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Interdire le voile, est-ce vraiment une source d'émancipation ?


Interdire le port du voile dans le sport ? C’est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, et de Gérald Darmanin, ministre de la justice. Une énième attaque contre les femmes musulmanes, qui voient restreindre leur espace de liberté, au nom d’un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c’est quoi, l’émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ?  On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali, et avec le philosophe Jacques Rancière.


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Transcription

  • Speaker #0

    Interdire le port du voile dans le sport, c'est le nouveau projet de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur. Une énième attaque contre les femmes musulmanes au nom d'un désir de les émanciper de la domination masculine. Mais c'est quoi l'émancipation ? Est-ce un argument crédible dans le débat sur le voile ? On en parle avec les sociologues Hanane Karimi et Zahra Ali et avec le philosophe Jacques Rancière. Je suis Alice de Rochechouart. et vous écoutez Le Phil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. La France a un rapport singulier avec le voile. Il est considéré comme un signe de radicalisation, de soumission, d'aliénation des jeunes femmes musulmanes. Bruno Retailleau le décrit comme un « étendard pour l'islamisme » et un marqueur de l'infériorisation de la femme par rapport à l'homme. Manuel Valls, lui, le décrit comme un « étendard politique contre la République » . Depuis 2004, il est interdit de porter un voile dans les écoles. Et l'application de cette loi a généré un rejet très fort du voile dans tous les espaces sociaux. Dans les entreprises, les associations par exemple, il est très difficile de porter le voile. Maintenant, c'est le sport qui est visé. Comme pour les JO de Paris 2024, on souhaite désormais interdire aux femmes musulmanes de porter un voile lors des compétitions sportives. Le voile, c'est une obsession française. En effet, en France, la citoyenneté est fondée sur le principe de l'unité républicaine, de l'homogénéité. On n'aime pas trop les différences, le pluralisme. Nous devons toutes et tous nous ressembler. Alors forcément, le foulard islamique, ça ne colle pas. Alors que dans les autres pays, notamment en Europe, ça ne pose pas tellement de problèmes. Il faut dire que la France moderne s'est construite en opposition à la religion. Au XVIIIe siècle, les Lumières se sont opposées à la religion catholique, synonyme d'obscurantisme, de superstition, de manipulation. Ils y ont opposé la rationalité et la liberté, les Lumières de la raison, pour s'émanciper des ténèbres religieuses. L'émancipation, voilà un terme important. S'émanciper, c'est se libérer d'une emprise, d'une dépendance, d'une aliénation à des préjugés. C'est un idéal très fort à la fin du XVIIIe siècle. D'ailleurs, c'est le philosophe Emmanuel Kant qui a créé ce concept, dans son livre « Qu'est-ce que les Lumières ? » en 1784. Il définit alors l'émancipation comme le fait de s'affranchir des tutelles, de sortir de notre ignorance et de sortir d'un état de minorité, c'est-à-dire du statut de mineur, d'enfant. incapable de réfléchir. S'émanciper, c'est sortir de la soumission. Une soumission dont le voile serait aujourd'hui le symbole. D'ailleurs, le terme de voile est lui-même chargé d'une connotation obscurantiste. Ne dit-on pas dévoiler la vérité, un complot ou un crime ? Comme si le voile cachait quelque chose de répréhensible qu'il faudrait dévoiler. Le voile deviendrait un crime à part entière. Le voile poserait deux problèmes. D'un côté, il serait une atteinte à la laïcité, et de l'autre, le symbole de la soumission des femmes musulmanes. Commençons par la laïcité. La loi de 1905 n'interdit pas de pratiquer sa religion ou de porter des signes religieux en public. Elle dit simplement que l'État doit être laïque. La laïcité doit même garantir la liberté de religion de chacun au nom de la liberté de penser. C'est une loi libérale qui garantit justement le pluralisme. Rien à avoir avec une quelconque interdiction de pratiquer sa religion ou de l'afficher. Mais il y a eu un changement dans la laïcité en France. Depuis les années 2000, l'exigence de neutralité ne touche plus seulement l'État, mais tous les citoyens, et plus spécifiquement les musulmans et les musulmanes. La laïcité avait pour but, en 1905, de réduire le pouvoir de l'Église catholique. En 2025, elle est utilisée pour définir une identité française qui exclut les personnes musulmanes. La sociologue Zahra Ali explique que cela révèle un enjeu colonial. Car la laïcité s'oppose toujours à la religion musulmane et pas tellement aux autres religions. La laïcité est le nom acceptable de l'islamophobie. Selon elle, cela révèle notre héritage colonial, qui n'en a pas tout à fait fini de considérer les musulmans et les arabes comme des barbares, des peuples aux coutumes archaïques qu'il faudrait civiliser et qui devraient s'effacer de l'espace public. Dans ce cadre, le foulard serait le signe d'un défaut d'assimilation à la société française, un refus des valeurs républicaines et notamment de l'égalité homme-femme. J'en arrive au deuxième problème. Le voile est-il un symbole de la soumission des femmes aux hommes ? En réalité, le sens du voile est multiple. Il dépend des contextes politiques, sociaux et individuels. C'est ce que montre la sociologue Anan Karimi. Elle nous dit « Selon que l'on se rapporte au texte fondateur, à la tradition, aux avis de docteurs de la foi, à l'opinion des intéressés ou à l'actualité politique mondiale, Son interprétation change et les raisons que l'on peut avoir d'être pour ou contre aussi. Ainsi, ça n'a rien à voir de porter un voile intégral en Afghanistan parce qu'on y est obligé et un foulard en France parce qu'on l'a choisi. Car en France, comme le montrent beaucoup d'études, la majorité des femmes portent le foulard volontairement. Comme l'analyse Anan Karimi, de nombreuses jeunes femmes ont une lecture critique de leur religion, et non pas une lecture misogyne de l'islam. Elles portent le foulard non pas parce qu'on leur a obligé, et certaines le portent même malgré l'opposition de leurs parents ou de leurs proches et sans être mariées, mais elles le portent dans une démarche religieuse et spirituelle, une relation personnelle avec le divin et le sacré. Rien à voir donc avec un étendard politique. Certaines veulent aussi revendiquer une identité musulmane, que l'homogénéité républicaine cherche en permanence à faire disparaître. En fait, il suffit d'écouter ces femmes parler pour s'apercevoir qu'il ne s'agit pas de domination masculine ou de soumission. Pour certaines femmes, c'est juste une autre manière d'exister et de s'incarner en société. Alors, voiles et émancipation sont-ils compatibles ? Oui, à condition de penser l'émancipation autrement. Le philosophe Jacques Rancière explique qu'on peut s'émanciper soi-même, mais qu'on ne peut pas émanciper les autres. Pourquoi ? Parce que cela voudrait dire qu'on sait mieux que l'autre, que nous lui sommes supérieurs, et donc qu'il y a une inégalité entre ceux qui savent et ceux qui sont ignorants. À l'inverse, il faut, selon Rancière, agir sous la présupposition d'une égale intelligence pour briser la répartition de l'humanité entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. C'est cela l'émancipation. Ce n'est pas construire un nouveau programme et l'appliquer à toutes et à tous. Il faut donc penser à un pluralisme dans l'émancipation. Il n'y a pas une seule bonne manière de s'émanciper. Sinon, on ne s'émancipe pas. On reconstruit une nouvelle idéologie totale. La sociologue Zahra Ali prolonge ses réflexions. Elle explique qu'il existe plusieurs féminismes et que certaines féministes musulmanes pensent une émancipation qui ne passe ni par la désacralisation des normes religieuses, ni par la libération sexuelle. Il faut alors accepter ces expressions alternatives de la lutte contre le patriarcat à l'encontre de la vision unique du féminisme occidental et antireligieux. Car ce féminisme dominant n'applique sa vision de l'égalité qu'aux femmes qui sont d'accord avec lui, et il considère les autres femmes comme inférieures, soumises, aliénées, infantilisées. Pourtant, explique Zahra Ali, l'Occident n'a pas le monopole du féminisme. Elle étudie les féminismes islamiques, très divers, qui réinterprètent le Coran de manière émancipatrice et égalitariste, en critiquant les lectures patriarcales qui en ont été faites. On peut donc porter le voile volontairement en France, tout en luttant politiquement contre l'obligation du voile en Afghanistan. Zahra Ali explique qu'il y a eu partout, y compris dans des sociétés majoritairement musulmanes, des luttes contre le patriarcat qui n'ont pas attendu le féminisme occidental. Le féminisme, selon elle, c'est donc justement reconnaître la pluralité des expressions de l'émancipation des hommes et des femmes. Quand Bruno Retailleau crie, lors d'un meeting la semaine dernière, « Abat le voile » , on comprend donc mieux tout l'imaginaire raciste et paternaliste que cela véhicule, sous couvert de défense de la laïcité et des droits des femmes. Il faut d'ailleurs ajouter que ce discours est totalement contre-productif, puisqu'il exclut encore davantage les femmes qu'il prétend sauver. On finit par exclure des femmes de l'école et du travail, et bientôt du sport, sous prétexte qu'on cherche à les libérer. D'ailleurs, les lois contre le voile, comme la loi de 2004, ne semblent avoir eu aucun impact sur les pratiques de voilement des femmes. Par contre, cette loi a encouragé le harcèlement et l'agression des femmes qui portent le foulard. Et aujourd'hui, 81% des agressions islamophobes sont commises contre des femmes. Alors oui... Il est vrai que certaines femmes sont obligées de porter le foulard. La sociologue Anan Karimi, dont je parlais tout à l'heure, en a rencontré plusieurs. Mais ce qu'elle explique, c'est que ceux qui forcent les femmes à porter le foulard au nom de la vision d'une bonne féminité musulmane et ceux qui veulent interdire aux femmes de le porter au nom d'une vision républicaine de la féminité sont portés par une même logique, celle de contrôler le corps des femmes. La femme républicaine, ce serait la Marianne dévêtue, dont la nudité symboliserait l'émancipation. Le foulard, quant à lui, devient un symbole de déshumanisation. On parle de femmes voilées, à la forme passive, pour gommer leur individualité et leur volonté. Et dans les deux cas, ce sont des hommes qui décident à la place des femmes. Alors peut-être qu'une véritable pensée de l'émancipation, ce serait celle qui permet aux gens de s'émanciper comme ils le souhaitent. en faisant confiance à leur capacité de réflexion, plutôt que de prétendre les émanciper malgré eux. Un bon début pour Bruno Retailleau ou Gérald Darmanin, ce serait d'écouter des femmes voilées parler, plutôt que de parler à leur place. Mais bon, je crois qu'en fait, ils ne sont pas tellement féministes. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Phil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, lephildactu.podcast. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Alors un grand merci à Mathieu, Clément, Sébastien, Julia, Alex, Denis, Gaëtan, Jean-Marc, Cathy, Guillaume, Augustin, Laurent, Élodie, Thomas, Valérie. Jean-Michel, Alice, Sylvana, Pascaline et Kaina. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du phil d'actu. Merci et à très vite !

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