Description

Peut-on séparer l'autrice de l'artiste ? Quand l'autrice de Harry Potter se révèle transphobe, c'est tout une œuvre à réinterroger. On répond à cette question épineuse avec Martin Heidegger !

Cet été, le Phil d'Actu se met à la pop culture ! Ben oui, qui a dit que la philosophie, ça ne pouvait pas être un peu léger ?

Chaussez vos tongs et prenez une glace à la fraise : tous les mercredis, on revient sur des événements qui ont marqué la pop culture ces 30 dernières années.

Cinéma, musique, stars, jeux vidéos, sport : tout ce qu'il vous faut pour passer de belles vacances !

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Transcription

• Speaker #0

  Psst, c'est l'été du fil d'actu. Chaussez vos tongs et prenez du popcorn, tout l'été. Je vous propose des épisodes consacrés à des grands événements qui ont marqué la pop culture de ces 30 dernières années. A déguster en 5 minutes avec une bonne glace à la fraise. Bon été ! Quand j'étais petite, j'étais une grande grande fan de Harry Potter. J'ai lu tous les livres, plusieurs fois, en français et en anglais, et je peux vous dire que je connaissais la date de sortie des nouveaux tomes et que le jour J, j'étais au taquet. J'étais vraiment incollable sur tout l'univers de Harry Potter et je pense même que je relisais les livres à peu près une fois par an. Alors, quand l'histoire avec J.K. Rowling a éclaté, je me suis trouvée un peu embêtée. L'histoire avec J.K. Rowling, c'est l'autrice des livres Harry Potter, c'est qu'elle s'est révélée être une militante transphobe. Depuis quelques années, elle consacre une grande partie de sa fortune à soutenir des associations anti-trans, elle tweet sans arrêt pour s'attaquer aux droits de ces personnes, et au Royaume-Uni, ça a des effets. Elle a pris la tête d'une véritable croisade anti-trans. Alors forcément, je me suis posé la question. Peut-on séparer la femme de l'artiste ? Est-ce que je pouvais encore aimer Harry Potter, en dépit des positions politiques absolument insupportables de son autrice ? Cette question, je vous la pose avec Harry Potter, mais en fait, comme vous le savez, c'est une question qui se pose très souvent, avec aussi bien des romanciers, comme par exemple Louis-Ferdinand Céline, des cinéastes, comme Roman Polanski, et des peintres, comme par exemple Picasso ou Gauguin. C'est un problème qui n'est pas forcément facile à résoudre. Et figurez-vous qu'en ce qui me concerne, c'est la philosophie qui m'a aidée à y répondre. Plus précisément avec le philosophe Martin Heidegger. Heidegger, c'est un philosophe allemand du XXe siècle. qui est considéré comme l'un des plus grands philosophes de l'histoire occidentale. Heidegger, il a écrit des livres qui sont très difficiles à lire, il faut l'admettre, comme par exemple « Être et temps » , et sa philosophie a inspiré une bonne partie de la philosophie contemporaine, notamment Jean-Paul Sartre, dont je vous parlais la semaine dernière sur la question du football. La particularité de Martin Heidegger, c'est qu'en parallèle de sa carrière de philosophie, il a une carrière dans le nazisme. Il a rejoint le parti nazi dès 1933. soi-disant pour conserver son poste à l'université, mais en fait, on peut quand même s'interroger. Récemment, on a trouvé des carnets noirs de Heidegger qu'il a écrits en parallèle de ses livres et qui, en fait, ne laissent pas tellement de doute sur son idéologie et ses croyances. Alors, la question qui se pose, c'est est-ce qu'on peut lire les livres et la philosophie de Heidegger indépendamment ou en faisant abstraction de ses idées nazies ? Parce qu'à première vue, quand on lit « Être et temps » , on n'a pas du tout l'impression que c'est un livre politique. C'est un livre qui parle de l'existence humaine, mais en aucun cas de l'organisation politique ou collective. Donc on pourrait se dire, ça ne parle que de l'individu, et ça n'est pas influencé par le nazisme. Et pourtant, il y a un autre philosophe, le philosophe Emmanuel Lévinas, qui a montré exactement le contraire. Lévinas, il a analysé la philosophie de Heidegger en montrant que même dans sa philosophie de l'individu, il y avait un désir de puissance et de domination. Lévinas, il arrive à lire entre les lignes en montrant que la manière dont Heidegger pense les humains conduit nécessairement à de la violence et à finalement une hiérarchie sociale. Ce que montre Lévinas, c'est que toute la philosophie de Heidegger se fait au nom de la puissance, au détriment de l'éthique et au détriment de la considération d'autrui. Et c'est vrai qu'après avoir lu Lévinas, quand on relit Heidegger, on perçoit absolument ça. On se rend bien compte que cette philosophie... Elle méprise les faibles et elle encourage les forts. En fait, on se rend bien compte que ce n'est pas possible de séparer l'homme de l'artiste, ou en l'occurrence, l'homme du philosophe. Parce que ce sont les mêmes qui pensent, ce sont les mêmes qui créent, et ce sont les mêmes qui produisent de la réflexion. Donc finalement, moi, c'est Lévinas qui m'a permis de trancher cette question. Et aujourd'hui, quand je regarde des artistes qui sont accusés de violence, j'essaye toujours de chercher en quoi c'est un germe dans leur création. Typiquement, chez Picasso, il représente, il peint les femmes qu'il maltraitait, qu'il violait ou qu'il battait. Et en fait, dans Harry Potter, c'est la même chose. Quand on lit Harry Potter avec un œil aiguisé politiquement, on se rend compte qu'il y a en germe un certain nombre de représentations de domination et de hiérarchie. Et surtout, il y a énormément de stéréotypes racistes et antisémites. Par exemple, le personnage de Cho Chang, qui est censé être le seul personnage asiatique, et qui porte un nom qui est un mélange de coréen et de chinois, ce qui crée un espèce de personnage asiatique stéréotypé totalement raciste. De même, dans l'univers de Harry Potter, les banquiers sont des gobelins et ils reprennent l'iconographie antisémite qu'on pouvait avoir dans les années 30, avec un doigt et un nez crochus et étant obsédés par l'argent. Et puis, il y a aussi l'idée que les elfes de maison seraient contents d'être réduits en esclavage et quand Hermione décide de lutter contre cela, tout le monde se moque d'elle. Bref, quand on regarde Harry Potter avec un œil un peu plus critique, on se rend compte que c'est pas forcément un livre aussi progressiste que ça. Le monde des sorciers est un monde hiérarchique, ultra normé, et pas du tout un espace de liberté ou de contestation politique. Alors on n'aurait sans doute pas pu prédire que J.K. Rowling deviendrait la militante transphobe qu'elle est devenue. En revanche, on voit que ses idées conservatrices, elles étaient déjà présentes dans l'univers qu'elle avait construit. Voilà comment j'ai pu, moi, faire le deuil d'Harry Potter. Et je me dis qu'il y a sans doute plein d'autres livres avec des sorciers et un petit peu de fantastique que je pourrais faire lire à mon fils sans avoir peur de lui transmettre des stéréotypes et surtout sans donner de l'argent à J.K. Rowling. Alors à chaque fois que vous vous demanderez si on peut séparer l'homme de l'artiste, n'hésitez pas à penser à Heidegger, le philosophe génie de l'existence qui s'avérait être aussi un philosophe nazi. Ça y est, c'est la fin de cette série d'été du fil d'actu. Et comme ce dernier épisode de Pop Culture était quand même sacrément politique, Ça nous fait une bonne transition pour finir l'été et reprendre la rentrée en beauté. On se retrouve la semaine prochaine pour le retour des épisodes classiques du fil d'actu, philosophie et actualité. J'espère que vous avez passé un très bel été et que la pop-série du fil d'actu vous a plu. À bientôt !