Speaker #0J'ai travaillé dans la fonction publique pendant presque 4 ans. J'étais contractuelle de la fonction publique. Sur un poste de cadre, j'étais officiellement chargée de projet. Et c'était une structure financée par des fonds publics, mais de 8 personnes. Donc en fait, on était une petite équipe. Et en fait, à la fin de mes études, j'avais ultra envie de travailler dans cette structure. Je me disais que pour moi, c'était vraiment la suite après mes études. Ça me motivait vraiment énormément. Je me disais que ça va être super, je vais apprendre plein de choses, j'ai plein d'expériences professionnelles, de responsabilités, rencontrer des gens et que ça va vraiment me permettre d'avancer dans ma carrière ou ce que j'estimais avoir envie. d'avoir comme carrière. Et donc, assez rapidement après mes études, j'ai postulé, j'ai eu le poste et j'étais extrêmement contente. Mais déjà, à l'époque, j'avais entendu dans le réseau que la personne qui gérait cette structure avait une réputation un peu comme ci, comme ça. Et pour moi, je me disais, je verrai de toute façon ce que disent les gens, moi je peux m'adapter. Si ça se trouve, pour moi, ça va être différent. Donc j'avais 22-23 ans et j'ai été lancée dans le bain tout de suite, c'est-à-dire qu'il n'y avait personne vraiment pour m'apprendre le métier. J'avais une dizaine de dossiers différents avec à chaque fois des différents partenaires, différents enjeux politiques, etc. Et donc pour moi, c'était extrêmement difficile de déjà comprendre quels étaient les ficelles de chaque dossier, quels étaient les enjeux. Et donc je me suis sentie très vite très seule en fait et incompétente parce qu'un peu abandonnée avec, tiens, tes dossiers. On est déjà en retard, débrouille-toi. En fait, à chaque fois, j'ai remarqué qu'il y avait plein de petits signaux d'alerte ou des red flags et que je les ai extrêmement souvent ignorés. Mais du coup, comme je disais, on était une petite équipe et j'étais la plus jeune. Et pareil, c'était aussi un sujet qui revenait souvent. On m'appelait un peu le nouveau bébé. Il y avait toujours un peu cette stigmatisation aussi du fait que je sois jeune. Et c'était assez pesant et ça contribuait au fait que je me sentais un peu pas légitime. J'avais vraiment un vrai problème de légitimité. Je me disais, je suis extrêmement jeune, je ne sais pas si je fais bien mon travail, j'essaye de chercher de l'aide, mais en même temps, je ne veux pas trop demander. Et on m'a mis dans le bureau avec la stagiaire. Et donc, moi, je me suis liée d'amitié avec cette stagiaire, puisque je me sentais mieux avec elle en me disant, elle repart dans cinq mois, si je fais des bêtises ou si je dis des trucs qu'il ne faut pas dire, ce n'est pas grave, ça ne va pas me suivre. Et donc, ma supérieure, après, m'a reproché d'avoir été trop proche de la stagiaire et que ça envoyait une mauvaise image de moi, que j'étais... plus proche de la stagiaire que de mes collègues, alors que finalement, c'était moi qui était mal à l'aise et qui essayait juste de trouver ma place dans cette structure. Aujourd'hui, je me rends compte qu'il y avait une mauvaise gestion en interne, mais à l'époque, je ne comprenais pas d'où ça venait. Je pensais vraiment que tout venait de moi, que moi, j'étais le problème et la personne qui était incompétente et pas capable de travailler correctement. Mais il manquait des informations, il manquait des dossiers, il manquait des contacts. Et dès que je proposais quelque chose ou que j'essayais d'avancer, de proposer mes idées, c'était souvent ma supérieure, ma manager qui me disait non, en fait, j'aime pas ce que tu proposes Et en fait, c'était toujours très cassant. Et en fait, il n'y avait à aucun moment la place de proposer quelque chose et d'argumenter sa proposition. C'était toujours non, c'est nul, on va faire comme ça Un exemple qui me revient souvent, c'est qu'il fallait qu'on prépare des documents. qui allait sortir et qui allait être publique. Et en fait, pour préparer ces dossiers, ça m'est arrivé une fois, je crois qu'il y a eu 12 ou 13 va-et-vient entre elle et moi. C'est-à-dire que j'avais préparé 2-3 pages de texte et à chaque fois, elle me disait Ah non, cette phrase, j'aime pas comme elle est écrite. Ah non, j'aime pas ci, j'aime pas ça. Et en fait, il y avait... À chaque fois, je descendais, je retapais tout, je le réimprimais, je remontais dans son bureau. Elle le relisait, elle me disait Ah non, ça j'aime pas, ça j'aime pas. Et à un moment, on en arrivait à ce qu'elle me faisait écrire des choses. Je remontais lui montrer. Elle me disait Ah mais non, ça, j'aime pas Et en fait, on revenait en arrière. C'est-à-dire que ce que j'avais proposé à la base, finalement, c'était ce qui allait être repris. Et puis les propres propositions qu'elle faisait ne lui plaisaient plus. Au bout d'un moment, quand elle les avait lues deux, trois fois, au bout d'un moment, pareil, je me dis Mais elle a qu'à l'écrire elle-même, en fait. Si je suis pareil, trop bête pour écrire un document, écrire une phrase comme elle le souhaite. Et donc ça, je trouve que c'est un exemple vraiment, j'ai vu qu'il me frappe maintenant avec le recul en me disant, ouais, en fait, c'est pas possible de faire 12 va-et-vient sur un document de trois pages. juste parce qu'il y a une phrase ou un mot qui est mal utilisé pour elle. Et donc, c'était plein de petites choses comme ça. Après, il y avait aussi cette attente envers nous qu'on lui partage notre vie privée. J'avais fait quelques expériences quand j'étais stagiaire ou sur un précédent poste, où je me suis rendu compte que parfois, il vaut mieux en dire moins sur sa vie privée, pas faire trop de blagues et faire profil bas le temps de cerner un peu les personnes. Ma manager, au bout de quelques mois, elle m'a dit, je vois bien que tu es quelqu'un de drôle. T'as plein de choses à dire, je suis sûre, mais t'es tellement réservée, introvertie, c'est dommage, lâche-toi un peu. Pareil, sur le moment où je me suis dit, encore une fois, je me reprochais à moi-même, je me disais, elle me reproche de ne pas être assez ouverte, de ne pas assez parler de moi. Mais d'un autre côté, pour moi, j'étais au travail et je me disais, si je n'ai pas envie de faire des blagues ou si je n'ai pas envie de parler de moi, ça m'appartient. Et pourquoi est-ce qu'on me force à être quelqu'un que je n'ai pas envie d'être au travail ? Au bout d'un moment, j'en étais arrivée à me rendre compte aussi que mon travail n'était jamais assez bien pour elle. Et donc, au bout d'un moment, c'était trop difficile pour moi d'encaisser toujours des critiques, puisque je donnais le meilleur de moi-même, c'était pas assez bien, et on m'expliquait pas pourquoi on justifiait pas, on me disait juste ça c'est nul, il faut changer Et au bout d'un moment, j'ai arrêté de travailler à 100% de donner le meilleur de moi-même, parce qu'en me disant que de toute façon, ce sera jamais assez bien, et qu'elle aura toujours quelque chose à redire, donc je fais... un travail moyen pour qu'après, avec ses réflexions et avec son retour, on arrive à quelque chose qui est OK pour elle. Et je me suis rendue compte aussi que moi, à ce moment-là, je ne travaillais plus par plaisir ou parce que j'aimais mon travail, mais je travaillais vraiment pour elle et je travaillais pour éviter ses réflexions et éviter qu'on critique mon travail gratuitement. Avec le Covid, pour moi, ça a aussi été quelque chose qui a vraiment, j'allais dire, c'était... la goutte qui a fait déborder le vase, mais en fait après il y a eu tellement d'eau encore qui a rempli ce vase mais pour moi le Covid c'était vraiment un peu un moment clé aussi parce que du coup on était en télétravail à 100% pendant plusieurs mois, et là après a commencé aussi un peu j'avais envie de dire harcèlement, j'ai encore du mal avec ce mot mais en fait il fallait qu'on soit joignable tout le temps, c'est à dire que il fallait qu'on soit joignable par téléphone, il fallait qu'on soit joignable par mail et sur Teams donc en fait elle nous appelait tout le temps j'allais dire sauvagement, elle nous appelait sans prévenir. Et d'un côté, c'est OK, quand on était au bureau, on s'appelait avec les téléphones fixes quand on avait une question, ça prenait deux secondes. Mais en fait, le fait d'être chez soi et de se faire appeler avec la caméra à tout va, en fait, c'était extrêmement anxiogène et extrêmement stressant. Il y avait toujours cette attente aussi qu'on soit joignable tout le temps, même en dehors de nos horaires de bureau, et immédiatement. Et donc, parfois, on avait des mails, mais vraiment extrêmement désagréables, en trois mots. Et... Quand je disais ça à mon copain ou à une personne extérieure, la personne se disait bon bah ouais, elle t'a envoyé un mail, elle a pas dit bonjour, elle a pas dit merci, ça va, ça va autre chose Mais en fait, vu que c'était constant, moi je bouillais intérieurement, mais dans le côté, j'avais aucune compréhension en face de quelqu'un d'extérieur. J'ai commencé à avoir des maux physiques, j'avais des insomnies. Là, je ne dormais pas la nuit et j'avais des acidités dans l'estomac. Donc mon estomac était extrêmement acide et il me faisait très très mal. J'avais l'impression qu'on me tenait la tête sous l'eau et que j'étais vraiment noyée de travail, d'émotions, de choses incompréhensibles. Et que j'étais vraiment à la tête sous l'eau, mais vraiment je me sentais comme ça. Et je me disais, mais en fait, ça fait un an que je ne sais pas ce qui m'arrive et que je suis noyée de travail et de ne pas réussir à respirer comme si mes... poumons étaient fermés et que depuis un an je cherchais de l'air et que je le trouvais pas. Au bout d'un moment ça prenait vraiment une place aussi dans ma vie privée. Déjà le matin quand je me levais, quand mon réveil sonnait, je pensais tout de suite au travail et après j'allais prendre ma douche et j'avais la voix de ma chef dans la tête qui est en train de me dire oui qu'est ce que je vais mettre comme habit parce que selon ce que je vais mettre elle va me faire une réflexion. Donc il y avait vraiment cette charge mentale de toujours penser au travail, de toujours penser à ma chef, de toujours anticiper ses remarques, anticiper ses réflexions sur mon travail et toujours essayer de faire en sorte qu'elle ne soit pas de mauvaise humeur et d'anticiper ses humeurs. Moi en tout cas j'étais toujours dans l'anticipation de ce qu'elle va me dire, ce qu'elle va faire, comment est-ce qu'elle va être. Et là j'ai commencé à me rendre compte qu'il y avait des choses qui allaient peut-être pas et que c'était peut-être... C'est pas normal de se sentir comme ça au travail. Et donc, je me suis dit, qu'est-ce que je fais ? J'ai pas forcément envie d'être en arrêt parce que je suis pas bien, mais là, ça va pas. Je prends mon courage à deux mains, vraiment. Je me suis dit, je vais aller voir mon médecin généraliste. pour lui expliquer que je me sens pas bien et peut-être qu'il peut m'aider. J'étais un peu perdue dans une impasse. Je savais que je n'allais pas bien à cause du travail, mais j'étais incapable de vraiment mettre des mots dessus ou de trouver une solution par moi-même. Donc je suis allée voir mon médecin généraliste. Je lui ai dit, ça fait plusieurs semaines que je ne vais pas trop bien à cause du travail. J'ai beaucoup de mal avec ma supérieure. Et puis voilà, j'ai mal au ventre, j'ai de la cité dans l'estomac. J'ai des vraies douleurs. Et mon médecin, il rigole. Et il me dit, vous savez, moi aussi, il y a des gens que je n'aime pas. Parfois, comme ça, il y a des gens, on ne peut pas les sentir. Ça arrive à tout le monde. Ne vous inquiétez pas. Et j'étais là, mais il a compris ce que je lui ai dit, en fait. Et donc, j'étais encore une fois totalement démunie en me disant, pour moi, c'était énorme d'aller voir mon médecin généraliste, d'alerter un professionnel de santé sur mon travail, que ça se passe mal et que je suis perdue. Et ce professionnel de santé... a vraiment rigolé, il a vraiment ri, et il ne m'a pas du tout pris au sérieux. Donc ça a encore une fois pour moi décrédibilisé totalement mon mal-être. Quand j'ai quitté la structure, enfin j'ai principalement quitté la structure par rapport au management, en fait mon travail me plaisait, mais j'étais arrivé à un stade où le travail ne me plaisait plus. Je me demandais si j'étais vraiment compétente pour faire ce travail. Ma conseillère appellait que ma handicap au l'emploi, il y avait des psychologues du travail. avec lesquelles on pouvait s'entretenir quand on avait eu une expérience professionnelle compliquée. Donc je me suis dit, bon, est-ce que ça me concerne vraiment d'aller voir la psychologue du travail pôle emploi ? Mais je suis curieuse, j'y vais. Et je voyais qu'elle était vraiment choquée dans ses yeux par ce que je lui disais. Et encore là, à ce moment-là, je me suis dit, ah oui, si la psychologue du travail pôle emploi est choquée par ce que j'ai vécu, c'est un peu légitime comment je me sens ou comment j'ai vécu mon expérience professionnelle. Ça m'a rassurée dans le sens où elle me disait, bah oui, il y a clairement un management toxique. c'est normal que vous ne soyez pas bien, il y a des choses qui ne vont vraiment pas. Et après, elle m'a dit qu'il proposait des ateliers sur trois demi-journées pour des personnes qui ont souffert soit de harcèlement moral au travail, soit d'épuisement professionnel. Et en fait, on était cinq personnes. Et en fait, en discutant avec ces personnes, et encore une fois, j'étais toujours un peu dans cette situation, en me disant, oui, mais ce qu'eux ont vécu est pire. Quand j'ai commencé à raconter tout ça, je sentais que j'étais de nouveau extrêmement en colère. et qu'il y avait toutes ces émotions qui remontaient et que je n'avais pas encore réussi à digérer vraiment. Au psychologue du travail qui animait l'atelier, je disais oui, pour moi c'était quand même borderline du harcèlement et tout ça. Et il m'a regardé et il m'a dit mais enlevez le borderline en fait, c'est vraiment du harcèlement ce que vous avez vécu. Et à ce moment-là, je me suis dit mais qu'est-ce que c'est le harcèlement ? Est-ce que c'est moi qui en fais des caisses ? Est-ce que je me victimise ? Est-ce que c'est légitime que je dise que j'ai été harcelée au travail ? Parce que je n'ai pas l'impression que c'était dirigé... contre moi personnellement, mais que c'était contre tout le monde. Et je sais pas si c'est consciemment ou inconsciemment, parce que pour moi, le harcèlement, il y a un peu cette idée de je me choisis un bouc émissaire et je sais que je vais lui faire du mal et je vais lui faire consciemment du mal. Et en fait, si je devrais résumer ces 3-4 ans que j'ai passés là-bas, c'est extrêmement difficile parce que j'ai perdu confiance en moi professionnellement. J'ai pas pris... conscience de mes compétences. Donc soit elles étaient dénigrées ou pas valorisées, donc pour moi c'était juste quelque chose que tout le monde sait faire, mais en fait non. Et je pense qu'en presque 4 ans, elle m'a dit une fois ou deux fois qu'elle a félicité mon travail, et je m'en souviens encore aujourd'hui. Je pense que c'est important de quitter un travail auquel on ne se sent vraiment pas bien, parce qu'après il y a des conséquences lourdes qui durent très longtemps. Là, ça va mieux. Là, je vais bien. Mais j'ai mis vraiment longtemps à accepter ce qui s'est passé, à passer à autre chose. Et voilà, comme je disais, aujourd'hui, je n'arrive encore pas vraiment à accepter que c'était du harcèlement.