Speaker #0Bonjour ! Prenons une pause café croissant et apprenons ensemble le français. J'aimerais vous lire un poème que j'adore de Rimbaud. Cet épisode va être plutôt complexe puisqu'on va parler de poésie, mais pas d'inquiétude, je vous expliquerai certains termes après la lecture et on va décortiquer ensemble le sens du poème. Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. - Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. - Mes étoiles au ciel avaient un doux froufrou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur ! Ma Bohème, Arthur Rimbaud Quel beau poème ! Alors de quoi parle-t-il ? Tout d'abord le titre. Bohème fait référence à une vie de liberté, plutôt marginale, plutôt pauvre, mais très libre, notamment en termes spirituels et artistiques. Ici, Rimbaud se voit comme un poète vagabond, qui n'a pas de biens matériels, et qui erre dehors, donc qui marche, et qui est libre d'aller où il le souhaite. Il faut bien avoir en tête que Rimbaud a écrit pendant sa jeunesse. C'était un génie de la poésie qui a écrit très jeune, et d'ailleurs uniquement pendant son adolescence. Il n'a pas écrit à l'âge adulte, et ce poème, c'est vraiment la révolte adolescente qu'on a aussi nous pu ressentir dans notre jeunesse, cette envie de liberté, de se révolter contre l'ordre établi, d'aller où bon nous semble sans aucune attache. Et pour Rimbaud, ça passe aussi par le fait de révolutionner la poésie. Même si le poème suit la structure classique d'un sonnet, il se détache des normes de la poésie plus traditionnelle et de la poésie de son époque. Le thème central de ce poème est donc cette envie d'une vie libre, une vie de pauvreté, d'errance et de beaux mots, contre l'ordre bourgeois de l'époque. Donc expliquons certains termes complexes. Les poches crevées, ce sont des poches trouées. C'est bien le symbole que Rimbaud n'a alors dans ce poème pas d'argent. Il est sans le sou. Ses poches sont trouées, il n'y a rien dans ses poches, elles sont vides. "Mon paletot devenait idéal". Alors le paletot, c'est un manteau, une veste. Le fait qu'il devienne idéal signifie qu'il devient comme une idée, quelque chose d'abstrait, qu'on ne peut plus toucher. En fait, son manteau, concrètement, il tombe en lambeaux, il est certainement plein de trous, et c'est plus réellement un manteau, en tout cas, il ne sert plus sa fonction de manteau. Et il en va de même quand il dit "Mon unique culotte avait un large trou". Une culotte, c'est un ancien mot pour un pantalon, donc son pantalon était troué. Ensuite, il en appelle à la muse. La muse, c'est une figure mythologique, c'est le symbole de l'inspiration. C'est un symbole qui est très important pour les artistes et qu'on retrouve beaucoup dans l'art et la poésie puisqu'elle aide à trouver l'inspiration. Elle aide à l'imagination, à la création. Quand Rimbaud dit qu'il est le féal de la muse, ça veut dire qu'il est son fidèle. Il est entièrement dévoué à l'art de la poésie. "Mon auberge était à la Grande-Ourse", ça veut dire qu'il dormait dehors. La Grande Ourse, c'est une constellation qu'on voit dans le ciel la nuit, donc ce sont des étoiles qu'on peut voir la nuit dans le ciel. Rimbaud dormait dehors, sous le ciel étoilé. Il n'avait pas de toit, de chambre, de maison où dormir. On est vraiment dans le dénuement total, c'est-à-dire dans la pauvreté totale qui, encore une fois, est pour Rimbaud synonyme de liberté. Dans ce poème, Rimbaud est vraiment rêveur. Il met la poésie et l'art au centre de sa vie, au détriment de tout le reste. On le sent quand il dit « Oh là là, que d'amours splendides j'ai rêvées ! » Ça veut dire qu'il a une vie personnelle, émotionnelle, spirituelle qui est très riche. Et c'est d'ailleurs là que son art est à son pic, à son summum. On le sent aussi quand il se compare au Petit Poucet et qu'il dit « Petit Poucet rêveur, j'égrenai dans ma course des rimes » . Le Petit Poucet, c'est ce personnage d'un conte de Charles Perrault où ce petit garçon qui va se faire abandonner dans la forêt sème derrière lui des cailloux. Donc il jette derrière lui des petits cailloux pour pouvoir retrouver son chemin et pouvoir faire ensuite le chemin inverse. Ici, Rimbaud il ne sème pas des cailloux, il sème des rimes. On peut imaginer qu'il a beaucoup écrit pendant ce voyage à pied, qu'il devait avoir des carnets, qu'il a beaucoup rempli, griffonné des beaux mots et de nouveaux poèmes. La place de la nature, elle est importante dans ce poème, à la fois parce que Rimbaud dort dehors, mais aussi parce qu'il passe du temps à observer la nature. Par exemple, il observe les étoiles. Et on sait très bien que les étoiles ne font pas de bruit, qu'on ne peut pas les entendre, et pourtant il dit qu'elles faisaient un doux froufrou. Un froufrou, c'est comme un bruit de froissement, comme un bruit de vêtement un peu. Moi, j'imagine que c'est plutôt le bruit des feuilles qu'il entendait, quand le vent dans les arbres fait bouger les branches et les feuilles, et que lui, perdu dans ses pensées en regardant les étoiles, avec ce bruit de fond, il pouvait associer les deux. Un autre symbole musical, c'est celui de la lyre. La lyre, c'est un vieil instrument de musique, et il compare ses lacets, donc les élastiques de ses souliers, c'est-à-dire les lacets en fait de ses chaussures, à cet instrument de musique. Et c'est un poème nocturne, c'est-à-dire qui se passe de nuit. En plus des étoiles, il parle des ombres fantastiques. Donc ça, on peut imaginer, notamment en fin de journée, quand les ombres sont très longues parce que le soleil est bas, ou même la nuit, quand la nuit est claire et qu'il y a des zones d'ombre vraiment très intenses, très sombres, on peut imaginer beaucoup de choses, de créatures, etc. dans ces zones d'ombre. Le fait qu'il sente les gouttes de rosée sur son front, c'est une autre preuve qu'il a dormi dehors, puisque la rosée, ce sont ces petites gouttelettes, donc de petites gouttes d'eau qu'on retrouve le matin avant le lever du jour. Et donc il y a de l'eau dehors de la rosée, sur les plantes, sur les feuilles, sur le sol, un peu partout. C'est un phénomène naturel, et lui, il a cette rosée directement sur lui. Dans ce poème, Rimbaud met en avant la création poétique qui naît de la pauvreté et de la liberté. Ici, il est un artiste heureux, accompli, épanoui, justement parce qu'il n'a aucune possession matérielle. Et pour lui, c'est exaltant spirituellement. Ça le stimule en termes de création, il se sent libre, il n'a pas d'attache, il est plein de rêves, de jeunesse fougueuse, d'énergie. Il n'a pas d'argent, mais il a ses jambes pour le mener loin et sa tête pour créer de l'art et de la poésie. C'est un très beau poème de jeunesse sur la liberté créative, le détachement matériel, qui personnellement m'a beaucoup touchée quand j'étais adolescente et que j'ai découvert ce poème pour la première fois au collège ou au lycée en l'étudiant en cours. Si vous connaissiez ce poème, j'espère que cet épisode vous en a apporté une nouvelle vision, une nouvelle compréhension. Et si vous ne le connaissiez pas, je vous invite à aller le lire pour prendre le temps d'apprécier la poésie à l'écrit, et le lire à votre propre rythme, maintenant que vous en avez une certaine compréhension du sens. C'est tout pour aujourd'hui dans La Pause Café Croissant, c'était Elo, je vous souhaite une très belle journée, et à demain !
