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qu'il ait eu le courage de son opinion, c'est ce dont se réjouissent quelques admirateurs d'Émile Zola, le félicitant pour ses articles de réfusards. J'accuse, mais avant j'accuse, Zola a écrit plusieurs articles dans le Figaro et des brochures publiées. Un autre admirateur de Zola se dit heureux qu'il y ait encore un seul homme en France qui a le courage de son opinion. Au moment où il lui fait ce compliment, en février 1898, ce courage est en fait partagé par nombre d'artistes. et d'universitaires qui ont signé des pétitions à la suite de la publication de j'accuse, ces pétitions qu'on a appelées après le manifeste des intellectuels. Mais c'est vrai que Zola est un des premiers, un des tout premiers, à avoir fait entendre sa voix pour remettre en cause la culpabilité de Dreyfus établie par le procès de 1894. Le premier article que Zola écrit, donc il l'écrit à la fin du mois de novembre 1897. Zola a été condamné en 1894, c'est à partir de l'automne 1897 Quand le mouvement commence à mettre en question sa culpabilité, notamment le vice-président du Sénat, August Schörer-Kessner, et à la suite de manifestations hostiles à Schörer-Kessner, Zola va le soutenir. D'abord par une première lettre à M. Schörer-Kessner, puis par une série d'interventions dans la presse, dans le Figaro d'abord, puis quand le Figaro ne voudra plus les publier de façon indépendante, en brochure, avant la publication de j'accuse, le 13 janvier 1898, à la une de l'aurore. Mais surtout au cours des deux années les plus intenses de la bataille Dreyfus-Arde, de l'automne 1897, donc, de l'intervention de Schörer-Kessner, à l'automne 1899, au moment où Dreyfus est gracié, des milliers, outre les personnalités du milieu universitaire et du monde des arts, des milliers de Français ont aussi le courage de leur opinion et affirment leur conviction Dreyfus-Arde. en signant des pétitions et en écrivant des lettres de soutien adressées à la famille Dreyfus ou à ses défenseurs. C'est à ces inconnus que ma thèse est consacrée. Ce nom d'inconnu, c'est celui qu'ils choisissent eux-mêmes pour se désigner. Et c'est la manière dont ceux-ci ont affirmé leur opinion que je voudrais ici examiner. Le titre que j'ai choisi, donc « Avoir le courage de son opinion » , outre que c'est une expression qu'on retrouve dans plusieurs des lettres et discutable, puisque selon le moment où ils se sont exprimés et selon la manière qu'ils ont choisi pour le faire, ce courage est plus ou moins grand. Au moment du procès de Rennes, en septembre 1899, donc le procès de Rennes, c'est le deuxième procès de Dreyfus après la cassation, et c'est le deuxième qu'il déclare après ce procès de Rennes. L'une de ses inconnues qui écrit au capitaine Dreyfus, lui écrit « Au moment où votre long martyr va se terminer, où la justice vous sera enfin rendue, où tant de jours épouvantables ne seront plus qu'un souvenir, je tiens à vous dire ma profonde sympathie et tous les voeux que je fais pour l'heureuse issue de votre procès. À présent, capitaine, je sais que nombre de personnes vous sont revenues et que bien des amis inconnus vous ont écrits. Si je mêle mon nom au leur, c'est que j'ai la très grande fierté d'avoir été une des premières Dreyfusard, à une époque où il y avait quelques mérites à avoir le courage de son opinion. Elle prétend, dans la suite de sa lettre, avoir été convaincue dès le mois d'octobre 1897 97 ce qui est peut-être un petit peu exagéré, peut-être une construction a posteriori, mais il est certain que cette correspondante, qui s'appelle Mme René, Louise René, est une correspondante assidue des Dreyfus et donc effectivement une des premières convaincues. Et dans ce court extrait que je vous ai lu, elle se donne deux titres pour définir sa participation à l'affaire. Le premier donc, ami inconnu, c'est un terme très fréquent, dit l'affection pour les Dreyfus et leurs défenseurs, et Dreyfusarn, qui est un mot qu'on trouve plus rarement dans la correspondance. mais qui dit peut-être davantage la conviction, l'inscription dans un parti. Enfin, elle souligne son propre mérite, le courage autoproclamé qu'elle s'attribue, si on le voit, à l'ancienneté de sa conviction, à son caractère, au caractère minoritaire de sa position au premier temps de l'affaire. Et c'est par cet aspect que je voudrais commencer. L'opinion de Réfusard est une opinion minoritaire, avant de voir par quelle voie, par quel mode elle peut s'exprimer, pour examiner dans un troisième temps. la façon dont les Dreyfusards eux-mêmes se définissent. Donc, pour commencer, une opinion minoritaire. La majorité, effectivement, est un petit Dreyfusard. Je vous ai cité un autre extrait, un article paru dans le Progrès de l'Est. Le Progrès de l'Est est un des journaux provinciaux qui se sont convertis le plus tôt à l'affaire. même si c'est tard, mais pour la province, on peut dire que c'était un journal relativement de réfusards. Donc le 16 août 1899, en plein procès de Rennes, donc le procès en révision de Zola, qui commence début août 1899 pour s'achever par une deuxième condamnation le 9 septembre, sous le titre « Pathologie nationale » , Julien Cordier écrit « J'éprouve déjà quelques difficultés et même une certaine humiliation à regarder comme mes concitoyens, les 35 millions de Français dont parlait l'autre jour des roulettes. » Et qui ? suivant lui, refuseront toujours quoi qu'il advienne de voir autre chose qu'un traître dans la personne du condamné de l'île de Diable. Le trait est rude, il a honte, une certaine humiliation à considérer comme ses compatriotes les anti-dréfusards, mais il dit bien cette impression de minorité que partagent tous les défusards. Et dans la suite de cet article, il estime qu'à ce moment de l'affaire, c'est-à-dire un an après le suicide du faussaire Henri, à un moment où une partie, quand même une large partie de l'opinion a progressé dans le sens d'une nécessaire prévision, encore 2 Français sur 3 et 7 journaux sur 10 sont anti-dreyfusards. Donc ces chiffres sont à vérifier. Et pour les journaux, je me réfère à l'étude de Janine Ponty, qui est une historienne qui a consacré sa thèse dans les années 70 à la presse au temps de l'affaire. Et d'après elle, en septembre 1899, au moment du procès de Rennes, à la fin du procès de Rennes, Les antidéfusards représentent encore... 52% des journaux. Les Dreyfusards représentant 31% des journaux. Les autres, qu'elle appelle impartiaux, seraient des journaux qui se sont prononcés pour la révision, c'est-à-dire pour que le procès de Rennes ait lieu sans prendre position pour son issue. La révision leur apparaît nécessaire pour une pacification nationale et parce que le procès de 1894 qui a condamné Dreyfus est entaché d'illégalité. Ils sont d'accord sur l'illégalité du procès de 94, mais ils ne se prononcent pas sur l'innocence ou sur la culpabilité de Dreyfus. Donc on voit que Cordier exagère un peu la situation. C'est vrai que 3 journaux sur 10 seulement sont Dreyfusards, mais ça ne veut pas pour autant dire que 7 sur 10 sont anti-Dreyfusards. Cela dit, les Dreyfusards sont très minoritaires et ils le sont encore plus si on prend en considération les tirages. En termes de tirage, les anti-Dreyfusards représentent 58% des journaux vendus, quand les Dreyfusards représentent seulement 15% des journaux vendus. L'Aurore, qui est le premier journal de Dreyfusard, c'est un journal qui a un tirage très faible, qui au moment de la publication de j'accuse sort un numéro à peut-être 200 000 exemplaires, mais sinon, en rythme de croisière, l'Aurore vend environ 30 000 exemplaires. La Petite République et le journal de Jaurès, qui est également de Dreyfusard, c'est à peu près 30 000 exemplaires. Bon, quand le petit journal en vend à peu près presque 800 000, vous voyez, ce n'est pas du tout la même échelle. Il reste qu'il y a quand même eu une nette progression de la cause Dreyfusard depuis les débuts de l'affaire, puisque en février, selon les chiffres de Jeannine Ponty toujours, en février 1998, c'est-à-dire un mois après la publication de J'accuse, au moment où Émile Zola est jugé pour avoir publié cet article, seulement 7,3% des journaux pouvaient être considérés comme Dreyfusard, et donc moins de 2% des journaux vendus quand on considère les tirages. en fait le moment le plus net de la progression de la cause Dreyfusard, ça a été au début du mois de septembre 1898, le suicide du colonel Henry, le faussaire. Mais après septembre 1898, les choses n'ont plus évolué et les anti-Dreyfusards ont plutôt radicalisé leur position. Autre moyen de mesurer l'opinion et de voir si effectivement deux Français sur trois sont anti-Dreyfusards, comme le dit Julien Cordier, c'est d'examiner l'attitude, disons, de l'opinion telle qu'elle est retranscrite dans les observations de la police. Les études qui ont été jusqu'à présent consacrées à l'affaire utilisent des archives de police, notamment un service qu'on appelait les commissaires spéciaux des chemins de fer. C'était les ancêtres des renseignements généraux en fait. Donc ils faisaient des rapports réguliers sur les réunions qui se tenaient dans leur circonscription et tous les 15 jours ils dressaient un rapport de quinzaine qui donnait l'état économique, la situation économique de leur circonscription mais aussi l'état de l'opinion. Donc ces rapports de quinzaine ne sont pas conservés partout en France, mais on en retrouve dans les archives départementales, et donc ils permettent d'avoir une idée de l'opinion. Très souvent, ils notent l'impassibilité de l'opinion. J'y reviendrai tout à l'heure, cette impassibilité a souvent été lue comme de l'indifférence. Ce n'était pas nécessairement de l'indifférence, ça ne veut pas dire que les gens n'avaient pas d'opinion sur l'affaire, simplement dans certaines petites villes, ils ne la manifestaient pas bruyamment, mais pour autant ils n'étaient pas nécessairement indifférents. Ce qui ressort de ces archives de police, c'est soit cette vague, cette large impassibilité, soit d'autre part des mouvements anti-dreyfusards. Puisque quand il y a éruption, quand il y a manifestation, elle est principalement anti-dreyfusard. Les débuts de l'affaire sont en effet marqués par des manifestations, tant à Paris qu'en province, où dominent très largement, sinon exclusivement, les anti-dreyfusards. Les premières manifestations, en fait... Ensuite, à l'intervention de Schörer-Kessner à la mi-novembre 1897, et c'est sa prise de parole, je vous l'ai dit, qui motive l'entrée dans l'affaire d'Émile Zola, et avec l'apparition de Jacques Huse, ce phénomène va s'intensifier. Les premières manifestations sont surtout le fait d'étudiants, ou tout au moins de jeunes gens qui se rassemblent après les cours, sous forme de petits groupes de monômes. et qui suivent un itinéraire, alors à Paris par exemple, du quartier latin jusqu'au quartier des journaux, qui est autour des grands boulevards dans le 9e arrondissement, et jusqu'au domicile d'Emile Zola, qui habitait rue de Bruxelles dans le 9e arrondissement. Et donc ce ne sont pas des manifestations organisées, ce sont des petits groupes, et leurs manifestations ressemblent parfois à des charivaris, ils font un chat à hue, un toy bouhu sous les fenêtres de Zola, ou sous celles des journaux de réfusards. Ces archives touchent de nombreuses villes françaises, Merci. Et les archives nationales gardent de traces de 69 mouvements pour des mois de janvier et février 1998, c'est-à-dire après la publication de j'accuse et pendant le procès de Zola. 69 mouvements dans 55 villes différentes, pendant les deux premiers mois de l'année 1998. Et ces mouvements rassemblent de quelques dizaines d'individus à plusieurs milliers. Par exemple, il y a eu 4000 manifestants à Angers ou 3000 à Nantes. Et soit c'est un défilé unique, soit ça dure plusieurs jours. Par exemple, à Perpignan, plusieurs jours des meutes. à Paris, je vous l'ai dit Ces cortèges éclosent le jour même de l'apparition des accuses et se poursuivent et s'amplifient tout au long du mois de janvier, encouragés par la propagande nationaliste. Sans vraie réponse, réfusarde. Très rares sont en effet des exemples de cortèges de réfusards. J'ai dépouillé toutes les archives nationales, les préfets envoyés au ministère de l'Intérieur, ou les plus importants de ces rapports, et j'ai dépouillé une trentaine, un peu plus de trente dossiers dans les archives départementales. et pour le mois de janvier, à part quelques cris hostiles. devant les manifestations anti-dreyfusardes à Paris. Le seul exemple de vrai contrepartie, de vrai riposte dreyfusarde, c'est à Lille, où les partis socialistes lillois organisent un vrai système de réponse aux anti-dreyfusardes. Ils prévoient même, ça aurait été utile aujourd'hui, de mettre des vélos à disposition de leurs partisans pour, si jamais un des membres de ces groupes politiques signale une manifestation anti-dreyfusarde, ils font une troupe vélocipédique pour se rendre sur les lieux. Et la manifestation est assez violente. Pour l'anecdote, il y a un anti-dreyfusard qui porte plainte à Lille parce qu'il a reçu un coup de poinçon dans les fesses d'un dreyfusard. Voilà. Mais même si les Lillois sont virulents, c'est vraiment le seul exemple qu'on trouve. Après la flambée de janvier et de février 1998, ces manifestations ne disparaissent pas et éclatent de façon plus ponctuelle lors de tournants, dans les progrès de l'affaire ou lorsque l'actualité locale le rend nécessaire. Par exemple, à Nantes, en décembre 1898, il y a eu... une manifestation nationaliste, une conférence nationaliste qui est organisée pour Guérin et Millevoix. Et en réaction à cette conférence nationaliste, il y a une manifestation favorable à Dreyfus cette fois, ou à Marseille en février 1999, le nationaliste Marcel Haber vient faire une conférence, et les Dreyfusards ripostent, et là aussi la manifestation tourne à l'émeute. Donc ces manifestations sont donc dictées par des circonstances locales liées à l'affaire, qui n'y s'est pas encouragée par des partis de gauche, mais Elle rassemble au-delà des milieux militants. La manifestation de Nantes dont je viens de parler se prolonge en une réunion de soutien au colonel Picard, l'un des défenseurs de Dreyfus, qui rassemble 3000 personnes. À Paris aussi, ce sont les socialistes et les anarchistes qui prennent en charge l'organisation de manifestations ou de contre-manifestations Dreyfus-Arne à partir de l'automne 98. Et ce sont aussi leurs militants qui sont les plus nombreux dans les rues. Donc aux premières manifestations, ils sont majoritairement étudiantes, succèdent donc des mobilisations Dreyfus-Arne. plus ou moins encadrés par des partis socialistes, réaction aux premières ou à des événements pour les anti-dréfusards. Parce que tout au long de l'affaire, même si les dérefusards vont commencer à se manifester dans la rue, ces rassemblements sont dominés, les anti-dréfusards tiennent le haut du pavé. A Paris comme en province, en 1899 comme en 1898, l'initiative dans la rue appartient aux adversaires de la révision. Les exemples que je vais vous citer, que ce soit celui de Lille, que ce soit celui de Nantes, sont des cas où les Dreyfusards ne proposent qu'une réaction aux anti-Dreyfusards. Et à Paris aussi, jusqu'à la manifestation de Longchamp, qui est la manifestation la plus célèbre, en juin 1999, les Dreyfusards sont très minoritaires. Sur ce terrain-là, celui de la rue, les Dreyfusards semblent moins bons à se mobiliser que leurs adversaires. Partout, il s'agit d'une simple réaction, une réaction dans le temps et aussi une réaction dans la manière. C'est-à-dire que les Dreyfusards vont finalement adopter les modes de manifestation des anti-Dreyfusards. Je vous ai dit pour Paris que c'était des petits groupes qui manifestaient, qui allaient crier sous les fenêtres, et que ça ressemblait plus à du charivari qu'à une vraie manifestation organisée. Ça sera pareil pour les anti-Dreyfusards, au moins jusqu'à cette manifestation de Longchamp. Quand à Montpellier, par exemple, les anti-Dreyfusards ont fait du chahut dans un cours d'un professeur Dreyfusard, Et bien inversement, les Dreyfusards vont attendre à la sortie d'un cours un professeur anti-Dreyfusard pour le secouer un petit peu. Et de même, quand il s'agit de manifester dans Paris, on va manifester sous les fenêtres de la libre-parole. Ainsi, dans la chronologie comme dans la manière, les anti-Dreyfusards ont eu l'initiative en ce qui concerne la manifestation de rue. Et même donc la manifestation de juin 1999, celle la plus réussie pour les Dreyfusards, c'est une réponse. Ça se passe lors des courses de Longchamp. et c'est une réponse à la manifestation qu'il y a eu quelques jours plus tôt à Auteuil, et qui était anti-dréfusard. Donc la manifestation de rue n'est donc pas le mode de mobilisation de prédilection des défusards. Minoritaire dans la presse, minoritaire dans la rue, il y aurait effectivement un vrai courage à s'affirmer pour les défusards. Oui, il y a un courage, les risques sont encourus parce que ces manifestations sont violentes. Par exemple, à Nantes, la manifestation de janvier 1898... va dans le périple du cortège et ponctuer de station devant les établissements juifs, les magasins juifs, et il y aura des bris de vitrines, des cris d'insultes sous les fenêtres du Phare, qui est le seul journal qui est un journal à tendance révisionniste, et aussi devant l'hôtel des postes pour huer le receveur principal des postes, qui s'appelle M. Dreyfus, et que la rumeur fait oncle de Dreyfus. Ce n'est pas la seule occasion où ce M. Dreyfus va être chahuté. Quelques mois plus tard, en novembre 1998, le commissaire principal de la ville rencontre à son préfet d'une bagarre qui a eu lieu dans un café, le café de Strasbourg, puisque M. Dreyfus dit au commissaire, « L'oncle de Dreyfus a été mis à partie par quelques clients de l'établissement. » Il paraît que ce n'est pas la première fois que M. Dreyfus se fait tant sévertement en prenant la défense de son neveu, dont il proclame hautement l'innocence. Mon Dreyfus est un nom bien difficile à porter. Dans la correspondance de Mme Dreyfus, on trouve la lettre d'une autre Mme Dreyfus qui explique combien c'est difficile, effectivement. Mais il suffit d'être Dreyfusard. Outre les homonymes du capitaine, quelques Dreyfusards sont molestés. Par exemple, un autre 1899, un Parisien porte plainte parce qu'il dit avoir été frappé au visage avec un coup de poing américain par un jeune qui aurait dit « Tu es Dreyfusard, voilà pour toi » .
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Sans aller jusqu'à ses extrémités, effectivement, le risque est d'abord un risque, les plus graves menaces qui pèsent sur les Dreyfusards sont celles des sanctions professionnelles. Il existe des exemples célèbres, le doyen de la faculté de Bordeaux, Stapfer, a été démis de ses fonctions, le pasteur Louis Comte, pasteur de Saint-Etienne, a été également privé de son traitement, mais également parmi la population Dreyfusarde, on trouve des exemples. Par exemple, en décembre 1998, l'Aurore publie une annonce pour recommander un ouvrier de 32 ans qui a été licencié pour fait de dréfusisme, pour avoir milité en faveur de la révision et demande, essaye de lui trouver une place. Plus simplement, enfin, on pourrait dire que l'affaire, le principal risque est celui de se fâcher avec ses amis. L'affaire est un facteur de recomposition sociale. Il y a une caricature qui est très célèbre de Carandache, n'en parlons pas, ils en ont parlé, qui présente un repas de famille, où la table est à la fin, le banquet est sans dessus dessous, parce qu'ils ont parlé de l'affaire Dreyfus. Cette caricature est très connue, il y en a d'autres. Il y a une autre image de l'affaire, où on voit un couple dans un lit, et c'est une véritable scène de ménage, ils se battent. Le mari a au-dessus de sa table de chevet une petite affiche avec le portrait de Zola. Le slogan « Vive Zola » , alors que la femme a un portrait d'Esterhazy, le vrai coupable, et inscrit « Vive Esterhazy » . Et donc, ils se battent, la femme est échevelée, ils sont moitié nus dans cette bataille conjugale. Bon, ces images prêtent à sourire, mais elles sont révélatrices de l'étonnement des observateurs quant à l'impact de l'affaire sur l'intimité des relations familiales et sociales des Français. Il y a un journaliste de l'Aurore qui explique aussi, qui raconte... En visite dans une ville de province, il y a de désarroi dans les relations sociales, chez soi, dans la rue, au café. Le nom de Dreyfus devient motif de querelles et de brouilles. Les femmes s'en mêlent. Ce que le train-train de la politique n'avait pu faire, l'affaire l'a réalisé. Les ménages sont divisés jusqu'à la séparation sur la question de la culpabilité ou de l'innocence du prisonnier de l'île du diable. L'opposition entre Dreyfusard et anti-Dreyfusard s'est donc immiscée entre les parents et les amis. L'affaire est devenue un critère de maintien ou de rupture. un critère d'amitié ou d'inimitié. Ce n'est pas seulement une exagération des caricaturistes. On trouve des exemples dans les correspondances des Dreyfus, d'inconnus qui ont soutenu les Dreyfus, et qui racontent l'hostilité à laquelle ils ont été en but. Par exemple, un médecin de Saint-Dié explique qu'à partir du moment où son nom est paru dans une pétition, il a été désigné à la vindicte publique, il a perdu des clients. Les femmes des officiers par qui il rendait visite qui venaient prendre le thé chez sa femme ne sont plus venues. Et donc ces ruptures n'ont pas eu lieu seulement dans des milieux privilégiés. Tous les milieux semblent concerner, même les plus modestes, même les moins intellectuels. Un travailleur lyonnais qui s'avoue presque illettré, et ce n'est pas de la coquetterie quand on lit sa lettre, souligne combien l'affaire lui a coûté de relations sociales. Je vous le lis, mais ce n'est pas toujours très clair. C'est écrit, il est effectivement presque illettré. Il est impossible de vous dire... Tout insulte que j'ai été abreuver dans tous les milieux où je me suis trouvée, sur 30 hommes représentant l'administration d'une société de 29, était contre moi. Dans les cafés au travail et ailleurs, c'était la même chose, en commençant par Prussien, vendu et autre titre, tout aussi flatteur. Quand le hasard me rapprochait de trop rares révisionnistes, c'était pour moi des amis. » Parce qu'effectivement, l'affaire est aussi, pas seulement un motif de rite, mais parfois une façon de nouer de nouvelles amitiés. Il est évidemment difficile de faire la part entre le ressenti et la menace réelle qui pesait effectivement sur les relations sociales, sur la vie professionnelle. Mais le caractère minoritaire de la conviction de Dreyfusard est certain, et ceux qui s'affirmaient comme tels devaient affronter leur entourage. Le témoignage du médecin de Saint-Dié, que je vous ai résumé, suggère une différence entre le moment où il s'est affirmé simplement Dreyfusard et le moment où il a signé une pétition, C'est-à-dire... où son nom est paru dans la presse, entre l'expression privée et sa publicité. C'est cet aspect que je voudrais voir dans un second temps. Je vais résumer mon propos. Les modes d'expression de Réphisa, de nombreux travaux se sont penchés sur l'affaire et ont été étudiés soit la presse, soit les effets sur les élections, soit les archives de police. Notamment dans les années 1990, en 1994 et en 1998, pour l'anniversaire de la condamnation de Zola, puis l'anniversaire de Jacques Huse. Il y a eu de nombreuses publications, et notamment des publications anglo-saxonnes, qui ont dénoncé l'importance qu'ont donné en France à l'affaire Dreyfus. Notamment, il y a un auteur américain qui s'appelle Michael Burns, qui a écrit un article dont le titre est « Qui ça, Dreyfus ? » . citant un ou une garde barrière breton qui, lorsque Dreyfus est ramené à l'été 98 de l'île du Diable en France, c'est le garde barrière de Port-à-Liguen, l'endroit où Dreyfus débarque, et il aurait dit « qui ça Dreyfus ? » . En fait, cette anecdote, on la trouve aussi dans une histoire de l'affaire Dreyfus parue au début du XXe siècle de Joseph Renac. On la trouve dans la presse à l'époque. Je pense qu'il faut la prendre avec des pincettes. Enfin, peut-être que c'était le seul garde-barrière de France qui n'était pas au courant, parce que vraiment... Au moment du retour de Dreyfus, il y a une grande publicité qui est donnée à l'affaire et à ce retour. Et surtout, ces études qui ont relativisé l'impact ont étudié, je vous ai dit, les archives de police, qui parlent effectivement de l'impassibilité ou bien de la force anti-Dreyfusard. Il faut bien avoir conscience que les policiers ou les préfets qui écrivaient à leur hiérarchie n'assistaient peut-être pas sur les problèmes qu'il y avait dans leur circonscription. Ils avaient tout intérêt à montrer que tout se passait bien. J'ai étudié deux autres moyens de se mobiliser, je vous l'ai dit, la pétition ou la lettre. Je vais rapidement voir ce que ça implique. Le premier moyen de mobiliser l'opinion de réfusarde, c'est la pétition. Le fait de signer une pétition est en effet le moyen de se mobiliser qui semble a priori le plus facile. Il suffit d'envoyer son nom à la suite du texte d'adresse de pétition à l'un des organes chargés de la recueillir. De nombreuses pétitions ont été lancées et soutenues au moment de l'affaire. C'est le camp Dreyfusard qui en a eu l'initiative avec le Manifeste des intellectuels en janvier 1998, qui a recruté des signataires essentiellement dans les milieux universitaires et littéraires de la capitale. Mais après cette première tentative, les pétitions se sont multipliées dans les deux camps. Pour les Dreyfusards, on a fait deux appels aux femmes de France, qui sont lancées au printemps 1898, et qui demande aux PAM de signer pour... que l'on autorise Lucie Dreyfus à se rendre à l'île des Diables au chevet de son mari et à lire sa correspondance non censurée. Voilà, une pétition de soutien à Picard à l'automne 1898, qu'on a appelée après l'hommage des artistes à Picard, qui est la pétition la plus importante, qui ressemble à environ 43 000 signatures, et s'y ajoute diverses souscriptions, avec un don, qui invite à différents moments de l'affaire les lecteurs des journaux révisionnistes. à soutenir l'affaire. Donc on fait une souscription par exemple pour la diffusion de brochures révisionnistes, pour donner de l'argent pour publier de la propagande, une souscription ou alors parfois l'édification d'oeuvres symboliques à la gloire des grands serviteurs de la cause. On fait une médaille pour Zola, un monument pour Schörer-Kessner, etc. Quant aux anti-dreyfusards, ils attendent l'automne 98, donc les premières dreyfusards c'est janvier 98, et l'automne 98 pour une souscription qui a été lancée par la Libre Parole et qui s'appelle le Monument Henri. qui est très violemment antisémite. Cette souscription peut être comparée à l'hommage à Picard, parce qu'elles sont concomitantes, les deux ont lieu à l'automne 98, et même si le monument Henri, l'antidréfusard, n'est une souscription alors que l'autre est une simple protestation, mais on peut comparer les chiffres, et la souscription Henri rassemble environ 20 000 noms, alors que la souscription pour Picard en rassemble 43 000. Donc on le voit, sur le terrain de la pétition, ce sont les tréfusards qui ont l'initiative et qui ont la victoire en termes de chiffres. En signant une pétition qui va être publiée dans un journal national, les protestataires prennent effectivement le risque d'être reconnus et c'est peut-être là que réside le courage de leur opinion. Le geste, le fait de signer une pétition n'est pas anodin, il expose celui qui signe et certains expriment des réticences. On peut quand même, puisque sur 43 000 noms, il y a une centaine simplement d'anonymes et le caractère, c'est un peu paradoxal de signer une pétition sans donner son nom. Mais c'est à la fois vouloir se recenser. vouloir compter parmi les tréfusards sans s'exposer aux sanctions qui pourraient en découler, sans subir les répercussions de ce geste. Alors le premier risque qui est évoqué, c'est le risque professionnel. Par exemple, certains signent en ajoutant « emploie l'anonymat » de perdre la répression de la part de leur patron. Parfois, cette menace apparaît plus explicite, notamment pour les fonctionnaires. Un fonctionnaire alsacien regrette de ne pouvoir se nommer parce qu'il n'a que son poste pour vivre. et qu'ils craignent que la lâcheté gouvernementale le lui enlève. Quand ils ne craignent pas cette sanction pour eux-mêmes, ils la craignent pour leurs proches. Certains ont un frère, un parent, un fils militaire par exemple, et donc ils ne peuvent apporter leur signature. Donc ces inconnus choisissent à regret d'adopter l'anonymat, et donc leur intention est d'augmenter le nombre de signataires, d'ajouter une unité à la liste. On ne connaît pas les modalités de collectage des signatures. Les services de police signalent parfois que les listes sont diffusées dans leur circonscription, sans toujours dire comment. Dans les menus universitaires, par exemple, la liste circule. Certains partis politiques l'ont également signée. Parfois, ce sont des individus, par exemple, à Montbéliard, le pasteur. ou parfois des commerces. À Marseille, il y avait une petite pancarte sur un café. Ici, on signe la pétition de l'aurore. La signature de la pétition est donc un geste simple, mais elle engage certains au-delà du simple fait de signer puisqu'il y a bien un des individus qui se charge de la faire tourner, de la faire passer de main en main. Certains défenseurs plus aînés de l'innocence investissent plus activement en les faisant signer dans leur entourage. Et d'ailleurs, les journaux encouragent cette circulation. Par exemple, en septembre 1999, après la condamnation de Zola, de Dreyfus, une pétition est lancée par l'Aurore. Et un article dans le journal écrit « Pétitionner est peu de chose si chaque signataire ne s'impose pas à la tâche de gagner le plus grand nombre de signatures. » Il faut donc dire son opinion, mais aussi faire l'effort de la faire partager. et avoir de l'influence sur le reste de l'opinion. Je finis sur la pétition pour dire que ce qu'on appelle pétition aujourd'hui, ça ne s'appelait pas pétition mais protestation, puisque ce qu'on désigne entre fois par pétition, c'était une pétition adressée aux chambres ou au pouvoir, une pétition adressée au Parlement pour faire une requête. Et ces pétitions inscrites, le droit de pétition est inscrit dans la Constitution depuis la Révolution française, et à la fin du XIXe siècle, au moment de l'affaire, les pétitions... Dans leur forme originale, des requêtes à porter au pouvoir ont tendance à devenir désuètes et ne sont pas trop encouragées par les républicains parce qu'elles sont considérées comme une concurrence au droit de vote. Puisque tout le monde a le droit de vote, il n'est plus nécessaire de faire des pétitions. Le seul avantage des pétitions, c'est que c'est un droit individuel et pas un droit politique. C'est-à-dire que les femmes, et elles ne vont pas s'imprimer, ont le droit de signer des pétitions quand elles n'ont pas le droit de voter. Et ce qui est intéressant, c'est qu'au moment de l'affaire Dreyfus, avec cette publication dans la presse, le sens de la pétition change On détourne la pétition puisqu'il ne s'agit plus seulement de faire pression sur le pouvoir, mais il s'agit vraiment de mettre en scène son opinion, d'en faire un argument pour conquérir de nouveaux partisans, soit par le nombre, soit par les qualités, puisque les intellectuels ajoutaient leurs qualités, mais les gens ordinaires disant les ajouter aussi pour montrer au reste de l'opinion finalement que tout le monde, un pauvre, s'est engagé pour Dreyfus. Donc le sens initial de la pétition destinée au pouvoir change. pour devenir un argument de l'opinion pour l'opinion, je dirais. Voilà. Deuxième moyen que j'ai étudié, c'est la lettre. C'est le deuxième moyen de se dire Dreyfusard. Et j'ai étudié donc les lettres adressées à des personnalités politiques engagées dans l'affaire, à Zola et au Dreyfus. Alors, il semblerait a priori que la lettre nécessite moins de courage, puisqu'elle n'est pas publiée. Finalement, le courage de ceux qui écrivent une lettre réside dans le fait de vaincre sa timidité. et de s'adresser à une personnalité aussi célèbre qu'Emile Zola par exemple. Très nombreux sont les anonymes qui n'osent pas écrire et qui répètent le fait qu'ils ne sont que des petites gens, qu'ils sont modestes, qu'ils sont humbles, qu'ils craignent de ne pas avoir les mots nécessaires pour exprimer leur soutien. Parmi ceux qui écrivent des lettres, certains aussi insistent, réclament que leurs lettres ne soient pas publiées et réclament l'anonymat. Ils l'expliquent de façon plus ou moins longue. Ils écrivent par exemple « Cette lettre n'est pas destinée à la publicité » ou ils réclament même que la lettre soit détruite. Par exemple, une receveuse des postes, dans l'un, qui dit avoir longtemps hésité à écrire sous la pression familiale, et finalement, elle se décide à lui écrire, mais elle réclame que sa lettre soit détruite. Donc, je vous l'ai dit, ils redoutent de ne pas bien savoir exprimer leur admiration, mais qu'ils écrivent à Lucien Riffus ou à Emile Zola, ils choisissent bien, après avoir averti leur lecteur de leur incompétence. de manifester sinon publiquement, du moins explicitement, leur choix de Dreyfusard. Et leurs lettres leur donnent la possibilité de le faire longuement, d'expliquer le cheminement qui les a conduits à l'innocence de Dreyfus, ou de suggérer de nouvelles pistes argumentatives pour la défense de Dreyfus. Que ce soit citer à une manifestation, embosser une pétition, ou écrire à une personnalité Dreyfusard, tous ces moyens sont donc des façons de se déclarer Dreyfusard. Ces modes de soutien à la cause du capitaine ne sont évidemment pas concurrents l'un de l'autre. puisqu'il existe de multiples exemples de Français qui sont mobilisés de ces diverses manières, et ils n'exigent pas le même investissement et ne prétendent pas aux mêmes effets. Et surtout, ils n'ont pas le même succès dans l'opinion de Dreyfusard. Et en effet, on constate que les modes de mobilisation par l'écrit, la pétition ou la lettre, ont eu plus de succès chez les Dreyfusards que la participation à des manifestations. Et finalement, ce choix d'un mode d'expression par l'écrit apparaît finalement dans une logique Dreyfusard. Ce serait la lettre ou la pétition sont des moyens de se déclarer Dreyfusard plus conforme à l'éthique défendue par les intellectuels Dreyfusard. Finalement, signer une pétition ou faire une lettre, c'est le faire à la suite des intellectuels qui eux-mêmes écrivent des lettres ouvertes dans les journaux ou signent des pétitions, et qui en général sont des républicains modérés et qui n'apprécient pas les débordements agités de la foule dans les rues. La pétition ou la lettre apparaissent comme des moyens plus en harmonie que les manifestations avec la bataille livrée par les Dreyfusards intellectuels ou politiques. Dans une troisième partie, rapidement, je voudrais voir comment le fait d'être Dreyfusard est dans ces lettres un titre revendiqué et donc quels sont les mots pour se dire Dreyfusard. Je l'ai dit, le terme greffusard ou greffusiste n'apparaît que rarement, il a encore un sens relativement péjoratif, et beaucoup adoptent une voie... affectives en fait pour déclarer leur addition. Mais quel que soit le ton de l'affirmation de l'appartenance au camp Dreyfusard apparaît comme la revendication d'une identité. Il se dit Dreyfusard soit pour répondre aux accusations adverses, c'est une façon de revendiquer son caractère Dreyfusard malgré finalement l'hostilité. Par exemple, le deuxième article publié par Zola dans la presse, le 1er décembre 1997, s'appelle Le syndicat, puisqu'on accusait les Dreyfusards d'avoir... un syndicat et Zola finit son article en disant « Eh bien j'en suis » . C'est une façon finalement face à l'hostilité de vraiment affirmer son réfusisme. Et parallèlement à cet article, un Parisien par exemple écrit à Zola et lui dit « Mon cher maître, vous êtes absolument dans le vrai et moi qui suis chrétien de père en fils depuis Jésus-Christ, je m'honore de faire partie du syndicat. Après dire, j'en faisais partie bien avant qu'il existât. » Et il conclut et dit qu'il y a du courage à parler ainsi. C'est aussi un moyen d'assurer les leaders Dreyfusards qu'ils ont des partisans, qu'ils ont des adeptes. Par exemple, toujours à Zola, une lettre. Monsieur, la réhabilitation de Dreyfus honore l'humanité en général et la France républicaine en particulier. Vous avez été un ouvrier courageux et persévérant de cette grande œuvre qui marque une date dans l'histoire du progrès de la civilisation. Il est naturel qu'aujourd'hui vous receviez des chaleureuses réhabilitations d'un des innombrables et obscurs Dreyfusards. auquel vous avez ouvert la route et indiqué le devoir. Mais elle est aussi une fierté, pour dire l'ancienneté de leur conviction. Les Dreyfusards qui écrivent réclament, se disent les premiers convaincus des Dreyfusards de la première heure. Ce n'est pas toujours vérifiable. Par exemple, en septembre 1999, après la grâce de Dreyfus, un Parisien en partance pour l'Amérique sollicite le capitaine pour une entrevue, pour enfin voir son héros. Et il lui dit « Ne me dites pas non, ne fût-ce qu'à cause de ma qualité de Dreyfusard de la première heure. » Alors, soit ils en soulignent l'ancienneté, soit ils en soulignent la ferveur. Et donc, c'est une manière de s'affirmer, d'affirmer des valeurs et une identité Dreyfusard, et de s'inscrire dans le mouvement initié par les intellectuels. Et c'est aussi dans ce sens que l'on pourrait lire l'insistance sur les risques et sur les désagréments que l'on trouve dans les lettres Dreyfusard. Un autre correspondant de Zola lui écrit « Pendant tout le cours de l'affaire, je restais de Riffusa, en dépit de mes supérieurs, qui me voyaient lire l'aurore avec une désapprobation marquée. » « Et rien ne se fait dans notre bureau qui ne soit su au bon endroit, et je vous donne à penser dans quelle situation je me trouve au milieu de ces gens. » « Ce ne sont que tracasseries de toutes sortes, vexations, humiliations, accusations mensongères, besognes absurdes et inutiles, etc. » « Hélas, il faut manger, et je n'égare le loisir de les envoyer faire fiche, car dès le lendemain, je me trouverai sur le pavé avec ma compagne. » D'autre part, je ne suis pas encore souveraine. » Donc les exemples cités dans la première partie pourraient être repris ici. Il n'est pas question de nier la difficulté à s'affirmer Dreyfusard dans une France qui ne l'est pas, notamment dans certains milieux, mais l'exposé de ces difficultés rend évidemment plus méritoire l'attachement à la cause du capitaine Dreyfus et est susceptible de créer une complicité entre les intellectuels Dreyfusards, en proie à la foule, et les inconnus Dreyfusards. qui dans leur propre environnement s'ouvrent de leurs convictions. Au total, se dire Dreyfusard, c'est s'affirmer un honnête homme, et c'est se montrer courageux, et c'est aussi une façon de construire une estime de soi, comme homme et comme citoyen, en se démarquant notamment de la foule inconsciente. Le fait d'être minoritaire est alors un motif de fierté. C'est une façon de se distinguer de la foule vulgaire et violente qui suit les nationalistes. L'affaire éclate à un moment. ou d'intenses réflexions sur la foule, où il y a toute une réflexion scientifique sur la foule. La science dite la psychologie des foules, née au moment, à la charnière des années 1880 et 1890, c'est un sujet de nombreuses publications et de controverses, notamment avec Alfred de Tarde, Gustave Lebon, etc. Il y a tout un courant de réflexions sur la psychologie des foules. C'est ce qu'on a aussi appelé l'anthropologie criminelle. Ça dépendait de l'anthropologie criminelle. et Même s'il y a des nuances et d'arbres controverses, tous les ouvrages qui paraissent quelques années avant l'affaire décrivent la foule comme irrationnelle et violente. Et s'ils estiment qu'un homme seul peut résister à ses instincts, la foule en paraît incapable. D'ailleurs, les comparaisons qui sont choisies pour la foule sont très significatives. On compare la foule à une bête, les hordes par exemple. Et ça c'est une comparaison relativement ancienne, mais à la fin du 19e, de nouveaux comparants apparaissent. Les femmes, le pire étant les foules de femmes, parfaitement irrationnelles, ou les alcooliques. Pas les femmes alcooliques, parce que ça on avait déjà constaté que c'était moins courant que les hommes alcooliques. Mais bon, les femmes influençables, irrationnelles, la foule des femmes à Versailles, enfin les exemples ne manquent pas. De femmes échevelées et hystériques. donc dans la foule, les individus. comme les femmes, ne sont plus maîtres d'eux-mêmes et ils sont portés à la violence. Donc l'idée c'est que la foule est très suggestible, qu'elle cède facilement à l'influence d'un leader charismatique. Ces réflexions ont été nourries par l'exemple de Boulanger. Et la presse et la littérature de Dreyfusard trace un portrait assez peu flatteur des foules anti-Dreyfusard. Par exemple, l'aurore évoque les colères de la foule affolée de mensonges, ou lors d'une conférence à Marseille, le conférencier Dreyfusard parlait aussi de la foule irresponsable. Et donc cette image d'une lente fille de Réfusard. et reprise dans les lettres d'inconnus, qui de ce fait, du coup, étant eux-mêmes hors de la foule, c'est une manière de s'affirmer comme des êtres réfléchis et posés. Par exemple, lors du procès de Zola, des Lyonnais lui écrivent un télégramme, et lui disent que nous sommes nous à Paris pour vous suivre au milieu de cette foule imbécile, et lui écrivent « Vive Zola ! » dans une autre lettre, un autre écrit. je ne puis que mesurer dans toute sa grandeur l'héroïsme qui vous porte à vous exposer au périlleux honneur d'être méprisé et haï par les foules inintelligentes brutales et inconscientes donc en s'affirmant comme ceux qui résistent aux influences de la foule ils soulignent leur honnêteté leur force de caractère leur réflexion la foule lâche vous jette des pierres la minorité qui voit plus loin et que la velourie n'abétit pas vous a déjà jugé je m'honore d'en faire partie et vous réitère l'assurance de ma sympathie et de mon entier développement. Aux injures dont vous abreuvent la foule inconscience, il est bon d'opposer les licitations de ceux qui admirent votre courage et votre foi dans la vérité. Je suis de ceux-là. » Être de ceux-là, c'est donc partager une certaine idée de la France et de l'humanité. C'est une autre manière, non seulement de se ranger dans le camp de Réfusard, mais aussi dans le camp des intellectuels. Enfin, en se déclarant de Réfusard, les inconnus qui écrivent à Réfus ou à ses défenseurs ont des revendications d'authenticité. Face à la campagne d'injure des anti-dréfusards, les défenseurs du capitaine se proclament les vrais, les bons, les vrais artistes, les vrais patriotes, les vrais républicains, les vraies femmes, les vraies mères, les vrais français, les femmes vraiment françaises, les vrais chrétiens, le vrai peuple. Le peuple ouvrier, le vrai peuple est pour vous. Les vrais honnêtes gens. Au total, la vraie France. Vous aviez pour vous depuis deux ans l'élite de la France pensante. Depuis longtemps, vous aviez les ouvriers. Voici que viennent les paysans. l'élément résistant de la nation, la vraie France. Voilà. Et ils luttent tous pour l'honneur de cette vraie France, en espérant que l'honneur sera rendu par la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Enfin, et cette fois vraiment pour finir, se dire Dreyfusard, c'est aussi faire le choix de la postérité. L'idée que l'histoire jugera est très fréquente. Une correspondante de Mme Dreyfus de Nancy, Lucille Charleville, lui écrit « L'univers entier, les gens honnêtes et intelligents qui forment en France une imposante minorité, sont convaincus de votre innocence. Il ne reste plus que les antisémites qui veulent que vous soyez coupables et qu'un acquittement unanime n'aurait pas fait taire. Le syndicat de haine et de violence les paye trop bien pour qu'ils cessent d'aboyer et de mordre. Qu'ils continuent. La postérité les jugera. Voilà, donc se dire Dreyfusard, c'est l'acte d'un certain courage face à une opinion qui est très majoritairement anti-Dreyfusard, dans un contexte de crise, de violence, d'injure, un acte d'autant plus courageux pour ceux qui appartiennent à des milieux qui ne leur permettent pas d'avoir une indépendance sociale. Se dire Dreyfusard, c'est aussi se réacclamer de certaines valeurs partagées avec les défenseurs célèbres du capitaine, une certaine idée de la justice, un refus de l'arbitraire, de la raison d'État, des haines antisémites. Se dire Dreyfusard, c'est enfin s'affirmer comme un homme de raison, qui réfléchit, qui examine les preuves, qui n'est pas impressionnable, qui ne subit pas la contagion des foules. Et à cet égard, je voudrais citer juste un exemple dans les Landes, dans les archives départementales des langues, où on trouve une petite controverse. Quand le jugement de 1994 a été cassé et que la Cour de cassation a renvoyé Dreyfus devant un second tribunal militaire, devant un second conseil de guerre, il a été décidé par l'Assemblée d'afficher dans toutes les communes de France cet arrêt de la Cour de cassation. Et certains maires s'y sont refusés, s'exposant aux sanctions de la préfecture. Et dans les Landes, au Dur, un paysan local, constatant que le maire de son village n'avait pas affiché l'arrêt de la Cour de cassation, écrit au préfet. et s'ensuit un échange de lettres entre le préfet, entre le maire, pardon, oui, il écrit au préfet, et donc s'ensuit un échange entre le maire du village et le préfet du département des Landes. Et un peu exaspéré, le maire écrit « Je ne savais pas qu'il y avait des intellectuels dans ma commune » . Et effectivement, pour finir, se dire Dreyfusard, c'est vouloir être un citoyen intellectuel, même quand on est un paysan des Landes. Juste, je voulais vous demander si vous pouviez nous donner une idée du nombre de lettres sur lesquelles vous avez pu travailler. Des lettres, il y en a, je dirais, il y a beaucoup de lettres. Moi, j'ai travaillé que sur les lettres françaises. Donc, au total, 6 à 7 000 lettres à peu près.
- Speaker #1
Des gens autrement que des antisémites primaires et qui n'étaient donc pas des vrais Français, puent changer d'opinion et est-ce que le courant de sympathie de Dreyfusard a augmenté ?
- Speaker #0
Non, en fait, on ne trouve plus très peu de lettres après 1899. En fait, Dreyfus, il est condamné le 9 septembre et puis il est gracié le 19. Et après la grâce, même s'il y a des lettres de gens qui disent qu'ils poursuivront, à part les adeptes les plus vifs, il y en a, il y a des gens inconnus parfaitement qui continuent à écrire. Par exemple, le médecin que je citais, le médecin des Vosges, mais dans l'ensemble, disons que l'affaire n'est plus au cœur de la presse, et donc ça passe. Surtout qu'il y avait un traitement, là je n'avais pas le temps, j'ai choisi un angle, mais il y a un traitement très affectif de l'affaire, surtout pendant l'absence de Dreyfus, et les femmes notamment. On plaint beaucoup de Mme Dreyfus qui est seule, et de Dreyfus qui meurt à l'aide du diable. Et en fait, quand le héros retrouve l'héroïne, l'affaire est finie pour beaucoup quand même. Voilà, oui.
- Speaker #2
Je voudrais vous interroger au sujet des motivations des Dreyfusards. A-t-on une idée, si on l'a étudiée, de la part respective du désir de recherche de la vérité dans le procès Dreyfus, et de la défense de l'homme Dreyfus lui-même, et de la part de l'antiblitarisme et de l'anticléricalisme des milieux progressistes de l'époque ?
- Speaker #0
Alors oui, c'est un peu le sujet de ma thèse, c'est difficile, c'est une question qui prendrait beaucoup de temps. Il y a beaucoup d'intérêt pour l'homme Dreyfus. Vincent Duclert, qui est un spécialiste d'affaires Dreyfus, a fait paraître une biographie du capitaine Dreyfus récemment, puisque les historiens, d'après lui, jusqu'à présent, avaient délaissé Dreyfus, qui apparaissait comme un personnage un peu fade, pas l'eau et pas très intéressant. Et même au lendemain de l'affaire, certains de ses défenseurs auraient dit que si lui-même n'avait pas été le capitaine Dreyfus, il n'aurait pas été Dreyfusard. En fait, si on lit la correspondance, il y a un grand intérêt pour l'homme. Il y a des gens qui écrivent des lettres un peu anecdotiques, qui s'inquiètent de sa santé, qui au moment où il rentre en France conseillent des farines qui permettent de le requinquer plus rapidement, qui le ferait grossir rapidement, etc. Donc il y a quand même un intérêt très vif pour le personnage. et c'est vrai qu'après la grâce L'affaire ne va plus autant intéresser l'opinion. Cela dit, la part d'antirécalisme, pour ça, elle est très vivante. Il y a un antigésuitisme virulent dans les lettres adressées au Dreyfus, plus aux défenseurs qu'à Dreyfus lui-même. Je ne sais pas si j'ai répondu à toute votre question. Mais oui, il y a un antirécalisme très vivant des mouvements de gauche et autres. Vraiment, on y voit la main des jésuites. les jésuites Il y a toute une imagerie des jésuites qui sont présentées comme des êtres qui sont comparés à des reptiles, des êtres visqueux et rampants qui agissent dans l'ombre. On voit la main jésuite derrière la politique, derrière la presse, derrière l'armée. L'affaire apparaît comme une machination des jésuites. Même dans les mêmes lettres, les deux se mêlent, l'intérêt pour l'homme Dreyfus et les motivations idéologiques. Mais il y a aussi beaucoup de catholiques qui écrivent au nom de leur catholistisme. Il y a toute une imagerie de Dreyfus comme le nouveau Christ, en fait. Dreyfus sacrifié, comme le Christ. Il y a des images représentant Dreyfus en croix, etc. Je ne suis pas le temps de tout...
- Speaker #1
Sur son personnage, qui est peut-être précurseur de ce que vont être les récupérations par l'extrême droite en 1903, l'antiparlementarisme qui va arriver, c'est un petit peu en jachère. est sous-jacent à l'affaire Dreyfus, tout ça.
- Speaker #0
Oui, oui, oui, bien sûr, mais... Oui, lui, le personnage a été très attaqué, mais par exemple, les anti-Dreyfusards, ils étaient assez ennuyés, je pense, stratégiquement, par rapport à cette diabolisation. Il y a un antisémitisme virulent, etc. Mais par exemple, justement, l'intérêt pour Mme Dreyfus, Mme Dreyfus, elle n'est jamais critiquée, par exemple, dans la presse anti-Dreyfusard. Du coup, peut-être face à cet attachement au personnage Dreyfus, ils avaient parfois quelques difficultés à mener leur... Il y a un antisémitisme général, bon évidemment il y a des lettres, par exemple le monument Henri, c'est d'une violence terrible qui est lue à posteriori un peu étonnante, enfin un peu glaçante, mais le personnage... Peut-être a été presque plus héroïsé par les Dreyfusards que diabolisé par leurs adversaires, je dirais.