- Speaker #0
Les histoires sont bien aux rites de rencontres,
- Speaker #1
d'échanges, la grande fête annuelle de l'histoire et des passionnés d'histoire.
- Speaker #0
Enseignants, chercheurs,
- Speaker #2
le grand lieu d'expression et de débat,
- Speaker #0
lecteurs, amateurs sur tout ce qui se dit, curieux, rêveurs sur tout ce qui s'écrit, qui aident à prendre la mesure des choses, à éclairer le présent et l'avenir dans l'espace et dans le temps. Ce que nous vous proposons donc ce soir est un exercice évidemment difficile, périlleux, mais enfin, on ne risque tout de même pas grand-chose. Les historiens devant l'actualité, et l'actualité la plus brûlante, puisqu'il s'agit du 11 septembre 2001. Au-delà de l'émotion, de la solidarité, à exprimer à nouveau ici, que peut dire l'histoire ? Que peuvent dire les historiens ? Pourquoi les instruments de l'analyse historique peuvent-ils nous aider à comprendre quelque chose dans ces événements ? Il y a là la surexion brutale de l'événement dans l'histoire occidentale, avec le sentiment peut-être faux, et nous allons en débattre, que rien ne sera plus comme avant, ce que disent les gens, d'ailleurs sans savoir, et nous non plus sans savoir. Au passage, regardez, comparez avec... que la chute du mur de Berlin, encore une chute d'un monument. On peut aussi penser à la prise de la Bastille, le rôle des monuments qu'ils représentent comme symboles dans l'histoire. Mais la chute du mur de Berlin, c'était la fin de quelque chose, c'était pacifique, c'était joyeux. Évidemment, ce que nous vivons aujourd'hui est tout à fait différent. Pour ce débat, nous avons pensé aux compétences des uns et des autres que je vais énoncer, mais Je crois que chacun d'entre nous interviendra de le débat un petit peu comme il l'entend aussi. Pierre Milza, vous connaissez tout le monde ici, donc je ne vais pas perdre du temps à les présenter. Pierre Milza prendra peut-être plus en charge la question de l'international, les aspects internationaux de l'événement. Jean-Noël Jeanneney est à la limite sur deux fronts. Il est d'abord sur le front des rythmes de l'histoire. Il vient de publier un livre, j'allais dire, au titre prémonitoire. L'histoire va-t-elle plus vite ? Variation sur un vertige. Rien que cela pourrait servir d'exergue à notre soirée. Et on lui demandera par conséquent de réagir à propos du 11 septembre à New York. Et puis d'autre part, la connaissance, ô combien qu'il a des médias, nous permettra d'aborder cet aspect si important, car Aucun événement jusqu'à maintenant, je crois, dans l'histoire, n'a été autant médiatisé que la chute du World Trade Center. Et puis Dominique Borne nous parlera, et ô combien c'est important, surtout vous ici, qui êtes enseignants, étudiants, et qui avez souvent des enfants dans les classes aussi, ce qui se passe dans les classes aujourd'hui. Comment c'est vu dans les classes et quelles sont les questions que... peuvent poser les élèves. Par conséquent, beaucoup de choses, si on jette au problème du rapport de l'espace et du temps, à ce que représente cet événement, était-il imprévisible ? Peut-on dire qu'il était imprévisible ? Sûrement, nous ne serons pas d'accord et peut-être qu'il y a-t-il un grand débat à avoir là-dessus. Qu'est-ce que la guerre ? Qu'est-ce que c'est que la guerre aujourd'hui ? On dit que nous sommes rentrés en guerre et sans déclaration de guerre. Alors, qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que le terrorisme ? Y a-t-il des échelles de valeur dans le terrorisme ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que c'est qu'un martyr ? Qu'est-ce que c'est qu'être un martyr ? La question des femmes est très importante dans cette affaire-là. Que l'on soit à la condition des femmes afghanes ou au refus, vous le savez bien, des femmes que expriment sans cesse, ont exprimé les terroristes du 11 septembre. Et tout cela nous interroge. tout cela. est étrange. Et ce que je voudrais dire, après avoir posé simplement quelques questions, il y aurait aussi, évidemment, il y a au centre toute la question Amérique. L'Amérique, qu'est-ce que ça représente ? L'Amérique, une amie américaine à laquelle je téléphonais, me disait mais il faudra aussi que les Américains se demandent pourquoi on les déteste, on les haine, même Athélie. Et ce n'était pas simple pour elle de dire une chose pareille. Amérique islam, qu'est-ce que ça veut dire ? Et qu'est-ce que ça veut dire chez nous ? Si l'on songe que de jeunes Algériens ont boycotté, c'est le moins qu'on puisse dire, la fin du match France-Algérie en relation avec ces événements. Par conséquent, nous voyons bien que cet événement du 11 septembre a des significations, des implications, des conséquences multiples et c'est de cela que nous allons parler. Bien entendu, il va de soi que nous nous exprimons ici avec une totale... totale liberté et que d'autre part nous n'avons aucune solution. Nous sommes ce soir des gens qui nous interrogeons avec toute la bonne foi du monde possible et nous n'avons pas de solution à la question. Nous sommes des historiens qui nous interrogeons. Est-ce que le fait d'être historien nous permet de nous interroger de manière un petit peu différente ? Voilà, nous allons donc commencer ce débat. Je vais demander à chacun qu'est-ce que représente cet évent pour vous ? eh bien, Pierre-Milson.
- Speaker #2
J'ai fait un rêve cet après-midi, après qu'on m'eût annoncé que j'allais participer à un débat sur les réactions des historiens devant l'événement. Ce rêve c'était un fantasme plutôt sur le passé. J'imaginais les historiens, les grands historiens de 1914, autour d'une table devant un public comme nous sommes ce soir, en train d'essayer d'expliquer eux. historien, comment il réagissait par exemple à l'attentat de Sarajevo. Ou bien la génération suivante, les Marc Bloch, Lefebvre, etc. En 1939, comment il réagissait à l'attaque de la Pologne par des blindés hitlériens. C'est un peu le même travail que nous allons faire ce soir, essayer de faire ce soir, sauf que nous, c'est pas du virtuel, c'est du réel. On est là pour essayer, comme historien, je dis bien comme historien, de réfléchir sur cet événement. On n'est pas là pour vous donner des clés. On ne sait pas, on est comme vous, on ne sait pas ce qui va se passer. Et probablement, même-t-il encore un peu tôt, pour donner des explications. Alors, il y a des gens pour ça. Il y a des politologues, il y a des gens qui sont spécialistes de l'histoire, de la stratégie, si vous voulez, qui ont et qui peuvent commencer à donner des réponses. Nous, ce n'est pas notre travail. Je ne crois pas que c'est dans cette optique que nous voudrions intervenir ce soir. C'est plutôt une réflexion en tant qu'historien. Qu'est-ce que notre métier d'historien, qu'est-ce que notre vision d'histoire nous permet d'apporter comme éclairage sur l'événement que nous venons de vivre ? Alors moi, ma première réaction, si vous voulez, la première chose que je voudrais vous dire, ça tient à l'événement à la date. Est-ce que c'est un événement fondateur ? Est-ce que, comme on nous le répète quasi quotidiennement, cette espèce de litanie, puis les journalistes se... reprennent le flambeau, plus rien ne sera jamais comme avant la dégringolade des Twin Towers. Est-ce qu'on peut dire ça ? Est-ce que cet événement aussi dramatique qu'il soit, aussi grave aussi, qui nous a profondément touchés, peut être assurément considéré comme l'entrée dans le XXIe siècle ? Comme l'entrée dans une nouvelle histoire, avec un nouveau type de guerre, avec un nouveau type de terrorisme ? avec un nouveau type de rapport entre les individus et les sociétés par-dessus les États, une forme de la mondialisation. Est-ce que le 11 septembre nous permet de dire ça ? Je n'en suis pas certain. Et si je dis que je n'en suis pas certain, c'est parce que j'ai essayé de regarder un petit peu en arrière pour voir si des événements semblables, des événements très graves, sont apparus à ce moment-là comme un événement fondateur. J'en prendrai deux, mais un surtout qui n'est pas si loin que de nous, qui est... 1914. Est-ce que la date fondatrice du XXe siècle, c'est l'entrée en guerre, c'est le 2 août 1914 ? Il faut quand même se mettre en tête ce qu'a été le 2 août 1914, avec l'autoxyme dans les campagnes, avec les jeunes gens qui savaient ce qui les attendait et qui partaient pour la mobilisation générale. Est-ce que c'est ça l'événement fondateur de la guerre de 1914 ? Ou bien est-ce le 28 juin 1914, c'est-à-dire l'assassinat de l'archiduc François Ferdinand par un étudiant bosniaque, Printchi ? Difficile à dire, parce qu'entre les deux événements, il y a toute une chaîne d'événements. Alors à l'époque, ce qui a apparu comme énorme, c'était bien évidemment la déclaration de guerre. Le 28 juin, il faut dire que quand il est arrivé, même si c'est celui-là l'événement fondateur, personne ne s'en est aperçu. Ce n'était pas grand-chose. Vous savez, dans la presse du 29 juin, l'assassinat de François Ferdinand. Je remonterai un peu plus loin pour le deuxième exemple, et puis je m'arrêterai pour donner la parole à mes collègues, parce que c'était pour moi déjà l'un des premiers éléments de réflexion. La prédication d'Urbain II à la première croisade. Eh oui, c'est de l'histoire. Est-ce que l'événement fondateur de la guerre de deux siècles entre l'islam et la chrétienté c'est la prise de Jérusalem et le massacre, massacre, qui a été la prise de Jérusalem ? où est-ce l'appel d'Urbain II à la croisade que personne n'a pratiquement entendu, vu qu'il n'y avait ni la radio ni la télévision, et dont on s'est aperçu quelques dizaines d'années après que dans le fond ce n'était pas forcément ce qu'avait dit Urbain II. J'avais un vieux professeur à Sorbonne, il n'était pas si vieux que ça puisqu'il n'était pas en traite, puisqu'il était encore professeur, qui comparait l'appel d'Urbain II à celui du général de Gaulle. Moi j'ai entendu l'appel du général de Gaulle, mais on n'était pas beaucoup à l'entendre. Voyez, c'est une réflexion sur... l'importance que nous donnons après coup ou dans l'immédiat à l'événement, et la prudence, et c'est là-dessus que je voudrais conclure cette première intervention, qui doit être celle de l'historien, de dire attention, ne répétons pas comme des ânes nécessairement, c'est l'événement fondateur, plus rien ne sera jamais qu'en avant. On n'en sait rien, il y a des événements avant, on en parlera peut-être tout à l'heure, il y avait des signes annonciateurs, c'est le moins qu'on puisse dire. Et puis il y aura peut-être, hélas, des événements. que nous choisirons comme point de départ de cette histoire assez tourmentée à laquelle nous sommes confrontés.
- Speaker #0
Jean-Noël Jadonnet, même question pour vous. Que représente cet événement et comment l'analysez-vous, notamment dans les rythmes historiques que vous avez tenté d'analyser ?
- Speaker #1
Même question et par conséquent même démarche que celle de Pierre. Nous n'avons pas prétention d'être spécialistes ni de l'islam, ni d'un certain nombre des forces qui sont au travail depuis le 11 septembre. Je me disais comme Pierre que les instruments méthodologiques qu'en tant qu'historien nous avons élaborés, qu'on nous a enseignés, que chacun d'entre nous a peut-être quelque peu peaufiné, ces instruments peuvent être utiles, y compris à très court terme, y compris dans la ligne de ce que Pierre vient de vous dire. Rien de plus brutal, de plus inattendu, de plus spectaculaire, bien sûr, que le 11 septembre. Et pourtant, aussitôt. Il faut résister, me semble-t-il, à ce vertige qui consisterait à dire que c'est le signe d'une accélération de l'histoire. Le hasard, en effet, a fait que depuis quelques mois, je réfléchissais à l'actualité éventuelle de ce petit livre que Daniel Alevi avait publié en 1948 et qui s'appelait « Essai sur l'accélération de l'histoire » , qui est intéressant à relire un demi-siècle plus tard, en appliquant ces analyses, éventuellement ces fantasmes, à notre contemporanéité. Eh bien, ce que je... On refuse dans ce petit livre, certains d'entre vous ont peut-être lu ou relu, on vient de le rééditer, et qui est stimulant à bien des égards, c'est l'idée qu'au fond, l'histoire serait une sorte de linéarité, qu'on pourrait légitimement parler d'une accélération des événements, on s'appuie sur, généralement, les progrès de l'art de guérir et de l'art de tuer, premier chef, et que cela permettrait finalement d'analyser l'essentiel des mutations de notre civilisation. Or, d'abord, on s'aperçoit qu'à chaque époque, beaucoup de vieux messieurs ont dit que jusqu'à il y a dix ans, on pouvait comprendre encore et que depuis dix ans, ça n'est plus possible parce qu'il y a accélération. Mais surtout au-delà de cet aspect des choses, on s'aperçoit, me semble-t-il, et ça, l'historien est assez à même d'aider les citoyens à y réfléchir, on s'aperçoit qu'il y a à chaque moment, dans chaque conjoncture, y compris lors d'un événement aussi bouleversant que celui-ci, il y a toujours une sorte de feuilleté d'ensemble de... feuilletage temporel, pour reprendre une expression de Le Goff. Autrement dit, il y a un entrelac de rythmes dont la complexité peut seule rendre compte de ce qu'il y a d'exceptionnel à chaque moment. C'est important du point de vue de l'analyse, qui cherche à comprendre, et c'est évidemment essentiel, du point de vue de celui qui agit, que ce soit un homme d'État ou que ce soit un citoyen. Or, si vous regardez avec le recul seulement d'un mois, un certain nombre de données, vous ne pouvez pas, me semble-t-il, ne pas être frappé d'un certain nombre de choses. Par exemple, du fait que Bouche, au fond, je m'en suis réjoui d'autres aussi, a en quelque sorte réinjecté de la lenteur dans le processus de réaction à ce qui s'était passé. Beaucoup se sont attendus que le cow-boy ressort un petit point sur le nez, frappe aussitôt. Il y a eu une sorte de ralentissement du rythme. Et c'est un des signes qu'il y aurait probablement... Erreur à affirmer que la guerre, par exemple, est de plus en plus rapide. Il y a eu des blitzkriegs à toutes les époques et des guerres très lentes à toutes les époques aussi. Puis naturellement, et ça a été largement développé après quelques jours, il est clair qu'il y a les rythmes lents des civilisations. qui se sont formées dans des circonstances qui ne sont pas d'allure rapide et qui elles-mêmes ont évolué de différentes façons. Cet entre-là, me semble-t-il, est une grille indispensable à appliquer à notre événement. Je dirais que ça peut conduire à dénoncer à la fois ceux qui, je l'ai entendu à plusieurs reprises depuis le 11 septembre, disent « Allons, tout s'accélère ! » Et ceux qui disent ou qui disaient... à vrai dire, se sont fait un peu plus modestes récemment, avec Fukuyama, qu'on allait vers la fin de l'histoire. Je me suis attaché aussi, dans ce petit livre, à regarder cette thèse avec quelques reculs. Vous voyez ce qu'il nous a dit, à l'aube de la décennie 1990, il nous a dit, au fond, non pas qu'il n'y aura plus d'événements, ce serait idiot, mais il y aura de moins en moins d'événements qui signifieront que la démocratie à l'américaine n'est pas en train... de l'emporter progressivement. Il y a quelques phrases étonnantes à relire après coup. Il y aura bien encore quelques azérés ou quelques afghans qui, pour un temps, protesteront quelque peu. Mais le mouvement général, comme celui des chariots du Far West, qui laissent parfois quelques chariots sur la route, mais qui aboutissent finalement à une sorte de terre promise, c'est-à-dire à l'illusion d'une civilisation universelle, à vrai dire, tout empire, arriver à se napoger, à penser de la sorte. On pourrait souhaiter que Maurice Sartre soit ici ce soir, il nous aurait probablement dit la même chose du côté des Américains. Donc en réalité, on s'aperçoit qu'étrangement, ce qui paraît opposé, c'est l'idée de l'accélération de l'histoire, l'idée de la fin de l'histoire, se retrouve comme l'inverse et le revers d'une médaille, à partir d'une idée fausse, c'est-à-dire celle d'une linéarité. C'est une première observation que je voulais faire à propos de l'événement, et on pourrait naturellement décliner cela plus en détail. Le métier d'historien, d'autre part, nous offre d'autres instruments, et en particulier, bien sûr, notre réflexion ordinaire sur les rebonds des événements, sur ces morceaux de séquences. qui se retrouvent, sans qu'on puisse naturellement affirmer que l'histoire ne se répète jamais, elle ne se répète jamais, mais qui néanmoins attirent l'attention sur des précédents, propres à éclairer. Je ne fais que les énumérer, on pourra les développer si vous le voulez. Voilà quelques-uns. Tout le monde a parlé de Pearl Harbor, bien sûr, pour réfléchir à la réaction collective du peuple américain blessé, mais aussitôt, comme toujours quand on fait des rapprochements, on a insisté sur les différences. Et la différence, c'est que Pearl Harbor, c'est quand même très très loin du côté du Pacifique. C'était la première fois depuis 1812 ou 1814, cette fois-ci c'était les Anglais. qu'on a frappé, comme vous savez, les États-Unis au cœur. Autre parallèle intéressant, me semble-t-il, bien sûr, c'est une réflexion sur les époques où le fanatisme religieux a parfois hâté, voyez les anarchistes, a poussé un certain nombre de gens à répondre au précepte de Sénèque dans l'île de Sélètre à Lucilius, ce qui nous disait « si je méprise ma vie, je suis maître de la tienne » . Il y a quelques moments dans l'histoire où c'est arrivé, nous avons préparé au comité de rédaction de la revue l'histoire un certain nombre de... de coups de projecteur sur des précédents. Les Sicaères, par exemple, du côté de la judéité antique, ou bien, bien sûr, la secte des assassins, dont Bernard Lewis a donné un tableau saisissant. Ou bien encore les anarchistes, il y a quelques points communs avec les anarchistes, la propagande par le fait. Troisième catégorie de réflexion, de rebond possible, où l'histoire me paraît pouvoir apporter, pour l'analyse et pour l'action, quelques matériaux utiles, c'est le domaine des réactions. des démocraties au défi du terrorisme. Jusqu'où une démocratie peut-elle accepter de consentir des rabais sur ses propres principes ? Jusqu'où peut-elle consentir à revenir sur les libertés publiques au nom de la défense d'un régime qui est le sien, qui est un lieu qui précisément est fait pour défendre et illustrer ses libertés mêmes ? On retrouve un débat qui a été très prégnant pendant quelques années, bien sûr au moment des lois dites scélérates après les attentats anarchistes dans les années 1890. Et puis enfin, il y a une troisième catégorie, me semble-t-il, d'instruments à quoi les historiens sont habitués à avoir recours et qui peuvent être utiles en l'occurrence. C'est notre traditionnelle réflexion sur la dialectique des faits et des représentations. Si depuis deux générations d'historiens, il y a un point de méthode sur lequel on a assisté, c'est bien celui-là. Avec l'idée que les idées fausses deviennent vite des faits vrais et que l'idée qu'on se fait des événements se font... très vite à leur tour ressort des événements eux-mêmes. Eh bien, il me semble que, bien sûr, sous ce chapitre, à cette enseigne, on peut inscrire toutes les réflexions qu'appellent les relations entre les médias et l'événement du 11 septembre. Puisque Michel me demandait de dire un mot là-dessus, je le fais volontiers. Je me demandais, dans les jours qui ont suivi, s'il y avait des événements qui étaient destinés dans la mémoire collective, depuis que la télévision, je ne veux pas en aller à la télévision, pour élargir, la télévision existe, quels sont les événements qui ont laissé tellement d'emprise que chacun se rappelle comment et dans quelles conditions et dans quel environnement aux besoins familial et amical il y a assisté et quels sont les paramètres qui font que c'est vraiment un événement qui a laissé une trace formidable dans la mémoire collective, une empreinte, une sorte de balise. de notre mémoire par rapport à ce que l'audiovisuel nous a proposé. Je me disais qu'on pouvait sans vraiment prendre de risque affirmer qu'aucun événement depuis la naissance de la télévision n'avait concentré autant de paramètres destinés à vraiment quelque chose qui laisserait dans la glaise molle de nos mémoires une empreinte extrêmement violente. Prenez les zones, pour cela, je terminerai là-dessus, pour s'assurer que forte trace soit marquée et laissée. Il faut un certain nombre... de paramètres. Il faut probablement que l'événement ait une grande force d'émotivité. Alors, dans le cas d'un événement national, on pourrait dire par exemple que le discours de De Gaulle du 23 avril 1961 a joué un rôle de ce type. Et ceux qui sont suffisamment mûrs pour commencer à s'habituer à des trucs pareils, ça fait bizarre. Enfin bref, ceux qui avaient l'âge de ne pas être encore en socket et d'avoir remisé leur cerceau dans l'antichambre. Ceux qui, bref, ont vu ça, se le rappellent, il y avait l'émotion. Il y a une autre donnée très importante, c'est l'inattendu, bien sûr. La foudre qui tombe. Alors, ceux qui nous disent qu'encore un peu plus mûrs, ils ont acheté la télévision pour le couronnement de la Reine d'Angleterre, ça a été le boom de la vente des téléviseurs, le premier boom en 1953. Ceux-là avaient le sentiment que c'était un événement spectaculaire, mais ils ne pouvaient pas avoir le sentiment que ça aboutirait à beaucoup d'inattendus. Ce n'est pas forcément que la Reine. règnerait aussi longtemps ni qu'elle aurait des belles filles qui etc. Mais enfin bon, en revanche prenez deux autres événements si vous avez le goût de ces parallèles considérez évidemment la marche de l'homme sur la lune en 69, là il y avait aussi quand même beaucoup d'ingrédients qui font qu'on se le rappelle. C'était la nuit évidemment, ce qui crée un fantasmagorie peut-être supplémentaire, enfin la nuit ça dépend évidemment des décalages horaires, je parle pour nous pas pour la planète. C'était prévu et non pas inattendu. Mais ce qui était inattendu, c'est de savoir si ça marcherait ou pas. Donc, il n'y a pas eu ce côté foudre qui tombe, mais il y avait quand même quelque chose de sentiment en direct, de présence. Puis, il y a un dernier paramètre qui est évidemment, il y a probablement d'autres à quoi je ne songe pas, mais je veux n'être pas trop long. Un dernier paramètre qui est évidemment, et nous le voyons par contraste violemment avec la guerre d'Afghanistan, qui est la présence de caméras. Et de ce point de vue-là, bien sûr, elles étaient présentes par destination au couronnement d'Elisabeth II. Elles étaient présentes quand un homme d'État s'exprimait comme de Gaulle. Elles étaient un peu présentes pour un autre cas que je pourrais invoquer, qui est la mort de l'assassinat de Kennedy. Notre génération se rappelle, je fais souvent le test, fort bien, là où il l'a appris. Mais c'était souvent par des propos, par la radio. Évidemment, on a eu des films, mais un peu après. Tandis que dans le cas de cette chute des tours du World Trade Center, on a une sorte d'omniprésence des caméras. Puisqu'il y en a prêtes à s'allumer aussitôt. que l'événement premier arrive, et que par conséquent, nous sommes entourés de gens, si ce n'est pas votre cas, qui ont ouvert la télévision, avertis par le mot à mot, le téléphone, après la première tour, et qui ont par conséquent vu en direct la seconde tour frapper. Et puis ensuite, on a eu cette multiplicité de caméras amateurs, qui est une grande donnée nouvelle, de caméscopes, de films, ils ne cessent pas d'en ressurgir de nouveau. Il y a même des photos, qui ressurgissent de l'appareil d'un malheureux photographe écrasé. Donc, Il y a là une sorte de capacité de spectacle, d'immédiateté, qui ne suffit pas du tout à résoudre les choses en disant que désormais, tout va plus vite et que l'histoire est en temps réel. Ce serait une faribole, bien sûr. Mais qui, du point de vue de l'effet de cette unification de l'émotion, qui rend d'ailleurs éventuellement plus lent le triomphe de la raison, mais il faut s'en accommoder, et la raison peut triompher tout de même. Du point de vue de cette unification-là, il y a là, me semble-t-il, un concentré de paramètres que nous n'avions jamais vus de pareille façon assemblés. Voilà quelques brèves réflexions un peu en désordre, nous me le pardonnerons.
- Speaker #0
Je crois, Jean-Noël, très importante. En vous écoutant, je pensais aussi, vous parliez de la marche sur la lune et de la nuit, de la beauté du ciel de ce jour du 11 septembre, dont beaucoup d'Américains, amis, familles, m'ont parlé, sans doute à vous aussi, en disant qu'il faisait un temps si extraordinaire, ce sentiment. très fort d'une indifférence, en définitive, et bien sûr, du ciel au malheur des hommes. Et je crois que ça arrive souvent, on se souvient toujours des étés, de la chaleur qu'il y avait à un tel moment, des guerres, etc. Enfin, voilà, encore un élément, je pense, pour notre réflexion. Dominique Borne, et vous, pour vous. Qu'avez-vous envie de dire sur cet événement ?
- Speaker #3
En écoutant Pierre Milza et Jean-Noël Jeanneney, j'ai envie de dire que face à des élèves, on parle d'abord d'histoire. Vous avez remarqué qu'aucun d'entre eux n'a prononcé le mot « islam » . Aucun d'entre eux n'a prononcé le mot, je ne sais pas, impérialisme américain. Ils ont parlé d'histoire avant de chercher des origines immédiates, avant d'incriminer telle ou telle chose. Et je crois que dans une classe, on parle d'abord d'histoire. Ceci nous soit, me semble-t-il, un exemple. On parle d'abord d'histoire et on parle effectivement, et on précise bien que si on parle de l'actualité, c'est parce qu'on est prof d'histoire. et qu'on n'est pas prof d'actualité. Ça me semble une distinction très fondamentale. Un enseignant n'est pas professeur d'actualité. S'il parle d'actualité, c'est qu'il sait ce qui s'est passé avant. C'est qu'il le situe, l'actualité, au bout d'une histoire, exclusivement au bout d'une histoire, et pas en tant que telle. Ça veut dire aussi qu'il faut donc dire à des élèves qu'il n'y a pas d'explication définitive à donner là maintenant, et que ce qu'on va dire, ce n'est sûrement pas en forme de dissertation en trois points. C'est forcément inachevé, c'est forcément des bribes d'explications. Là, il y a, me semble-t-il, une leçon à donner aux élèves qui me semble très fondamentale. Comprendre, c'est apprendre à s'interroger. Je crois aussi, comme l'a dit Jean-Alger Ney, qu'il parlait d'un entrelac. Moi, il me semble qu'un événement comme celui-là, il faut montrer que c'est un... Moi, je pensais un nœud, ce qui revient à peu près au même. La métaphore est exactement la même. Ce n'est pas un événement, vous savez, comme sur les frises chronologiques, où il y a un avant et un après de l'événement linéaire. Ce n'est pas comme ça. Ce n'est pas comme ça parce que les choses s'entrecroisent, les fils dans le nœud s'entrecroisent. Et que donc, on ne peut pas avoir une explication simple ni dérouler des conséquences prévisibles simples. Parce que même tous les fils qui composent le nœud, on ne les connaît pas. Et donc là, il me semble qu'on retrouve Edgar Morin et la complexité. Je dirais ensuite qu'il s'agit surtout de veiller bien à ne pas aussitôt incriminer instinctivement un groupe, un peuple, etc. Là, il y a un gros danger. Il y a eu ici ou là. On a su quelques presque dérapages. Dérapage, par exemple, une assimilation instinctive en classe. Ce qui se passe à Manhattan serait une transposition de ce qui se passe entre Israël et les Palestiniens. épouvantablement dangereux. Épouvantablement dangereux, ce type de parallèle. Chacun peut le mesurer. Les dangers d'une assimilation et d'une incrimination. Une incrimination. Danger extrême d'imputer l'islam. Les américains. C'est à peu près symétrique, si je puis dire. L'islam d'un côté, les américains de l'autre. Donc la complexité. Ensuite, en pensant à ce que disait Michel Perrault sur les... et qui me frappe quand même sur les chutes de monuments. Il me semble que si j'étais professeur en 6e, en 6e il se trouve qu'en géographie, il y a en programme des paysages emblématiques. Et que parmi ces paysages, il y a une grande métropole américaine, il peut très bien y avoir Manhattan. J'aurais le système de 6e, mais je leur dirais, aujourd'hui, on bouleverse un peu le programme, on passe la diapo sur Manhattan, et on explique ce lieu. Et on explique comment ce lieu, là aussi il y a un nœud, est bien rendu polysémique. Ce n'est pas uniquement le lieu de la finance américaine et de l'impérialisme. Pas très loin, il y a la statue de la liberté. Pas très loin, les immigrants sont arrivés par là, dans une terre de liberté. Et que ce lieu a plusieurs significations. Je crois beaucoup à l'explication du lieu, surtout pour les plus jeunes. Parce que pour beaucoup d'entre eux... Il y a un risque de confusion entre le virtuel des jeux télévisés, qu'ils pratiquent beaucoup, et le réel qu'ils voient sur le même écran de télévision, et avec les mêmes avions blancs, parfois, dans les mêmes tours. Il me semble que le passage de l'explication par les lieux et montrer que ce lieu ne peut pas être univoque n'a pas une seule signification. C'est un lieu où il y a toutes les communautés, où il y avait des femmes de ménage portoricaines. ou des gardiens d'ascenseur, etc. Bon, ça semble très important, je crois, et pas uniquement des financiers de Wall Street. Et que, donc, il me semble, après, après, ensuite, on peut, me semble-t-il, arriver à des explications plus approfondies ou à, encore une fois, des bribes d'explications plus approfondies. Je crois, effectivement, et je reprendrai sans y avoir de solution, que la réflexion qu'indiquait Michel Perrault sur le sens du mot « guerre » me semble très fondamental.
- Speaker #0
On a su une guerre sans déclaration de guerre, est-ce que c'est une guerre ? Le sens du mot terrorisme, dans un autre lieu, des enseignants me posaient la question et me disaient,
- Speaker #1
pendant la résistance,
- Speaker #0
on appelait les maquisards des terroristes. Comment ce mot fonctionne-t-il ? Vraie question, vraie question. On peut, je crois, expliquer, expliquer ici, de quoi il s'agit. les terroristes, le maquisard entre guillemets, bien sûr, s'attaquer à un totalitarisme. On a des choses simples, semble-t-il, à expliquer simplement. Il me semble aussi que, Gilles Perrault le disait, les martyrs, et là, bon, il y a un paquet d'histoires, il y a un paquet d'histoires qu'on peut faire émerger, me semble-t-il, c'est que le martyr, parce que le martyr, le martyr, employé en... employé communément. Ce n'était pas, à mon sens, tuer les autres. C'était accepter le sacrifice de sa vie. Il y a aussi, là, me semble-t-il, à mille distances. Enfin, dernier petit point pour le moment, mais pour rebondir sur ce que disait Pierre Milza, premier événement du XXIe siècle, effectivement, là, ce sont des spéculations. Tant plus que, quand nous parlons de août 1914, on sait ce qu'il y a eu après. Là, il n'y aurait peut-être rien après. Presque rien. Nous ne le savons pas. On ne sait pas du tout s'il y a vraiment une chaîne d'événements ou s'il n'y a pas de chaîne d'événements. Au sens fort de ce mot. Ce qui me frappe, c'est qu'on peut se dire les temps se mêlent. Je vois tout à fait ce que disait Jean-Lenon. Moi, ce qui m'a beaucoup frappé, c'est qu'on se dit c'est quelque chose à l'ère de la mondialisation. On croit tenir quelque chose en disant cela. On croit tenir avec la médiatisation intense, avec l'aviation des terrains. Et puis... On voit la réaction américaine, les volontaires qui s'engagent, et on voit une réaction proprement nationale, directement nationale. On la voit aussi en Angleterre, Tony Blair, réaction proprement nationale. Là aussi, le temps d'après les nations, et le temps d'encore le temps des nations, me semble-t-il, se mêlent inexplicablement. Dernière question, enfin. Quand on voit les États-Unis... On se dit toujours, on a un schéma simple. Les États-Unis, la plus grande puissance du monde, les plus riches, les plus puissants, etc. Et donc, ceux qui les combattent sont les pauvres dans le monde, les opprimés, etc. Il se trouve que les pauvres sont riches, et qu'ils ont des avions et qu'ils savent les conduire. Tout cela sans conclure, bien entendu, mais pour faire réfléchir et poser des questions.
- Speaker #2
Merci Dominique Borne. On voit bien les points communs de ce qui vient d'être dit sur la notion d'événement. Entre lac, nœud, complexité, refus de la linéarité. Il est peut-être que le sens de l'événement sera donné par ce qui va se passer après, ce qui est évidemment très fréquent en histoire. Voilà quelques-unes des choses qui recoupent les interventions. Jean-Noël Natchanenet, vous vouliez intervenir sur un certain nombre de points.
- Speaker #3
Oui, l'intervention de Dominique Borne me donne le goût d'apporter une quatrième catégorie d'instruments dont nous avons coutume de nous servir. C'est une réflexion sur la relation entre l'espace et le temps. De cela aussi, nous sommes familiers dans nos réflexions d'historien, dans nos enseignements, dans nos conversations. L'espace et le temps, autrement dit, en quoi cet événement-là peut d'une part modifier une certaine géographie volontaire de la planète, avec quelle vitesse ? Quelles sont les proximités ? En se demandant, par exemple, s'il n'y a pas quelque chose de paradoxal, à voir que, finalement, le comportement de George Bush fait qu'il y a deux domaines où il va y avoir ralentissement de la circulation propre à la mondialisation. C'est le domaine de la circulation des personnes, avec les difficultés mises désormais à l'aviation, et la circulation de l'argent, au cœur de la mondialisation, avec un effort, enfin, je ne sais pas si c'est possible de réussir, mais au moins on peut essayer. de lutte contre la circulation d'argent louche, les paradis fiscaux, etc. Cette dialectique de l'espace et du temps, d'autre part, amène à une réflexion sur notre vieil ami, nous a servi dans tant de dissertations, unité et diversité. Bien sûr, autrement dit, on peut appliquer ça par exemple à la thèse de Huntington, dont on nous rebat les oreilles depuis quelque temps, vous savez, le choc des civilisations, redit Jacob, l'art édité, et en tire quelques satisfactions. de librairie, je m'en félicite naturellement pour elle, mais je veux dire, au-delà de cet aspect relativement mineur, il se trouve que j'avais lu ce livre en préparant cette petite réflexion, ce petit essai, et bien j'avais été très frappé, et je crois que l'événement n'a pas démenti cela, par le caractère à la fois sommaire et dangereux de ce type d'analyse, qui au fond pêche par l'idée d'une uniformité de grands ensembles, et qui du coup implique une sorte de fatalité de heurts inévitables. C'est à la fois péché... par simplification, comme si on appartenait à telle culture ou à telle autre, de façon préétablie et définitive, par exemple faire bon marché de l'extraordinaire diversité du monde islamique, et d'autre part pêcher par une sorte de finalisme, comme si la proximité de ces mondes différents aboutissait forcément à des drames de heurts fondamentaux. Et en dépit des événements du 11 septembre, je crois que ça n'est pas vrai. Et puis toujours dans la même ligne de réflexion, je voudrais juste, et je terminerai ce... d'intervention là-dessus, que nous réfléchissions ensemble à l'incertitude des effets du 11 septembre sur l'aventure de l'Union européenne, de la construction européenne. Nous étions, avant le 11 septembre, en train de nous dire, au fond, on n'a plus le grand méchant Staline, on n'a plus le grand Turc pour se définir contre lui. Peut-être ça manque pour continuer à avancer, non pas dans un élargissement mou sur tout le continent, mais dans l'approfondissement d'une identité européenne, d'une Europe qui parle. avec une voix originale et propre sur cette planète. Puisqu'on n'a plus cette différence par rapport à une menace, peut-être que George Bush est en train, par un certain nombre de comportements symboliques, en mineur naturellement, de nous permettre d'affirmer notre différence contre les États-Unis en pleine amitié. Je veux dire naturellement l'affaire de la peine de mort, qui prenait une importance plus grande, l'affaire du bouclier antimissile, et l'affaire de Kyoto, je veux dire du refus du protocole de Kyoto. Alors tout ça, évidemment, a été balayé par le 11 septembre. Il est intéressant de voir comment l'Europe a réagi. Si on s'attache à l'idée d'une intégration plus grande, il y a des éléments positifs. On a brusquement fait sauter des verrous qui s'opposaient depuis des années à une certaine unification judiciaire et policière. Particulièrement cette absurdité dans une Union européenne comme la nôtre qui faille encore beaucoup de lenteur pour avoir un permis d'arrestation, etc. Avec tout le danger, bien sûr, que ça puisse, ça s'en renvoie au chapitre précédent, impliquer des reculs des libertés publiques. L'autre... aspect des choses, au contraire relativement négatif de ce point de vue-là. C'est que, en gros, De Gaulle avait raison sur l'Angleterre. Je dis ça pour faire bref, parce que sinon je vais me faire couper la parole. Je ne dis pas qu'on la voudrait toute nue, mais elle est toujours terriblement appuyée. Et que, voyez-vous, De Gaulle, vous vous rappelez, entre le continent et le Grand Large, je choisirais toujours le Grand Large. C'est fait, ça a de la noblesse. Blair a retrouvé, on l'a suffisamment dit, rebond de l'histoire, des accents churchiliens. Et c'est vrai qu'il a eu du style bien. Mais enfin, il n'y a aucun doute qu'il a regardé là-bas. Or, qu'est-ce qui est en train de se passer du point de vue de l'Europe, du point de vue sous l'angle militaire ? C'est ce fameux accord de Saint-Malo, l'esprit de Saint-Malo, comme on dit, qui est en train de constituer plus ou moins quelque chose comme l'embryon d'une force militaire européenne. Ça n'avançait pas très vite, mais on allait dans cette direction-là. Et chacun sait que si on veut qu'un jour l'Europe puisse parler haut et fort et s'exprimer dans sa différence, évidemment, il faudra qu'elle soit armée. Il n'y a pas de diplomatie qui ne s'appuie pas sur la virtualité d'une force armée. Et qu'est-ce qu'on a vu ? Ça va tout à fait en sens inverse du point de vue de l'intégration de l'Europe. Qu'est-ce qu'on a vu depuis quelques semaines ? On a vu l'Angleterre évidemment se précipiter du côté de l'État. Je ne l'en blâme pas. Cette solidarité fondamentale anglo-saxonne s'est manifestée beaucoup plus forte que l'unité européenne. et du même coup, on s'est aperçu que c'était un gros souci de constater que si l'Angleterre, de ce point de vue-là, ne s'associe pas à la France... Ce sont les deux seules vraies puissances militaires. Alors on n'aura pas de force militaire européenne à court terme. Et autant on peut se réjouir que sur la vie quotidienne, on ait progressé quant à la police et quant à la justice, autant on ne peut pas ne pas s'inquiéter de cette conséquence. D'autant plus qu'on est en train, je suis presque à l'espoir de faire un tout petit brin de chevènement, sans insister, mais de s'apercevoir qu'on a fait des choix dans l'ordre militaire qui étaient des choix marqués par... La facilité, ça a commencé à l'époque d'André Giraud, l'année 86, ça a été relativement confirmé d'ailleurs. Même autant, je vais être mis de la défense, mais ça c'est les hasards, les ironies de l'histoire, peu importe. Je veux dire qu'il va falloir tout de même que nous interrogeons pour savoir si la France et l'Europe peuvent continuer à s'en remettre à d'autres. En tout cas, ce dont je suis sûr, c'est qu'on ne peut pas à la fois dire qu'il faut que l'Europe soit l'Europe et européenne. Pour nos enfants, si elle ne l'est pas, quel chagrin, quelle frustration. Et en même temps, dire qu'on peut faire... l'économie d'une vraie défense nationale et affirmer, se dire plus ou moins mollement, comme beaucoup de nos associés de l'Union européenne, que l'Amérique y pourvoira. Ce type de contradiction me paraît avoir été révélé avec une force très grande par les semaines qui ont suivi le 11 septembre.
- Speaker #2
Nous voilà dans les effets internationaux, en tout cas européens, du 11 septembre. Pierre Milza, qu'aviez-vous envie de dire après l'intervention de Dominique Borne et celle maintenant de Jean-Noël Janonnet ?
- Speaker #1
Je voudrais revenir au rôle de l'historien dans la société. Ce n'est pas un rôle de Pity, ce n'est pas un rôle de Madame Soleil. On ne sait pas ce qui va se passer, donc on n'a pas à réfléchir sur la... Notre fonction... Nous sommes des gens prudents. D'abord parce que tous ceux qui n'ont pas été prudents se sont régulièrement trompés. Je prendrais un exemple d'une historienne que nous connaissons tous et que nous aimons beaucoup. Notre collègue Hélène Cardenco, elle a écrit un bouquet en 78 qui s'appelle « L'Empire éclaté » . Et elle écrit l'état de l'Urse en 78 en imaginant que ça va exploser à la périphérie, avec les régions musulmanes. Et puis ça n'a pas explosé à la périphérie, ça a explosé au centre.
- Speaker #3
On se rappelle le titre plus que la tête.
- Speaker #1
Alors, ce n'est pas notre métier. Notre métier, c'est d'essayer de dire, nous, on connaît un peu le passé. On ne connaît pas tout, mais on connaît un peu le passé. Ce passé ne donne pas forcément des leçons pour l'avenir, mais il donne des leçons pour le présent. C'est-à-dire, à partir du moment où on peut analyser des événements et dire, vous savez, on a déjà vécu quelque chose comme ça. Alors, attention, attention. Alors, ça me fait rebondir sur le concept de guerre. C'est au cœur, finalement, de la problématique actuelle. Qu'est-ce qu'une guerre ? Alors, l'image mythique, ces deux États, ils ne sont pas contents, ils ont des différends. Donc, un jour, on se déclare la guerre. Là, on voit l'ambassadeur, vous savez, ça y est, c'est la guerre, on est en guerre. Jeu codé, parfait. Or, pour les historiens, on peut dire que ce n'est pas toujours comme ça que ça s'est passé. Même sans parler seulement de Pearl Harbor. Il n'y a pas eu que la taxe surprise, entre guillemets, on reviendra peut-être là-dessus sur la surprise tout à l'heure, de Berlabor. Il y a beaucoup d'autres exemples. Et puis sur le rapport, alors donc la guerre, la guerre c'est aujourd'hui autre chose. La guerre aujourd'hui, elle se fait par d'autres moyens. Dans le cadre de la mondialisation, ce n'est plus entre des États, c'est entre un État et une ONG, si on peut l'appeler comme ça, le Caïman, ONG, bonde. Bien. Mais ce type de guerre est une guerre qu'on va qualifier en même temps de terroriste. Et je rebondis donc sur l'autre expression, pose également un problème. Notre travail, c'est d'essayer de dire aux gens, vous savez, des guerres terroristes, ça a déjà existé. Des actions terroristes d'État, ça a déjà existé. Et ce n'est pas toujours de l'autre côté que ça s'est passé, ça peut aussi être d'une autre. Alors c'est dangereux. C'est dangereux d'abord parce qu'à travers ça, vous voyez tout de suite que l'historien ne reste plus seulement dans son rôle d'historien. Il devient citoyen, il a ses idées, il a son idéologie. Essayer de donner une notion. Non, je crois que là, le but, c'est d'essayer de maintenir une espèce de... Enfin, d'éviter, si vous voulez, le pire, d'éviter qu'il y ait un dérapage, notamment au niveau, dans un pays comme le nôtre, où il y a 5 millions de musulmans, à travers cette explication de qu'est-ce que c'est qu'une guerre et qu'est-ce que c'est qu'une guerre terroriste. une action terroriste de guerre en disant, oui, nous-mêmes, nous avons pratiqué ce type d'action terroriste. Alors, je vais être un peu provocateur parce qu'au fond de moi-même, je ne fais pas l'équation. Mais vous ne pouvez pas éviter, je ne parle pas des fous de Dieu, mais que des gens qui ont un islam plus modéré, mais une certaine tendance quand même à se dire, bon, après tout, c'est une bonne leçon qu'on donne aux Américains. C'est à cela que s'adresse cette... Cette rectification, un petit peu d'histoire. Est-ce que vous pensez vraiment qu'entre cette action épouvantable, épouvantable, qui a été l'action du 11 septembre 2001, et le bombardement de Dresde, la guerre avait été déclarée, on arrivait même à la fin, et ça ne servait à rien. Le bombardement de Dresde en février 1940, 50 000 mains. Un moment où ça ne servait plus à rien. Tout le monde savait que les bombardements... terroriste, baptisé bombardement stratégique, avait pour effet plutôt de rassembler, c'est toujours comme ça que ça se passe, de rassembler la population autour de son chef, autour de son dictateur. À quoi a servi le bombardement de Grèce le 15 février ? Je vais vous le dire. Il a servi à faire comprendre aux Russes que les Alliés étaient capables de porter la guerre sur leur territoire avec leur super-porteresse volante ou avec leur bombardier Lancaster. À bien des égards, on ne peut pas nier que ça a été une action terroriste, un bombardement terroriste. Et notre métier, c'est quand même de rappeler ça aux gens, non pas pour blanchir les talibans, pas les talibans, pour blanchir les assassins, les terroristes du 11 septembre, mais pour dire attention, ne vous reportez pas dans leur totale, dans sa totalité sur les musulmans, parce que les bombardements terroristes, nous sommes capables, nous avons été capables d'en faire plus difficile. la notion de terroriste et patriote. On l'a dit tout à l'heure, c'est facile de dire aux élèves, le patriote, c'est celui qui lutte contre un totalitaire, le terroriste, c'est celui qui lutte contre la démocrate. Moi, je travaille sur l'Italie contemporaine, sur l'Italie du 19e siècle. Le dénommé Orsini jette une bombe sur la voiture de Napoléon III pour que la France change de politique. et pas l'unité italienne. Pour dire qu'ils s'attaquent à un régime totalitaire. Le Second Empire n'est pas un régime totalitaire. Pour la police de Napoléon III et pour l'opinion publique française, Orsini, c'est un terroriste. Et aujourd'hui, on ne parle plus d'Orsini dans les monnaies scolaires. Mais hier, vous lisiez le terroriste Orsini. Prenez les livres d'Italiens, le patriote Orsini. Et on peut faire la même analyse avec les Irlandais et avec beaucoup d'autres. Ce que je veux dire, c'est que notre métier, c'est de reprendre de temps en temps ces événements pour dire aux journalistes, attention, attention, ne jetez pas la tête d'un thème tout de suite, sans avoir réfléchi au précédent, à des événements que nous avons pu vivre nous. Alors ça, ça va dans un certain sens, vous allez me dire, vous allez dans le sens du blanchiment des terroristes. Non, elle est aussi dans l'autre sens, c'est-à-dire qu'on nous dit aujourd'hui, une espèce d'obsession. on fait la guerre mais ça ne doit pas faire de mort. Ça, avec Bosnie, on a connu ça. La guerre, ça ne fait pas de mort. Et surtout, il ne faut pas faire de dommages collatéraux. À partir du moment où vous adoptez l'idée qu'on ne peut pas détruire les nids de pirates en Afghanistan, l'Aden, sans détruire les installations au sol de tir anti-aérien, vous allez forcément faire des dommages collatéraux. Simplement, ce que nous pouvons dire, c'est Notre sensibilité d'aujourd'hui, d'occidentaux, ne l'accepte pas. Mais notre sensibilité, il y en a certainement parmi vous qui sont des jeunes, mais enfin, vous vous souvenez peut-être de ce qui s'est passé pendant la guerre. Lorsque les Anglo-Américains bombardaient Boulogne-Biancourt, les usines Renault, ou bombardaient Noisville-Sec ou 19-Saint-Georges, les gares de triage, je peux vous dire qu'il y avait des dommages collatéraux. Donc c'est encore une des tâches de l'historien, de montrer ce décalage entre la sensibilité de 1945, 1944, 1945, ou 1944, plutôt, en 1944 on a été libérés, où on n'acceptait pas ce genre de choses, ou plutôt où on acceptait ce genre de choses, nous, les gens occupés, parce que la libération était au bout. On peut imaginer aussi que des talibans se disent, bon, après tout, c'est la libération qui est au bout des bombardements. Vous voyez, ce sont un peu des réflexions à bâton rompu sur cette notion de guerre et de terrorisme qui me semblent quand même être au cœur de notre réflexion sur eux. cet événement terrible dont c'est au fond.
- Speaker #0
Oui, en écoutant Pierre Milsa en réaction, je me disais quand même que si on pousse jusqu'au bout ce qu'il dit, on risque, et là je parle scolairement à ce moment-là, on risque de laisser croire au relativisme. Et là, on a un vrai problème d'enseignement. C'est-à-dire que tout se vaut, et au fond, voilà. Et donc, à mon sens, je comprends très bien ce qu'il dit dans les précautions d'historien, si je puis dire. Il me semble qu'un professeur dans sa classe ne peut pas complètement dire... comme ça, pas tout se vaut, mais risquer d'induire du relativisme, si je puis dire. Nous enseignons en France, on dit quelquefois, adosser à des valeurs. Nous enseignons en France adosser à des valeurs. Ça s'appelle liberté, respect de la vie humaine, etc. Je crois qu'il faut aussi le rappeler quand on fait cette histoire-là à des élèves. On ne peut pas dire, ça a toujours été comme ça. On ne peut pas dire seulement cela, si je puis dire. De même que... De même que... Me semble-t-il, je vais quand même dire un tout petit mot, je ne suis pas du tout compétent sur le fond, mais dans une classe où on aura beaucoup de ceux qui sont français ou ils vont l'être, mais sont d'origine maghrébine, et je crois qu'il faut qu'on essaie d'affronter ce problème qui est difficile. Et je ne dis pas que j'ai une solution, bien entendu. C'est vrai que j'ai eu beaucoup d'échos dans tel lieu un peu difficile. Je peux le dire, quartier nord de Marseille, collège, le principal rassemble tous les gamins dans la cour, 80% d'immigrés. Et puis, il veut faire une mine de silence. C'est pire que tout, il ne l'obtient pas. Il ne l'obtient pas. Et les professeurs, ensuite, essaient de récupérer les élèves et de leur expliquer. Mais le mal est fait, si je puis dire. Parce qu'il n'y a pas eu d'explication avant. On ne peut pas faire une minute de silence sans explication avant. Moi, je crois encore à la raison dans ce domaine-là. Donc, il faut expliquer. Il faut quand même expliquer, me semble-t-il, à la base de tout cela, qu'on ne peut pas plus s'incriminer. l'islam en général, qu'on incrimine le christianisme pour Hiroshima ou Dresde. Disons les choses. Ce n'est pas une affaire de religion. Je crois qu'il faut le dire. Il faut dire ensuite que si l'on est français, on croit en des valeurs qui sont celles de la communauté nationale et qui sont la démocratie, les droits de l'homme et le respect de la vie humaine. Alors, je sais bien, ça ne contredit pas ce que dit Pierre Milza. Mais je crois qu'il faut aussi dire ce que je viens de dire, aussi dire ce que je viens de dire, quand on est devant les élèves, et se mettre là la difficulté, sans pour autant sembler faire du moralisme, parce qu'il me semble quand même que là il y a un pacte social en France, et la République est dans les classes, pour nous dire le respect des valeurs lesquelles nous nous appuyons. C'est là toute la difficulté, si vous voulez, je crois, de l'enseignement, et la difficulté... j'ai envie de dire la grandeur aussi, d'arriver à parler au nom des valeurs et de parler en raison, et que ces deux directions ne soient pas incompatibles. Mais c'est très difficile, je le sais bien.
- Speaker #2
Nous prendrons les questions de la salle.
- Speaker #3
Juste un mot pour réagir à ce propos. Je trouve important, Dominique Borne, la première partie de son intervention, sur le relativisme. Quand on a le goût, en effet, des rapprochements, des concordances des temps, on ne peut pas ne pas s'interroger. sur le danger qu'il y a à aboutir à un « tout a toujours été pareil » , d'ailleurs il y avait déjà « tuer les tous, Dieu reconnaîtra les siens » , puis la Saint-Barthélemy, etc. L'histoire de l'humanité est une telle théorie, au sens entier du terme, d'événements horribles et de barbarie absolue, que ça finit par émousser quelque peu le chagrin, l'indignation et même le désir d'agir. Donc la seule façon, je crois qu'il faut commencer par expliquer ces précédents. Mais immédiatement, elle est débusquée avec l'arme de la raison, que je chéris autant que vous, Dominique. Évidemment, je ne suis pas le seul. Je veux dire, d'aller rechercher l'analyse, la compréhension de ce qui a été effort pour aller dans le bon sens. Au nom de la vieille idée de Victor Hugo, on entre dans la dictature, il faut le citer chaque fois, toujours une fois, qui disait que la civilisation était toujours asymptotique. Et c'est cette marche asymptotique, moi, qui m'intéresse, et qu'on peut... démontrer pour éviter ce risque qui existe, bien sûr,
- Speaker #2
quand on dit que c'était déjà horrible. On a parlé tout à l'heure des riches et des pauvres, et les riches sont des deux côtés, mais la question, c'est que les terroristes, appelons-les ainsi, entendent représenter les pauvres. Et il y a ce problème, représentation réelle, c'est encore une autre question, qui est tout de même sous-jacente à cela, y compris dans la représentation de l'Amérique, et tout ça, il y a là... je crois un très gros problème, il y en a tellement. Alors je vous propose maintenant, dans le temps qui nous reste, nous nous donnons encore un quart d'heure si vous voulez, de répondre à vos questions. Alors ce que nous vous demandons, c'est de ne pas nous faire des discours, ça c'était nous, j'espère des analyses quand même, j'espère, poser des questions rapides et on essaiera de répondre rapidement. La personne qui a le micro est légitime en quelque sorte, les médias. Elle parle, si elle veut bien donner son nom, comme ça.
- Speaker #1
Merci, oui,
- Speaker #3
Noël Gauthier. Compte tenu de ce que vous avez dit,
- Speaker #1
et Pierre Milza en particulier,
- Speaker #3
à savoir,
- Speaker #1
on ne sait pas si l'on est au début du XXIe siècle, si cet événement marque le départ de quelque chose. Est-ce que l'on peut dire,
- Speaker #3
c'est une question peut-être un peu philosophique,
- Speaker #1
mais les historiens y ont leur part, est-ce qu'aucun homme n'a jamais assisté à un commentement historique ? Ou est-ce qu'il y a des exemples ? Est-ce qu'on n'a jamais accepté un commencement ? Assister à un commencement. C'est toujours après coup qu'on dit c'est cet événement-là qui a été fondateur.
- Speaker #3
C'est la vieille blague de la prise de conscience.
- Speaker #1
Mais là, vous avez quand même un flot de paroles journalistiques qui nous disent c'est un commencement. C'est à ça que j'ai réagi un peu, si vous voulez. C'est que constamment, on nous dit voilà, voilà l'événement fondateur du 21e siècle. Plus ne se... Ça ne sera plus jamais comme avant.
- Speaker #3
C'est l'histoire de Constantinople, quand il est pris par les Turcs, il y a quelqu'un qui se penche à la fenêtre, il dit tiens, on vient d'entrer dans les temps modernes.
- Speaker #2
Oui, autre question. Si vous avez le micro, vous parlez.
- Speaker #3
Jean Jactur, professeur d'Histoire-Géo. Vous avez dit tout à l'heure fort justement qu'en tant qu'historien, on ne devait pas jouer à Madame Soleil ou à Lapiti, mais vous avez cité plusieurs exemples, tout à l'heure M. Jeanneney en particulier, vous avez évoqué Pearl Harbor. Et depuis quelques années, on semble nous dire que Pearl Harbor, qui est malgré tout une agression japonaise caractérisée, mais que curieusement, quelques mois auparavant, la flotte américaine du Pacifique... qui était basé essentiellement à San Diego, avait été déplacé là-bas, aux îles Hawaï. Alors, est-ce que, sans pouvoir préjuger de l'avenir, bien sûr, on ne peut pas être amené à se poser des questions en disant « Et si cette attaque des tours, etc., ça n'avait pas été arrangé dans un certain sens ? »
- Speaker #1
Je fais l'avocat du diable, bien sûr, en ce moment. Ah ben oui ! Oui, alors, il n'y a jamais un fait historique qui n'a, après coup, où il y a un certain nombre de gens qui font leur front de commerce, vous avez l'explication la plus paradoxale. Le masque de fer, il est Nicolas Fouquet, ou le petit frère jumeau de Louis XIV, vous avez mille bouquins là-dessus. Alors, Père Larbor est un bon exemple. Constamment, tous les trois ans, quatre ans, cinq ans, il y a un historien, entre guillemets. Le premier numéro de la nouvelle formule d'Historia était titré, du nouveau sur Père Larbor, « Roosevelt savait » . Puis, tous les spécialistes se penchent à nouveau sur la question, s'aperçoivent qu'il n'y a pas un document nouveau, et que Roosevelt, il ne savait pas. Parce qu'alors là, s'il y a quelque chose qui est contraire à l'esprit américain, c'est de risquer la vie d'un boy, quand on sait qu'on peut faire autrement. Alors, risquer la vie de 4000 boys, et se faire couler la moitié de sa flotte pour dire aux Américains, vous savez, ils sont méchants les Japonais pour leur faire la guerre, ça, je n'y crois pas du tout. En revanche, Pearl Harbor est un bon exemple pour autre chose. Je n'ai pas eu le temps d'évoquer tout à l'heure. Nous savons aujourd'hui, alors cette fois-ci avec des documents, que pour faire le coup de Père Larbor, Yamamoto a mis 18 mois. Il y a 18 mois de préparation. Si bien que ça prend complètement caduque toute explication de Père Larbor par ce qui s'est passé la semaine d'avant, ou trois mois avant, ou deux mois avant. Et que du coup, ça nous amène à réfléchir sur le rapport entre le 11 septembre et des événements antérieurs. C'est-à-dire que ce qu'on peut penser, c'est que Ben Laden, il entretient des réseaux de dormants depuis dix ans, jusqu'au moment où un événement va faire qu'on va les réveiller. Mais vous voyez, ça pose un problème quand même. C'est en ce temps qu'on peut parler d'un événement. Sur les rapports entre la promenade de Sharon sur l'esplanade des mosquées et le 11 septembre. Là, on peut s'interroger là-dessus. Quant à la thèse... Ça pouvait intéresser des gens de le savoir avant. Personnellement, tant qu'on n'a pas de documents, je n'y crois pas trop.
- Speaker #3
Juste une observation dans la ligne de ce que dit Pierre, c'est que s'il y avait 18 mois qu'on préparait l'attaque, lorsqu'on se plaint aujourd'hui de l'insuffisance du renseignement américain, vous voyez ce que je veux dire, je n'ai pas besoin de finir ma phrase. D'autre part, il y a un autre péché contre lequel notre pratique nous prémunit quelque peu, c'est ce qu'on peut appeler le finalisme. Comment on dit la surévaluation du document qui ? On le sait à propos de l'affaire Cicéron. On trouve toujours dans le fatras des archives du renseignement, lorsqu'ils disent quelqu'un qui a annoncé un événement, et on dit, puisqu'ils veulent savoir que c'était annoncé. Simplement, on nommait le fait que cet avertissement figurait parmi 20 autres d'une autre nature. Et par conséquent, il est trop facile après coup, parce que c'est arrivé, de s'étonner qu'on n'ait pas tenu compte, mais on aurait pu tenir compte de tous les autres, c'est ce qu'on a fait.
- Speaker #1
Pour rebondir sur ce que dit Jean-Noël, on avait un ambassadeur à Berlin, François Poncey, qui un jour sur deux envoyait une dépêche au Quai d'Orsay en disant « La guerre est imminente, Hitler va nous attaquer » et le lendemain un document pour dire le contraire. Alors évidemment, dans ses mémoires, l'ambassade à Berlin, il a ressorti les bons, ceux dans lesquels il disait « Hitler va nous attaquer » , mais il n'a pas sorti les mauvais. Alors heureusement, une des tâches de l'historien, c'est d'essayer de sortir tous les documents et de nous dire qu'après tout, François Poncey s'est un petit peu quand même payé notre tête.
- Speaker #3
Nous avions un médecin de famille accoucheur qui disait toujours à la mère, c'était avant les moyens de savoir, vous aurez un fils, et puis qui écrivait en face de son nom une fille. Ce qui fait qu'ensuite, il avait toujours eu raison.
- Speaker #2
Autre question, allez-y.
- Speaker #0
Bonsoir, vous avez évoqué en préambule le sort des femmes. Que pensez-vous justement ? Comment voyez-vous l'avenir des femmes au Proche-Orient et toutes ces opprimées que nous voyons depuis des années qui n'arrivent pas du tout à émerger ?
- Speaker #1
Immense question. Vous imaginez que je ne vais pas pouvoir répondre comme ça rapidement. Ce n'est pas nouveau, là non plus. Il n'y a pas une irruption du problème des femmes afghanes. On sait depuis longtemps que la situation des femmes afghanes gagne et... terrifiantes, et qu'il y a des protestations, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? C'est ça le problème d'ailleurs, tout à fait lancinant de ce point de vue-là. Et il est vrai que quand on voit tout le problème des femmes, que j'ai un petit peu évoqué au début, là et dans l'attitude aussi des terroristes, qui est un terrorisme qui s'appuie sur un islam intégriste, dont je ne fais évidemment pas du tout. l'ensemble de l'islam, on se sent soudés à la démocratie. On se dit du coup que féminisme et démocratie, ça va ensemble. Et que même si nous, femmes, aujourd'hui, nous protestons, à juste titre, contre le fait que ce n'est pas égal, etc., etc., on a quand même conquis un certain nombre de choses. Et du coup, on se sent une très grande solidarité avec les femmes opprimées. de ce monde, et notamment en ce moment, des femmes afghanes. Mais toute la question, c'est quoi faire ? Voilà, c'est ça. Quoi faire ? Signer des textes, bien sûr, mais elles le sauront-elles seulement ? Aller faire des manifestations, pourquoi pas ? Peut-être qu'il faudrait faire comme les femmes d'Argentine, se donner rendez-vous régulièrement pour rappeler l'existence de ces femmes talibanes. de ces femmes talibanes, ces femmes afghanes opprimées par les talibans, etc. Je ne sais pas, il faudrait que notre imagination fonctionne pour qu'on rappelle sans cesse au monde que c'est un aspect fondamental de la question, je crois. Autre question. Bonjour,
- Speaker #2
Jacques Fiorentino. Je voulais vous poser une question pour reparler de Pearl Harbor. Est-ce que maintenant, avec votre regard d'historien, vous ne considérez pas que dans Pearl Harbor était inscrite la bombe atomique ?
- Speaker #3
La revanche, oui. Oui, d'une certaine façon. Ce n'est pas tant Pearl Harbor qui a inscrit la bombe atomique, parce que ça, ça serait faire de la prospective, mais dans la bombe atomique, il y a une part de la mémoire de Pearl Harbor. Mais il y a autre chose dans Pearl Harbor. Il y a le Commodore Perry, avec ses canonnières américaines, qui ouvre le Japon de force. Si je ne me trompe pas, c'est en 1842. Le Japon était fermé sur lui-même pendant des siècles. Pour ouvrir le Japon à notre civilisation et à notre commerce, la flotte du commodore américain Perry est venue mouiller devant Nagasaki et menacer de détruire la ville à coups de canon si le Japon ne s'ouvrait pas. Alors là, je dirais que Pearl Harbor est inscrit, c'est un peu la revanche de cet événement, de même que, d'une certaine manière, la bombe atomique serait la revanche de Pearl Harbor, etc. On peut aller loin comme ça.
- Speaker #1
Je crois que l'heure passant... sauf s'il y avait encore beaucoup de demandes de parole. Nous allons, je crois, pouvoir en rester là, car les uns et les autres, vous avez vos obligations. Merci.